Politiques de Decentralisation.

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Politiques de Decentralisation.
Formulation, prise de décision et mise en accord des politiques de Décentralisation :
Questions relatives aux défis et aux stratégies
Exposé présenté dans le cadre de la Conférence des Ministres sur le renforcement des
capacités des dirigeants pour une Gouvernance décentralisée et la réduction de la pauvreté en
Afrique dont le thème est « Des politiques à leur implémentation : Défis et Stratégies pour
une implémentation efficace de la Gouvernance décentralisée en Afrique »
Palais des congrès, Yaoundé, Cameroun, 28-30 mai 2008
Par Dr John-Mary Kauzya (ph D)
Responsable de la Branche Gouvernance et Administration publique
Direction des Affaires économiques et sociales des Nations Unies (DAESNU)
New York
Formulation, prise de décision et mise en accord des politiques de Décentralisation :
Questions relatives aux défis et aux stratégies (Exposé présenté dans le cadre de la
Conférence des Ministres sur le Développement des capacités pour une Gouvernance
décentralisée et la réduction de la pauvreté en Afrique dont le thème est « Des politiques à
leur implémentation : Défis et stratégies pour une implémentation efficace de la Gouvernance
décentralisée en Afrique ») par John-Mary Kauzya (Ph D)
Introduction :
Le présent exposé suggère que certains défis et difficultés auxquels sont confrontés les pays
dans le cadre de l’implémentation de la gouvernance décentralisée trouvent leur origine dans
le processus de conception et de décision des politiques de décentralisation. Nous allons
explorer et discuter les différents défis rencontrés dans le processus de conception et de
décision de la décentralisation ainsi que dans la défense de son implémentation. Nous allons
également discuter certaines des stratégies (conceptuelles et pratiques) pouvant être adoptées
pour faire face à ces défis en vue de faciliter l’implémentation de la gouvernance
décentralisée. Les défis peuvent provenir des modes ou d’un mélange de modes de
décentralisation adoptés, la confiance ou la méfiance mutuelles cultivées entre les dirigeants
et les populations, leur manière de concevoir la gouvernance décentralisée prend en compte
les structures existantes ou traditionnelles, la nature pluriethnique de la société en question,
comment le consensus est intégré dans les politiques de décentralisation, comment les
questions relatives à la capacité ou à son absence sont traitées et quelle approche est adaptée
en matière de financement de la gouvernance décentralisée. Ceci constituera le point focal de
la discussion du présent exposé.
Quel mode de décentralisation ?
De manière générale, la décentralisation est un terme générique ayant plusieurs connotations
dont la dévolution, la déconcentration, la délégation et la délocalisation. L’un des défis à
relever dans la conception et la décision de la décentralisation concerne le choix d’un de ces
nombreux modes. Plusieurs politiques de décentralisation en Afrique (en fait dans le monde)
sont choisies parmi celles-ci. En cas de désaccord sur le mode de décentralisation une telle
entente ne doit pas être prise à la légère. Par exemple, les fonctionnaires des services centraux
peuvent préférer la déconcentration en pensant qu’elle garantie leur pouvoir bureaucratique et
leur contrôle des ressources. Les dirigeants politiques des services centraux peuvent préférer
la déconcentration pour la même raison, surtout à cause de la confiance qui règne entre les
populations et les responsables politiques des services centraux. Les communautés locales
peuvent préférer la dévolution en pensant qu’elle garantie leurs pouvoirs en termes de prise
de décision dans le choix des dirigeants locaux et du développement socioéconomique.
Toutefois, certaines peuvent douter de la décentralisation, surtout de la dévolution en la
soupçonnant d’être une excuse de la part des services centraux pour fuir leurs responsabilités
dans le cadre du développement local. Par conséquent, un moyen impartial de s’entendre sur
les modes ou les mélanges à utiliser là-bas est la nécessité pour tous les acteurs, surtout le
gouvernement central et les communautés locales, de donner les vraies raisons pour lesquelles
ils préfèrent tel modèle pour que la conception technique des politiques de décentralisation
prenne en compte les intérêts de tous. C’est ça l’une des raisons pour lesquelles une
sensibilisation et des consultations extensives sont nécessaires pour permettre à tout le monde
de bien comprendre la gouvernance décentralisée et les différents modes de décentralisation et
de bien les intérioriser.
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Le défi de cultiver la confiance mutuelle entre les dirigeants et le peuple
A la base d’une gouvernance décentralisée réussie, il y a une bonne dose de confiance entre la
confiance réciproque qui unit le peuple aux dirigeants politiques et techniques. En vue de
promouvoir et d’encourager la participation du peuple ( Son influence dans l’ attribution des
pouvoirs et le contrôle du processus de prise de décision) il faut des dirigeants ayant confiance
au peuple et un peuple ayant confiance aux dirigeants surtout au gouvernement aux niveaux
tant local que national. Savoir comment cultiver cette confiance mutuelle si utile est un grand
défi. Très souvent en effet, une confiance inadéquate est responsable de la plupart d’échecs en
matière de politiques de décentralisation.
Le défi de la conception d’un système de gouvernance décentralisé basé sur les institutions de
leadership local en présence dont il tient compte. Dans la conception des politiques et
stratégies de décentralisation, nous devons réaliser que même lorsque nous n’avons pas
encore décentralisé, il existe une forme de leadership dans la communauté locale. Dans
certaines communautés par exemple, il y a des dirigeants traditionnels. Nous devons
concevoir des systèmes de gouvernance décentralisés basés sur les institutions et structures de
leadership qui existent déjà dans les communautés, surtout si de telles institutions sont
positives. Une recherche plus approfondie est nécessaire pour comprendre la structure sociale
des communautés au niveau local pour savoir quel type de leadership peut permettre à de
telles communautés de réaliser une action positive de développement.
Défis liés à la nature pluriethnique des sociétés africaines
La conception de la gouvernance décentralisée comprend entre autres la création d’entités
spatiales avec des frontières géographiques que les collectivités locales sont appelées à
solidifier. Malheureusement, dans plusieurs pays africains, il existe plusieurs groupes
ethniques souvent concentrés dans des zones géographiques précises et qui demandent que
chaque groupe ethnique jouisse du statut de collectivité territoriale décentralisée. Dans ce
contexte, chercher à éviter de créer de multiples collectivités territoriales économiquement
non-viables constitue un véritable défi. A quel groupe ethnique accorder ce statut et à quel
autre groupe le refuser ? Quels groupes ethniques doivent être à l’intérieur des frontières
d’une collectivité territoriale décentralisée ?
Défi de mise en œuvre d’un consensus
Nous devons d’abord analyser et comprendre les parties prenantes et les acteurs ainsi que les
intérêts qu’ils représentent dans le processus de décentralisation. Les parties prenantes et les
acteurs sont nombreux et leurs intérêts sont rarement les mêmes. Premièrement, l’aide
politique du gouvernement central doit avoir la volonté politique de s’engager dans un
exercice de partage du pouvoir et d’autorité. Sans une vraie volonté politique, la
décentralisation ne peut pas réussir. Deuxièmement, la bureaucratie du gouvernement central
(les fonctionnaires) doit avoir la volonté de faciliter le processus de transfert du pouvoir, de
l’autorité, des fonctions, des responsabilités et des ressources requises. Sans volonté
bureaucratique, il y a plusieurs pierres d’achoppement sur le chemin de la décentralisation.
Troisièmement, la société à la base, surtout le leadership communautaire, quelque organisée
soit-elle, doit pouvoir volontairement recevoir et faire usage du pouvoir et de l’autorité
nécessaires pour le développement socio-économique du peuple. En l’absence d’une volonté
et d’une capacité civiques, les fonctions transférées par le biais de la décentralisation ne
peuvent être assurées efficacement,au quel cas les ressources transférées seront perdues. En
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outre, les dirigeants locaux risquent de se comporter comme des dictateurs locaux et mettre
ainsi en péril la démocratie participative ou représentative que la décentralisation est censée
appliquer. Enfin, étant donné que nous traitons avec des pays relativement pauvres et
dépendant principalement des aides des donateurs pour la mise en œuvre de la
décentralisation, les donateurs et partenaires au développement doivent avoir la volonté de
soutenir la décentralisation. Le soutien des donateurs à la décentralisation n’est pas toujours
évident.
Défi relatif à la capacité
Il y a souvent un débat sur la question de savoir si les politiques de gouvernance décentralisée
doivent attendre les capacités locales adéquates avant d’être mises en oeuvre. Ce débat n ’est
pas nécessairement sans objet mais il manque souvent son objectif de répondre à la question
de savoir qui sont les acteurs de la gouvernance locale et par conséquent quelles capacités
doivent être développées. L’argument souvent présenté est que les populations locales ne
disposent pas de la capacité requise pour gérer les collectivités territoriales décentralisées. Par
conséquent, les fonctions, les responsabilités et les ressources ne doivent pas leur être
dévolues. Dans la plupart des cas, un tel argument s’oppose à la décentralisation. Il est vrai
que la majorité des pays pauvres, surtout les pays africains ont de multiples faiblesses en
matière de capacités où leur secteur public, leur société civile et leur secteur privé sont faibles.
Cependant, dans le cadre de l’argument relatif à la gouvernance locale, cet argument revêt un
caractère colonial. Etant donné que le processus de développement est un processus de
renforcement des capacités, un pays ne peut se permettre d’attendre le développement des
capacités de gouvernance locale. . Au cours des années 1950, lorsque l’Afrique a commencé à
demander l’émancipation politique, les puissances coloniales de cette époque-là répondaient
rapidement que les Africains n’avaient pas les capacités requises pour s’autogouverner. La
réponse des Africains était à l’unanimité qu’ils avaient le droit d’être maîtres de leur destin.
« De quel droit vous les Britanniques pouvez-vous décider que nous les Africains sommes
capables ou non de nous autodéterminer ? », se demandait l’un des personnages du célèbre
roman de Peter Abrahams intitulé Une couronne pour Udomo (2) Il ne faudrait pas que les
mêmes dirigeants africains rejettent la gouvernance locale décentralisée en disant à leurs
compatriotes que ces derniers ne disposent pas des capacités pour s’autogouverner. Il s’agirait
là d’une colonisation interne. Le développement est un processus de mouvement progressif et
qualitatif allant de l’inaptitude à l’aptitude, de l’incapacité à la capacité.De façon
conceptuelle, Il est par conséquent normal de commencer par une capacité de gouvernance lo
cale faible pour évoluer vers une capacité de gouvernance forte. Sans cette prédisposition, la
gouvernance décentralisée risque de ne jamais être initiée dans la plupart de pays pauvres.
Nous pouvons utiliser l’analogie du renforcement des capacités d’une équipe de football. Il
est impossible de renforcer les capacités d’une équipe si celle-ci n’est pas constituée au
préalable. Il n’est jamais possible de renforcer les capacités des collectivités territoriales
décentralisées en l’absence de la mise en place des structures de gouvernance locale dans le
cadre d’une politique évidente qui prévoit, entre autres, le renforcement des capacités de
gouvernance locale. Comment peut-on renforcer les capacités d’une commune, d’un comité
exécutif local, d’une organisation non gouvernementale de développement communautaire
local, d’un comité de planification de développement local etc, en l’absence de constitution
préalable de telles structures ? Le renforcement des capacités sociopolitiques et économiques
et des capacités des dirigeants commence par la mise en place d’une gouvernance locale
institutionnelle qui justifie les programmes de renforcement des capacités locales. Dans le
traitement des questions relatives au renforcement des capacités de la gouvernance locale on a
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tendance à se focaliser sur les structures locales telles que les communes, les fonctionnaires
locaux, les comités exécutifs locaux etc .
2 Voir Peter Abraham : une couronne pour Udomo (African writers Series)
La gouvernance locale comprend cependant beaucoup plus d’acteurs que ces structures. La
meilleure approche pour résoudre les problèmes et questions relatifs à la gouvernance locale
consiste d’abord à identifier et à analyser les parties prenantes et les acteurs clés. Ce qui nous
permettra d’abord de savoir qui ils sont et ensuite de comprendre les capacités dont ils
disposent ainsi que les capacités qui leur font défaut. Nous allons proposer un modèle
d’analyse de parties prenantes partant d’une simple question : Qui sont les parties prenantes et
les acteurs clés de la gouvernance locale ?
En ce qui concerne la gouvernance locale, il y a plusieurs parties prenantes et plusieurs
acteurs qui sont dans le secteur public, dans le secteur privé, dans la société civile, parmi les
donateurs et les partenaires au développement au niveau de la communauté locale, de la
communauté nationale, de la communauté régionale et de la communauté internationale. La
présence ou l’absence des capacités en matière de gouvernance locale ne doit pas être
attribuée uniquement à la communauté locale en question. La meilleure prédisposition au
renforcement des capacités de la gouvernance locale consiste à évaluer les capacité des
acteurs vis-à-vis de leur rôle pour assurer le renforcement desdites capacités en vue de jouer
efficacement ce rôle. Par exemple, 1/ Pendant que dans plusieurs pays les responsables des
services centraux hésitent à appliquer les politiques de gouvernance décentralisée pour des
raisons liées aux capacités au niveau local, on s’est rendu compte que les mêmes services
centraux ne disposent pas de capacités adéquates pour analyser, formuler et gérer
efficacement les politiques de gouvernance décentralisée. 2/ Alors que la plupart de donateurs
et de partenaires au développement ont tendance à reprocher aux collectivités territoriales
décentralisées le manque de capacités d’implémenter les projets locaux de développement, il
s’avère souvent que les même donateurs et les mêmes partenaires au développement ne
disposent pas de la capacité requise en termes de compréhension et de travail dans le cadre
socioculturel de la communauté locale en vue de promouvoir le développement sensible de la
communauté. La situation qui prévaut sur le terrain dans plusieurs pays pauvres est le
problème de capacités inadéquates chez la quasi-totalité des acteurs intervenant dans la
gouvernance décentralisée. La différence réside au niveau de l’ampleur et du degré d’absence
de capacités.
Dans le contexte d’une mondialisation croissante, il faudrait toujours analyser et
diagnostiquer les défis et les exigence en matière de renforcement de capacités de la
gouvernance locale en tenant compte de l’analyse de toute la gamme de parties prenantes et
d’acteurs au niveau communautaire, local, national, régional et international. Les activités en
matière de renforcement des capacités comprenant la prise de conscience d’une gouvernance
décentralisée doivent toujours comprendre toutes les parties prenantes et tous les acteurs.
Défis relatifs au financement de la gouvernance décentralisée
Tous les aspects de la capacité de financement de la gouvernance décentralisée dont la
prestation décentralisée des services (tels que la santé, l’éducation, la vulgarisation agricole,
les routes de raccordement, l’eau et la salubrité, etc font en effet partie des capacités. Nous
avons cependant choisi de traiter le financement séparément pour souligner les questions
complexes qu’il pose. Lorsqu’il s’agit de financer la prestation des services, les pays pauvres
se trouvent dans une situation de difficultés où les questions relatives à la constitution des
fonds, à leur collecte et à la manière de les gérer ainsi que la gestion de l’aide extérieure pour
le développement économique sont confondues.
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Compte tenu de leurs revenus extrêmement bas, le tout premier défi des pays pauvres consiste
à encourager les pauvres à participer au financement des services dont ils ont besoin. La
plupart des populations pauvres sont pressées de contester pour exiger leur participation mais
quand on atteint l’étape de la participation au financement ils veulent que certains donateurs
ou les services centraux payent la note. Pour sa part, les services centraux obtiennent de
l’argent par le biais des impôts payés par les populations. Mais quelle que soit l’efficacité
d’un système d’imposition, s’il frappe une population pauvre, il ne produira que de pauvres
revenus. Il s’agit ici de la limite au-delà de laquelle une personne qui a faim ne peut traire une
vache affamée. Le problème fondamental avec la plupart des sociétés africaines est qu’elles
souffrent d’une double faiblesse. Leurs services centraux et leurs collectivités territoriales
décentralisées sont faibles alors qu’en même temps leurs secteurs privés et leurs sociétés
civiles sont également faibles. Cette double faiblesse ne concerne pas seulement les réseaux
de ressources, de personnes, de matériel et financier mais aussi des institutions, des systèmes,
d’information etc. De façon conceptuelle, tous les pays peuvent être répartis en quatre
catégories suivantes : 1/les forts où les services centraux et les collectivités locales ainsi que la
société civile et le secteur privé sont tous forts, 2/ les partiellement forts où les services
centraux et les collectivités locales sont forts mais avec une société civile et un secteur privé
pauvres. 3/ les partiellement pauvres où les services centraux et les collectivités locales sont
faibles alors que la société civile et le secteur privé sont relativement forts et 4/ les faibles où
les services centraux et les collectivités locales sont faibles ainsi que la société civile et le
secteur privé. La plupart des pays au Sud du Sahara se retrouvent dans cette quatrième
catégorie. Leurs difficultés financières découlent de cette double faiblesse fondamentale.
Mais la faiblesse financière est aggravée par la vision que les gens ont de la gouvernance
décentralisée. Si la décentralisation (des collectivités locales) est perçue du point de vue des
dépenses comme une saignée sur le budget des services centraux, elle aura l’air d’une
entreprise très chère et souvent non justifiable compte tenu de la modestie des revenus des
pays pauvres. Cependant, si la gouvernance décentralisée est conçue comme une stratégie de
renforcement des communautés locales leur permettant de sortir de la pauvreté, elle devient
alors une stratégie de constitution de fonds et de mobilisation de ressources en vue du
développement et non une saignée sur le budget des services centraux.
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