abraham l`hébreu

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abraham l`hébreu
BEYA ÉDITIONS
ABRAHAM L’ HÉBREU
ABRAHAM L’HÉBREU
Charles d’Hooghvorst
L’histoire du peuple hébreu débute avec le patriarche Abraham car il est, dans la Bible, le premier qui soit appelé Hébreu :
« Abraham l’Hébreu » (Genèse XIV, 13). C’est donc à partir
d’Abraham qu’on parle du peuple hébreu. Ce mot vient du nom
Ever (Eber), qui était un ancêtre d’Abraham, d’après le texte. Ever
était un descendant de Sem 1, un des trois fils de Noé.
Le fils d’Ever se nommait Paleg (qui signifie « séparer »), parce
qu’il est dit dans le texte de la Genèse qu’en son temps, la terre
était divisée. Précisément, eber ou « hébreu » vient d’un verbe
(rbi, abor) qui signifie « passer », « traverser ». Selon la tradition,
les Hébreux, et en particulier Abraham, sont « ceux qui ont
passé » le fleuve du Jourdain et c’est pourquoi ils sont « séparés »
du reste du monde. Le monde se trouve d’un côté du fleuve, et de
l’autre se trouvent Abraham et les descendants d’Ever. Dans
l’Évangile aussi, Jésus est au-delà du Jourdain. Les Hébreux
représentent ainsi symboliquement les saints séparés du reste du
monde. En langue hébraïque, le mot saint vient du verbe qadoch
1. Du nom Sem vient le mot « Sémite ».
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(>dq) qui, à la forme hiphil, signifie « séparer ». Le saint est donc,
étymologiquement, « celui qui est séparé du monde profane ».
Dans le Temple de Jérusalem, il existait un lieu secret dont
l’accès était interdit aux fidèles : le saint des saints ; il s’agit d’un
symbolisme similaire. Dans le christianisme, ce lieu correspond
au chœur, lieu de l’église séparé de la nef et où, théoriquement,
les fidèles ne pouvaient entrer. C’est la notion du « saint » et du
« profane ».
Le lecteur aura certainement remarqué que le fait d’être
Hébreu transcende la notion ethnologique de la race. L’« Hébreu »
représente le saint, le sage ou le prophète, parce que ceux-ci ont
expérimenté le « passage du fleuve ». C’est dans le même sens que
la langue hébraïque est appelée « le langage des prophètes » ou
« la langue d’or ».
Revenons à Abraham l’Hébreu, « celui qui a traversé » et qui,
pour cette raison, est séparé. Il représente symboliquement tous
les sages. C’est pourquoi il est appelé « Père des croyants » car il
est l’ancêtre des trois grandes religions monothéistes : la juive, la
chrétienne et l’islamique.
Au commencement, il s’appelait Abram : ab aram (,ra ba),
« Père d’Aram », son pays d’origine. Son nom signifie également
« Père élevé », ab ram (,r ba). Ram est aussi une appellation poétique de Dieu.
Les mages persans croyaient qu’Abram et Zoroastre étaient le
même personnage, celui qui a écrit le livre sacré des Perses : le
Zend-Avesta. Il existe aussi l’hypothèse, un peu hasardeuse, qui
attribue une origine sanscrite au nom d’Abram, en le comparant
à Rama.
Cependant, le premier patriarche reçut de Dieu un autre
nom, lorsque Dieu se révéla à lui : Abraham. Ce nom est formé
par l’ajout de la lettre hé (h) au milieu de son premier nom,
Abram. Il advint de même à Saraï, sa femme, qui s’appela alors
Sarah, avec un hé.
Les commentateurs affirment que la lettre hébraïque hé (h)
est la lettre de la connaissance ou de la sagesse. Lorsque Dieu
transmet son secret à l’homme, il le fait au moyen de la lettre hé.
C’est la lettre de la création. Elle représente le souffle de la création, auquel nous avons fait allusion à propos du passage du
Zohar sur les lettres et les voyelles. C’est le secret de la cabale, et
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ceux qui l’ont reçue sont les cabalistes. Tel est le sens du verset
biblique déjà cité : « IHVH Elohim forma Adam de la poussière du
sol, et il insuffla dans ses narines un souffle de vie, et l’Adam fut
fait âme vivante » (Genèse II, 7).
Ainsi donc, grâce à la manifestation d’Elohim, Abraham fut
créé de nouveau, à l’image du premier Adam antérieur au péché.
Il fut créé homme parfait. En effet, il y a deux hommes, deux
Adam : l’un procède de l’Adam pécheur et n’engendre que dans la
vie mortelle ; c’est de celui-là que nous descendons. L’autre est
l’Adam créé par Elohim, la génération messianique, et qui est
capable d’engendrer dans la vie parfaite. Abram est l’image du
premier, et ce n’est pas un hasard si le texte biblique signale qu’il
ne pouvait pas avoir d’enfant de Saraï. Abraham, avec la lettre hé,
représente le second.
Dans la Genèse, Abram dit au Seigneur : « Que me donnerastu, alors que je m’en vais sans enfant ? » Le Seigneur le fit sortir à
l’extérieur et dit : « Regarde2 vers les cieux et compte les étoiles si
tu peux les compter : ainsi sera ta descendance » (Genèse XV, 5).
Le grand commentateur juif Rachi rapporte ce qu’en dit le
Midrache : « Sors de ton destin tel qu’il est inscrit dans les étoiles.
Tu as vu dans les astres que tu n’aurais pas d’enfant »3. Abraham voyait dans la sagesse des étoiles, ou astrologie, qu’il
n’aurait pas d’enfant... Le Saint-béni-soit-Il lui dit : « Ne médite
pas sur ces choses (la science des astres), mais sur le secret de
mon Nom »4.
L’homme est clairement porteur de deux destins : le premier,
provenant des astres, est le destin astrologique qui, en quelque
sorte, est aveugle. Le deuxième vient d’au-delà des astres, du
Nom divin ou de la bénédiction du Nom. Tel est le véritable destin
de l’homme, et son libre arbitre consiste uniquement à choisir
l’un ou l’autre destin.
2. Le verbe hébreu employé ici, hebet (ubh), signifie « regarder d’ en haut vers le
bas ».
3. Le Pentateuque en cinq volumes avec Targoum Onqelos, suivi des Haphtaroth,
accompagné du commentaire de Rachi, Fondation Samuel et Odette Lévy,
Paris, 1988, vol. I, p. 85.
4.
Cf. Sepher hazohar, op. cit., I, 90b.
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Originaire d’Ur en Chaldée où il avait appris l’astrologie,
Abraham savait fort bien qu’en vertu de son horoscope ou destin
terrestre, il ne pouvait avoir d’enfant de Saraï. Cependant, le Seigneur l’avertit que, par la bénédiction qu’Il lui donne, il pourra
échapper à son destin astrologique et être le Père d’une multitude.
La bénédiction que reçoit Abraham est le secret du Nom du
Seigneur, la semence de la cabale qui se transmet de maître à
disciple. Cette bénédiction n’est pas fonction des astres, elle ne
dépend pas du destin car elle procède d’au-delà du monde sublunaire.
Tel est le véritable sens de la création. Nous avons dit précédemment que la lettre hé reçue par Abraham est la lettre de la
création. La Bible entière ne parle que de cette nouvelle génération, ou plutôt de cette régénération.
L’union d’Abraham et de Sarah, qui engendre Isaac, représente l’archétype de la génération parfaite. Il ne s’agit plus ici
d’une génération charnelle. Le récit historique n’est que le support de cet enseignement fondamental de la tradition hébraïque.
Le deuxième mot de la Genèse est bara (arb), qui signifie « il
créa ». Tout commence donc par une création. Mais de quelle
création s’agit-il ? On a coutume de penser que le début du livre
de la Genèse parle de la création du monde, de l’univers dans
lequel nous vivons. Cette interprétation de la Bible est erronée et
n’est que source d’incompréhensions et de fausses exégèses, de
surcroît lorsque la question est abordée d’un point de vue scientifique.
Il ne faut pas comprendre que Dieu a créé ce monde dans
l’état où nous le percevons actuellement, mêlé de corruption, car
ce monde-ci est, en réalité, le résultat de la transgression adamique. Un verset dit : « Voici les engendrements des cieux et de la
terre dans leur création, au jour où IHVH Elohim fit la terre et les
cieux » (Genèse II, 4).
Les commentateurs remarquent que le mot hébreu qui désigne « dans leur création » peut se lire : « par le hé, il les créa »5,
5.
,arbhb
(behibaream) et
,arb hb
(behe beraam).
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afin d’enseigner que cette création s’accomplit au moyen de la
lettre hé, cette même lettre qui fut ajoutée au nom d’Abraham au
moment de son initiation. De plus, ce même mot, « dans leur
création », se rapporte à Abraham, puisqu’il peut aussi se lire :
« dans Abraham » (,hrbab, beabraham), afin de faire comprendre
qu’en réalité, la création se fit en Abraham.
Les Hébreux ont pour coutume de distinguer deux mondes
qui, en quelque sorte, ne sont pas séparés, puisque le deuxième
est caché dans le premier. Le premier est appelé olam hazeh
(hzh ,lvi), « ce monde-ci », et l’autre, olam habah (abh ,lvi), « le
monde à venir »6. Le olam hazeh correspond à l’existence corruptible et le olam haba, au monde incorruptible et régénéré. L’un se
réfère à l’homme régi et généré par les astres, l’autre à l’homme
régi et généré par le ciel. L’un est le monde d’Abram, l’autre est le
monde d’Abraham. Ces deux générations dépendent de deux
« feux » différents.
6. Le mot ,lvi (olam), « monde », a comme racine le verbe
« être caché ». L’ équivalent en grec est a„èn (aiôn).
5
,li
(alom), qui signifie