Place de la chirurgie plastique dans le traitement du sinus pilondial

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Place de la chirurgie plastique dans le traitement du sinus pilondial
PLACE DE LA CHIRURGIE PLASTIQUE DANS
LE TRAITEMENT DU SINUS PILONIDAL CHRONIQUE
N. CHAFIKI, S. TERRAB, M. DIOURI, N. BAHECHAR, E.H. BOUKIND
RESUME
Les auteurs rapportent une série de 12 patients porteurs de sinus pilonidal traités par exérèse «Carcinologique» associée à une couverture immédiate par plastie
locale en LLL de Dufourmentel. Ils font le plaidoyer de
cette technique en la comparant avec les méthodes classiques et les autres types de plasties en insistant sur
l’impact bénéfique d’une cicat ri s ation rapide sur le
confort des patients.
Mot clés : sinus pilonidal, plastie e n LLL de
Dufourmentel.
SUMMARY
The authors report 12 cases of pilonidal sinus treated by
large excision and immediate coverage by Dufourmentel’s Plasty. This technique is discussed and compared
to classical methods and other plasties. The authors
insist on the interest of an early healing and its positive
impact on patients life.
Key wo rds : pilonidal sinus, «LLL» Dufo u rm e n t e l ’s
plasty.
INTRODUCTION
A ffection bénigne d’étiopat h ogénie controve rs é e, ave c
néanmoins un penchant actuel pour la théorie acquise déjà
proposée en 1946 par PATEY et SCARFF, le sinus pilonidal se présente dans sa forme chronique sous forme d’un
ou plusieurs orifices fistuleux siégeant à la partie haute du
sillon inter-fessier en regard du coccyx ou du sacrum à une
distance variable de l’orifice anal. Le ou les trajets fistuleux sont très variables et prennent appui sur le fascia présacré.
L’inflammation chronique des orifices ainsi que les débris
pileux et nécrotico-purulents qu’il draine indisposent le
Service de Chirurgie Plastique et des Brûles - Chu Ibn Rochd - Casablanca
- Maroc
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patient et peuvent donner lieu à des rétentions sources
d’abcédations : formes cliniques qui ne nous concerneront
pas dans cet article.
La cure classique consiste en une exérèse monobloc suivie
d’une cicatrisation dirigée, méthode dite à «ciel ouvert»
(2). Cette méthode est, certes, efficace mais implique une
hospitalisation et des soins locaux prolongés entravant la
vie socio-professionnelle du patient avec un délai moyen
de cicatrisation allant de 8 à 12 semaines (2, 4, 6, 14, 16).
Les procédés de couverture immédiate connus depuis fort
longtemps permettent, sous quelques réserves techniques,
de pallier ces inconvénients.
Nous essayerons dans le présent article de faire un plaidoyer de la couverture immédiate par la plastie en LLL de
Dufourmentel.
PATIENTS ET METHODES
Entre janvier 1997 et septembre 1999, douze patients ont
bénéficié d’une cure de sinus pilonidal avec couverture
immédiate par un lambeau rhomboïdal en LLL.
L’âge moyen est de 25 ans, avec une nette prédominance
masculine (9/12). Le motif de consultation est dans tous les
cas un écoulement puriforme chronique depuis en moyenne
18 mois. Aucun épisode de rétention aiguë n’a été rapporté,
par contre seuls 5 patients sur 12 ont signalé l’existence de
poils dans les écoulements.
A l’examen clinique, la forme pluri-orificielle a été observée dans 5 cas sur 12, une pilosité lombo-sacrée marquée
chez 9 patients, dont 2 sont des femmes présentant un
hirsutisme.
L’examen proctologique n’a été fait que chez 4 patients et
s’est révélé normal.
Il s’agit donc de formes chroniques simples non associées,
ni compliquées et qui n’ont jamais bénéficié de traitement
chirurgical auparavant.
L’intervention s’est déroulée en décubitus ventral, régions
fessières rasées, sous anesthésie générale 7/12, locale 5/12.
PLACE DE LA CHIRURGIE…
L’antibioprophylaxie à base d’amoxicilline + acide clavulanique 2 g IVD a été systématique.
Le dessin est ramené à un quartier losangique à grand axe
vertical centré par le ou les orifices fistuleux, les côtés sont
dessinés avec une marge de 5 à 10 mm à distance des remaniements fibreux péri orificielles sur des téguments souples
et à priori sains. Dessin du lambeau de couverture en LLL
à pédicule supérieur dans 10 cas/12 (voir photo n° 1).
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seringue de 10 cc, alors que l’aide serre la bourse progressivement avant de nouer le fil, emprisonnant ainsi le marqueur dans le trajet fistuleux (photo n° 2).
Photo n° 2 : Injection du bleu de méthylène
dans le trajet fistuleux
Photo n° 1
a) SP multiorificiel,
b) SP uniorificiel : tracés de l’exérèse et du lambeau de
couverture en LLL : l’incision suivra la bissectrice de l’angle
formé par le prolongement d’un côté et par celui de la
petite diagonale, ensuite elle redescend
parallèlement à la grande diagonale.
L’exérèse monobloc est dite «carcinologique» emportant
d’emblée le quartier cutané et l’atmosphère sous cutanée en
s’élargissant en profondeur à ras du périoste sacré réalisant
une «bleuectomie « où à chaque fois qu’il y a une extravasation du bleu l’exérèse est reprise en agrandissant la marge
de sécurité sous cutanée afin d’être sûr d’emporter les prolongements latéraux. L’hémostase est soigneusement faite.
Le lambeau est taillé à ras de l’aponévrose fessière sousjacente levant une étoffe cutanéo-graisseuse qui sera transposée au niveau de la perte de substance dont les berges
seront décollées selon les mêmes modalités afin de permettre une suture sans tension. Celle-ci fait appel à des
points de capitons au périoste sacré évitant l’effet « tente»
avec création d’espace mort. Ensuite la fermeture se fait en
deux plans avec points d’angle sur lame de Delbet ou drainage filiforme. Un bourdonnet complémentaire a été utilisé
dans 4 cas. Par ailleurs un pansement gras compre s s i f
termine l’intervention. Dans les suites post-opératoires,
seuls des antalgiques sont prescrits sans aucune antibiothérapie. La position assise ainsi que le décubitus dorsal sont
évités les 10 premiers jours.
RESULTATS (photos 3, 4, 5)
Une bourse est confectionnée à la soie 3/0 autour des orifices dont le plus important sera injecté avec un marqueur
(bleu de méthylène) à l’aide d’intranulle montée sur une
Les patients opérés sous anesthésie générale ont tous eu un
séjour de moins de 24 heures. Ceux opérés sous anesthésie
locale ont rejoint leur domicile le jour même.
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Photo n° 3 :
a) Pièce d’exérèse et perte de substance résiduelle,
b) Pièce d’exérèse ouverte :
contenu pileux.
Photo n° 4 :
Aspect à J + 7 post-opératoire
Photo n° 5 : Aspect au 1er mois post-opératoire :
inflammation cicatricielle
Le 1er pansement est fait à J2 avec ablation du bourdonnet,
de la lame de Delbet ou des crins de Florence, puis les pansements sont de type sec et compressif après désinfection à
la Polyvidone iodée. L’ablation des fils est faite à J10 (1/2),
puis totalisée à J15. Les points d’angle sont gardés jusqu’à
J21. La cicatrisation de première intention a été obtenue
chez 10 patients à J15 alors que deux cas de désunions
m i n e u res ont favo rablement évolué après cicat ri s at i o n
dirigée avec fermeture cutanée respectivement à J23 et J27.
Le délai moyen à la cicatrisation est de 17 jours, tous les
lambeaux transposés étaient parfaitement viables. Après un
recul moyen de 18 mois : les cicatrices sont passées par une
phase inflammatoire ayant duré en moyenne 6 mois avant
maturation.
Tous nos patients ont été systématiquement mis sous dermo-corticoïdes en massage pendant 2 mois suivis de topiques non corticoïdes ayant un effet régulateur présumé sur
le tissu conjonctif durant 3 mois. Chez un patient, nous
avons eu recours à des infiltrations de corticoïdes retard au
niveau de cicatrices hypertrophiques, afin d’accélérer leur
maturation, par ailleurs, un rasage régulier de la région est
préconisé.
Aucune récidive n’a été observée jusqu’à ce jour. Après
maturation des cicatrices post-opératoires, tous les patients
ont déclaré être globalement satisfaits du résultat tant sur le
plan de l’éradication de leur pathologie initiale que celui du
confort notamment en position assise, et ce, après avoir
accusé une «gêne» mal définie avec prurit au niveau des
cicatrices lors des 1ers mois post-opératoires.
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PLACE DE LA CHIRURGIE…
COMMENTAIRES
Plusieurs méthodes ont été proposées pour le traitement du
sinus pilonidal primaire.
Les méthodes conservatrices tel que le curetage phénolisation ou l’incision simple avec drainage demandent des
délais de cicatrisation longues 40-70 jours et exposent à un
taux de récidive précoces 15-35 % (7, 8, 15).
L’excision limitée ou intervention de LORD et MILLAR
(9, 13) nécessite un brossage répété et des bains de siège
astreignants pour les patients avec un délai moyen à la
cicatrisation de 4 semaines et un taux de récidive de 24 %.
Elle peut être couplée à l’injection d’acide phénique pur et
un curetage (7). L’excision large avec cicatrisation dirigée
pouvant être associée à une marsupialisation afin de réduire
la perte de substance, reste l’intervention la plus pratiquée
(1, 4, 12). Le délai à la cicatrisation est long entre 2 et
3 mois est obtenu de seconde intention (5), elle nécessite
des soins locaux astreignants avec curetage et section de
brides en pont. Elle est sensibilisée par l’injection de bleu
de méthylène que nous utilisons et qui a été prônée par
GOLICHER (6). Le taux de récidive semble le plus bas
entre 1-21 % (1, 6).
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beaux ce qui les rend minimes garantissant la solidité et la
stabilité du procédé de couverture. Par ailleurs, elles modifient l’anatomie du pli inter-fessier éliminant ainsi la prédisposition anatomique à la récidive. Aussi la plastie estelle prônée par Mac DERMOTT 1967 (11), le lambeau de
rotation avancement (5).
Ces procédés nécessitent un décollement étendu et aboutissent à des cicatrices plus longues. La plastie en LLL (3, 10)
qui a notre préférence, permet une approche précise de la
reconstruction car basée sur un dessin préétabli qui tient
compte de la longueur du côté du losange, et contrairement
à la plastie en Z, il évite de «barrer» la région sacrée. Par
ailleurs, cette plastie offre tous les avantages d’une couverture primaire sans tension. La réserve technique est d’éviter
le prélèvement d’un lambeau de grandes dimensions dont
la longueur dépasse 2 fois sa largeur car il s’agit d’un lambeau dit au «hasard», dont la vascularisation n’est tributaire
que du réseau intra et sous-derm i q u e. Tout écart à ces
règles expose à la nécrose partielle ou totale du lambeau
transposé. Dans les 3 derniers cas que nous avons opérés, la
tendance était de réduire la perte de substance cutanée en
réalisant une taille en iceberg où le quartier cutané est de
dimensions raisonnables et l’assise sous cutanée est plus
large.
La diminution de la sensibilité est également rapportée (1),
mais la resensibilisation qui se fait à partir des berges, bien
que lente est tout à fait correcte.
L’idée de la fermeture primaire simple qui peut être totale
ou partielle (1, 12, 17), ou pouvant faire appel à une plastie
locale va dans le sens d’améliorer le confort du patient en
diminuant la durée d’hospitalisation et en réduisant au
maximum l’astreinte des soins locaux, et des consultations
que la cicat ri s ation dirigée implique et donc, la reprise
précoce de l’activité professionnelle.
L’absence de récidive dans notre série qui reste limitée du
fait d’un recrutement sporadique ne peut être objectivement
évaluée du fait d’un recul insuffisant car il faut un minimum de 5 ans avant de parler de guérison (12).
L’utilisation de procédés de chirurgie plastique nous semble
supérieure, à cet égard, à la méthode à ciel ouvert d’une
part, car la possibilité d’assurer une couverture immédiate
par lambeau permet une excision carc i n o l ogique en
monobloc ce qui est l’objectif principal du traitement et par
là le risque de récidive devient faible devant les avantages
du procédé. D’autre part, la suture directe dans ce cas reste
exposée à la désunion. Car même si elle n’est pas faite sous
tension sur la table opératoire, la mobilisation post-opératoire imprime une tension excessive sur quelques points
exposant à un lâchage des sutures. Les plasties locales ont
l’avantage de l’apport tégumentaire d’une zone de relative
laxité et la répartition des tensions tout autour des lam-
Les nombreux avantages qu’offre une couverture primaire
par lambeau notamment la réduction de l’hospitalisation, la
simplicité des soins locaux et la réduction très significative
des délais de cicatrisation et donc l’autonomisation précoce
du patient sont autant d’arguments qui pèsent nettement
plus lourd qu’un hypothétique risque de récidive. Celui-ci
est théoriquement très réduit car le fait de pouvoir assurer
une couverture sûre par un lambeau permet au chirurgien
d’être plus audacieux dans l’exérèse monobloc. Par ailleurs, en cas de récidive, le recours aux méthodes classiques reste toujours possible.
La plastie en LLL de Dufourmentel reste, à notre avis, le
meilleur procédé de couverture immédiate de la perte de
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substance générée par l’excision monobloc du S.P. Celle-ci
est ramenée à un losange et le lambeau de couverture est
taillé sur dessin préétabli adapté aux dimensions de la PDS
offrant une reconstruction précise. Par ailleurs, cette plastie
modifie la prédisposition anatomique naturelle qui soustend l’apparition du sinus pilonidal et, surtout, permet une
rep rise précoce des activités socio-pro fesionnelles des
patients.
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