durée de vie et durée des retraites
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durée de vie et durée des retraites
Retraite / institutions DURÉE DE VIE ET DURÉE DES RETRAITES Recul de la vieillesse physiologique enclin à les proposer. 28 Depuis une vingtaine d’années démographes, gérontologues, économistes et sociologues le répètent à qui veut l’entendre : vieillir n’a plus exactement le même sens que jadis (1). Quand des associations (notamment les sociétés de secours mutuel, au XIXe siècle), des patrons et des gouvernements se sont mis à s’inquiéter du sort des travailleurs âgés, ils voulaient éviter la misère au petit nombre de ceux que la “grande faucheuse” laissait parvenir à leur soixante-dixième anniversaire (premières lois de Bismarck), ou à leur soixante-cinquième. Aujourd’hui, les habitants des pays riches parviennent très majoritairement à soixante ans en parfaite santé, avec un quart de siècle d’espérance de vie ; il ne s’agit pas seulement de leur assurer une fin de vie décente, mais de leur offrir avant leur véritable vieillesse une vingtaine d’années de congés payés durant lesquelles ils pourront mener toutes sortes d’activités. En un mot, il est faux à bien des égards que l’on soit vieux à 58 ans, âge moyen en France - de cessation de l’activité professionnelle : la vieillesse vient nettement plus tard. Si l’on était resté fidèle au concept initial d’assurance vieillesse, la plupart des personnes resteraient en activité jusqu’à 70 ans ou davantage. Mais, dira-t-on, un travailleur de 55 ans n’est-il pas économiquement vieux, ses connaissances étant devenues obsolètes et ses capacités d’adaptation insuffisantes ? N’existerait-il pas un âge économique de la vieillesse, plus précoce que son homologue physiologique ? Telle est la question à laquelle il convient de réfléchir : selon la réponse, la solution du problème des retraites peut être cherchée pour une part plus ou moins grande dans le recul de l’âge moyen à la liquidation des pensions. R.F.C. 400 Juin 2007 Les prévisions optimistes concernant la longévité en général, et l’augmentation du nombre d’années à vivre en bonne santé en particulier, font partie du sensationnel auquel certains auteurs ont recours pour mieux vendre leurs ouvrages : peut-être la thérapie génique, les implants, ou la lutte contre les radicaux libres, ne progresseront-ils pas aussi vite qu’ils le disent. Il n’en reste pas moins que les deux indicateurs susmentionnés sont en progrès depuis plusieurs décennies. On estime souvent que l’espérance de vie en bonne santé croît parallèlement à l’espérance de vie “tout court”. Hervé Lebras, dans son ouvrage de mars 2007, montre à partir des statistiques de l’Organisation mondiale de la santé qu’en comparant les pays selon leur mortalité, pour un gain d’espérance de vie d’une année, l’espérance de vie sans incapacité augmente de 1,3 à 1,36 an selon le sexe. Une récente étude canadienne donne certes des résultats moins agréables : de 1987 à 1998, au Québec, l’espérance de vie à la naissance aurait gagné 24 mois, mais l’espérance de vie “sans limitations d’activité (en bonne santé)” seulement 6 mois (2). Entre les deux le réseau “espérance de vie en santé (REVES (3))” estime que « en résumé, les années gagnées sont plutôt vécues en bonne santé ». Si REVES a raison, si la vieillesse physiologique survient de plus en plus tard, en résulte-t-il qu’il sera facile de retarder l’âge moyen de départ à la retraite ? Quelle “espérance de vie professionnelle” ? L’âge de la vieillesse économique dépend de l’offre et de la demande : quelqu’un devient économiquement “vieux” le jour où la demande pour ses services diminue fortement, et où il est de moins en moins 1. Voir notamment : Xavier Gaullier, La deuxième carrière, Seuil, 1988 ; Patrice Bourdelais, L’âge de la vieillesse, Odile Jacob, 1993 ; Robert Rochefort, La retraite à 70 ans ?, Belin, 2004 ; Joël de Rosnay et alii, Une vie en plus – la longévité, pour quoi faire ?, Seuil, 2005 ; Hervé Le Bras, Les 4 mystères de la population française, Odile Jacob, 2007. 2. Source : Eco-santé Québec 2006. 3. Site : www.reves.net L’offre dépend bien entendu de facteurs physiologiques, mais aussi, très largement, de facteurs psychologiques. Rappelons-nous le dicton : « il ne savait pas que c’était impossible, alors il l’a fait ». Pour l’instant, il joue à l’envers : « il sait que c’est impossible de travailler à son âge, alors il ne cherche pas à le faire ». Dans quelle mesure ce “savoir” est-il un faux savoir ? Certains métiers exigent des qualités physiques ou intellectuelles que l’on possède plutôt à 30 ans qu’à 70, mais on en rajoute souvent : l’embauche classique d’agents de sécurité ou de mercenaires parmi les retraités des forces armées, ou les récentes embauches de retraités de la SNCF comme agents de conduite par les nouveaux opérateurs ferroviaires montrent que, si le désir de travailler et la confiance en soi ne sont pas inhibés par un climat psychosociologique et des réglementations défavorables, beaucoup de personnes “d’un certain âge” sont aptes à effectuer des tâches traditionnellement réservées aux jeunes. L’offre a été découragée par l’organisation du système de retraites et de préretraites. L’absence de neutralité actuarielle se traduisait dans une forte proportion de cas par une confiscation : la sécurité sociale ne rétrocédait pas aux personnes jouant les prolongations une partie suffisante de ce qu’elles lui apportaient (ressources supplémentaires et diminution du nombre d’années de pension à verser). Or personne ne travaille avec enthousiasme pour le roi de Prusse ! La mise en place de la surcote modifie la donne, mais la lisibilité de cet ersatz de neutralité actuarielle n’étant pas optimale, les effets mettront un peu de temps à se produire. Reste la demande. Les employeurs ont pris l’habitude de résoudre toutes sortes de problèmes par le renvoi de leurs salariés les plus âgés : l’Etat les y incitait en faisant supporter les frais correspondants par le contribuable-cotisant. On est un peu sorti de cette ornière, mais il reste à s’en dégager entièrement ; du temps sera nécessaire pour que les employeurs comprennent que l’emploi des seniors peut être rentable moyennant certaines adaptations. ■ Jacques BICHOT Economiste, professeur à l’Université Lyon 3