Peut-on engager la responsabilité des offices et

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Peut-on engager la responsabilité des offices et
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Peut-on engager la responsabilité des offices et
bureaux d’enregistrement de noms de domaine ?
le 21 septembre 2009
AFFAIRES | Commerce électronique
Le tribunal de grande instance de Paris a tranché la question de la responsabilité de l’office
d’enregistrement des noms en « .fr » et du bureau auprès duquel ils avaient été réservés.
TGI Paris, 26 août 2009, n° 08/17160
Il fut un temps où la responsabilité d’un type d’intermédiaires fit couler beaucoup d’encre : celle
des transporteurs. Nous sommes au temps où c’est la responsabilité des intermédiaires techniques
de l’internet qui fait s’user les claviers. Depuis la fin des années 90, la jurisprudence, quoiqu’elle
présente encore de nombreuses incertitudes, s’est affinée. Suffisamment pour chercher à l’étendre
hors de son champ d’origine, celui des contenus illicites ? C’est l’impression que laisse la présente
affaire.
Une quinzaine de sociétés françaises avaient constaté que plusieurs de leurs marques, dont
certaines notoires, étaient reproduites à une ou plusieurs lettres près dans environ 130 noms de
domaine en « .fr ». Vraisemblablement lasses d’avoir sans cesse à lutter contre chacune des
personnes qui procèdent à de tels enregistrements, elles choisirent d’attaquer ensemble les acteurs
au moyen desquels ils avaient été effectués : l’office d’enregistrement des noms en « .fr », et le
bureau auprès duquel ils avaient été réservés. Invitant ainsi le tribunal à trancher la question de la
responsabilité du registre et de ses registrars.
Alors qu’il existe en la matière des dispositions spéciales (1), les juges ont rendu une décision qui
fait curieusement écho à celles relatives aux affaires relatives aux contenus illicites (2).
1. Les principes de gestion et d’attribution des noms de domaine français ont été fixés par le
législateur en 2004 (art. L. 45 CPCE), et précisés par décret du 6 février 2007 (sur ce décret : F.
Sardain, Le nouveau régime d’attribution des noms de domaine français, CCE. avr. 2007, étude 8 ;
P. Mozas, Internet : l’Etat fait-il main basse sur le « .fr » ?, LPA 29 janv. 2008, n° 21, p. 4 ; L. Marino,
Un an de droit des noms de domaine, CCE 2008, chron. n° 11 ; C. Manara, Le décret relatif à
l’attribution des noms de domaine français, D. 2007, 1740 ). Aux termes des articles R. 20-44-34 et
suivants créés par ce dernier texte, le registre est en charge d’organiser l’allocation des noms, et
choisit pour ce faire des personnes dont l’activité est également régie par ces dispositions. Ce
régime légal forme la grille d’analyse du tribunal… même s’il fait un écart pour apprécier la
question de l’existence d’un emploi de marques notoires en l’espèce.
Les demanderesses reprochaient au bureau d’enregistrement (et à lui seul) de faire un usage
injustifié de marques de grande renommée, sur le fondement de l’article L. 713-5 dans sa nouvelle
formulation. Celui-ci pose la condition d’un « emploi ». Les juges estiment, fort justement, que le
fait par un registre de procéder à un enregistrement de noms, et à leur gestion, ne peut entrer dans
le cadre du texte : son intervention est de nature technique, et l’usage n’est pas de son fait. Ce
n’est rien d’autre que l’application de la jurisprudence Locatour, selon laquelle un simple
enregistrement de nom de domaine ne constitue pas un usage de celui-ci (l’arrêt se plaçait du point
de vue de la personne qui réserve le nom : Com. 13 déc. 2005, Bull. civ. IV, n° 254 ; PIBD 2006, n°
824, III, p. 149 ; Contrats, conc., consomm. 2006. Comm. n° 26, par Malaurie-Vignal ; JCP E 2006.
1234, note Caron ; CCE 2006. Comm. n° 21, par Caron ; Propr. indust. 2006. Comm. n° 15, par
Tréfigny, et n° 26 par Viennois ; Légipresse 2006, n° 231, III, p. 81, note Haas ; Propr. intell. 2006,
n° 19, chron. Bouvel, p. 128 ; RLDI 2006/13, p. 9, note Sardain et 2006/12, n° 347, obs. Costes ;
Gaz. Pal. 16-20 avr. 2006, p. 34, note Brunot ; LPA 24 avr. 2007, n° 82, p. 9 et p. 12, note PM). En
regardant à la fois du côté du droit des marques et du côté du régime légal des noms de domaine
français, les juges ne se prononcent pas sur l’empiètement de certaines de leurs dispositions, ni sur
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la primauté des unes ou des autres.
2. Le tribunal revient aux dispositions décrétales pour en apprécier le respect par le registrar (la
question de sa responsabilité de droit commun est écartée, faute d’être étayée par le demandeur ;
à cet égard on peut se demander si ces règles générales ne sont pas neutralisées par les
dispositions spécifiques du CPCE). Parce qu’à l’impossible nul n’est tenu, le tribunal estime que le
bureau d’enregistrement ne peut avoir d’obligation de résultat s’agissant de la vérification
d’éventuelles antériorités, lesquelles devraient être recherchées tous droits et tous pays confondus.
Ceci étant, à supposer même qu’elle fût réalisable, une telle recherche d’antériorités n’aurait guère
de sens, l’atteinte aux droits antérieurs, droits d’auteur mis à part, résultant de l’exploitation du
nom de domaine, laquelle est nécessairement postérieure à l’enregistrement.
En revanche, le tribunal considère que « dès lors que lui a été notifiée par le titulaire [d’un droit de
marque] l’existence d’un nom de domaine qu’elle gère, portant atteinte à un droit de propriété
intellectuelle, [la société d’enregistrement] est tenue ainsi que l’AFNIC à une obligation de résultat
». Si l’on y perçoit l’empathie pour les demandes formées devant lui, la formule du tribunal laisse
perplexe. Elle repose sur l’article R. 20-44-45 du code des postes et communications électroniques,
qui interdit de choisir « un nom identique ou susceptible d’être confondu avec un nom sur lequel
est conféré un droit de propriété intellectuelle par les règles nationales ou communautaires »,
disposition qui évoque la démarche du réservataire d’un nom de domaine, et pas de l’entreprise
avec laquelle il contracte. Si, en application de l’article R. 20-44-49, l’office d’enregistrement peut «
bloquer, supprimer ou transférer » des noms de domaine violant les règles du code des postes et
communictions électroniques, ce pouvoir lui est propre, et le bureau d’enregistrement ne peut donc
l’exercer, sauf à violer la loi.
par C. Manara, Professeur associé, EDHEC Business School
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