Libération, rubrique Grand Angle

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GRAND ANGLE
15 juin, 20 heures. Rangoun est plongé dans le noir. La pagode Shwedagon brille au loin,
les quartiers environnants, privés d’électricité, s’éclairent avec des générateurs.
LIBÉRATION VENDREDI 22 JANVIER 2010
Sekhanta, le marché de nuit de Rangoun, ne dort jamais. Les familles de marchands y vivent
au complet et à temps plein… A 23 heures, les enfants jouent encore au milieu des étals.
Birmanie, être
Vivre, malgré la dictature. La réalisatrice
Anne Murat et le photographe Brice
Richard ont saisi le quotidien birman,
loin des clichés.
Par ARNAUD VAULERIN
Photos BRICE RICHARD
sur les marchés et près des temples, dans les
concerts et dans les trains, dans les guest-houses et dans les classes, Anne Murat et Brice Richard sont partis à la rencontre des Birmans.
risons, manifestations, moi- Un mois durant, ils en ont longuement internes bouddhistes et martyrs viewé 68, non sans jouer au chat et à la souris
de la démocratie… C’est ce avec les services de sécurité. Ils sont revenus
que les reportages racontent, avec quarante heures de rushs vidéo,
le plus souvent, de la Birma- 16500 photos et des points de vue très libres de
nie. Les photographies (1) ra- Birmans, persuadés que, dans les limites impomenées par Anne Murat et sées par le régime, «on peut faire beaucoup de
Brice Richard montrent une choses».
autre face de ce pays aux mains de généraux Passionnés par l’Asie, la réalisatrice et le phohermétiques depuis 1962.
tographe livrent un regard presque ethnograCette réalisatrice et ce photographe indépen- phique sur une Birmanie bousculée par la
dants étaient à Rangoun en juin, au moment où mondialisation et taraudée par la modernité,
l’opposante Aung San Suu Kyi faisait face à une où les moinillons s’adonnent avec ferveur à la
parodie de procès pour avoir hébergé, contre PlayStation. Ils montrent un pays au quotidien,
son gré, John Yettaw, un illuminé américain. qui trime, qui «bouillonne», qui a «soif d’apSous pression internationale, la junte avait alors prendre», comme en témoignent ces images
érigé des cordons sécuritaires dans les rues de d’un cours d’anglais où 500 étudiants, entassés
Rangoun et déployé des troupes pour prévenir sous une bâche, ressassent des expressions
tout débordement et contrer toute contesta- idiomatiques par 40°C. Elles révèlent l’effertion. Anne Murat et Brice Richard n’ont rien vescence des lieux de rock, rap et hip-hop ;
rapporté de cette Birmanie-là. C’est un choix questionnent la sexualité ; s’attardent sur les
efficace et, finalement, heureux.
rythmes du travail; saisissent des visages trou«Nous voulions d’abord parler du peuple birman blants quand elles ne capturent pas des corps
plutôt que de dresser le simple constat d’une dicta- abandonnés au sommeil, livrés au jeu, à la baiture, d’un pays marqué par les
gnade, à la danse ou tendus
sanctions et la violence, raconte
par l’effort.
250 km
Anne Murat. Les difficultés des
Dans ce pays asiatique en
INDE
Birmans sont partout visibles,
marge, souvent plongé dans
CHINE
B
Mandalay
mais des espaces de création,
un crépuscule métaphorique,
d’entraide et d’éducation
Anne Murat et Brice Richard
VIETN
Naypyidaw
LAOS
s’ouvrent. Nous voulions téont ouvert une lucarne sur la
BIRMANIE
moigner de cette envie incroyable
normalité. •
THAÏL
Golfe
de s’affranchir de toutes ces
du Bengale
(1) Vidéos et photos à voir
contraintes.» Entre Rangoun et
sur le site du projet:
Rangoun
Mandalay (au centre du pays),
http://www.rangooncocoon.com
P
LIBÉRATION VENDREDI 22 JANVIER 2010
Les monastères accueillent orphelins et enfants pauvres auxquels ils prodiguent éducation
et nourriture. Le soir, ces derniers suivent des séries coréennes à la télévision.
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La scène rock se développe dans les villes. Les groupes underground fleurissent,
l’accès à la musique est facilité par Internet et par le piratage généralisé de CD et DVD.
jeune sous la junte
Marché de nuit de
Rangoun. Le labeur
est intense, les
déchargements de
marchandises
incessants. Ici, une
scène de douche au
puits extérieur.