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UNIVERSITÉ LYON 2 Institut d'Etudes Politiques de Lyon A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une politique du symbole Charlie WEIBEL Diplôme : Gestion de projet, coopération et développement en Amérique latine Séminaire : Développement et développement durable en Amérique latine 2007 – 2008 Sous la direction de M. Jacky Buffet er Soutenu le 1 septembre 2008 Jury : MM. Bernard Lamizet et Jacky Buffet Table des matières Remerciements . . Introduction . . 1/ Du déclin de la Candelaria . . 1.1 La relativité du déclin . . 1.1.1 Analyse comparative . . 1.1.2 Un déclin naturel . . 1.2 La subjectivité du déclin . . 1.2.1 L'élite comme référence du bien être. . . 1.2.2 Mixité sociale et inégalités . . 1.3 L'historicité du déclin . . 1.3.1 L'idéologie modernisatrice . . 1.3.2 Un jugement rétrospectif à portée hégémonique . . 2/ « Récupérer » la Candelaria . . 2.1 Un État qui réaffirme sa présence . . 2.1.1 Un État bâtisseur . . 2.1.2 Un État médiateur . . 2.2 La sécurité par la culture citoyenne . . 2.2.1 Le paradoxe du centre . . 2.2.2 Du service public au bien public: la sécurité citoyenne . . 2.3 Participez! . . 2.3.1 La participation institutionnalisée . . 2.3.2 La socialisation . . 3/ La Candelaria comme moyen . . 3.1 Un État présent partout . . 3.1.1 Symbolique de la centralité . . 3.1.2 La rénovation autocrate . . 3.2 Créer une nation . . 3.2.1 Un État horizontal . . 3.2.2 Un État vertical . . 3.3 Du gouvernement à l'État . . 3.3.1 L'enjeu de la continuité . . 3.3.2 Symbolique de la temporalité . . Conclusion . . Bibliographie . . Ouvrages . . Articles issus d'ouvrages . . Textes officiels . . Rapports et compte rendus . . Presse . . Documents issus d'Internet . . 5 6 10 10 10 11 14 14 16 20 20 22 28 28 28 31 33 33 36 40 41 44 48 48 49 50 52 53 58 61 61 63 67 69 69 70 71 72 73 73 Annexe . . Annexe 1 . . Annexe 2 . . 75 75 75 Remerciements Remerciements Je tiens à remercier tout d'abord mon directeur de mémoire, Monsieur Jacky Buffet pour son investissement, ses conseils et sa disponibilité. Il a su me transmettre son enthousiasme pour la recherche et sa rigueur dans le travail. J'en profite surtout pour adresser mon affection à toutes les personnes qui m'ont soutenu depuis le début. À Graziella et Jean-Charles Weibel, je dédie ce mémoire. Je n'aurais jamais pu en arriver là sans eux. À Typhaine Briand, Marie Mahin, Louise Poncet, Damien Imbert, Alexis Minot, Shanti Moratti et Jeremy Trouilh, à qui je suis lié pour toujours. À Charly Streff, Louis Aubert, Franck Bourbon et Matthieu Plaidy pour cette année, et toutes les suivantes. À Cristian Rouillé enfin, pour l'inspiration qu'il me donne chaque jour. Charlie WEIBEL 5 A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une politique du symbole Introduction Savez-vous quelle ville a remporté le Lion d'Or 2006 à la Biennale d'architecture de Venise? Quelle ville a été nommée Capitale Mondiale du Livre et Capitale Ibéro américaine de la Culture en 2007? Il s'agit de Bogota, la capitale de la Colombie. Cela peut sembler surprenant voire paradoxal pour une ville dont l'image reste plutôt associée à la violence et à la drogue. Bien sûr, il y a eu 1985, la prise du Palais de Justice par un groupe guérillero, action commanditée par Pablo Escobar, le chef du cartel de Medellin. Mais des faits historiques aux stéréotypes, il n'y a qu'un pas. Pourtant, Bogota a été surnommée l'Athènes sud-américaine. Son petit centre historique est le témoin privilégié de cette vocation culturelle mais aussi des inévitables blessures du temps. Sa conservation est un enjeu d'autant plus important que le reste de la ville ne s'est construit que très récemment. Entre modernité et bidonvilles, il constitue donc un trésor patrimonial pour tout le pays. Les limites de ce quartier sont floues. La Candelaria est le nom donné à la zone qui entoure l'église du même nom. Il est devenu peu à peu synonyme de centre historique bien que cette dernière appellation recouvre un territoire légèrement plus étendu. Néanmoins, les deux termes peuvent être utilisés indifféremment depuis qu'en 1977, on a créé une sous-division administrative spéciale sous le nom de mairie « mineure » de la Candelaria. Cette nouvelle entité regroupant de fait l'essentiel des édifices coloniaux, le processus métonymique s'est imposé progressivement à la population. Néanmoins, l'étude de ce territoire requiert d'abord de se pencher sur son environnement extérieur afin de comprendre les enjeux de sa restauration. Pendant longtemps, le développement urbain de la capitale colombienne est resté très limité, notamment à cause de la difficulté d'accéder au plateau bogotanais, à 2600 mètres d'altitude. En 1851, la ville comptait encore autour de 30 000 habitants. Ce qui est aujourd'hui le centre était autrefois la ville entière. Bogota a initié sa transition de grande ville à métropole au début du XXème siècle. Des quelques 120 000 habitants de 1912, on est passé à 650 000 1 2 3 en 1950 pour frôler les 7 millions aujourd'hui . La Candelaria, avec ses 27 000 habitants représente désormais à peine 0,4% de la population de la ville. 4 Située au pied d'une chaîne de montagne , Bogota s'est étendue à partir de la Candelaria vers le Nord et le Sud puis vers l'Ouest en direction de la plaine de la Sabana. La capitale colombienne s'étend du Nord au Sud sur une trentaine de kilomètres et d'Est 1 Bushnell David, Colombia : una nacion a pesar de si misma. De los tiempos precolombinos a nuestros dias. Editorial Planeta, Bogota, 1994, Apéndice 1, p.391 2 Chiffres Departamento Administrativo Nacional de Estadistica, http://www.dane.gov.co/censo/ , (page consultée le 13 août 2008) 3 4 6 Chiffres Mairie de Bogota, http://www.bogota.gov.co/decide.php?patron=1.090717, (page consultée le 13 août 2008) Cerros del Monserate y de Guadalupe Charlie WEIBEL Introduction 5 en Ouest sur environ 15 km , soit une étendue de 384,3 km2. La Localité de la Candelaria 6 couvre une superficie de 184 hectares ce qui représente seulement 0,5% de l'aire urbaine. Malgré tout, elle conserve et accentue même son rôle de centre avec le développement de la ville. Dans la première moitié du XXème siècle, c'est dans ce petit territoire que se concentrent l'élite colombienne et les principales activités politiques, économiques et financières. Mais la rapidité de cette croissance démographique et spatiale rend difficile toute planification du développement urbain. Bogota a donc connu une longue période caractérisée par l’absence de gouvernance stable et efficace. Les grands travaux ont toujours servi des intérêts politiciens sans qu’il existe de cohérence dans la vision de la ville sur le long terme. Le célèbre architecte Le Corbusier se rend à Bogota en 1947 et élabore un plan d’urbanisme pour la ville qui ne sera jamais mis en œuvre. C’est le général Rojas Pinilla qui a impulsé en tant que Président la construction de l’aéroport international et le développement de l’Ouest de la ville dans les années 1950. De même, le quartier Kennedy a été construit grâce aux aides de Washington dans le cadre de l’Alliance pour le Progrès dans la décennie des années 1960. Les institutions locales sont un amoncellement bureaucratique inapte à gérer la croissance incontrôlée de la population. Ce diagnostique d'impuissance des pouvoirs publics se retrouve également au niveau étatique. La Colombie vit au rythme d'un conflit interne qui dure depuis 60 ans sans qu'aucun gouvernement n'ait réussi à trouver une issue, que ce soit par la négociation ou par les armes. La Candelaria en est d'ailleurs la première victime. En 1948, l'assassinat du leader libéral Jorge Eliecer Gaitan dans le centre historique débouche sur une vague de violence et de destruction connue sous le nom de bogotazo. De nombreux bâtiments à grande valeur architecturale sont ainsi détruits. Cet évènement déclenche la période de la Violencia, 7 prémices du conflit actuel. Suite à cet évènement, on commence à parler du déclin de la Candelaria. Dans les années 1980, le centre historique est associé aux zones les plus dangereuses de la ville. Il est devenu une zone de non-droit. Nous allons nous pencher sur la politique de récupération de ce quartier mené par l'État à partir des années 1990. Cette politique consiste d'abord à rénover des bâtiments classés mais endommagés par de nouveaux usagers souvent moins soucieux de la conservation du patrimoine. Mais elle suppose aussi la reconquête physique de ce territoire qui est sorti de l'aire de domination des pouvoirs publics. Cette démarche implique nécessairement un travail de retour sur soi afin de s'affranchir tant que possible de ses propres représentations. Ainsi, en terme de rénovation urbaine, nous devons souligner que les standards ne sont évidemment pas les mêmes en France et en Colombie et à beaucoup d'égard, la Candelaria peut nous apparaître comme un quartier encore relativement dégradé aujourd'hui. Mais il s'agit également d'un retour sur des valeurs dont on a tendance à penser qu'elles sont universelles. C'est pourquoi nous nous attacherons à questionner des concepts comme la démocratie ou le progrès. Nous avons fait le choix d'utiliser certains concepts relevant du marxisme, notamment le concept d'hégémonie chez Gramsci. Il s'agit là d'une perspective originale sur le sujet. Cela tient sans doute à la faiblesse intrinsèque de la gauche en Colombie que souligne 5 Chiffres Mairie de Bogotá, http://www.bogota.gov.co/portel/libreria/php/frame_detalle.php?h_id=357&patron=01.0101 , (page consultée le 13 août 2008) 6 7 Chiffres Mairie de Bogota, http://www.bogota.gov.co/decide.php?patron=1.090717 , (page consultée le 13 août 2008) Bushnell David, Op. Cit.,p.276-292 Charlie WEIBEL 7 A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une politique du symbole 8 David Bushnell dans l'introduction à son livre sur l'Histoire de ce pays. Mais cela traduit aussi la prédominance dans la recherche sur la rénovation urbaine d'une approche socioéconomique classique. La réhabilitation d'un quartier est ainsi abordée en termes de sécurisation, de production d'opportunités de travail ou encore de rénovation de l'espace public. Nous utiliserons bien sûr ces concepts mais en les inscrivant dans un modèle d'analyse plus vaste. Cela nous permettre d'introduire de nouvelles notions nécessaires à une compréhension des enjeux profonds de cette politique de récupération, comme l'imposition des valeurs. Le choix de cette perspective n'est finalement qu'une mise en forme théorique d'une approche dont tous les chercheurs reconnaissent implicitement la pertinence. En témoigne, la récurrence surprenante du terme élite dans tous les textes universitaires qui traitent de la question de la récupération du centre historique. Comme le souligne Joël Pailhé dans son article sur l'influence marxiste dans la géographie française, le débat doit être dépassionné: « Il ne s’agit pas de se situer sur le terrain des "influences" qui restent dans le domaine subjectif, mais sur celui des questions concernant la pratique géographique. (...) Les concepts et les catégories portant l’empreinte du marxisme ne sont pas réservés aux "radicaux". Sans être réduit à une méthode trouvant sa place dans le discours académique, il conserve son ambition. Ne pas fournir des réponses toutes faites, mais au contraire, poser 9 des questions. » Cette perspective permet de s'affranchir de la division souvent artificielle établie entre les différents niveaux institutionnels. En effet, cela tend à laisser penser qu'il n'existe pas d'intérêt de classe, représenté par l'appareil étatique, dans la récupération de la Candelaria. Cette vision est renforcée par le système décentralisé qui laisse à Bogota, en tant que district capital, une large autonomie. De plus, on assiste depuis plusieurs années à une polarisation politique entre Bogota et le reste du pays. L'accession d'Alvaro Uribe à la présidence en 10 2002 sur un programme de guerre contre les FARC contraste avec la situation de Bogota où, depuis 1992, l'administration est davantage marquée à gauche, si l'on considère par exemple la préoccupation des différents maires pour la question sociale. Il nous semble qu'aborder la question de la Candelaria en termes de classe dominante et dominée permet de considérer de façon plus précise les enjeux des différentes actions menées dans le cadre de la politique de récupération. Ce travail consiste donc à montrer comment la récupération du centre historique de la capitale colombienne peut contribuer au renforcement du rôle dirigeant de l'élite grâce au mécanisme de représentation de leur action et à la stratégie d'appropriation de la charge symbolique de ce quartier. Nous pensons pouvoir démontrer que la politique culturelle constitue dans ce contexte un outil de domination efficace. Nous soulignons néanmoins que ce travail ne doit pas laisser penser que la Colombie est un pays intrinsèquement inégalitaire. Elle est ouverte sur le monde et nous n'omettons pas les efforts réalisés par les autorités pour favoriser le développement économique et une plus grande justice sociale. Nous ne prétendons pas déterminer une tendance qui représenterait à elle seule l'évolution interne d'un pays aussi complexe que la Colombie. 8 9 Ibid., p.14 Pailhé Joël, « Références marxistes, empreintes marxiennes, géographie française », Géocarrefour, Vol. 78/1, 2003 (mis en ligne le 29 mai 2007), URL : http ://geocarrefour.revues.org//index102.html (page consultée le 15 août 2008) 10 8 Forces Armées Révolutionnaires de Colombie Charlie WEIBEL Introduction Afin de corroborer notre hypothèse de travail, nous nous sommes basés sur l'étude de la politique culturelle de l'État dans sa dimension conflictuelle. Si l'on se représente l'État comme un instrument de domination pour l'élite, la politique culturelle devient un facteur d'hégémonie car c'est d'elle que dépendent implicitement les questions d'éducation, de sécurité ou encore d'économie. Les mécanismes de représentation de l'action et d'appropriation symbolique ne peuvent être compris qu'à la lumière du culturel. Pour ce faire, nous nous sommes appuyés sur un corpus qui privilégie les documents officiels, émanent de l'État et de la mairie, plans de développement, discours mais aussi publications. Les articles universitaires ont été d'une aide précieuse car, bien que traitant souvent de questions plus techniques, ils ont permis de corroborer par des faits mesurés des tendances jusque là simplement observées lors d'une année sur place. Le raisonnement s'est construit autour de trois idées. Il s'agit d'abord de montrer que le déclin de la Candelaria n'est pas absolu. Au contraire, ce discours qui a servi à légitimer la politique de récupération apparaît comme une exagération, une interprétation et une reconstruction (1). On se penchera ensuite sur l'ampleur des moyens déployés pour la récupération du centre historique pour assurer la visibilité de l'élite, sécuriser le quartier et diffuser certaines valeurs (2). Nous verrons enfin que cette politique s'inscrit dans un processus de consolidation de l'État, sur le territoire, la population et la machine gouvernementale (3). Charlie WEIBEL 9 A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une politique du symbole 1/ Du déclin de la Candelaria Tout travail sur la politique de récupération d'un quartier doit d'abord questionner le 11 fondement même de cette politique c'est à dire le constat du déclin. Bien qu'il soit communément accepté en ce qui concerne la Candelaria, il nous apparaît important d'étudier objectivement l'évolution du quartier sur une plus longue période afin de mieux saisir par la suite les enjeux de la récupération au cours des vingt dernières années. Nous travaillerons donc sur la relativité, la subjectivité et l'historicité du déclin. 1.1 La relativité du déclin Dans quelle mesure peut-on parler de déclin? Dans le contexte de Bogota, le terme de déclin pour un quartier a-t-il le même sens qu'à Paris ou Londres? Un quartier est-il autonome au point de pouvoir décliner de lui même? 1.1.1 Analyse comparative Bogota est marquée par un clivage spatio-économique traditionnel entre Nord et Sud. On peut ainsi dire grossièrement que le Nord de la ville est riche et le Sud est pauvre. Dans ce contexte, le centre apparaît donc comme une position intermédiaire qui bien que souffrant de la proximité avec les quartiers les plus dégradés de la ville n'en reste pas moins en contact 12 avec les zones plus dynamiques. Le Sud apparaîssait donc comme le récepteur naturel des politiques publiques de réhabilitation intégrale de quartier. D'ailleurs, les indicateurs de qualité de vie à Bogota qui incluent plusieurs paramètres commela santé ou la sécurité, confirment cette vision. En 1997, l'indice de Bogota était de 75,5. Usaquén au nord de la ville était au dessus de la moyenne avec un indice de 81,1. Ciudad Bolivar, quartier pauvre du sud de la ville avait lui un indice de 69,4. Quant à la localité de Santa Fe située dans le centre de la ville, l'indice était de 68,7. 11 12 13 Jaramillo Samuel, « El Destino del Centro de Bogota » in Desarrollo y Sociedad N°10 CEDE – Uniandes, Bogota, 1982 Cette ambivalence du centre, déchiré entre Nord et Sud, a été soulignée dans le cas de la politique de construction de logements neufs pour attirer les classes moyennes dans le centre: un premier projet situé dans la partie nord du centre, « Las Torres del Parque », fut un succès retentissant. Dans l'optique de reproduire cette expérience, on employa les mêmes architectes afin de construire un autre ensemble cette fois dans la partie sud à quelques trois kilomètres seulement de son modèle. Néanmoins, le projet de « Nueva Santafe » fut un échec. Les classes moyennes boudèrent ces nouveaux appartements qui, bien que bénéficiant du même confort que ceux des « Torres del Parque », étaient entourés de quartiers populaires. Cf. Idem, « Reflexiones sobre las politicas de recuperacion del centro (y del centro historico) de Bogota », CEDE – Uniandes, http://economia.uniandes.edu.co/documentocede2006-40.htm, p. 22. 2006 13 Escovar Wilson-White Alberto, « Recuperacion del Patrimonio Cultural Construido (1980-2006) » in Bogota: El Renacer de una Ciudad, Editorial Planeta Colombiana et Instituto Distrital de Patrimonio Cultural, 2007, p.67 10 Charlie WEIBEL 1/ Du déclin de la Candelaria Comme l'a montré Eduardo Rojas, on peut établir un modèle type en ce qui concerne 14 le déclin des centres historiques des villes latinoaméricaines. Celui-ci trouve son origine dans la perception d'une perte d'attractivité pour les activités les plus nobles qu'il s'agisse des activités résidentielles ou commerciales par exemple. Ces activités tertiaires supérieures patissent d'erreur de planification ou d'une omission de l'État qui se caractérise par une insécurité croissante et une congestion des voies de communication. Les résidences des groupes à hauts ou moyens revenus accompagnent ce mouvement. Le déclin se caractérise alors par plusieurs éléments objectifs: les cours de l'immobilier chutent, les investissements diminuent et on ne rénove plus les édifices. L'espace public est alors investi par une population flottante comme des vendeurs ambulants qui aggravent l'insécurité et la congestion et alimentent un cercle vicieux. Cependant, dans le cas de la Candelaria, le mouvement s'est scindé en deux. Samuel Jaramillo souligne qu'il faut distinguer l'émigration des populations aisées du déplacement 15 des activités tertiaires supérieures . Si la première phase de déclin débute dès les années 1950, les activités tertiaires supérieures, elles, restent sur place. On profite d'ailleurs de la révolte populaire du Bogotazo et des destructions qu'elle a entraînées pour moderniser le centre ville en élargissant par exemple la Avenida Décima pour l'adapter au trafic routier. La construction d'immeubles reste importante dans le centre et connaît son apogée dans la fin des années 1960. Ce n'est qu'à partir du milieu des années 1970 que les activités tertiaires supérieures quittent elles aussi le centre. Ce décallage entre les deux mouvements explique sans doute qu'une partie des activités tertiaires supérieures se soit malgré tout maintenue dans le centre. En effet, 16 la Candelaria n'a jamais cessé d'être le centre culturel de la ville. Elle compte en son sein des institutions des plus prestigieuses comme le Théâtre Colon, le Musée de l'or ou la Bibliothèque Luis Angel Arango. Mais c'est surtout grâce à la concentration exceptionnellement élevée d'universités que le centre a pu conserver un certain dynamisme, ne serait-ce que par l'afflux quotidien de milliers d'étudiants. On peut citer pour les plus connues l'Université de los Andes, l'Université del Rosario ou encore l'Université Externado. Ces établissements privés accueillent les enfants des classes les plus aisées en Colombie et ce mouvement pendulaire garantit au centre une vitalité importante pendant la journée. Enfin, il faut souligner que la Candelaria est restée le siège du pouvoir étatique. La Place Bolivar est bordée par la Casa de Narino, siège de la présidence, le Parlement, et le Palais de Justice. Si l'on ajoute à cela que la Place est dominée sur son flan Est par la cathédrale de Bogota, on comprend l'importance de cette place et l'impact symbolique de la concentration des pouvoirs sur un si petit territoire. On constate donc, tant à l'échelle latinoaméricaine qu'à celle de la ville, que le déclin de la Candelaria est à relativiser. Il s'agit maintenant de se pencher sur les critères habituellement employés pour soutenir la thèse du délin afin d'en questionner la pertinence. 1.1.2 Un déclin naturel 14 15 16 Rojas Eduardo, Volver al Centro. Recuperacion de areas urbanas centrales, Banco Interamericano de Desarrollo, 2004 Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.7 Müller Jan Marco, « Centro historico versus periferia urbana » in Ambiente N°94, Buenos Aires, 2004, p.12 Charlie WEIBEL 11 A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une politique du symbole A la base des politiques de récupération du centre, on a très souvent une dénonciation de la gestion publique avant les années 1990. Les autorités n'ont pas sur faire face à l'explosion démographique qu'a connue Bogota à partir de la première moitié du XXème 17 siècle. On peut trouver une explication à cela dans la spécificité du processus de croissance urbaine qu'a connu la capitale colombienne. En effet, contrairement aux autres villes latinoaméricaines ou européennes, il n'y a pas eu de véritable industrialisation qui permettrait d'expliquer un exode rural massif. Le développement de Bogota relève donc davantage de son rôle politique et de la concentration d'activités bureaucratiques. 18 L'industrialiation en Colombie s'est plutôt concentrée sur la ville de Medellin dans les plaines tandis que Carthagène, sur la côte Caraïbe, était le coeur de l'activité commerciale. Cette spécificité a mécaniquement retardé le développement de la ville. Son aura sur le reste du pays reposait sur sa centralité dans le territoire bien plus que sursa domination économique. Le phénomène d'explosion urbaine qui touche Bogota est donc tardif. Il est le fruit de la croissance économique que connaît la Colombie grâce aux exportations de 19 café et la stabilité politique qu'elle entraîne. Bogota apparaît comme un nouveau foyer d'emplois. La ville voit donc affluer des populations de tout le pays. La pauvreté et le conflit contribueront à renforcer la migration vers la capitale au fil du siècle. En 2005, Bogota était quatre fois plus peuplée qu'en 1965, onze fois plus qu'en 1950 et vingt-huit fois plus qu'en 1930. 20 Cette croissance effrenée a eu des effets désastreux sur la ville: « Le problème de Bogota – et de la Colombie en général –, c'est que son évolution dans les années 1970 et 1980 n'a pas été accompagnée d'une nouvelle phase d'institutionnalisation du social. Ce retard pour entrer dans une nouvelle phase de construcion d'institutions publiques efficaces a donné lieu à une paralysie dans la construction d'une société moderne. L'administration (nationale, intermédiaire, municipale) n'a pas été capable de générer une couverture de qualité pour les services publics basiques et beaucoup d'habitants furent abandonnés à leur sort. » 21 Là encore, les conséquences pour la Candelaria pourraient confirmer la thèse du déclin. En effet, avant l'explosion urbaine, la Candelaria n'était pas seulement le centre de Bogota. De fait, elle était Bogota. Le développement de la ville était resté très limité et la ville s'était étendue autour sans que cela ne remette en cause la prépondérance du centre et la gestion relativement aisée de l'aire urbaine. Pourtant, en 1993, la Candelaria ne représentait plus que que 0,5% de la population de Bogota. Sur les deux périodes 1973-1985 et 1985-1993, 22 elle a perdu respectivement 1,03 et 1,49% de sa population . La perte d'importance relative est un phénomène qui suit mécaniquement la croissance de la ville. Par exemple, lorsque la ville est de taille réduite, le centre réunit des activités qui concernent toute l'aire urbaine et d'autres d'ordre bien plus local. Avec l'expansion, il est naturel que ces dernières 17 18 Martin Gerard, « La reinvencion de lo publico en Bogota » in Bogota: El Renacer de una Ciudad, Op. Cit., p.93 Suarez Mayorga Adriana, La ciudad de los elegidos: crecimiento urbano, jerarquizacion social y poder politico, Bogota, 1910-1950, p.37-85 19 20 Bergquist Charles W., Cafe y conflicto en Colombia, 1886-1910, Fondo Rotario de Publicaciones FAES, Medellin, 1981, p.290 Jaramillo, Samuel, 2006, Loc. Cit., p.14 21 22 Martin Gerard, 2007, Loc. Cit., p.93 (traduit de l'espagnol par nos soins) Chiffres du Departamento Administrativo de Planeacion Distrital cités par Red Bogota. secciones/localidades/candelaria/demografia.htm (page consultée le 3 août) 12 Charlie WEIBEL http://redbogota.com/lopublico/ 1/ Du déclin de la Candelaria aient tendance à accompagner la migration des populations et créer de nouveaux souscentresubordonnés au centre traditionnel. Le déclin relatif n'a donc rien d'un phénomène négatif et est au contraire un signe de la vitalité de la ville. 23 De plus, il apparaît important de souligner l'importante production de normes en faveur de la conservation du patrimoine, et ce avant même qu'on parle de politique de récupération du centre. La loi 163 de 1959 pour la défense et conservation du patrimoine historique, artistique et des monuments publics de la nation est devenue une référence. C'est dans cet esprit que le Bureau de Planification de Bogota organise la zonification de la ville la même année. Il isole une « zone historique » et met en place une clasification des édifices selon leur valeur pour le patrimoine: D'abord les édifices dont la conservation est impérative. Puis les édifices de première et de seconde importance. En 1963, l'article 4 du décret 264 donne à toute la partie ancienne de Bogota le titre de monument historique ce qui confère à toute la Candelaria la protection légale maximum pour l'époque. Le décret 119 de 1968 modifie la zonification de la ville et divise le centre en petits quartiers dont certains sont identifiés comme « zones résidentielles dégradées », par exemple Las Aguas, Santa Barbara, Las Cruces ou Egipto. D'autres sont classées « zones de caractère mixte détériorées et mal utilisées » comme San Façon ou Estacion de La Sabana. L'accord 7 de 1979 qui traite de la conservation environnementale, architecturale et urbaine souligne la spécificité du centre historique dans les politiques de conservation. Cet accord donne naissance à la Junte de Protection du Patrimoine Urbain qui reçoit autorité pour déterminer les aires et immeubles de conservation. Grâce à cette norme, toustravaux destinés à la restauration ou la conservation 24 d'édifices classés étaient exonérés d'impôts. Le déclin de la Candelaria était donc déjà pris en compte par les autorités avant qu'on ne lance les politiques de récupération. Finalement, on peut même s'interroger sur l'opportunité de ces règlementations. En effet, la profusion de normes adoptées à partir des années 1960 n'a pas été tout le temps suivie d'actions concrètes pour restaurer le patrimoine. Mais le plus grave fut que ces normes, bien qu'efficaces dans les textes, devinrent peu à peu inapplicables en raison 25 de leur enchevêtrement et de l'insécurité juridique qu'elles généraient. Les différents entre entités en charge du dossier, que ce soit au niveau national, districtal ou local, mais également la concurrence entre les entrepreneurs étrangers et les professionnels 26 nationaux ont empeché la mise en oeuvre d'un programme commun d'action. Face à cela, les initiatives citoyennes pour protéger le centre semblaient donc vouées à l'échec. Les habitants de la Candelaria ont en effet organisé des actions très tôt pour promouvoir la défense du patrimoine. Ils se sont par exemple mobilisés contre la construction de la Bibliothèque Luis Angel Arango en 1955 et son extension dix ans plus tard qui supposaient à chaque fois des destructions d'édifices protégés. Ni l'État, ni le district, ni la localité ne 27 sont intervenus pour protéger ces bâtiments et ont au contraire favorisé le projet. Le déclin qu'on présente donc comme un fait isolé et autonome a en fait été favorisé par les blocages de la bureaucratie. 23 24 Jaramillo Samuel, Ibid., p.16 Escovar Wilson-White Alberto, « Recuperacion del Patrimonio Cultural Construido (1980-2006) » in Bogota: El Renacer de una Ciudad, Op . Cit., p.60-61 25 26 27 Centro Habitat Urbano, Promocion de la Candelaria como Distrto Turistico, Camara de Comercio de Bogota, 2007, p.19 Suarez Mayorga Adriana, Loc. Cit., p.72 Müller Jan Marco, Loc. Cit., p.11 Charlie WEIBEL 13 A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une politique du symbole Le déclin a donc été exagéré pour justifier une politique de récupération. Cet aspect nous amène donc à penser que cet effort étatique relève d'une volonté consciente et donc subjective. 1.2 La subjectivité du déclin Le déclin est-il perçu comme tel par tous? Comment se présente un affrontement de subjectivité lorsqu'il a pour enjeu le devenir d'un territoire habité? Quels sont les moyens utilisés par ceux qui réussissent à imposer leur vision pour légitimer leur action? 1.2.1 L'élite comme référence du bien être. Le visage de Bogota a été profondément marqué par la subjectivité des élites locales. Ce sont elles qui ont modelé la ville en fonction de leur système de valeur et goût. Auparavant, vivre près de la Place Bolivar était un luxe. Les élites étaient même communément appelées « Ceux de la Place ». Mais le début du XXème siècle est synonyme de course effrenée vers le progrès. Il s'agit pour la bourgeoisie colombienne d'être pleinement insérée dans 28 la dynamique du capitalisme international. Pour cela, la ville devient un indicateur du développement. On passe par exemple d'une norme horizontale pour les édifices à la norme verticale pour accueillir les activités financières, éducatives et gouvernementales. « Pour la majorité des Bogotanais éclairés du début du XXème siècle, remplir ces dispositions était 29 la condition sine qua non du progrès » . En 1917, on crée la Société d'Embellissement puis, en 1919, la Société des Améliorations Publiques dont le but avoué est de montrer une image moderne et civilisée de la capitale colombienne aux investisseurs. 30 Dans cette perspective, le modèle de la ville coloniale apparaît dépassé. Les bâtiments limités à trois étages ne sont pas compatibles avec le développement d'une économie moderne qui demande de grands édifices pour les activités bancaires et les sièges sociaux des entreprises. Quant aux rues étroites de la Candelaria, elles ne sont pas adaptées au développement du trafic routier. Pourtant, ce n'est pas exclusivement pour des questions techniques que la Candelaria perd de son attrait aux yeux des élites. Leur départ est un effet de mode. En effet, le style architectural colonial n'est plus d'actualité. Les canons esthétiques de l'époque vont davantage vers des maisons individuelles disposant d'un jardin, avec de plus grandes pièces. Le désir de renouveau va se traduire par une émigration des élites vers le nord de la ville. Elles créent de fait de nouveaux quartiers à leur goût et progressent toujours plus vers la périphérie à mesure que la ville croît. Pour ces nouveaux quartiers, elles se mettent à copier les styles européens ou étasunien. Le quartier de Teusaquillo par exemple, situé un peu au nord de la Candelaria, peut surprendre un visiteur européen qui aura l'impression de se retrouver en Angleterre, avec les façades ornées de bow windows. Ces imitations montrent le fantasme du progrès des élites, qu'elles associent aux pays industrialisés. Notons pourtant que, si en Angleterre les conditions climatiques 28 29 30 14 Bergquist Charles W., Loc. Cit., p.274 Suarez Mayorga Adriana, Loc. Cit., p.60 (traduit de l'espagnol par nos soins) Ibid., p.60 Charlie WEIBEL 1/ Du déclin de la Candelaria ont dicté les normes de construction, en particulier les toits très pentus pour éviter que la neige ne s'amasse, en Colombie, il s'agit bien d'un effet de mode. Pour preuve, il ne neige jamais à Bogota. Ce sont donc les élites qui forgent l'idée de déclin de la Candelaria. Le centre devient à leurs yeux un quartier, signe d'un passé à dépasser. De plus, le centre se peuple de classe moyennes voire basses et attire des activités de type populaire comme la vente ambulante. « Les membres de cette classe, qui sont ceux qui disposent de la plus grande capacité à diffuser et imposer leurs perceptions, considèrent que ce lieu dans lequel ils ne vivent plus et qu'il ne fréquentent quasiment plus, dans lequel s'impose des formes de comportement spatial qui leur sont étrangères et qui sont, dans une certaine mesure, stigmatisées, est en déclin et est abandonné. » 31 Il existe donc une conscience de classe qui s'exprime dans ce conflit des subjectivités sur le devenir du centre. Il faut prendre garde pourtant à ne pas réduire cet affrontement à une traditionnelle lutte des classes au sens classique. En effet, et paradoxalement, le débat sur la Candelaria n'est pas l'expression d'une lutte à l'intérieur d'un pays mais bien une question par essence internationale. En effet, la construction de cette subjectivité dépasse le cadre colombien et prend racine dans la configuration du système international. La bourgeoisie colombienne, on l'a vu, se fait l'apôtre de l'idée de progrès et fait donc sienne une certaine philosophie de l'histoire qui veut que le temps soit linéaire. Dès lors, la Colombie est présentée comme en retard. On voit ici le pouvoir de représentation des puissances occidentales, européennes et américaine, qui gouvernent grâce à l'hégémonie que Robert W. Cox définit ainsi: « fondée sur une collaboration cohérente ou une adéquation entre la configuration matérielle de pouvoir, l'image collective répandue de l'ordre mondial (y compris certaines normes) et un ensemble d'institutions qui gèrent l'ordre avec un certain semblant de l'universalité » 32 L'hégémonie pour Cox est donc plus qu'une simple position dominante. Elle s'impose comme un consensus où « la domination par un État puissant peut être une condition 33 nécessaire, mais pas suffisante de l'hégémonie » . On voit donc que la volonté de moderniser Bogota au mépris du centre historique n'est pas le fait de normes imposées par les puissances occidentales mais une conséquence normale de la domination hégémonique qu'elles exercent et qui présente le progrès comme valeur absolue au dépend de la tradition. Cette dialectique a beau s'exprimer au niveau national dans des tensions entre différents acteurs et au sein même de ces acteurs hégémonique du progrès. 34 , elle est supplantée par le consensus L'homogénéisation des normes urbanistiques, conséquence on l'a dit d'une vision partagée que le progrès est l'avenir de l'homme, se traduit dans les faits par la politique d'appel à des architectes et urbanistes européens par les autorités de Bogota. L'intervention 31 32 Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.14 (traduit de l'espagnol par nos soins) Cox Robert W., « Social Forces, States and World Orders » in Millenium: Journal of International Studies, n°10.1981. p.134 (traduit de l'anglais par nos soins) 33 34 Ibid. p.139 (traduit de l'anglais par nos soins) Suarez Mayorga, Adriana. Loc. Cit. p.61 Charlie WEIBEL 15 A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une politique du symbole 35 la plus significative reste celle du célèbe urbaniste franco-suisse, Le Corbusier. Il visite Bogota en 1947 et propose deux ans plus tard un Plan Pilote, completé par le Plan Régulateur des architectes Wierner et Sert. Il propose une transformation totale de la ville. Il élimine le système colonial de calles et carreras perpendicualires et le principe des parcelles construites systématiquement et imagine à la place un système intégral d'espaces publics avec des parcs et des édifices isolés et en hauteur. Son Plan impose les artères comme de grandes voies de communication parallèles qui traversent la ville du Nord au Sud et d'Est en Ouest à intervalles réguliers afin de faciliter le transport. 36 En ce qui concerne la Candelaria, le Plan Pilote, malgré ses apports notables en terme d'accessibilité et ses qualités fonctionnelles, suggère en fait la destruction pure et simple du 37 centre et de la mémoire dont il est tributaire. Il ne conserve en effet qu'un nombre limité d'édifices comme le Capitole, la Cathédrale, le Collège de San Bartolomé, l'Eglise de San Ignacio et le Palais San Carlos ainsi que quelques constructions compactes construites le long de la carrera 7. Ce Plan, faute de moyen et de réelle volonté politique, ne fut jamais mis en oeuvre. 38 Il est donc important de prendre en compte l'aspect subjectif dans le jugement sur le déclin de la Candelaria. Mais celui-ci ne peut se résumer à un choix conscient des élites qui auraient volontairement décréter une nouvelle mode et un nouveau modèle de ville plus en accord avec leur dessein progressiste. Il faut aussi prendre en compte une subjectivité, non plus volontaire, mais forgée par le déclin même de l'élite. 39 1.2.2 Mixité sociale et inégalités Dans le jugement sur le déclin de la Candelaria de la part des élites, il faut se pencher également sur les raisons qui les ont poussées à quitter le centre de façon involontaire. Il s'agit tout d'abord d'une conséquence logique de la croissance de la ville. Dans une communauté aussi réduite que celle de la Candelaria, il était aisée pour l'élite de s'assurer le respect du reste de la population par les éléments classiques de la solidarité mécanique que décrit Durkheim dans son ouvrage de référence De la Division du Travail social (1983) 40 . On est bien à l'époque dans une société dite traditionnelle qui se caractérise par la proximité entre les membres. En effet, la Candelaria se caractérisait par une très grande mixité sociale. Malgré l'évident prestige que conférait le fait de vivre près de la Place Bolivar, le centre n'était pas exclusivement peuplé par des populations aisées. Au contraire y habitait également une grande population à bas revenus, surtout des artisans et des 35 De façon plus marginale, mais toute aussi significative, on peut noter la frénesie des autorités de Bogota pour faire appel à des compagnies privées pour moderniser le système d'égouts. Mais dès 1932, une étude souligne que ces études tendent à se chevaucher et ne sont pas suivies d'actions de la part des pouvoirs publics, Cf. Ibid., p.73 36 Departamento Administrativo de Planeacion Distrital, Plan Maestro de Espacio Publico, Alcaldia Mayor de Bogota, 2004, p.146 37 38 39 40 16 « Plan Zonal del Centro de Bogota » in Revista Preinversion, Bogota, Fonade, 1988, p.12 Escovar Wilson-White Alberto, 2007, Loc. Cit., p.60 Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.8 Durkheim Emile, De la Division du Travail social, PUF, Paris, 1983 Charlie WEIBEL 1/ Du déclin de la Candelaria petits commerçants qui occupaient des ateliers et des petits magasins aux rez-de-chaussée des grandes maisons. Les employés et les clients se cotoyaient donc naturellement au sein de l'espace public du centre. L'exemple de la Candelaria tend donc à souligner l'absence de déterminisme entre inégalité et ségrégation socio-sociale. On peut aismément supposer qu'à cette époque, les inégalités sociales étaient plus prononcées qu'aujourd'hui. Pourtant, la ségrégation socio-spatiale n'était pas celle que l'on connaît actuellement à Bogota. On peut donc en conclure qu'en vue des caractéristiques des relations sociales et l'hégémonie poussée qu'exercaient les élites, la ségragation socio-spatiale ne jouait pas un rôle déterminant dans les processus de différenciation sociale. « Dans une petite ville, avec le poids social des grandes familles dont une quantité importante de la population dépendait, les membres de l'élite pouvaient partager l'espace avec d'autres groupes avec l'assurance qu'ils seraient respectés et que leur préeminence ne risquait pas d'être remise en question » 41 La croissance de Bogota a donc eu une incidence majeure sur les rapports entre l'élite et le reste de la population. Rappelons qu'en 1950, la ville comptait 600 000 habitants et dix ans plus tard, on approchait déjà les 1 300 000. « Cela conduit à ce que, petit à petit, on assiste à l'érosion de ce qu'on pourrait appeler « l'hégémonie spatiale » des élites: il est plus difficile d'obtenir le respect d'une masse de plus en plus nombreuse et anonyme qui ne reconnaît pas automatiquement leurs privilièges. » 42 Pour garantir leur statut au sein de la société, les classes aisées sont contraintes de quitter le centre dans un processus de différenciation, spatial en l'occurrence, sur lequel se fonde une nouvelle cohésion sociale. Ce phénomène est caractéristique de la solidarité organique telle que Durkheim la décrit pour définir le lien social dans les sociétés modernes. 43 Ce premier aspect nous éclaire donc déjà sur l'aspect involontaire du départ des élites et sur leur réinterprétation a posteriori de ce mouvement qui débouche sur la théorie du déclin du centre car privé de l'équilibre social qui prévalait auparavant. La question du déclin est d'autant plus sujette à débat que le départ des élites répond paradoxalement à la loi du marché qu'elles prônent. Pour les propriétaires de ces maisons, il est devenu plus rentable de subdiviser la surface en petites chambres avec un loyer modeste, en rognant sur les frais d'entretien de l'édifice. Cela a attiré une population aux revenus faibles qui n'était pas aussi exigeante que l'élite. Celle-ci n'a pas pu faire face à la nouvelle pression immobilière et a été contrainte de partir. 44 Pour mieux comprendre la politique future de récupération du centre, il faut prendre en considération la capacité réactive de l'élite face aux phénomènes qui menacent son autorité. A chaque fois la perception de cette classe est déterminante car c'est elle qui contrôle l'appareil étatique et peut donc modeler les politiques publiques sur une échelle plus importante que ne pourrait le faire une mobilisation sectorielle classique. On peut d'ailleurs établir un parallèle intéressant avec les actions menées par l'État en matière d'hygiène. 41 42 43 44 Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.9 (traduit de l'espagnol par nos soins) Ibid., p.9 (traduit de l'espagnol par nos soins) Durkheim Emile, Loc. Cit. Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.10 Charlie WEIBEL 17 A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une politique du symbole En 1918, une épidémie de grippe touche Bogota. 80% de la population est touchée et 2% en meurent. Cette catastrophe pousse les élites à s'interroger sur les possibles causes et porte pour la première fois son attention sur les nouveaux quartiers défavorisés de la ville. 45 Outre la découverte de la précarité des conditions de vie dans ces parties de la ville , ce qui frappe les élites est la proximité de ces foyers de misère d'avec le centre de la ville. En effet, la zone la plus concernée s'étend sur les flancs de la montagne à quelques centaines de mètres seulement à l'est de la Place Bolivar. L' hygiène et la question sociale commencent alors à s'imbriquer étroitement. Malgré le développement d'une conscience sociale très sincère de la part de certains intellectuels, on voit apparaître aussi un phénomène de peur: « peur hygiénique, dans la mesure où c'étaient ces masses malades, déguenillées, affaiblies physiologiquement, le terreau de la faune la plus variée de micro-organismes pathogènes. Mais également peur sociale car cette masse indigente était perçue comme une menace constante, prédisposée par ses lamentables conditions morales à la révolte et à la révolution sociale. » 46 Les élites ont donc mené, sous l'impulsion des médecins, une véritable guerre contre les quartiers insalubres qui menaçaient leur hégémonie. « Si l'appel hygiénique ne réussisait pas à émouvoir les coeurs, appeler à la miséricorde et mener à la charité, il devait au 47 moins mobiliser pour la défense des intérêts particuliers » . Pour éliminer les « foyers d'infection », l'État s'emploie donc à détruire les quartiers incriminés et surtout à construire à partir des années 1930 des habitations hygiéniques dans de grands quartiers ouvriers. On note d'ailleurs que la loi 46 de 1918 « par laquelle est édictée une mesure de salubrité publique et l'on fournit l'existence d'habitations hygiéniques pour la classe prolétaire » est adoptée le lendemain de la fin officielle de la lutte contre l'épidémie de grippe. Pourtant, l'action de l'État s'inscrit dans un cadre plus large que la simple « hygiénisation » des habitations des ouvriers. Il s'agit d'une mission d'éducation populaire à travers la création au sein des quartiers ouvriers d'institutions comme le cinéma éducatif. « (...) pour la pensée de l'époque, urbaniser ne se résumait pas seulement au fait de construire des bâtiments, élargir et améliorer l'infrastructure citadine. C'était aussi une action par laquelle on prétendait contrôler une masse d'habitants déterminée en fonction de l'acquisition de certaines habitudes et principes de vie en communauté, qu'on pourrait appeler de façon générale l'urbanité. L'urbain est la qualité du sujet qui vit dans la ville, la urbe. Urbaniser, dans ce sens, consistait donc à créer des habitudes d'urbanité. » 48 L'action éducative de l'élite ne s'est pas traduit seulement dans la sphère publique mais a également pénétré la sphère privée. Il s'agissait par exemple de créer une famille faite à l'image de la classe aisée. 45 Dans un discours devant les ouvriers de Bogota, le président de la Junte de Secours, institution à caractère social, reconnaît que « La peste a levé devant nos yeux fascinés un écran magique où nous avons vu des scènes qui font frémir. Il y a la faim, il y a le froid; il y a des maux horribles et des maladies mystérieuses qui dévorent des familles entières » Cf. Carvajal Eduardo, « Discurso pronunciado el 18 de noviembre ante los obreros de Bogota » in Junta de Socorros de Bogota. Epidemia de Gripe: octubre y noviembre de 1918, Ed. Arboleds y Valencia, Bogota, 1918, p.89-90 (traduit de l'espagnol par nos soins) 46 Noguera Carlos Ernesto, « La higiene como politica. Barrios obreros y dispositivo higienico: Bogota y Medellin a comienzos del siglo XX » in Anuario de Historia Social y de la Cultura, Volumen 25, 1998, p.196 (traduit de l'espagnol par nos soins) 47 48 18 Ibid., p.197 (traduit de l'espagnol par nos soins) Ibid., p.214 (traduit de l'espagnol par nos soins) Charlie WEIBEL 1/ Du déclin de la Candelaria « (...) on a cherché à imposer à d'amples secteurs de la population un style de vie, le style moderne, bourgeois: intimité, propreté, habits modernes, diversité des espaces avec des fonctions clairement différenciées (chambre des parents, des garçons et des filles, séjour, cuisine, toilettes, patio, etc.). » 49 On voit donc à travers ce parallèle sur l'hygiène que l'élité dispose à Bogota d'une capacité réactive très importante et que sa perception des phénomènes sociaux est déterminante dans l'élaboration des politiques publiques. Enfin, la subjectivité des élites se caractérise par leur interprétation des origines de l'insécurité croissante dans la Candelaria. Personne ne conteste le constat de violence croissante dans le centre que confirment d'ailleurs les statistiques. L'exemple de la Calle Cartucho est aux yeux des Bogotanais des plus significatifs. Située à quelques 400 mètres de la Place Bolivar, dans un quartier résidentiel assez côté auparavant, cette rue est devenue un foyer de pauvreté et de délinquence organisée. La dégradation de ce quartier, parfaitement objective, était telle que même la Police n'osait plus y pénétrer et El Cartucho est donc devenu une zone de non droit en plein coeur de Bogota. Par antonomase, le centre est devenu synonyme de délinquence. Si la perception de la violence est justifiée, c'est dans son interprétation qu'on trouve la trace de la subjectivité des élites. « (...) une composante très importante dans le discours sur le « déclin du centre » est l'exagération du poids spécifique de ce phénomène, la généralisation des manifestations les plus extrêmes à toutes les parties du centre et à 50 toutes les époques. » Les élites ont cherché à présenter la Candelaria comme un quartier dangereux en soi en associant pauvreté et délinquence: Le centre est violent parce qu'il est occupé par des populations indigentes. Mais la théorie du déterminisme spatial apparaît totalement éronée dans les faits. Comme le souligne Samuel Jaramillo, le meilleur mécanisme de contrôle social reste une communauté structurée occupant un espace déterminé. Les mécanismes coercitifs classiques sont inefficaces dans une ville qui grandit aussi rapidement que Bogota. Or, dans la Candelaria, malgré un pic d'activité dans la journée et l'afflux d'une importante population flottante, la rigidité des horaires fait qu'à partir d'une certaine heure, le centre se vide. Quant à la population résidente, on l'a dit, elle a diminué dans les dernières années. Cela permet qu'affluent dans cette zone, à la tombée du jour, des pratiques pato-sociales comme le trafic de drogue et la délinquence. Ce n'est donc pas le centre en soi qui génère ou attire l'insécurité. Celle-ci se développe simplement dans les endroits où la coercition est la moins évidente. A Bogota, il s'agit de la Candelaria. Les élites ont donc diffusé leur propre interprétation du déclin du centre, interprétation qui a été reprise et assimilée par le reste de la population. 51 La perception d'un déclin du centre est donc subjective et relève en grande partie de l'opinion sans que cela soit vraiment justifié par les faits. Cette représentation de l'histoire tend donc à la réinterprétation des faits. Par conséquent, il est utile de considérer le contexte général des idées afin de comprendre comment s'est construite cette notion même de déclin. 49 50 51 Ibid., p.215 (traduit de l'espagnol par nos soins) Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.17 (traduit de l'espagnol par nos soins) Ibid., p.17 Charlie WEIBEL 19 A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une politique du symbole 1.3 L'historicité du déclin La transformation de la Candelaria a-t-elle toujours été perçue comme négative? A quelles nouvelles valeurs se réfere-t-on aujourd'hui pour parler de déclin? Quel est le but poursuivi à travers ce discours? 1.3.1 L'idéologie modernisatrice Il est important de contextualiser le jugement sur le déclin afin d'en souligner les biais. Il s'agit d'abord de replacer les politiques publiques relatives à la Candelaria avant les années 1980 dans le contexte idéologique de l'époque. Nous avons déjà dit que le progrès est une valeur cardinale pour l'élite colombienne du début du XXème siècle. C'est le cadre de toute action publique. Déjà en 1935, on souligne le dilemme de Bogota: « La Bogota cosmopolite, malgré les modes et tendances, malgré les inéluctables mutations du temps, est restée la Santa Fe d'autrefois. Ville grave, ville triste, dans une éternelle posture pensive, elle semble toujours, dans le brouillard tenace de ses montagnes,en train de chercher une sortie vers le passé. Les jours nouveaux, les modes actuelles, l'inquiétude sans fin qui agite la vie des contemporains, ont à peine marqué son lourd chemin. D'hier plus que d'aujourd'hui, Bogota voudrait sortir d'elle même pour entrer une fois pour toute dans le rythme acceleré de bruyants exploits. » 52 Ce dilemme se manifeste de façon décisive sur la question de l'adaptation du trafic automobile aux rues étroites de la Candelaria qui accueillent alors l'essentiel des activités de la ville. Il s'agit d'abord d'élargir certaines rues et de planifier la construction de nouvelles voies de communication pour prévenir l'augmentation incessante des flux de voitures vers le centre. Prenons par exemple le cas de l'élargissement de la carrera 7 qui traverse la ville et relie le nord à la Place Bolivar. A l'approche du centre, aux environs de la calle 17, la septima se fait plus étroite. Il est donc décidé de l'élargir. Mais à l'intersection avec la calle 12 on trouve l'antique cloître de Santo Domingo. Il est finalement démoli sans remords en 1939 pour laisser place au nouveau Palais des Communications. Voici comment le président de la République de l'époque, Eduardo Santos, présente alors le problème du cloître: « (...) quand le gouvernement a décidé la démolition de l'édifice Santo Domigo, il n'a pas seulement cherché à faire appliquer la loi. Il a aussi répondu à l'impérieuse nécessité d'accorder des locaux adéquats pour les administrations et résoudre le problème le plus grave que doit affronter la capitale dans son développement (...). Il y a trente ans, c'était le centre vital de Bogota, commercial et social; mais la ville a grandit, sa population a triplé, les problèmes de transit sont chaque jour plus importants et les petites rues étroites de ce qui était auparavant la meilleure partie de la ville rendent aujourd'hui tout progrès impossible dans ce secteur. (...) aucun quartier de Bogota ne cause pire impression aux visiteurs que celui-ci. 52 Ortiz Vargas Alfredo, « Santa Fe y Bogota » in Registro Municipal, Imprimerie municipale, Bogota, 1935, Tome V, p.434 (traduit de l'espagnol par nos soins). Santa Fe est le premier nom donné à Bogota durant la Colonie. Par la suite la ville s'est appelée successivement Santa Fe de Bogota puis Bogota 20 Charlie WEIBEL 1/ Du déclin de la Candelaria Il conclut ainsi: Le dilemme se pose en ces termes: la conservation, avec déclin et appauvrissement, du centre de la capitale, ou sa démolition et la résurrection vigoureuse de ses rues (...) » 53 Il existe pourtant de nombreux projets pour restaurer le cloître, le reconstruire et même 54 le modifier. Mais le Président Santos coupe court au débat en affirmant que le débat ne porte pas sur la conservation du cloître mais sur la meilleure manière de le remplacer. On voit clairement dans ses lignes le désir de progrès: « Bien que Bogotanais de naissance et lié à cette ville par tous mes souvenirs, je me sens dans l'obligation, en ce qui concerne son développement essentiel, de me préoccuper davantage de son présent et de son futur que de son passé. Quand j'ai vu agoniser le centre de Bogota et assisté à sa lamentable décadence, je me suis convaincu du fait qu'il est indispensable de sacrifier quelque chose du passé en aire d'avenir et ne pas abandonner le futur de Bogota au nom de la conservation d'une petite partie de ce qu’ était Santa Fe. » 55 Le cloître est donc démoli mais le débat ressurgit, cette fois ci sur la question de l'église qui avait été conservée. En effet, pendant la construction du nouveau Palais des Communications, communément appelé Edifice Murillo Toro, entre 1939 et 1941, on note des défauts dans la structure de l'Eglise qui menace de s'effondrer. On s'interroge donc de nouveau sur la question de la conservation ou non de ce lieu. Le Conseil Municipal 56 interdit sa démolition par l'accord N° 354 du 29 juillet 1946. Mais le 18 septembre, la communauté des pères dominicains, propriétaire de l'église, annonce avoir vendu la propriété à l'entreprise Urbanizaciones Centrales Ltda. Le 15 octobre, l'église est fermée et on lui retire le statut de monument national. Salgar Martin, le maire de Bogota, révoque le décret qui assurait sa conservation et condamne l'édifice par le décret n°422 du 19 décembre 1946. On voit donc que les pouvoirs publics n'ont opposé qu'une résistance de principe et que la perspective de rachat de l'église par cette entreprise a terminé de convaincre les autorités, toujours au nom du progrès. 57 Ainsi, malgré les quelques normes adoptées au nom de la protection du patrimoine et que nous avons évoqué plus haut, les impératifs économiques prévalent toujours. La Junte de Défense du Patrimoine créée en 1959 n'a dans les faits que peu de moyens d'action. Elle ne s'intéresse qu'aux immeubles les plus importants, finance la restauration de quelques bâtiments et interdit la démolition ou l'altération des bâtiments historiques mais elle ne 58 dispose ni d'un pouvoir coercitif, ni de moyens opérationnels. Ainsi, l'élargissement de la septima s'est fait au dépend du patrimoine construit dans le centre. Pourtant, quand le Président Santos parle de « décadence » du centre, c'est pour promouvoir sa modernisation. La transformation de la Candelaria n'est donc pas perçue de la même façon. De fait, selon 53 Niño Murcia Carlos, Arquitectura y Estado, Universidad Nacional de Colombia et Instituto Colombiano de Cultura, Bogota, 1991, p.126 (traduit de l'espagnol par nos soins) 54 55 56 57 Escovar Wilson-White Alberto, 2007, Loc. Cit., p.58 Niño Murcia Carlos, Ibid., p.127 (traduit de l'espagnol par nos soins) Ariza Alberto, in El Catolicismo, Bogota, 2 août 1946, p.6 Cuéllar Marcela, Delgadillo Hugo, Escovar Alberto, Gaston Lelarge: itinerario de su obra en Colombia, Editorial Planeta et Corporacion La Candelaria, Bogota, 2006, p.56-57 58 Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.18 Charlie WEIBEL 21 A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une politique du symbole les normes actuelles, on dirait même que l'action de l'État a contibué à la dégradation du centre en cherchant à tout prix à l'adapter aux nécessités de la vie moderne. La ville de Bogota a mis en place des campagnes connues sous le nom de « Plan Muelas ». Comme on avait fait pour la septima, il s'agissait d'élargir les rues en démolissant les façades des bâtiments adjacents, ce qui contribua rapidement à défigurer la Candelaria. Le « Plan Muelas » prévoyait également la construction d'un parking sous-terrain sous la Plazoleta del Rosario, ce qui encouragea le transport individuel vers le centre. 59 A la fin des années 1950 et au début des années 1960, malgré les discours sur le déclin du centre, on assiste à un vaste processus d'investissements immobiliers de la part du secteur privé. C'est à cette époque que sont construites les hautes tours du centre, sur 60 des édifices qui dataient du XIXème siècle et de la Colonie. Cet afflux des investisseurs dans le centre, bien qu'issus du privé, montre l'attractivité du quartier par rapport au reste de la ville en terme de possibilité d'installation pour développer l'activité économique et le rôle encore prépondérant de la Candelaria dans la gestion des affaires du pays. On peut donc dire qu'à l'époque le discours sur la « décadence du centre » n'est pas encore lié à ses caractéristiques socio-économiques mais plutôt à sa configuration spatiale et architecturale. On ne parle pas de problèmes d'insécurité mais de largeur des voies. Le discours sur le déclin de la Candelaria, est donc un instrument de promotion de la modernisation du centre. La Candelaria est devenue synonyme d'un passé à dépasser. On peut donc bien conclure à l'historicité de la notion de déclin. Le Président Santos en 1939 parle de déclin comme on va parler du déclin à partir des années 1980 à Bogota. Pourtant, on ne parle pas de la même chose. L'approche utilitariste et progressiste des contemporains de Santos parle d'inadéquation du centre à la modernité, placée comme norme de toute chose. Le centre est dynamique. Il n'y a donc pas de politiques de récupération mais plutôt des actions ponctuelles afin de corriger les impasses et contradictions imposées par le centre. On est dans un contexte de capitalisme sauvage où l'efficacité économique prime et où l'État liberal joue moins son rôle de régulateur social. « Il est probable que le manque d'institutionnalisation du social ait donné lieu à des phénomènes de dépolitisation, d'apathie, d'égoïsme et de cynisme. (...). La majorité des citoyens n'arrivaient pas à s'intégrer dans la chose publique d'une ville dont l'administration ne semblait être guidée par aucun projet politique, économique ou social sur le long terme. Bogota reflètait une situation inefficace où les individus répondaient de manière rationnelle à un contexte institutionnel d'inefficacité qui réalimentait les pathologies sociales comme la culture de l'illégalité, la méfiance et le désordre. » 61 En revanche, les promoteurs des politiques de récupération du centre à partir des années 1980 et encore plus depuis les années 1990 parlent, eux, de protection d'un patrimoine profondément dégradé et de reconstruction d'une mémoire collective. 1.3.2 Un jugement rétrospectif à portée hégémonique La construction de la théorie du déclin de la Candelaria comme socle à la politique de récupération est donc,on l'a vu, un phénomène récent. Ce déclin n'est ni absolu, ni 59 60 61 22 Escovar Wilson-White Alberto, 2007, Loc. Cit., p.61 Jaramillo Samuel, Ibid., p.18 Martin Gerard, 2007, Loc. Cit., p.94-95 (traduit de l'espagnol par nos soins) Charlie WEIBEL 1/ Du déclin de la Candelaria universellement reconnu et ne constitue même pas une idée récurrente chez les promoteurs de cette thèse. Au contraire, on constate que les élites bogotanaises ont majoritairement appuyé la destruction du centre historique au nom du progrès. On assiste pourtant aujourd'hui à l'émergence d'une véritable volonté politique en faveur de la Candelaria. Il s'agit donc d'abord de mettre en évidence une action concertée et cohérente en faveur de ce quartier pour ensuite chercher à comprendre ce tournant dans l'attitude des pouvoirs publics vis à vis du centre historique. Un pas essentiel mais qui n'est apparu comme évident que très tard fut de reconnaître à la Candelaria une spécificité telle qu'elle se devait d'être reconnue au niveau administatif. Au milieu des années 1970, on met en place un processus de décentralisation dont profite le 62 centre historique. On crée en effet une mairie mineure pour les 90 hectares qui entourent la Place Bolivar. Malgré sa taille réduite par rapport aux autres unités locales de la ville et une délimitation qui ne correspond pas aux critères généraux applicables aux autres mairies, on a considéré que le caractère historique de cette zone méritait un traitement spécial. Sur la base de ce découpage administratif, on a créé une nouvelle institution chargée de gérer la question spécifique du patrimoine. En effet, l'Accord 10 de 1980 émis par la mairie de Bogota crée la Corporation la Candelaria. Son champ d'action est légèrement inférieur à la mairie mineure mais peut intervenir à l'extérieur. Cette nouvelle entité doit servir de support pour la revitalisation du quartier par des actions sur l'utilisation du sol, les activités et la participation citoyenne afin de dépasser l'ère des interventions ponctuelles et partielles. La Corporation s'intéresse en priorité à la récupération de l'espace public et à la restauration d'immeubles dédiés à des activités culturelles ou au logement. Elle doit assurer la promotion, la coordination et le contrôle urbanistique des investissements dans ce domaine. Sa mission est aussi de favoriser l'utilisation du centre à des fins culturelles notamment en facilitant l'adaptation de vieilles batisses pour en faire des musées, des salles de musique ou des théâtres. La Corporation centralise donc les actions publiques en faveur de la Candelaria avec, pour la première fois, une vision cohérente sur le devenir du centre. Les actions ne sont plus ponctuelles mais insérées dans un ensemble pensé sur le long terme. De plus, l'action de la Corporation intéresse une aire importante, qu'on délimite par les anciens cours des rivières San Francisco (aujourd'hui Avenue Jimenez) au Nord et San Augustin (Calle 6) au Sud ainsi que par l'Avenue Circunvalar à l'Est et la carrera 10 à l'Ouest. Cette aire comprend 2360 propriétés dont 71 sont classés comme monuments historiques et 1610 comme immeubles de conservation architecturale. Les actions ne sont donc plus partielles mais pensées à l'échelle de toute la Candelaria. 63 L'originalité de la Corporation est qu'elle ne s'intéresse plus seulement à la conservation ou la rénovation du patrimoine mais promeut désormais la participation de la population. Ses projets en matière de logements ancrent l'institution dans la vie quotidienne des habitants. La Corporation favorise par exemple la venue de nouveaux résidents de différents niveaux socio-économiques. Ses mesures de réduction fiscale pour les habitants de monuments historiques montrent elles aussi la préoccupation pour la population. 64 La Corporation commence par faire un inventaire exhasutif de tous les bâtiments présents dans sa zone d'action. Ce système de fiches compile les informations cadastrales, 62 63 64 Les « Maries mineures » sont désormais appelées « mairies locales » et peuvent être comparées à nos arrondissements. Escovar Wilson-White Alberto, 2007, Loc. Cit., p.61-62 Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.20 Charlie WEIBEL 23 A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une politique du symbole des données historiques, la charge fiscale, la description technique, la description physique, l'état de conservation, le suivi des interventions éventuelles sur l'immeuble, la situation légale, la localisation précise dans le secteur et dans le pâté de maison, la réglementation, les caractéristiques architecturales, une photo et une classification typologique. Sur la base de cet inventaire, le travail de la Corporation consiste à autoriser ou non les interventions réalisées dans le secteur. Son action est visible partout dans la Candelaria. Sur le plan de la culture, la Corporation a, par exemple, permis de restaurer et adapter la Maison de l'Indépendance (1985), la Maison de Poésie Silva (1986) ou encore le Camarin del Carmen (1988). Afin de favoriser un usage résidentiel du centre, on a installé, pour la première fois à Bogota, des poteaux sur les trottoirs afin d'empêcher les voitures de stationner. On a également embelli voire créé de nouveaux espaces publics comme le Parc de la Concordia, la place du quartier Egipto ou de petites places comme Nueva Granada ou La Pola (1999). On a également planté des arbres le long du bord sud de la Candelaria, calle 7 aussi appelée Paseo San Agustin, et même décidé de faire de la calle 10 une rue partiellement piétonne. La cohérence de l'action de la Corporation apparaît dans la mise en place d'un premier 65 plan quinquennal en 1995. Le plan Reencuéntrate: un compromiso por la Candelaria (1995-1999) est un projet d'intervention sur le court, le moyen et le long terme qui vise la conservation mais aussi la réhabilitation et la dynamisation du secteur. Ce plan fait intervenir pour la première fois tous les acteurs concernés par le centre historique de Bogota, qu'ils soient investisseurs privés, acteurs de la coopération internationale, des entités publiques, les résidents, etc. « Reencuéntrate prétend donner à la Candelaria l'équilibre entre passé, présent et futur, entre vision locale et mondiale, entre fonctionnalité et esthétique, dans le but de la réhabiliter, la conserver et la dynamiser intégralement. On cherche à faire en sorte que le centre historique de Santafé de Bogota reste un lieu plurifonctionnel dans la ville, où l'on puisse trouver les mêmes opportunités pour les différents usages, sans que les plus forts ne prolifèrent au dépend des plus faibles. » 66 Ce changement en faveur du centre n'est pourtant pas le seul fait de la mairie de Bogota. Au niveau étatique aussi, on observe une préoccupation croissante pour le centre historique. En 1986, l'État propose de réaliser une étude experimentale sur la revitalisation du centre de la capitale dans le but d'élaborer des politiques nationales et développer les instruments nécéssaires au développement de l'attractivité des aires centrales. Cela traduit une véritable volonté politique en faveur de la Candelaria qui associe donc le niveau municipal au Département National de Planification et au Fond National des Projets de 67 Développement. De cette coopération naît une stratégie intégrale pour la récupération du centre appelée Plan Centre. On crée là encore une entité chargée de coordiner et d'exécuter les actions. Le grand apport de ce Plan est de considérer le centre comme partie intégrante de la ville. Il résulte de cela que tout projet intégral en faveur de la Candelaria doit prendre en compte l'entourage de ce quartier. Ainsi, quand la Corporation La Candelaria couvre 65 66 67 24 Retrouve toi: un engagement pour la Candelaria (traduit de l'espagnol par nos soins) « Reencuéntrate: un compromiso por la Candelaria » in Revue Proa n°438, Bogota, janvier 1998, p.12 Escovar Wilson-White Alberto, 2007, Loc. Cit., p.63 Charlie WEIBEL 1/ Du déclin de la Candelaria 70 hectares et la mairie locale 90, le rayon d'action pour la nouvelle entité concerne 1708 hectares. 68 Mais les instruments et les ressources ne sont pas à la hauteur du défi. On se contente le plus souvent de délivrer des autorisations et on réalise quelques actions sur l'espace public dans l'espoir d'attirer les investisseurs privés et de favoriser le retour de population résidente. Il existe également des incitatifs pour les habitants des bâtiments sujets à conservation. Ils peuvent par exemple obtenir des déductions fiscales s'ils maintiennent leur logement en bon état. De même, on a attribué à la Candelaria la strate la plus basse, ce qui se traduit pour les habitants par des prix relativement bas pour les services publics. 69 La coexistence de divers plans et institutions répondant à différents niveaux de pouvoirs limite pourtant l'efficacité de ces divers projets. Si l'on en juge par la rénovation effectivement réalisée à Bogota, les résultats sont décevants. L'accord 6 de 1990 sur le règlement des usages du sol de la ville délimitait 308 hectares qualifiés d'aire de rénovation urbaine. En 2005, seulement 30 hectares avaient été l'objet d'une action de rénovation. La population résidente a diminué sans cesse dans le centre. En 2000, il comptait autour de 246000 habitants soit 31000 de moins que 15 ans auparavant et 70000 de moins si l'on remonte 30 ans plus tôt. Cependant, la Candelaria avec 25000 habitants semble avoir gagné quelques habitants. Enfin, la construction dans le centre est restée très limitée et les prix du sol restent bas. 70 A la fin des années 1990, devant ce constat en demi-teinte, les pouvoirs publics, tant au niveau municipal qu'étatique, au lieu de se résigner, décident de relancer les politiques en faveur du centre historique. Les objectifs restent les mêmes mais les moyens, eux, évoluent significativement. Le changement s'explique surtout par la profonde mutation du rôle de l'État en matière d'urbanisme qui se traduit par les lois dites de réforme urbaine: d'abord la loi 9 de 1989 et sa révision la loi 3888 de 1997. Ces lois inscrivent dans la législation la nécessité d'une vision stratégique sur le long terme. C'est dans cette optique qu'est adopté en 2000 le Plan 71 de Ordenamiento Territorial (POT) qui réunit tous les plans jusque là adoptés pour Bogota. Il inclut donc tous les projets relatifs au centre historique y compris les dernières normes adoptées par le décret 619 de 2000 qui définit les usages du patrimoine de la ville (articles 299 à 313). Le POT n'est plus quinquennal comme Reéncuentrate mais porte désormais sur dix ans. C'est le Comité Districtal de Rénovation Urbaine qui prend la charge d'appliquer les projets mis en place par le POT. 68 69 72 On crée également un Conseil Assesseur Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.22 A Bogota, le prix des services publics dépend de la zone où l'on vit. Chaque quartier est ainsi classé selon le niveau de revenu des habitants. On établit ensuite une classification par strate. Un quartier dont la strate est élevée paye plus qu'une zone pauvre, dont la strate est plus basse. 70 71 72 Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.23 Plan de Mise en Ordre Territorial (traduit de l'espagnol par nos soins) « Décret 619 de 2000, Article 299, Intervention de l'administration Publique, paragraphe 1. On créera le Comité Districtal de Rénovation Urbaine, dans le but de coordiner les actions mises en place dans le cadre du Plan de Ordenamiento Territorial, les plans de développement et l'Accord 33 de 1999, en tant qu'instance interinstitutionnelle où se canalisent toutes les actions de Rénovation Urbaine d'iniciative publique ou privé. » (traduit de l'espagnol par nos soins) Charlie WEIBEL 25 A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une politique du symbole 73 du Patrimoine Districtal comme organe consultatif chargé d'orienter le Département Administatif de Planification Districtal pour tout ce qui concerne la gestion des biens et des secteurs d'interêt culturel. Cette nouvelle structure remplace donc la Junte de Protection du Patrimoine, crée en 1979. Enfin, dans le cadre du POT, on met en place un Plan de 74 Récupération du Centre Historique qui reprend les projets déjà établis par Reéncuentrate et confère à la Corporation La Candelaria de nouveaux pouvoirs pour intervenir au delà des limites du centre historique par exemple. On a donc mis en évidence l'émergence d'un intérêt nouveau pour la Candelaria. Le POT est à cet égard le point culminant de cette action concertée et cohérente. Il s'agit désormais de comprendre ce tournant. Cette nouvelle préoccupation pour le centre historique ne s'est pas traduite seulement dans les faits, par la suite de mesures que nous venons de présenter. Il faut prendre en compte tout le processus de construction de l'idée de déclin de la Candelaria que nous avons expliqué plus haut. L'importance des moyens déployés demande une justification. Or, on a démontré que le déclin n'était pas évident. C'est une perception propre à une classe et à son système d'interprétation des faits sociaux. Mais son statut d'élite dans une société profondément inégalitaire lui a permis de diffuser trois idées: d'abord que le centre est en très grave déclin. Ensuite, que ce déclin doit être accepté par tous comme tel. Enfin, qu'il en a toujours été ainsi. En résumé, on a modelé une certaine mémoire collective pour pouvoir ensuite intervenir. Ainsi, alors que dans la première moitié du XXème siècle, on parlait de déclin en tant qu'inadéquation du centre au progrès, on parle désormais de déclin comme d'une situation anormale par rapport à un certain âge d'or. De la sorte, on tend à essentialiser la culture. Il ne faut plus niveler par le futur mais par le passé. La norme n'est plus le progrès mais la protection du patrimoine. Cette orientation nouvelle vers le passé et l'Histoire du pays n'est pas isolée et il paraît intéressant d'établir un parallèle avec un autre débat historiographique: la commémoration du bicentenaire de l'Indépendance de la Colombie dont les cérémonies sont prévues pour 2010. En 1910, le centenaire de cet événement fut marquée par la célébration du progrès: « Ce fut surtout la grande exposition réalisée dans le Parc de l'Indépendance à Bogota qui concentra l'attention et les efforts du secteur public et du privé. L'industrie, l'agriculture, les arts et les techniques furent chosis pour signifier l'Indépendance. En résumé, si nous avons pris notre indépendance, c'était pour nous améliorer en reprenant les triomphes de la Révolution industrielle et, bien sûr, ceux de la Révolution de l'Union Américaine et de la Révolution Française » 75 Le centenaire et la symbolique progressiste qui lui est associée sont liés pour les Colombiens de l'époque à la Constitution de 1886. Celle ci met fin au fédéralisme et conclue officiellement la guerre civile de 1885 entre Conservateurs centralistes et Libéraux fédéralistes: 73 74 75 Décret 619 de 2000, Article 301 Ibid., Article 310, Plan Spécial pour la Récupération du Centre Historique Bicentenario de las Independencias. Colombia. 2010-2019 Una Historia con Futuro. Reflexion del pais para celebrar la democracia, Ministerio de Cultura, Bogota, 2008, p.3 (traduit de l'espagnol par nos soins) 26 Charlie WEIBEL 1/ Du déclin de la Candelaria « L'historiographie a fait de ce phénomène le début de l'édification du passé que les nouvelles générations devraient apprendre et donc se souvenir. Ainsi, tout ce qui s'est passé avant 1886 est devenu une préparation: les personnages centraux de l'Indépendance sont devenus des pères fondateurs, accompagnés désormais de nouveaux héros; ceux qui dans les guerres civiles ont donné leur vie pour la construction du centralisme. Le jugement porté sur les présidents qui ont précedé Nuñez s'est construit sur ce même principe de contribution à la consolidation de l'État colombien de 1886 » 76 Avec l'avènement d'un État fort, condition du progrès, la célébration du centenaire put propager une certaine interprétation de l'Indépendance. Mais ce qui était valable en 1910 perd peu à peu de sa pertinence: « Le 20 juillet a acquis une signification qu'il a conservé jusque dans les dernières décennies du XXème siècle: la fête du centralisme politique, de l'unanimité idéologique, de l'homogénéité culturelle. Cependant, aujourd'hui, on peut constater que dans beaucoup de communautés du pays, comme les jeunes, les chercheurs et les ethnies, la célébration du 20 juillet n'a plus la force qui était incontestable pour nos pères. Le passé commun qui résulte de cette construction du XIXème siècle est aujourd'hui remis en question, non pas parce que le 20 juillet serait devenu une date sans sens mais plutôt parce que les racines de sa signification ont changé: Aujourd'hui, on peut en trouver d'autres (...). » 77 Là encore, la Constitution de 1991 a marqué une nouvelle étape. De grands secteurs de la société ne se comprenaient plus dans le cadre de la Constitution de 1886. Il fallait donc construire un nouvel État qui, sans nier son héritage, puisse répondre aux nouvelles demandes de la population. La décentralisation, la pluralité idéologique et l'héterogénéité culturelle. « (...) chaque célébration centenaire des evènements fondateurs de 1810 a comme réferent immédiat une constitution et c'est elle qui dessine le contenu des festivités. La nôtre est celle de 1991. C'est à partir de ce qu'elle signifie pour nous que nous devons remplir de sens cette date. Voilà comment ont agit les responsables du premier centenaire et voilà comment nous devons nous-même agir. Ainsi, notre tâche est de construire notre mémoire. Aujourd'hui, cela signifie valoriser notre diversité, reconnaître ce qui nous réunit et célébrer la démocratie (...). » 78 Ce document émane du Ministère de la Culture. On voit donc clairement une volonté de « construire (la) mémoire » depuis l'État. Les actions réalisées dans la Candelaria peuvent être associées à cette construction. Le discours sur le déclin devient alors un instrument pour parvenir à cette fin. Il n'est pertinent que dans cette perspective. En cela on peut conclure à l'historicité du déclin du centre historique. Cette remise en cause de la théorie du déclin de la Candelaria constitue le fondement de notre raisonnement. C'est sur ce constat de relativité, de subjectivité et d'historicité de ce déclin que nous nous basons désormais pour étudier les politiques de récupération du centre. S'il apparaît clairement que les élites ont cherché à diffuser l'idée de déclin du centre historique, il s'agit maintenant d'analyser en détail les modalités de la récupération de ce quartier c'est à dire les axes stratégiques de cette opération. 76 77 78 Ibid., p.3 (traduit de l'espagnol par nos soins) Ibid., p.2-3 Bicentenario, 2008, p.5 Charlie WEIBEL 27 A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une politique du symbole 2/ « Récupérer » la Candelaria Dans le cas des politiques publiques à destination de la Candelaria, il est coutume de parler de politique de « récupération ». Le plan directeur en la matière, adopté par le décret 619 de 2000 dans son article 310, se nomme d'ailleurs Plan de Récupération du Centre Historique. Les chercheurs sur la Candelaria utilisent eux aussi ce terme à l'image de Samuel Jaramillo, économiste à l'Université des Andes qui titre son excellent article « Reflexions sur les 79 politiques de récupération du centre (et du centre historique) de Bogota » . Ce terme n'est pas anodin. L'État ne contrôle plus la Candelaria. Les élites ont abandonné ce quartier. Elles ne sont plus le vecteur social de la volonté de l'État qui les représente. En effet, les élites ont un pouvoir de cooptation important. Le pouvoir est concentré dans les mains de quelques familles qui contrôlent l'appareil étatique. Celui-ci est un instrument aux mains des élites pour donner à ses intérêts la prétention de l'universalité puisqu'ils deviennent ceux de l'État qui doit oeuvrer pour le bien commun. Dans la Candelaria, l'intérêt de l'État était donc repris par les élites qui assuraient un contrôle social sur ce territoire. Mais leur départ a fait disparaître ce contrôle. « Récupérer » la Candelaria consiste donc pour l'État à réaffirmer sa présence, après un désistement des pouvoirs publics et des élites occupées par l'explosion urbaine à Bogota. Cette nouvelle visibilité de l'État lui permet de justifier une intervention plus profonde pour faire accepter sa domination. Cela passe selon Antonio Gramsci par la force mais aussi par les valeurs. 2.1 Un État qui réaffirme sa présence Avant même de chercher à s'assurer une domination pérenne, l'État doit s'affirmer comme acteur légitime dans la compétition pour la domination de ce territoire. Comment peut-il manifester sa présence? Celle-ci est-elle uniquement matérielle? 2.1.1 Un État bâtisseur L'État dispose de moyens considérables, ce qui lui confère un avantage décisif dans sa prétention à la domination de la Candelaria. En effet, dans un territoire aussi réduit, il est facile de mener des projets de grande envergure qui influent sur toute la population. Dans cette optique, les lois de réformes urbaines de 1989 et 1997 soulignent que l'État ne doit plus se contenter de réglementer ou inciter par des discours. Il se doit d'être un acteur actif et investir seul ou avec le concours du secteur privé des ressources fiscales importantes 79 80 28 Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit. Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.24 Charlie WEIBEL 80 . 2/ « Récupérer » la Candelaria La politique de grands travaux devient un axe essentiel dans la politique de récupération du centre historique. Elle est à la charge d'une nouvelle agence créée par la maire de Bogota : L'Entreprise de Rénovation Urbaine. Celle-ci doit élaborer les projets, acquérir les terrains et immeubles nécessaires par les différents moyens offerts par la loi, exécuter les travaux en s'associant avec les entreprises et autres entités publiques concernées par les travaux. On peut établir une typologie des actions menées dans le centre selon l'importance des moyens mobilisés et des effets escomptés. Les plus visibles sont les Macroprojets. Il s'agit d'opérations de grande envergure qui cherchent à transformer la dynamique d'importants secteurs du centre ou de la ville dans leur ensemble. C'est ce type d'action qui a permis la transformation des quartiers de Santa Inés et San Bernardo, mieux connus sous le nom de El Cartucho. Situé à moins de dix pâtés de maison de la Place Bolivar, cette zone était considérée comme un foyer d'insécurité où même la police n'entrait plus. Le pourcentage d'habitations surpeuplées dans la zone de Santa Inés atteignait 39%, soit quatre fois plus que la moyenne de la ville. 72% des foyers étaient constitués d'une seule pièce alors que la moyenne pour toute la localité de Santa Fe était de seulement 9% directrice du Bienestar Social 82 81 . Pour l'ancienne : « Dans El Cartucho, on trouvait les élèves et enseignants d'un collège officiel, les commerçants des arts graphiques, les vendeurs d'une place de marché, des personnes âgées abandonnées, des femmes seules avec leurs enfants et des familles de recycleurs qui venaient vendre leurs déchets récupérés. Ils étaient payés avec de la drogue qu'ils consommaient sur place. Il y'avait aussi les indigents et les malades qui erraient autour des bâtiments de la Médecine Légale. Quelques entités publiques montèrent des services sociaux ou des programmes, (une tentative) surement bien intentionnée, mais qui avait pour grave conséquence d'envoyer un message de tolérance et de « compréhension » devant la déshumanisation et l'impunité du crime » 83 On voit le désarroi des pouvoirs publics face à cette situation. La réponse proposée par le maire de Bogota, Enrique Peñalosa, en 1999, a donc été à la hauteur de l'impuissance générale ressentie par la population et les autorités locales. Il s'agissait de construire un parc de 14 hectares en lieu et place de El Cartucho. Ce projet comportais trois types de dépenses. D'abord l'achat des terres, construites ou non, au prix du marché, puis la construction du parc, et enfin l'assistance sociale et les compensations pour les groupes affectés. Au total, 43 millions de dollars en sept ans. 84 La deuxième catégorie regroupe les projets de rénovation urbaine. Ce sont des interventions d'ensemble sur une zone spécifique du centre qui articule plusieurs actions pour sa récupération, selon la norme des Plans Partiels introduite par la loi 388 de 1997. Différentes parties du centre ont été l'objet de ce type de projets, par exemple le quartier Las Cruces ou la Estación de la Sabana. 81 Peñalosa Enrique, « Bogota viva: la Bogota del tercer milenio. Historia de una revolucion urbana », Alcaldia Mayor de Bogota, Bogota, 1999 82 83 Institution comparable à la DASS en France Mosquera Gilma, « El Fin de la Vergüenza » in Revista Semana, Bogota, 22 décembre 2003 (traduit de l'espagnol par nos soins) 84 Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.26 Charlie WEIBEL 29 A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une politique du symbole Les projets d'espace public sont des actions de tailles moyennes qui prétendent transformer l'espace public pour modifier la dynamique immobilière et urbaine de ses alentours. Le projet Eje Ambiental s'inscrit dans cette troisième catégorie. L'Avenida Jiménez est une avenue qui traverse le centre historique. Elle fut construite dans la première moitié du XXème siècle sur le lit du fleuve San Francisco qui était la source d'eau la plus importante de la ville jusqu'à la fin du XIXème siècle. Au début des années 1990, l'avenue était en permanence sujette à des embouteillages. Les trottoirs étaient très étroits et les arbres avaient disparus. Le projet Eje Ambiental, lancé en 1995 et inauguré en 2001, consistait à « récupérer intégralement les espaces publics, la circulation des véhicules et 85 des piétons, les équipements urbains et le transport public » . On a donc rendu l'avenue semi-piétonne, construit le long de son parcours une série de longs bassins qui rappellent le fleuve San Francisco et planté des arbres. Un autre projet de ce type, dans le prolongement de la récupération de l'Eje Ambiental fut la restructuration de la Place de San Victorino. Dans les années 1960, cette place était devenue un marché informel permanent qui comptait plus de 1500 vendeurs en 1998. Entre 2 1999 et 2000, les autorités ont récupéré cette place de 16000 m . Aujourd'hui, la place est ornée d'une sculpture de l'artiste colombien Édgar Negret. 86 Le quatrième et dernier type d'action envisagé pour la récupération de la Candelaria sont les projets spatiaux. Il s'agit d'actions ponctuelles de différentes natures, assez petites, pour redynamiser le centre. Ce sont des interventions focalisées sur l'espace public, la restauration de monuments et d'immeubles significatifs, la rénovation et l'amélioration de la couverture des réseaux de service public, des actions sociales en faveur de groupes qui influent sur la dynamique du centre. 87 Cette politique de grands travaux, dans toutes ses dimensions, n'est elle-même qu'un instrument pour désenclaver le centre historique de Bogota. La Candelaria reste encore à cette époque très difficile d'accès pour les automobiles alors même qu'elle est le siège de nombreuses universités, ce qui provoque chaque jour l'afflux de milliers d'étudiants. Le transport collectif est géré par des compagnies privées dont le parc est composé de busetas, sorte de petits bus dont les horaires et les arrêts sont irréguliers et qui ne disposent pas de voies reservées. Mais grâce au projet Eje Ambiental, le centre historique se retrouve enfin connecter avec le réseau Transmilenio. Ce niveau système, créé entre 1998 et 2000, a permis de désengorger les grandes avenues de la ville grâce à de grands bus avec voies 88 prioritaires et arrêts réservés. L'extension de ce réseau à travers l'Avenida Jiménez a donc permis de faciliter les déplacements entre la Candelaria et le reste de la ville. L'ampleur des travaux contribue en elle-même à la récupération du centre, dans le sens où le reste de la population bogotanaise constate que le centre n'est plus une zone délaissée mais fait l'objet d'efforts de la part de l'administration. La présence de l'État, désormais matérialisée, a un grand impact sur la conscience collective: 85 Pizano Olga, Ibel Pinzon Rosa, Salazar Camilo, « Recuperacion espacial de la avenida Jiménez y el parque Santander », Universidad de los Andes et Banco de la Républica, Bogota, 1998, p.89 (traduit de l'espagnol par nos soins) 86 « La Avenida Jiménez » in Catalogue de l'exposition « Bogota: El renacer de una ciudad », Ministerio de Relaciones Exteriores, Bogota Sin Indiferencia, Corporacion La Candelaria, p.15 87 88 30 Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.25 Montezuma Ricardo, « Del 'problema del transporte a la movilidad » in Bogota: el Renacer de une Ciudad. Op . Cit., p.176 Charlie WEIBEL 2/ « Récupérer » la Candelaria « Les travaux et intervention liées à ces dépenses fiscales ont eu une grande visibilité dans la représentation générale des Bogotanais qui perçoivent un changement flagrant dans la politique officielle sur le centre, qui apparaît désormais comme volontariste et de grande ampleur. » 89 Grâce à cette politique, l'État bâtisseur apparaît désormais comme un acteur légitime pour la domination du centre historique. Il peut même influer sur les autres acteurs. Dans l'exemple de la construction du parc Tercer Milenio, sous couvert de compensations financières et d'actions sociales, il a expulsé les habitants de El Cartucho. Par conséquent, au delà de sa capacité à se présenter comme acteur légitime pour la domination d'un espace, l'État doit s'imposer comme l'unique gestionnaire du lien entre le territoire et sa population. 2.1.2 Un État médiateur L'État, s'il veut vraiment récupérer la Candelaria, ne peut se contenter de programmes de construction anonymes qui ne portent pas expressément sa marque. Il doit intervenir directement sur les populations et modeler le lien entre celles-ci et l'espace qu'elles habitent et que l'État convoite. Pour cela, l'État dispose là encore d'atouts majeurs comme l'éducation. Comme le 90 souligne Gramsci, l'école est un « appareil d'hégémonie » . C'est donc à l'école que se fait l'apprentissage de ce nouveau lien entre population et espace. La Marie de Bogota a donc mis en place un programme intitulé Escuela-Ciudad-Escuela (École-Ville-École) dont l'une des mesures phares est la mise en place d'« expéditions pédagogiques ». Cet échange va dans deux sens. D'un côté, l'école va vers la ville: étudiants et professeurs sortent à la rencontre de leur ville et visitent des théâtres, des musées, des parcs, des bibliothèques mais aussi des entreprises. De l'autre, la ville va vers l'école: cette fois, ce sont les entités publiques, les entreprises ou les associations qui interviennent dans les écoles pour un échange. Par ce programme, « Les éducateurs et les élèves ont un plus grand sens d'appartenance et d'identification à la ville. Ils l'apprécient, en jouissent et reconnaissent en 91 elle sa richesse historique, écologique, culturelle, sociale et économique. » Grâce à Escuela-Ciudad-Escuela, l'État génère donc un sentiment d'appartenance non seulement envers le patrimoine mais aussi à l'égard de toutes les composantes d'une ville moderne comme la nature ou l'entreprise. De plus, les élèves-citoyens sont appelés à reconnaître et respecter ce que leur fournit l'État, les parcs ou les bâtiments restaurés par exemple. Dans cette optique d'appropriation de l'espace, on peut également faire mention du programme de récupération du Cimetière Central. Bien que celui-ci se situe légèrement en dehors du centre historique, sa valeur pour le patrimoine culturel de Bogota et le fait que sa restauration ait été l'oeuvre de la Corporation La Candelaria montre le lien étroit entre ce cimetière et la vieille ville. Construit en 1932, ce cimetière est resté jusqu'au milieu du XXème siècle un des principaux espaces rituels et cérémoniels de la ville. Cependant, avec 89 90 Jaramillo Samuel, Ibid., p.40 (traduit de l'espagnol par nos soins) Gramsci Antonio, Textes (1917-1934), Traduction de Jean Bramon, Gilbert Moget, Armand Monjo, François Ricci et André Tosel, Éditions sociales, Paris, 1983, p.194 91 « La escuela se aproprio de la ciudad » in Boletin mensual de la Secretaria de Educacion Distrital Via educativa, Alcaldia Mayor de Bogota D.C., Novembre 2007 Charlie WEIBEL 31 A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une politique du symbole la construction des jardins-cimetières en périphérie de la ville et la disparition progressive du thème funéraire de la vie quotidienne, le Cimetière Central a été peu à peu abandonné. En 1984, le Conseil des Monuments Nationaux le déclare patrimoine historique de la ville pour assurer sa protection. Plusieurs études sont alors menées mais il apparaît évident aux yeux des autorités qu'il est impossible de réaliser une intervention coûteuse dans un lieu que la population ne considère pas comme important et qu'elle ne reconnaît plus comme sien. Les pouvoirs publics ont donc mené une politique de sensibilisation auprès des Bogotanais. En 2002, on réalise l'inventaire des tombes et mausolées à perpétuité. Ce travail est ensuite 92 publié en 2003 et permet aux habitants qui le consultent de localiser un ancêtre. Grâce à l'installation de panneaux de signalisation et à la mise en place de visites guidées, ce bien d'intérêt culturel est devenu un véritable musée à l'air libre. Ce travail de réappropriation a porté ses fruits et a permis la restauration du portique d'accès en 2002, le remodelage de la petite place qui permet d'accéder au cimetière en 2003, la réhabilitation de la promenade centrale en 2004 et la remise à neuf du mur extérieur qui donne sur la calle 26 en 2005 93 . Les Bogotanais retrouvent donc leur cimetière et, au delà, avec l'action de l'État. Pour reprendre l'expression de l'historien Fustel de Coulanges, « On reconnaissait le citoyen à 94 ce qu'il avait part au culte de la cité » . Ainsi, le vrai changement ne se situe pas tant dans la récupération du cimetière mais plutôt dans l'affirmation de l'État dans sa capacité à médiatiser la relation entre l'espace et la population qui l'occupe afin de définir et de faire accepter ses priorités. Ce travail de diffusion d'une mémoire collective qui lie la population à l'espace en faisant appel au passé commun se retrouve également dans un autre projet de la Corporation La Candelaria. Il s'agit de la publication d'un Atlas historique de Bogota 95 . « Cette publication se proposait de relater l'histoire de la ville d'une manière simple et ludique pour lier de nouveau les citoyens à Bogota et à son patrimoine culturel. Le projet éditorial était accompagné d'une série télévisée qui a profité d'une large diffusion et qui a rendu aux Bogotanais une partie de la mémoire de la ville qui s'était perdue dans le processus accéléré de modernisation engagé au XXème siècle. » 96 Cette politique s'avère très efficace. En effet, l'institut de sondage Bogotá como vamos (Bogota comment allons nous ?) montrait qu'en 2007, seulement 57% de la population était née à Bogota. Pourtant, à la même date, 78% des personnes sondées se sentaient bogotanaises. De même, elles s'estimaient fières de leur ville à un indice de 4 sur une 97 échelle de 1 à 5. Ricardo Montezuma résume ces chiffres: « Les importantes transformations ont permis aux Bogotanais de voir la ville avec d'autres yeux. En dépit de la profonde crise économique et de l'insécurité que connaît le 92 93 94 95 96 97 32 Guia del Cementerio Central: elipse central, Corporacion La Candelaria, Bogota, 2003 Escovar Wilson-White Alberto, 2007, Loc. Cit., p.74-75 Fustel de Coulanges, Numa Denys, La cité antique, Paris, 1864, Chapitre 12 Atlas historico de Bogota: 1538-1910, Corporation La Candelaria, Bogota, 2004 Escovar Wilson-White Alberto, Ibid., p.76 (traduit de l'espagnol par nos soins) Institut Bogotá como vamos, Informe, 2007,Ipsos, Bogota, p. 16 Charlie WEIBEL 2/ « Récupérer » la Candelaria pays, Bogotá fait aujourd'hui l'objet d'un regard plus positif et optimiste : les gens sont 98 conscients que la capitale peut devenir une ville qui peut être aimée » . Par conséquent, on peut dire que l'État colombien est parvenu à devenir un intermédiaire incontournable par lequel passe la relation réciproque entre population et territoire. D'un côté, les habitants s'approprient l'espace public au travers de la politique éducative qui met en exergue les liens de chaque individu avec la collectivité. Cela permet de créer un sentiment de respect vis-à-vis du patrimoine. De l'autre, l'État, grâce à ses grands travaux, modèle le territoire pour faire des habitants de vrais citoyens. Ainsi le Transmilenio enseigne-t-il aux habitants de la Candelaria et aux Bogotanais en général la notion de ponctualité par exemple, grâce à la mise en place d'horaires fixes. Le parc Tercer Milenio impose la nature dans le centre historique et des considérations jusque là ignorées comme l'écologie. Il existe en effet très peu de parcs dans la Candelaria. Le responsable du projet expliquait avant sa réalisation qu'il s'agissait: « (...) à travers la création d'un espace vert qui remplisse les conditions de mobilité à l'intérieur d'un circuit d'espaces publiques et de jardins qui garantissent une plus grande perméabilité et permettent l'amélioration de la qualité de vie, de créer un instrument pour la récupération du patrimoine culturel immeuble du centre historique et un générateur de 99 développement urbain dans son aire d'influence. » La création de cet espace vert est donc bien conçu comme un instrument de transformation du territoire à destination de la population. La notion de qualité de vie est ici liée au déplacement et au contact avec la nature, deux thèmes jusque-là largement ignorés dans la Candelaria. La municipalité a d'ailleurs mis en place des programmes comme Adopte un Parque (Adoptez un parc) ou Déle un nombre a su Parque (Donnez un nom à votre Parc) pour faire intervenir les riverains dans la propreté et la sécurité de l'espace public. « Ces accords implicites entre voisins, en faveur d'un but commun, ont aidé à créer 100 une solidarité dans la communauté et à réduire les indices de délits mineurs » Si l'État a réussi à s'imposer comme acteur majeur dans le centre historique, il doit aujourd'hui pérenniser sa domination. Cela passe avant tout par le contrôle physique d'un territoire encore marqué par l'exemple synecdochique de El Cartucho. 2.2 La sécurité par la culture citoyenne La force peut-elle à elle-seule garantir la domination sur un territoire? L'État a-t-il les moyens d'intervenir massivement dans cette zone dans le contexte actuel de guerre civile? 2.2.1 Le paradoxe du centre 98 99 Montezuma Ricardo, 2007, Loc. Cit., p. 180 (traduit de l'espagnol par nos soins) Ulloa Rodolfo, President de la Société Colombienne des Architectes, Discours pour la présentation du concours d'architecture convoqué par la maire de Bogota et la Société Colombienne des Architectes, « Concours d'architecture pour la présentation d'idées en vue de l'élaboration du projet architectural et dessin paysagiste du parc Tercer Milenio à Santafé de Bogota » (traduit de l'espagnol par nos soins) 100 « Adopte un Parque! » in Catalogue de l'exposition « Bogota: El renacer de una ciudad », Loc. Cit., p.17 (traduit de l'espagnol par nos soins) Charlie WEIBEL 33 A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une politique du symbole Que ce soit lors de la grande grippe de 1918 avec le quartier d'Egipto ou lors de la construction du parc Tercer Milenio à partir de 1999 sur les ruines de El Cartucho, les autorités ont toujours semblé découvrir avec retard l'ampleur de la misère qui régnait dans des quartiers pourtant situés à quelques pâtés de maisons de la Place Bolivar. Les interventions dans ces quartiers ne sont, à chaque fois, que des réponses a posteriori à un état de crise devenu dangereux de par sa capacité à avoir des conséquences négatives en dehors des frontières de l'ensemble concerné. Paradoxalement, le centre se caractérise par la concentration sur un espace réduit de l'essentiel des institutions étatiques. La Place Bolivar est un lieu d'exercice du pouvoir au sens politique bien sûr mais aussi matériel, une fois par semaine, lorsque la garde présidentielle, dont la caserne se situe derrière la Casa de Nariño, vient défiler. Un déploiement militaire conséquent cadrille également la Candelaria. Il semble donc que l'État ait les capacités de s'assurer une domination sur le centre historique. Pourtant, la Candelaria apparaît encore pour beaucoup de Bogotanais comme un quartier peu sûr et la majorité des étudiants qui viennent chaque jour dans le centre où se trouvent leurs universités ne connaissent pas les lieux historiques qui les entourent. Ils ne s'intègrent pas à la vie sociale du centre et n'éprouvent pas d'attachement pour ce quartier. Cela s'explique surtout, on l'a dit, par le processus d'exagération du déclin et la 101 généralisation à tout le centre de phénomènes extrêmes mais très localisés. On peut donc déduire que le déploiement militaire n'a pas prétention à la récupération du centre puisqu'il est présent par essence depuis toujours et que son existence n'a pas empêché le développement de foyers d'insécurité particulièrement aigus au sein même du centre historique. C'est un dispositif statique sans prétention à imposer l'État comme puissance dominante. Cet état de fait s'explique sans doute par le départ des élites au milieu du XXème siècle. Celles-ci, après avoir quitté le centre, n'ont plus perçu comme nécessaire d'assurer un niveau élevé de sécurité dans une zone qui, pour eux, était amenée à disparaître. De plus, les nouvelles communautés qui s'y installent, issues de couches sociales moins élevées, répondent à des normes sociales différentes de celles des élites et ne considèrent pas la sécurité comme un service public prioritaire. L'État se désengage donc du centre et laisse à ces communautés le soin de gérer elles-mêmes leurs conflits tant que cela ne constitue pas un obstacle aux desseins progressistes des élites de l'époque. Ce faisant, l'État renonce pourtant à l'une de ses prérogatives constitutives, à savoir le monopole de la violence physique légitime définit par Max Weber. Cette notion signifie qu’en interdisant l’usage privé de la force, l’État se réserve l’exclusivité du recours à la violence, ou à la contrainte justifiée, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de ses frontières: « S’il n’existait que des structures sociales d’où toute violence serait absente, le concept d’État aurait alors disparu et il ne subsisterait que ce qu’on appelle, au sens propre du terme, l’ « anarchie ». La violence n’est évidemment pas l’unique moyen normal de l’État - cela ne fait aucun doute -, mais elle est son moyen spécifique. De nos jours, la relation entre État et violence est tout particulièrement intime. Depuis toujours, les groupements politiques les plus divers - à commencer par la parentèle - ont tous tenu la violence physique pour le moyen normal du pouvoir. Par contre, il faut concevoir l’État contemporain comme une communauté humaine qui, dans les limites d’un territoire déterminé - la notion de territoire 101 34 Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.17 Charlie WEIBEL 2/ « Récupérer » la Candelaria étant une de ses caractéristiques -, revendique avec succès pour son propre compte le 102 monopole de la violence physique légitime. » Cependant, on observe aujourd'hui un changement d'approche de la part des autorités. La maire de Bogota a créé des groupes de recherches pour chaque localité afin de comprendre avec précision l'origine et les manifestations de la violence dans chaque partie de la ville. Il en ressort que dans la Candelaria, on compte plusieurs secteurs considérés comme sensibles, tels Santa Bárbara, Belén, Egipto, la Plaza de la Concordia et le Chorro de Quevedo. Les activités les plus communément recensées sont la présence de bandes, la consommation de drogue et d'alcool et la violence. Ce rapport met en lumière les raisons pour lesquelles l'État a dû changer d'approche en matière de sécurité à Bogota. Il distingue d'abord plusieurs types de violence : la violence commune, la violence instrumentale, la violence liée au narcotrafic et la violence politique. Il souligne également que si les contacts entre ces différentes manifestations de la violence étaient sporadique jusqu'en 1985, on assiste de plus en plus aujourd'hui à une radicalisation du processus. On peut citer l'exemple de l'unification progressive des violences liées au narcotrafic avec la violence politique des Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC) ou des paramilitares. Ce processus touche également les villes. Dans le cas de Medellin, deuxième ville du pays, on a assisté à un phénomène d'alliance aléatoire des quelques 400 groupes délinquants soit avec des groupes paramilitares, soit avec des guerilleros. Au total, on estime que ces 10000 jeunes contrôlent aujourd'hui 70% des quartiers dont 15 à 20% pour la guérilla. Les grandes villes sont un objectif pour les FARC et Bogota est en première ligne. Mais si, dans les années 1980, elles bénéficiaient d'un soutien important, elles ne peuvent plus guère compter aujourd'hui sur leurs appuis dans les milieux ouvriers ou étudiants, ou bien encore dans les secteurs populaires. Elles font donc appel aux bandes délinquantes grâce à leurs importantes ressources financières issues du trafic de drogue. Face à l'éventualité de l'union des violences, Bogota semble démunie. Malgré des 103 efforts notables, les investissements dans le domaine de la sécurité privée sont toujours cinq fois plus élevés que dans le domaine de la sécurité publique. Mais les quelques 80000 gardes fragmentés dans la ville ne sont pas préparés pour faire face à la structure très organisée de groupes comme les FARC. Dans ce contexte, la Candelaria apparaît d'autant plus exposé. D'abord, sa population reste en majorité issue des classes moyennes et basses et peut être attirée par l'appel des groupes illégaux, pas tant par proximité idéologique, mais plutôt par attrait de l'emploi et pour fuir la pauvreté. Néanmoins, on ne peut éluder la spécificité du centre historique en matière de sociologie politique. Les murs du quartier sont devenus un lieu d'expression politique par 104 la pratique des tags qui s'en prennent le plus souvent au Traité de Libre Commerce (TLC) ou directement au président Uribe. Manifestations anonymes, elles deviennent pourtant, de par leur densité, la profession de foi de tout le quartier qui est désormais identifié comme 102 Weber Max, Le savant et le politique, Traduction J. Freund, E. Fleischmann et É. de Dampierre, 10/18, p.124 103 En Colombie, la seguridad privada est une entreprise qui assure des prestations de sécurité pour toutes les institutions publiques, mais aussi à l'entrée des universités privées ou des immeubles de standing. Ses gardes sont identifiés par leur tenue spécifique. 104 Tratado de Libre Comercio (Traité de Libre Commerce): projet d'accord de libre échange entre les États-Unis et la Colombie auquel est favorable le président Uribe. Charlie WEIBEL 35 A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une politique du symbole quartier « de gauche ». Ainsi, les autorités redoutent l'infiltration de groupes tels les FARC dans un quartier qui entoure les instances du pouvoir. Ces nouvelles préoccupations sécuritaires ont conduit l'État a renforcer sa présence physique dans la ville. Des 5 millions de dollars investis entre 1992 et 1995, on est passé à 32 millions entre 1995 et 1997 et 52 millions pour la période 1998-2000. Entre 2001 et 2003, on note une légère diminution à 48 millions de dollars mais l'on reste dans des ordres de grandeur dix fois plus importants qu'il y a dix ans. L'augmentation du budget de la Police a notamment permis l'acquisition de nouveaux moyens de transports mais aussi le développement des moyens de communication et des techniques de renseignement. La maire a aussi fait construire une nouvelle prison. En matière de sécurité, Bogota fait néanmoins figure de référence grâce à sa stratégie originale. Pour comprendre la particularité du système bogotanais il apparaît important de souligner qu'en Colombie, la Police dépend du Ministère de la Défense. C'est donc l'État qui a la charge de l'entretien mais aussi de la direction de la Police Nationale. La maire de Bogota complète ses investissements mais les pouvoirs de police du maire restent limités. C'est pourquoi, à Bogota, les autorités municipales ont parié sur un nouveau principe dit de coresponsabilité qui prétend intégrer la population dans le système de sécurité de la ville. 2.2.2 Du service public au bien public: la sécurité citoyenne Le nouveau modèle de sécurité de la capitale colombienne s'inscrit dans une révolution plus large mise en oeuvre à partir de 1995 par le nouveau maire, Antanas Mockus. Pour lui, « Les comportements violents et le laxisme ou l'indifférence face à des comportements illégaux s'explique en partie par le divorce entre les trois systèmes régulateurs du comportement 105 humain : la loi, la morale et la culture (...) » . Son plan de développement pour Bogota 106 « Formar Ciudad » s'axe sur le concept de Culture Citoyenne: « Par culture citoyenne, on entend l'ensemble des habitudes, des actions et des règles fondamentales partagées par tous et qui génèrent un sentiment d'appartenance, 107 facilitent la convivencia urbaine et conduisent au respect du patrimoine commun et à la reconnaissance des droits et devoirs des citoyens. Pour appliquer ce nouveau concept, le plan propose une stratégie qui: Consiste à provoquer et coordonner des actions publiques et privées qui incident directement sur la manière qu'ont les citoyens de percevoir, de reconnaître et d'utiliser leur environnement social et urbain, et sur leur manière de s'adapter à chaque environnement. Faire partie d'une ville, c'est en reconnaître les différents contextes et, dans chacun d'eux, 105 Londoño Rocio, « De la cortesia a la cultura ciudadana » in Bogota: El renacer de una ciudad, Loc. Cit., 2007, p.134 (traduit de l'espagnol par nos soins) 106 Archives du Secrétariat Districtal de Planification, URL: http://www.sdp.gov.co/www/section-2094.jsp , (page consultée le 5 août 2008) 107 Convivencia est un terme qui qualifie à l'origine la période qui va de 711 à 1492 en Espagne lorsque Musulmans, Juifs et Chrétiens coexistaient en paix. Il est repris dans le cadre de la politique de Culture Citoyenne à Bogota et pourrait être traduit par « bien vivre ensemble ». Nous avons fait le choix de garder le terme dans sa langue originelle pour en souligner l'originalité puisque le français ne semble pas l'avoir conceptualisé. 36 Charlie WEIBEL 2/ « Récupérer » la Candelaria respecter les règles correspondantes. S'approprier la ville, c'est apprendre à l'utiliser en la 108 valorisant et en respectant ses caractéristiques et son caractère de patrimoine commun. » Cette nouvelle conception des rapports entre citoyens et entre les citoyens et l'État a une grande incidence en termes de politique publique pour la sécurité. Elle prend appui sur la Constitution de 1991, où l'on trouvait déjà des changements significatifs en la matière. La notion d'ordre public qui servait à définir certaines situations qui attentaient à la sécurité de l'État a été étendue à d'autres domaines comme la stabilité institutionnelle et la « convivencia » citoyenne. sur la réforme à effectuer. 109 L'État et la municipalité concordent donc une fois de plus Dans le cas de Bogota, on l'a dit, la sécurité était du ressort exclusif des organismes de sécurité de l'État et son traitement était presque exclusivement coercitif, fondé sur l'usage des armes et de mécanismes de sécurité perçus comme seuls moyens d'assurer la protection des citoyens. Cependant, cette stratégie police-justice-prison s'est avérée incapable de répondre à l'explosion démographique et au déficit du sentiment d'appartenance des habitants envers leur ville. Cela explique le virage donné à la politique de sécurité en faveur d'une nouvelle approche qui intègre des actions préventives. « Dans cette optique, l'administration districtale a créé un plan de sécurité qui, sans oublier les action coercitives, se base sur l'application universelle des normes, le renforcement des barrières sociales et culturelles face à la transgression des normes et l'agression contre la vie et l'intégrité des personnes, l'appui de la « convivencia » pacifique et le règlement concerté des conflits. » 110 Cette politique est perçue comme intégrale, c'est à dire qu'elle ne se limite plus à combattre l'occurrence de faits délictueux. Au contraire, le problème de l'insécurité inclue désormais d'autres aspects qui relèvent de la subjectivité des habitants mais qu'il faut prendre en compte. « L'insécurité, c'est aussi la peur latente du citoyen qui prend racine par exemple dans la sensation que produisent chez lui, l'impunité face à un délit ou le manque de solidarité de la population pour le combattre. Il s'agit également de la sensation d'absence de tranquillité qu'entraînent des lieux où la saleté, le manque et la détérioration de l'espace public, le bruit, l'indigence, l'agression verbale et le crime se conjuguent comme si rien ni personne ne pouvait mettre fin à cet état de fait. » 111 La nouvelle stratégie de sécurité citoyenne consiste donc à substituer à la trilogie policejustice-prison un nouvel ensemble police-administration-communauté. La sécurité n'est plus perçue comme un service public fourni par l'État mais comme un bien commun issu de l'action conjointe de ces trois acteurs selon le principe de la culture citoyenne. On fait appel aux sentiments de solidarité et de coopération comme rempart à la délinquance. Ce changement se traduit par la mise en place d'un nouveau Code de Police de Bogota par l'accord 79 de 2003 qui intègre la politique de culture citoyenne fondée sur les principes d'autorégulation et de régulation mutuelle des citoyens. 108 109 110 Londoño Rocio, Ibid., p.134 (traduit de l'espagnol par nos soins) Constitution politique de Colombie, Article 213 Secretaria de Gobierno del Distrito Capital, Monografia de seguridad y convivencia para la localidad 17: La Candelaria, Alcaldia Mayor de Bogota et Universidad del Rosario, Bogota, 2003, p.22 111 Ibid., p.15 Charlie WEIBEL 37 A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une politique du symbole Dans la Candelaria, ce principe de coresponsabilité implique la mairie locale, le commandement de la police et la communauté organisée en fronts de sécurité. Elle est appelée à signaler les véhicules suspects ou le ramassage des ordures en dehors des heures prévues. Il existe également des réunions régulières avec les propriétaires de parking pour éviter les actes terroristes. du conseil local de sécurité. 112 Ces actions sont répertoriées lors de réunions Cette nouvelle politique de sécurité citoyenne pénètre aussi la sphère privée en partant du constat que la plupart des agressions ou crimes ont lieu au sein de la cellule familiale ou entre les proches suite à une altercation. Le nouveau système s'appuie donc sur des instances qui existaient déjà mais qui étaient peu exploitées, comme les Commissariats à la Famille créés par le décret 2737 de 1989 du Code des Mineurs. Ces structures prennent en charge les conflits intra-familiaux et prennent des mesures d'urgence en cas de 113 maltraitance par exemple. Les Unités de Médiation et Conciliation (UMC) jouent aussi un rôle important dans la gestion alternative des différends entre autres lors de conflits de voisinage. 114 Cette stratégie s'avère très efficace. A l'échelle de Bogota, les morts violentes, qui incluent les homicides, les suicides, les accidents de la route et les morts accidentelles, ont diminué de 51,4% entre 1997 et 2006, passant de 4392 à 2133 cas. En terme de taux de morts violentes (nombre de morts pour 100 000 habitants dans un territoire donnée, convention internationales à titre comparatif), la tendance à la baisse se confirme puisqu'on passe de 73 morts violentes pour 100 000 habitants à 29. Il est à noter que cette tendance à la baisse initiée par la politique de culture citoyenne entre 1995 et 1997 se consolide avec les administrations suivantes de Enrique Peñalosa (1998-2000), Antanas Mockus, qui est réelu pour un deuxième mandat (2001-2003), et Luis Eduardo Garzon (2004-2007). Ainsi, entre l'administration Peñalosa et la deuxième administration Mockus, on note une réduction de 23% des morts violentes. La tendance se confirme entre Garzon et Mockus avec une réduction de 15,6%. La tendance est encore plus prononcée dans La Candelaria où la réduction des morts violentes atteint 61%, passant de 49 à 19 cas entre 1997 et 2006. Quant au taux de morts violentes, on est passé de 207 à 66 morts violentes pour 100 000 habitants, soit une réduction de l'ordre des deux tiers. 115 Si l'on se concentre sur la réduction du nombre d'homicides, plus significative de l'efficacité du succès de la politique initiée par Mockus sous le nom de « Vida Sagrada » (Vie Sacrée), la baisse est là encore importante. Bien qu'ils représentent toujours la plus grande cause de morts violentes (63% en 1997 ; 64,7 en 2006), on observe une baisse de 50% à Bogota, de 2765 à 1380 cas, qui est même encore plus prononcée dans La Candelaria où le taux de diminution atteint 76,7% entre 1995 et 2006. En termes de taux d'homicides, à Bogota, on passe de 45,9 à 18,8 pour 100 000 habitants entre ces deux dates. Pour La 112 113 114 115 Hernandez Hernandez Clara Maria, maire Locale de La Candelaria in Monografia de seguridad y convivencia, Loc. Cit., p.27 Arenas Maria Consuelo, Comisaria de Familia, Localidad de La Candelaria in Ibid., p.27 Sanchez Carmen Adela, Unidad de Mediacion y Conciliacion, Localidad de La Candelaria in Ibid., p.31 Informe para la Localidad 17 La Candelaria, Centro de Estudios y Analisis en Convivencia y Seguridad Ciudadana, 2007, URL: http://www.ceacsc.gov.co/index.php?option=com_content&task=view&id=151&Itemid=195 38 Charlie WEIBEL (page consultée le 1 août 2008) 2/ « Récupérer » la Candelaria Candelaria, la baisse est encore plus importante puisqu'on passe de 161 à 34,8 pour 100 000 habitants. 116 Plusieurs actions importantes méritent d'être évoquées même si elles ne concernent pas exclusivement le centre historique, car elles soulignent bien l'approche originale des 117 pouvoirs publics en matière de sécurité. Citons d'abord la « Ley Zanahoria » (Loi carotte) . Cette loi, adoptée en 1995, consiste à limiter les horaires d'ouvertures des établissements nocturnes - débits de boisson afin de diminuer les facteurs de risque qui incident à la violence urbaine comme la consommation d'alcool et de stupéfiants. Malgré la résistance des propriétaires de boîtes de nuit et de beaucoup de citoyens, la mesure a été maintenue jusqu'à mi 2003. C'est alors qu'Antanas Mockus a modifié la loi lors de son nouveau mandat, en autorisant l'ouverture jusqu'à 3 heures du matin avec une mesure appelée « Horario Optimista » (horaire optimiste). Il traduisait la confiance dans l'autorégulation des consommateurs d'alcool qui se basait sur la réduction du nombre de morts sur la route. Cette mesure n'a pas altéré la tendance à la réduction des accidents de la route et des actes de violence dans la ville. 118 On peut également faire mention du Plan Desarme (Plan de Désarmement) qui visait à mettre fin à la tentation des Bogotanais de se faire justice eux-mêmes, et à développer la confiance dans les institutions de sécurité et de justice officielles. Chaque année depuis 1995, la municipalité met en place des journées de désarmement volontaire avec la campagne « Armémonos de amor » (Armons nous d'amour) et des campagnes contre la violence dans les établissements scolaires. De son côté, la police continue de réaliser 119 des opérations périodiques de contrôle du port d'arme. Dans la Candelaria, c'est le Commissariat à la Famille qui prend en charge la promotion de cette politique avec des travaux dans les écoles. 120 De même, on peut citer l'interdiction de l'utilisation et de la vente de poudre, à Noël 1995, pour protéger les enfants des accidents. Les vendeurs ont reçu des compensations et les chiffres de la diminution des blessés ont été massivement diffusés afin de convaincre de l'efficacité de la mesure. Entre 1995 et 2003, en effet, le nombre d'enfants blessés par des feux d'artifices a baissé de 54%. 121 Une autre initiative surprenante d'Antanas Mockus reste la Nuit des Femmes. Pour célébrer la Journée Mondiale de la Femme, il a décrété que durant la nuit du 8 mars 2001, seules les femmes seraient autorisées à sortir dans les rues. Il souhaitait ainsi susciter une réflexion collective sur le fait qu'entre 1996 et 2000, seul 7% des victimes d'homicides à Bogota étaient des femmes. 116 122 Il s'agissait aussi de rendre hommage à la lutte pacifique Chiffres Sistema Unificado de Informacion de Violencia y Delincuencia et Departamento Administrativo de Planeacion Distrital, Subdireccion de Desarrollo Social, proyecciones de poblacion, Bogota, 2007 117 118 119 120 121 122 En Colombie, une personne qui évite les excès est appelée zanahoria Londoño Rocio, 2007, Loc. Cit., p.135 Londoño Rocio, Ibid. , p.136 Arenas Maria Consuelo, 2003, Loc. Cit., p.30 Londoño Rocio, Ibid., p.136 Instituto Distrital de Cultura y Turismo, « Noche de las Mujeres 2001 », Bogota, Mars 2002, p.15 Charlie WEIBEL 39 A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une politique du symbole des femmes pour faire valoir leurs droits dans la société et promouvoir un changement des rôles à l'intérieur des foyers pendant une nuit afin que les hommes s'occupent des enfants tandis que les femmes profitaient d'une nuit en ville. Malgré une opposition assez importante, cela a permis de susciter un vaste débat public. Symboliquement, durant la nuit du 8 mars 2003, la ville de Bogota fut dirigée par une femme membre du Conseil. Et c'est une femme policière qui prit la responsabilité de la sécurité. 123 Les autorités de Bogota se sont donc assurées le contrôle actif du territoire de la Candelaria par l'augmentation des forces militaires et par le concours de la population. Cependant, comme le souligne Gramsci, il faut distinguer « dominant » et « dirigeant » : la prise de pouvoir donne la domination, reste à conquérir la « direction ». La phase de coercition ne peut assurer à elle-seule le contrôle d'un territoire. « L'hégémonie suppose (...) la coercition que la classe dominante fait nécessairement peser sur les groupes antagonistes. Mais c'est aussi la direction intellectuelle et morale (culturelle) de tous les alliés (de cette classe) dont on a gagné le consentement et dont on veut organiser le consentement actif ». 124 Dans son objectif de récupération de La Candelaria, l'élite doit donc pérenniser son contrôle en utilisant l'appareil étatique dans sa dimension culturelle afin de diffuser et faire accepter ses valeurs. 2.3 Participez! L'abandon de la Candelaria dans les années 1970 et 1980 est en fait symptomatique d'une crise institutionnelle plus profonde qui touche toute la ville. Cette crise se caractérise en partie par l'absence totale de réponse apportée par les autorités locales au prétexte que la crise relevait de facteurs externes à Bogota sur lesquels l'administration districtale n'avait aucun contrôle. « Il était commun d'expliquer les problèmes en disant que « Les Bogotanais n'aiment pas leur ville », « personne n'est d'ici », « la violence est un problème national ». On les attribuait aussi à des phénomènes structurels comme la pauvreté, la perte de capital social ou la désintégration sociale. » 125 Avec la politique volontariste développée par Mockus et ses successeurs, on passe à une autre approche qui prétend pouvoir résoudre elle-même les problèmes de la ville. L'expression de cette volonté des autorités doit amener à une réflexion sur les moyens de ce contrôle. On a vu que le développement de la politique de sécurité citoyenne s'inscrivait dans un programme plus large de culture citoyenne qui démontre le désir d'imposer certaines normes sociales à la population. La diffusion des valeurs est donc le deuxième aspect de la politique publique de récupération du centre historique. Il s'agit de créer une citoyenneté dans un territoire où cela ne va pas de soi. D'abord parce que, comme le soulignaient les précédentes administrations, 123 124 125 40 Londoño Rocio, Ibid., p.136-137 Gramsci Antonio, 1983, Op . Cit., p.82 Martin Gerard, 2007, Loc. Cit., p.93 Charlie WEIBEL 2/ « Récupérer » la Candelaria une grande partie de la population n'est pas née à Bogota et ne se reconnaît donc pas une appartenance à cette ville. Ensuite, en ce qui concerne La Candelaria, le dogme du progrès diffusé dans la première moitié du XXème siècle a fait que les habitants du centre historique ont perdu conscience de la valeur de leur quartier et ne s'imposent pas le devoir de le conserver. Enfin, parce que les autorités se sont longtemps convaincues, à l'époque 126 du « L'État n'est pas la solution à nos problèmes... L'État est le problème » triomphant, que les interventions dans le secteur n'étaient non seulement pas nécessaires mais qu'elles étaient de fait néfastes. Créer la citoyenneté signifie développer un sentiment de communauté. Il s'agit de faire participer les habitants à des actions qui sont présentées à la fois comme des droits et des devoirs inhérents à la vie en groupe. On a souligné que dans le domaine de la sécurité, ce sentiment se manifestait par la solidarité. En ce qui concerne la diffusion des valeurs, ce sentiment de communauté se traduit dans le concept de participation. La participation peutelle être imposée depuis le haut? La participation va-t-elle de soi? 2.3.1 La participation institutionnalisée La participation a d'abord été générée par des réformes institutionnelles. Comme le souligne le document émis par le Ministère de la Culture en vue de la commémoration du bicentenaire de l'Indépendance, la création de ce sentiment de communauté est une construction pleinement assumée de la part de l'État: « Ce doit être une fête pour tous: notre commémoration pour nous être construits en une communauté d'être libres, acceptant notre responsabilité vis à vis de l'autre, car nous lui reconnaissons son indépendance et tant qu'être distinct ; notre commémoration pour nous être construits en tant que nation dont la construction sociale puise sa valeur dans l'acceptation de l'autre; notre commémoration d'un passé commun, mais qui reconnaît que sa signification est dynamique et plurielle ; notre commémoration de l'État, en acceptant que dans ses institutions et ses règles de vie on explique les façons de coexister et en consolidant un projet collectif de nation qui respecte les particularités ; au fond, notre commémoration de l'avenir, qui ne peut se réaliser que dans la liberté, la communauté, la « convivencia » et le patrimoine commun. » 127 Ce mouvement décentralisateur est initié par la nouvelle Constitution de 1991 également appelée Constitution des Droits. Elle a pour but d'adapter l'État colombien aux nouvelles réalités qui prévalent aujourd'hui et qui ne sont plus celle de 1886. L'Assemblée constituante est d'ailleurs coprésidée par Antonio Navarro, membre du M-19, un groupe guerillero qui a accepté de se démobiliser pour participer à la réforme des institutions. La Charte précise que: « La Colombie est un État social de droit, organisé en République unitaire, décentralisée, avec autonomie des entités territoriales, démocratique, participative et pluraliste, fondée sur le respect de la dignité humaine, sur le travail et la solidarité des personnes qui l'intègrent et sur la prééminence de l'intérêt général. » 126 127 128 128 Reagan Ronald, Extrait du Discours d'investiture, 20 janvier 1981 Bicentenario de las Independencias, 2008, Loc. Cit., p.5 (traduit de l'espagnol par nos soins) Constitucion politica de Colombia, Articulo 1, Bogota, 1991 (traduit de l'espagnol par nos soins) Charlie WEIBEL 41 A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une politique du symbole Cette stratégie décentralisatrice vise à faire participer toutes les personnes concernées dans le processus de décision. On la retrouve dans tous les domaines de l'action publique et d'abord en matière de gestion de la ville. La loi 388 de réforme urbaine de 1997 souligne qu'en matière d'urbanisme, l'État doit travailler avec la population. Elle s'inspire du principe de participation et affirme le principe de l'égale répartition des charges et bénéfices liées aux politiques d'urbanisme menées par l'État. Celui-ci doit donc rechercher l'équité entre les propriétaires concernés et entre ces propriétaires et le reste des habitants. Cela montre bien que la participation des populations locales doit se faire en amont. De plus, cette loi accorde à la population concernée par un projet urbanistique le droit de se prononcer sur les éventuelles hausses des prix immobiliers résultants de ces actions. 129 On retrouve cette politique décentralisatrice dans La Candelaria grâce aux réformes du District Capital. Chacune des vingt localités acquiert une plus grande autonomie ce qui permet aux mairies locales d'inclure la participation comme axe de planification pour permettre à leurs citoyens de décider des priorités. Les citoyens peuvent ainsi s'exprimer au sein de diverses institutions sectorielles comme les Conseils de culture, les Conseils locaux de jeunesse ou les Juntes administratives locales. Il existe également des groupes participatifs réservés à une catégorie déterminée de la population comme les femmes et les minorités ethniques. Cette politique permet d'assurer une plus grande efficacité des fonds publics investis. 130 En juillet 2008, à l'issue de six rencontres citoyennes, les habitants de la Candelaria ont pu déterminer leurs priorités pour les quatre années à venir avec le budget de la Localité. Ils émettent ensuite une proposition à la maire locale qui élabore un plan de développement qu'elle présente au Conseil de planification local. Ce conseil exprime un avis pour déterminer si le plan proposé répond aux priorités exprimées par la population. Il est ensuite proposé à la Junte administrative locale qui est composée de sept délégués (ediles) élus par le suffrage universel direct et qui représente le législatif local. Cependant, si la Junte n'approuve pas le plan, la maire garde la possibilité de promulguer le plan par décret sans passer par la Junte. La participation institutionnalisée se manifeste aussi par la politique menée par la maire de Bogota pour promouvoir la culture de l'impôt. Il s'agit d'améliorer la perception qu'a la population de l'utilisation des ressources fiscales de la ville. Dans cette optique, la campagne « 110% avec Bogota » invitait les contribuables à verser volontairement 10% supplémentaire sur leurs impôts locaux afin de financer des projets sociaux qu'ils choisiraient eux-mêmes. 109246 Bogotanais ont accepté de payer cet impôt en 2002 et 2003, ce qui peut être considéré comme un succès. Aussi, cette initiative de Mockus a-t131 elle été reprise par l'administration Garzon (2004-2007). Dans la même optique, la loi 388 de 1997 d'urbanisme affirme le principe de l'égale répartition des charges liées aux politiques d'urbanisme menées par l'État. La population est donc invitée à payer ses impôts dans l'intérêt commun. 132 Pourtant, ces mesures n'ont pas été suivies d'effets dans la Candelaria. Dans le cadre de la politique de grands travaux, l'État s'est engagé seul et n'a que très peu fait appel à la population. Durant la première phase de construction de l'Eje Ambiental (1998-2000), 129 130 131 132 42 Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.24 « Planeacion con participacion ciudadana » in Catalogue de l'exposition « Bogota: El renacer de una ciudad », Loc. Cit., p.12 Londoño Rocio, 2007, Loc. Cit., p.140 Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.24 Charlie WEIBEL 2/ « Récupérer » la Candelaria il faut tout de même reconnaître que l'État a utilisé le mécanisme de la « Contribution de Valorisation ». Par cette mesure, la dépense publique est en partie financée par la contribution des propriétaires des immeubles situés dans la zone d'influence des travaux et dont la valeur du bien pourrait être amenée à augmenter grâce à l'action publique. Cependant, on peut noter que l'apport privé est resté très marginal par rapport à l'ensemble des investissements réalisés dans tout le centre. On l'estime à 1,8 millions de dollars sur les 112 millions investis au total. 133 De fait, toutes les autres interventions de l'État dans le centre, celles correspondant à la réalisation du parc Tercer Milenio (rachat des terrains, construction du parc, indemnisations) et d'autres interventions plus ponctuelles, ont été le fruit de décisions unilatérales et ont été financées exclusivement par le trésor public, sans que l'on face appel à cette culture de l'impôt de la part des propriétaires des terrains et immeubles qui ont bénéficié de ces interventions. 134 Au contraire, ces propriétaires ont plutôt eu tendance à spéculer sur le prix des terrains quand ils ont eu vent du projet de parc par exemple, ce qui a eu pour effet de faire augmenter les prix des biens que l'État devait acquérir par la suite. En effet, comment expliquer que le rachat des terres représente 70% des dépenses du projet Tercer Milenio avec un prix moyen payé de 170$ par mètre carré ? Cela apparaît totalement démesuré au regard de l'état de délabrement de El Cartucho à l'époque. 135 Quoi qu'il en soit, les grands travaux ne doivent pas masquer le fait que la somme des dépenses consacrées aux interventions ponctuelles dans la Candelaria (59 millions de dollars) dépasse les montants réunis des dépenses pour le parc Tercer Milenio (43 millions 136 de dollars) et l'Eje Ambiental (10 millions de dollars). Ces petits investissements, bien que moins visibles, représentent l'essentiel des sommes allouées par les trois administrations Peñalosa (1998-200), Mockus (2001-2003) et Garzon (2004-2007) pour le centre alors que toutes ont également financé les grands travaux. encore, rien n'a été demandé aux bénéficiaires. 137 Or dans ces petites interventions, là Deux déductions s'imposent. D'abord les habitants du centre historique ne disposaient manifestement pas de cette culture de l'impôt et on peut même penser que la notion de participation telle qu'elle leur a été présentée leur était largement étrangère. Ainsi, on voit bien que la politique de l'État consiste à imposer ses propres valeurs sur un territoire où elles ne vont pas de soi. La deuxième conséquence de ce raisonnement est que si l'État a préféré investir massivement dans le centre sans se donner la peine d'utiliser tous les instruments qu'il avait à sa disposition, pour acquérir les terrains de El Cartucho par exemple, c'est parce que la récupération du centre apparaissait comme un objectif prioritaire qui ne pouvait attendre que la population ait pleinement intégré les nouvelles valeurs de participation et de culture de l'impôt. D'ailleurs, malgré les nombreux outils offerts par la décentralisation afin de favoriser 133 134 135 136 137 Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.40 Ibid., p.35 Ibid., p.36 Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.29 Ibid., p.30 Charlie WEIBEL 43 A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une politique du symbole la participation des habitants dans la planification de leur quartier, le Plan Spécial pour la Récupération du Centre Historique de 2000 et les grands travaux ont été décidés de façon arbitraire par la municipalité et l'État. On doit maintenant se pencher sur la deuxième stratégie utilisée par les promoteurs du concept de participation, à savoir la socialisation. Si la première a plus trait à l'intégration de la population au sein de l'État, celle-ci veut promouvoir la participation au coeur des rapports sociaux. 2.3.2 La socialisation Le deuxième axe de promotion du concept de participation est la socialisation entendue comme l'apprentissage de la vie en société. La création du sentiment de communauté dépasse ainsi le cadre institutionnel pour imprégner les comportements sociaux grâce à l'établissement de règles communes à tous. Ce processus d'intériorisation des normes d'un groupe entraîne l'adhésion à ce groupe. La socialisation permet d'acquérir des valeurs, c'est à dire un idéal propre à une société donnée. Ici: « La Candelaria devra être un modèle d'intégration, de participation, de justice, de solidarité et de convivencia entre les résidents, la population flottante, les autorités, les établissements publics et privés, les organisations sociales et communautaires, les centres éducatifs, le secteur productif, culturel et touristique pour le développement social, culturel et économique de la population résidente (...) » 138 Elles sont le plus souvent abstraites et doivent être traduites par des normes concrètes. La valeur participation peut ainsi être matérialisée dans la norme travail. La Corporation La Candelaria a donc mis en place des programmes de réinsertion pour les jeunes de 18 à 25 ans issus de milieux très marginaux. Ceux-ci sont formés aux métiers de la restauration du patrimoine au sein de l'Escuela Taller de Bogota (École atelier de Bogota), une institution crée avec l'appui de l'Agence Espagnole de Coopération Internationale pour le Développement (AECID), de la Corporation Andine de Développement (CAF), du Ministère de la Culture colombien, du Service National d'Apprentissage et de la maire de Bogota. La Escuela Taller de Bogota a débuté ses travaux en 2006 et son siège se situe 139 en face de la Corporation. L'assistance aux populations défavorisées est donc en partie conditionnée à l'apport réciproque pour la communauté. C'est un politique contractuelle qui se résume à l'assistance contre la participation. La socialisation vise également à définir des rôles pour les individus dans le groupe, c'est à dire des comportements types à suivre en fonction de la position, du statut occupé au moment où l'on intervient : père, citoyen, fils ou encore employé. La participation consiste à développer les rôles professionnels et politiques. En ce qui concerne La Candelaria, les habitants sont appelés à remplir leur rôle de citoyen au sein d'un tissu social dense et cohérent : 138 Accord local 5 de 2001 « Par lequel est adopté le Plan de Développement, Economique, Social et de Travaux publics » pour la Localité 17 de La Candelaria, période 2002-2004 « Candelaria para la Convivencia », Article 1, Junta Administradora Local de La Candelaria (traduit de l'espagnol par nos soins) 139 44 Escovar Wilson-White Alverto, 2007, Loc. Cit., p.78 Charlie WEIBEL 2/ « Récupérer » la Candelaria « Généralement, le citoyen commun ne sait pas les dommages que cause à la ville une propriété inoccupée. Ils n'apportent pas de contribution par l'intermédiaire des impôts et des services publics. De plus, cela génère des problèmes qui affectent des zones environnantes, comme la délinquance, la consommation de drogue, etc. » 140 Conscient de ce constat, les autorités préconisent: « La Candelaria devra être (...) la vocation de ses habitants, en tirant parti des potentialités qu'offre sa situation centrale dans la capitale et de la présence sur son territoire du Centre Historique. » 141 La socialisation transmet également un langage commun, corollaire à l'intégration dans un groupe. C'est pourquoi le programme de Culture Citoyenne a cherché à utiliser un langage symbolique qui contribue à une réception plus large de la part du public. Au lieu de lancer des campagnes pour la sécurité sur les routes, on a ainsi peint des « Etoiles noires », marquées d'un point d'interrogation, à chaque endroit où un accident de voiture avait coûté la vie à quelqu'un. Ce programme a eu un impact considérable et a même été repris à l'échelle nationale par le Fond de Prévention Routière. 142 « Pour l'État, il s'agit d'une appropriation du virage linguistique qui a caracterisé certaines sphères de la connaissance académique au cours des dernières décennies : la reconnaissance de la centralité du langage dans la structuration de la culture et la conviction selon laquelle c'est le langage qui donne du sens au monde physique et aux actions humaines (...). On a utilisé un langage familier, ludique et à portée poétique, qui faisait contraste avec le langage technocratique et impersonnel commun en la matière, ce qui a fait appel à la dimension personnelle, affective et esthétique de l'individu. » 143 Le programme Mision Bogota mis en place par l'administration Peñalosa s'inscrit aussi dans cette perspective. Il cherche à promouvoir l'insertion sociale de groupes marginalisés comme les jeunes déscolarisés, les chômeurs, les travailleurs sexuels, les sans abris et les recycleurs et leurs familles. L'originalité de cette politique est qu'elle inclut des politiques à destination du reste de la population afin de mettre un terme à la stigmatisation. Les autorités ont compris que le problème de l'exclusion n'était pas que socio-économique mais qu'il relevait aussi de l'absence de communication réciproque. « L'objectif implicite était la construction d'un autrui valide pour dialoguer, qui cesse d'être marginal ou exclu tant en terme de groupe qu'en terme d'imaginaire social. » 144 La socialisation de ces groupes exclus passe donc par la transmission d'une certaine forme de langage qui est propre au reste des habitants et qui doit être le vecteur de la participation au sein de la communauté. 140 141 142 143 Carrizosa Claudia, « Alta cirugia en el corazon de Bogota » (entretien) in Revista Proyecto Diseño n°18, Bogota, 2000, p.23 Accord Local 5 de 2001, Article 1, Loc. Cit. Londoño Rocio, 2007, Loc. Cit., p.143 Saenz Javier, La cultura ciudadana: una pedagogia para la democracia, la civilidad, la seguridad, la comunicacion y el disfrute, vol. II, Bogota, Memorias de la Administracion Distrital 2001-2003, Bogota, 2003, p.48-49 144 Peñaranda Claudia Helena, Miranda Ruiz, Leonel Alberto, « Desmarginalizacion e inclusion social » in Bogota: El renacer de una ciudad, Op . Cit., p.259 Charlie WEIBEL 45 A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une politique du symbole La socialisation est soutenue par la politique éducative. En effet, l'école est un agent de socialisation primaire essentiel. Elle éduque, transmet des règles de conduite et enseigne des connaissances et des savoir-faire. La maire de Bogota et la Localité de La Candelaria font en la matière des efforts conséquents. En 2002, le centre historique concentrait seulement 0,4% de la population en âge d'être scolarisée 145 146 , mais 0,9% des institutions 147 éducatives, publiques et privées et 0,7 du personnel enseignant de Bogota. Pourtant, le taux d'analphabétisme chez les personnes âgées de 15 ans et plus dans le centre 148 historique (2,6%) reste supérieur à la moyenne de la ville (2,2%). Les autorités comptent néanmoins sur l'école car le processus de socialisation s'effectue aussi des enfants en direction des parents. La politique de Culture Citoyenne de Bogota a fait preuve d'originalité en faisant appel à différentes formes d'apprentissage classique de la socialisation. Prenons par exemple l'apprentissage par renforcement qui conditionne la personne afin qu'elle se conduise bien au travers de récompenses ou punitions qui montrent si l'autorité approuve ou désapprouve tel ou tel comportement. A Bogota, de 1995 à 1997, on a utilisé les « tarjetas de regulacion ciudadana » (cartes de régulation citoyenne) pour favoriser la régulation mutuelle des citoyens dans la rue. Ces cartes étaient marquées d'un pouce dirigé soit vers le haut soit vers la bas. Les citoyens étaient invités à se les distribuer pour marquer leur approbation ou au contraire leur réprobation face à un comportement. 149 Mais la mesure la plus marquante pour les Bogotanais reste l'emploi de mimes. Il s'agit là d'une forme d'apprentissage de la socialisation par interaction avec autrui. La personne apprend à travers les jeux de rôles. Elle fait l’expérience de la société et s’approprie les savoirs de l'entité qui représente l'autorité. Voilà comment le rapport sur l'exécution du plan de développement Formar Ciudad (1995-1997) de Mockus présentait ces mimes: « A partir de juillet 1995, tous les trois mois, 400 jeunes, le visage peint en blanc et habillés de noir ont instruit les Bogotanais sur le respect des panneaux de signalisation. Ils ont renoncé à la parole. Grâce à des cris sourds et des pas fermes, ils ont montré les choses qu'on ne devait pas faire. Dans les 19 Localités urbaine, ils ont proposé par le geste, l'expression et le regard, la construction d'une ville désirée par tous (...). Et pour éduquer les Bogotanais, ils ont utilisé la honte, jusqu'à ce que ce soient ces mêmes citoyens qui se transforment en juges de leurs voisins en infraction. » 150 Nous avons donc vu quels étaient les axes de la politique de récupération du centre historique. Il s'agissait d'abord d'accroître la présence de l'État en le rendant plus visible aux yeux de la population mais aussi en l'imposant comme médiateur des relations entre 145 146 147 148 Chiffres Departamento Administrativo de Planeacion Distrital (DAPD) Chiffres Subdireccion de Analisis Sectorial-SED et Directorio de Establecimientos Chiffres Subdireccion de Personal Docente-SED Enquête de Qualité de Vie 2003 à Bogota et dans les Localités urbaines. Departamento. Administrativo Nacional de Estadisticas (DANE) et Departamento Administrativo de Planeacion Distrital (DAPD) 149 150 Londoño Rocio, 2007, Loc. Cit., p.143 Alcaldia Mayor de Bogota, « Formar Ciudad, 1995-1997 », Bilan des projets et actions de l'administration présidée par les maires Antanas Mockus (1995-1996) et Paul Bromberg (1996-1997) 46 Charlie WEIBEL 2/ « Récupérer » la Candelaria population et territoire. Il fallait également une reconquête par la force grâce à une politique de sécurité originale, qui en plus des forces classiques, fait appel à la population. Mais pour s'assurer la pérennité de sa domination, il devait surtout diffuser ses valeurs, axées sur le thème de la participation. L'État a donc cherché à étendre son hégémonie sur la Candelaria. Cette volonté de récupérer ce quartier, mise en évidence par l'ampleur des moyens employés, nous amène désormais à nous interroger sur les motivations de l'État. Charlie WEIBEL 47 A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une politique du symbole 3/ La Candelaria comme moyen Tout comme l'abandon de la Candelaria était une conséquence du nouveau crédo progressiste des élites et de l'État, il peut être intéressant maintenant d'analyser les fondements idéologiques de la politique de récupération. En effet, on a montré que le discours sur le déclin du centre historique était une reconstruction qui visait à justifier la politique de récupération. On a également vu que l'État a déployé des moyens très importants dans le cadre de cette politique. Cette disproportion n'est pas seulement visible dans les moyens. Elle est aussi manifeste dans l'intérêt exacerbé du national pour le local. La Candelaria est devenu une priorité pour l'État. On a coutume d'aborder les politiques de réhabilitation d'un quartier sous l'angle socio151 économique. La norme est alors l'humain, c'est à dire l'habitant. Dès lors, on juge de la réussite des mesures entreprises en fonction de leur capacité à améliorer les conditions et le niveau de vie de la population concernée. Néanmoins, dans le cas de la Candelaria, il serait intéressant de se baser sur une vision qui privilégie le territoire sur la population. Le succès d'une politique de réhabilitation serait alors déterminé par la capacité de l'État à reprendre le contrôle sur la parcelle de terre considérée. Par conséquent, il serait aussi plus pertinent de considérer les mesures mises en œuvre sous l'angle du culturel. En effet, pour reprendre la dialectique de Gramsci entre dominant et dirigeant que nous avons déjà évoquée, le contrôle durable d'un territoire ne peut être assuré que par la capacité de l'État à faire accepter ses valeurs et donc à légitimer son autorité. Cette approche nous conduit à analyser la politique de réhabilitation du centre historique de Bogota selon trois perspectives. D'abord, il s'agit pour l'État de matérialiser sa politique culturelle grâce à sa politique de la culture. Ensuite, c'est un objectif politique essentiel de par la portée symbolique du centre. Enfin c'est l'avènement de l'État nation comme construction historique. 3.1 Un État présent partout La première composante de l'État reste son territoire. Or, en Colombie cette question n'est pas résolue. Si les frontières extérieures apparaissent clairement établies, la maîtrise de l'espace intérieur reste problématique. La faiblesse de l'État est souvent associée à son absence dans certaines régions au profit de groupes qui développent des structures paraétatiques comme les FARC, les paramilitaires ou les narcotrafiquants. L'action sociale 152 menée par Pablo Escobar à Medellin en est un bon exemple. La récupération de la Candelaria s'inscrit donc dans un mouvement plus large de tout le territoire national. Fautil pour autant éluder la spécificité de ce quartier? La récupération du centre historique de la capitale obéit-elle aux mêmes principes qui régissent la récupération générale du pays? 151 152 Carrión Fernando, Centros historicos y pobreza enAmerica Latina, BID, 2003 Bushnell David, Colombia una nacion a pesar de si misma. De los tiempos precolombinos a nuestros dias, Editorial Planeta, 1994, p.356 48 Charlie WEIBEL 3/ La Candelaria comme moyen 3.1.1 Symbolique de la centralité La centralité de la Candelaria lui confère un statut particulier dans le processus d'urbanisation de la ville. Point de référence spatial, il est également devenu au fil du temps une norme socio-économique tant on a vu que la ségrégation socio-spatiale distinguait le nord riche du sud pauvre. La récupération du centre a donc une portée symbolique dans la mesure où elle traduit la capacité de l'État à maîtriser la croissance de la ville mais aussi à aider les plus démunis. La période de crise des années 1970 et 1980 avait conduit à des solutions contestables en matière d'urbanisme. Rogelio Salmona, célèbre architecte colombien, rappelle que, lors de la mise en œuvre du projet Santafé dans le centre historique de Bogota, « quelqu'un de très important a dit qu'il fallait cloisonner la zone bancaire pour apporter plus de sécurité aux personnes qui travaillaient là et pour que les pauvres et les prostituées 153 cessent de roder dans le secteur. » De même, du point de vue socio-économique, la situation des habitants de El Cartucho symbolisait à elle seule l'inaction des pouvoirs publics et leur incapacité à régler un problème qui s'aggravait chaque jour un peu plus, à leur porte. Le dépassement des autorités était manifeste. Mais on note une amélioration très nette de la gestion de la ville à partir de l'administration de Jaime Castro (1992-1994) qui assainit les finances de la ville et permet ensuite le développement de la politique de culture citoyenne de Mockus, les grands travaux de Peñalosa ou encore la politique sociale de Garzon. La récupération du centre permet de concrétiser ce changement de gestion grâce à la portée symbolique du centre. Le parc Tercer Milenio en est un exemple car il traduit à la fois la capacité planificatrice d'un État qui maîtrise son territoire et le modèle à sa guise et sa faculté à assister les plus démunis au travers des « projets de vie » élaborés par la maire avec chaque habitants de El Cartucho. Cependant, la spécificité de la Candelaria ne tient pas seulement à sa centralité dans le cadre bogotanais. A l'échelle nationale aussi, ce petit quartier fait office de centre de par la position géographique de Bogota. Dans un pays marqué par ses aspirations régionalistes très fortes comme en Antioquia, la position même de la capitale au cœur du pays a une portée symbolique. Ce choix était d'ailleurs loin d'être évident à l'Indépendance tant la ville 154 était difficile d'accès et éloignée de la mer, à la différence de Buenos Aires ou Lima. Beaucoup d'ailleurs lui préféraient Carthagène. L'expert en sécurité Leon Valencia souligne lui aussi le rôle symbolique de la Candelaria à l'échelle nationale: « (...) dans le cas de la Localité de la Candelaria à Bogota, il faut prendre en compte la grande importance que revêt le fait d'être « la capitale de la capitale », (...) étant données 155 les répercussions de ce qu'il se passe ici sur le reste de la ville et du pays. » Le politique de récupération consiste à désenclaver physiquement la Candelaria. Sa situation topographique, sur un flanc de montagne, marque de façon ostensible sa différence dans le cadre de la plaine bogotanaise. Les petites rues, inadaptées au trafic routier signifient également aux visiteurs l'entrée dans un espace à part. On peut donc interpréter la construction du Transmilenio sur l'Eje Ambiental comme un moyen d'intégrer le centre historique au reste de la ville. D'ailleurs, Alberto Escovar Wilson-White, l'architecte et ancien 153 154 155 « Entrevista a Rogelio Salmona » in Bogota: El renacer de una ciudad, Op. Cit. p.193 Bushnell David, Op. Cit., p.112 Valencia Leon in Monografia de seguridad y convivencia, Loc. Cit., p.26 Charlie WEIBEL 49 A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une politique du symbole membre de la Corporation La Candelaria, reconnaît que les grands travaux « ont réouvert 156 le centre historique aux Bogotanais » Le rôle symbolique du territoire de la Candelaria se reflète également dans l'importance donnée à l'image du quartier. Parmi les stratégies avancées par la Chambre de Commerce de Bogota pour la « Promotion de la Candelaria comme district touristique », on trouve ainsi de nombreuses mesures en faveur de l'embellissement de l'espace public: « La population vulnérable des rues, tout comme la détérioration de l'espace public sont deux facteurs reconnus comme problématiques dans la zone. Les autorités locales ont beau remplir leur mission, l'entretien des trottoirs et des espaces verts déborde la capacité de l'administration publique. Dans ce sens, et en tenant compte de l'importance de l'image de la zone dans l'attraction de nouveaux marchés, il est pertinent d'engager des groupes 157 particuliers qui soutiennent le travail du district en matière d'entretien des rues. » « Obliger les propriétaires et les locataires d'immeubles à respecter les normes en matière d'espace public notamment l'entretien des devantures, des façades et des trottoirs et l'utilisation des déchets solides, à travers des actions des action pédagogiques et des 158 sanctions policières en accord avec le Code de Police. » 3.1.2 La rénovation autocrate La politique de récupération de la Candelaria a elle aussi une portée symbolique car elle illustre la capacité nouvelle de l'État à décider seul de ses priorités. Il se revendique alors lui même comme acteur autonome. En effet, une des caractéristiques de la politique de récupération dans ses débuts est qu'elle s'affranchie en grande partie du principe de rentabilité économique qui prévalait jusqu'à maintenant. Cela est du avant tout à l'affaiblissement du pouvoir des élites. A partir des années 1970, on assiste à un phénomène de consolidation social de certains groupes issus de la classe moyenne mais qui s'en démarquent par un profil qu'on pourrait qualifier d'intellectuel: « (Ils) acquièrent une certaine masse critique et se démarquent des normes de comportement des groupes les plus riches. Ils cherchent ainsi des lieux qui leur sont propre pour rompre avec le schéma plus ou moins imitatif d'autres groupes issus de la classe 159 moyenne qui cherchent, eux, des lieux proches des élites, généralement à la périphérie » Le centre historique devient alors une destination privilégiée pour ces groupes aux revenus moyens ou moyens-hauts. Ils sont attirés par l'offre culturel, la valeur architecturale et patrimoniale de ses édifices mais aussi par la proximité d'avec leur lieu de travail. On trouve par exemple beaucoup de professeurs d'université, qui enseignent dans la Candelaria. Ce phénomène se développe particulièrement dans La Macarena, quartier autrefois situé dans la périphérie nord du centre traditionnel et qui a été peu à peu intégré à celui ci avec la croissance de la ville. 156 157 158 159 50 Escovar Wilson-White Alberto, 2007, Loc. Cit., p.72 Centro Habitat Urbano, 2007, Loc. Cit., p.40 (traduit de l'espagnol par nos soins) Ibid., p.42 (traduit de l'espagnol par nos soins) Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.20 (traduit de l'espagnol par nos soins) Charlie WEIBEL 3/ La Candelaria comme moyen « A partir des années 1970, (La Macarena) commence à recevoir de nouveaux habitants parmi ces groupes intellectuels, qui font de cet endroit un de leurs foyers 160 identitaires et récupèrent physiquement les immeubles dont les prix remontent. » L'État favorise même ce retour des classes moyennes dans le centre. En effet, dans le cadre d'une vaste politique de création de logements, il cherche à profiter de la présence d'infrastructures urbaines dans le centre pour construire de grands édifices en bordure de la Candelaria. Ces nouveaux projets sont confiés, à la Banque Centrale Hypothécaire (BCH), un organisme national chargé du financement des logements neufs. Celui-ci octroie des crédits à quelques promoteurs privés mais il prend l'essentiel des constructions à sa charge. Ces nouveaux logements encouragent encore davantage le retour des classes moyennes vers le centre. L'exemple du complexe Torres del Parque dans la Macarena est tout à fait 161 représentatif. Les nouveaux immeubles bénéficient en effet d'une architecture élaborée et s'adressent donc explicitement à ces nouveaux arrivants plus exigeants. Cette opération étant couronnée de succès, on cherche à la répéter dans d'autres parties de l'ancienne ceinture populaire du centre. La BCH finance ainsi d'autres projets menés par des promoteurs privés sur le côté ouest de la Candelaria. Mais les nouveaux logements ne suscitent pas le même engouement et sont vendus difficilement. De même, la banque lance dans les années 1980 un nouveau projet dans le sud du centre historique. De par son ampleur, il s'agit à l'époque d'une des entreprises les plus ambitieuses de rénovation urbaine dans le centre. Une des plus controversée aussi. Elle concerne le quartier Santa Bárbara, une prolongation de la Candelaria qui est avec ce quartier l'un des seuls vestiges de l'époque coloniale proprement dite. Traditionnellement d'un niveau social inférieur au centre historique traditionnel, Santa Bárbara habitait aussi une population aux revenus moyens et conservait un nombre important d'immeubles anciens en bon état. De plus, le tissu social était encore important. Pourtant: « Selon un vision très controversé de prophylaxie sociale, la BCH a décidé d'éradiquer ce quartier populaire, attenant au Palais présidentiel, et de le remplacer par un ensemble à destination des classes moyennes. Bien que plusieurs études techniques engagées par la propre banque aient conclu qu'il était préférable d'éviter la rénovation « bulldozer » et que l'association des propriétaires du quartier aie proposé sa participation à un projet de 162 rénovation des bâtiments existants, la BCH a persisté. » Elle a acheté et démoli 18 hectares du quartier avec la volonté affichée de reproduire l'expérience des Torres del Parque dans la Macarena. C'est d'ailleurs à Rogelio Salmona qu'on a confié les rênes de ce nouveau projet baptisé Nueva Santafé. Bien qu'intéressant sur le plan architectural, ce projet reste un échec majeur en tant qu'opération immobilière. A peine cinq hectares ont pu être vendus, le reste restant jusqu'à maintenant inoccupé. L'échec tient d'abord à l'absence de contact avec le nord de la ville où les classes moyennes intellectuelles conservent beaucoup de liens. De plus, alors que les Torres del Parque sont entourées de quelques quartiers populaires, Nueva Santafé est cerné par des zones beaucoup plus pauvres, ce qui entraîne des tensions sociales qui, bien qu'atténuées par le profil plus intellectuel des nouveaux habitants, n'en sont pas pour autant 163 inexistantes. 160 161 162 163 Ibid., p.21 (traduit de l'espagnol par nos soins) C'est Rogelio Salmona, le grand architecte colombien qui fut chargé du projet. Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.21 (traduit de l'espagnol par nos soins) Ibid., p.22 Charlie WEIBEL 51 A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une politique du symbole On voit donc clairement que l'État reprend à son compte la rénovation urbaine dans le centre et s'impose comme « rénovateur autocrate » pour reprendre le terme de Samuel 164 Jaramillo. Ce nouveau volontarisme poussé à l'extrême s'exprime de manière moins radicale dans la réorganisation administrative menée à terme en 2007 avec la création de l'Institut Districtal du Patrimoine Culturel. Il s'agit d'une simplification de la structure existante dans laquelle une partie des licences accordées pour les immeubles de conservation situés en dehors du centre historique était à la charge de la Direction du Patrimoine du Département Administratif de Planification Districtal; le patrimoine meuble, sculptures et bustes situés dans l'espace public relevaient de l'Institut de Développement Urbain (IDU) pendant que l'Institut Districtal de la Culture et du Tourisme (IDCT) s'occupait du patrimoine immatériel et du Musée de Bogota. L'Institut Districtal du Patrimoine Culturel prend désormais la charge de toutes ces missions auxquelles s'ajoutent bien sûr les prérogatives de la Corporation La Candelaria qui cesse ainsi d'exister. Il existe donc désormais une seule institution chargée de veiller à la valorisation, la protection et la récupération du patrimoine culturel de Bogota, dans toutes 165 ses dimensions. Cette volonté affichée de reprendre le contrôle de ce territoire de façon unilatérale et sans consultation impose néanmoins l'État comme acteur qui produit ses propres normes et définit lui-même ses priorités. Disqualifier son action, c'est omettre la portée symbolique de l'échec. Par sa capacité à faillir, là où la rationalité voudrait qu'il réussisse, l'État souligne son rôle dirigeant car il n'a à répondre de ses décisions devant personne. Les subordonnés ne peuvent ainsi que constater leur impuissance à modeler la volonté de l'État. La reconquête d'un territoire suppose de s'intéresser à la population qui l'habite. 3.2 Créer une nation Cet objectif, qui peut nous apparaître anachronique, est pourtant l'un des enjeux essentiel en Colombie. En effet, la nation colombienne n'est pas évidente. Comme le souligne David Bushnell dans la préface à son œuvre majeure sur l'histoire de ce pays: « Le problème de l'image de la Colombie comme nation se complique davantage si l'on prend en compte les ambivalences propres aux Colombiens eux-mêmes. Outre leur tendance récente à souligner les premiers les aspects négatifs du panorama national, les Colombiens continuent d'exhiber des différences fondamentales quant à la classe, la religion et, dans certains cas, la race. C'est donc devenu un lieu commun que de dire (et les Colombiens sont les premiers à l'affirmer) que le pays manque d'une véritable identité nationale, ou d'un esprit nationaliste qui lui serait propre, du moins si on le compare à ses 166 voisins latino-américains. » 167 Comment réussir à faire d'une « nation malgré elle » , un peuple uni? Les Colombiens restent partagés entre leurs aspirations régionalistes et la vocation continentale de leur pays 164 165 166 167 52 Ibid., p.20 Escovar Wilson-White Alberto, 2007, Loc. Cit., p.78 Bushnell David, Op.Cit., p.14-15 (traduit de l'espagnol par nos soins) Traduction du titre de l'oeuvre de David Bushnell Charlie WEIBEL 3/ La Candelaria comme moyen qui fut, après l'Indépendance, le cœur de la Grande Colombie qui réunissait également le Venezuela, l'Équateur et le Panama alors partie intégrante du territoire colombien. L'Indépendance, mythe fondateur pour beaucoup d'anciens pays colonisés, est donc inopérante, ici, pour fonder la nation. Le Préambule de la Constitution traduit d'ailleurs cette hésitation: « Le peuple de Colombie, (...) dans le but de consolider l'unité de la Nation (...) et engagé dans la promotion de l'intégration de la communauté latino-américaine 168 (...) ». Dans ce contexte, le centre historique de la capitale peut-il être un symbole d'unité nationale? 3.2.1 Un État horizontal L'État colombien n'est pas représentatif des communautés qui le composent. Les caractéristiques propres à la classe dirigeante imprègnent le système politique national. L'élite est avant tout essentiellement urbaine: « (...) les membres de la classe haute étaient totalement urbains et préféraient vivre en 169 ville alors qu'ils possédaient de très grandes propriétés dans la campagne. » Les liens de servitude hérités de la Colonie continuent également de marquer la société colombienne après l'Indépendance, notamment en ce qui concerne la hiérarchie raciale imposée par les Espagnols: « Des siècles de subordination à l'État et à l'Église espagnols, ainsi qu'aux quelques membres de la classe haute d'ascendance espagnole avaient inculqué à la paysannerie indigène et métisse une déférence instinctive, qui faisait que, par exemple, on appelait 170 son patron « mon maître » et les personnes de classe plus élevées « son excellence » , 171 expression qui subsiste encore aujourd'hui. » Le libéralisme dominant dans les constitutions nationales à partir de 1832 est lui aussi caractéristique de la domination des élites. Déjà sous la Colonie, les idées nouvelles venues de France, d'Angleterre et des États-Unis commençaient à arriver malgré la censure. Mais c'est surtout la tradition du voyage en Europe chez la classe aisée qui a permis de diffuser 172 les idées des Lumières jusqu'en Colombie. La construction étatique s'est donc faite sans la nation. Le modèle socioculturel empêchait de fait toute construction d'une démocratie vivante. En 1840, un chargé d'affaire français observait déjà: « Que peut-on espérer d'une République où chacun appelle maître tout individu plus 173 blanc ou mieux vêtu que lui » La première Constitution de Colombie, en 1832, pose les principes fondateurs de ce pays dominé par l'élite urbaine, blanche et libérale: 168 169 170 Constitution politica de Colombia, Préambule Bushnell David, Ibid., p.120 « su merced », traduction approximative mais qui traduit bien le sentiment d'inferiorité ancré dans les classes rurales non blanches. 171 172 173 Bushnell David, Ibid., p.116 Bushnell David, Op . Cit., p.51 Cité par Colmenares German, « Formas de la conciencia de clase en la Nueva Granada de 1848 (1848-1854) » in Boletin cultural y bibliografico, 9, N°3, 1966, p399 Charlie WEIBEL 53 A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une politique du symbole « Bien que clairement libérale et républicaine, la nouvelle Charte était peu démocratique; le droit de vote fut de nouveau limité par l'imposition d'un cens qui excluait la grande majorité des Colombiens. (...) Les assemblées élues au niveau des provinces, qui au temps de la Grande Colombie servaient seulement à rédiger des pétitions et de collège électoral, acquirent le droit de prendre des décisions relatives aux écoles, aux chemins et à d'autres sujets d'intérêt local. Les mesures pouvaient être annulées par le gouvernement national et les gouverneurs des provinces redevinrent des agents du pouvoir 174 exécutif national. » La Constitution de 1991 marque à cet égard un tournant très important. Elle propose la création d'un État horizontal c'est à dire qui prend en compte toutes les communautés qui le composent en affirmant le droit égal de chacune d'elles à participer à la vie publique. Elle proclame la fin du monolithisme idéologique et l'avènement des communautés jusque là oubliées comme les Indiens par exemple. Le Ministère de la Culture souligne qu'un des principes recteurs de la nouvelle Charte est la diversité. Celle-ci est donc présentée comme un élément fondateur du pays. Elle en est paradoxalement le ciment: « Une réflexion nationale, basée sur la mémoire commune qui trouve dans le régional et le local les ciments de son identité. La multi culturalité est le dénominateur commun de 175 l'identité colombienne (...). » Pour consolider cette identité colombienne, l'État prend conscience qu'il ne peut rester fermé aux aspirations des différentes communautés. Cependant, la gestion des affaires publiques doit s'intégrer dans un bloc cohérent que l'État prétend représenter. Dès lors, il dénonce le centralisme politique et le pouvoir d'obscures élites qu'il oppose à un peuple divers mais dont l'intérêt est de s'unir. C'est pourquoi les deux autres autres principes fondateurs de la Constitution de 1991, repris pour les célébrations du bicentenaire sont la participation et l'appropriation: « Participation: (...). Si nous voulons que tout le monde participe à la fête, celle-ci doit faire appel le plus largement possible à tous les secteurs de notre société et ne doit pas être le résultat de l'activité solitaire d'une élite qui se voit elle même comme civilisatrice. (...) Appropriation: Une réflexion sur le pays qui ne naît pas du centre mais qui invite tous les citoyens à se penser comme des êtres qui, grâce à leur autonomie, sont capable de se 176 comprendre comme une communauté. » Grâce à cette stratégie décentralisatrice, l'État crée un sentiment de communauté. Cette communauté est responsable et doit prendre en main son devenir dans le cadre de la grande communauté nationale. De fait, elle devient donc membre de la structure étatique grâce à la décentralisation. L'État intègre ainsi la population. Mais la décentralisation institutionnelle s'accompagne parallèlement d'un mouvement d'inclusion culturelle. Cette dynamique inclusive est initiée par l'État. Elle se traduit notamment par une nouvelle approche du patrimoine, qui dans le passé avait été réduit aux monuments dans leur dimension historique et artistique: « Cette vision traduisait implicitement la caractère antidémocratique et élitiste, dans la mesure où elle prétendait représenter l'identité d'une nation à travers ce que quelques une 174 175 176 54 Bushnell David, Ibid., p.123-124 Bicentenario, Loc. Cit., p.6 (traduit de l'espagnol par nos soins) Ibid., p.6-7 Charlie WEIBEL 3/ La Candelaria comme moyen considéraient comme essentiel, et son étude et sa compréhension étaient réduites à un 177 secteur minoritaire de la société. » Il suit par là une évolution internationale initiée par l'UNESCO dans sa Déclaration 178 de Mexico de 1982 sur les politiques culturelles. Le concept de patrimoine historiqueartistique est remplacé par la notion de patrimoine culturel, plus démocratique. Celui-ci est désormais associé à l'idée d'identité et à la reconnaissance de la diversité culturelle. Dans la nouvelle Loi Générale sur la Culture de 1997 modifiée par l'article 1 de la loi 1185 de 2008, on définit donc le patrimoine culturel comme: « constitué par tous les biens matériels, les manifestations immatérielles, les produits et les représentations de la culture qui sont une expression de la nationalité colombienne, tels que le castillan, les langues et dialectes des communautés indigènes, noires et créoles, la tradition, les savoirs ancestraux, le paysage culturel, les us et coutumes, ainsi que les biens matériels de nature meuble et immeuble, auxquels on attribue, entre autres, un intérêt particulier historique, artistique, scientifique, esthétique ou symbolique dans des domaines plastique, architectural, urbain, archéologique, linguistique, sonore, musical, audiovisuel, filmique, testimonial, documentaire, littéraire, bibliographique, muséologique 179 ou anthropologique. » Cette politique de reconnaissance du rôle de la population dans la définition du patrimoine culturel commun s'exprime aussi à Bogota. Elle se concrétise dans plusieurs actions menées par la maire au cours des dix dernières années pour développer de nouveaux espaces de représentation pour les différents groupes sociaux urbains. « L'impact qu'a eu la majorité de ces initiatives est le reflet de la demande de la part de ces groupes minoritaires ou des secteurs sociaux qui perçoivent qu'ils n'ont pas eu de véritables espaces de représentation. Dans ce sens, ce sont les nouvelles conceptions sur le patrimoine de ces dernières années qui ont offertes de nouvelles potentialités pour la 180 visibilité des pratiques de groupes non hégémoniques (...). » La participation citoyenne s'est ainsi illustrée dans un programme mené par le Musée de Bogota en 2005 intitulé « Bogota vue à travers l'album de famille ». Cette exposition part du principe que la mémoire individuelle et la mémoire collective sont en interaction permanente et que la constitution de chacune d'elle est étroitement liée à l'autre: « Dans une ville comme Bogota, dans laquelle se sont retrouvés des groupes d'origine très diverses, particulièrement au siècle passé, il est impossible de configurer la mémoire de la ville sans la participation de multiples acteurs. Ce projet de reconstruction de la mémoire de la ville et de ses habitants est composé de différentes histoires, parmi lesquelles beaucoup sont synonymes, qui s'entremêlent dans la vertigineuse transformation 181 de l'espace urbain et social. » C'est pour cela que les objets exposés dans cette exposition ont été apportés par des citoyens qui ont répondu à un appel réalisé en avril 2005. Plus de 3000 photographies ont 177 Colón Luis Carlos, « Nuevos espacios de representacion: cultura y patrimonio en Bogota » in Bogota: El Renacer de una Ciudad, Loc. Cit., p.294 (traduit de l'espagnol par nos soins) 178 Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles, URL: http://portal.unesco.org/culture/fr/ev.php- URL_ID=12762&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html (page consultée le 5 août) 179 180 181 Ley General de Cultura 397 de 1997, Article 4 (traduit de l'espagnol par nos soins) Colón Luis Carlos, 2007, Loc. Cit., p.296 Colón Luis Carlos, Ibid, p.302 Charlie WEIBEL 55 A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une politique du symbole ainsi été récupérées. Elles illustrent divers aspects sociaux et culturels des habitants de Bogota, tels que leurs origines, les liens qu'ils maintiennent encore avec leurs terres, les formes de célébration, les espaces qu'ils habitent, les changements dans la configuration de la cellule familiale, les modes vestimentaires et les formes de divertissement entre autres. Au niveau de la Candelaria, on observe également ce mouvement de reconnaissance des manifestations populaires. Le Plan sur la politique culturelle de la maire locale propose 182 ainsi de « récupérer et institutionnaliser le carnaval de la Candelaria » La décentralisation favorise cette inclusion des habitants dans la création d'un patrimoine commun: « L'autonomie accordée aux mairies locales en matière d'identification et de valorisation du patrimoine est capitale pour donner une véritable portée à l'intention de rendre aux diverses communautés la responsabilité et le droit d'interpréter et de protéger leur patrimoine propre. Grâce à cela, on cherche d'abord à établir une stratégie claire pour multiplier les canaux d'interprétation mais aussi à garantir la construction d'une vision 183 interculturelle. » En accordant plus de place aux expressions culturelles jusque là déconsidérées, l'État entend s'affranchir de la hiérarchie culturelle imposée par l'élite jusque là. La politique culturelle consiste donc ici à dépasser la dichotomie entre « culture haute » et « culture 184 populaire » pour prétendre à l'universalité. Tout comme un président élu par une partie des électeurs déclare immédiatement qu'il sera la président de tout son peuple, il s'agit pour l'État de s'approprier toutes les manifestations culturelles du territoire, pour montrer que son action intéresse toutes les communautés. Il faut bien comprendre que cette politique ne signifie absolument pas un désengagement de l'État de la question culturelle. Au contraire, il s'agit d'un conflit dans lequel l'État s'affirme comme acteur politique incarnant une certaine catégorie de la population. La politique culturelle se présente dès lors comme: « Le processus généré quand différents ensembles d'acteurs politiques, marqués par, et qui incarnent des pratiques et des signifiants culturels différents, entrent en conflit. Cette définition de la politique culturelle affirme que les pratiques et les signifiants – particulièrement ceux théorisés comme marginaux, opposants, résiduels, émergeants, alternatifs et dissidents, entre autres, c'est à dire tout ces groupes conçus par rapport à un ordre culturel dominant – peuvent être source de processus qui doivent être acceptés 185 comme politique. » La politique culturelle est politique. L'État représente toujours un intérêt spécifique mais prétend s'imposer désormais par une stratégie non plus exclusive mais inclusive. Il fait sien les manifestations culturelles émanent d'autres groupes. Ainsi, ce n'est pas tant en terme de reconnaissance de la qualité culturelle de ces manifestations que le problème se pose mais en terme de légitimité des dites manifestations à s'exprimer sur le territoire national. 182 183 Políticas culturales Localidad La Candelaria, Ibid, p.2 Colón Luis Carlos, « Nuevos espacios de representacion: cultura y patrimonio en Bogota » in Bogota: El Renacer de una Ciudad, Op. Cit., p.307 (traduit de l'espagnol par nos soins) 184 185 Ibid., p.291 Alvarez Sonia, Dagnino Evelina, Escobar Arturo, Cultures of Politics/Politics of Cultures, Revisioning Latin American Social Movements, Boulder, Col. West-view Press, 1998, p.143-144 (traduit de l'espagnol par nos soins) 56 Charlie WEIBEL 3/ La Candelaria comme moyen Ainsi, depuis 2004, une vingtaine d'évènements ou activités ont été déclarés « activités 186 d'intérêt culturel », par exemple les marchés aux puces , dont un se situe sur l'Eje 187 Ambiental, ou encore le Festival de la Chicha, la Vida y la Dicha de la Perseverancia , dans le centre historique populaire. On peut également citer les activités de la Casa de Poesia 188 Silva , dont le siège se trouve dans la Candelaria. Cette reconnaissance est une garantie de publicité pour ces manifestations qui sont officiellement acceptées par le pouvoir. Mais les évènements à prétention culturelle qui ne bénéficient pas de ce label ne peuvent pas se prévaloir de l'accord des autorités en cas de litige et ne bénéficient donc pas de protection. Cette vision de la politique culturelle comme conflit s'exprime à tous les niveaux et notamment dans le centre historique où la maire locale observe dans son Plan sur la politique culturelle: « Le Conseil Local de la Culture de la Candelaria, conscient de la réalité sociale, économique, politique et culturelle du pays comprend que les politiques culturelles sont à la fois une expression des conflits et une alternative de construction de société, entre les divers acteurs sociaux et culturels, d'autant plus que la Candelaria est un des épicentres 189 artistiques, patrimoniaux et de la diversité » Cette appropriation par l'État de la diversité des formes culturelles lui permet néanmoins de parler par la suite de démocratisation de la culture, comme si l'offre provenait du haut: « Une des principales innovations de la politique de culture citoyenne a été la démocratisation des services culturels, récréatifs et sportifs qu'offrent les institutions publiques de la ville. Par là, on n'a pas seulement cherché à élever le niveau culturel de la population et augmenter les possibilités de divertissement. On a aussi favorisé la tolérance et le goût pour la diversité. D'un autre côté, le fait de favoriser les activités artistiques, ludiques et récréatives dans les espaces ouverts a contribué à faire tomber les barrières 190 sociales et culturelles qui empêchent ou gênent la communication entre les citoyens. » Cette démocratisation se traduit par une massification de mouvements culturels jusque là tenus comme non nobles grâce notamment à de grands festivals annuels tels que Rock al Parque, le plus important festival de rock en Amérique latine, et ses dérivés, Jazz al Parque ou Salsa al Parque. Cependant, la politique d'inclusion culturelle ne signifie pas tant un contrôle sur l'activité culturelle en elle-même que sur ce qu'elle représente en terme symbolique. Prenons pour exemple l'opéra qui est une activité définie comme élitiste. La politique de démocratisation des activités culturelles a conduit à créer le festival Opera al Parque pour rendre cet art plus accessible au grand public. Néanmoins, le majestueux Théâtre Colomb, siège traditionnel de l'opéra en Colombie, situé dans la Candelaria, reste de l'usage exclusif des élites. La démocratisation de la culture ne signifie donc pas la fin des barrières sociales. On ne peut omettre le poids de la violence symbolique exercée par les dorures et la façade néoclassique de cet édifice sur les classes inférieures. D'ailleurs, comme le souligne Bourdieu: 186 187 188 189 Accord 154 du 22 juin 2005 Accord 121 du 24 juin 2004 Accord 225 du 28 juin 2006 Políticas culturales Localidad La Candelaria, Alcaldía de La Localidad La Candelaria, Bogota, 2007, p.1 (traduit de l'espagnol par nos soins) 190 Londoño Rocio, 2007, Loc. Cit., p.139 (traduit de l'espagnol par nos soins) Charlie WEIBEL 57 A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une politique du symbole “l’espace est un des lieux où le pouvoir s’affirme et s’exerce, et sans doute sous la 191 forme la plus subtile, celle de la violence symbolique, comme violence inaperçue” A l'heure où les mesures d'ordre socio-économique favorisent de plus en plus l'homogénéité sociale, la culture reste donc encore un moyen de garantir la supériorité des élites sur les autres communautés. 3.2.2 Un État vertical Le traitement de la question sociale en Colombie reste problématique. À la fin des années 1960, on parle de miracle colombien. Le pays connaît des taux de croissance annuels 192 de l'ordre de 6% et la violence des guérillas est marginalisée. Pourtant, cette période correspond paradoxalement à une aggravation des inégalités économiques. En 1970, les 50% les plus pauvres de la population urbaine ne reçoivent qu'un maigre 16% du total des 193 revenus urbains. Les 10% les plus riches quant à eux en reçoivent plus de 43%. La situation est encore plus grave à la campagne où deux tiers des paysans colombiens vivent 194 en situation de pauvreté absolue. Comme le souligne Gerard Martin dans son article sur la réinvention de la chose publique à Bogota, la capitale, à l'image de reste du pays, souffre 195 dans les années 1970 et 1980 du manque « d'institutionnalisation du social ». La création d'un État vertical qui s'intéresse à toutes les couches de la société et non plus aux plus aisés est donc un défi important dans la consolidation des institutions. Les pouvoirs publics doivent s'approprier la question sociale afin de limiter le poids des institutions paraétatiques qui prolifèrent, Églises mais aussi mouvements guérilleros ou paramilitaires. La récupération du centre historique de Bogota peut ainsi être considérée d'un point de vue symbolique comme l'avènement d'un « État social » comme défini dans l'article 1 de la 196 Constitution de 1991. En effet, une des actions les plus importantes a été la récupération 197 du quartier populaire de El Cartucho . Or ce projet reste important par l'impact qu'il a eu sur les consciences en mettant au premier plan les considérations sociales au dépend des questions de conservation du patrimoine. D'ailleurs, on peut noter que le projet qui avait officiellement remporté le concours d'architecture pour le parc Tercer Milenio prévoyait la conservation des principaux bâtiments d'intérêt pour le patrimoine: 191 Bourdieu Pierre, « Effet de lieu » in Bourdieu Pierre (dir.), La Misère du monde, Seuil, Collection Points, Paris, 1993, p.249-262 192 193 194 Bushnell David, Op . Cit. p.327 Ocampo José Antonio, Historia economica de Colombia, Ed. Bogota, 1987, p.331 Reinhardt Nola, Our daily Bread: The Peasant Question and Family Farming in the Colombian Andes, Berkeley et Los Angeles, 1998, p.130 195 Martin Gerard, 2007, Loc. Cit., p.94 196 197 58 Constitution politica de Colombia, article 1 Voir supra., 2.1.1 Un État bâtisseur Charlie WEIBEL 3/ La Candelaria comme moyen « Le centre sera partagé par les bâtiments de conservation architecturale, – où l'on propose l'installation de l'administration du parc, une bibliothèque, un centre culturel, entre 198 autres – et par le gazon, les arbres et un pont qui reliera les différents espaces internes. » Cependant, le projet final mené par la maire de Bogota n'a pas tenu compte de ces propositions. La mise en œuvre a même été confiée à d'autres architectes qui n'ont conservé que le siège de la Médecine Légale, un édifice sans grand intérêt, construit dans les années 199 1970 et l'ancienne école de Santa Inés qui, elle, a une valeur architecturale. On voit donc que la préoccupation des autorités dans ce dossier était de donner un signe fort. Son action se présente comme le refus d'un compromis entre conservation des biens culturels et question sociale. Plus largement, elle s'inscrit dans une nouvelle approche théorique du patrimoine. La Candelaria est désormais présentée comme une ressource économique et non plus comme une contrainte urbanistique. Il est d'ailleurs intéressant de constater que cette nouvelle approche du patrimoine culturel n'est pas spécifique au centre historique de Bogota mais intéresse tout le territoire national comme en témoigne ce document émis conjointement par le Ministère du Commerce, de l'Industrie et du Tourisme et par le Ministère de la Culture: « (...) il apparaît nécessaire de penser à l'usage et à la mise à profit de tous ces espaces, lieux et paysages qui représentent notre patrimoine en tant qu'instruments pour le développement de l'industrie touristique; en d'autres termes, de la culture comme un moteur de la croissance économique et comme une composante fondamentale quant il s'agit de 200 donner de la valeur aux destins et de la compétitivité à l'industrie. » On peut donc en déduire que la promotion de la culture n'est pas une fin en soi pour les autorités colombiennes. Il s'agit d'abord d'un moyen pour développer l'attractivité du territoire en valorisant ses atouts. Cette subordination de la conservation du patrimoine à l'intérêt économique est d'ailleurs confirmée par le mode de gestion des biens de la nation qui tend à la privatisation. Dans un article du 6 avril 2008, le quotidien El Tiempo révélait que le Ministère de la Culture envisageait d'établir un système de concessions pour la gestion des biens culturels au profit d'entreprises privées dans le cadre de la révision de la Loi Générale de la Culture. « L'idée est que les compagnies financent et assurent la préservation des biens en échange de leur usufruit, a expliqué Paula Marcela Moreno, Ministre de la Culture, dans un entretien à El Tiempo. (...) Elle a affirmé qu'il était impossible à l'État de maintenir de manière adéquate les 1033 édifices et monument historiques déclarés patrimoine de la nation (sans 201 compter les biens départementaux et municipaux). » Cette perception du patrimoine comme source de profit conduit à une spécialisation artificielle du quartier. Il s'agit en fait de forger une identité exagérément culturelle pour servir le tourisme spécialisé dans ce domaine d'activité. De la conservation des biens de la nation, on passe ainsi à la promotion de tous types d'activités culturelles parfois sans rapports avec l'identité historique du quartier. On peut citer la construction récente du Centre 198 199 200 El Tiempo, 5 décembre 1999 (traduit de l'espagnol par nos soins) Escovar Wilson-White Alberto, Ibid., p. 70 Politica de turismo cultural: identidad y desarrollo competitivo del patrimonio, Ministerio de Comercio, Industria y Turismo et Ministerio de Cultura, 2007, p.4 (traduit de l'espagnol par nos soins) 201 « En seis meses se definira apoyo de empresa privada a bienes del patrimonio nacional » in journal El Tiempo. 6 avril 2008 (traduit de l'espagnol par nos soins) Charlie WEIBEL 59 A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une politique du symbole culturel Gabriel Garcia Marquez au cœur de la Candelaria, mais également les subventions accordées aux conteurs de rue. On assiste donc à une réduction du centre historique à la seule Candelaria au dépend de tous les quartiers périphérique qui ne bénéficient pas de l'aide de l'État en terme de protection du patrimoine. Samuel Jaramillo souligne d'ailleurs la différence entre « centre 202 traditionnel » et « centre populaire ». Le premier est le siège des activités tertiaires supérieures alors que le second abrite surtout les activités commerciales, ludiques et de production. Cette division s'explique par l'incompatibilité des règles socio-spatiales entre les deux secteurs. Le centre populaire se caractérise par son aspect bigarré, le mélange des activités, l'annonce à haute voix de services et de produits ou la vente ambulante, alors que ces pratiques sont synonymes de désordre au sein du centre traditionnel. La Candelaria correspond au centre traditionnel mais le centre populaire abrite lui aussi des biens de la nation. Pourtant, ils ne font le mesure d'aucune protection. On a parlé de la 203 destruction du quartier Santa Barbara pour construire à la place le projet Nuevo Santafé. La construction du parc Tercer Milenio en périphérie du centre reste également significative de cette distinction: « Encore une fois, comme cela s'était passé avec le quartier Santa Barabara, et malgré la présence dans les quartiers San Bernardo et Santa Inés d'édifices à valeur architecturale, comme l'ancien Laboratoire Officiel d'Hygiène (1920-1925) crée par José Maria del Corral et déclaré monument national par le Décret 2536 du 17 décembre 1993, on a procédé à la démolition presque totale des bâtiments qui formaient les seize pâtés de maisons du secteur. Le premier à tomber fut cet édifice, démoli en octobre 1997 sous le prétexte qu'il « menaçait de tomber en ruine », comme si le reste du patrimoine architectural de ce pays 204 ne menaçait pas lui aussi de tomber en ruine. » On peut néanmoins questionner l'efficacité de la politique sociale de l'État qui, bien que volontariste et à fort impact symbolique, n'en reste pas moins limitée dans ses moyens: « Le problème social qui a conduit à l'époque à la démolition du secteur, s'est déplacé aux secteurs voisins comme La Favorita ou Los Martires et l'on trouve déjà des lieux rappelant de façon macabre El Cartucho, dans des secteurs qu'on appelle Cinco Huecos 205 ou El Bronx qui sont appelés à devenir les nouveaux « cartuchos » de ce siècle. » Le sacrifice d'une partie du patrimoine culturel de Bogota sur l'autel du social témoigne du renforcement de l'État. Il s'affirme d'abord comme État vertical, en accordant la priorité à la question sociale sur la conservation du patrimoine, perçu comme une priorité élitiste. Ce faisant pourtant, il garantie l'hégémonie des élites car ce sont elles qui disposent au final de la capacité de décision. Cela se traduit d'une part par l'instrumentalisation du culturel à des fins économiques et d'autre part dans la discrimination envers les quartiers du centre populaire qui perdent leur patrimoine culturel mais ne gagnent pas nécessairement en sécurité sociale. Le troisième élément constitutif de l'État étant le gouvernement, on peut s'interroger sur la capacité de la Colombie à consolider sa structure dirigeante notamment grâce à la continuité des politiques. 202 203 204 205 60 Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.11 Voir supra., 3.1.2. La rénovation autocrate Escovar Wilson-White Alberto, 2007, Loc. Cit., p.67 (traduit de l'espagnol par nos soins) Ibid., p.70 (traduit de l'espagnol par nos soins) Charlie WEIBEL 3/ La Candelaria comme moyen 3.3 Du gouvernement à l'État En 2004, la Colombie a été le dernier pays latino-américain à adopter la réélection immédiate du Président. Cela tient essentiellement à la peur qu'un trop long mandat 206 exécutif ne favorise les tentations autoritaires de la part des gouvernants. La Colombie s'enorgueillit d'ailleurs d'être le seul pays important de la région à ne pas avoir connu de dictature. La nécessité de renouvellement comme gage de la démocratie a pourtant conduit à une absence cruelle de continuité entre les titulaires du pouvoir. En Colombie, on parle non pas de politique d'État mais de politique de gouvernement. La cohérence et la pérennité des mesures reconnues comme efficaces est donc un enjeu essentiel pour assurer le rôle dirigeant de l'État. 3.3.1 L'enjeu de la continuité Bien que nous ayons signalé l'enjeu de la réforme constitutionnelle de 2004 qui a mené à la réélection du Président Uribe, le changement significatif se situe davantage au niveau de la maire de Bogota. On peut d'abord noter deux mesures d'ordre structurel qui favorisent une planification plus efficace: d'abord, l'introduction de l'élection populaire des maires à partir de 1988 et confirmée par la Constitution de 1991 et ensuite l'allongement progressif du mandat de l'executif municipal, de deux ans en 1988 à trois en 1991 puis quatre à partir de 2004. Ces deux mesures ont « contribué à améliorer les conditions pour une gestion locale 207 moins ad hoc, plus cohérente et responsable. » Elles ont surtout permis de créer un lien entre le poste et l'individu qui l'occupait. La maire de Bogota a ainsi cessé d'être considéré comme un poste honorifique et médiatique dont l'usage était avant tout personnel. Rogelio Salmona rappelle qu'il y a vingtaine d'années: « ceux qui arrivaient à la maire l'utilisaient comme un tremplin pour accéder à la Présidence de la République, obtenir certains postes, avoir certains avantages, mais ils ne faisaient pas un ville parce qu'ils n'étaient pas préparés, ce qui est la pire chose qui puisse 208 arriver, pour affronter les problèmes de la capitale du pays. » Ce contexte a favorisé l'émergence d'une nouvelle génération de maires qui ont réinventé la gestion publique chacun à leur manière mais en se basant sur un certain 209 nombre de principes communs. Ils ont d'abord utilisé avec intelligence les nouveaux instruments offerts par la Constitution de 1991, notamment en termes de décentralisation. Jaime Castro (1992-1994) en tant que membre de l'Assemblée Constituante, chargé du thème urbain et municipal, a favorisé l'inscription dans la Charte de mesures telles que l'obligation de formulation des « Plans de développement et de mise en ordre territorial » que tous les dirigeants municipaux ont ensuite utilisés. Il a également favorisé la création d'un District Capital qui accorde une plus grande autonomie administrative à Bogota ainsi 206 207 Carey John, The Reelection Debate in Latin America, Latin American Politics and Society, Primavera, 2003, p.127 Martin Gerard, 2007, Loc. Cit., p.95 (traduit de l'espagnol par nos soins) 208 209 « Entrevista a Rogelio Salmona », Loc. Cit., p.190 Martin Gerard, Ibid., p.96 Charlie WEIBEL 61 A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une politique du symbole que l'adoption d'un nouveau Statut Organique réforme constitutionnelle. 210 pour la ville qui consolide les acquis de la Un second aspect commun à ces nouveaux maires est leur rejet commun des explications traditionnelles de la crise, qu'on présentait alors comme un ensemble de phénomènes structurels ou externes à Bogota. Castro, Mockus et Peñalosa ont tous trois décidé de s'attaquer aux causes institutionnelles de la crise, bien réelles mais trop souvent éludées par les administrations précédentes. Surtout, ils ont fait en sorte que les raisons de la crise deviennent intelligibles pour la population en proposant une vision centrée sur certains principes transversaux qui réapparaissent toujours dans leurs discours: décentralisation et transparence pour Castro, culture citoyenne et vie sacrée pour Mockus, 211 mobilité et espace public de qualité pour Peñalosa. Ils ont également en commun d'avoir placé les Bogotanais devant leur responsabilité face à la ville. Dans la gestion de la ville mais aussi dans le discours, on retrouve cette priorité accordée à l'intégration de l'État et de la société civile. On peut ainsi interpréter la 212 campagne « 110% avec Bogota » de Mockus comme une invitation faite aux citoyens à apporter davantage dans le but de contribuer eux aussi à une plus grande efficacité de la gestion publique. Un quatrième élément significatif qu'on peut observer est la dimension intégrale des nouvelles politiques de régulation et d'institutionnalisation. Cette dimension se déclin d'abord dans la prétention des nouveaux maires à appliquer leurs réformes sur tout le territoire du district capital et même au delà grâce à la définition progressive des limites d'une sorte de communauté urbaine de Bogota. Le caractère intégral de ces politiques se retrouve également dans l'ampleur des réformes qui intéressent tous les domaines de l'action politique, de la politique fiscale, à la sécurité en passant bien sûr par le patrimoine. Autre axe central chez tous les nouveaux maires, la transparence dans la gestion publique a eu à Bogota des implications concrètes. Une quinzaine d'observatoires ont ainsi été crées pour recueillir et publier des données statistiques qui guident les actions des autorités et permettent aux citoyens de juger de l'efficacité des politiques publiques notamment grâce à la diffusion de ces chiffres sur les pages internet de ces entités. On peut citer par exemple le Système Unifié d'Information sur la Violence et la Délinquance (SUIVD) ou la banque de données qui répertorie les quelques 4700 parcs que compte la ville. Enfin, un sixième et dernier point qui mérite d'être souligné est l'approche plus démocratique de la question des inégalités sociales. La tendance jusqu'alors consistait à aborder la ville en terme de strates (riches et pauvres) ou en fonction de problèmes structurels (l'informalité, le chômage, etc.) Les nouvelles administrations mettent en avant l'individu en reconnaissant à chaque citoyen le droit à un accès équitable aux services 213 publics de qualité. En résumé, et pour reprendre les mots de l'initiateur de ce mouvement, Jaime Castro: « (...) conjointement, l'administration et les citoyens ont décidé d'emmener (la ville) vers l'avant. L'administration parce que, grâce à la gouvernance qu'a récupérée le District, elle a commencé à faire ce qu'elle devait faire et qu'elle n'avait pas fait durant longtemps. Et les citoyens ont décidé de mettre la main à la pâte en faveur de la maison de tous (les 210 211 212 213 62 Estatuto Organico de Bogota, Decreto-Ley de la Nacion N°1421 de 1993 Martin Gerard, 2007, Loc. Cit., p.98 Voir Supra., 2.3.1. La participation institutionnalisée Martin Gerard, Ibid., p.97 Charlie WEIBEL 3/ La Candelaria comme moyen piétons ont fait preuve de culture citoyenne, les contribuables ont payé leurs impôts, les entrepreneurs ont investi, les touristes sont arrivés, les chercheurs ont conçu de nouvelles formules pour s'améliorer). Les plans et programmes de gouvernement deviennent des politiques d'État quand ils s'institutionnalisent, c'est à dire quand ils deviennent des normes – accords, décrets, lois ou textes constitutionnels – qu'on promulgue avec l'idée qu'elles 214 perdureront au-delà du mandat d'un maire, d'un gouverneur ou d'un président. » La continuité des politiques est souvent désignée par les principes de « construire sur le construit » ou « continuité créative ». Mockus (1995-1997 et 2001-2003) et Peñalosa (1998-2000) en particulier se respectaient beaucoup et ont construit leurs politiques en s'appuyant sur les succès de leur prédécesseur. On peut noter par exemple que le soussecrétaire pour la Sécurité et la Convivencia, Hugo Acero, est resté à son poste durant les trois administrations Mockus-Peñalosa-Mockus, soit de 1995 à 2003. On a ainsi démontré que la pratique de la table rase à chaque nouvelle administration était néfaste à la gestion de villes de plus en plus grandes et complexes. D'ailleurs l'initiative prise par Luis Eduardo Garzon (2004-2007) de remplacer les fonctionnaires techniques au début de son mandat a entraîné dans un premier temps une chute significative de la qualité de gestion de la ville. Au début de son mandat, il a été durement critiqué pour avoir introduit de nouveaux programmes qui ne prenaient pas nécessairement en compte les succès passés, par exemple en matière de sécurité dans l'espace public. De fait, en 2004, les indices de criminalité sont reparti à la hausse et on estime que 23% de l'espace public qui avait été récupéré a été de nouveau envahi par le secteur informel. Par conséquent, il a été contraint de reprendre les politiques initiées avant son arrivée à la maire de Bogota. 215 En matière d'urbanisme, la loi de 1997 inclue ce principe de continuité. On souligne ainsi que les actions étatiques doivent s'inscrire dans des stratégies d'ensemble qui prennent en compte plusieurs facteurs du développement urbain et avoir un horizon stratégique. Sans retomber dans les excès de la planification urbaine technocratique des années 1950 à 1970, on prend donc définitivement ses distances d'avec l'urbanisme postmoderniste qui considère que les interventions ponctuelles et subordonnées au marché constituent la seule ligne d'action valable. C'est pourquoi le Plan de Mise en Ordre Territorial 216 (POT) adopté en 2000 court jusqu'en 2010. Cette continuité s'avère un axe déterminant dans les politiques de récupération du centre historique, ne serait-ce que dans l'importance de conserver un patrimoine sans cesse menacé par les assauts du temps. Mais on peut aussi souligner l'intérêt intemporel de l'État pour l'appropriation d'un patrimoine qui n'est pas seulement un ici et maintenant. 3.3.2 Symbolique de la temporalité La Candelaria, en tant que centre historique de Bogota et de la Colombie s'inscrit non seulement dans l'espace mais aussi dans le temps. L'architecture coloniale de ses rues interpelle le visiteur par son originalité dans le contexte de la ville moderne mais fait également appel à sa capacité de représentation de la durée. Cette édification de la 214 « Bogota, ciudad anfitriona: entrevista con Jaime Castro » in revista Habitar, XX Bienal colombiana de arquitectura, 2006, p.57 215 216 Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.24 Voir Supra., 1.3.2 Un jugement retrospectif à portée hégémonique Charlie WEIBEL 63 A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une politique du symbole temporalité constitue un capital politique important pour l'État qui cherche à se consolider par la continuité. 217 L'architecture a une portée symbolique car elle « donne à voir le lien social » . Elle médiatise le rapport entre l'utilisateur et le bâtisseur et joue sur la dimension imposante de la construction pour souligner le rapport de force en jeu. En d'autres termes, elle réifie la domination: « Contrairement aux formes plus modestes et plus éphémères de marquage (de l'espace) (tags, affiches, rassemblements des corps…) le marquage architectural nous 218 renvoie nettement du côté du pouvoir » 219 Le pouvoir se met en scène à travers la construction d'édifices de prestige. Ainsi, sur la Place de Bolivar on trouve au nord le Palais de Justice, reconstruit en 1989, quatre ans après la destruction du précédent bâtiment lors de la célèbre attaque du mouvement guérillero M-19. Le Capitole National, siège du Parlement inauguré en 1926, couvre tout le bord sud de la place. Il a été dessiné par Thomas Reed, un architecte danois dans un style néoclassique. La maire de Bogota, se situe, elle, sur le flanc ouest, dans le Palais Liévano, de style renaissance construit par le français Gaston Lelarge. La Cathédrale Primatiale de Colombie, construite entre 1807 et 1823, domine, elle, la partie orientale de la place. Mais le pouvoir est également le commanditaire des logements des classes populaires. On l'a vu dans le cas de la politique de construction d'habitations hygiéniques après la grande grippe 220 de 1918, née dans les quartiers populaires du centre historique : « ces constructions expriment alors le point de vue des architectes et des commanditaires sur ces classes sociales et sur l’organisation sociale en général. » 221 L'architecture est l'espace du temps. En cela, elle est un instrument du pouvoir car elle l'inscrit dans la durée. Les élites s'intéressent donc avant tout à l'architecture comme instrument de formalisation de la continuité de leur domination dans les sphères publique et privée. Cet objectif prime sur la vocation esthétique et utilitaire de l'architecture. Ainsi, outre les fastes des grands édifices publics et l'imposition hégémonique de nouveaux modes de vie par l'uniformisation des modes d'habitation, l'État cherche à assurer son rôle dirigeant sur le long terme. La production architecturale permet d'établir un rapport de force mais c'est dans la 222 patrimonialisation du construit que le pouvoir assure la continuité de son pouvoir. « Faire reconnaître un patrimoine consiste en effet à réinjecter du sens dans un édifice qui a généralement perdu ses fonctions d’origine et dont la désaffectation remet en cause 223 la pérennité. » 217 218 Frémont A., Chevalier J., Hérin R., Renard J., 1984, Géographie sociale, Paris, Masson, p.116 Veschambre Vincent, Appropriation et marquage symbolique de l'espace: quelques éléments de réflexion, Carta – Université d'Angers, ESO – UMR 6590 CNRS, 2005, p.75 URL: http://carta.in2p3.fr/travaux.htm (page consultée le 14 août 2008) 219 220 221 222 Ibid., p.75 Voir Supra., 1.2.2 Mixité sociale et inégalités Veschambre Vincent, Ibid., p. 75 Veschambre Vincent, « Patrimonialisation et enjeux politiques: les édifices Le Corbusier à Firminy », in Patrimoine et environnement: les territoires du conflit, Norois n°185, 2000 223 64 Veschambre Vincent, 2005, Loc. Cit., p.75 Charlie WEIBEL 3/ La Candelaria comme moyen Il s'agit donc d'un processus de réinterprétation et de valorisation. Cela ne peut se comprendre que si l'on considère la relation entre espace et appropriation à travers la notion de marquage. Pour le Dictionnaire du logement et de l'habitat, « le marquage par la disposition des objets ou les interventions sur l'espace habité, est l'aspect matériel le plus important de l'appropriation ». 224 Une autre définition souligne que « le 225 marquage symbolique de l'espace est destiné à signaler une appropriation ». La patrimonialisation constitue donc un nouveau marquage pour deux raisons: d'abord, on assiste mécaniquement à un phénomène d'association symbolique entre l’édifice patrimonialisé et le groupe social qui l’a défendu, promu et investi. C'est le marquage présence. De plus, ce groupe procède généralement à une intervention matérielle pour 226 transformer l'édifice, en le réhabilitant par exemple. C'est la marquage trace. La patrimonialisation assure donc la continuité du pouvoir par la réappropriation par l'élite actuelle des œuvres de l'élite passée. Le centre historique de Bogota avait perdu sa fonction d'origine de siège de l'élite et son abandon a bien entraîné la destruction progressive de nombreuses édifices, menaçant de fait sa survie. La patrimonialisation a donc été le moyen pour l'État de se réapproprier la Candelaria. Il s'agissait pour lui de redonner du sens à un quartier qui était devenu essentiellement résidentiel et qui accueillait une population aux revenus moyens ou bas. La production de trace est à cet égard importante, notamment l'apposition de plaques commémoratives rappelant l'occurrence d'un fait historique à un endroit déterminé, par exemple la signature d'un traité ou la naissance d'un personnage célèbre. Ces traces tendent à délégitimer la présence des habitants actuels en soulignant le fossé culturel qui existe entre eux et le territoire qu'ils occupent. On leur fait comprendre qu'ils ne sont pas dignes de leur quartier. De même, on peut interpréter les deux grands projets de rénovation urbaine que sont le Transmilenio et le parc Tercer Milenio comme d'autres signes destinés à redonner du sens à la Candelaria. On peut souligner en particulier la portée symbolique du choix des termes qui incarnent le changement et le progrès. Il s'agit là encore de montrer que seules les actions de l'État sont capables de faire avancer le quartier. Ces traces 227 correspondent pour Bourdieu de la dimension spatiale de la violence symbolique. Comme le rappelle Vincent Veschambre: « De même que toute domination repose sur un travail symbolique de légitimation, toute forme d’appropriation de l’espace passe par la production (et/ou la destruction) de signes 228 afin de rappeler quel est le pouvoir qui s’exprime et dans le même temps de le légitimer. » On peut établir un parallèle intéressant avec la construction de la région catalane en Espagne. En effet, Stéphane Michonneau interprète la politique de restauration de cathédrale à Barcelone, Tarragone, Gérone ou Lleida à la fin du XIXème siècle comme un moyen pour les élites locales de consolider leur domination: « L’appropriation par les élites barcelonaises des espaces symboliques les plus traditionnels de la ville leur permet de capter la valeur suprahistorique et socialement 224 225 226 227 228 Ségaud Marion, Brun Jacques, Driant Jean-Claude, Dictionnaire de l'habitat et du logement, A. Colin, Paris, 2002, p.28 Brunet Roger et alii, Les Mots de la Géographie, La Documentation française, Paris, 1992, p.193 Veschambre Vincent, 2005, Loc. Cit., p.75 Bourdieu Pierre, 1993, Loc. Cit. Veschambre Vincent, 2005, Loc. Cit., p.74 Charlie WEIBEL 65 A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une politique du symbole partagée de ses bâtiments. La permanence de l’architecture ancienne est une valeur 229 convoitée par des classes si peu assurées de leur domination sociale et politique. » La réfection de la façade de la cathédrale de Barcelone est particulièrement significative de cet effort de réappropriation symbolique. On joue sur une architecture de façade somptueuse qui traduit le goût des élites pour l'ostentatoire. Mais cette transformation arbitraire de ce monument traduit surtout la volonté des élites locales de faire de la cathédrale un témoin de la continuité du pouvoir entre l'époque où la Catalogne jouissait d'une quasi autonomie jusqu'en 1410 et cette fin de XIXème siècle. Cette ellipse doit servir de légitimation du pouvoir: « Les élites barcelonaises, sous prétexte de respect de l’histoire, ont conçu une cathédrale qui nie l’histoire architecturale du bâtiment, qui efface le temps pour établir un 230 contact improbable avec la Catalogne médiévale. » La récupération sélective de la Candelaria permet donc à la classe dominante de capter la charge symbolique de ce quartier. La notion de centralité invite à considérer l'espace qui l'entoure. De même, l'inscription de ce territoire dans le temps par le qualificatif « historique » appelle à une réflexion inconsciente sur la durée de la production humaine. La Candelaria transcende donc sa condition de hic et nunc, de ici et maintenant. C'est cette valeur de continuité à la fois spatiale et temporelle qui fait tant défaut à l'État colombien. On peut donc interpréter la politique de récupération du centre historique comme un processus d'appropriation des connotations inconscientes associées au centre dans un but de consolidation de l'État. 229 Michonneau Stéphane, «Barcelone 1900-1910 : la construction d’un espace symbolique», in Rives nord-méditerranéennes, Patrimoine et politiques urbaines en Méditerranée, 2003 (mis en ligne en 2005), URL : (page consultée le 14 août 2008) 230 66 Michonneau Stéphane, Ibid. Charlie WEIBEL http://rives.revues.org/document438.html Conclusion Conclusion La politique culturelle est elle un instrument efficace pour renforcer le pouvoir de l'élite? Les élites semblent en tout cas avoir privilégié cette voie. Le discours sur le déclin du centre représente clairement l'intérêt de ce secteur de la population. Les normes et valeurs attachées au concept de déclin du centre historique émanent de la bourgeoisie. L'État qui diffuse ce message, notamment à travers ses appareils d'hégémonie comme l'école, génère bien un processus de politique culturelle pour s'imposer aux groupes sociaux qu'il souhaite dominer. Cette politique culturelle est utilisée comme instrument de domination. Elle est la base idéologique de la domination des élites. La politique de récupération du centre historique ne peut être comprise qu'à la lumière de cette affirmation. Les grands travaux reflètent le pouvoir de l'organisation sociale et traduisent le but vers lequel cette organisation se doit d'aller. De même, la diffusion des valeurs de l'élite, grâce à la politique de culture citoyenne, fonctionne comme un code de conduite pour la vie en société. Les deux principes fondamentaux sont donc la participation et le progrès. Grâce à cette politique, l'élite consolide son instrument de domination à savoir l'État. La transformation du tissu social qu'a connue Bogota a mis à mal la domination traditionnelle de « ceux de la place ». La crise de gouvernance de la deuxième moitié du XXème siècle traduit de fait cette absence d'hégémonie. La ville était devenue anormée car les habitants ne reconnaissaient plus la légitimité de la domination de cette catégorie restreinte de la population. Dans ce sens, la consolidation de l'appareil étatique traduit la nouvelle stratégie de l'élite qui cherche désormais une domination indirecte par le biais de l'État. Celui-ci prétend à l'universalité. En cela il constitue un outil de domination intéressant. L'élite n'ayant plus les moyens de s'imposer par son seul poids social, elle doit institutionnaliser son pouvoir. Elle médiatise son pouvoir. La réaffirmation du pouvoir de l'élite passe donc par la consolidation de l'État. La politique culturelle est un instrument privilégiée dans ce processus car c'est elle qui permet à l'élite de représenter son action. Ainsi, la destruction de quelques maisons dans El Cartucho devient synonyme d'un État volontaire et qui refuse les zones de non-droit. De même, grâce à la décentralisation administrative, l'État prétend incarner la diversité des groupes sociaux présents sur son territoire. Enfin cette politique culturelle donne une cohérence à l'action des pouvoirs publics et conditionne donc la passage de la politique de gouvernement à la politique d'État. Ce n'est donc pas tant l'action menée qui importe mais la façon dont elle est présentée. En cela la maîtrise de l'appareil étatique et des instruments d'hégémonie dont il dispose est vital pour assurer la domination d'un groupe social. La récupération de la Candelaria relève-t-elle, elle aussi, de la politique culturelle de représentation de l'action? C'est en tout cas un objectif stratégique pour l'élite qui a déployé là des moyens considérables. Il est donc bien question de la publicité de l'action étatique. Ce déploiement relève d'une appropriation symbolique. Mais dans le cas du centre historique, on dont aussi considérer l'appropriation de la charge symbolique que portent ses murs. Le centre historique est le centre de quelque chose et est historique pour un certain groupe social. La définition des limites du territoire impliqué et de la population qui sent un lien Charlie WEIBEL 67 A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une politique du symbole d'appartenance à ce passé revient à l'État. En cela l'appropriation de la charge symbolique de l'État relève de la politique culturelle de représentation de l'action. La récupération de la Candelaria contribue donc à renforcer le pouvoir de l'élite par la politique culturelle. Sur la place du Chorro de Quevedo, les habitants regardent leur avenir avec un mélange d'enthousiasme et de méfiance. Bien sûr cette politique de récupération a eu des effets très positifs en termes de sécurisation. Le quartier est également plus beau, les façades sont régulièrement repeintes et les rues sont remarquablement bien entretenues si l'on compare au reste de la capitale. Les petites rues autrefois perçues comme un handicap protègent désormais les habitants du trafic autoroutier et font de la Candelaria une enclave de paix dans la ville. Un luxe. Le quartier attire des artistes, des étrangers. Les familles aussi viennent s'y promener le weekend. Alors on parle d'élever les strates pour le paiement des services publics. Il y a aussi ce projet de Zona C qui voudrait faire de la Candelaria un pôle gastronomique de luxe, 231 à l'image de la Zona G (comme Gourmet) qui existe déjà un peu plus au nord de la ville. La restructuration du tissu social dans la centre historique est nécessaire à la redynamisation du quartier. Mais elle tend à se faire au dépend des habitants actuels. Paradoxalement, l'image des vieilles maisons coloniales était associée jusqu'à peu à l'insoumission et la Candelaria était un quartier bohème. La réappropriation symbolique de ce quartier accentue la violence symbolique de ces murs déclarés témoins de la continuité du pouvoir étatique. La récupération de la Candelaria sert surtout à faire exister la Colombie. En lui trouvant un centre et une origine valide, l'élite organise sont État. Pays toujours très autocentré et peu étudié, la Colombie semble hésiter à s'ouvrir sur ce monde qui ne lui demande que de combattre le trafic de drogue ou de libérer Ingrid Bétancourt. La récupération de la Candelaria et la renaissance de Bogota sont, en dehors de toute considération politique ou sociologique, une belle réussite pour ce pays. Ce modèle est étudié à Medellin, Pereira, Pasto, Manizales mais aussi à Cap Town en Afrique du Sud et à Mexico. Cela valait bien un mémoire. 231 68 « La Candelaria ahora es oficialmente la Zona C »in El Tiempo, 8 décembre 2007 Charlie WEIBEL Bibliographie Bibliographie Ouvrages Alvarez Sonia, Dagnino Evelina, Escobar Arturo, Cultures of Politics/Politics of Cultures, Revisioning Latin American Social Movements, Boulder, Westview Press, 1998, 480 p. Bergquist Charles W., Cafe y conflicto en Colombia 1886-1910 (La Guerra de los Mil Dias : sus antecedentes y consecuencias, Medellin, FAES, 1981, 328 p. Brunet Roger et alii, Les Mots de la Géographie, La Documentation française, Paris, 1992, 470 p. Bushnell David, Colombia : una nacion a pesar de si misma. De los tiempos precolombinos a nuestros dias, Bogota, Planeta Colombiana Editorial, 1996, 432 p. Cuéllar Marcela, Delgadillo Hugo, Escovar Alberto, Gaston Lelarge: itinerario de su obra en Colombia, Bogota, Planeta Colombiana Editorial et Corporacion La Candelaria, 2006, 130 p. 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A consulter sur place au Centre de Documentation Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon Annexe 2 Bicentenario de las Independencias, Colombia 2010-2019, Una Historia con Futuro, Reflexion del pais para celebrar la democracia, Bogota, Ministerio de Cultura, 2008 EL ASUNTO En 1872 se dio un curioso debate entre Miguel Antonio Caro y José María Quijano Otero. El primero afirmó que la celebración de la independencia debía ser el 16 de julio de cada año, pues en ese día del año 1813 Cundinamarca proclamó su independencia de España; Quijano Otero, por el contrario, defendió como tesis, apoyado ya en la tradición, que la celebración debía ser el 20 de julio, en conmemoración de los sucesos de 1810 ocurridos en Santafé. Este último se impuso y así los que lo seguían, especialmente en el Congreso de la Unión, pues aprobaron la ley Nº 2854 de 16 de mayo de 1873, por la cual 232 se declaró el 20 de julio como aniversario de la Independencia nacional. Del párrafo anterior, tres asuntos llaman de inmediato la atención: primero, que se quisiera proponer la fecha correspondiente a Cundinamarca como la de la celebración de la fiesta nacional; igualmente, el 20 de julio en sus orígenes hace relación a un hecho local, de allí que fuera impugnado por muchas otras localidades en los años iniciales de nuestra vida republicana; segundo, la tradición, esto es, el hecho de que para 1873 ya se hubiera generalizado en muchos lugares de la nación la celebración de esta fecha como fiesta patria; tercero, no tanto la necesidad de una ley para establecer tal día como una fiesta nacional, lo que de todas formas tarde o temprano debía darse, sino lo tardío de la misma, 1873. En este sentido, la elección del 20 de julio como fiesta nacional fue el resultado de 232 Diaz Piedrahirta Santiago, 20 de julio de 1810, referente obligado y conmemoracion legitima in Academia Colombiana de Historia, Bicentenario ¿Qué Celebrar?, Bogota, Cuadernos del Bicentenario, comité Bicentenario José Manuel Restrepo, 2007, p.14-15 Charlie WEIBEL 75 A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une politique du symbole una construcción social que tomó varios decenios en tomar forma e imponerse sobre todo el conjunto del territorio nacional. Sin duda, la Constitución de 1886 recogió lo que esta dinámica social significó en el siglo XIX: el triunfo de un estado democrático de claro talante centralista tanto en su forma de gobernarse como de entender la nación. De esta manera, el país andino y en él, Bogotá, se convirtió en el núcleo del proyecto civilizador que se desprendió de la carta del 86. El 20 de julio adquirió así el significado que mantuvo vigente hasta los últimos decenios del siglo XX: la fiesta del centralismo político, del unanimismo ideológico, de la homogeneidad cultural. Sin embargo, hoy es constatable que en muchas de las comunidades del país, así como en sectores de jóvenes, académicos y etnias la celebración del 20 de julio no tiene la fortaleza que era incuestionable para nuestros padres. El pasado común que resulta de dicha construcción decimonónica está hoy en cuestión, no porque el 20 de julio sea una efeméride sin sentido sino porque las raíces de su significado están variando: son reconocibles hoy otras y debemos estar atentos a esta transformación a riesgo de perder en su totalidad el valor social de esta fiesta, que se quiere nacional. Por ello, conmemorar en pluralidad y democracia serán construir una historia con futuro. LA HISTORIA En 1910, el primer centenario de la Independencia celebró el progreso. Lo hizo de una manera que para nosotros resulta peculiar, no así para la generación que la vivió. Los actos se centraron en Bogotá, sin que esto signifique que no hubo discursos, desfiles e inauguración de monumentos en muchas ciudades y poblados del país; pero fue sobre todo la feria exposición realizada en el Parque de la Independencia, en Bogotá, lo que centró la atención y los esfuerzos del sector público y privado. Y allí, la industria, la agricultura, las artes y las técnicas fueron elegidas para significar la independencia. Esto es, si nos independizamos fue para mejorar, entendiendo por esto los triunfos de la Revolución Industrial y, por supuesto, los de la Revolución de la Unión Americana y de la Francesa. La Constitución de 1886 fue entendida por la generación de 1910 como el requisito de esta celebración. Todo lo anterior quedó como una larga, difícil y sangrienta preparación, incluido por supuesto el violento fin de siglo y sus secuelas sobre Panamá y el régimen del Quinquenio. La historiografía hizo de este fenómeno el principio para edificar el pasado que las nuevas generaciones debían aprender, esto es, recordar. En este sentido, todo lo sucedido con anterioridad a 1886 fue convertido en preparación: los personajes centrales de la gesta independentista fueron presentados como padres fundadores, acompañados ahora de nuevos héroes, aquellos que en las guerras civiles dieron su vida en la construcción del centralismo; el juicio sobre los presidentes anteriores a Núñez se edificó sobre el mismo principio de contribución a la consolidación del Estado colombiano de 1886. Así quedó consignado por Henao y Arrubla en su texto de 1910. Este nuevo pasado se acompañó de una liturgia civil, los actos del 20 de julio, que se reglamentaron y así se reprodujeron por décadas en muchas partes del país. Un siglo más tarde, ese pasado ya no es necesariamente el nuestro y, en especial, el de nuestros hijos, el de las nuevas generaciones. Este fenómeno, en términos historiográficos, poco tiene de extraño. Es hoy aceptado que con alguna frecuencia una nueva generación hace sus propias preguntas y realiza, por lo tanto, una lectura diferente de lo que le importa de ese inmenso océano que es lo acontecido para cada grupo humano. Aunque duró casi un siglo la interpretación que del pasado se hizo en torno a la Constitución de 1886, lo cierto es que ya encontramos revisiones en épocas tan tempranas como el decenio de 1930, 76 Charlie WEIBEL Annexe para mencionar solo el caso de un gran intelectual como Luís Eduardo Nieto Arteta o los debates sobre el significado de la Independencia en las páginas del Boletín de Historia y Antigüedades, decano de las publicaciones históricas colombianas. Los textos de educación fueron los encargados de mantener como tradición la perspectiva del pasado colombiano que heredamos de las generaciones de fines del siglo XIX e inicios del XX. No resulta extraño encontrar, entonces, que los primeros síntomas de un gran cambio se encuentran precisamente en estos mismos textos. Desde los años 1970, fueron introducidos libros de historia para la educación secundaria que revisaban lo que se erigió en verdad a comienzos del siglo XX. Esto rápidamente pasó al nivel básico primario y, por supuesto, desde antes estaba en debate en la universidad. ¿Qué fue lo diferente? Hoy podemos argumentar que el movimiento que se gestó de una u otra manera desde los años 1970 alcanzó una de sus cimas en la Constitución de 1991. De nuevo, este hecho marcó la necesidad de otorgarle un marco histórico, un pasado, a esta nueva situación. Grandes sectores de la sociedad no se entendían a sí mismos y a los demás dentro de los parámetros de la Constitución de 1886. No solo se debía erigir un Estado sobre fundamentos diferentes, sin negar la herencia pero entendiéndola ahora como patrimonio, esto es, el capital con el cual erigir la propia vida, sino que se debían responder las preguntas que ahora interesaban: aquellas que hacen referencia a la descentralización del Estado y de la política, a la pluralidad ideológica y a la heterogeneidad cultural. La conmemoración del bicentenario de las Independencias tiene, entonces, como referente una constitución, pero no es la de 1886. No deja de ser interesante esta constatación: cada celebración centenaria de los sucesos fundadores de 1810 tiene como referente inmediato una constitución y es ésta la que informa el contenido de lo celebrado. La nuestra es la de 1991. Es desde lo que ella significa para nosotros que debemos llenar de sentido la efeméride. Así lo hicieron los responsables del primer centenario y así lo debemos hacer nosotros. De esta manera, lo que nos corresponde es construir nuestra memoria. Esto es, valorar hoy nuestra diversidad, reconocer lo que hoy nos congrega y celebrar la democracia, proyecta hacia el mañana el legado de ser colombianos. EL PROPÓSITO La conmemoración del bicentenario de las Independencias es una gran celebración de la democracia. Propósito común realizado durante los últimos doscientos años que seguirá siendo una empresa colectiva en el futuro como condición de nuestra vida en común. Esta es una fiesta de todos: nuestra conmemoración de habernos constituido en comunidad de seres libres, aceptando nuestra responsabilidad ante el otro, pues lo reconocemos igualmente independiente, esto es, distinto; nuestra conmemoración de habernos constituido en una nación cuya construcción social encuentra su valor en la aceptación del otro; nuestra conmemoración de un pasado común, pero reconociendo ahora que su significado es dinámico y plural; nuestra conmemoración del Estado, al aceptar que en sus instituciones y reglas de vida se señala el modo de convivir y consolidar un proyecto colectivo de nación, respetando lo particular; en escencia, nuestra conmemoración del futuro, que no encuentra otra posibilidad que su despliegue en la libertad, la comunidad, la convivencia y el patrimonio común. LOS OBJETIVOS Tres son los objetivos para la conmemoración de este gran acontecimiento de la nación colombiana: Charlie WEIBEL 77 A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une politique du symbole 1. Integrar a la construcción de nuestra memoria las preguntas actuales sobre lo acontecido durante últimos doscientos años, y materializar dicha construcción en acciones que recuperen y acrecienten el patrimonio tangible e intangible de los colombianos. 2. Revitalizar la fiesta cívica como expresión de la ciudadanía en un acto incluyente, participativo, tolerante y plural, capaz de expresar en la diversidad el gran valor que tiene ahora, para nosotros, el reconocimiento de lo propio. 3. Fortalecer institucionalmente entidades del sector público dedicadas a la gestión cultural. LOS PRINCIPIOS Los principios que inspiran esta conmemoración, fundados en la Carta de 1991, son los siguientes: 1. Inclusión. Nuestra celebración de la democracia es incluyente pues acepta el pleno reconocimiento de los derechos fundamentales de la persona en la sociedad a la que pertenece. 2. Participación. Nuestra celebración de la democracia es participativa tanto en el sentido de su dinámica social y cultural como de los actores que forman parte de ella. Si queremos una fiesta en común, ésta debe convocar a los diversos y mas amplios sectores de nuestra sociedad y no ser el resultado de la actividad solitaria de una elite que se ve a sí misma como civilizadora; los actores somos todos, tanto en el pasado como en el presente. 3. Diversidad. Una reflexión de país, basada en la memoria común, que encuentra en lo regional y en lo local los cimientos de su identidad. La multiculturalidad es el común denominador de lo colombiano: somos nación porque nos recreamos en lo diverso. 4. Apropiación. Una reflexión de país que no nace del centro sino que invita a todos los ciudadanos a pensarse como seres que desde su autonomía son capaces de entenderse como comunidad. LOS EJES DE ACCIÓN La organización de la conmemoración bicentenaria incorpora matices regionales y locales y se promueve desde el Estado para dejar huellas duraderas en el futuro. Los ejes de acción, desde esta triple perspectiva, son los siguientes: 1. Patrimonial: una propuesta de rescate, conservación y difusión del patrimonio histórico tangible e intangible de los colombianos. 2. Educativo: la construcción y reconstrucción de sentidos significados y memoria es objetivo central de la conmemoración, de manera que se revisen los relatos a la luz de la inclusión social y las contribuciones locales a la historia común, en el marco de los procesos de aprendizaje. 3. Académico: elaboración de una agenda común, que genere y difunda conocimiento actualizado y critico relativo al bicentenario, en coordinación con las diferentes instituciones de investigación, universidades y otras comunidades científicas en el ámbito nacional e internacional. 4. Comunitario: visibilizar y resaltar el aporte de las diferentes comunidades campesinas, indígenas y afrocolombianas, entre otras, a la construcción de la nación colombiana mediante su permanencia ciudadana. 78 Charlie WEIBEL Annexe 5. Comunicativo: activación de la producción, difusión y distribución de nuevos contenidos alusivos a la memoria histórica, desde organizaciones y colectivos que adelantan acciones comunicativas comunitarias. 6. Cultural: articulación del Sistema Nacional de Cultura a la conmemoración del bicentenario, generando planes de acción específicos para garantizar una amplia y diversa oferta cultural. 7. Ciencia y tecnología: reconocer el aporte de la actividad científica en la construcción de la Nación mediante el impulso a la investigación científica, al adelanto tecnológico y a los programas de desarrollo sostenible. 8. Infraestructura: inscripción de obras civiles de importancia para el bienestar y el desarrollo de las comunidades, en el programa de la conmemoración del bicentenario. 9. Festivo: Potenciar, mediante una adecuada organización y financiación, las maneras propias de vivir, conmemorar y disfrutar esta fiesta de la nacionalidad y la democracia. Estos ejes de acción se encuentran unidos transversalmente por los tres elementos enunciados y se constituyen en la perspectiva general de la organización de la celebración: énfasis cuidadoso en lo regional y local; articulación de un programa integral desde el Estado; y, acciones que garanticen que lo realizado quedará como legado para los futuros colombianos. LAS ESTRATEGIAS De acuerdo con los ejes de acción señalados, las estrategias seleccionadas para garantizar el cumplimiento de los objetivos son, entonces, los siguientes: 1. Programa común: articular desde el Estado la elaboración de un programa integral para la conmemoración del bicentenario. 2. Coordinación Interinstitucional: coordinación de objetivos y planes entre las diferentes instituciones del Estado, en el nivel central y en el territorial. 3. Convocatoria intersectorial: el programa integral surge de una alianza entre los sectores público y privado, en un enfoque transversal de iniciativas educativas, comerciales, ambientales industriales y políticas, entre otros. 4. Emprendimiento cultural: desarrollo de programas de turismo cultural tendientes a lograr que diferentes poblaciones articulen la conmemoración del bicentenario con la creación y el fortalecimiento de empresas con enfoque cultural. 5. Participación regional y local: invitación a la sociedad civil, por medio de los diferentes entes territoriales, a participar desde sus particularidades en la conmemoración del bicentenario, formulando para ello planes específicos en los diferentes ejes de acción. 6. Financiación pública y privada: generación de una bolsa de recursos, alimentada desde el sector publico y el privado, para la financiación de proyectos estratégicos de alto impacto social, en el marco de la conmemoración del bicentenario. 7. Cooperación internacional: privilegiar acciones con Estados y organismos internacionales, con el fin de reforzar los lazos de integración cultural y cooperación para el desarrollo económico y social. 8. Resignificación de la fiesta: propuesta de una celebración, capaz de expresar la diferencia a través de elementos simbólicos comunes. En este sentido, actividades realizadas al mismo tiempo en los diferentes municipios, tales como el gran concierto Charlie WEIBEL 79 A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une politique du symbole nacional, la siembra del Árbol de Mutis, obras artísticas, inauguraciones y otras iniciativas que surjan de la creatividad individual y colectiva. LOS PROGRAMAS Los ejes de acción, dinamizados mediante las estrategias, dan lugar a programas concretos, cada uno de los cuales agrupará los proyectos propuestos por las instituciones del Estado, por el sector privado y por la sociedad civil. Estos programas son los siguientes: 1. Programa de patrimonio. 2. Programa de comunicaciones 3. Programa de espacios de memoria: archivos, bibliotecas y museos. 4. Programa académico. 5. Programa espacios de creación y expresión: música, danza, teatro, plástica y literatura. 6. Programa de la fiesta cívica. 7. Programa de estímulos: concursos, becas, pasantías y premios. 8. Programa de emprendimiento cultural. 9. Programa de infraestructura. LOS ACTORES ESTRATÉGICOS La elaboración y coordinación de un programa integral, tiene como actores estratégicos a las siguientes instancias individuales y colectivas: 1. Secretaria ejecutiva del bicentenario. Presidencia de la República. 2. Ministerio de Cultura (entidad coordinadora del programa general que se elaborará desde el Estado). 3. Otros Ministerios e instituciones del Estado en sus diferentes niveles administrativos y territoriales. 4. Gobernadores y Alcaldes. 5. Docentes e instituciones educativas. 6. Academias y organizaciones científicas y culturales. 7. Líderes y organizaciones comunitarias. 8. Organismos nacionales e internaciones de cooperación. 9. Líderes y entidades del sector comercial, industrial y financiero. 10. Medios de comunicación impresa, radial y televisiva. CRONOGRAMA El cronograma inicial hace referencia a la elaboración del programa general: 1. Enero 2008: elaboración y discusión del documento guía de la propuesta. 2. Febrero - junio, 2008: elaboración del programa general. 3. Julio 20, 2008: Lanzamiento del programa general. 4. Agosto 2008 - diciembre 2009: ejecución de planes y programas preparativos. 5. Enero - diciembre 2010: celebraciones locales y regionales. 80 Charlie WEIBEL Annexe 6. Julio 20, 2010: gran fiesta nacional. Charlie WEIBEL 81