Le Monde 8 Décembre 2016 - Cursus Master en Ingénierie

Transcription

Le Monde 8 Décembre 2016 - Cursus Master en Ingénierie
L’orientation
nouvelle
génération
«LeMonde»créeO21pouraider
les16­25ansàfairedeschoix
adaptésàlasociétédedemain
AU PROGRAMME D ’ O21
Huit conférences interactives
animées pendant deux jours par
des journalistes du Monde, irriguées
par les témoignages vidéo de
35 personnalités (start-upeurs,
chefs d’entreprise, universitaires…)
et avec pour intervenants les acteurs
de l’écosystème enseignement
supérieur-innovation régionale.
OÙ?
A Lille les 6 et 7 janvier 2017,
dans le grand auditorium
du Nouveau Siècle.
A Cenon (Gironde) les 10 et 11 février,
au Rocher de Palmer.
A Villeurbanne les 15 et 16 février,
au Théâtre national populaire.
A Paris les 4 et 5 mars,
à la Cité des sciences et de l’industrie.
JOUR 1
Inventer sa «voie royale» ........ . p.2
9h30: A qui me fier?
Mes notes, mes potes, mes rêves?
11h30: Entre «fun» et «safe»,
faut-il absolument choisir?
Intelligence artificielle:
alliée ou adversaire ? ................... p.3
ILLUSTRATION : PABLO BISOGLIO
O
21. O pour orientation,
21 pour ce siècle, qui
remet en cause les ha­
bitudes forgées depuis
la naissance des uni­
versités et l’invention
de l’imprimerie, au nom desquelles
l’accumulation de savoirs garantit
une place de choix dans le monde du
travail. Les mutations liées au numéri­
que ont changé la donne et, chaque
jour, des métiers existants sont trans­
formés et de nouvelles fonctions s’in­
ventent. Plus que jamais, il est essen­
tiel de comprendre le monde de
demain pour faire les bons choix
aujourd’hui. C’est pour aider à cette
compréhension que Le Monde a
créé O21/s’orienter au XXIe siècle, thé­
matique que vous retrouvez au quoti­
dien sur le site Le Monde.fr dans une
rubrique spéciale (Le Monde.fr/O21),
toutes les semaines dans la page Cam­
pus du quotidien, et aujourd’hui dans
ce supplément.
Il fait la part belle aux témoignages:
ceux des jeunes, que nous avons inter­
rogés sur les questions d’orientation les
plus incandescentes (passion ou raison,
«safe» ou «fun», argent ou sens, etc.),
mais aussi ceux d’une trentaine de per­
sonnalités de 19 ans à 85 ans qui ont
accepté de traduire en conseils d’orien­
tation pour les 16­25 ans leur vision du
Cahier du « Monde » No 22364 daté Jeudi 8 décembre 2016 ­ Ne peut être vendu séparément
futur, parmi lesquelles Boris Cyrulnik
(psychiatre), Henri Atlan (biologiste),
Cédric Villani (mathématicien), Pascal
Picq (paléoanthropologue), Joël de Ros­
nay (futurologue), Xavier Niel (patron
de Free et créateur de l’Ecole 42, action­
naire à titre individuel du Monde),
Sébastien Bazin (PDG d’Accor), Frédéric
Mazzella (fondateur de Blablacar)…
Vous les retrouverez, en vidéo, sur les
plateaux des quatre événements O21
exceptionnels que nous organisons de
janvier à mars 2017 à Lille, Cenon (dans
l’agglomération bordelaise), Villeur­
banne et Paris.
Nous avons, en effet, souhaité per­
mettre une rencontre entre les acteurs
de ce monde en mutation et les
lycéens et étudiants. Pendant deux
jours, ces derniers pourront ainsi
interagir avec des personnalités
issues de l’enseignement supérieur,
du monde de l’entreprise, du monde
associatif ou de start­up. Deux jours
pendant lesquels découvrir aussi
comment la jeune génération peut
s’inscrire dans les nouveaux défis du
XXIe siècle. Des rencontres, en marge
des tables rondes, seront également
proposées aux jeunes avec tous les
intervenants.
Nous espérons vous y rencontrer. p
laure belot
et emmanuel davidenkoff
14 heures: Trouver ma place
dans un monde de robots.
16 heures: Big data, code,
Internet des objets…
Les clés du nouvel eldorado
JOUR 2
Cultiver sa différence..................... p.6
9h30: La créativité, ça s’apprend?
11h30: Comment éviter l’autocensure?
Inventer un monde meilleur…
utopique?............................................ p.7
14 heures: Certains métiers ont-ils
plus de sens?
16 heures: Finalement, où se
forme-t-on le mieux pour demain?
Et aussi des ateliers participatifs
et interactifs: conseils en orientation,
raisonnement créatif, rencontres,
ateliers de coding, etc.
Inscription gratuite sur LeMonde.fr/O21
2 | s’orienter au xxie siècle
0123
JEUDI 8 DÉCEMBRE 2016
Entre «fun» et «safe», faut-il choisir?
Pourconcilierpassionetsécuritédel’emploi,lycéensetétudiantssaventqu’ilsdevrontfairepreuvedesouplesse
Q
uand on a la quasi­certitude de
s’écraser, autant profiter du pay­
sage. » Raison pour laquelle Léo,
25 ans, prend son temps. Bac ES
en poche, il s’était, dans un pre­
mier temps, lancé dans des étu­
des d’administration économi­
que et sociale (AES). Un choix
« sans passion ni dégoût » mais sécurisant,
« pour faire plaisir » à ses parents. Après s’être
aperçu qu’il ne « pourrait pas aller loin » sans
plus de motivation, il a choisi de prendre le
virage du « fun » en postulant dans une école
de cinéma où il est aujourd’hui un étudiant
heureux : « J’ai conscience que réalisateur n’est
pas un métier, tout juste une passion qu’on a
parfois la chance d’exercer si un producteur
parie sur vous. »
Faut­il privilégier la stabilité financière et le
marché du travail ou bien ses aspirations et
son envie de liberté? Comme Léo, les dizaines
de jeunes lecteurs qui ont répondu à l’appel à
témoignages que nous avons lancé sur
Le Monde.fr font état de ce tiraillement entre
fun et safe, entre une orientation vers un
métier sûr, balisé, et celle vers une vie profes­
sionnelle en apparence passionnante mais
plus incertaine. Ils font aussi parfois état de ce
déclic − une rencontre, un voyage, un burn­
out… – qui les a fait passer de l’un à l’autre.
Mais, en première intention, les détermi­
nants du choix se veulent rationnels: on cher­
che la sécurité de l’emploi, on identifie les sec­
teurs porteurs… La lancinante persistance
d’un taux de chômage des jeunes élevé, sur
fond de crise économique, ne laisse pas indif­
férents les étudiants et leur famille: un son­
dage Harris Interactive de mars 2016 montrait
même que seulement 16% des 18­25 ans esti­
ment qu’il est facile de trouver un emploi. Ont­
ils encore le droit, dans cette situation, de
prendre des risques dans leur orientation et
leur métier, d’écouter leurs envies?
Poussée par des parents « trop soucieux de
[son] avenir », Armelle, 30 ans, raconte ainsi
avoir cherché « l’emploi safe », sans doute
«trop safe», en enchaînant une école d’ingé­
nieurs puis un master en école de commerce
– martingale parfaite du jeune diplômé.
Aujourd’hui dans la direction financière d’une
grande entreprise française, elle gagne bien sa
vie et ne pourra « jamais être virée, à moins
d’insulter son patron ». Mais elle craint une
« carrière longue et peu stimulante ». Un peu
comme Mathieu, 25 ans, auditeur financier à
Lyon, qui a choisi de « jouer le jeu de l’entre­
prise» traditionnelle plutôt que de «défier l’or­
dre établi et de risquer la précarité». Il n’attend
«rien» de cette entreprise, si ce n’est qu’elle lui
«offre un niveau de vie au moins égal à celui de
[ses] parents ». Et espère que le fun de sa vie
personnelle compensera.
Burn­out
« L’aspect “sûr” ou non des métiers est plus
prégnant qu’avant dans les questions que
nous posent les jeunes », confirme Clémence
Nommé, psychologue au Centre d’orienta­
tion et d’examens psychologiques (Corep) de
Paris. « Ils sont à la fois inquiets des débouchés
et ont l’impression qu’ils vont rater leur vie s’ils
ne prennent pas la bonne voie, explique­t­elle.
Mais ils sont en même temps assez conscients
qu’ils vont devoir faire preuve de souplesse
dans leur vie professionnelle, changer de
métier, s’adapter. »
« Soyez qui vous êtes ! Faites ce qui vous
plaît ! », conseille, dans ce contexte mouvant,
Pierre, 31 ans. Diplômé de l’Ecole des mines de
Douai, il lui aura fallu six ans dans le monde
de l’industrie et un burn­out pour prendre du
recul, tout plaquer et, finalement, ouvrir son
cabinet de naturothérapie. « Mes revenus ont
été divisés par 5 environ, mais mon sourire
multiplié par 500 au moins », explique­t­il.
« Travailler dans une entreprise est le meilleur
moyen de tuer sa créativité », estime égale­
ment Tiphaine, graphiste de 26 ans qui a
choisi de devenir autoentrepreneuse après
deux ans au sein d’une entreprise. « Certains
mois sont meilleurs que d’autres et je travaille
rarement moins de onze heures par jour, mais
je suis bien plus épanouie dans mon boulot »,
analyse­t­elle.
De fait, estime Nicolas Galita, spécialiste en
recrutement et auteur du blog Dessine­toi un
emploi, « la possibilité de se réaliser pleine­
ment dans un métier est inférieure dans le
modèle salarié ». Un boulevard pour l’entre­
preneuriat, même s’il « ne faut pas négliger les
petites entreprises qui permettent de faire plein
de choses ». Aujourd’hui, si 44 % des diplômés
des grandes écoles veulent travailler dans un
grand groupe, ils sont 35 % à vouloir créer leur
entreprise et autant à vouloir travailler dans
une petite structure. « Grande boîte, petite
boîte, entrepreneuriat, etc. : le plus important
est de ne pas se laisser aspirer par le modèle des
autres, de prendre le temps de se poser et de
s’interroger sur ce qu’on veut vraiment »,
conseille Nicolas Galita.
Quant à ceux qui ont encore besoin d’un
peu de temps pour découvrir leur fun, ce qui
leur donnera envie de se dépasser et de
prendre des risques, Nicolas Galita conseille
de « choisir la voie qui ferme le moins de
portes ». En multipliant les expériences et les
rencontres pour se connaître. Et en sortir
rapidement. p
séverin graveleau
Deux conférences d’O21 seront consacrées
à ces thèmes: «A qui me fier? Mes notes, mes
potes, mes rêves?» et «Entre “fun” et “safe”,
faut­il absolument choisir?». Retrouvez
le programme sur Le Monde.fr/O21.
«Fairelebilandeses
compétencesdevie»
SelonlepsychiatreXavierPommereau,il
fautdédramatiserlechoixd’orientation
E
ntre connaissance de soi,
évolution du milieu pro­
fessionnel et projections
des parents, le directeur du
Pôle aquitain de l’adolescent à
Bordeaux et psychiatre Xavier
Pommereau explique pourquoi
l’orientation est un sujet com­
plexe et anxiogène.
« Qu’est ce que tu veux faire
comme métier ? » Pourquoi
cette question est­elle si
angoissante ?
Parce qu’on demande aux jeu­
nes de faire un choix d’orienta­
tion précis alors qu’ils voient
bien que la trajectoire des gens
qui sont épanouis dans leur
métier n’est pas rectiligne. Ils
ont, en général, pris une voie,
changé, puis suivi des chemins
de traverse, etc. Il est donc pri­
mordial de dédramatiser ce
choix d’orientation, car ce n’est
pas à ce moment­là que les cho­
ses se décident. Il ne faut pas se
fixer un cap intangible, mais une
direction susceptible d’évoluer.
En se disant que les contraintes
et les opportunités, le marché du
travail, la pression des parents,
ses envies ou ses voyages sont
susceptibles de la modifier. La
voie royale, si elle existe, n’est
jamais écrite à l’avance.
Comment fait­on pour
se connaître ?
Il faut voyager, multiplier les
rencontres, les prises de risque…
Puis, lorsque l’heure du choix
approche, essayer de faire son
bilan de compétences avec les
autres. On ne parle pas ici des
compétences scolaires, mais des
compétences de vie : ce qu’on
sait faire, qui on est. Cet exercice
ne doit pas se faire avec les
parents, qui ne sont pas objectifs
et ne mesurent pas toujours
combien ils rejouent ce qu’ils
auraient aimé faire à travers
les projections sur leur enfant.
On peut s’isoler avec d’autres
personnes bienveillantes de son
entourage (un oncle, un ami,
etc.) et leur demander : « D’après
toi, je suis bon en quoi ? » Il faut
noter noir sur blanc là où on est
bon, selon eux. Et, en face, là où
on l’est moins. On décide
ensuite, après y avoir réfléchi cal­
mement, un choix d’orientation
qui prend en compte ces diffé­
rents éléments.
Entre « fun » et « safe », entre
un métier en phase avec ses
désirs ou son envie de liberté
et un autre qu’on imagine plus
stable, faut­il choisir ?
Il n’est ni possible ni souhaita­
ble de choisir entre l’un et l’autre.
Ce qui rend la vie intéressante, ce
sont justement la souplesse et
l’adaptation. Quel métier est
encore safe aujourd’hui ? Nous
sommes dans une époque de
bouleversement du monde du
travail sur fond, entre autres, de
révolution numérique, de chan­
gement des modes de vie, de
remise en cause de la production
industrielle massive. Dans les
années qui viennent, des dizai­
nes de nouveaux métiers vont
apparaître. Ils accorderont sans
aucun doute une place plus
importante à la créativité. Cela
ouvre des perspectives incroya­
bles pour ceux qui doivent
s’orienter aujourd’hui. p
propos recueillis par sé. g.
s’orienter au xxie siècle | 3
0123
JEUDI 8 DÉCEMBRE 2016
Une place dans un monde de robots
Intelligenceartificielleetbigdatabouleversenttouslesdomainesd’activité,horsduchamptechnologique
L’
idée paraît simple : donner à cha­
que patient atteint d’un cancer
un traitement personnalisé et
éviter ainsi les cures inutiles ou
entraînant trop d’effets secondai­
res. Le processus de recherche sur
lequel s’appuie cette idée est, en
revanche, beaucoup plus complexe. Il fait
appel à l’intelligence artificielle (IA) et à des
algorithmes capables de corréler les caracté­
ristiques de chaque malade à l’efficacité des
traitements à partir d’une base de données
de 140 000 patients.
En plus d’être oncologue et chercheur, Jean­
Emmanuel Bibault, 33 ans, se définit comme
un « autodidacte », tombé dans l’informati­
que tout petit. « Je créais des pages Web pour
m’amuser quand j’étais au collège. Quelques
années plus tard, pendant mes études de méde­
cine, pour rendre service à l’association des
internes, j’ai conçu une première appli. Puis j’en
ai développé une autre pour détecter les signes
de cancer du poumon, que j’ai revendue à une
entreprise israélienne. » Une rapidité d’action
qui tranche avec le tempo de la recherche
médicale, qui propose de nombreux appels
d’offres pour l’utilisation de nouvelles molé­
cules mais « où il est difficile d’obtenir des
financements pour la recherche en intelligence
artificielle », explique le chercheur du Centre
de recherche des Cordeliers, à Paris. Sans
compter, ajoute­t­il, les « craintes et fantas­
mes » que suscite l’IA chez les médecins.
Comme Jean­Emmanuel Bibault, des dizai­
nes de personnes ont répondu à l’appel à té­
moignages «Vous révolutionnez votre métier
avec des algorithmes» lancé par Le Monde.fr.
Témoins ou acteurs d’un phénomène qui
s’amplifie, ils ont raconté leur histoire singu­
lière au moment de l’arrivée massive des algo­
rithmes, de l’IA et du big data dans tous les
secteurs professionnels : finance, logement,
transport, médecine, agriculture…
Au cœur de cette révolution technologique,
ceux qui créent se considèrent souvent comme
des «autodidactes». Alexandre Girard, 31 ans, a
commencé par créer des sites Web à l’adoles­
cence pour les commerçants de son quartier
parisien, récoltant un peu d’argent de poche au
passage. Des années et une école d’ingénieurs
plus tard, il est employé par une société de ser­
vices en ingénierie informatique et travaille
dans le secteur de la grande distribution. Mais
son credo demeure le commerce de proximité.
«J’ai fait plusieurs tentatives. D’abord j’ai créé un
site qui permettait aux étudiants de revendre
leur matériel. En médecine, par exemple, les bis­
touris neufs coûtent 700 euros. Mais Leboncoin
est arrivé. Puis j’ai imaginé répertorier des bons
plans et réductions. Mais Groupon est arrivé.» Il
a donc inventé Stopcarotte.com, un site qui
compare les prix des produits dans son quar­
tier, du café en terrasse au lissage brésilien en
passant par les croissants à la boulangerie. «J’ai
recréé un référentiel permettant aux consom­
mateurs de comparer les prix des produits de
proximité qui n’ont pas de code­barres.»
Ce bouillonnement technologique est aussi
directement connecté à l’intime. Thibault
Duchemin, 24 ans, ingénieur des Ponts et
Chaussées, étudiant à l’université de Californie
à Berkeley, raconte avoir découvert l’IA un peu
par hasard. «Je suis né seul entendant dans une
famille sourde, j’ai développé une IA qui permet
aux malentendants de comprendre ce qui se dit
dans une conversation en temps réel.»
Questions millénaires
Parfois, il s’agit aussi de répondre à des
questions millénaires : « Pourquoi les récoltes
de cette année ont été faibles ? Quelles variétés
semer l’an prochain ? » Sylvain Delerce, 31 ans,
agronome et chercheur à Cali (Colombie) au
Centre international de l’agriculture tropi­
cale, utilise des algorithmes pour répondre à
ces questions. « Nous analysons les données de
centaines de milliers de champs et nous pou­
vons identifier les principaux facteurs limi­
tants du rendement ou de la qualité. Pour cela,
nous utilisons des algorithmes de machine
learning – l’apprentissage des machines. »
Mais dans ce monde en rupture perma­
nente, les compétences sont vite menacées
Comment les salariés vivent­
ils les mutations des métiers
dues au numérique ?
Il y a une grande confusion
parce que, tous les dix­huit mois,
les entreprises opèrent des chan­
gements managériaux et les sa­
lariés ne savent pas s’ils sont im­
putables aux nouvelles techno­
logies ou à un effet de mode de
management. On internalise, on
externalise, on affecte par pro­
duit, par zone géographique,
puis on fait du transversal à nou­
veau. Très souvent, le numéri­
que sert de justification pour ac­
compagner ces changements. Le
capitalisme financier numéri­
que bouleverse tous les secteurs
sans exception et raccourcit les
temps de réaction. Comment s’y
retrouver si l’on ne redonne pas
de place à l’écoute, au débat, à
l’intelligence collective et si l’on
prétend qu’il existe comme une
fatalité numérique ?
Quel doit être le rôle
de l’éducation dans le monde
que vous décrivez ?
Il faut remettre au centre l’idée
du « faire » dans l’apprentissage,
une notion qui est terriblement
déclassée dans la société fran­
çaise. L’irruption du numérique
doit y participer et transformer
la pédagogie. La philosophie du
learning by doing [« apprendre
par l’expérience »] doit, par exem­
ple, être plus répandue. Avec les
imprimantes 3D, on visualise
mieux ; pourquoi ne pas s’en ser­
vir en cours ? Il faut aussi ap­
prendre la logique algorithmi­
que, car c’est une démarche qui
Deux conférences d’O21 seront consacrées
à ces questions : « Trouver ma place dans
un monde de robots » et « Big data, code,
Internet des objets… les clés du nouvel
eldorado ? ». Retrouvez le programme
sur Le Monde.fr/O21.
CHINA | IVORY COAST
ADMISSION POST-PRÉPAS
en 1re année
ADMISSION POST BAC +3
en 2e année
DominiqueBoullier,sociologue,analyse
l’impactdelanumérisationdesmétiers
L
marine miller
N A N T E S | PA R I S
« Ilfauttransformer
lapédagogie»
e bouleversement induit
par le «capitalisme finan­
cier numérique» implique,
pour Dominique Boullier,
de s’adapter à l’incertitude.
d’obsolescence. « Je suis développeuse infor­
matique et je n’arrive plus à suivre les muta­
tions trop rapides de mon métier. J’ai essayé
l’autoformation mais j’ai toujours un train de
retard », regrette, amère, Audrey, 35 ans, qui se
déclare au chômage et se présente sous un
pseudonyme. Car l’omniprésence des techno­
logies ne signifie pas qu’on maîtrise le raison­
nement algorithmique. « Tout le monde n’est
pas à égalité dans ce monde­là. L’origine
sociale contribue nettement à la fracture
numérique », ajoute Raja Chatila, roboticien
spécialiste de l’IA. Avant d’apprendre à pro­
grammer, « il faut pouvoir être en mesure de
raisonner et avoir une solide culture en philo­
sophie, en maths et en littérature », prévient­il.
Avant d’inventer le monde demain, mieux
vaut une robuste culture du monde d’hier. p
ressemble à celle des maths et de
la philosophie. En apprenant à
décomposer une tâche, on rend
l’esprit des jeunes modulaire. En­
fin, je crois qu’il est indispensa­
ble de développer l’intelligence
de l’exploration pour apprendre
à survivre à la vitesse du change­
ment et à l’incertitude. Cela veut
dire éduquer les jeunes à s’orien­
ter dans un monde d’incertitu­
des. Il y a des pédagogues qui tra­
vaillent à inventer ces métho­
des­là, qui ne sont pas celles de la
répétition, de la mémorisation
ou de la correction.
La pensée logique et l’agilité
en mathématiques sont­elles
des atouts indispensables ?
On ne rendrait pas service aux
jeunes en leur disant qu’ils peu­
vent se passer des mathémati­
ques. Même dans la grande in­
dustrie du contenu, dans les jeux
vidéo ou dans la littérature, il est
souvent question de combiner la
culture narrative avec l’esprit des
mathématiques. Je ne prône pas
le retour de «l’honnête homme»,
ce savant de la Renaissance à la
culture générale étendue, néan­
moins je pense qu’il faut élargir
les horizons des disciplines, car
aucun problème ne dépend
d’une seule discipline. Cela signi­
fie aussi qu’il faut garder des spé­
cialités et des points forts, parmi
lesquels le « faire ». En France,
nous avons une très forte culture
de l’abstraction, ce qui est une
qualité. Néanmoins, les informa­
ticiens doivent aussi avoir une
culture générale et historique et
s’intéresser à l’histoire de leur
propre science, car des problè­
mes éthiques surgissent tou­
jours des nouvelles technologies,
et il faut pouvoir les questionner
et les analyser. p
propos recueillis par m. mi.
 OUVERTURE ET DOUBLE-COMPETENCE
 250 UNIVERSITÉS PARTENAIRES
 ACCOMPAGNEMENT CARRIÈRE INDIVIDUALISÉ
 3 PÔLES DE SPÉCIALISATION : FINANCE - MARKETING -MANAGEMENT
 RÉSEAU ÉCOLE DE PLUS DE 22 000 DIPLÔMÉS
INNOVATIVE LEADERS
FOR A RESPONSIBLE WORLD
w w w. a u d e n c i a . c o m
4 | s’orienter au xxie siècle
0123
JEUDI 8 DÉCEMBRE 2016
«Cultiver son pouvoir de rêve»
Nepasseprécipiter,
voyager,rêver…C’estceque
préconiselepsychiatre
BorisCyrulnik,pourquila
libertédelajeunesse
devientsourced’angoisse
carelleobligeàfairepreuve
d’unegrandecréativité
P
our le psychiatre Boris Cyrulnik, auteur
notamment d’Un merveilleux malheur
(1999) et d’Ivres Paradis, bonheurs
héroïques (2016), tous deux parus chez
Odile Jacob, on ne s’oriente pas
au XXIe siècle comme il y a vingt ans.
Nombre de jeunes se sentent sous pression
pour trouver leur voie. Comment les aider ?
Le problème est que l’on fait sprinter nos jeu­
nes, et ces jeunes, en sprintant, se cassent sou­
vent la figure. Après le bac, ils s’orientent trop
vite, alors qu’ils ne sont pas encore motivés. Ils
s’inscrivent dans n’importe quelle fac, et la moi­
tié d’entre eux vont échouer. Ils vont alors être
humiliés, malheureux, à l’âge où l’on apprend
neurologiquement et psychologiquement à tra­
vailler. Le risque est, alors, qu’ils se désenga­
gent, surtout les garçons, qui décrochent plus
que les filles.
Or, ce qui peut aider un jeune à prendre sa
voie, c’est son pouvoir de rêve. Il faut ensuite se
réveiller, bien sûr. Le rêve mène au réveil. Mais
si un jeune arrive à rêver et à se mettre au tra­
vail, il pourra prendre une direction de vie.
Que préconisez­vous ?
L’espérance de vie a follement augmenté. Une
petite fille qui arrive au monde aujourd’hui a de
forte chance d’être centenaire. Alors si, après
son bac, elle perd un an ou deux, qu’est­ce que ça
peut faire? Ces deux années­là, justement, cer­
tains pays, en Europe du Nord par exemple, ont
décidé d’en faire une période sabbatique. Ils ont
institué un rite de passage moderne. Les jeunes
partent à l’étranger, ils ne sont pas abandonnés
mais autonomes. Quand ils reviennent, ils ont
appris une langue, ont eu des expériences et ont
réfléchi à leur choix de vie. Ils s’inscrivent alors
dans des cursus et apprennent un métier. Il y a
très peu d’échecs, alors qu’il y en a énormément
pour ceux qui se précipitent vers les universités.
Boris Cyrulnik, à Strasbourg le 18 septembre. VINCENT MULLER/OPALE/LEEMAGE
Cette approche existait d’ailleurs en France
pour les garçons : au XIXe siècle, ceux­ci
partaient faire le tour de la France, les plus
petits en groupe de deux ou trois, avec un
bâton et un baluchon à l’épaule, pour aller
chercher des stages.
Seuls 44 % des diplômés de grandes
écoles veulent travailler dans une grande
entreprise. Pourquoi ce rejet ?
A l’époque où le travail apportait la certitude,
on acceptait l’ennui, la contrainte, on acceptait
même la soumission à une hiérarchie. Il fallait
avoir un travail, quel que soit le travail. Toutes
les sociétés se sont construites dans la violence:
violence des frontières, des guerres… Dans un
contexte chaotique, l’entreprise a pu être le lieu
de la sécurité et du sens, c’était la direction de
vie que l’on prenait. Un lieu où l’on était étayé
UNIVERSITÉ DE TECHNOLOGIE DE COMPIÈGNE
UTC
JPO 2017
serez ce que vous
choisirez d'être
Vous
7 janvier
11 mars
www.utc.fr
génie biologique I génie informatique I ingénierie mécanique
génie des procédés I génie des systèmes urbains
Ingénieur UTC
un parcours sur mesure en lien
avec l’évolution de mon projet
professionnel
choix des UV
tutorat
pluridisciplinarité
entrée à tous les niveaux
apprentissage
Humanités et technologies (bac S, ES ou L)
interactions.utc.fr • webtv.utc.fr • www.utc.fr
donnons un sens à l’innovation
par les autres, par les lois, ce qui était une vérita­
ble évolution par rapport au système protec­
teur de l’aristocratie ou des mines, par exemple.
Quand une rue est dangereuse, une personne
va se sentir bien chez elle, mais quand la rue est
une fête, cette même personne va s’y ennuyer. Le
même raisonnement s’applique à l’entreprise.
Quand la société est dangereuse, je suis bien
dans l’entreprise. Quand j’ai milité pour faire que
la société soit moins dangereuse, j’ai envie de
tenter mon aventure personnelle ailleurs.
Aujourd’hui, alors que la personnalité des jeu­
nes s’épanouit – pour les garçons et encore plus
pour les filles avec cette révolution culturelle
féminine stupéfiante en deux générations –,
l’entreprise devient une contrainte. Ces jeunes
n’acceptent plus la soumission, la répression
qu’impose la vie dans ces organisations.
Certains jeunes hésitent entre un chemin
balisé et un autre, plus « fun » mais plus
risqué. Faut­il forcément choisir ?
Je pense qu’on n’a pas le choix entre le plaisir
de vivre et l’austérité d’apprendre, les deux
sont associés. Un jeune qui se précipite dans le
plaisir va payer ensuite le prix de cette satisfac­
tion immédiate.
Il faut être capable de moments d’austérité, de
moments où l’on retarde le plaisir de façon à
pouvoir acquérir des connaissances pas toujours
très amusantes. L’équilibre à trouver est comme
le flux et le reflux: c’est l’alternance entre les
deux qui donne le plaisir et la solidité de vivre.
Quant à la notion de prise de risque, elle varie
avec l’âge: si elle constitue un danger aussi bien
pour les enfants, avant l’adolescence, que plus
tard, quand on arrive à un âge avancé, entre ces
deux moments de la vie, c’est l’absence de prise
de risque qui est un danger. Car comment,
autrement, donner un sens à son existence?
Pas simple pour les jeunes de faire
des choix si, comme on l’annonce, 65 % des
métiers de demain n’existent pas encore…
C’est vrai, on ne sait pas ce qui nous attend.
Dans ma génération, nous n’avions pas beau­
coup de choix. Les conditions matérielles
étaient très difficiles, mais les conditions psy­
chologiques étaient, elles, beaucoup plus sim­
ples. Moi, je savais que, si je travaillais, je devien­
drais un homme libre. Donc, si j’étudiais, si
j’apprenais, j’aurais la totale sécurité. On ne
peut plus dire ça aujourd’hui.
Quand j’étais gamin, le message était clair :
« Fais comme papa. » Maintenant, excepté les
enfants d’enseignants, les jeunes n’exercent
plus le même métier que leur père. Ils n’ont plus
cette étoile du berger qui était pour nous à la
fois une orientation et une contrainte. Soit elle
nous convenait, et c’était magnifique. Soit elle
nous déplaisait et, dans ce cas­là, on pouvait
toujours se dire que c’était «la faute de papa».
Désormais, les jeunes ont toutes les libertés.
C’est angoissant, car ils deviennent coauteurs
de leur destin. Cela les oblige à faire preuve de
créativité. Il y a là une véritable révolution
culturelle !
Et vous, comment avez­vous eu le déclic
pour devenir psychiatre ?
J’ai été très tôt atteint d’une délicieuse mala­
die: la rage de comprendre. Cela s’explique par
mon histoire et mon appartenance à la généra­
tion d’avant­guerre. Je suis né en 1937. Ma
famille a disparu à Auschwitz. J’ai moi­même
été arrêté quand j’avais 6 ans et demi, et j’ai
réussi à m’évader. Cela m’a amené très jeune à
me demander comment il était possible que
toute une partie de la population veuille en
assassiner une autre. Cela me paraissait fou,
incompréhensible. Je ne pouvais me sentir bien
que si je cherchais à comprendre.
Il n’y a donc pas eu un déclic, mais mille pres­
sions, mille déclics qui m’ont gouverné depuis
mon enfance. Le désir de comprendre, de ren­
contrer, m’a orienté vers la médecine et la psy­
chologie. J’ai été gouverné un petit peu comme
quand on est jeté dans un torrent. On met la
main, on baisse la tête, on coule, on ressort.
« Si la prise de risque est un
danger tant pour les enfants
qu’à un âge avancé, entre
ces deux moments de la vie,
c’est l’absence de prise
de risque qui est un danger »
Pourquoi accepter de témoigner,
dans le cadre d’O21, pour aider les jeunes
à trouver leur voie ?
L’évolution se fait toujours par catastrophe,
qu’il s’agisse de la société ou de la biologie: les
catastrophes obligent à réorganiser le vivant
pour reprendre un autre type d’évolution. C’est
la définition de la résilience. Après la guerre de
1940, il a fallu tout recommencer, tout recons­
truire. Aujourd’hui, notre société connaît à nou­
veau une période de chaos, même s’il ne s’agit
pas d’une guerre classique.
J’ai débuté ma vie en subissant un langage
totalitaire, et jamais je n’aurais pu penser que
j’arriverais au dernier chapitre de mon exis­
tence en en voyant réapparaître un autre. Nous
n’avons pas le choix: nous devons inventer une
nouvelle société, une nouvelle manière de vivre
ensemble. Et ce sont les jeunes qui vont inven­
ter, avec nous, cette nouvelle société. Ce sont
eux qui vont entrer dans l’arène en commen­
çant une carrière professionnelle. p
propos recueillis par laure belot
s’orienter au xxie siècle | 5
0123
JEUDI 8 DÉCEMBRE 2016
Ces conseils qui
les ont marqués
«Je crois que le meilleur conseil qu’on
m’ait donné, c’est “il faut essayer, vas­y”.
Parfois il faut faire des choix: est­ce
qu’on se lance dans une formation ou
dans quelque chose qui est assez indécis,
original, qui sort de l’ordinaire? Alors,
je pense en ces mots: si ça se présente
de manière intéressante, il faut y aller.»
Cédric Villani, 43ans, mathématicien
«Quand j’étais petite, mon père me
disait: “Ce n’est pas un sprint, c’est
un parcours d’endurance.” Une carrière
se construit dans la durée, de nombreu­
ses possibilités émergent au fur et
à mesure, c’est enthousiasmant.»
Laure Courty, 38ans, Jestocke.com
«“Pourquoi tu ne tenterais pas?”, c’est
sûrement cette question qui a eu le plus
d’impact sur ma vie. Que ce soit tenter
des concours, tenter d’aller aux Etats­
Unis ou postuler chez PayPal alors que
je n’avais pas les qualifications pour le
poste… Le conseil à en tirer [est]: “Quel
est le pire qui puisse arriver?” Tu verras,
le pire, ce n’est pas grand­chose. Quel
est le pire qui puisse arriver si tu postules
à cette offre? Si on te dit non, est­ce que
ta vie s’arrêtera? Non.»
Paul Duan, 24ans, Bayes Impact
«“Si tu n’abandonnes pas,
tu ne peux pas échouer.” Je ne
sais plus qui m’a dit cela, mais
j’y crois profondément.»
Marita Cheng, 27ans,
2Mar Robotics (Australie)
«Un de mes professeurs de Stanford
m’a dit: “Posez­vous cette question:
si vous aviez un travail que vous ne sou­
haiteriez jamais quitter, lequel serait­ce?”
Pour moi, c’est une activité porteuse
de tellement de sens qu’on voudrait
ne jamais prendre sa retraite.»
Ben Rattray, 36ans, Change.org
(Etats­Unis)
«Je ne citerai pas un bon
conseil mais un mauvais:
ma mère m’a toujours
dit qu’on ne pouvait pas tout
faire. C’est complètement
faux! On peut absolument
tout faire si l’on en a envie.»
Thomas Samuel, 35ans, Sunna Design
«Mon père m’a transmis l’idée qu’il n’y
a pas de bonnes ou de mauvaises déci­
sions: il y a simplement des décisions
qui sont prises, et qui sont prises à temps.
C’est­à­dire qu’attendre avant de prendre
une décision est en soi une décision.»
Marie Ekeland, 41ans, Daphni
«Ma grand­mère m’a toujours recom­
mandé d’accompagner les plus faibles.
C’est quelque chose que je garde en tête:
il est essentiel de se demander ce que
l’on peut apporter aux autres.»
François Taddei, 49ans, directeur
du centre de recherches inter­
disciplinaires de paris­descartes
«S’ouvrir au monde mais aussi s’ouvrir
à l’autre par le dialogue et l’écoute.
Bouger, parler des langues différentes,
lire. Lire tout.»
Joël de Rosnay, 79ans, prospectiviste
«Le conseil qu’on m’a donné est de ne
pas lâcher mes rêves. Les premières
intuitions sont les bonnes: si quelque
chose vous paraît vraiment évident à
16ans, ce n’est pas pour rien. Cependant,
la vie est longue. Pas la peine de se
mettre la pression.»
Pandora Samios, 30ans, Smarty Crew
«Mes parents ne m’ont jamais
donné de conseil d’orientation: ils
m’ont laissé complètement libre de mes
choix. Je crois qu’ils m’ont fait confiance
et ont pensé que j’avais la maturité
nécessaire pour faire ce dont j’avais
envie et avancer dans la vie. Je ne les
en remercierai jamais assez.»
Xavier Niel, 49ans, Free
«Ne jamais cesser d’apprendre, ne jamais
penser que l’on a fini son développe­
ment. On apprend des autres, des livres,
des magazines, des amis, d’Internet.
La connaissance est une quête infinie.»
Ory Okolloh, 39ans,
Omidyar Network (Kenya)
«Le meilleur conseil que
j’ai reçu d’un professeur était
de me demander: “Pourquoi
est­ce que je fais ceci? Pour­
quoi ai­je écrit cette ligne sur
un papier? Pourquoi ai­je dit
ce que je viens juste de dire?”
Toujours se demander pour­
quoi, pourquoi, pourquoi.»
Aimée van Wynsberghe, 35ans,
Responsible Robotics (Pays­Bas)
«Quand j’ai choisi de quitter une profes­
sion informatique bien payée pour me
lancer à Emmaüs, j’avais un peu une
appréhension: “Que va­t­il se passer si,
dans cinq ans, je ne suis pas heureux ou
si financièrement c’est difficile?” Mon
père m’a dit: “Ce qui compte, plus que
ton parcours, c’est ta capacité à rebondir.
Tant que tu auras cette capacité, fais
les choix que tu veux et tu t’en sortiras.”»
Charles­Edouard Vincent, 45ans,
Lulu dans ma rue
«Le meilleur conseil est d’avoir
confiance. Sans confiance, il est très
difficile d’avancer et de dépasser ses
propres limites. Ce conseil, je l’ai reçu,
mais pas verbalement: Denise, qui
a beaucoup compté dans mon enfance,
en particulier lorsque j’étais en orphe­
linat, m’a par son accompagnement
montré que l’on pouvait être issu d’un tel
milieu et pourtant aller au­delà de ce qui
représentait sa voie toute tracée.»
Bertin Nahum, 47ans,
Medtech (Zimmer)
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6 | s’orienter au xxie siècle
0123
JEUDI 8 DÉCEMBRE 2016
Des tuteurs contre l’autocensure
Enpartenariataveclescollègesetlycées,des dispositifssuscitentdesrencontresaidantlesélèvesàbriserleplafonddeverre
M
es parents m’appellent “l’alien”»,
souffle Alice. Petite fée des tech­
nologies de l’information, diplô­
mée de plusieurs masters, la
jeune femme a officié au cœur
des métropoles les plus dynami­
ques de France et d’Amérique du
Nord dans des secteurs variés – l’industrie, le
conseil, l’enseignement… Mais quand elle re­
joint le bourg familial du sud­est de la France,
son aura s’éteint sous le regard paternel. «Pour
lui, ma carrière n’est pas compatible avec le fait
d’être une femme. Ma place devrait être celle de
ma mère: à la maison.» Jean­Michel, lui, se pré­
sente comme «fils de rien ou de si peu». Destiné
par l’éducation nationale à un CAP travaux fo­
restiers et bûcheronnage, il décroche, de dé­
tours en chemins de traverse, une maîtrise de
philosophie et un diplôme de troisième cycle
en ressources humaines. Aujourd’hui, il est en­
seignant.
Comme eux, ils sont des dizaines à avoir té­
moigné sur Le Monde.fr de la bataille menée
pour faire taire les voix qui leur répétaient que
l’enseignement supérieur ne leur était pas
destiné. Ce combat est aussi celui des Cordées
de la réussite. Depuis 2008, 80000 jeunes ont
bénéficié de ce dispositif d’égalité des chances
et fait mentir le signe indien d’une prétendue
prédisposition sociale et psychologique qui
leur interdirait les parcours d’excellence.
Quels sont les freins qui, parfois, dissuadent
un jeune, à l’aube de sa vie adulte, d’envisager
une grande école ou une université réputée?
«Les principales explications de la sélectivité
sociale de ces concours restent l’autosélection
sociale», avance Vincent Tiberj, docteur en
sciences politiques, chercheur au Centre d’étu­
des européennes de Sciences Po. Les origines
sociales, géographiques, le sexe ou une situa­
tion de handicap sont autant de facteurs d’ex­
plication. Qui souvent s’additionnent: selon
un rapport de la Cour des comptes de 2010 sur
«l’objectif de la réussite de tous les élèves», la
France est l’un des pays de l’Organisation de
coopération et de développement économi­
ques (OCDE) où les destins scolaires et univer­
sitaires sont le plus fortement corrélés aux ori­
gines sociales et au statut culturel des familles.
«En France, le système scolaire triche avec les
enfants en leur laissant croire qu’il suffit d’être un
bon élève pour s’élever, analyse Chantal Dardelet,
responsable du pôle égalité des chances de l’Es­
sec, initiatrice il y a plus de dix ans du pro­
gramme «Une grande école, pourquoi pas
moi?». C’est inexact. Il est également nécessaire
d’avoir acquis des compétences sociales, un ba­
ILLUSTRATION : PABLO BISOGLIO
« Le système scolaire triche
avec les enfants en leur laissant
croire qu’il suffit d’être
un bon élève pour s’élever »
Une nouvelle voie pour
le métier d’ingénieur
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RENNES • STRASBOURG • TOULOUSE3 • VALENCIENNES
chantal dardelet
responsable du pôle égalité des chances de l’Essec
Qu’est-ce qu’un
Cursus Master en Ingénierie ?
C’est un cursus exigeant, cohérent sur 5 ans,
basé sur des diplômes de Licence et de
Master renforcés. L’objectif est de former
des diplômés possédant une capacité à
concevoir et innover pour exercer des
fonctions d’ingénieur spécialiste au sein de
projets complexes, dans des environnements
professionnels interculturels et évolutifs.
Le Cursus Master en Ingénierie c’est :
- une spécialité qui représente 50 % de la
formation sur les 5 ans
- 20% de la formation consacré à l’ouverture
sociétale, économique et culturelle
(anglais, communication, culture générale,
connaissance des entreprises ...)
- l’implication des laboratoires de recherche
- un minimum de 3 stages obligatoires
(entreprise et laboratoire de recherche)
- 25 % de la formation sous forme de mise en
situation (projet, stage)
- une mobilité internationale obligatoire
gage culturel, des codes, de maîtriser le “savoir
être” en société; il faut aussi avoir de la curiosité,
être audacieux.» Autant de talents qui ne s’ac­
quièrent pas sur les bancs de l’école, mais
auprès de ses référents, de sa famille.
Les élèves issus de milieux populaires, de
l’immigration ou de familles rurales peu diplô­
mées peuvent ainsi être freinés par leur envi­
ronnement. «Sans le vouloir, certaines familles
rament à contre­courant des ambitions de leurs
enfants», regrette Mme Dardelet. Elles ne trans­
mettent pas les codes sociaux qu’elles ne soup­
çonnent pas et elles ignorent souvent les «diffé­
rents types d’enseignements supérieurs, com­
ment on y rentre, comment on se finance». Hors
du circuit par lequel leurs aînés ne sont jamais
passés, «ces jeunes se disent: “Une grande école,
ce n’est pas pour nous.” Une bonne raison pour
ne pas se bouger…», souligne­t­elle.
Benjamin Blavier est le délégué général de
Passeport avenir, une association qui travaille
sur l’accompagnement des élèves de milieux
défavorisés dans l’enseignement supérieur.
Pour lui, «cette reproduction sociale est iden­
tifiée et vieille comme Pierre Bourdieu», qui
dénonçait dès 1970 les ravages de la reproduc­
tion sociale par l’école, dans La Reproduction,
ouvrage cosigné avec Jean­Claude Passeron.
Mais les statistiques ne sont pas une fatalité.
A condition d’un déclic, généralement une
rencontre. Dans l’histoire de ces jeunes qui
brisent leur plafond de verre, «il y a toujours
une rencontre décisive», souligne M. Blavier.
Karim, lycéen marseillais d’origine maghré­
bine, s’apprêtait à s’engager en IUT. Le jour de
son inscription sur le système APB, un rendez­
vous médical le contraint à se rendre chez son
médecin de famille. Celui­ci boucle alors l’ins­
cription de son propre fils sur le système infor­
matique d’orientation. Plutôt que d’expédier
son jeune patient, le médecin prend le temps
de lui expliquer tout l’intérêt d’une classe pré­
paratoire. Le lycéen découvre qu’il a le niveau.
Cette consultation est un pied de nez au
destin. Le jeune homme étudie aujourd’hui
dans une grande école de commerce des
Bouches­du­Rhône.
Ces rencontres, l’Institut Télémaque les
provoque dès la classe de 5e. Les professeurs
de 100 collèges sont invités à repérer les
meilleurs élèves boursiers et leur permettent
d’établir un contact avec des tuteurs bénévoles,
cadres supérieurs et cadres dirigeants. «Nous
conduisons à se rencontrer des gens qui
n’auraient jamais dû se croiser», expose Ericka
Cogne, directrice générale de l’institut.
Sopharana, «boat people», a débarqué en
France dans les bras de ses parents. Adolescent,
il se voit devenir un soutien de famille. Il lui faut
gagner de l’argent pour contribuer au quotidien
et il vise «un emploi à la sortie du bac». Mais des
professeurs l’encouragent à poursuivre en ma­
thématiques, lui expliquent les arcanes de l’en­
seignement supérieur français que ses parents
ignorent: classes préparatoires, écoles d’ingé­
nieurs, thèse… Ses enseignants lui glissent dans
les mains le fil d’Ariane qui le conduira jusqu’au
doctorat. Sa carrière est sur les rails.
Depuis dix ans, 5000 jeunes ont été accompa­
gnés par 1500 mentors de Passeport avenir et
exfiltrés des statistiques de l’échec. Les établis­
sements partenaires des Cordées de la réussite
ont accompagné en moyenne 10000 jeunes par
an sur huit ans. Pour encourager cet enseigne­
ment parallèle du «savoir être», les associations
vont pouvoir compter sur leurs anciens. Après
dix ans d’existence, ses premiers «alumni» (élè­
ves du réseau repérés dans les collèges) vont in­
tégrer le marché du travail et «70% veulent deve­
nir tuteurs à leur tour», se félicite Ericka Cogne.
Une ébauche de cercle vertueux. p
éric nunes
La conférence « Comment éviter
l’autocensure ? » est consacrée à cette
question lors des événements O21. Retrouvez
le programme sur Le Monde.fr/O21.
«Certainsplafondsdeverresecumulent»
SelonPierreMathiot,déléguéministériel,ilfautstabiliserlespolitiquesd’éducation
P
ierre Mathiot est délégué
ministériel aux parcours
d’excellence et professeur
des universités à Scien­
ces Po Lille. Alors directeur de cet
établissement, il avait créé le pro­
gramme PEI, une préparation aux
concours des Instituts d’études
politiques destinée aux élèves de
condition modeste. Sa mission
actuelle a pour objectif le renfor­
cement de l’accompagnement
des jeunes les plus fragiles vers
l’enseignement supérieur.
Le système éducatif français
fonctionne comme « une
machine à sélectionner ».
Quelles en sont les victimes ?
L’histoire de notre système édu­
catif est imprégnée par l’élitisme
et, en miroir, par des formes mar­
quées de dévalorisation des par­
cours de formation qui ne le
seraient pas. Toutes les études
montrent que les victimes en
sont d’abord et avant tout ceux
qui ne maîtrisent pas les codes
de l’institution scolaire. Ils sont
rapidement mis dans des « ca­
ses» et assignés en quelque sorte
à suivre des parcours considérés
comme secondaires. Il s’agit donc
d’abord et surtout des enfants de
familles pauvres, issues ou non
de l’immigration.
Cela fait trente­cinq ans que
les zones d’éducation priori­
taire (ZEP) ont été créées et
que les politiques d’ouverture
d’accès à l’enseignement
supérieur se succèdent.
Cela n’a pas suffi…
Les études montrent que les
politiques d’éducation prioritaire
ont permis globalement de sta­
biliser les situations d’inégalité,
pas de les réduire. Si on doit cher­
cher des explications à cela, on
peut évoquer le manque de stabi­
lité dans la durée de ces politi­
ques, un ciblage sans doute insuf­
fisant au profit des territoires les
plus relégués jusque récemment,
mais aussi les «efforts» conduits
par les familles dites aisées pour
maintenir l’écart avec les autres
enfants: cours privés, coaching…
Comment briser les plafonds
de verre que constituent
les origines sociales, géogra­
phiques, communautaires
ou le genre ?
Ces enjeux sont majeurs pour la
société française de demain car
ils renvoient à diverses formes
de plafonds de verre, certains,
d’ailleurs, se cumulant. Les solu­
tions sont complexes et, à l’évi­
dence, variées. Elles passent, me
semble­t­il, par la stabilité dans la
durée des politiques publiques,
de leurs objectifs, de leurs finan­
cements et par la mise en réseau
des acteurs qui se mobilisent sur
le terrain au sein de l’éducation
nationale et dans son environne­
ment. Il faut vraiment franchir
un cap quantitatif et accompa­
gner beaucoup plus de jeunes
qu’on ne le fait aujourd’hui. p
propos recueillis par é. n.
s’orienter au xxie siècle | 7
0123
JEUDI 8 DÉCEMBRE 2016
En quête d’un métier fort de sens
Lebesoindesesentirutileàlasociétéetenaccordavecsoi­mêmedevientprépondérantdansleschoixd’orientation
O
n est une génération assez mobile
et adaptable. Comme rien n’est cer­
tain, autant essayer de faire ce qui
nous plaît », explique Aurélie
Rose, ex­responsable commer­
ciale dans les télécommunica­
tions désormais chargée de col­
lecter des fonds dans une organisation carita­
tive. Le goût des jeunes pour l’entrepreneuriat
social ou l’économie sociale et solidaire est
attesté par de nombreuses études. Trouver du
sens dans son métier est une motivation
importante, ce que reflète le succès de l’appel à
témoignages lancé par Le Monde.fr sur ce
thème. Elle est souvent associée à une mission
directement au service des autres. Mais pas
exclusivement.
Quand elle est entrée chez les pompiers
volontaires à 19 ans, Sandra Rossi, étudiante
en arts plastiques à Aix­en­Provence, est
« tombée amoureuse, comme d’un garçon
qu’on rencontre au coin de la rue. Aujourd’hui,
je ne pourrais pas faire un autre métier». Elle a
réussi le concours et exerce à Marignane. «Ce
qui me touche le plus, c’est la misère sociale:
nous intervenons beaucoup moins sur des ges­
tes de secours que sur des appels de gens qui ne
savent plus où se tourner.» Elle aime aussi le
côté «galvanisant» du départ en urgence pour
aller combattre les feux. Une sensation d’être
utile qui ne laisse aucune place à la peur.
Orthophoniste à Paris, Raphaëlle Strauss a
aussi eu un coup de cœur. Passionnée de litté­
rature, elle travaillait dans l’édition après un
master professionnel. Mais elle avait «besoin
d’œuvrer pour quelque chose ». Le film de
Julian Schnabel Le Scaphandre et le Papillon,
en montrant «combien la vie d’un homme bas­
cule parce que le cerveau, à la suite d’un acci­
dent vasculaire, n’est plus fonctionnel», a tout
changé. Quatre ans plus tard, elle est diplômée
d’orthophonie. « La vraie satisfaction, c’est
qu’il y a des gens dont ça change la vie : on le
voit dans le regard des parents, on le voit avec
des adultes qui, touchés par une aphasie,
retrouvent petit à petit la parole… C’est une
grande émotion, et le côté humain est pour moi
au­dessus de tout.»
«Ce que je fais aujourd’hui dans l’écoute, en
étant présent, en mettant en œuvre des théra­
pies cognitives et comportementales, c’est clai­
rement la meilleure façon de donner aux
autres», abonde Bastien Battistini, infirmier
dans une clinique psychiatrique de la région
de Metz. Guitariste depuis le plus jeune âge,
cet ultrasensible a d’abord étudié les arts du
spectacle et l’histoire de l’art. Mais l’art, son
exutoire, ne lui a plus suffi. La proximité avec
son frère, infirmier libéral, lui a mis la puce à
l’oreille. Il est devenu infirmier. Mais il dit :
«Ce que je fais, ce n’est pas une vocation, c’est
juste normal de le faire. Et c’est autant pure­
ment égoïste que purement altruiste: quand je
pense aux autres, je ne pense pas à moi!»
Utilité concrète
Car c’est moins le métier que la façon de
l’exercer qui donne du sens. Julie Lecardonnel,
assistante d’éducation, est ainsi devenue
tapissière décoratrice dans une démarche éco­
citoyenne: elle fait «du neuf avec du vieux».
Ses « bonnes notes », pourtant, l’avaient me­
née vers la fac. « Mais je me suis vite rendu
compte que j’étais très manuelle et je ressentais
cruellement un besoin de création.» C’est au
CFA de Joué­lès­Tours qu’elle a trouvé son
métier et obtenu son brevet technique des
métiers (BTM) de tapisserie, en alternance
dans un atelier de tissu à Orléans. «Il y a des
métiers dont il est très évident qu’ils ont du sens,
comme médecin ou infirmier. Le mien est très
décrié. Les gens râlent toujours », témoigne
aussi François Beillard, syndic à Pau. « Mais,
quand on a la chance d’avoir la confiance qui
s’instaure entre les clients et nous, notre rela­
tion dépasse le cadre de la gestion d’un appar­
tement, ils nous demandent des conseils dans
bien d’autres domaines. Et faire un ravalement,
ça embellit la ville», ajoute ce titulaire de deux
masters de droit.
Une utilité concrète que met également en
avant Hélène Frogneux, urbaniste­program­
miste: «Certes, on ne sauve pas de pingouins,
mais on contribue à faire des projets soutena­
bles et utiles.» Cette passionnée de géographie,
diplômée de l’Ecole d’urbanisme de Paris à
l’université Paris­Est Marne­la­Vallée, travaille
dans un bureau d’études sur des projets
d’équipements et d’aménagements urbains.
«Il faut dialoguer avec tous les futurs utilisa­
teurs des bureaux, des écoles ou des supermar­
chés, prévoir l’ergonomie des lieux ou analyser
la dimension des projets pour que l’argent
public soit bien utilisé…», explique­t­elle.
«Moi, quand je vais au travail, j’ai l’obligation
absolue d’amener chacun de mes avions à desti­
nation avec 100% de sécurité», conclut Thomas
Le Parlier, aiguilleur du ciel au CRNA de Reims,
qui contrôle l’espace aérien du quart nord­est
de la France. Ce métier, il y avait pensé, parmi
d’autres, car il y avait un contrôleur aérien dans
son entourage familial. «Nous avons une grosse
responsabilité, à laquelle nous sommes formés. Il
y a de l’adrénaline qu’il faut savoir doser et
gérer», explique­t­il. Il y voit plutôt un avan­
tage: une fois le travail terminé, le stress s’arrête
jusqu’au prochain service. Le meilleur indice
d’un métier qui a du sens? On s’y sent à l’aise. p
adrien de tricornot
Deux conférences traiteront de la question
du sens et de celle de la formation lors des
événements O21 : « Certains métiers ont­ils
plus de sens ? » et « Finalement, où se forme­
t­on le mieux pour demain ? ». Retrouvez
le programme sur Le Monde.fr/O21.
«Nepascéderaux
effetsdemode»
PourJean­PhilippeTeboul,d’Orientation
durable,le«sens»n’estpassuffisant
J
ean­Philippe Teboul est
directeur associé du cabinet
de recrutement Orientation
durable, spécialisé dans «les
métiers de l’économie sociale et so­
lidaire, et de l’intérêt général».
Parmi ses clients figurent de gran­
des ONG ou entreprises solidaires,
comme Oxfam, Aides, Emmaüs
ou Le Relais, des cabinets de
conseil en développement dura­
ble ou en responsabilité sociale
et environnementale (RSE), des
sociétés développant l’investisse­
ment socialement responsable, le
commerce équitable ou encore le
secteur du logement social.
Quel est le profil des candidats
que vous recrutez ?
Parmi les plus jeunes, il existe
une infinité de cas particuliers,
mais on distingue deux grandes
familles. D’une part ceux qui ont
suivi des études spécifiques: des
mastères spécialisés ou des
options RSE au sein de leurs cur­
sus d’école d’ingénieurs ou de
commerce. D’autre part ceux, un
peu moins jeunes, vers la tren­
taine, qui ont déjà réussi une pre­
mière expérience professionnelle
et cherchent un nouveau moteur.
Ce sont, en général, des gens
brillants, qui avaient à se prouver
quelque chose et qui, maintenant,
peuvent passer à une autre étape.
En revanche, nous écartons les
candidats pour qui le «sens» est
un critère suffisant en lui­même,
destiné à résoudre toutes leurs
interrogations et toutes leurs
aspirations. Le sens n’est pas un
métier : si vous n’aimez pas
l’audit, vous n’aimerez pas l’audit
environnemental. Avoir des va­
leurs n’est pas un élément distinc­
tif entre les candidats. Alors qu’ils
passent les deux tiers de leurs let­
tres de motivation à en parler!
Comment faire son choix
entre les différents débouchés ?
Il faut se poser des questions du
type: «Est­on plutôt réformiste
ou systémique?» Si on veut chan­
ger le monde, on ne sera pas heu­
reux aux Restos du cœur, car ce
n’est pas leur mission. On peut
aussi améliorer la vie des ouvriers
des usines asiatiques en étant
un acheteur responsable. Mais,
comme on ne voit pas le résultat,
on peut continuer à être malheu­
reux au quotidien si on ne sup­
porte pas la pression des négocia­
tions avec la grande distribution…
Et il ne faut pas céder aux effets
de mode. Les très grandes ONG
ont cinq à dix fois plus de deman­
des, pour les mêmes postes, que
des structures moins connues.
Beaucoup de candidats veulent
être consultants en RSE, alors que
le nombre d’offres proposées par
les cabinets spécialisés reste
limité. Au contraire, on en man­
que pour des postes très intéres­
sants qui ont un impact social
réel : chez les employeurs du
logement social ou dans le sec­
teur des relations sociales dans
l’entreprise, par exemple. Elargir
sa perspective peut décupler les
possibilités de succès. p
propos recueillis par a. de t.
{L’innovation}
c’est à Epitech
et nulle part ailleurs
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Titre d’ Expert (e) en Technologies de l’Information, code NSF 326n, Certification Professionnelle de niveau I (Fr)
et de niveau 7 (Eu) enregistrée au RNCP par arrêté du 12 août 2013 publié au J.O. le 27/08/2013.
Établissement d’enseignement supérieur privé. Association à but non lucratif (loi 1901). École reconnue par l’État.
Titre homologué par l’État niveau 1 (CNCP).
8 | s’orienter au xxie siècle
0123
JEUDI 8 DÉCEMBRE 2016
Cinq pistes pour trouver sa voie
«LeMonde»ainterrogé35acteursinnovantsduXXIe sièclepourguiderlesjeunesdansleurschoix
DÉCOUVRIR SA PASSION
«Que votre passion relève du domaine spor­
tif, artistique, culturel ou économique, peu
importe, estime Pierre Dubuc, cofondateur
d’OpenClassrooms. On sait que l’on va être bon
là où l’on prend du plaisir. Voilà ce qui est
important: il faut être extrêmement motivé par
quelque chose pour devenir excellent dans sa
spécialité. L’expertise et la passion sont liées.»
Oui, mais que faire si l’on n’a pas de passion?
«Trouvez­la! lance Jean­François Ouellet, pro­
fesseur à HEC Montréal. Tout le monde a une
passion, il s’agit simplement de la découvrir, en
voyageant, en allant à la rencontre des autres
pour comprendre ce qui véritablement nous
fait vibrer. » « Il faut le faire, répète l’ensei­
gnant, parce que sans passion, il est bien dif­
ficile de passer par­dessus les embûches et d’al­
ler jusqu’au bout des choses.»
OSER CHEMINER SANS SE LIMITER
L’important est de réussir à ne pas se brider.
« Ne pensez pas aux normes de la société, ne
vous fixez pas de limite », insiste Ismaël
Le Mouël, président de HelloAsso. « Lorsque
j’étais en classe préparatoire, raconte­t­il, je
visais une école d’ingénieurs. Mon professeur
de mathématiques m’avait alors dit: “Non, non,
ne vise pas celle­là, pense plutôt à celle tout en
haut et tu verras bien après.” De fait, cette
technique a assez bien fonctionné ! » « Il faut
faire sauter tous les blocages », poursuit
Amélie Edoin, directrice du Labo des histoires
Ile­de­France­Ouest. Et de marteler: «Les gran­
des écoles ne sont pas réservées à une élite. Elles
sont réservées aux gens qui ont les moyens de
réussir intellectuellement et qui se surpassent
pour réussir.»
Pour Thomas Schenck, cofondateur de
Connect’O, le défi est d’être « à la fois ambi­
tieux et humble: il faut être lucide sur ce que l’on
est, sur ses qualités comme sur ses défauts. Si
vous savez vous remettre en question, alors
l’ambition vous permettra d’aller très loin».
NE PAS S’ARRÊTER EN CAS D’ÉCHEC
« Oui, certains vont se tromper. Oui, leur
parcours ne sera pas linéaire, et alors ? lance
Sébastien Bazin, PDG d’AccorHotels. Oui, on a
le droit de connaître enfin son parcours
à 27 ans, car ça n’est pas parce qu’on a 22 ans
qu’on doit être en mesure d’appréhender le
monde de demain. Il y a des gens qui entrent
dans le monde du travail à 32 ans et ils sont
aussi bons, ça leur a pris cinq ans de plus, ça
n’a aucune espèce d’importance. » Ludwine
Probst, développeuse et cofondatrice de
Ladies of Code Paris, renchérit: «Ce n’est pas
parce que l’on décide à un moment de suivre
une voie que l’on ne pourra pas bifurquer.
Quand j’avais 16 ans, je me disais qu’il fallait
tout réussir tout de suite. En fait, quand on veut
aller d’un point A à un point B, on n’est pas
obligé d’aller tout droit, on peut tout à fait
passer par D, C, F… Il existe des passerelles :
je rencontre de nombreuses personnes qui
changent de métier à 30 ou 35 ans et qui
apprennent encore.»
MULTIPLIER LES EXPÉRIENCES
«Pour apprendre à se connaître, le conseil
numéro un que je donnerais est de se lancer dans
des projets. Le simple fait de réaliser quelque
chose vous apprend à mieux vous comprendre.
Cela vous transforme également», estime le ma­
thématicien Cédric Villani. Pour Marie Ekeland,
cofondatrice du fonds d’investissement
Daphni, ces expérimentations permettent de
«sortir de sa zone de confort et de son environne­
ment habituel». Il est important d’«aller à la
rencontre de différents mondes, poser des ques­
tions et ne pas avoir peur de dire “je ne sais pas,
expliquez­moi”. Et ce, jusqu’à ce que l’on ait com­
pris», note­t­elle.
«Regarder à droite et à gauche, faire des sta­
ges dans des entreprises variées pour vraiment
savoir ce qui vous plaît et ce qui ne vous plaît
pas. Ce travail personnel est indispensable »,
estime Sylvain Kalache, cofondateur de la
Holberton School aux Etats­Unis. C’est finale­
ment ce côté «touche à tout, curieux, qui sort
des sentiers battus que les start­up valorisent
déjà et qui va devenir la norme dans les années
à venir», ajoute Philippe Wagner, cofondateur
de Captain Contrat. L’avocate Lise Damelet
encourage également cette curiosité. «Butiner
sur des fleurs auxquelles on n’avait pas néces­
sairement pensé» permet de développer une
pensée plus large, transversale, estime­t­elle,
une pensée qui permettra d’être plus adapté
au monde de demain.
CULTIVER SA CURIOSITÉ
Il faut tout lire, affirme le prospectiviste et
conseiller de la Cité des sciences Joël de
Rosnay: «Des livres philosophiques de grands
penseurs, pour acquérir les fondamentaux, à la
presse internationale, pour se familiariser avec
la géopolitique. C’est grâce à cette culture que
l’on acquiert des racines nous permettant
de construire une vision systémique globale.»
Marita Cheng, fondatrice de 2Mar Robotics,
abonde dans ce sens. «Soyez curieux du monde.
Apprenez autant que vous pouvez, à l’école et en
dehors.» Une ouverture d’esprit que défend
aussi le paléoanthropologue Pascal Picq: «Pour
être créatif, il faut regarder ce qu’il se passe
ailleurs, lire, se documenter, échanger avec les
autres. On peut trouver des idées géniales en
allant voir un match de foot, pourquoi pas.»
Le meilleur conseil est de «ne jamais cesser
d’apprendre, ne jamais penser que l’on a fini son
développement et qu’on ne peut rien faire ou
apprendre de nouveau», conclut, au Kenya, Ory
Okolloh, investisseuse au sein de la fondation
Omidyar Network. «Je lis toujours beaucoup,
j’essaie des choses différentes. Cela me main­
tient connectée et m’ouvre à de nouvelles oppor­
tunités. On n’arrête jamais d’apprendre, et pas
seulement de l’école : on apprend aussi des
autres, des livres, des magazines, des amis, d’In­
ternet. La connaissance est une quête infinie.» p
laure belot
Tout au long d’O21 seront diffusées des vidéos
de 35 personnalités: Henri Atlan, Sébastien
Bazin, Marita Cheng, Laure Courty, Boris
Cyrulnik, Lise Damelet, Pierre Dillenbourg,
Paul Duan, Pierre Dubuc, Louison Dumont,
Amélie Edoin, Marie Ekeland, John Hennessy,
Tatiana Jama, Sylvain Kalache, Sénamé Koffi
Agbodjinou, Ismaël Le Mouël, Frédéric
Mazzella, Bertin Nahum, Xavier Niel, Ory
Okolloh, Jean­François Ouellet, Pascal Picq,
Ludwine Probst, Ben Rattray, Joël de Rosnay,
Pandora Samios, Thomas Samuel, Thomas
Schenck, Valentin Stalf, François Taddei,
Cédric Villani, Charles­Edouard Vincent,
Philippe Wagner et Aimee van Wynsbergh.
PARIS | SINGAPOUR | RABAT | MAURICE
© Photos : iStock - J.M. SICOT - Conix RDBM Architects - 706851116.
P
our trouver sa voie, il faut être à
l’écoute de soi­même », conseille
depuis le Togo Sénamé Koffi
Agbodjinou, architecte et anthro­
pologue, conscient néanmoins que
l’introspection n’est pas facile
quand on a entre 16 et 20 ans. «Ce
n’est pas évident d’entendre sa petite voix,
confirme Bertin Nahum, fondateur de Med­
tech (Zimmer), mais la vie est trop courte pour
s’engager dans un chemin qui ne nous corres­
pond pas.» Pour Aimee van Wynsberghe, pré­
sidente de la fondation Responsible Robotics
aux Pays­Bas, l’idéal est même d’«aimer ce que
l’on fait, au point de ne plus avoir l’impression
de travailler». Et d’être ainsi capable de s’inves­
tir totalement dans son projet.
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