actualité stratégique en Asie N°24 Birmanie Myanmar.pub
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N°24 28 janv. 08 ACTUALITE STRATEGIQUE en ASIE BIRMANIE : 100 jours après la répression, calme et résignation à Yangon (1/2) La « révolte safran », si loin déjà. C’était au sortir de l’été 2007, un long trimestre plus tôt. A l’occasion d’une manifestation d’humeur de la population — fait rare s’il en est dans ce pays soumis de longue date à l’autorité martiale — née d’une soudaine (et vertigineuse) augmentation des prix de divers produits de première nécessité, quelques dizaines, quelques centaines de Birmans, bientôt relayés par des milliers de leurs compatriotes, descendaient dans les rues de l’ancienne capitale Yangon (Rangoon), à Mandalay et Sittwe, pour faire entendre leur courroux, exposer leur indignation, crier leur désespoir. Dans ce pays du sud-est asiatique affichant des indicateurs économiques et sociaux parmi les plus bas de la zone ASIE (PIB/capita 210$), l’exaspération, l’incompréhension et la colère poussèrent pour la première fois depuis 1988 des cortèges de Birmans hors de leur domicile. A leurs risques et périls. Du confort de la junte et des limites de la pression internationale. Pays volontairement coupé du monde, (largement) oublié des médias depuis deux décennies, la Birmanie des généraux (l’Union du Myanmar) réapparaissait soudain, sans préalable et dans la crainte, sur le devant de l’actualité. Des appréhensions relayées par un Occident redoutant un nouveau bain de sang, vingt ans après les 3000 victimes civiles des manifestations de 1988 ; un Occident aussi prompt à dénoncer une junte omnipotente depuis 1962 qu’impuissant à contrarier le « confort » de cette dernière. Une junte bien à l’abri de son allié diplomatique et partenaire commercial chinois, souriante aux appels du pied de son autre voisin, l’Union indienne, soucieuse de regagner quelque influence et rogner des parts de marché aux détriments de Pékin. Une junte qui ne trembla pas un instant lorsqu’en septembre dernier, en plein cœur de la tourmente, à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies (New York), les leaders des grandes nations occidentales se relayaient pour réclamer de Nai Pyi Taw une gestion mesurée, préservant l’intégrité physique des manifestants et leur « droit » à exprimer pacifiquement leur désaccord. La haute hiérarchie militaire birmane ne s’émut pas davantage lorsque la perspective de nouvelles sanctions (politiques ; économiques et financières) en provenance des Etats-Unis et de l’Union Européenne s’esquissa. Faut-il pourtant voir dans la « gestion » par les forces de l’ordre des événements de septembre-octobre — musclée certes mais relativement « modérée » (le bilan humain s’établirait autour de 30 victimes) — la volonté de ne pas (trop) contrarier la communauté internationale ? Probablement ; de ne pas heurter au-delà de la mesure l’appel à la retenue des dirigeants chinois, soucieux de ne pas ternir leur propre image à dix mois des Jeux Olympiques de Pékin ? Plus encore sûrement. Téméraires hommes de foi. Dans ces intrépides cortèges (à Yangon, d’aucuns vous assurent que les manifestants étaient bien moins nombreux que ne le suggéraient les rares médias étrangers), la présence emblématique de milliers de moines bouddhistes, drapés dans leur robe safran, (très) jeunes pour la plupart et nés après le violent épisode de répression de 1988, donna une tonalité extraordinaire à l’événement, lui conférant une dimension pour le profane occidental confinant au sacré. Une dimension mystique qui ne retint pourtant pas les troupes d’intervenir bâton levé et arme chargée ces représentants du clergé manifestant pacifiquement, sur d’interminables hectomètres à Yangon, Pakoku et Sittwe. En une poignée de jours, alors que le mouvement populaire tardait à se découvrir une masse critique propre à lui assurer élan et « chance » de succès, le pouvoir prenait sans mal la mesure de ces audacieux « dissidents », allouait à ces derniers le temps nécessaire pour se découvrir ... afin de mieux les cueillir qui à leur domicile, qui au cœur même des monastères, où bien des injures aux hommes comme aux principes du bouddhisme auront été perpétrés. Quand les faits n’étaient pas plus graves. 1 INDE CHINE Nay Pyi Taw Baie du Bengale THAILANDE Mer des Andaman Golfe de Thaïlande L’Union du MYANMAR Capitale Nay Pyi Taw (depuis 2006) Superficie 678 500 km² Population 50 millions Compo. ethnique Birmans 68 % ; Shans 9 % ; Karens 7% Nature du régime junte militaire Religion PIB PIB / capita Croissance 2007 bouddhisme 89 % 10 milliards $ 210 $ + 5.5 % Alphabétisation 90 % pop. de + 15 ans Pauvreté (% pop) 25 % / seuil pauvreté Chronologie 1948 Indépendance de la Birmanie 1962 Coup d’Etat du général Ne Win ; abolition du système fédéral ; « socialisme à la Birmane » 1975 Formation du Front National Démocratique 1987 Dévaluation de la monnaie ; émeute anti-gouvt 1988 Répression ; milliers de victimes ; State Law & Order Restoration Council (SLORC) 1989 Loi martiale ; Birmanie devient Myanmar ; Aung San Suu Kyi placée en résidence surveillée 1990 La Ligue Nationale pour la Démocratie (LND) de Aung San Suu Kyi remporte les élections 1991 Aung San Suu Kyi Prix Nobel de la Paix 1997 Adhésion du Myanmar à l’ASEAN 2004 Fin des hostilités entre gouvt. & la guérilla Karen 2006 Nay Pyi Taw devient la capitale 2007 Sept-oct. : manifestations à Pakoku, Mandalay, Sittwe et Yangon ; répression (30 victimes) ACTUALITE STRATEGIQUE en ASIE N°24 28 janv. 08 BIRMANIE : 100 jours après la répression, calme et résignation à Yangon (2/2) Une centaine de jours ont passé. Du 1er plan de l’actualité internationale, la scène birmane est — sans surprendre — retombée dans un discret oubli. Effectué ces jours derniers, un déplacement dans l’ancienne capitale et en province révéla à l’auteur un panel de points dont profitera également le lecteur. Affaiblie, la junte ? Lors de cette mobilisation internationale, plus verbale et lointaine qu’opérationnelle et écoutée sur place, il était des observateurs pensant qu’un tournant dans l’histoire moderne de la Birmanie était peut-être en train de s’opérer, que l’édifice martial d’une junte aux commandes de la mosaïque (ethnique ; politique) birmane depuis un demi-siècle était peut-être à l’orée de son épilogue. A Yangon, Pattein ou Mandalay, alors que s’écoulent (dans le calme, sans présence policière ou militaire particulière) les derniers jours de janvier, la position de l’armée, de son bataillon de colonels et généraux, n’a au contraire jamais semblé si solide, son assise si forte, et celle de ses « ennemis » (forces démocratiques ; opposition en exil ; clergé contestataire) si ténue. Le clergé bouddhiste ; abattu ? Nous établirons un distinguo succinct au sein de la sangha, la communauté religieuse bouddhiste, représentante du demimillion de moines vers qui se tournent en permanence et à toutes fins une population de 50 millions de citoyens particulièrement croyants. En effet, à des lieues de bien des idées reçues, comme le confirmèrent du reste les rares images et photos diffusées en sept-oct. 2007, les seuls moines à braver les interdits et des forces de l’ordre… et de leur autorité cléricale hiérarchique, étaient ses plus jeunes éléments, déterminés, à l’image de l’intrépide Alliance of All Burma Buddhist Monks, à payer de leur vie ce droit à contester un régime dictatorial faisant plus cas du sort de ses « fusils et casernements » que des conditions de vie médiévales imposées à la population. Si cette faction exposée à, par son implication, sa défiance, versé un lourd tribut, tel ne semble pas avoir été le cas des échelons supérieurs de la sangha, à l’évidence plus posés et dociles et dont les liens intimement tissés avec le pouvoir militaire, loin de tout principe spirituel, ne sont dans le pays un secret pour personne. Quid des forces démocratiques ? A l’exception de madame Aung Saun Suu Kyi, (« La Dame »), opposante historique et Prix Nobel de la paix (1991) dont le charisme et l’image demeurent intactes dans le pays et au-delà, les forces démocratiques ressortent terriblement affaiblies de ces événements. En exil ou incarcérés, ses principaux meneurs — ceux qui n’étaient pas déjà derrière les barreaux — ont disparu depuis lors de la circulation. La Ligue Nationale pour la Démocratie, sclérosée (ses cadres « en liberté » sont souvent septuagénaires ou octogénaires) et incapable de piloter ou de structurer la contestation, ne représente plus en l’état un défi de taille, loin de là, pour des militaires aux moyens abondants et au discours déterminé. Des acteurs extérieurs écoutés ? Sur place, votre interlocuteur birman vous le dira sans détours : la communauté internationale, « en Birmanie, elle parle ; de l’extérieur ; c’est tout. Nous avons appris à ne plus l’écouter ni placer d’espoir en elle ; nous sommes seuls ». Trop timides et ayant (pour l’heure) plus à perdre qu’à gagner à peser sur la volonté des généraux birmans, New Delhi, Bangkok et Singapour n’ont pas la stature pour infléchir l’équation. L’ASEAN, pas davantage. Seule Pékin — et seulement dans une certaine mesure — paraît en mesure d’être, jusqu’à un certain point, écoutée. Honnie et défiante (cf. son imposante ambassade flambant neuve… à quelques encablures de la résidence de « La Dame »), Washington est vouée aux gémonies ; mais guère crainte. Les perspectives à court-moyen terme ? Prenant appui sur les derniers événements et leur gestion implacable par la junte, elles seront résumées, de l’avis général (birmans ; observateurs étrangers sur place ; chancelleries occidentales), en un seul mot : RÉSIGNATION. Un bien triste programme, en vérité. Olivier GUILLARD Directeur de Recherches IRIS Associé Crisis Consulting 2 La pagode Shwe Dagon, Yangon Une presse nationale aux ordres : le New Light of Myanmar du 16.01.08 En 1ère page de l’édition du 16.01, les « objectifs » chers à la Junte 4 objectifs POLITIQUES : ♦ stabilité de l’Etat ; paix intercommunautaire ; état de droit ♦ reconsolidation nationale ♦ nouvelle Constitution ♦ établissement d’une nation nouvelle, moderne, développée. 4 objectifs ÉCONOMIQUES ♦ efforts vers l’agriculture ♦ évolution vers une économie de marché ♦ appel à l’expertise nationale et étrangère et aux capitaux ♦ permanence du contrôle de l’Etat 4 objectifs SOCIAUX ♦ élever le moral et la moralité de la nation toute entière ♦ élever le prestige national, l’intégrité ; préserver l’héritage culturel ♦ renforcer le patriotisme ♦ améliorer la santé, l’éducation En dernière page de la même édition Les « souhaits du peuple » - Nous voulons la stabilité - Nous voulons la paix - Nous refusons l’agitation et la violence En conclusion du quotidien, les éloquents commentaires des autorités Xles menteurs cherchent à détruire la nation ; XLa BBC ment ; XRadio Free Asia attise les hostilités ; XAttention ! Ne vous laissez pas acheter par ces mauvais penseurs !