L`arrêt Promusicae, beaucoup de bruit pour rien

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L`arrêt Promusicae, beaucoup de bruit pour rien
LAMY
l’immatériel
REVUE
A V R I L
I I N F O R M AT I Q U E I M É D I A S I C O M M U N I C AT I O N I
L’arrêt « Promusicae »
beaucoup de bruit pour rien ?
Par Laurent SZUSKIN
et Maxime DE GUILLENCHMIDT
Le défilé de mode, œuvre de l’esprit
Par Jean ATTOUARES
La réglementation du prix du livre – Actualité
Par Florence LEROUSSEAU
Revente hors réseau et internet
Par Jean-Louis FOURGOUX
La publicité pour l’alcool :
des anciennes restrictions à la nouvelle
exclusion de l’internet
Par Valerio FORTI
RÉFLEXIONS CROISÉES
Noms de domaine : premier arrêt relatif
au décret du 6 février 2007
Par Frédéric SARDAIN
L’affaire « Sunshine.fr », un coup de soleil sur le droit français
des noms de domaine
Par Alexandre NAPPEY
ÉTUDE
Les usages dans l’édition musicale
Par Jean CASTELAIN
37
2 0 0 8
DOSSIER SPÉCIAL
La loi du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon
Par Jean-Michel BRUGUIÈRE, Frédéric DUMONT,
Aurélie BUISSON et Pierre DEPREZ
Créations immatérielles
ÉCLAIRAGES
6 > L’arrêt « Promusicae » :
beaucoup de bruit pour rien ?
Par Laurent SZUSKIN
et Maxime DE GUILLENCHMIDT
9 > Le défilé de mode,
œuvre de l’esprit
25
Activités de l’immatériel
ÉCLAIRAGES
26 > Revente hors réseau et internet
Par Jean-Louis FOURGOUX
28 > La publicité pour l’alcool :
des anciennes restrictions à la
nouvelle exclusion de l’internet
Par Valerio FORTI
Par Jean ATTOUARES
14 > La réglementation du
prix du livre – Actualité
Par Florence LEROUSSEAU
ACTUALITÉS DU DROIT
DES CRÉATIONS IMMATÉRIELLES
ACTUALITÉS DU DROIT
DES ACTIVITÉS DE L’IMMATÉRIEL
31 > Devoir d’information du journaliste,
liberté d’espression et diffamation
publique
32 > Diffamation et rejet de la bonne foi
21 > Les téléphones mobiles multimédia
désormais taxés
33 > Conditions de la constitution de la
contravention d’injure non publique
21 > Originalité du design
d’un baladeur numérique
33 > Condition de la reprise en justice
d’un article diffamatoire
22 > Liens commerciaux :
nouvelle condamnation
de Google pour contrefaçon
34 > La CNIL favorable à un meilleur
encadrement de la vidéosurveillance
23 > Assignation pour contrefaçon
de marque et transfert
de nom de domaine
34 > Flux RSS : le propriétaire du site
<dicodunet.com> qualifié d’éditeur
36 > Atteinte à la vie privée du comédien
Olivier Martinez et condamnation de
l’éditeur d’un site communautaire
37 > Violation du droit au respect
dû à la vie privée du comédien
de nouveau caractérisée
38 > Mentions légales incomplètes sur
le site <lemonde.fr> sans incidence
sur l’exercice du droit de réponse
41
Perspectives
RÉFLEXIONS CROISÉES
41 > Noms de domaine : premier arrêt
relatif au décret du 6 février 2007
Par Frédéric SARDAIN
43 > L’affaire « Sunshine.fr »,
un coup de soleil sur le droit
français des noms de domaine ?
47
49
Par Alexandre NAPPEY
ANALYSE
47 > La CNIL, un obstacle
aux transferts de données
hors Union européenne
Par Mérav GRIGUER
ÉTUDE
49 > Les usages dans l’éditon musicale
Par Jean CASTELAIN
58
à l’Université Paris I — Panthéon Sorbonne
Michel VIVANT — Professeur à l’Institut
d’études politiques de Paris
> Judith ANDRÈS — Avocat à la Cour
> Valérie-Laure BENABOU
Professeur à l‘Université de Versailles
Saint-Quentin
> Jean-Sylvestre BERGÉ — Professeur
à l’Université de Paris X — Nanterre
Délégué auprès de l’Université
de la Nouvelle-Calédonie
> Guy CANIVET — Membre du Conseil
constitutionnel
> Alain CARRÉ-PIERRAT — Président de
la 4e chambre A de la Cour d’appel de Paris
> Lionel COSTES — Directeur de la Collection
Lamy droit de l’immatériel
> Christian DERAMBURE — Président
de la CNCPI
> Joëlle FARCHY — Maître de conférences
à l’Université Jean Monnet — Paris XI
> Christiane FÉRAL-SCHUHL — Avocat
au Barreau de Paris
> Jean FRAYSSINET — Professeur
à l’Université Paul Cézanne — Aix-Marseille
> Luc GRYNBAUM — Professeur
à l’Université René Descartes— Paris V
> Anne-Marie Laure LEROYER —
Professeur à l‘Université Jean Monnet —
Paris XI
> André LUCAS — Professeur à l’Université
de Nantes
> Marie-Françoise MARAIS — Conseiller
à la Cour de cassation — Président
de la Commission des Inventeurs salariés
> Alice PÉZARD — Président de la
4e chambre B de la Cour d’appel de Paris
> Lucien RAPP — Professeur à l’Université
de Toulouse — Avocat au Barreau de Paris
> Thierry REVET — Professeur à l’Université
Paris I — Panthéon Sorbonne
> Cyril ROJINSKY — Avocat à la Cour
> Michel TROMMETTER — Chercheur
à l’UMR/GAEL de Grenoble
> Gilles VERCKEN — Avocat au Barreau
de Paris
> Pierre VÉRON — Avocat au Barreau
de Paris
> Patrice VIDON — Conseil en propriété
industrielle
> Bertrand WARUSFEL — Avocat
au Barreau de Paris
Professeur à l’Université de Lille II
DOSSIER SPÉCIAL :
LUTTE CONTRE LA CONTREFAÇON
58 > Les sources de la loi
de lutte contre la contrefaçon
du 29 octobre 2007
Par Jean-Michel BRUGUIÈRE
61 > La preuve de la contrefaçon
après la loi du 29 octobre 2007
Par Frédéric DUMONT
66 > La réforme partielle
de la retenue de douane
Par Aurélie BUISSON
67 > Les mesures provisoires
Par Pierre DEPREZ
69 > Les réparations du préjudice
Par Pierre DEPREZ
72 > Que penser de la loi de lutte
contre la contrefaçon
du 29 octobre 2007 ?
Par Jean-Michel BRUGUIÈRE
Ce numéro est accompagné d’un encart publicitaire
La Revue Lamy droit de l’immatériel actualise, dans sa première partie « Actualités »,
les deux ouvrages de la Collection Lamy droit de l’immatériel : le Lamy droit de l’informatique
et des réseaux et le Lamy droit des médias et de la communication
2
C II EE N
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5
Actualités
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sommaire
> Président d’honneur
Jean FOYER — Ancien ministre
> Présidents
Pierre SIRINELLI — Professeur
R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • A V R I L 2 0 0 8 • N 0 3 7
l’immatériel
REVUE
LAMY
WOLTERS KLUWER FRANCE
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Cette revue peut être référencée de la manière
suivante : RLDI 2008/37, n° 1129 (année/n° de
la revue, n° du commentaire)
L’arrêt « Promusicae » :
Par Laurent
SZUSKIN
Avocat à la Cour
Latham & Watkins
Par Maxime
DE GUILLENCHMIDT
R LDI
Avocat à la Cour
Latham & Watkins
1129
beaucoup de bruit
pour rien ?
La question des moyens offerts aux titulaires de droits d’auteur ou voisins
sur des contenus culturels pour lutter, sur un plan civil, contre le téléchargement illicite
est de nouveau au cœur de l’actualité juridique après la décision de la CJCE
du 29 janvier 2008, dite « Promusicae » (1).
CJCE, 29 janv. 2008, C-275/06, Productores de Musica de Espana (Promusicae) c/ Telefonica de Espana SAU, RLDI 2008/35,
n° 1168, ob. Auroux J.-B.
R
appelons que la victime de téléchargements
illicites est – en raison de la dématérialisation de la contrefaçon et alors même qu’elle
en est facilitée et amplifiée de ce fait – désavantagée par rapport aux titulaires de droits
sur des produits physiques dont des contrefaçons sont vendues sur des sites internet de courtage aux enchères ou de
vente. Ainsi, pour ces derniers, il suffit de repérer puis d’acquérir les produits contrefaisants pour connaître l’identité et
l’adresse du contrefacteur. Point n’est besoin d’effectuer une
recherche puis une « réconciliation » des données de connexion
ou autrement d’identification du contrefacteur (les « Données »).
C’est ainsi que les juridictions civiles et commerciales françaises ont eu à connaître de nombreuses actions en contrefaçon engagées contre les revendeurs indélicats de produits
contrefaits sur des sites d’enchères en ligne (2).
Pour les titulaires de droits sur des œuvres téléchargées
illicitement, la tâche est plus ardue compte tenu notamment
de l’interaction résultant de la réglementation applicable à la
protection des données à caractère personnel (3).
I. – QUI PEUT, AUJOURD’HUI, RECUEILLIR
LES DONNÉES RELATIVES AUX PIRATES ?
Dans sa décision n° 2004/499, le Conseil constitutionnel
a invalidé la disposition qui permettait aux « personnes morales victimes d'infractions ou agissant pour le compte desdites victimes » (4) de constituer des fichiers répertoriant notamment les données relatives aux internautes mettant à
disposition ou téléchargeant illicitement les œuvres dont
elles sont titulaires afin de saisir les juridictions (5).
Il en est déduit que les titulaires de droits doivent, pour
pouvoir identifier, puis poursuivre, les pirates, « avoir recours »
à l’une des personnes visées à l’article 9 de la Loi, ou être
l’une d’entre elles.
En dehors des juridictions, autorités et auxiliaires de justice mentionnés aux paragraphes 1 et 2 de cet article 9, seuls
les sociétés de gestion collective et organismes de défense professionnels (6) peuvent constituer de tels fichiers et, dans ce
seul but, à l’exclusion de toute autre personne dans la mesure où la liste figurant à l’article 9 de la Loi est limitative (7).
Ainsi, à s’en tenir à une lecture littérale de la Loi, les titulaires de droits ne peuvent, par et pour eux-mêmes, relever
puis réconcilier les adresses IP et autres données relatives aux
communications des pirates qui leur causent un préjudice
considérable sous leurs yeux (8).
Un doute surgit toutefois à la lecture de la réserve d’interprétation dont le Conseil constitutionnel a assorti sa décision
du 29 juillet 2004 concernant l’article 9.3 de la Loi. En effet,
le Conseil constitutionnel a jugé utile de préciser que : « le
nouvel article 9 de la loi du 6 janvier 1978, tel qu'il résulte de
la déclaration d'inconstitutionnalité […], ne saurait être interprété comme privant d'effectivité le droit d'exercer un recours juridictionnel dont dispose toute personne physique ou
morale s'agissant des infractions dont elle a été victime » (cons. 14).
Faut-il comprendre que les titulaires de droit peuvent relever les données concernées pour engager des actions, à
condition qu’ils ne le fassent que pour eux et non dans un
contexte de mutualisation des traitements et de leurs résultats ? ou bien que le Conseil constitutionnel a considéré qu’ils
ne pouvaient le faire mais que leur droit au recours n’était pas
bafoué dans la mesure où ils pouvaient « avoir recours » à l’au-
(1) CJCE, 29 janv. 2008, aff. C-275/06, Productores de Música de España (Promusicae) c/ Telefónica de España SAU. (2) Pour un exemple récent, voir TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 15 févr. 2008,
Lancôme c/ Frédéric V, Christelle V (disponible sur <http://www.legalis.net>). (3) Loi n° 78-17 du 6 Janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés (la « Loi »). (4) On est frappé,
à la lecture du texte censuré par le Conseil constitutionnel, par la discrimination infondée qui excluait les personnes physiques, victimes d’infractions, du droit d’opérer les traitements susvisés
réservés alors aux seules personnes morales. (5) À considérer que l’adresse IP soit bien une donnée à caractère personnel ; voir des mêmes auteurs, La qualification de l’adresse IP au centre de
la lutte contre le téléchargement illicite sur les réseaux peer-to-peer, RLDI 2007/33, n° 1095, p. 6. (6) « Les personnes morales mentionnées aux articles L. 321-1 et L. 331-1 du Code de la
propriété intellectuelle, agissant au titre des droits dont elles assurent la gestion ou pour le compte des victimes d'atteintes aux droits prévus aux livres Ier, II et III du même code aux fins d'assurer
la défense de ces droits. » (7) Ch. Caron relève que l’emploi de la formule : « ne peuvent être mis en œuvre que par… » ne laisse pas de place au doute sur cette question (Comm. com. électr.,
oct. 2004, comm. 108, « la création de fichiers d’internautes contrefacteurs est conforme à la Constitution »). (8) Des mêmes auteurs, Les titulaires de droits d’auteur, laissés pour compte de la
lutte contre la piraterie sur internet ?, RLDI 2007/29, n° 971, p. 61.
6
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Informatique I Médias I Communication
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
CRÉATIONS IMMATÉRIELLES
ne se prêtent pas à une gestion collective ou ne font pas nécestorité publique et à des auxiliaires de justice qui exerceraient
sairement l’objet d’une défense par des organismes profession« pour leur compte » ces traitements et dont ils utiliseraient
nels, et leur défense ne devrait, en tout état de cause, pas être
les résultats dans le cadre d’un contentieux subséquent ?
soumise à leur « bon vouloir » – et qu’il ferme aux personnes
Une lecture littérale de la Loi ferait pencher pour la preconcernées la voie des juridictions civiles pour obtenir l’idenmière solution : les personnes morales titulaires de droit ne
tification des auteurs fautifs, préalable nécessaire à la cessation
sont pas autorisées à constituer des fichiers d’infractions pour
et la réparation de leur dommage.
combattre directement la violation des droits d’auteur ou voiOu alors, plus prosaïquement, faudrait-il effectuer les traisins qu’elles détiennent. En effet, le Conseil constitutionnel a
tements anti-piratage concernés à partir de l’étranger (par hypoinvalidé la disposition y autorisant les « personnes morales
victimes d’infractions ».
thèse, dans un État non doté d’une législation comportant une disposition équivalente à l’arPourtant, c’est bien la deuxième interprétation qui semticle 9 de la Loi), par un titulaire de droits non établi en France et
ble avoir les faveurs de la doctrine du Conseil constitutionqui n’aurait pas recours à des moyens de traitement localisés
nel, reprise quasiment telle quelle par
sur le territoire national ? Il devrait alors
la CNIL. Dans les cahiers du Conseil
lui être possible de demander au juge
Les directives
constitutionnel, publiés dans le dossier
français d’ordonner au fournisseur d’accommunautaires
documentaire qui accompagne la décicès ou d’hébergement concerné la comn’imposent pas
sion, il est précisé sous le chapeau : « la
munication des Données. L’article 9 de la
aux États membres
question des fichiers constitués par une
Loi ne pourrait lui être opposé, en théode prévoir l’obligation de
personne en vue de faire valoir ses droits
rie, puisque le traitement des Données
devant les juridictions pénales », que
pertinentes, conformément à l’article 5
communiquer des données
« cette réserve d'interprétation était inde la Loi, aurait été effectué en dehors de
à caractère personnel dans
dispensable pour ne pas priver de base
son champ d’application territorial. Cette
le cadre d’une procédure
légale les traitements légitimement mis
option, bien qu’envisageable – et qui nécivile, mais ceux-ci peuvent
en œuvre par chaque personne morale
cessite que la société étrangère soit effecdécider de l’autoriser.
pour suivre les dossiers contentieux retivement titulaire des droits – n’en est pas
latifs aux infractions dont elle a été ellemoins risquée : il n’est pas à exclure qu’un
même victime ». La CNIL, quant à elle, relève que cette rétel contournement de la loi française ne soit considéré comme
serve « était indispensable pour ne pas priver de base légale
abusif ou frauduleux (10).
les traitements légitimement mis en œuvre pour assurer le suivi
Mais une fois les Données collectées, la réconciliation doitdes dossiers contentieux relatifs à des infractions. La question
elle impérativement être demandée dans le cadre d’une acdemeure posée dès lors pour les seuls fichiers mutualisés mis
tion pénale ou peut-on la solliciter devant une juridiction
en œuvre pour prévenir la fraude » (9).
civile ? On attendait la position de la CJCE mais celle-ci, dans
Aussi séduisante l’interprétation de la doctrine du Conseil
la décision « Promusicae », s’est bornée à renvoyer aux droits
constitutionnel et de la CNIL soit-elle, on peut se demander
nationaux le soin d’apporter – chacun et potentiellement difsur quel fondement les titulaires de droits pourraient solliciféremment – la réponse.
ter l’autorisation de constituer des fichiers relatifs aux infractions dont ils sont victimes puisque au terme de l’article 25
II. – QUEL JUGE PEUT ORDONNER, AUJOURD’HUI,
alinéa 3 de la Loi, « les traitements, automatisés ou non, porLA COMMUNICATION DE DONNÉES ?
tant sur des données relatives aux infractions, condamnations
ou mesures de sûreté » ne peuvent être constitués qu’après
Promusicae, association à but non lucratif regroupant des
autorisation de la CNIL et que la Loi limite expressément les
producteurs et des éditeurs d’enregistrements musicaux et aucatégories de personnes autorisées à effectuer ces traitements.
diovisuels, a sollicité devant la juridiction commerciale madriPour mettre un terme à cette confusion, peut-être faudraitlène la communication par l’opérateur Telefonica de l’identité
il envisager de soulever par voie d’exception et sur le fondeet l’adresse de certaines personnes dont elle avait relevé l’adresse
ment de l’article 55 de la Constitution, l’incompatibilité de l’arIP sur une plate-forme peer-to-peer. Telefonica ayant fait oppoticle 9 de la Loi devant le juge administratif, à l’encontre d’une
sition à la décision qui faisait droit aux demandes de Promusidécision de la CNIL refusant à un titulaire de droits l’autorisacae, la juridiction espagnole a sursis à statuer et a saisi la CJCE
tion de constituer un fichier permettant l’identification des auafin de savoir si le droit communautaire permettait aux États
teurs d’atteintes à ses droits ? En effet, l’article 9 de la Loi pourmembres de prévoir que l’obligation de fournir les données ne
rait être contraire à des principes supérieurs garantis par des
s’appliquait pas dans le cadre de procédures civiles.
conventions internationales. Les droits fondamentaux que semLa réponse apportée par la CJCE à cette délicate question
blent heurter l’article 9 sont le droit de propriété et le droit à
s’avèrera être une réponse de Normand : les directives comun recours effectif, protégés notamment par la Déclaration unimunautaires n’imposent pas aux États membres de prévoir
verselle des droits de l’Homme (1948), la Convention européenne
l’obligation de communiquer des données à caractère personnel dans le cadre d’une procédure civile, mais ceux-ci peuvent
des droits de l’Homme (1950) et la Charte des droits fondamendécider de l’autoriser. Les États doivent, pour cela, assurer un
taux de l’Union européenne (2000), en ce qu’il interdit aux titu« juste équilibre entre les droits fondamentaux protégés par l’orlaires de droits d’exercer eux-mêmes un recours juridictionnel
dre juridique communautaire » et ne pas se fonder sur une in- >
pour protéger leur propriété – étant précisé que certains droits
(9) <http://www.cnil.fr/index.php?id=1735&print=1>. (10) Un juge des référés a, à cet égard, refusé de prendre en compte un fichier regroupant les adresses IP d’internautes pirates, fichier
constitué par une société suisse pour le compte d’une société polonaise, décidant que la loi française devait s’appliquer au cas d’espèce et ce malgré les nombreux éléments d’extranéité : « Attendu
qu’il résulte de l’exposé qui précède que le traitement de données personnelles auquel la société Techland s’est livrée n’a pas été assorti de la garantie, essentielle pour la préservation des
libertés individuelles ou publiques, d’ouvrir la possibilité pour une autorité publique, telle la Commission nationale de l’informatique et des libertés, autorité administrative indépendante,
d’intervenir, soit le cas échéant pour l’autoriser, ou sur déclaration au cas où celle-ci serait suffisante, ne serait-ce que pour en vérifier les conditions de la mise en œuvre » : TGI Paris, réf.,
24 déc. 2007, Techland c/ France Telecom et a., RLDI 2008/35, n° 1167, obs. Auroux J.-B.
Informatique I Médias I Communication
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7
L’ A R R Ê T « P R O M U S I C A E » : B E A U C O U P D E B R U I T P O U R R I E N ?
terprétation des directives « qui entrerait en conflit avec lesdits
droits fondamentaux ou avec les autres principes généraux du
droit communautaire, tels que le principe de proportionnalité ».
En droit français, l’article L. 34-1 du Code des postes et communications électroniques dispose que « pour les besoins de la
recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions
pénales, et dans le seul but de permettre, en tant que de besoin,
la mise à disposition de l’autorité judiciaire d’informations, il
peut être différé pour une durée maximale d’un an aux opérations tendant à effacer ou à rendre anonymes certaines catégories de données techniques » (11). La communication des données de connexion peut-elle ainsi intervenir pour la cessation
et la réparation de fautes civiles – certes, revêtues également
d’une qualification pénale – devant la juridiction civile ? La lecture de l’article L. 34-1 précité et celle de son décret d’application (12) laisse penser que tel n’est pas le cas, compte tenu de
l’orientation pénale des textes concernés et des modifications
qu’ils apportent à la procédure pénale mais pas à la procédure
civile. Qu’en est-il s’agissant des données permettant l’identification des personnes ayant contribué à la création de contenus
en ligne ou de l’un des contenus des services dont ils sont prestataires (13), qui doivent être conservées en application de l’article 6-II de la LCEN (14) ? Celui-ci dispose que « l'autorité judiciaire peut requérir communication auprès des prestataires
mentionnés aux 1 et 2 du I des données mentionnées au premier
alinéa ». Pour certains auteurs, les mesures envisagées par l’article 6-I-8 de la LCEN (15), sollicitées devant la juridiction civile
ou commerciale, peuvent comprendre la communication au demandeur par la juridiction sollicitée des Données concernées.
Effectivement, le juge civil des référés répond fréquemment
à des demandes de communication de données d’indentification sans que les demandeurs n’aient à indiquer devant quelle
juridiction ils entendent poursuivre les auteurs des infractions
(16), et ce malgré l’emploi du terme « requérir » qui semble renvoyer à la procédure pénale (17).
III. – COMMENT SE PRÉSENTE L’AVENIR ?
La riposte graduée, attendue pour le printemps prochain,
devrait permettre de s’attaquer plus efficacement au téléchargement illicite sans pour autant devoir engager de lourdes, longues et coûteuses procédures judiciaires. En effet, dans son rapport rendu le 23 novembre dernier, la « Commission Olivennes »
préfigurait les futures évolutions de la lutte contre le piratage sur
internet, en préconisant « la mise en place par les pouvoirs publics, soit d’une politique ciblée visant à donner à la consommation de contenus culturels sur internet un cadre d’usage clair et
légitime, fondé sur une information et un engagement de sanctions en cas de méconnaissance, soit d’un mécanisme d’avertis-
sement et de sanction permettant d’avertir les internautes contrevenants et de les sanctionner par une suspension ou une rupture
de leur contrat d’abonnement ».
Le premier texte issu de ses travaux est le projet de loi relatif à la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits d’auteur (HADOPI). La HADOPI remplacerait
l’Autorité de régulation des mesures techniques de protection
instaurée par la loi DADVSI (18) et disposerait de prérogatives
supplémentaires. Elle jouerait un rôle clé dans l’exercice de la
riposte graduée. En effet, le projet de loi prévoit qu’elle serait
dotée d’agents publics habilités à se faire communiquer « tous
documents, quel qu'en soit le support, y compris les données
conservées et traitées par les opérateurs de communications électroniques dans le cadre de l'article L. 34-1 du Code des postes
et communications électroniques et les prestataires mentionnés
aux 1 et 2 du I de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin
2004 pour la confiance dans l'économie numérique et en obtenir la copie » (19), et ce sans intervention de l’autorité judiciaire.
Sans revenir sur le dispositif futur envisagé par la « Commission Olivennes », tant il semble aussi consensuel que compliqué, ne serait-il pas juste et simple de permettre également
aux titulaires de droits de défendre eux-mêmes leurs droits de
propriété intellectuelle, sous l’autorité du juge et devant les juridictions de leur choix, en ayant recours en tant que de besoin
à des traitements de données à caractère personnel permettant
d’identifier les auteurs des atteintes auxdits droits respectant les
critères posés par le Conseil constitutionnel en 2004, à savoir
« comporter les garanties appropriées et spécifiques » ? Ces garanties pourraient être, par exemple, la circonspection expresse
du traitement considéré aux atteintes dont il est effectivement
constaté qu’elles sont portées aux droits de propriété intellectuelle, l’interdiction de partager ou céder les données concernées autrement qu’auprès d’autres victimes de ces atteintes et
aux autorités compétentes, l’interdiction de traiter les informations relatives aux personnes simplement suspectées de commettre de telles atteintes, l’obligation de ne conserver et utiliser
ces données qu’aux fins d’une procédure judiciaire – civile ou
pénale – et de les effacer dans un délai compatible avec celui
relatif au déroulement et au résultat de cette procédure.
Ne serions-nous pas ainsi dans une situation plus respectueuse des termes de la directive 95/46 du 24 octobre 1995 (20)
qui, en cas de traitement de données relatives aux infractions,
aux condamnations pénales ou aux mesures de sûreté, n’exclut aucune catégorie de justiciables de la possibilité d’effectuer cette catégorie de traitement ni ne leur ferme une quelconque voie de recours, mais se borne à énoncer en son article 8-5
qu’un tel traitement ne peut être effectué que sous le contrôle
de l'autorité publique ou si des garanties appropriées et spécifiques sont prévues par le droit national ? ◆
(11) Le droit espagnol est plus précis en ce qu’il prévoit que les données sont conservées « en vue de leur utilisation dans le cadre d’une enquête pénale ou en vue de la sauvegarde de la
sécurité publique ainsi que de la défense nationale » (art. 12 de la Ley 34/2002 de servicios de la sociedad de la información y de comercio electrónico du 11 juillet 2002). (12) Décret n° 2006358 du 24 mars 2006 relatif à la conservation des données de communications électroniques. Rappelons que si les fournisseurs d’accès sont soumis à ce décret, tel n’est pas le cas des fournisseurs
d’hébergement (lesquels ne sont pas des « opérateurs de communication électronique » au sens de la réglementation applicable). (13) Un projet de décret, applicable aux fournisseurs d’accès
internet ainsi qu’aux fournisseurs d’hébergement internet et portant sur ces données, circule depuis avril 2007. (14) Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique
(la « LCEN »). (15) « L'autorité judiciaire peut prescrire en référé ou sur requête, à toute personne mentionnée au 2 ou, à défaut, à toute personne mentionnée au 1, toutes mesures propres à
prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d'un service de communication au public en ligne. » Voir, par exemple, Caron Ch., précité. (16) Voir, par ex.,
dans le cadre de la vente de contrefaçons sur internet, la décision du président du Tribunal de commerce de Paris ordonnant la communication des données d’identification : T. com. Paris, réf.,
31 oct. 2007, Kenzo et a. c/ DMIS, <http://www.legalis.net/jurisprudence-decision.php3?id_article=2074> ; TGI Paris, réf., 27 févr. 2006, Alain Afflelou c/ Google, Free, Comm. com. électr., 2006,
n° 9, comm. 127. Cela semble également admis par la « Commission Olivennes » qui précise dans son rapport que le juge civil « est en capacité de rapprocher l’adresse IP du nom de l’abonné
en faisant la réquisition nécessaire auprès du fournisseurs d’accès à interne ». (17) À cet égard, notons, d’une part, que le projet de décret d’avril 2007 précité semble n’envisager la communication
des données concernées que dans le cadre de la procédure pénale (seul le Code de procédure pénale étant modifié pour prévoir le remboursement des frais de communication des données),
et, d’autre part, que dans la décision Techland c/ France Telecom, précitée, le juge des référés a considéré que les données de connexion ne pouvaient être communiquées à une partie ayant
saisi le juge des référés civil, cette communication étant réservée à la juridiction saisie d’un litige au fond. Le juge des référés a justifié notamment son refus d’ordonner la communication des
informations par le fait que la requérante « ne précise pas ses intentions quant à la saisine de la juridiction civile ou pénale, c’est à elle-même qu’elle demande que soit assurée la transmission
des données identifiant les internautes ». (18) Loi n° 2066-961 du 1er août 2006 relative aux droits d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information. (19) Tel que cela ressort de
l’avant-projet de loi de mars 2008. (20) Directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement
des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données.
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R E V U E L A M Y D R O I T D E L’ I M M A T É R I E L • A V R I L 2 0 0 8 • N 0 3 7
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