mémoire en texte intégral version pdf

Transcription

mémoire en texte intégral version pdf
UNIVERSITÉ LYON 2
Institut d'Etudes Politiques de Lyon
A la recherche du temps perdu :
récupération du centre historique de
Bogota, enjeux d'une politique du symbole
Charlie WEIBEL
Diplôme : Gestion de projet, coopération et développement en Amérique latine
Séminaire : Développement et développement durable en Amérique latine
2007 – 2008
Sous la direction de M. Jacky Buffet
er
Soutenu le 1 septembre 2008
Jury : MM. Bernard Lamizet et Jacky Buffet
Table des matières
Remerciements . .
Introduction . .
1/ Du déclin de la Candelaria . .
1.1 La relativité du déclin . .
1.1.1 Analyse comparative . .
1.1.2 Un déclin naturel . .
1.2 La subjectivité du déclin . .
1.2.1 L'élite comme référence du bien être. . .
1.2.2 Mixité sociale et inégalités . .
1.3 L'historicité du déclin . .
1.3.1 L'idéologie modernisatrice . .
1.3.2 Un jugement rétrospectif à portée hégémonique . .
2/ « Récupérer » la Candelaria . .
2.1 Un État qui réaffirme sa présence . .
2.1.1 Un État bâtisseur . .
2.1.2 Un État médiateur . .
2.2 La sécurité par la culture citoyenne . .
2.2.1 Le paradoxe du centre . .
2.2.2 Du service public au bien public: la sécurité citoyenne . .
2.3 Participez! . .
2.3.1 La participation institutionnalisée . .
2.3.2 La socialisation . .
3/ La Candelaria comme moyen . .
3.1 Un État présent partout . .
3.1.1 Symbolique de la centralité . .
3.1.2 La rénovation autocrate . .
3.2 Créer une nation . .
3.2.1 Un État horizontal . .
3.2.2 Un État vertical . .
3.3 Du gouvernement à l'État . .
3.3.1 L'enjeu de la continuité . .
3.3.2 Symbolique de la temporalité . .
Conclusion . .
Bibliographie . .
Ouvrages . .
Articles issus d'ouvrages . .
Textes officiels . .
Rapports et compte rendus . .
Presse . .
Documents issus d'Internet . .
5
6
10
10
10
11
14
14
16
20
20
22
28
28
28
31
33
33
36
40
41
44
48
48
49
50
52
53
58
61
61
63
67
69
69
70
71
72
73
73
Annexe . .
Annexe 1 . .
Annexe 2 . .
75
75
75
Remerciements
Remerciements
Je tiens à remercier tout d'abord mon directeur de mémoire, Monsieur Jacky Buffet pour son
investissement, ses conseils et sa disponibilité. Il a su me transmettre son enthousiasme pour la
recherche et sa rigueur dans le travail.
J'en profite surtout pour adresser mon affection à toutes les personnes qui m'ont soutenu depuis
le début. À Graziella et Jean-Charles Weibel, je dédie ce mémoire. Je n'aurais jamais pu en arriver
là sans eux. À Typhaine Briand, Marie Mahin, Louise Poncet, Damien Imbert, Alexis Minot, Shanti
Moratti et Jeremy Trouilh, à qui je suis lié pour toujours. À Charly Streff, Louis Aubert, Franck
Bourbon et Matthieu Plaidy pour cette année, et toutes les suivantes.
À Cristian Rouillé enfin, pour l'inspiration qu'il me donne chaque jour.
Charlie WEIBEL
5
A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une
politique du symbole
Introduction
Savez-vous quelle ville a remporté le Lion d'Or 2006 à la Biennale d'architecture de Venise?
Quelle ville a été nommée Capitale Mondiale du Livre et Capitale Ibéro américaine de
la Culture en 2007? Il s'agit de Bogota, la capitale de la Colombie. Cela peut sembler
surprenant voire paradoxal pour une ville dont l'image reste plutôt associée à la violence
et à la drogue. Bien sûr, il y a eu 1985, la prise du Palais de Justice par un groupe
guérillero, action commanditée par Pablo Escobar, le chef du cartel de Medellin. Mais des
faits historiques aux stéréotypes, il n'y a qu'un pas.
Pourtant, Bogota a été surnommée l'Athènes sud-américaine. Son petit centre
historique est le témoin privilégié de cette vocation culturelle mais aussi des inévitables
blessures du temps. Sa conservation est un enjeu d'autant plus important que le reste de la
ville ne s'est construit que très récemment. Entre modernité et bidonvilles, il constitue donc
un trésor patrimonial pour tout le pays.
Les limites de ce quartier sont floues. La Candelaria est le nom donné à la zone qui
entoure l'église du même nom. Il est devenu peu à peu synonyme de centre historique bien
que cette dernière appellation recouvre un territoire légèrement plus étendu. Néanmoins,
les deux termes peuvent être utilisés indifféremment depuis qu'en 1977, on a créé une
sous-division administrative spéciale sous le nom de mairie « mineure » de la Candelaria.
Cette nouvelle entité regroupant de fait l'essentiel des édifices coloniaux, le processus
métonymique s'est imposé progressivement à la population.
Néanmoins, l'étude de ce territoire requiert d'abord de se pencher sur son
environnement extérieur afin de comprendre les enjeux de sa restauration. Pendant
longtemps, le développement urbain de la capitale colombienne est resté très limité,
notamment à cause de la difficulté d'accéder au plateau bogotanais, à 2600 mètres
d'altitude. En 1851, la ville comptait encore autour de 30 000 habitants. Ce qui est aujourd'hui
le centre était autrefois la ville entière. Bogota a initié sa transition de grande ville à métropole
au début du XXème siècle. Des quelques 120 000 habitants de 1912, on est passé à 650 000
1
2
3
en 1950 pour frôler les 7 millions aujourd'hui . La Candelaria, avec ses 27 000 habitants
représente désormais à peine 0,4% de la population de la ville.
4
Située au pied d'une chaîne de montagne , Bogota s'est étendue à partir de la
Candelaria vers le Nord et le Sud puis vers l'Ouest en direction de la plaine de la Sabana.
La capitale colombienne s'étend du Nord au Sud sur une trentaine de kilomètres et d'Est
1
Bushnell David, Colombia : una nacion a pesar de si misma. De los tiempos precolombinos a nuestros dias. Editorial Planeta,
Bogota, 1994, Apéndice 1, p.391
2
Chiffres Departamento Administrativo Nacional de Estadistica, http://www.dane.gov.co/censo/ , (page consultée le 13 août
2008)
3
4
6
Chiffres Mairie de Bogota, http://www.bogota.gov.co/decide.php?patron=1.090717, (page consultée le 13 août 2008)
Cerros del Monserate y de Guadalupe
Charlie WEIBEL
Introduction
5
en Ouest sur environ 15 km , soit une étendue de 384,3 km2. La Localité de la Candelaria
6
couvre une superficie de 184 hectares ce qui représente seulement 0,5% de l'aire urbaine.
Malgré tout, elle conserve et accentue même son rôle de centre avec le développement
de la ville. Dans la première moitié du XXème siècle, c'est dans ce petit territoire que
se concentrent l'élite colombienne et les principales activités politiques, économiques et
financières.
Mais la rapidité de cette croissance démographique et spatiale rend difficile toute
planification du développement urbain. Bogota a donc connu une longue période
caractérisée par l’absence de gouvernance stable et efficace. Les grands travaux ont
toujours servi des intérêts politiciens sans qu’il existe de cohérence dans la vision de la
ville sur le long terme. Le célèbre architecte Le Corbusier se rend à Bogota en 1947 et
élabore un plan d’urbanisme pour la ville qui ne sera jamais mis en œuvre. C’est le général
Rojas Pinilla qui a impulsé en tant que Président la construction de l’aéroport international
et le développement de l’Ouest de la ville dans les années 1950. De même, le quartier
Kennedy a été construit grâce aux aides de Washington dans le cadre de l’Alliance pour le
Progrès dans la décennie des années 1960. Les institutions locales sont un amoncellement
bureaucratique inapte à gérer la croissance incontrôlée de la population.
Ce diagnostique d'impuissance des pouvoirs publics se retrouve également au niveau
étatique. La Colombie vit au rythme d'un conflit interne qui dure depuis 60 ans sans qu'aucun
gouvernement n'ait réussi à trouver une issue, que ce soit par la négociation ou par les
armes. La Candelaria en est d'ailleurs la première victime. En 1948, l'assassinat du leader
libéral Jorge Eliecer Gaitan dans le centre historique débouche sur une vague de violence
et de destruction connue sous le nom de bogotazo. De nombreux bâtiments à grande
valeur architecturale sont ainsi détruits. Cet évènement déclenche la période de la Violencia,
7
prémices du conflit actuel. Suite à cet évènement, on commence à parler du déclin de
la Candelaria. Dans les années 1980, le centre historique est associé aux zones les plus
dangereuses de la ville. Il est devenu une zone de non-droit.
Nous allons nous pencher sur la politique de récupération de ce quartier mené par l'État
à partir des années 1990. Cette politique consiste d'abord à rénover des bâtiments classés
mais endommagés par de nouveaux usagers souvent moins soucieux de la conservation
du patrimoine. Mais elle suppose aussi la reconquête physique de ce territoire qui est sorti
de l'aire de domination des pouvoirs publics.
Cette démarche implique nécessairement un travail de retour sur soi afin de s'affranchir
tant que possible de ses propres représentations. Ainsi, en terme de rénovation urbaine,
nous devons souligner que les standards ne sont évidemment pas les mêmes en France
et en Colombie et à beaucoup d'égard, la Candelaria peut nous apparaître comme un
quartier encore relativement dégradé aujourd'hui. Mais il s'agit également d'un retour sur
des valeurs dont on a tendance à penser qu'elles sont universelles. C'est pourquoi nous
nous attacherons à questionner des concepts comme la démocratie ou le progrès.
Nous avons fait le choix d'utiliser certains concepts relevant du marxisme, notamment
le concept d'hégémonie chez Gramsci. Il s'agit là d'une perspective originale sur le sujet.
Cela tient sans doute à la faiblesse intrinsèque de la gauche en Colombie que souligne
5
Chiffres Mairie de Bogotá,
http://www.bogota.gov.co/portel/libreria/php/frame_detalle.php?h_id=357&patron=01.0101 ,
(page consultée le 13 août 2008)
6
7
Chiffres Mairie de Bogota, http://www.bogota.gov.co/decide.php?patron=1.090717 , (page consultée le 13 août 2008)
Bushnell David, Op. Cit.,p.276-292
Charlie WEIBEL
7
A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une
politique du symbole
8
David Bushnell dans l'introduction à son livre sur l'Histoire de ce pays. Mais cela traduit
aussi la prédominance dans la recherche sur la rénovation urbaine d'une approche socioéconomique classique. La réhabilitation d'un quartier est ainsi abordée en termes de
sécurisation, de production d'opportunités de travail ou encore de rénovation de l'espace
public. Nous utiliserons bien sûr ces concepts mais en les inscrivant dans un modèle
d'analyse plus vaste. Cela nous permettre d'introduire de nouvelles notions nécessaires
à une compréhension des enjeux profonds de cette politique de récupération, comme
l'imposition des valeurs. Le choix de cette perspective n'est finalement qu'une mise en
forme théorique d'une approche dont tous les chercheurs reconnaissent implicitement la
pertinence. En témoigne, la récurrence surprenante du terme élite dans tous les textes
universitaires qui traitent de la question de la récupération du centre historique.
Comme le souligne Joël Pailhé dans son article sur l'influence marxiste dans la
géographie française, le débat doit être dépassionné:
« Il ne s’agit pas de se situer sur le terrain des "influences" qui restent dans le
domaine subjectif, mais sur celui des questions concernant la pratique géographique. (...)
Les concepts et les catégories portant l’empreinte du marxisme ne sont pas réservés aux
"radicaux". Sans être réduit à une méthode trouvant sa place dans le discours académique,
il conserve son ambition. Ne pas fournir des réponses toutes faites, mais au contraire, poser
9
des questions. »
Cette perspective permet de s'affranchir de la division souvent artificielle établie entre
les différents niveaux institutionnels. En effet, cela tend à laisser penser qu'il n'existe pas
d'intérêt de classe, représenté par l'appareil étatique, dans la récupération de la Candelaria.
Cette vision est renforcée par le système décentralisé qui laisse à Bogota, en tant que district
capital, une large autonomie. De plus, on assiste depuis plusieurs années à une polarisation
politique entre Bogota et le reste du pays. L'accession d'Alvaro Uribe à la présidence en
10
2002 sur un programme de guerre contre les FARC contraste avec la situation de Bogota
où, depuis 1992, l'administration est davantage marquée à gauche, si l'on considère par
exemple la préoccupation des différents maires pour la question sociale. Il nous semble
qu'aborder la question de la Candelaria en termes de classe dominante et dominée permet
de considérer de façon plus précise les enjeux des différentes actions menées dans le cadre
de la politique de récupération.
Ce travail consiste donc à montrer comment la récupération du centre historique
de la capitale colombienne peut contribuer au renforcement du rôle dirigeant de l'élite
grâce au mécanisme de représentation de leur action et à la stratégie d'appropriation
de la charge symbolique de ce quartier.
Nous pensons pouvoir démontrer que la politique culturelle constitue dans ce contexte
un outil de domination efficace. Nous soulignons néanmoins que ce travail ne doit pas
laisser penser que la Colombie est un pays intrinsèquement inégalitaire. Elle est ouverte
sur le monde et nous n'omettons pas les efforts réalisés par les autorités pour favoriser le
développement économique et une plus grande justice sociale. Nous ne prétendons pas
déterminer une tendance qui représenterait à elle seule l'évolution interne d'un pays aussi
complexe que la Colombie.
8
9
Ibid., p.14
Pailhé Joël, « Références marxistes, empreintes marxiennes, géographie française », Géocarrefour, Vol. 78/1, 2003 (mis en
ligne le 29 mai 2007), URL : http ://geocarrefour.revues.org//index102.html (page consultée le 15 août 2008)
10
8
Forces Armées Révolutionnaires de Colombie
Charlie WEIBEL
Introduction
Afin de corroborer notre hypothèse de travail, nous nous sommes basés sur l'étude
de la politique culturelle de l'État dans sa dimension conflictuelle. Si l'on se représente
l'État comme un instrument de domination pour l'élite, la politique culturelle devient un
facteur d'hégémonie car c'est d'elle que dépendent implicitement les questions d'éducation,
de sécurité ou encore d'économie. Les mécanismes de représentation de l'action et
d'appropriation symbolique ne peuvent être compris qu'à la lumière du culturel.
Pour ce faire, nous nous sommes appuyés sur un corpus qui privilégie les documents
officiels, émanent de l'État et de la mairie, plans de développement, discours mais aussi
publications. Les articles universitaires ont été d'une aide précieuse car, bien que traitant
souvent de questions plus techniques, ils ont permis de corroborer par des faits mesurés
des tendances jusque là simplement observées lors d'une année sur place.
Le raisonnement s'est construit autour de trois idées. Il s'agit d'abord de montrer
que le déclin de la Candelaria n'est pas absolu. Au contraire, ce discours qui a servi à
légitimer la politique de récupération apparaît comme une exagération, une interprétation
et une reconstruction (1). On se penchera ensuite sur l'ampleur des moyens déployés
pour la récupération du centre historique pour assurer la visibilité de l'élite, sécuriser le
quartier et diffuser certaines valeurs (2). Nous verrons enfin que cette politique s'inscrit
dans un processus de consolidation de l'État, sur le territoire, la population et la machine
gouvernementale (3).
Charlie WEIBEL
9
A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une
politique du symbole
1/ Du déclin de la Candelaria
Tout travail sur la politique de récupération d'un quartier doit d'abord questionner le
11
fondement même de cette politique c'est à dire le constat du déclin.
Bien qu'il soit
communément accepté en ce qui concerne la Candelaria, il nous apparaît important
d'étudier objectivement l'évolution du quartier sur une plus longue période afin de mieux
saisir par la suite les enjeux de la récupération au cours des vingt dernières années. Nous
travaillerons donc sur la relativité, la subjectivité et l'historicité du déclin.
1.1 La relativité du déclin
Dans quelle mesure peut-on parler de déclin? Dans le contexte de Bogota, le terme de déclin
pour un quartier a-t-il le même sens qu'à Paris ou Londres? Un quartier est-il autonome au
point de pouvoir décliner de lui même?
1.1.1 Analyse comparative
Bogota est marquée par un clivage spatio-économique traditionnel entre Nord et Sud. On
peut ainsi dire grossièrement que le Nord de la ville est riche et le Sud est pauvre. Dans ce
contexte, le centre apparaît donc comme une position intermédiaire qui bien que souffrant de
la proximité avec les quartiers les plus dégradés de la ville n'en reste pas moins en contact
12
avec les zones plus dynamiques.
Le Sud apparaîssait donc comme le récepteur naturel
des politiques publiques de réhabilitation intégrale de quartier. D'ailleurs, les indicateurs de
qualité de vie à Bogota qui incluent plusieurs paramètres commela santé ou la sécurité,
confirment cette vision. En 1997, l'indice de Bogota était de 75,5. Usaquén au nord de la
ville était au dessus de la moyenne avec un indice de 81,1. Ciudad Bolivar, quartier pauvre
du sud de la ville avait lui un indice de 69,4. Quant à la localité de Santa Fe située dans le
centre de la ville, l'indice était de 68,7.
11
12
13
Jaramillo Samuel, « El Destino del Centro de Bogota » in Desarrollo y Sociedad N°10 CEDE – Uniandes, Bogota, 1982
Cette ambivalence du centre, déchiré entre Nord et Sud, a été soulignée dans le cas de la politique de construction de logements
neufs pour attirer les classes moyennes dans le centre: un premier projet situé dans la partie nord du centre, « Las Torres del Parque »,
fut un succès retentissant. Dans l'optique de reproduire cette expérience, on employa les mêmes architectes afin de construire un
autre ensemble cette fois dans la partie sud à quelques trois kilomètres seulement de son modèle. Néanmoins, le projet de « Nueva
Santafe » fut un échec. Les classes moyennes boudèrent ces nouveaux appartements qui, bien que bénéficiant du même confort que
ceux des « Torres del Parque », étaient entourés de quartiers populaires. Cf. Idem, « Reflexiones sobre las politicas de recuperacion
del centro (y del centro historico) de Bogota », CEDE – Uniandes,
http://economia.uniandes.edu.co/documentocede2006-40.htm,
p. 22. 2006
13
Escovar Wilson-White Alberto, « Recuperacion del Patrimonio Cultural Construido (1980-2006) » in Bogota: El Renacer de una
Ciudad, Editorial Planeta Colombiana et Instituto Distrital de Patrimonio Cultural, 2007, p.67
10
Charlie WEIBEL
1/ Du déclin de la Candelaria
Comme l'a montré Eduardo Rojas, on peut établir un modèle type en ce qui concerne
14
le déclin des centres historiques des villes latinoaméricaines.
Celui-ci trouve son
origine dans la perception d'une perte d'attractivité pour les activités les plus nobles
qu'il s'agisse des activités résidentielles ou commerciales par exemple. Ces activités
tertiaires supérieures patissent d'erreur de planification ou d'une omission de l'État qui se
caractérise par une insécurité croissante et une congestion des voies de communication.
Les résidences des groupes à hauts ou moyens revenus accompagnent ce mouvement.
Le déclin se caractérise alors par plusieurs éléments objectifs: les cours de l'immobilier
chutent, les investissements diminuent et on ne rénove plus les édifices. L'espace public
est alors investi par une population flottante comme des vendeurs ambulants qui aggravent
l'insécurité et la congestion et alimentent un cercle vicieux.
Cependant, dans le cas de la Candelaria, le mouvement s'est scindé en deux. Samuel
Jaramillo souligne qu'il faut distinguer l'émigration des populations aisées du déplacement
15
des activités tertiaires supérieures . Si la première phase de déclin débute dès les années
1950, les activités tertiaires supérieures, elles, restent sur place. On profite d'ailleurs de la
révolte populaire du Bogotazo et des destructions qu'elle a entraînées pour moderniser le
centre ville en élargissant par exemple la Avenida Décima pour l'adapter au trafic routier. La
construction d'immeubles reste importante dans le centre et connaît son apogée dans la fin
des années 1960. Ce n'est qu'à partir du milieu des années 1970 que les activités tertiaires
supérieures quittent elles aussi le centre.
Ce décallage entre les deux mouvements explique sans doute qu'une partie des
activités tertiaires supérieures se soit malgré tout maintenue dans le centre. En effet,
16
la Candelaria n'a jamais cessé d'être le centre culturel de la ville.
Elle compte en
son sein des institutions des plus prestigieuses comme le Théâtre Colon, le Musée de
l'or ou la Bibliothèque Luis Angel Arango. Mais c'est surtout grâce à la concentration
exceptionnellement élevée d'universités que le centre a pu conserver un certain dynamisme,
ne serait-ce que par l'afflux quotidien de milliers d'étudiants. On peut citer pour les plus
connues l'Université de los Andes, l'Université del Rosario ou encore l'Université Externado.
Ces établissements privés accueillent les enfants des classes les plus aisées en Colombie
et ce mouvement pendulaire garantit au centre une vitalité importante pendant la journée.
Enfin, il faut souligner que la Candelaria est restée le siège du pouvoir étatique. La
Place Bolivar est bordée par la Casa de Narino, siège de la présidence, le Parlement, et
le Palais de Justice. Si l'on ajoute à cela que la Place est dominée sur son flan Est par la
cathédrale de Bogota, on comprend l'importance de cette place et l'impact symbolique de
la concentration des pouvoirs sur un si petit territoire.
On constate donc, tant à l'échelle latinoaméricaine qu'à celle de la ville, que le déclin
de la Candelaria est à relativiser. Il s'agit maintenant de se pencher sur les critères
habituellement employés pour soutenir la thèse du délin afin d'en questionner la pertinence.
1.1.2 Un déclin naturel
14
15
16
Rojas Eduardo, Volver al Centro. Recuperacion de areas urbanas centrales, Banco Interamericano de Desarrollo, 2004
Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.7
Müller Jan Marco, « Centro historico versus periferia urbana » in Ambiente N°94, Buenos Aires, 2004, p.12
Charlie WEIBEL
11
A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une
politique du symbole
A la base des politiques de récupération du centre, on a très souvent une dénonciation
de la gestion publique avant les années 1990. Les autorités n'ont pas sur faire face à
l'explosion démographique qu'a connue Bogota à partir de la première moitié du XXème
17
siècle.
On peut trouver une explication à cela dans la spécificité du processus
de croissance urbaine qu'a connu la capitale colombienne. En effet, contrairement aux
autres villes latinoaméricaines ou européennes, il n'y a pas eu de véritable industrialisation
qui permettrait d'expliquer un exode rural massif. Le développement de Bogota relève
donc davantage de son rôle politique et de la concentration d'activités bureaucratiques.
18
L'industrialiation en Colombie s'est plutôt concentrée sur la ville de Medellin dans les
plaines tandis que Carthagène, sur la côte Caraïbe, était le coeur de l'activité commerciale.
Cette spécificité a mécaniquement retardé le développement de la ville. Son aura sur le
reste du pays reposait sur sa centralité dans le territoire bien plus que sursa domination
économique. Le phénomène d'explosion urbaine qui touche Bogota est donc tardif. Il est
le fruit de la croissance économique que connaît la Colombie grâce aux exportations de
19
café et la stabilité politique qu'elle entraîne.
Bogota apparaît comme un nouveau foyer
d'emplois. La ville voit donc affluer des populations de tout le pays. La pauvreté et le conflit
contribueront à renforcer la migration vers la capitale au fil du siècle. En 2005, Bogota était
quatre fois plus peuplée qu'en 1965, onze fois plus qu'en 1950 et vingt-huit fois plus qu'en
1930.
20
Cette croissance effrenée a eu des effets désastreux sur la ville:
« Le problème de Bogota – et de la Colombie en général –, c'est que son
évolution dans les années 1970 et 1980 n'a pas été accompagnée d'une nouvelle
phase d'institutionnalisation du social. Ce retard pour entrer dans une nouvelle phase
de construcion d'institutions publiques efficaces a donné lieu à une paralysie dans la
construction d'une société moderne. L'administration (nationale, intermédiaire, municipale)
n'a pas été capable de générer une couverture de qualité pour les services publics basiques
et beaucoup d'habitants furent abandonnés à leur sort. »
21
Là encore, les conséquences pour la Candelaria pourraient confirmer la thèse du déclin.
En effet, avant l'explosion urbaine, la Candelaria n'était pas seulement le centre de Bogota.
De fait, elle était Bogota. Le développement de la ville était resté très limité et la ville s'était
étendue autour sans que cela ne remette en cause la prépondérance du centre et la gestion
relativement aisée de l'aire urbaine. Pourtant, en 1993, la Candelaria ne représentait plus
que que 0,5% de la population de Bogota. Sur les deux périodes 1973-1985 et 1985-1993,
22
elle a perdu respectivement 1,03 et 1,49% de sa population .
La perte d'importance
relative est un phénomène qui suit mécaniquement la croissance de la ville. Par exemple,
lorsque la ville est de taille réduite, le centre réunit des activités qui concernent toute l'aire
urbaine et d'autres d'ordre bien plus local. Avec l'expansion, il est naturel que ces dernières
17
18
Martin Gerard, « La reinvencion de lo publico en Bogota » in Bogota: El Renacer de una Ciudad, Op. Cit., p.93
Suarez Mayorga Adriana, La ciudad de los elegidos: crecimiento urbano, jerarquizacion social y poder politico, Bogota, 1910-1950,
p.37-85
19
20
Bergquist Charles W., Cafe y conflicto en Colombia, 1886-1910, Fondo Rotario de Publicaciones FAES, Medellin, 1981, p.290
Jaramillo, Samuel, 2006, Loc. Cit., p.14
21
22
Martin Gerard, 2007, Loc. Cit., p.93 (traduit de l'espagnol par nos soins)
Chiffres du Departamento Administrativo de Planeacion Distrital cités par Red Bogota.
secciones/localidades/candelaria/demografia.htm (page consultée le 3 août)
12
Charlie WEIBEL
http://redbogota.com/lopublico/
1/ Du déclin de la Candelaria
aient tendance à accompagner la migration des populations et créer de nouveaux souscentresubordonnés au centre traditionnel. Le déclin relatif n'a donc rien d'un phénomène
négatif et est au contraire un signe de la vitalité de la ville.
23
De plus, il apparaît important de souligner l'importante production de normes en faveur
de la conservation du patrimoine, et ce avant même qu'on parle de politique de récupération
du centre. La loi 163 de 1959 pour la défense et conservation du patrimoine historique,
artistique et des monuments publics de la nation est devenue une référence. C'est dans cet
esprit que le Bureau de Planification de Bogota organise la zonification de la ville la même
année. Il isole une « zone historique » et met en place une clasification des édifices selon
leur valeur pour le patrimoine: D'abord les édifices dont la conservation est impérative. Puis
les édifices de première et de seconde importance. En 1963, l'article 4 du décret 264 donne
à toute la partie ancienne de Bogota le titre de monument historique ce qui confère à toute
la Candelaria la protection légale maximum pour l'époque. Le décret 119 de 1968 modifie
la zonification de la ville et divise le centre en petits quartiers dont certains sont identifiés
comme « zones résidentielles dégradées », par exemple Las Aguas, Santa Barbara, Las
Cruces ou Egipto. D'autres sont classées « zones de caractère mixte détériorées et mal
utilisées » comme San Façon ou Estacion de La Sabana. L'accord 7 de 1979 qui traite de
la conservation environnementale, architecturale et urbaine souligne la spécificité du centre
historique dans les politiques de conservation. Cet accord donne naissance à la Junte de
Protection du Patrimoine Urbain qui reçoit autorité pour déterminer les aires et immeubles de
conservation. Grâce à cette norme, toustravaux destinés à la restauration ou la conservation
24
d'édifices classés étaient exonérés d'impôts.
Le déclin de la Candelaria était donc déjà
pris en compte par les autorités avant qu'on ne lance les politiques de récupération.
Finalement, on peut même s'interroger sur l'opportunité de ces règlementations. En
effet, la profusion de normes adoptées à partir des années 1960 n'a pas été tout le temps
suivie d'actions concrètes pour restaurer le patrimoine. Mais le plus grave fut que ces
normes, bien qu'efficaces dans les textes, devinrent peu à peu inapplicables en raison
25
de leur enchevêtrement et de l'insécurité juridique qu'elles généraient.
Les différents
entre entités en charge du dossier, que ce soit au niveau national, districtal ou local,
mais également la concurrence entre les entrepreneurs étrangers et les professionnels
26
nationaux ont empeché la mise en oeuvre d'un programme commun d'action.
Face à
cela, les initiatives citoyennes pour protéger le centre semblaient donc vouées à l'échec.
Les habitants de la Candelaria ont en effet organisé des actions très tôt pour promouvoir
la défense du patrimoine. Ils se sont par exemple mobilisés contre la construction de la
Bibliothèque Luis Angel Arango en 1955 et son extension dix ans plus tard qui supposaient
à chaque fois des destructions d'édifices protégés. Ni l'État, ni le district, ni la localité ne
27
sont intervenus pour protéger ces bâtiments et ont au contraire favorisé le projet.
Le
déclin qu'on présente donc comme un fait isolé et autonome a en fait été favorisé par les
blocages de la bureaucratie.
23
24
Jaramillo Samuel, Ibid., p.16
Escovar Wilson-White Alberto, « Recuperacion del Patrimonio Cultural Construido (1980-2006) » in Bogota: El Renacer de
una Ciudad, Op . Cit., p.60-61
25
26
27
Centro Habitat Urbano, Promocion de la Candelaria como Distrto Turistico, Camara de Comercio de Bogota, 2007, p.19
Suarez Mayorga Adriana, Loc. Cit., p.72
Müller Jan Marco, Loc. Cit., p.11
Charlie WEIBEL
13
A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une
politique du symbole
Le déclin a donc été exagéré pour justifier une politique de récupération. Cet aspect
nous amène donc à penser que cet effort étatique relève d'une volonté consciente et donc
subjective.
1.2 La subjectivité du déclin
Le déclin est-il perçu comme tel par tous? Comment se présente un affrontement de
subjectivité lorsqu'il a pour enjeu le devenir d'un territoire habité? Quels sont les moyens
utilisés par ceux qui réussissent à imposer leur vision pour légitimer leur action?
1.2.1 L'élite comme référence du bien être.
Le visage de Bogota a été profondément marqué par la subjectivité des élites locales. Ce
sont elles qui ont modelé la ville en fonction de leur système de valeur et goût. Auparavant,
vivre près de la Place Bolivar était un luxe. Les élites étaient même communément appelées
« Ceux de la Place ». Mais le début du XXème siècle est synonyme de course effrenée
vers le progrès. Il s'agit pour la bourgeoisie colombienne d'être pleinement insérée dans
28
la dynamique du capitalisme international.
Pour cela, la ville devient un indicateur du
développement. On passe par exemple d'une norme horizontale pour les édifices à la norme
verticale pour accueillir les activités financières, éducatives et gouvernementales. « Pour la
majorité des Bogotanais éclairés du début du XXème siècle, remplir ces dispositions était
29
la condition sine qua non du progrès »
. En 1917, on crée la Société d'Embellissement
puis, en 1919, la Société des Améliorations Publiques dont le but avoué est de montrer une
image moderne et civilisée de la capitale colombienne aux investisseurs.
30
Dans cette perspective, le modèle de la ville coloniale apparaît dépassé. Les bâtiments
limités à trois étages ne sont pas compatibles avec le développement d'une économie
moderne qui demande de grands édifices pour les activités bancaires et les sièges sociaux
des entreprises. Quant aux rues étroites de la Candelaria, elles ne sont pas adaptées au
développement du trafic routier. Pourtant, ce n'est pas exclusivement pour des questions
techniques que la Candelaria perd de son attrait aux yeux des élites. Leur départ est un
effet de mode. En effet, le style architectural colonial n'est plus d'actualité. Les canons
esthétiques de l'époque vont davantage vers des maisons individuelles disposant d'un
jardin, avec de plus grandes pièces. Le désir de renouveau va se traduire par une émigration
des élites vers le nord de la ville. Elles créent de fait de nouveaux quartiers à leur goût et
progressent toujours plus vers la périphérie à mesure que la ville croît. Pour ces nouveaux
quartiers, elles se mettent à copier les styles européens ou étasunien. Le quartier de
Teusaquillo par exemple, situé un peu au nord de la Candelaria, peut surprendre un visiteur
européen qui aura l'impression de se retrouver en Angleterre, avec les façades ornées de
bow windows. Ces imitations montrent le fantasme du progrès des élites, qu'elles associent
aux pays industrialisés. Notons pourtant que, si en Angleterre les conditions climatiques
28
29
30
14
Bergquist Charles W., Loc. Cit., p.274
Suarez Mayorga Adriana, Loc. Cit., p.60 (traduit de l'espagnol par nos soins)
Ibid., p.60
Charlie WEIBEL
1/ Du déclin de la Candelaria
ont dicté les normes de construction, en particulier les toits très pentus pour éviter que la
neige ne s'amasse, en Colombie, il s'agit bien d'un effet de mode. Pour preuve, il ne neige
jamais à Bogota.
Ce sont donc les élites qui forgent l'idée de déclin de la Candelaria. Le centre devient à
leurs yeux un quartier, signe d'un passé à dépasser. De plus, le centre se peuple de classe
moyennes voire basses et attire des activités de type populaire comme la vente ambulante.
« Les membres de cette classe, qui sont ceux qui disposent de la plus grande capacité
à diffuser et imposer leurs perceptions, considèrent que ce lieu dans lequel ils ne vivent plus
et qu'il ne fréquentent quasiment plus, dans lequel s'impose des formes de comportement
spatial qui leur sont étrangères et qui sont, dans une certaine mesure, stigmatisées, est en
déclin et est abandonné. »
31
Il existe donc une conscience de classe qui s'exprime dans ce conflit des subjectivités
sur le devenir du centre. Il faut prendre garde pourtant à ne pas réduire cet affrontement à
une traditionnelle lutte des classes au sens classique. En effet, et paradoxalement, le débat
sur la Candelaria n'est pas l'expression d'une lutte à l'intérieur d'un pays mais bien une
question par essence internationale. En effet, la construction de cette subjectivité dépasse
le cadre colombien et prend racine dans la configuration du système international. La
bourgeoisie colombienne, on l'a vu, se fait l'apôtre de l'idée de progrès et fait donc sienne
une certaine philosophie de l'histoire qui veut que le temps soit linéaire. Dès lors, la Colombie
est présentée comme en retard. On voit ici le pouvoir de représentation des puissances
occidentales, européennes et américaine, qui gouvernent grâce à l'hégémonie que Robert
W. Cox définit ainsi:
« fondée sur une collaboration cohérente ou une adéquation entre la configuration
matérielle de pouvoir, l'image collective répandue de l'ordre mondial (y compris certaines
normes) et un ensemble d'institutions qui gèrent l'ordre avec un certain semblant de
l'universalité »
32
L'hégémonie pour Cox est donc plus qu'une simple position dominante. Elle s'impose
comme un consensus où « la domination par un État puissant peut être une condition
33
nécessaire, mais pas suffisante de l'hégémonie »
. On voit donc que la volonté de
moderniser Bogota au mépris du centre historique n'est pas le fait de normes imposées par
les puissances occidentales mais une conséquence normale de la domination hégémonique
qu'elles exercent et qui présente le progrès comme valeur absolue au dépend de la
tradition. Cette dialectique a beau s'exprimer au niveau national dans des tensions entre
différents acteurs et au sein même de ces acteurs
hégémonique du progrès.
34
, elle est supplantée par le consensus
L'homogénéisation des normes urbanistiques, conséquence on l'a dit d'une vision
partagée que le progrès est l'avenir de l'homme, se traduit dans les faits par la politique
d'appel à des architectes et urbanistes européens par les autorités de Bogota. L'intervention
31
32
Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.14 (traduit de l'espagnol par nos soins)
Cox Robert W., « Social Forces, States and World Orders » in Millenium: Journal of International Studies, n°10.1981. p.134
(traduit de l'anglais par nos soins)
33
34
Ibid. p.139 (traduit de l'anglais par nos soins)
Suarez Mayorga, Adriana. Loc. Cit. p.61
Charlie WEIBEL
15
A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une
politique du symbole
35
la plus significative reste celle du célèbe urbaniste franco-suisse, Le Corbusier.
Il visite
Bogota en 1947 et propose deux ans plus tard un Plan Pilote, completé par le Plan
Régulateur des architectes Wierner et Sert. Il propose une transformation totale de la ville. Il
élimine le système colonial de calles et carreras perpendicualires et le principe des parcelles
construites systématiquement et imagine à la place un système intégral d'espaces publics
avec des parcs et des édifices isolés et en hauteur. Son Plan impose les artères comme de
grandes voies de communication parallèles qui traversent la ville du Nord au Sud et d'Est
en Ouest à intervalles réguliers afin de faciliter le transport.
36
En ce qui concerne la Candelaria, le Plan Pilote, malgré ses apports notables en terme
d'accessibilité et ses qualités fonctionnelles, suggère en fait la destruction pure et simple du
37
centre et de la mémoire dont il est tributaire. Il ne conserve en effet qu'un nombre limité
d'édifices comme le Capitole, la Cathédrale, le Collège de San Bartolomé, l'Eglise de San
Ignacio et le Palais San Carlos ainsi que quelques constructions compactes construites le
long de la carrera 7. Ce Plan, faute de moyen et de réelle volonté politique, ne fut jamais
mis en oeuvre.
38
Il est donc important de prendre en compte l'aspect subjectif dans le jugement sur le
déclin de la Candelaria. Mais celui-ci ne peut se résumer à un choix conscient des élites qui
auraient volontairement décréter une nouvelle mode et un nouveau modèle de ville plus en
accord avec leur dessein progressiste. Il faut aussi prendre en compte une subjectivité, non
plus volontaire, mais forgée par le déclin même de l'élite.
39
1.2.2 Mixité sociale et inégalités
Dans le jugement sur le déclin de la Candelaria de la part des élites, il faut se pencher
également sur les raisons qui les ont poussées à quitter le centre de façon involontaire.
Il s'agit tout d'abord d'une conséquence logique de la croissance de la ville. Dans une
communauté aussi réduite que celle de la Candelaria, il était aisée pour l'élite de s'assurer
le respect du reste de la population par les éléments classiques de la solidarité mécanique
que décrit Durkheim dans son ouvrage de référence De la Division du Travail social (1983)
40
. On est bien à l'époque dans une société dite traditionnelle qui se caractérise par la
proximité entre les membres. En effet, la Candelaria se caractérisait par une très grande
mixité sociale. Malgré l'évident prestige que conférait le fait de vivre près de la Place
Bolivar, le centre n'était pas exclusivement peuplé par des populations aisées. Au contraire
y habitait également une grande population à bas revenus, surtout des artisans et des
35
De façon plus marginale, mais toute aussi significative, on peut noter la frénesie des autorités de Bogota pour faire appel
à des compagnies privées pour moderniser le système d'égouts. Mais dès 1932, une étude souligne que ces études tendent à se
chevaucher et ne sont pas suivies d'actions de la part des pouvoirs publics, Cf. Ibid., p.73
36
Departamento Administrativo de Planeacion Distrital, Plan Maestro de Espacio Publico, Alcaldia Mayor de Bogota, 2004,
p.146
37
38
39
40
16
« Plan Zonal del Centro de Bogota » in Revista Preinversion, Bogota, Fonade, 1988, p.12
Escovar Wilson-White Alberto, 2007, Loc. Cit., p.60
Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.8
Durkheim Emile, De la Division du Travail social, PUF, Paris, 1983
Charlie WEIBEL
1/ Du déclin de la Candelaria
petits commerçants qui occupaient des ateliers et des petits magasins aux rez-de-chaussée
des grandes maisons. Les employés et les clients se cotoyaient donc naturellement au
sein de l'espace public du centre. L'exemple de la Candelaria tend donc à souligner
l'absence de déterminisme entre inégalité et ségrégation socio-sociale. On peut aismément
supposer qu'à cette époque, les inégalités sociales étaient plus prononcées qu'aujourd'hui.
Pourtant, la ségrégation socio-spatiale n'était pas celle que l'on connaît actuellement à
Bogota. On peut donc en conclure qu'en vue des caractéristiques des relations sociales et
l'hégémonie poussée qu'exercaient les élites, la ségragation socio-spatiale ne jouait pas un
rôle déterminant dans les processus de différenciation sociale.
« Dans une petite ville, avec le poids social des grandes familles dont une quantité
importante de la population dépendait, les membres de l'élite pouvaient partager l'espace
avec d'autres groupes avec l'assurance qu'ils seraient respectés et que leur préeminence
ne risquait pas d'être remise en question »
41
La croissance de Bogota a donc eu une incidence majeure sur les rapports entre l'élite
et le reste de la population. Rappelons qu'en 1950, la ville comptait 600 000 habitants et dix
ans plus tard, on approchait déjà les 1 300 000.
« Cela conduit à ce que, petit à petit, on assiste à l'érosion de ce qu'on pourrait appeler
« l'hégémonie spatiale » des élites: il est plus difficile d'obtenir le respect d'une masse de plus
en plus nombreuse et anonyme qui ne reconnaît pas automatiquement leurs privilièges. »
42
Pour garantir leur statut au sein de la société, les classes aisées sont contraintes de
quitter le centre dans un processus de différenciation, spatial en l'occurrence, sur lequel
se fonde une nouvelle cohésion sociale. Ce phénomène est caractéristique de la solidarité
organique telle que Durkheim la décrit pour définir le lien social dans les sociétés modernes.
43
Ce premier aspect nous éclaire donc déjà sur l'aspect involontaire du départ des élites et
sur leur réinterprétation a posteriori de ce mouvement qui débouche sur la théorie du déclin
du centre car privé de l'équilibre social qui prévalait auparavant.
La question du déclin est d'autant plus sujette à débat que le départ des élites répond
paradoxalement à la loi du marché qu'elles prônent. Pour les propriétaires de ces maisons,
il est devenu plus rentable de subdiviser la surface en petites chambres avec un loyer
modeste, en rognant sur les frais d'entretien de l'édifice. Cela a attiré une population aux
revenus faibles qui n'était pas aussi exigeante que l'élite. Celle-ci n'a pas pu faire face à la
nouvelle pression immobilière et a été contrainte de partir.
44
Pour mieux comprendre la politique future de récupération du centre, il faut prendre
en considération la capacité réactive de l'élite face aux phénomènes qui menacent son
autorité. A chaque fois la perception de cette classe est déterminante car c'est elle qui
contrôle l'appareil étatique et peut donc modeler les politiques publiques sur une échelle plus
importante que ne pourrait le faire une mobilisation sectorielle classique. On peut d'ailleurs
établir un parallèle intéressant avec les actions menées par l'État en matière d'hygiène.
41
42
43
44
Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.9 (traduit de l'espagnol par nos soins)
Ibid., p.9 (traduit de l'espagnol par nos soins)
Durkheim Emile, Loc. Cit.
Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.10
Charlie WEIBEL
17
A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une
politique du symbole
En 1918, une épidémie de grippe touche Bogota. 80% de la population est touchée et
2% en meurent. Cette catastrophe pousse les élites à s'interroger sur les possibles causes
et porte pour la première fois son attention sur les nouveaux quartiers défavorisés de la ville.
45
Outre la découverte de la précarité des conditions de vie dans ces parties de la ville , ce qui
frappe les élites est la proximité de ces foyers de misère d'avec le centre de la ville. En effet,
la zone la plus concernée s'étend sur les flancs de la montagne à quelques centaines de
mètres seulement à l'est de la Place Bolivar. L' hygiène et la question sociale commencent
alors à s'imbriquer étroitement. Malgré le développement d'une conscience sociale très
sincère de la part de certains intellectuels, on voit apparaître aussi un phénomène de peur:
« peur hygiénique, dans la mesure où c'étaient ces masses malades, déguenillées,
affaiblies physiologiquement, le terreau de la faune la plus variée de micro-organismes
pathogènes. Mais également peur sociale car cette masse indigente était perçue comme
une menace constante, prédisposée par ses lamentables conditions morales à la révolte et
à la révolution sociale. »
46
Les élites ont donc mené, sous l'impulsion des médecins, une véritable guerre contre
les quartiers insalubres qui menaçaient leur hégémonie. « Si l'appel hygiénique ne réussisait
pas à émouvoir les coeurs, appeler à la miséricorde et mener à la charité, il devait au
47
moins mobiliser pour la défense des intérêts particuliers »
. Pour éliminer les « foyers
d'infection », l'État s'emploie donc à détruire les quartiers incriminés et surtout à construire
à partir des années 1930 des habitations hygiéniques dans de grands quartiers ouvriers.
On note d'ailleurs que la loi 46 de 1918 « par laquelle est édictée une mesure de salubrité
publique et l'on fournit l'existence d'habitations hygiéniques pour la classe prolétaire » est
adoptée le lendemain de la fin officielle de la lutte contre l'épidémie de grippe. Pourtant,
l'action de l'État s'inscrit dans un cadre plus large que la simple « hygiénisation » des
habitations des ouvriers. Il s'agit d'une mission d'éducation populaire à travers la création
au sein des quartiers ouvriers d'institutions comme le cinéma éducatif.
« (...) pour la pensée de l'époque, urbaniser ne se résumait pas seulement au fait
de construire des bâtiments, élargir et améliorer l'infrastructure citadine. C'était aussi une
action par laquelle on prétendait contrôler une masse d'habitants déterminée en fonction
de l'acquisition de certaines habitudes et principes de vie en communauté, qu'on pourrait
appeler de façon générale l'urbanité. L'urbain est la qualité du sujet qui vit dans la ville, la
urbe. Urbaniser, dans ce sens, consistait donc à créer des habitudes d'urbanité. »
48
L'action éducative de l'élite ne s'est pas traduit seulement dans la sphère publique mais
a également pénétré la sphère privée. Il s'agissait par exemple de créer une famille faite à
l'image de la classe aisée.
45
Dans un discours devant les ouvriers de Bogota, le président de la Junte de Secours, institution à caractère social, reconnaît
que « La peste a levé devant nos yeux fascinés un écran magique où nous avons vu des scènes qui font frémir. Il y a la faim, il y a
le froid; il y a des maux horribles et des maladies mystérieuses qui dévorent des familles entières » Cf. Carvajal Eduardo, « Discurso
pronunciado el 18 de noviembre ante los obreros de Bogota » in Junta de Socorros de Bogota. Epidemia de Gripe: octubre y noviembre
de 1918, Ed. Arboleds y Valencia, Bogota, 1918, p.89-90 (traduit de l'espagnol par nos soins)
46
Noguera Carlos Ernesto, « La higiene como politica. Barrios obreros y dispositivo higienico: Bogota y Medellin a comienzos
del siglo XX » in Anuario de Historia Social y de la Cultura, Volumen 25, 1998, p.196 (traduit de l'espagnol par nos soins)
47
48
18
Ibid., p.197 (traduit de l'espagnol par nos soins)
Ibid., p.214 (traduit de l'espagnol par nos soins)
Charlie WEIBEL
1/ Du déclin de la Candelaria
« (...) on a cherché à imposer à d'amples secteurs de la population un style de vie, le
style moderne, bourgeois: intimité, propreté, habits modernes, diversité des espaces avec
des fonctions clairement différenciées (chambre des parents, des garçons et des filles,
séjour, cuisine, toilettes, patio, etc.). »
49
On voit donc à travers ce parallèle sur l'hygiène que l'élité dispose à Bogota d'une
capacité réactive très importante et que sa perception des phénomènes sociaux est
déterminante dans l'élaboration des politiques publiques.
Enfin, la subjectivité des élites se caractérise par leur interprétation des origines de
l'insécurité croissante dans la Candelaria. Personne ne conteste le constat de violence
croissante dans le centre que confirment d'ailleurs les statistiques. L'exemple de la Calle
Cartucho est aux yeux des Bogotanais des plus significatifs. Située à quelques 400 mètres
de la Place Bolivar, dans un quartier résidentiel assez côté auparavant, cette rue est
devenue un foyer de pauvreté et de délinquence organisée. La dégradation de ce quartier,
parfaitement objective, était telle que même la Police n'osait plus y pénétrer et El Cartucho
est donc devenu une zone de non droit en plein coeur de Bogota. Par antonomase, le centre
est devenu synonyme de délinquence.
Si la perception de la violence est justifiée, c'est dans son interprétation qu'on trouve la
trace de la subjectivité des élites. « (...) une composante très importante dans le discours
sur le « déclin du centre » est l'exagération du poids spécifique de ce phénomène, la
généralisation des manifestations les plus extrêmes à toutes les parties du centre et à
50
toutes les époques. »
Les élites ont cherché à présenter la Candelaria comme un
quartier dangereux en soi en associant pauvreté et délinquence: Le centre est violent
parce qu'il est occupé par des populations indigentes. Mais la théorie du déterminisme
spatial apparaît totalement éronée dans les faits. Comme le souligne Samuel Jaramillo,
le meilleur mécanisme de contrôle social reste une communauté structurée occupant un
espace déterminé. Les mécanismes coercitifs classiques sont inefficaces dans une ville qui
grandit aussi rapidement que Bogota. Or, dans la Candelaria, malgré un pic d'activité dans
la journée et l'afflux d'une importante population flottante, la rigidité des horaires fait qu'à
partir d'une certaine heure, le centre se vide. Quant à la population résidente, on l'a dit, elle
a diminué dans les dernières années. Cela permet qu'affluent dans cette zone, à la tombée
du jour, des pratiques pato-sociales comme le trafic de drogue et la délinquence. Ce n'est
donc pas le centre en soi qui génère ou attire l'insécurité. Celle-ci se développe simplement
dans les endroits où la coercition est la moins évidente. A Bogota, il s'agit de la Candelaria.
Les élites ont donc diffusé leur propre interprétation du déclin du centre, interprétation qui
a été reprise et assimilée par le reste de la population.
51
La perception d'un déclin du centre est donc subjective et relève en grande partie de
l'opinion sans que cela soit vraiment justifié par les faits. Cette représentation de l'histoire
tend donc à la réinterprétation des faits. Par conséquent, il est utile de considérer le contexte
général des idées afin de comprendre comment s'est construite cette notion même de déclin.
49
50
51
Ibid., p.215 (traduit de l'espagnol par nos soins)
Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.17 (traduit de l'espagnol par nos soins)
Ibid., p.17
Charlie WEIBEL
19
A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une
politique du symbole
1.3 L'historicité du déclin
La transformation de la Candelaria a-t-elle toujours été perçue comme négative? A quelles
nouvelles valeurs se réfere-t-on aujourd'hui pour parler de déclin? Quel est le but poursuivi
à travers ce discours?
1.3.1 L'idéologie modernisatrice
Il est important de contextualiser le jugement sur le déclin afin d'en souligner les biais. Il
s'agit d'abord de replacer les politiques publiques relatives à la Candelaria avant les années
1980 dans le contexte idéologique de l'époque. Nous avons déjà dit que le progrès est une
valeur cardinale pour l'élite colombienne du début du XXème siècle. C'est le cadre de toute
action publique. Déjà en 1935, on souligne le dilemme de Bogota:
« La Bogota cosmopolite, malgré les modes et tendances, malgré les inéluctables
mutations du temps, est restée la Santa Fe d'autrefois. Ville grave, ville triste, dans
une éternelle posture pensive, elle semble toujours, dans le brouillard tenace de ses
montagnes,en train de chercher une sortie vers le passé. Les jours nouveaux, les modes
actuelles, l'inquiétude sans fin qui agite la vie des contemporains, ont à peine marqué son
lourd chemin. D'hier plus que d'aujourd'hui, Bogota voudrait sortir d'elle même pour entrer
une fois pour toute dans le rythme acceleré de bruyants exploits. »
52
Ce dilemme se manifeste de façon décisive sur la question de l'adaptation du trafic
automobile aux rues étroites de la Candelaria qui accueillent alors l'essentiel des activités
de la ville. Il s'agit d'abord d'élargir certaines rues et de planifier la construction de nouvelles
voies de communication pour prévenir l'augmentation incessante des flux de voitures vers
le centre. Prenons par exemple le cas de l'élargissement de la carrera 7 qui traverse la ville
et relie le nord à la Place Bolivar. A l'approche du centre, aux environs de la calle 17, la
septima se fait plus étroite. Il est donc décidé de l'élargir. Mais à l'intersection avec la calle 12
on trouve l'antique cloître de Santo Domingo. Il est finalement démoli sans remords en 1939
pour laisser place au nouveau Palais des Communications. Voici comment le président de
la République de l'époque, Eduardo Santos, présente alors le problème du cloître:
« (...) quand le gouvernement a décidé la démolition de l'édifice Santo Domigo, il n'a
pas seulement cherché à faire appliquer la loi. Il a aussi répondu à l'impérieuse nécessité
d'accorder des locaux adéquats pour les administrations et résoudre le problème le plus
grave que doit affronter la capitale dans son développement (...). Il y a trente ans, c'était le
centre vital de Bogota, commercial et social; mais la ville a grandit, sa population a triplé, les
problèmes de transit sont chaque jour plus importants et les petites rues étroites de ce qui
était auparavant la meilleure partie de la ville rendent aujourd'hui tout progrès impossible
dans ce secteur. (...) aucun quartier de Bogota ne cause pire impression aux visiteurs que
celui-ci.
52
Ortiz Vargas Alfredo, « Santa Fe y Bogota » in Registro Municipal, Imprimerie municipale, Bogota, 1935, Tome V, p.434
(traduit de l'espagnol par nos soins). Santa Fe est le premier nom donné à Bogota durant la Colonie. Par la suite la ville s'est appelée
successivement Santa Fe de Bogota puis Bogota
20
Charlie WEIBEL
1/ Du déclin de la Candelaria
Il conclut ainsi: Le dilemme se pose en ces termes: la conservation, avec déclin et
appauvrissement, du centre de la capitale, ou sa démolition et la résurrection vigoureuse
de ses rues (...) »
53
Il existe pourtant de nombreux projets pour restaurer le cloître, le reconstruire et même
54
le modifier.
Mais le Président Santos coupe court au débat en affirmant que le débat ne
porte pas sur la conservation du cloître mais sur la meilleure manière de le remplacer. On
voit clairement dans ses lignes le désir de progrès:
« Bien que Bogotanais de naissance et lié à cette ville par tous mes souvenirs, je me
sens dans l'obligation, en ce qui concerne son développement essentiel, de me préoccuper
davantage de son présent et de son futur que de son passé. Quand j'ai vu agoniser le centre
de Bogota et assisté à sa lamentable décadence, je me suis convaincu du fait qu'il est
indispensable de sacrifier quelque chose du passé en aire d'avenir et ne pas abandonner le
futur de Bogota au nom de la conservation d'une petite partie de ce qu’ était Santa Fe. »
55
Le cloître est donc démoli mais le débat ressurgit, cette fois ci sur la question de
l'église qui avait été conservée. En effet, pendant la construction du nouveau Palais des
Communications, communément appelé Edifice Murillo Toro, entre 1939 et 1941, on note
des défauts dans la structure de l'Eglise qui menace de s'effondrer. On s'interroge donc
de nouveau sur la question de la conservation ou non de ce lieu. Le Conseil Municipal
56
interdit sa démolition par l'accord N° 354 du 29 juillet 1946.
Mais le 18 septembre,
la communauté des pères dominicains, propriétaire de l'église, annonce avoir vendu la
propriété à l'entreprise Urbanizaciones Centrales Ltda. Le 15 octobre, l'église est fermée
et on lui retire le statut de monument national. Salgar Martin, le maire de Bogota, révoque
le décret qui assurait sa conservation et condamne l'édifice par le décret n°422 du 19
décembre 1946. On voit donc que les pouvoirs publics n'ont opposé qu'une résistance
de principe et que la perspective de rachat de l'église par cette entreprise a terminé de
convaincre les autorités, toujours au nom du progrès.
57
Ainsi, malgré les quelques normes adoptées au nom de la protection du patrimoine et
que nous avons évoqué plus haut, les impératifs économiques prévalent toujours. La Junte
de Défense du Patrimoine créée en 1959 n'a dans les faits que peu de moyens d'action. Elle
ne s'intéresse qu'aux immeubles les plus importants, finance la restauration de quelques
bâtiments et interdit la démolition ou l'altération des bâtiments historiques mais elle ne
58
dispose ni d'un pouvoir coercitif, ni de moyens opérationnels.
Ainsi, l'élargissement de
la septima s'est fait au dépend du patrimoine construit dans le centre. Pourtant, quand le
Président Santos parle de « décadence » du centre, c'est pour promouvoir sa modernisation.
La transformation de la Candelaria n'est donc pas perçue de la même façon. De fait, selon
53
Niño Murcia Carlos, Arquitectura y Estado, Universidad Nacional de Colombia et Instituto Colombiano de Cultura, Bogota,
1991, p.126 (traduit de l'espagnol par nos soins)
54
55
56
57
Escovar Wilson-White Alberto, 2007, Loc. Cit., p.58
Niño Murcia Carlos, Ibid., p.127 (traduit de l'espagnol par nos soins)
Ariza Alberto, in El Catolicismo, Bogota, 2 août 1946, p.6
Cuéllar Marcela, Delgadillo Hugo, Escovar Alberto, Gaston Lelarge: itinerario de su obra en Colombia, Editorial Planeta et
Corporacion La Candelaria, Bogota, 2006, p.56-57
58
Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.18
Charlie WEIBEL
21
A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une
politique du symbole
les normes actuelles, on dirait même que l'action de l'État a contibué à la dégradation du
centre en cherchant à tout prix à l'adapter aux nécessités de la vie moderne. La ville de
Bogota a mis en place des campagnes connues sous le nom de « Plan Muelas ». Comme
on avait fait pour la septima, il s'agissait d'élargir les rues en démolissant les façades
des bâtiments adjacents, ce qui contribua rapidement à défigurer la Candelaria. Le « Plan
Muelas » prévoyait également la construction d'un parking sous-terrain sous la Plazoleta
del Rosario, ce qui encouragea le transport individuel vers le centre.
59
A la fin des années 1950 et au début des années 1960, malgré les discours sur le
déclin du centre, on assiste à un vaste processus d'investissements immobiliers de la part
du secteur privé. C'est à cette époque que sont construites les hautes tours du centre, sur
60
des édifices qui dataient du XIXème siècle et de la Colonie.
Cet afflux des investisseurs
dans le centre, bien qu'issus du privé, montre l'attractivité du quartier par rapport au reste
de la ville en terme de possibilité d'installation pour développer l'activité économique et le
rôle encore prépondérant de la Candelaria dans la gestion des affaires du pays. On peut
donc dire qu'à l'époque le discours sur la « décadence du centre » n'est pas encore lié à ses
caractéristiques socio-économiques mais plutôt à sa configuration spatiale et architecturale.
On ne parle pas de problèmes d'insécurité mais de largeur des voies. Le discours sur le
déclin de la Candelaria, est donc un instrument de promotion de la modernisation du centre.
La Candelaria est devenue synonyme d'un passé à dépasser.
On peut donc bien conclure à l'historicité de la notion de déclin. Le Président Santos
en 1939 parle de déclin comme on va parler du déclin à partir des années 1980 à
Bogota. Pourtant, on ne parle pas de la même chose. L'approche utilitariste et progressiste
des contemporains de Santos parle d'inadéquation du centre à la modernité, placée
comme norme de toute chose. Le centre est dynamique. Il n'y a donc pas de politiques
de récupération mais plutôt des actions ponctuelles afin de corriger les impasses et
contradictions imposées par le centre. On est dans un contexte de capitalisme sauvage où
l'efficacité économique prime et où l'État liberal joue moins son rôle de régulateur social.
« Il est probable que le manque d'institutionnalisation du social ait donné lieu à des
phénomènes de dépolitisation, d'apathie, d'égoïsme et de cynisme. (...). La majorité des
citoyens n'arrivaient pas à s'intégrer dans la chose publique d'une ville dont l'administration
ne semblait être guidée par aucun projet politique, économique ou social sur le long terme.
Bogota reflètait une situation inefficace où les individus répondaient de manière rationnelle
à un contexte institutionnel d'inefficacité qui réalimentait les pathologies sociales comme la
culture de l'illégalité, la méfiance et le désordre. »
61
En revanche, les promoteurs des politiques de récupération du centre à partir des
années 1980 et encore plus depuis les années 1990 parlent, eux, de protection d'un
patrimoine profondément dégradé et de reconstruction d'une mémoire collective.
1.3.2 Un jugement rétrospectif à portée hégémonique
La construction de la théorie du déclin de la Candelaria comme socle à la politique
de récupération est donc,on l'a vu, un phénomène récent. Ce déclin n'est ni absolu, ni
59
60
61
22
Escovar Wilson-White Alberto, 2007, Loc. Cit., p.61
Jaramillo Samuel, Ibid., p.18
Martin Gerard, 2007, Loc. Cit., p.94-95 (traduit de l'espagnol par nos soins)
Charlie WEIBEL
1/ Du déclin de la Candelaria
universellement reconnu et ne constitue même pas une idée récurrente chez les promoteurs
de cette thèse. Au contraire, on constate que les élites bogotanaises ont majoritairement
appuyé la destruction du centre historique au nom du progrès.
On assiste pourtant aujourd'hui à l'émergence d'une véritable volonté politique en
faveur de la Candelaria. Il s'agit donc d'abord de mettre en évidence une action concertée
et cohérente en faveur de ce quartier pour ensuite chercher à comprendre ce tournant dans
l'attitude des pouvoirs publics vis à vis du centre historique.
Un pas essentiel mais qui n'est apparu comme évident que très tard fut de reconnaître
à la Candelaria une spécificité telle qu'elle se devait d'être reconnue au niveau administatif.
Au milieu des années 1970, on met en place un processus de décentralisation dont profite le
62
centre historique. On crée en effet une mairie mineure pour les 90 hectares qui entourent
la Place Bolivar. Malgré sa taille réduite par rapport aux autres unités locales de la ville et une
délimitation qui ne correspond pas aux critères généraux applicables aux autres mairies, on
a considéré que le caractère historique de cette zone méritait un traitement spécial.
Sur la base de ce découpage administratif, on a créé une nouvelle institution chargée
de gérer la question spécifique du patrimoine. En effet, l'Accord 10 de 1980 émis par la
mairie de Bogota crée la Corporation la Candelaria. Son champ d'action est légèrement
inférieur à la mairie mineure mais peut intervenir à l'extérieur. Cette nouvelle entité doit
servir de support pour la revitalisation du quartier par des actions sur l'utilisation du sol, les
activités et la participation citoyenne afin de dépasser l'ère des interventions ponctuelles
et partielles. La Corporation s'intéresse en priorité à la récupération de l'espace public et
à la restauration d'immeubles dédiés à des activités culturelles ou au logement. Elle doit
assurer la promotion, la coordination et le contrôle urbanistique des investissements dans
ce domaine. Sa mission est aussi de favoriser l'utilisation du centre à des fins culturelles
notamment en facilitant l'adaptation de vieilles batisses pour en faire des musées, des salles
de musique ou des théâtres. La Corporation centralise donc les actions publiques en faveur
de la Candelaria avec, pour la première fois, une vision cohérente sur le devenir du centre.
Les actions ne sont plus ponctuelles mais insérées dans un ensemble pensé sur le long
terme. De plus, l'action de la Corporation intéresse une aire importante, qu'on délimite par
les anciens cours des rivières San Francisco (aujourd'hui Avenue Jimenez) au Nord et San
Augustin (Calle 6) au Sud ainsi que par l'Avenue Circunvalar à l'Est et la carrera 10 à l'Ouest.
Cette aire comprend 2360 propriétés dont 71 sont classés comme monuments historiques
et 1610 comme immeubles de conservation architecturale. Les actions ne sont donc plus
partielles mais pensées à l'échelle de toute la Candelaria.
63
L'originalité de la Corporation est qu'elle ne s'intéresse plus seulement à la conservation
ou la rénovation du patrimoine mais promeut désormais la participation de la population. Ses
projets en matière de logements ancrent l'institution dans la vie quotidienne des habitants.
La Corporation favorise par exemple la venue de nouveaux résidents de différents niveaux
socio-économiques. Ses mesures de réduction fiscale pour les habitants de monuments
historiques montrent elles aussi la préoccupation pour la population.
64
La Corporation commence par faire un inventaire exhasutif de tous les bâtiments
présents dans sa zone d'action. Ce système de fiches compile les informations cadastrales,
62
63
64
Les « Maries mineures » sont désormais appelées « mairies locales » et peuvent être comparées à nos arrondissements.
Escovar Wilson-White Alberto, 2007, Loc. Cit., p.61-62
Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.20
Charlie WEIBEL
23
A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une
politique du symbole
des données historiques, la charge fiscale, la description technique, la description physique,
l'état de conservation, le suivi des interventions éventuelles sur l'immeuble, la situation
légale, la localisation précise dans le secteur et dans le pâté de maison, la réglementation,
les caractéristiques architecturales, une photo et une classification typologique. Sur la base
de cet inventaire, le travail de la Corporation consiste à autoriser ou non les interventions
réalisées dans le secteur.
Son action est visible partout dans la Candelaria. Sur le plan de la culture, la Corporation
a, par exemple, permis de restaurer et adapter la Maison de l'Indépendance (1985), la
Maison de Poésie Silva (1986) ou encore le Camarin del Carmen (1988). Afin de favoriser
un usage résidentiel du centre, on a installé, pour la première fois à Bogota, des poteaux sur
les trottoirs afin d'empêcher les voitures de stationner. On a également embelli voire créé
de nouveaux espaces publics comme le Parc de la Concordia, la place du quartier Egipto
ou de petites places comme Nueva Granada ou La Pola (1999). On a également planté des
arbres le long du bord sud de la Candelaria, calle 7 aussi appelée Paseo San Agustin, et
même décidé de faire de la calle 10 une rue partiellement piétonne.
La cohérence de l'action de la Corporation apparaît dans la mise en place d'un premier
65
plan quinquennal en 1995. Le plan Reencuéntrate: un compromiso por la Candelaria
(1995-1999) est un projet d'intervention sur le court, le moyen et le long terme qui vise la
conservation mais aussi la réhabilitation et la dynamisation du secteur. Ce plan fait intervenir
pour la première fois tous les acteurs concernés par le centre historique de Bogota, qu'ils
soient investisseurs privés, acteurs de la coopération internationale, des entités publiques,
les résidents, etc.
« Reencuéntrate prétend donner à la Candelaria l'équilibre entre passé, présent et
futur, entre vision locale et mondiale, entre fonctionnalité et esthétique, dans le but de la
réhabiliter, la conserver et la dynamiser intégralement. On cherche à faire en sorte que le
centre historique de Santafé de Bogota reste un lieu plurifonctionnel dans la ville, où l'on
puisse trouver les mêmes opportunités pour les différents usages, sans que les plus forts
ne prolifèrent au dépend des plus faibles. »
66
Ce changement en faveur du centre n'est pourtant pas le seul fait de la mairie de
Bogota. Au niveau étatique aussi, on observe une préoccupation croissante pour le centre
historique. En 1986, l'État propose de réaliser une étude experimentale sur la revitalisation
du centre de la capitale dans le but d'élaborer des politiques nationales et développer
les instruments nécéssaires au développement de l'attractivité des aires centrales. Cela
traduit une véritable volonté politique en faveur de la Candelaria qui associe donc le niveau
municipal au Département National de Planification et au Fond National des Projets de
67
Développement. De cette coopération naît une stratégie intégrale pour la récupération du
centre appelée Plan Centre. On crée là encore une entité chargée de coordiner et d'exécuter
les actions.
Le grand apport de ce Plan est de considérer le centre comme partie intégrante de
la ville. Il résulte de cela que tout projet intégral en faveur de la Candelaria doit prendre
en compte l'entourage de ce quartier. Ainsi, quand la Corporation La Candelaria couvre
65
66
67
24
Retrouve toi: un engagement pour la Candelaria (traduit de l'espagnol par nos soins)
« Reencuéntrate: un compromiso por la Candelaria » in Revue Proa n°438, Bogota, janvier 1998, p.12
Escovar Wilson-White Alberto, 2007, Loc. Cit., p.63
Charlie WEIBEL
1/ Du déclin de la Candelaria
70 hectares et la mairie locale 90, le rayon d'action pour la nouvelle entité concerne 1708
hectares.
68
Mais les instruments et les ressources ne sont pas à la hauteur du défi. On se contente
le plus souvent de délivrer des autorisations et on réalise quelques actions sur l'espace
public dans l'espoir d'attirer les investisseurs privés et de favoriser le retour de population
résidente. Il existe également des incitatifs pour les habitants des bâtiments sujets à
conservation. Ils peuvent par exemple obtenir des déductions fiscales s'ils maintiennent leur
logement en bon état. De même, on a attribué à la Candelaria la strate la plus basse, ce qui
se traduit pour les habitants par des prix relativement bas pour les services publics.
69
La coexistence de divers plans et institutions répondant à différents niveaux de pouvoirs
limite pourtant l'efficacité de ces divers projets. Si l'on en juge par la rénovation effectivement
réalisée à Bogota, les résultats sont décevants. L'accord 6 de 1990 sur le règlement des
usages du sol de la ville délimitait 308 hectares qualifiés d'aire de rénovation urbaine. En
2005, seulement 30 hectares avaient été l'objet d'une action de rénovation. La population
résidente a diminué sans cesse dans le centre. En 2000, il comptait autour de 246000
habitants soit 31000 de moins que 15 ans auparavant et 70000 de moins si l'on remonte 30
ans plus tôt. Cependant, la Candelaria avec 25000 habitants semble avoir gagné quelques
habitants. Enfin, la construction dans le centre est restée très limitée et les prix du sol restent
bas.
70
A la fin des années 1990, devant ce constat en demi-teinte, les pouvoirs publics, tant au
niveau municipal qu'étatique, au lieu de se résigner, décident de relancer les politiques en
faveur du centre historique. Les objectifs restent les mêmes mais les moyens, eux, évoluent
significativement.
Le changement s'explique surtout par la profonde mutation du rôle de l'État en matière
d'urbanisme qui se traduit par les lois dites de réforme urbaine: d'abord la loi 9 de 1989
et sa révision la loi 3888 de 1997. Ces lois inscrivent dans la législation la nécessité d'une
vision stratégique sur le long terme. C'est dans cette optique qu'est adopté en 2000 le Plan
71
de Ordenamiento Territorial
(POT) qui réunit tous les plans jusque là adoptés pour
Bogota. Il inclut donc tous les projets relatifs au centre historique y compris les dernières
normes adoptées par le décret 619 de 2000 qui définit les usages du patrimoine de la
ville (articles 299 à 313). Le POT n'est plus quinquennal comme Reéncuentrate mais porte
désormais sur dix ans. C'est le Comité Districtal de Rénovation Urbaine qui prend la charge
d'appliquer les projets mis en place par le POT.
68
69
72
On crée également un Conseil Assesseur
Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.22
A Bogota, le prix des services publics dépend de la zone où l'on vit. Chaque quartier est ainsi classé selon le niveau de
revenu des habitants. On établit ensuite une classification par strate. Un quartier dont la strate est élevée paye plus qu'une zone
pauvre, dont la strate est plus basse.
70
71
72
Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.23
Plan de Mise en Ordre Territorial (traduit de l'espagnol par nos soins)
« Décret 619 de 2000, Article 299, Intervention de l'administration Publique, paragraphe 1. On créera le Comité Districtal de
Rénovation Urbaine, dans le but de coordiner les actions mises en place dans le cadre du Plan de Ordenamiento Territorial, les plans
de développement et l'Accord 33 de 1999, en tant qu'instance interinstitutionnelle où se canalisent toutes les actions de Rénovation
Urbaine d'iniciative publique ou privé. » (traduit de l'espagnol par nos soins)
Charlie WEIBEL
25
A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une
politique du symbole
73
du Patrimoine Districtal
comme organe consultatif chargé d'orienter le Département
Administatif de Planification Districtal pour tout ce qui concerne la gestion des biens et des
secteurs d'interêt culturel. Cette nouvelle structure remplace donc la Junte de Protection
du Patrimoine, crée en 1979. Enfin, dans le cadre du POT, on met en place un Plan de
74
Récupération du Centre Historique qui reprend les projets déjà établis par Reéncuentrate
et confère à la Corporation La Candelaria de nouveaux pouvoirs pour intervenir au delà des
limites du centre historique par exemple.
On a donc mis en évidence l'émergence d'un intérêt nouveau pour la Candelaria. Le
POT est à cet égard le point culminant de cette action concertée et cohérente. Il s'agit
désormais de comprendre ce tournant.
Cette nouvelle préoccupation pour le centre historique ne s'est pas traduite seulement
dans les faits, par la suite de mesures que nous venons de présenter. Il faut prendre en
compte tout le processus de construction de l'idée de déclin de la Candelaria que nous
avons expliqué plus haut. L'importance des moyens déployés demande une justification. Or,
on a démontré que le déclin n'était pas évident. C'est une perception propre à une classe
et à son système d'interprétation des faits sociaux. Mais son statut d'élite dans une société
profondément inégalitaire lui a permis de diffuser trois idées: d'abord que le centre est en
très grave déclin. Ensuite, que ce déclin doit être accepté par tous comme tel. Enfin, qu'il en
a toujours été ainsi. En résumé, on a modelé une certaine mémoire collective pour pouvoir
ensuite intervenir.
Ainsi, alors que dans la première moitié du XXème siècle, on parlait de déclin en tant
qu'inadéquation du centre au progrès, on parle désormais de déclin comme d'une situation
anormale par rapport à un certain âge d'or. De la sorte, on tend à essentialiser la culture.
Il ne faut plus niveler par le futur mais par le passé. La norme n'est plus le progrès mais
la protection du patrimoine.
Cette orientation nouvelle vers le passé et l'Histoire du pays n'est pas isolée et il paraît
intéressant d'établir un parallèle avec un autre débat historiographique: la commémoration
du bicentenaire de l'Indépendance de la Colombie dont les cérémonies sont prévues pour
2010. En 1910, le centenaire de cet événement fut marquée par la célébration du progrès:
« Ce fut surtout la grande exposition réalisée dans le Parc de l'Indépendance à Bogota
qui concentra l'attention et les efforts du secteur public et du privé. L'industrie, l'agriculture,
les arts et les techniques furent chosis pour signifier l'Indépendance. En résumé, si nous
avons pris notre indépendance, c'était pour nous améliorer en reprenant les triomphes de
la Révolution industrielle et, bien sûr, ceux de la Révolution de l'Union Américaine et de la
Révolution Française »
75
Le centenaire et la symbolique progressiste qui lui est associée sont liés pour les
Colombiens de l'époque à la Constitution de 1886. Celle ci met fin au fédéralisme et
conclue officiellement la guerre civile de 1885 entre Conservateurs centralistes et Libéraux
fédéralistes:
73
74
75
Décret 619 de 2000, Article 301
Ibid., Article 310, Plan Spécial pour la Récupération du Centre Historique
Bicentenario de las Independencias. Colombia. 2010-2019 Una Historia con Futuro. Reflexion del pais para celebrar la
democracia, Ministerio de Cultura, Bogota, 2008, p.3 (traduit de l'espagnol par nos soins)
26
Charlie WEIBEL
1/ Du déclin de la Candelaria
« L'historiographie a fait de ce phénomène le début de l'édification du passé que les
nouvelles générations devraient apprendre et donc se souvenir. Ainsi, tout ce qui s'est passé
avant 1886 est devenu une préparation: les personnages centraux de l'Indépendance sont
devenus des pères fondateurs, accompagnés désormais de nouveaux héros; ceux qui dans
les guerres civiles ont donné leur vie pour la construction du centralisme. Le jugement porté
sur les présidents qui ont précedé Nuñez s'est construit sur ce même principe de contribution
à la consolidation de l'État colombien de 1886 »
76
Avec l'avènement d'un État fort, condition du progrès, la célébration du centenaire put
propager une certaine interprétation de l'Indépendance. Mais ce qui était valable en 1910
perd peu à peu de sa pertinence:
« Le 20 juillet a acquis une signification qu'il a conservé jusque dans les dernières
décennies du XXème siècle: la fête du centralisme politique, de l'unanimité idéologique,
de l'homogénéité culturelle. Cependant, aujourd'hui, on peut constater que dans beaucoup
de communautés du pays, comme les jeunes, les chercheurs et les ethnies, la célébration
du 20 juillet n'a plus la force qui était incontestable pour nos pères. Le passé commun qui
résulte de cette construction du XIXème siècle est aujourd'hui remis en question, non pas
parce que le 20 juillet serait devenu une date sans sens mais plutôt parce que les racines
de sa signification ont changé: Aujourd'hui, on peut en trouver d'autres (...). »
77
Là encore, la Constitution de 1991 a marqué une nouvelle étape. De grands secteurs
de la société ne se comprenaient plus dans le cadre de la Constitution de 1886. Il fallait
donc construire un nouvel État qui, sans nier son héritage, puisse répondre aux nouvelles
demandes de la population. La décentralisation, la pluralité idéologique et l'héterogénéité
culturelle.
« (...) chaque célébration centenaire des evènements fondateurs de 1810 a comme
réferent immédiat une constitution et c'est elle qui dessine le contenu des festivités. La nôtre
est celle de 1991. C'est à partir de ce qu'elle signifie pour nous que nous devons remplir
de sens cette date. Voilà comment ont agit les responsables du premier centenaire et voilà
comment nous devons nous-même agir. Ainsi, notre tâche est de construire notre mémoire.
Aujourd'hui, cela signifie valoriser notre diversité, reconnaître ce qui nous réunit et célébrer
la démocratie (...). »
78
Ce document émane du Ministère de la Culture. On voit donc clairement une volonté de
« construire (la) mémoire » depuis l'État. Les actions réalisées dans la Candelaria peuvent
être associées à cette construction. Le discours sur le déclin devient alors un instrument pour
parvenir à cette fin. Il n'est pertinent que dans cette perspective. En cela on peut conclure
à l'historicité du déclin du centre historique.
Cette remise en cause de la théorie du déclin de la Candelaria constitue le fondement
de notre raisonnement. C'est sur ce constat de relativité, de subjectivité et d'historicité de
ce déclin que nous nous basons désormais pour étudier les politiques de récupération du
centre. S'il apparaît clairement que les élites ont cherché à diffuser l'idée de déclin du centre
historique, il s'agit maintenant d'analyser en détail les modalités de la récupération de ce
quartier c'est à dire les axes stratégiques de cette opération.
76
77
78
Ibid., p.3 (traduit de l'espagnol par nos soins)
Ibid., p.2-3
Bicentenario, 2008, p.5
Charlie WEIBEL
27
A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une
politique du symbole
2/ « Récupérer » la Candelaria
Dans le cas des politiques publiques à destination de la Candelaria, il est coutume de parler
de politique de « récupération ». Le plan directeur en la matière, adopté par le décret 619 de
2000 dans son article 310, se nomme d'ailleurs Plan de Récupération du Centre Historique.
Les chercheurs sur la Candelaria utilisent eux aussi ce terme à l'image de Samuel Jaramillo,
économiste à l'Université des Andes qui titre son excellent article « Reflexions sur les
79
politiques de récupération du centre (et du centre historique) de Bogota » . Ce terme
n'est pas anodin. L'État ne contrôle plus la Candelaria. Les élites ont abandonné ce quartier.
Elles ne sont plus le vecteur social de la volonté de l'État qui les représente. En effet, les
élites ont un pouvoir de cooptation important. Le pouvoir est concentré dans les mains de
quelques familles qui contrôlent l'appareil étatique. Celui-ci est un instrument aux mains des
élites pour donner à ses intérêts la prétention de l'universalité puisqu'ils deviennent ceux
de l'État qui doit oeuvrer pour le bien commun. Dans la Candelaria, l'intérêt de l'État était
donc repris par les élites qui assuraient un contrôle social sur ce territoire. Mais leur départ
a fait disparaître ce contrôle.
« Récupérer » la Candelaria consiste donc pour l'État à réaffirmer sa présence, après un
désistement des pouvoirs publics et des élites occupées par l'explosion urbaine à Bogota.
Cette nouvelle visibilité de l'État lui permet de justifier une intervention plus profonde pour
faire accepter sa domination. Cela passe selon Antonio Gramsci par la force mais aussi
par les valeurs.
2.1 Un État qui réaffirme sa présence
Avant même de chercher à s'assurer une domination pérenne, l'État doit s'affirmer comme
acteur légitime dans la compétition pour la domination de ce territoire. Comment peut-il
manifester sa présence? Celle-ci est-elle uniquement matérielle?
2.1.1 Un État bâtisseur
L'État dispose de moyens considérables, ce qui lui confère un avantage décisif dans sa
prétention à la domination de la Candelaria. En effet, dans un territoire aussi réduit, il est
facile de mener des projets de grande envergure qui influent sur toute la population. Dans
cette optique, les lois de réformes urbaines de 1989 et 1997 soulignent que l'État ne doit
plus se contenter de réglementer ou inciter par des discours. Il se doit d'être un acteur actif
et investir seul ou avec le concours du secteur privé des ressources fiscales importantes
79
80
28
Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit.
Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.24
Charlie WEIBEL
80
.
2/ « Récupérer » la Candelaria
La politique de grands travaux devient un axe essentiel dans la politique de récupération
du centre historique. Elle est à la charge d'une nouvelle agence créée par la maire de
Bogota : L'Entreprise de Rénovation Urbaine. Celle-ci doit élaborer les projets, acquérir les
terrains et immeubles nécessaires par les différents moyens offerts par la loi, exécuter les
travaux en s'associant avec les entreprises et autres entités publiques concernées par les
travaux.
On peut établir une typologie des actions menées dans le centre selon l'importance des
moyens mobilisés et des effets escomptés. Les plus visibles sont les Macroprojets. Il s'agit
d'opérations de grande envergure qui cherchent à transformer la dynamique d'importants
secteurs du centre ou de la ville dans leur ensemble. C'est ce type d'action qui a permis
la transformation des quartiers de Santa Inés et San Bernardo, mieux connus sous le nom
de El Cartucho. Situé à moins de dix pâtés de maison de la Place Bolivar, cette zone était
considérée comme un foyer d'insécurité où même la police n'entrait plus. Le pourcentage
d'habitations surpeuplées dans la zone de Santa Inés atteignait 39%, soit quatre fois plus
que la moyenne de la ville. 72% des foyers étaient constitués d'une seule pièce alors que
la moyenne pour toute la localité de Santa Fe était de seulement 9%
directrice du Bienestar Social
82
81
. Pour l'ancienne
:
« Dans El Cartucho, on trouvait les élèves et enseignants d'un collège officiel, les
commerçants des arts graphiques, les vendeurs d'une place de marché, des personnes
âgées abandonnées, des femmes seules avec leurs enfants et des familles de recycleurs
qui venaient vendre leurs déchets récupérés. Ils étaient payés avec de la drogue qu'ils
consommaient sur place. Il y'avait aussi les indigents et les malades qui erraient autour
des bâtiments de la Médecine Légale. Quelques entités publiques montèrent des services
sociaux ou des programmes, (une tentative) surement bien intentionnée, mais qui avait pour
grave conséquence d'envoyer un message de tolérance et de « compréhension » devant
la déshumanisation et l'impunité du crime »
83
On voit le désarroi des pouvoirs publics face à cette situation. La réponse proposée par
le maire de Bogota, Enrique Peñalosa, en 1999, a donc été à la hauteur de l'impuissance
générale ressentie par la population et les autorités locales. Il s'agissait de construire un parc
de 14 hectares en lieu et place de El Cartucho. Ce projet comportais trois types de dépenses.
D'abord l'achat des terres, construites ou non, au prix du marché, puis la construction du
parc, et enfin l'assistance sociale et les compensations pour les groupes affectés. Au total,
43 millions de dollars en sept ans.
84
La deuxième catégorie regroupe les projets de rénovation urbaine. Ce sont des
interventions d'ensemble sur une zone spécifique du centre qui articule plusieurs actions
pour sa récupération, selon la norme des Plans Partiels introduite par la loi 388 de 1997.
Différentes parties du centre ont été l'objet de ce type de projets, par exemple le quartier
Las Cruces ou la Estación de la Sabana.
81
Peñalosa Enrique, « Bogota viva: la Bogota del tercer milenio. Historia de una revolucion urbana », Alcaldia Mayor de
Bogota, Bogota, 1999
82
83
Institution comparable à la DASS en France
Mosquera Gilma, « El Fin de la Vergüenza » in Revista Semana, Bogota, 22 décembre 2003 (traduit de l'espagnol par
nos soins)
84
Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.26
Charlie WEIBEL
29
A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une
politique du symbole
Les projets d'espace public sont des actions de tailles moyennes qui prétendent
transformer l'espace public pour modifier la dynamique immobilière et urbaine de ses
alentours. Le projet Eje Ambiental s'inscrit dans cette troisième catégorie. L'Avenida
Jiménez est une avenue qui traverse le centre historique. Elle fut construite dans la première
moitié du XXème siècle sur le lit du fleuve San Francisco qui était la source d'eau la plus
importante de la ville jusqu'à la fin du XIXème siècle. Au début des années 1990, l'avenue
était en permanence sujette à des embouteillages. Les trottoirs étaient très étroits et les
arbres avaient disparus. Le projet Eje Ambiental, lancé en 1995 et inauguré en 2001,
consistait à « récupérer intégralement les espaces publics, la circulation des véhicules et
85
des piétons, les équipements urbains et le transport public » . On a donc rendu l'avenue
semi-piétonne, construit le long de son parcours une série de longs bassins qui rappellent
le fleuve San Francisco et planté des arbres.
Un autre projet de ce type, dans le prolongement de la récupération de l'Eje Ambiental
fut la restructuration de la Place de San Victorino. Dans les années 1960, cette place était
devenue un marché informel permanent qui comptait plus de 1500 vendeurs en 1998. Entre
2
1999 et 2000, les autorités ont récupéré cette place de 16000 m . Aujourd'hui, la place est
ornée d'une sculpture de l'artiste colombien Édgar Negret.
86
Le quatrième et dernier type d'action envisagé pour la récupération de la Candelaria
sont les projets spatiaux. Il s'agit d'actions ponctuelles de différentes natures, assez petites,
pour redynamiser le centre. Ce sont des interventions focalisées sur l'espace public, la
restauration de monuments et d'immeubles significatifs, la rénovation et l'amélioration de
la couverture des réseaux de service public, des actions sociales en faveur de groupes qui
influent sur la dynamique du centre.
87
Cette politique de grands travaux, dans toutes ses dimensions, n'est elle-même qu'un
instrument pour désenclaver le centre historique de Bogota. La Candelaria reste encore
à cette époque très difficile d'accès pour les automobiles alors même qu'elle est le siège
de nombreuses universités, ce qui provoque chaque jour l'afflux de milliers d'étudiants. Le
transport collectif est géré par des compagnies privées dont le parc est composé de busetas,
sorte de petits bus dont les horaires et les arrêts sont irréguliers et qui ne disposent pas
de voies reservées. Mais grâce au projet Eje Ambiental, le centre historique se retrouve
enfin connecter avec le réseau Transmilenio. Ce niveau système, créé entre 1998 et 2000,
a permis de désengorger les grandes avenues de la ville grâce à de grands bus avec voies
88
prioritaires et arrêts réservés.
L'extension de ce réseau à travers l'Avenida Jiménez a
donc permis de faciliter les déplacements entre la Candelaria et le reste de la ville.
L'ampleur des travaux contribue en elle-même à la récupération du centre, dans le sens
où le reste de la population bogotanaise constate que le centre n'est plus une zone délaissée
mais fait l'objet d'efforts de la part de l'administration. La présence de l'État, désormais
matérialisée, a un grand impact sur la conscience collective:
85
Pizano Olga, Ibel Pinzon Rosa, Salazar Camilo, « Recuperacion espacial de la avenida Jiménez y el parque Santander »,
Universidad de los Andes et Banco de la Républica, Bogota, 1998, p.89 (traduit de l'espagnol par nos soins)
86
« La Avenida Jiménez » in Catalogue de l'exposition « Bogota: El renacer de una ciudad », Ministerio de Relaciones
Exteriores, Bogota Sin Indiferencia, Corporacion La Candelaria, p.15
87
88
30
Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.25
Montezuma Ricardo, « Del 'problema del transporte a la movilidad » in Bogota: el Renacer de une Ciudad. Op . Cit., p.176
Charlie WEIBEL
2/ « Récupérer » la Candelaria
« Les travaux et intervention liées à ces dépenses fiscales ont eu une grande visibilité
dans la représentation générale des Bogotanais qui perçoivent un changement flagrant dans
la politique officielle sur le centre, qui apparaît désormais comme volontariste et de grande
ampleur. »
89
Grâce à cette politique, l'État bâtisseur apparaît désormais comme un acteur légitime
pour la domination du centre historique. Il peut même influer sur les autres acteurs.
Dans l'exemple de la construction du parc Tercer Milenio, sous couvert de compensations
financières et d'actions sociales, il a expulsé les habitants de El Cartucho. Par conséquent,
au delà de sa capacité à se présenter comme acteur légitime pour la domination d'un
espace, l'État doit s'imposer comme l'unique gestionnaire du lien entre le territoire et sa
population.
2.1.2 Un État médiateur
L'État, s'il veut vraiment récupérer la Candelaria, ne peut se contenter de programmes
de construction anonymes qui ne portent pas expressément sa marque. Il doit intervenir
directement sur les populations et modeler le lien entre celles-ci et l'espace qu'elles habitent
et que l'État convoite.
Pour cela, l'État dispose là encore d'atouts majeurs comme l'éducation. Comme le
90
souligne Gramsci, l'école est un « appareil d'hégémonie » . C'est donc à l'école que se
fait l'apprentissage de ce nouveau lien entre population et espace. La Marie de Bogota
a donc mis en place un programme intitulé Escuela-Ciudad-Escuela (École-Ville-École)
dont l'une des mesures phares est la mise en place d'« expéditions pédagogiques ». Cet
échange va dans deux sens. D'un côté, l'école va vers la ville: étudiants et professeurs
sortent à la rencontre de leur ville et visitent des théâtres, des musées, des parcs, des
bibliothèques mais aussi des entreprises. De l'autre, la ville va vers l'école: cette fois, ce sont
les entités publiques, les entreprises ou les associations qui interviennent dans les écoles
pour un échange. Par ce programme, « Les éducateurs et les élèves ont un plus grand sens
d'appartenance et d'identification à la ville. Ils l'apprécient, en jouissent et reconnaissent en
91
elle sa richesse historique, écologique, culturelle, sociale et économique. »
Grâce à
Escuela-Ciudad-Escuela, l'État génère donc un sentiment d'appartenance non seulement
envers le patrimoine mais aussi à l'égard de toutes les composantes d'une ville moderne
comme la nature ou l'entreprise. De plus, les élèves-citoyens sont appelés à reconnaître et
respecter ce que leur fournit l'État, les parcs ou les bâtiments restaurés par exemple.
Dans cette optique d'appropriation de l'espace, on peut également faire mention du
programme de récupération du Cimetière Central. Bien que celui-ci se situe légèrement en
dehors du centre historique, sa valeur pour le patrimoine culturel de Bogota et le fait que
sa restauration ait été l'oeuvre de la Corporation La Candelaria montre le lien étroit entre
ce cimetière et la vieille ville. Construit en 1932, ce cimetière est resté jusqu'au milieu du
XXème siècle un des principaux espaces rituels et cérémoniels de la ville. Cependant, avec
89
90
Jaramillo Samuel, Ibid., p.40 (traduit de l'espagnol par nos soins)
Gramsci Antonio, Textes (1917-1934), Traduction de Jean Bramon, Gilbert Moget, Armand Monjo, François Ricci et André
Tosel, Éditions sociales, Paris, 1983, p.194
91
« La escuela se aproprio de la ciudad » in Boletin mensual de la Secretaria de Educacion Distrital Via educativa, Alcaldia
Mayor de Bogota D.C., Novembre 2007
Charlie WEIBEL
31
A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une
politique du symbole
la construction des jardins-cimetières en périphérie de la ville et la disparition progressive du
thème funéraire de la vie quotidienne, le Cimetière Central a été peu à peu abandonné. En
1984, le Conseil des Monuments Nationaux le déclare patrimoine historique de la ville pour
assurer sa protection. Plusieurs études sont alors menées mais il apparaît évident aux yeux
des autorités qu'il est impossible de réaliser une intervention coûteuse dans un lieu que la
population ne considère pas comme important et qu'elle ne reconnaît plus comme sien. Les
pouvoirs publics ont donc mené une politique de sensibilisation auprès des Bogotanais. En
2002, on réalise l'inventaire des tombes et mausolées à perpétuité. Ce travail est ensuite
92
publié en 2003 et permet aux habitants qui le consultent de localiser un ancêtre. Grâce à
l'installation de panneaux de signalisation et à la mise en place de visites guidées, ce bien
d'intérêt culturel est devenu un véritable musée à l'air libre. Ce travail de réappropriation a
porté ses fruits et a permis la restauration du portique d'accès en 2002, le remodelage de
la petite place qui permet d'accéder au cimetière en 2003, la réhabilitation de la promenade
centrale en 2004 et la remise à neuf du mur extérieur qui donne sur la calle 26 en 2005
93
. Les Bogotanais retrouvent donc leur cimetière et, au delà, avec l'action de l'État. Pour
reprendre l'expression de l'historien Fustel de Coulanges, « On reconnaissait le citoyen à
94
ce qu'il avait part au culte de la cité » . Ainsi, le vrai changement ne se situe pas tant
dans la récupération du cimetière mais plutôt dans l'affirmation de l'État dans sa capacité à
médiatiser la relation entre l'espace et la population qui l'occupe afin de définir et de faire
accepter ses priorités.
Ce travail de diffusion d'une mémoire collective qui lie la population à l'espace en faisant
appel au passé commun se retrouve également dans un autre projet de la Corporation La
Candelaria. Il s'agit de la publication d'un Atlas historique de Bogota
95
.
« Cette publication se proposait de relater l'histoire de la ville d'une manière simple et
ludique pour lier de nouveau les citoyens à Bogota et à son patrimoine culturel. Le projet
éditorial était accompagné d'une série télévisée qui a profité d'une large diffusion et qui
a rendu aux Bogotanais une partie de la mémoire de la ville qui s'était perdue dans le
processus accéléré de modernisation engagé au XXème siècle. »
96
Cette politique s'avère très efficace. En effet, l'institut de sondage Bogotá como vamos
(Bogota comment allons nous ?) montrait qu'en 2007, seulement 57% de la population
était née à Bogota. Pourtant, à la même date, 78% des personnes sondées se sentaient
bogotanaises. De même, elles s'estimaient fières de leur ville à un indice de 4 sur une
97
échelle de 1 à 5. Ricardo Montezuma résume ces chiffres:
« Les importantes transformations ont permis aux Bogotanais de voir la ville avec
d'autres yeux. En dépit de la profonde crise économique et de l'insécurité que connaît le
92
93
94
95
96
97
32
Guia del Cementerio Central: elipse central, Corporacion La Candelaria, Bogota, 2003
Escovar Wilson-White Alberto, 2007, Loc. Cit., p.74-75
Fustel de Coulanges, Numa Denys, La cité antique, Paris, 1864, Chapitre 12
Atlas historico de Bogota: 1538-1910, Corporation La Candelaria, Bogota, 2004
Escovar Wilson-White Alberto, Ibid., p.76 (traduit de l'espagnol par nos soins)
Institut Bogotá como vamos, Informe, 2007,Ipsos, Bogota, p. 16
Charlie WEIBEL
2/ « Récupérer » la Candelaria
pays, Bogotá fait aujourd'hui l'objet d'un regard plus positif et optimiste : les gens sont
98
conscients que la capitale peut devenir une ville qui peut être aimée » .
Par conséquent, on peut dire que l'État colombien est parvenu à devenir un
intermédiaire incontournable par lequel passe la relation réciproque entre population et
territoire. D'un côté, les habitants s'approprient l'espace public au travers de la politique
éducative qui met en exergue les liens de chaque individu avec la collectivité. Cela permet
de créer un sentiment de respect vis-à-vis du patrimoine. De l'autre, l'État, grâce à ses
grands travaux, modèle le territoire pour faire des habitants de vrais citoyens. Ainsi le
Transmilenio enseigne-t-il aux habitants de la Candelaria et aux Bogotanais en général la
notion de ponctualité par exemple, grâce à la mise en place d'horaires fixes. Le parc Tercer
Milenio impose la nature dans le centre historique et des considérations jusque là ignorées
comme l'écologie. Il existe en effet très peu de parcs dans la Candelaria. Le responsable
du projet expliquait avant sa réalisation qu'il s'agissait:
« (...) à travers la création d'un espace vert qui remplisse les conditions de mobilité à
l'intérieur d'un circuit d'espaces publiques et de jardins qui garantissent une plus grande
perméabilité et permettent l'amélioration de la qualité de vie, de créer un instrument pour
la récupération du patrimoine culturel immeuble du centre historique et un générateur de
99
développement urbain dans son aire d'influence. »
La création de cet espace vert est donc bien conçu comme un instrument de
transformation du territoire à destination de la population. La notion de qualité de vie est ici
liée au déplacement et au contact avec la nature, deux thèmes jusque-là largement ignorés
dans la Candelaria. La municipalité a d'ailleurs mis en place des programmes comme
Adopte un Parque (Adoptez un parc) ou Déle un nombre a su Parque (Donnez un nom
à votre Parc) pour faire intervenir les riverains dans la propreté et la sécurité de l'espace
public. « Ces accords implicites entre voisins, en faveur d'un but commun, ont aidé à créer
100
une solidarité dans la communauté et à réduire les indices de délits mineurs »
Si l'État a réussi à s'imposer comme acteur majeur dans le centre historique, il doit
aujourd'hui pérenniser sa domination. Cela passe avant tout par le contrôle physique d'un
territoire encore marqué par l'exemple synecdochique de El Cartucho.
2.2 La sécurité par la culture citoyenne
La force peut-elle à elle-seule garantir la domination sur un territoire? L'État a-t-il les moyens
d'intervenir massivement dans cette zone dans le contexte actuel de guerre civile?
2.2.1 Le paradoxe du centre
98
99
Montezuma Ricardo, 2007, Loc. Cit., p. 180 (traduit de l'espagnol par nos soins)
Ulloa Rodolfo, President de la Société Colombienne des Architectes, Discours pour la présentation du concours d'architecture
convoqué par la maire de Bogota et la Société Colombienne des Architectes, « Concours d'architecture pour la présentation d'idées
en vue de l'élaboration du projet architectural et dessin paysagiste du parc Tercer Milenio à Santafé de Bogota » (traduit de l'espagnol
par nos soins)
100
« Adopte un Parque! » in Catalogue de l'exposition « Bogota: El renacer de una ciudad », Loc. Cit., p.17 (traduit de l'espagnol
par nos soins)
Charlie WEIBEL
33
A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une
politique du symbole
Que ce soit lors de la grande grippe de 1918 avec le quartier d'Egipto ou lors de la
construction du parc Tercer Milenio à partir de 1999 sur les ruines de El Cartucho, les
autorités ont toujours semblé découvrir avec retard l'ampleur de la misère qui régnait
dans des quartiers pourtant situés à quelques pâtés de maisons de la Place Bolivar. Les
interventions dans ces quartiers ne sont, à chaque fois, que des réponses a posteriori à un
état de crise devenu dangereux de par sa capacité à avoir des conséquences négatives en
dehors des frontières de l'ensemble concerné.
Paradoxalement, le centre se caractérise par la concentration sur un espace réduit
de l'essentiel des institutions étatiques. La Place Bolivar est un lieu d'exercice du pouvoir
au sens politique bien sûr mais aussi matériel, une fois par semaine, lorsque la garde
présidentielle, dont la caserne se situe derrière la Casa de Nariño, vient défiler. Un
déploiement militaire conséquent cadrille également la Candelaria. Il semble donc que l'État
ait les capacités de s'assurer une domination sur le centre historique.
Pourtant, la Candelaria apparaît encore pour beaucoup de Bogotanais comme un
quartier peu sûr et la majorité des étudiants qui viennent chaque jour dans le centre où
se trouvent leurs universités ne connaissent pas les lieux historiques qui les entourent.
Ils ne s'intègrent pas à la vie sociale du centre et n'éprouvent pas d'attachement pour ce
quartier. Cela s'explique surtout, on l'a dit, par le processus d'exagération du déclin et la
101
généralisation à tout le centre de phénomènes extrêmes mais très localisés.
On peut donc déduire que le déploiement militaire n'a pas prétention à la récupération
du centre puisqu'il est présent par essence depuis toujours et que son existence n'a pas
empêché le développement de foyers d'insécurité particulièrement aigus au sein même
du centre historique. C'est un dispositif statique sans prétention à imposer l'État comme
puissance dominante.
Cet état de fait s'explique sans doute par le départ des élites au milieu du XXème siècle.
Celles-ci, après avoir quitté le centre, n'ont plus perçu comme nécessaire d'assurer un
niveau élevé de sécurité dans une zone qui, pour eux, était amenée à disparaître. De plus,
les nouvelles communautés qui s'y installent, issues de couches sociales moins élevées,
répondent à des normes sociales différentes de celles des élites et ne considèrent pas la
sécurité comme un service public prioritaire. L'État se désengage donc du centre et laisse
à ces communautés le soin de gérer elles-mêmes leurs conflits tant que cela ne constitue
pas un obstacle aux desseins progressistes des élites de l'époque.
Ce faisant, l'État renonce pourtant à l'une de ses prérogatives constitutives, à savoir le
monopole de la violence physique légitime définit par Max Weber. Cette notion signifie qu’en
interdisant l’usage privé de la force, l’État se réserve l’exclusivité du recours à la violence,
ou à la contrainte justifiée, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de ses frontières:
« S’il n’existait que des structures sociales d’où toute violence serait absente, le concept
d’État aurait alors disparu et il ne subsisterait que ce qu’on appelle, au sens propre du terme,
l’ « anarchie ». La violence n’est évidemment pas l’unique moyen normal de l’État - cela
ne fait aucun doute -, mais elle est son moyen spécifique. De nos jours, la relation entre
État et violence est tout particulièrement intime. Depuis toujours, les groupements politiques
les plus divers - à commencer par la parentèle - ont tous tenu la violence physique pour
le moyen normal du pouvoir. Par contre, il faut concevoir l’État contemporain comme une
communauté humaine qui, dans les limites d’un territoire déterminé - la notion de territoire
101
34
Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.17
Charlie WEIBEL
2/ « Récupérer » la Candelaria
étant une de ses caractéristiques -, revendique avec succès pour son propre compte le
102
monopole de la violence physique légitime. »
Cependant, on observe aujourd'hui un changement d'approche de la part des autorités.
La maire de Bogota a créé des groupes de recherches pour chaque localité afin de
comprendre avec précision l'origine et les manifestations de la violence dans chaque partie
de la ville. Il en ressort que dans la Candelaria, on compte plusieurs secteurs considérés
comme sensibles, tels Santa Bárbara, Belén, Egipto, la Plaza de la Concordia et le Chorro
de Quevedo. Les activités les plus communément recensées sont la présence de bandes,
la consommation de drogue et d'alcool et la violence.
Ce rapport met en lumière les raisons pour lesquelles l'État a dû changer d'approche en
matière de sécurité à Bogota. Il distingue d'abord plusieurs types de violence : la violence
commune, la violence instrumentale, la violence liée au narcotrafic et la violence politique.
Il souligne également que si les contacts entre ces différentes manifestations de la violence
étaient sporadique jusqu'en 1985, on assiste de plus en plus aujourd'hui à une radicalisation
du processus. On peut citer l'exemple de l'unification progressive des violences liées au
narcotrafic avec la violence politique des Forces Armées Révolutionnaires de Colombie
(FARC) ou des paramilitares. Ce processus touche également les villes. Dans le cas de
Medellin, deuxième ville du pays, on a assisté à un phénomène d'alliance aléatoire des
quelques 400 groupes délinquants soit avec des groupes paramilitares, soit avec des
guerilleros. Au total, on estime que ces 10000 jeunes contrôlent aujourd'hui 70% des
quartiers dont 15 à 20% pour la guérilla.
Les grandes villes sont un objectif pour les FARC et Bogota est en première ligne. Mais
si, dans les années 1980, elles bénéficiaient d'un soutien important, elles ne peuvent plus
guère compter aujourd'hui sur leurs appuis dans les milieux ouvriers ou étudiants, ou bien
encore dans les secteurs populaires. Elles font donc appel aux bandes délinquantes grâce
à leurs importantes ressources financières issues du trafic de drogue.
Face à l'éventualité de l'union des violences, Bogota semble démunie. Malgré des
103
efforts notables, les investissements dans le domaine de la sécurité privée sont toujours
cinq fois plus élevés que dans le domaine de la sécurité publique. Mais les quelques 80000
gardes fragmentés dans la ville ne sont pas préparés pour faire face à la structure très
organisée de groupes comme les FARC.
Dans ce contexte, la Candelaria apparaît d'autant plus exposé. D'abord, sa population
reste en majorité issue des classes moyennes et basses et peut être attirée par l'appel des
groupes illégaux, pas tant par proximité idéologique, mais plutôt par attrait de l'emploi et pour
fuir la pauvreté. Néanmoins, on ne peut éluder la spécificité du centre historique en matière
de sociologie politique. Les murs du quartier sont devenus un lieu d'expression politique par
104
la pratique des tags qui s'en prennent le plus souvent au Traité de Libre Commerce (TLC)
ou directement au président Uribe. Manifestations anonymes, elles deviennent pourtant, de
par leur densité, la profession de foi de tout le quartier qui est désormais identifié comme
102
Weber Max, Le savant et le politique, Traduction J. Freund, E. Fleischmann et É. de Dampierre, 10/18, p.124
103
En Colombie, la seguridad privada est une entreprise qui assure des prestations de sécurité pour toutes les institutions
publiques, mais aussi à l'entrée des universités privées ou des immeubles de standing. Ses gardes sont identifiés par leur tenue
spécifique.
104
Tratado de Libre Comercio (Traité de Libre Commerce): projet d'accord de libre échange entre les États-Unis et la Colombie
auquel est favorable le président Uribe.
Charlie WEIBEL
35
A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une
politique du symbole
quartier « de gauche ». Ainsi, les autorités redoutent l'infiltration de groupes tels les FARC
dans un quartier qui entoure les instances du pouvoir.
Ces nouvelles préoccupations sécuritaires ont conduit l'État a renforcer sa présence
physique dans la ville. Des 5 millions de dollars investis entre 1992 et 1995, on est passé
à 32 millions entre 1995 et 1997 et 52 millions pour la période 1998-2000. Entre 2001
et 2003, on note une légère diminution à 48 millions de dollars mais l'on reste dans des
ordres de grandeur dix fois plus importants qu'il y a dix ans. L'augmentation du budget de
la Police a notamment permis l'acquisition de nouveaux moyens de transports mais aussi
le développement des moyens de communication et des techniques de renseignement. La
maire a aussi fait construire une nouvelle prison.
En matière de sécurité, Bogota fait néanmoins figure de référence grâce à sa stratégie
originale. Pour comprendre la particularité du système bogotanais il apparaît important de
souligner qu'en Colombie, la Police dépend du Ministère de la Défense. C'est donc l'État
qui a la charge de l'entretien mais aussi de la direction de la Police Nationale. La maire de
Bogota complète ses investissements mais les pouvoirs de police du maire restent limités.
C'est pourquoi, à Bogota, les autorités municipales ont parié sur un nouveau principe dit de
coresponsabilité qui prétend intégrer la population dans le système de sécurité de la ville.
2.2.2 Du service public au bien public: la sécurité citoyenne
Le nouveau modèle de sécurité de la capitale colombienne s'inscrit dans une révolution plus
large mise en oeuvre à partir de 1995 par le nouveau maire, Antanas Mockus. Pour lui, « Les
comportements violents et le laxisme ou l'indifférence face à des comportements illégaux
s'explique en partie par le divorce entre les trois systèmes régulateurs du comportement
105
humain : la loi, la morale et la culture (...) » . Son plan de développement pour Bogota
106
« Formar Ciudad » s'axe sur le concept de Culture Citoyenne:
« Par culture citoyenne, on entend l'ensemble des habitudes, des actions et des
règles fondamentales partagées par tous et qui génèrent un sentiment d'appartenance,
107
facilitent la convivencia urbaine et conduisent au respect du patrimoine commun et à la
reconnaissance des droits et devoirs des citoyens.
Pour appliquer ce nouveau concept, le plan propose une stratégie qui:
Consiste à provoquer et coordonner des actions publiques et privées qui incident
directement sur la manière qu'ont les citoyens de percevoir, de reconnaître et d'utiliser leur
environnement social et urbain, et sur leur manière de s'adapter à chaque environnement.
Faire partie d'une ville, c'est en reconnaître les différents contextes et, dans chacun d'eux,
105
Londoño Rocio, « De la cortesia a la cultura ciudadana » in Bogota: El renacer de una ciudad, Loc. Cit., 2007, p.134 (traduit
de l'espagnol par nos soins)
106
Archives du Secrétariat Districtal de Planification, URL:
http://www.sdp.gov.co/www/section-2094.jsp
,
(page consultée
le 5 août 2008)
107
Convivencia est un terme qui qualifie à l'origine la période qui va de 711 à 1492 en Espagne lorsque Musulmans, Juifs
et Chrétiens coexistaient en paix. Il est repris dans le cadre de la politique de Culture Citoyenne à Bogota et pourrait être traduit par
« bien vivre ensemble ». Nous avons fait le choix de garder le terme dans sa langue originelle pour en souligner l'originalité puisque
le français ne semble pas l'avoir conceptualisé.
36
Charlie WEIBEL
2/ « Récupérer » la Candelaria
respecter les règles correspondantes. S'approprier la ville, c'est apprendre à l'utiliser en la
108
valorisant et en respectant ses caractéristiques et son caractère de patrimoine commun. »
Cette nouvelle conception des rapports entre citoyens et entre les citoyens et l'État a
une grande incidence en termes de politique publique pour la sécurité. Elle prend appui
sur la Constitution de 1991, où l'on trouvait déjà des changements significatifs en la
matière. La notion d'ordre public qui servait à définir certaines situations qui attentaient à
la sécurité de l'État a été étendue à d'autres domaines comme la stabilité institutionnelle et
la « convivencia » citoyenne.
sur la réforme à effectuer.
109
L'État et la municipalité concordent donc une fois de plus
Dans le cas de Bogota, on l'a dit, la sécurité était du ressort exclusif des organismes
de sécurité de l'État et son traitement était presque exclusivement coercitif, fondé
sur l'usage des armes et de mécanismes de sécurité perçus comme seuls moyens
d'assurer la protection des citoyens. Cependant, cette stratégie police-justice-prison s'est
avérée incapable de répondre à l'explosion démographique et au déficit du sentiment
d'appartenance des habitants envers leur ville. Cela explique le virage donné à la politique
de sécurité en faveur d'une nouvelle approche qui intègre des actions préventives.
« Dans cette optique, l'administration districtale a créé un plan de sécurité qui,
sans oublier les action coercitives, se base sur l'application universelle des normes, le
renforcement des barrières sociales et culturelles face à la transgression des normes et
l'agression contre la vie et l'intégrité des personnes, l'appui de la « convivencia » pacifique
et le règlement concerté des conflits. »
110
Cette politique est perçue comme intégrale, c'est à dire qu'elle ne se limite plus à
combattre l'occurrence de faits délictueux. Au contraire, le problème de l'insécurité inclue
désormais d'autres aspects qui relèvent de la subjectivité des habitants mais qu'il faut
prendre en compte.
« L'insécurité, c'est aussi la peur latente du citoyen qui prend racine par exemple dans
la sensation que produisent chez lui, l'impunité face à un délit ou le manque de solidarité de
la population pour le combattre. Il s'agit également de la sensation d'absence de tranquillité
qu'entraînent des lieux où la saleté, le manque et la détérioration de l'espace public, le bruit,
l'indigence, l'agression verbale et le crime se conjuguent comme si rien ni personne ne
pouvait mettre fin à cet état de fait. »
111
La nouvelle stratégie de sécurité citoyenne consiste donc à substituer à la trilogie policejustice-prison un nouvel ensemble police-administration-communauté. La sécurité n'est plus
perçue comme un service public fourni par l'État mais comme un bien commun issu de
l'action conjointe de ces trois acteurs selon le principe de la culture citoyenne. On fait
appel aux sentiments de solidarité et de coopération comme rempart à la délinquance. Ce
changement se traduit par la mise en place d'un nouveau Code de Police de Bogota par
l'accord 79 de 2003 qui intègre la politique de culture citoyenne fondée sur les principes
d'autorégulation et de régulation mutuelle des citoyens.
108
109
110
Londoño Rocio, Ibid., p.134 (traduit de l'espagnol par nos soins)
Constitution politique de Colombie, Article 213
Secretaria de Gobierno del Distrito Capital, Monografia de seguridad y convivencia para la localidad 17: La Candelaria,
Alcaldia Mayor de Bogota et Universidad del Rosario, Bogota, 2003, p.22
111
Ibid., p.15
Charlie WEIBEL
37
A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une
politique du symbole
Dans la Candelaria, ce principe de coresponsabilité implique la mairie locale, le
commandement de la police et la communauté organisée en fronts de sécurité. Elle est
appelée à signaler les véhicules suspects ou le ramassage des ordures en dehors des
heures prévues. Il existe également des réunions régulières avec les propriétaires de
parking pour éviter les actes terroristes.
du conseil local de sécurité.
112
Ces actions sont répertoriées lors de réunions
Cette nouvelle politique de sécurité citoyenne pénètre aussi la sphère privée en partant
du constat que la plupart des agressions ou crimes ont lieu au sein de la cellule familiale
ou entre les proches suite à une altercation. Le nouveau système s'appuie donc sur des
instances qui existaient déjà mais qui étaient peu exploitées, comme les Commissariats
à la Famille créés par le décret 2737 de 1989 du Code des Mineurs. Ces structures
prennent en charge les conflits intra-familiaux et prennent des mesures d'urgence en cas de
113
maltraitance par exemple.
Les Unités de Médiation et Conciliation (UMC) jouent aussi
un rôle important dans la gestion alternative des différends entre autres lors de conflits de
voisinage.
114
Cette stratégie s'avère très efficace. A l'échelle de Bogota, les morts violentes, qui
incluent les homicides, les suicides, les accidents de la route et les morts accidentelles,
ont diminué de 51,4% entre 1997 et 2006, passant de 4392 à 2133 cas. En terme de taux
de morts violentes (nombre de morts pour 100 000 habitants dans un territoire donnée,
convention internationales à titre comparatif), la tendance à la baisse se confirme puisqu'on
passe de 73 morts violentes pour 100 000 habitants à 29. Il est à noter que cette tendance
à la baisse initiée par la politique de culture citoyenne entre 1995 et 1997 se consolide avec
les administrations suivantes de Enrique Peñalosa (1998-2000), Antanas Mockus, qui est
réelu pour un deuxième mandat (2001-2003), et Luis Eduardo Garzon (2004-2007). Ainsi,
entre l'administration Peñalosa et la deuxième administration Mockus, on note une réduction
de 23% des morts violentes. La tendance se confirme entre Garzon et Mockus avec une
réduction de 15,6%.
La tendance est encore plus prononcée dans La Candelaria où la réduction des morts
violentes atteint 61%, passant de 49 à 19 cas entre 1997 et 2006. Quant au taux de morts
violentes, on est passé de 207 à 66 morts violentes pour 100 000 habitants, soit une
réduction de l'ordre des deux tiers.
115
Si l'on se concentre sur la réduction du nombre d'homicides, plus significative de
l'efficacité du succès de la politique initiée par Mockus sous le nom de « Vida Sagrada » (Vie
Sacrée), la baisse est là encore importante. Bien qu'ils représentent toujours la plus grande
cause de morts violentes (63% en 1997 ; 64,7 en 2006), on observe une baisse de 50%
à Bogota, de 2765 à 1380 cas, qui est même encore plus prononcée dans La Candelaria
où le taux de diminution atteint 76,7% entre 1995 et 2006. En termes de taux d'homicides,
à Bogota, on passe de 45,9 à 18,8 pour 100 000 habitants entre ces deux dates. Pour La
112
113
114
115
Hernandez Hernandez Clara Maria, maire Locale de La Candelaria in Monografia de seguridad y convivencia, Loc. Cit., p.27
Arenas Maria Consuelo, Comisaria de Familia, Localidad de La Candelaria in Ibid., p.27
Sanchez Carmen Adela, Unidad de Mediacion y Conciliacion, Localidad de La Candelaria in Ibid., p.31
Informe para la Localidad 17 La Candelaria, Centro de Estudios y Analisis en Convivencia y Seguridad Ciudadana, 2007,
URL: http://www.ceacsc.gov.co/index.php?option=com_content&task=view&id=151&Itemid=195
38
Charlie WEIBEL
(page consultée le 1 août 2008)
2/ « Récupérer » la Candelaria
Candelaria, la baisse est encore plus importante puisqu'on passe de 161 à 34,8 pour 100
000 habitants.
116
Plusieurs actions importantes méritent d'être évoquées même si elles ne concernent
pas exclusivement le centre historique, car elles soulignent bien l'approche originale des
117
pouvoirs publics en matière de sécurité. Citons d'abord la « Ley Zanahoria » (Loi carotte) .
Cette loi, adoptée en 1995, consiste à limiter les horaires d'ouvertures des établissements
nocturnes - débits de boisson afin de diminuer les facteurs de risque qui incident à la
violence urbaine comme la consommation d'alcool et de stupéfiants. Malgré la résistance
des propriétaires de boîtes de nuit et de beaucoup de citoyens, la mesure a été maintenue
jusqu'à mi 2003. C'est alors qu'Antanas Mockus a modifié la loi lors de son nouveau
mandat, en autorisant l'ouverture jusqu'à 3 heures du matin avec une mesure appelée
« Horario Optimista » (horaire optimiste). Il traduisait la confiance dans l'autorégulation des
consommateurs d'alcool qui se basait sur la réduction du nombre de morts sur la route.
Cette mesure n'a pas altéré la tendance à la réduction des accidents de la route et des
actes de violence dans la ville.
118
On peut également faire mention du Plan Desarme (Plan de Désarmement) qui visait
à mettre fin à la tentation des Bogotanais de se faire justice eux-mêmes, et à développer
la confiance dans les institutions de sécurité et de justice officielles. Chaque année depuis
1995, la municipalité met en place des journées de désarmement volontaire avec la
campagne « Armémonos de amor » (Armons nous d'amour) et des campagnes contre
la violence dans les établissements scolaires. De son côté, la police continue de réaliser
119
des opérations périodiques de contrôle du port d'arme.
Dans la Candelaria, c'est le
Commissariat à la Famille qui prend en charge la promotion de cette politique avec des
travaux dans les écoles.
120
De même, on peut citer l'interdiction de l'utilisation et de la vente de poudre, à Noël
1995, pour protéger les enfants des accidents. Les vendeurs ont reçu des compensations
et les chiffres de la diminution des blessés ont été massivement diffusés afin de convaincre
de l'efficacité de la mesure. Entre 1995 et 2003, en effet, le nombre d'enfants blessés par
des feux d'artifices a baissé de 54%.
121
Une autre initiative surprenante d'Antanas Mockus reste la Nuit des Femmes. Pour
célébrer la Journée Mondiale de la Femme, il a décrété que durant la nuit du 8 mars 2001,
seules les femmes seraient autorisées à sortir dans les rues. Il souhaitait ainsi susciter une
réflexion collective sur le fait qu'entre 1996 et 2000, seul 7% des victimes d'homicides à
Bogota étaient des femmes.
116
122
Il s'agissait aussi de rendre hommage à la lutte pacifique
Chiffres Sistema Unificado de Informacion de Violencia y Delincuencia et Departamento Administrativo de Planeacion
Distrital, Subdireccion de Desarrollo Social, proyecciones de poblacion, Bogota, 2007
117
118
119
120
121
122
En Colombie, une personne qui évite les excès est appelée zanahoria
Londoño Rocio, 2007, Loc. Cit., p.135
Londoño Rocio, Ibid. , p.136
Arenas Maria Consuelo, 2003, Loc. Cit., p.30
Londoño Rocio, Ibid., p.136
Instituto Distrital de Cultura y Turismo, « Noche de las Mujeres 2001 », Bogota, Mars 2002, p.15
Charlie WEIBEL
39
A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une
politique du symbole
des femmes pour faire valoir leurs droits dans la société et promouvoir un changement
des rôles à l'intérieur des foyers pendant une nuit afin que les hommes s'occupent des
enfants tandis que les femmes profitaient d'une nuit en ville. Malgré une opposition assez
importante, cela a permis de susciter un vaste débat public. Symboliquement, durant la nuit
du 8 mars 2003, la ville de Bogota fut dirigée par une femme membre du Conseil. Et c'est
une femme policière qui prit la responsabilité de la sécurité.
123
Les autorités de Bogota se sont donc assurées le contrôle actif du territoire de la
Candelaria par l'augmentation des forces militaires et par le concours de la population.
Cependant, comme le souligne Gramsci, il faut distinguer « dominant » et « dirigeant » :
la prise de pouvoir donne la domination, reste à conquérir la « direction ». La phase de
coercition ne peut assurer à elle-seule le contrôle d'un territoire.
« L'hégémonie suppose (...) la coercition que la classe dominante fait nécessairement
peser sur les groupes antagonistes. Mais c'est aussi la direction intellectuelle et morale
(culturelle) de tous les alliés (de cette classe) dont on a gagné le consentement et dont on
veut organiser le consentement actif ».
124
Dans son objectif de récupération de La Candelaria, l'élite doit donc pérenniser son
contrôle en utilisant l'appareil étatique dans sa dimension culturelle afin de diffuser et faire
accepter ses valeurs.
2.3 Participez!
L'abandon de la Candelaria dans les années 1970 et 1980 est en fait symptomatique d'une
crise institutionnelle plus profonde qui touche toute la ville. Cette crise se caractérise en
partie par l'absence totale de réponse apportée par les autorités locales au prétexte que la
crise relevait de facteurs externes à Bogota sur lesquels l'administration districtale n'avait
aucun contrôle.
« Il était commun d'expliquer les problèmes en disant que « Les Bogotanais n'aiment
pas leur ville », « personne n'est d'ici », « la violence est un problème national ». On les
attribuait aussi à des phénomènes structurels comme la pauvreté, la perte de capital social
ou la désintégration sociale. »
125
Avec la politique volontariste développée par Mockus et ses successeurs, on passe
à une autre approche qui prétend pouvoir résoudre elle-même les problèmes de la ville.
L'expression de cette volonté des autorités doit amener à une réflexion sur les moyens de ce
contrôle. On a vu que le développement de la politique de sécurité citoyenne s'inscrivait dans
un programme plus large de culture citoyenne qui démontre le désir d'imposer certaines
normes sociales à la population.
La diffusion des valeurs est donc le deuxième aspect de la politique publique de
récupération du centre historique. Il s'agit de créer une citoyenneté dans un territoire où cela
ne va pas de soi. D'abord parce que, comme le soulignaient les précédentes administrations,
123
124
125
40
Londoño Rocio, Ibid., p.136-137
Gramsci Antonio, 1983, Op . Cit., p.82
Martin Gerard, 2007, Loc. Cit., p.93
Charlie WEIBEL
2/ « Récupérer » la Candelaria
une grande partie de la population n'est pas née à Bogota et ne se reconnaît donc pas
une appartenance à cette ville. Ensuite, en ce qui concerne La Candelaria, le dogme du
progrès diffusé dans la première moitié du XXème siècle a fait que les habitants du centre
historique ont perdu conscience de la valeur de leur quartier et ne s'imposent pas le devoir
de le conserver. Enfin, parce que les autorités se sont longtemps convaincues, à l'époque
126
du « L'État n'est pas la solution à nos problèmes... L'État est le problème »
triomphant,
que les interventions dans le secteur n'étaient non seulement pas nécessaires mais qu'elles
étaient de fait néfastes.
Créer la citoyenneté signifie développer un sentiment de communauté. Il s'agit de faire
participer les habitants à des actions qui sont présentées à la fois comme des droits et des
devoirs inhérents à la vie en groupe. On a souligné que dans le domaine de la sécurité, ce
sentiment se manifestait par la solidarité. En ce qui concerne la diffusion des valeurs, ce
sentiment de communauté se traduit dans le concept de participation. La participation peutelle être imposée depuis le haut? La participation va-t-elle de soi?
2.3.1 La participation institutionnalisée
La participation a d'abord été générée par des réformes institutionnelles. Comme le souligne
le document émis par le Ministère de la Culture en vue de la commémoration du bicentenaire
de l'Indépendance, la création de ce sentiment de communauté est une construction
pleinement assumée de la part de l'État:
« Ce doit être une fête pour tous: notre commémoration pour nous être construits en
une communauté d'être libres, acceptant notre responsabilité vis à vis de l'autre, car nous
lui reconnaissons son indépendance et tant qu'être distinct ; notre commémoration pour
nous être construits en tant que nation dont la construction sociale puise sa valeur dans
l'acceptation de l'autre; notre commémoration d'un passé commun, mais qui reconnaît que
sa signification est dynamique et plurielle ; notre commémoration de l'État, en acceptant
que dans ses institutions et ses règles de vie on explique les façons de coexister et en
consolidant un projet collectif de nation qui respecte les particularités ; au fond, notre
commémoration de l'avenir, qui ne peut se réaliser que dans la liberté, la communauté, la
« convivencia » et le patrimoine commun. »
127
Ce mouvement décentralisateur est initié par la nouvelle Constitution de 1991
également appelée Constitution des Droits. Elle a pour but d'adapter l'État colombien aux
nouvelles réalités qui prévalent aujourd'hui et qui ne sont plus celle de 1886. L'Assemblée
constituante est d'ailleurs coprésidée par Antonio Navarro, membre du M-19, un groupe
guerillero qui a accepté de se démobiliser pour participer à la réforme des institutions. La
Charte précise que:
« La Colombie est un État social de droit, organisé en République unitaire,
décentralisée, avec autonomie des entités territoriales, démocratique, participative et
pluraliste, fondée sur le respect de la dignité humaine, sur le travail et la solidarité des
personnes qui l'intègrent et sur la prééminence de l'intérêt général. »
126
127
128
128
Reagan Ronald, Extrait du Discours d'investiture, 20 janvier 1981
Bicentenario de las Independencias, 2008, Loc. Cit., p.5 (traduit de l'espagnol par nos soins)
Constitucion politica de Colombia, Articulo 1, Bogota, 1991 (traduit de l'espagnol par nos soins)
Charlie WEIBEL
41
A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une
politique du symbole
Cette stratégie décentralisatrice vise à faire participer toutes les personnes concernées
dans le processus de décision. On la retrouve dans tous les domaines de l'action publique
et d'abord en matière de gestion de la ville. La loi 388 de réforme urbaine de 1997 souligne
qu'en matière d'urbanisme, l'État doit travailler avec la population. Elle s'inspire du principe
de participation et affirme le principe de l'égale répartition des charges et bénéfices liées
aux politiques d'urbanisme menées par l'État. Celui-ci doit donc rechercher l'équité entre
les propriétaires concernés et entre ces propriétaires et le reste des habitants. Cela montre
bien que la participation des populations locales doit se faire en amont. De plus, cette loi
accorde à la population concernée par un projet urbanistique le droit de se prononcer sur
les éventuelles hausses des prix immobiliers résultants de ces actions.
129
On retrouve cette politique décentralisatrice dans La Candelaria grâce aux réformes
du District Capital. Chacune des vingt localités acquiert une plus grande autonomie ce
qui permet aux mairies locales d'inclure la participation comme axe de planification pour
permettre à leurs citoyens de décider des priorités. Les citoyens peuvent ainsi s'exprimer
au sein de diverses institutions sectorielles comme les Conseils de culture, les Conseils
locaux de jeunesse ou les Juntes administratives locales. Il existe également des groupes
participatifs réservés à une catégorie déterminée de la population comme les femmes et les
minorités ethniques. Cette politique permet d'assurer une plus grande efficacité des fonds
publics investis.
130
En juillet 2008, à l'issue de six rencontres citoyennes, les habitants de la Candelaria ont
pu déterminer leurs priorités pour les quatre années à venir avec le budget de la Localité.
Ils émettent ensuite une proposition à la maire locale qui élabore un plan de développement
qu'elle présente au Conseil de planification local. Ce conseil exprime un avis pour déterminer
si le plan proposé répond aux priorités exprimées par la population. Il est ensuite proposé à
la Junte administrative locale qui est composée de sept délégués (ediles) élus par le suffrage
universel direct et qui représente le législatif local. Cependant, si la Junte n'approuve pas le
plan, la maire garde la possibilité de promulguer le plan par décret sans passer par la Junte.
La participation institutionnalisée se manifeste aussi par la politique menée par la
maire de Bogota pour promouvoir la culture de l'impôt. Il s'agit d'améliorer la perception
qu'a la population de l'utilisation des ressources fiscales de la ville. Dans cette optique,
la campagne « 110% avec Bogota » invitait les contribuables à verser volontairement
10% supplémentaire sur leurs impôts locaux afin de financer des projets sociaux qu'ils
choisiraient eux-mêmes. 109246 Bogotanais ont accepté de payer cet impôt en 2002 et
2003, ce qui peut être considéré comme un succès. Aussi, cette initiative de Mockus a-t131
elle été reprise par l'administration Garzon (2004-2007).
Dans la même optique, la loi
388 de 1997 d'urbanisme affirme le principe de l'égale répartition des charges liées aux
politiques d'urbanisme menées par l'État. La population est donc invitée à payer ses impôts
dans l'intérêt commun.
132
Pourtant, ces mesures n'ont pas été suivies d'effets dans la Candelaria. Dans le cadre
de la politique de grands travaux, l'État s'est engagé seul et n'a que très peu fait appel à
la population. Durant la première phase de construction de l'Eje Ambiental (1998-2000),
129
130
131
132
42
Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.24
« Planeacion con participacion ciudadana » in Catalogue de l'exposition « Bogota: El renacer de una ciudad », Loc. Cit., p.12
Londoño Rocio, 2007, Loc. Cit., p.140
Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.24
Charlie WEIBEL
2/ « Récupérer » la Candelaria
il faut tout de même reconnaître que l'État a utilisé le mécanisme de la « Contribution
de Valorisation ». Par cette mesure, la dépense publique est en partie financée par la
contribution des propriétaires des immeubles situés dans la zone d'influence des travaux
et dont la valeur du bien pourrait être amenée à augmenter grâce à l'action publique.
Cependant, on peut noter que l'apport privé est resté très marginal par rapport à l'ensemble
des investissements réalisés dans tout le centre. On l'estime à 1,8 millions de dollars sur
les 112 millions investis au total.
133
De fait, toutes les autres interventions de l'État dans le centre, celles correspondant à la
réalisation du parc Tercer Milenio (rachat des terrains, construction du parc, indemnisations)
et d'autres interventions plus ponctuelles, ont été le fruit de décisions unilatérales et ont
été financées exclusivement par le trésor public, sans que l'on face appel à cette culture
de l'impôt de la part des propriétaires des terrains et immeubles qui ont bénéficié de ces
interventions.
134
Au contraire, ces propriétaires ont plutôt eu tendance à spéculer sur le prix des terrains
quand ils ont eu vent du projet de parc par exemple, ce qui a eu pour effet de faire augmenter
les prix des biens que l'État devait acquérir par la suite. En effet, comment expliquer que
le rachat des terres représente 70% des dépenses du projet Tercer Milenio avec un prix
moyen payé de 170$ par mètre carré ? Cela apparaît totalement démesuré au regard de
l'état de délabrement de El Cartucho à l'époque.
135
Quoi qu'il en soit, les grands travaux ne doivent pas masquer le fait que la somme
des dépenses consacrées aux interventions ponctuelles dans la Candelaria (59 millions de
dollars) dépasse les montants réunis des dépenses pour le parc Tercer Milenio (43 millions
136
de dollars) et l'Eje Ambiental (10 millions de dollars).
Ces petits investissements, bien que
moins visibles, représentent l'essentiel des sommes allouées par les trois administrations
Peñalosa (1998-200), Mockus (2001-2003) et Garzon (2004-2007) pour le centre alors que
toutes ont également financé les grands travaux.
encore, rien n'a été demandé aux bénéficiaires.
137
Or dans ces petites interventions, là
Deux déductions s'imposent. D'abord les habitants du centre historique ne disposaient
manifestement pas de cette culture de l'impôt et on peut même penser que la notion de
participation telle qu'elle leur a été présentée leur était largement étrangère. Ainsi, on voit
bien que la politique de l'État consiste à imposer ses propres valeurs sur un territoire où
elles ne vont pas de soi.
La deuxième conséquence de ce raisonnement est que si l'État a préféré investir
massivement dans le centre sans se donner la peine d'utiliser tous les instruments qu'il avait
à sa disposition, pour acquérir les terrains de El Cartucho par exemple, c'est parce que la
récupération du centre apparaissait comme un objectif prioritaire qui ne pouvait attendre que
la population ait pleinement intégré les nouvelles valeurs de participation et de culture de
l'impôt. D'ailleurs, malgré les nombreux outils offerts par la décentralisation afin de favoriser
133
134
135
136
137
Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.40
Ibid., p.35
Ibid., p.36
Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.29
Ibid., p.30
Charlie WEIBEL
43
A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une
politique du symbole
la participation des habitants dans la planification de leur quartier, le Plan Spécial pour la
Récupération du Centre Historique de 2000 et les grands travaux ont été décidés de façon
arbitraire par la municipalité et l'État.
On doit maintenant se pencher sur la deuxième stratégie utilisée par les promoteurs du
concept de participation, à savoir la socialisation. Si la première a plus trait à l'intégration
de la population au sein de l'État, celle-ci veut promouvoir la participation au coeur des
rapports sociaux.
2.3.2 La socialisation
Le deuxième axe de promotion du concept de participation est la socialisation entendue
comme l'apprentissage de la vie en société. La création du sentiment de communauté
dépasse ainsi le cadre institutionnel pour imprégner les comportements sociaux grâce à
l'établissement de règles communes à tous. Ce processus d'intériorisation des normes d'un
groupe entraîne l'adhésion à ce groupe.
La socialisation permet d'acquérir des valeurs, c'est à dire un idéal propre à une société
donnée. Ici:
« La Candelaria devra être un modèle d'intégration, de participation, de justice, de
solidarité et de convivencia entre les résidents, la population flottante, les autorités, les
établissements publics et privés, les organisations sociales et communautaires, les centres
éducatifs, le secteur productif, culturel et touristique pour le développement social, culturel
et économique de la population résidente (...) »
138
Elles sont le plus souvent abstraites et doivent être traduites par des normes concrètes.
La valeur participation peut ainsi être matérialisée dans la norme travail. La Corporation
La Candelaria a donc mis en place des programmes de réinsertion pour les jeunes de
18 à 25 ans issus de milieux très marginaux. Ceux-ci sont formés aux métiers de la
restauration du patrimoine au sein de l'Escuela Taller de Bogota (École atelier de Bogota),
une institution crée avec l'appui de l'Agence Espagnole de Coopération Internationale
pour le Développement (AECID), de la Corporation Andine de Développement (CAF), du
Ministère de la Culture colombien, du Service National d'Apprentissage et de la maire de
Bogota. La Escuela Taller de Bogota a débuté ses travaux en 2006 et son siège se situe
139
en face de la Corporation.
L'assistance aux populations défavorisées est donc en partie
conditionnée à l'apport réciproque pour la communauté. C'est un politique contractuelle qui
se résume à l'assistance contre la participation.
La socialisation vise également à définir des rôles pour les individus dans le groupe,
c'est à dire des comportements types à suivre en fonction de la position, du statut occupé au
moment où l'on intervient : père, citoyen, fils ou encore employé. La participation consiste
à développer les rôles professionnels et politiques. En ce qui concerne La Candelaria, les
habitants sont appelés à remplir leur rôle de citoyen au sein d'un tissu social dense et
cohérent :
138
Accord local 5 de 2001 « Par lequel est adopté le Plan de Développement, Economique, Social et de Travaux publics »
pour la Localité 17 de La Candelaria, période 2002-2004 « Candelaria para la Convivencia », Article 1, Junta Administradora Local
de La Candelaria (traduit de l'espagnol par nos soins)
139
44
Escovar Wilson-White Alverto, 2007, Loc. Cit., p.78
Charlie WEIBEL
2/ « Récupérer » la Candelaria
« Généralement, le citoyen commun ne sait pas les dommages que cause à la ville une
propriété inoccupée. Ils n'apportent pas de contribution par l'intermédiaire des impôts et des
services publics. De plus, cela génère des problèmes qui affectent des zones environnantes,
comme la délinquance, la consommation de drogue, etc. »
140
Conscient de ce constat, les autorités préconisent:
« La Candelaria devra être (...) la vocation de ses habitants, en tirant parti des
potentialités qu'offre sa situation centrale dans la capitale et de la présence sur son territoire
du Centre Historique. »
141
La socialisation transmet également un langage commun, corollaire à l'intégration dans
un groupe. C'est pourquoi le programme de Culture Citoyenne a cherché à utiliser un
langage symbolique qui contribue à une réception plus large de la part du public. Au lieu
de lancer des campagnes pour la sécurité sur les routes, on a ainsi peint des « Etoiles
noires », marquées d'un point d'interrogation, à chaque endroit où un accident de voiture
avait coûté la vie à quelqu'un. Ce programme a eu un impact considérable et a même été
repris à l'échelle nationale par le Fond de Prévention Routière.
142
« Pour l'État, il s'agit d'une appropriation du virage linguistique qui a caracterisé
certaines sphères de la connaissance académique au cours des dernières décennies : la
reconnaissance de la centralité du langage dans la structuration de la culture et la conviction
selon laquelle c'est le langage qui donne du sens au monde physique et aux actions
humaines (...). On a utilisé un langage familier, ludique et à portée poétique, qui faisait
contraste avec le langage technocratique et impersonnel commun en la matière, ce qui a
fait appel à la dimension personnelle, affective et esthétique de l'individu. »
143
Le programme Mision Bogota mis en place par l'administration Peñalosa s'inscrit aussi
dans cette perspective. Il cherche à promouvoir l'insertion sociale de groupes marginalisés
comme les jeunes déscolarisés, les chômeurs, les travailleurs sexuels, les sans abris et les
recycleurs et leurs familles. L'originalité de cette politique est qu'elle inclut des politiques
à destination du reste de la population afin de mettre un terme à la stigmatisation. Les
autorités ont compris que le problème de l'exclusion n'était pas que socio-économique mais
qu'il relevait aussi de l'absence de communication réciproque.
« L'objectif implicite était la construction d'un autrui valide pour dialoguer, qui cesse
d'être marginal ou exclu tant en terme de groupe qu'en terme d'imaginaire social. »
144
La socialisation de ces groupes exclus passe donc par la transmission d'une certaine
forme de langage qui est propre au reste des habitants et qui doit être le vecteur de la
participation au sein de la communauté.
140
141
142
143
Carrizosa Claudia, « Alta cirugia en el corazon de Bogota » (entretien) in Revista Proyecto Diseño n°18, Bogota, 2000, p.23
Accord Local 5 de 2001, Article 1, Loc. Cit.
Londoño Rocio, 2007, Loc. Cit., p.143
Saenz Javier, La cultura ciudadana: una pedagogia para la democracia, la civilidad, la seguridad, la comunicacion y el
disfrute, vol. II, Bogota, Memorias de la Administracion Distrital 2001-2003, Bogota, 2003, p.48-49
144
Peñaranda Claudia Helena, Miranda Ruiz, Leonel Alberto, « Desmarginalizacion e inclusion social » in Bogota: El renacer
de una ciudad, Op . Cit., p.259
Charlie WEIBEL
45
A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une
politique du symbole
La socialisation est soutenue par la politique éducative. En effet, l'école est un agent de
socialisation primaire essentiel. Elle éduque, transmet des règles de conduite et enseigne
des connaissances et des savoir-faire. La maire de Bogota et la Localité de La Candelaria
font en la matière des efforts conséquents. En 2002, le centre historique concentrait
seulement 0,4% de la population en âge d'être scolarisée
145
146
, mais 0,9% des institutions
147
éducatives, publiques et privées
et 0,7 du personnel enseignant de Bogota.
Pourtant,
le taux d'analphabétisme chez les personnes âgées de 15 ans et plus dans le centre
148
historique (2,6%) reste supérieur à la moyenne de la ville (2,2%).
Les autorités comptent
néanmoins sur l'école car le processus de socialisation s'effectue aussi des enfants en
direction des parents.
La politique de Culture Citoyenne de Bogota a fait preuve d'originalité en faisant appel
à différentes formes d'apprentissage classique de la socialisation. Prenons par exemple
l'apprentissage par renforcement qui conditionne la personne afin qu'elle se conduise bien
au travers de récompenses ou punitions qui montrent si l'autorité approuve ou désapprouve
tel ou tel comportement. A Bogota, de 1995 à 1997, on a utilisé les « tarjetas de regulacion
ciudadana » (cartes de régulation citoyenne) pour favoriser la régulation mutuelle des
citoyens dans la rue. Ces cartes étaient marquées d'un pouce dirigé soit vers le haut soit
vers la bas. Les citoyens étaient invités à se les distribuer pour marquer leur approbation
ou au contraire leur réprobation face à un comportement.
149
Mais la mesure la plus marquante pour les Bogotanais reste l'emploi de mimes. Il s'agit
là d'une forme d'apprentissage de la socialisation par interaction avec autrui.
La personne apprend à travers les jeux de rôles. Elle fait l’expérience de la société
et s’approprie les savoirs de l'entité qui représente l'autorité. Voilà comment le rapport sur
l'exécution du plan de développement Formar Ciudad (1995-1997) de Mockus présentait
ces mimes:
« A partir de juillet 1995, tous les trois mois, 400 jeunes, le visage peint en blanc et
habillés de noir ont instruit les Bogotanais sur le respect des panneaux de signalisation.
Ils ont renoncé à la parole. Grâce à des cris sourds et des pas fermes, ils ont montré les
choses qu'on ne devait pas faire. Dans les 19 Localités urbaine, ils ont proposé par le geste,
l'expression et le regard, la construction d'une ville désirée par tous (...). Et pour éduquer
les Bogotanais, ils ont utilisé la honte, jusqu'à ce que ce soient ces mêmes citoyens qui se
transforment en juges de leurs voisins en infraction. »
150
Nous avons donc vu quels étaient les axes de la politique de récupération du centre
historique. Il s'agissait d'abord d'accroître la présence de l'État en le rendant plus visible
aux yeux de la population mais aussi en l'imposant comme médiateur des relations entre
145
146
147
148
Chiffres Departamento Administrativo de Planeacion Distrital (DAPD)
Chiffres Subdireccion de Analisis Sectorial-SED et Directorio de Establecimientos
Chiffres Subdireccion de Personal Docente-SED
Enquête de Qualité de Vie 2003 à Bogota et dans les Localités urbaines. Departamento. Administrativo Nacional de
Estadisticas (DANE) et Departamento Administrativo de Planeacion Distrital (DAPD)
149
150
Londoño Rocio, 2007, Loc. Cit., p.143
Alcaldia Mayor de Bogota, « Formar Ciudad, 1995-1997 », Bilan des projets et actions de l'administration présidée par les
maires Antanas Mockus (1995-1996) et Paul Bromberg (1996-1997)
46
Charlie WEIBEL
2/ « Récupérer » la Candelaria
population et territoire. Il fallait également une reconquête par la force grâce à une politique
de sécurité originale, qui en plus des forces classiques, fait appel à la population. Mais
pour s'assurer la pérennité de sa domination, il devait surtout diffuser ses valeurs, axées
sur le thème de la participation. L'État a donc cherché à étendre son hégémonie sur la
Candelaria. Cette volonté de récupérer ce quartier, mise en évidence par l'ampleur des
moyens employés, nous amène désormais à nous interroger sur les motivations de l'État.
Charlie WEIBEL
47
A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une
politique du symbole
3/ La Candelaria comme moyen
Tout comme l'abandon de la Candelaria était une conséquence du nouveau crédo
progressiste des élites et de l'État, il peut être intéressant maintenant d'analyser les
fondements idéologiques de la politique de récupération. En effet, on a montré que le
discours sur le déclin du centre historique était une reconstruction qui visait à justifier
la politique de récupération. On a également vu que l'État a déployé des moyens très
importants dans le cadre de cette politique. Cette disproportion n'est pas seulement visible
dans les moyens. Elle est aussi manifeste dans l'intérêt exacerbé du national pour le local.
La Candelaria est devenu une priorité pour l'État.
On a coutume d'aborder les politiques de réhabilitation d'un quartier sous l'angle socio151
économique. La norme est alors l'humain, c'est à dire l'habitant. Dès lors, on juge de la
réussite des mesures entreprises en fonction de leur capacité à améliorer les conditions
et le niveau de vie de la population concernée. Néanmoins, dans le cas de la Candelaria,
il serait intéressant de se baser sur une vision qui privilégie le territoire sur la population.
Le succès d'une politique de réhabilitation serait alors déterminé par la capacité de l'État
à reprendre le contrôle sur la parcelle de terre considérée. Par conséquent, il serait aussi
plus pertinent de considérer les mesures mises en œuvre sous l'angle du culturel. En effet,
pour reprendre la dialectique de Gramsci entre dominant et dirigeant que nous avons déjà
évoquée, le contrôle durable d'un territoire ne peut être assuré que par la capacité de l'État
à faire accepter ses valeurs et donc à légitimer son autorité.
Cette approche nous conduit à analyser la politique de réhabilitation du centre
historique de Bogota selon trois perspectives. D'abord, il s'agit pour l'État de matérialiser
sa politique culturelle grâce à sa politique de la culture. Ensuite, c'est un objectif politique
essentiel de par la portée symbolique du centre. Enfin c'est l'avènement de l'État nation
comme construction historique.
3.1 Un État présent partout
La première composante de l'État reste son territoire. Or, en Colombie cette question
n'est pas résolue. Si les frontières extérieures apparaissent clairement établies, la maîtrise
de l'espace intérieur reste problématique. La faiblesse de l'État est souvent associée à
son absence dans certaines régions au profit de groupes qui développent des structures
paraétatiques comme les FARC, les paramilitaires ou les narcotrafiquants. L'action sociale
152
menée par Pablo Escobar à Medellin en est un bon exemple. La récupération de la
Candelaria s'inscrit donc dans un mouvement plus large de tout le territoire national. Fautil pour autant éluder la spécificité de ce quartier? La récupération du centre historique de la
capitale obéit-elle aux mêmes principes qui régissent la récupération générale du pays?
151
152
Carrión Fernando, Centros historicos y pobreza enAmerica Latina, BID, 2003
Bushnell David, Colombia una nacion a pesar de si misma. De los tiempos precolombinos a nuestros dias, Editorial Planeta,
1994, p.356
48
Charlie WEIBEL
3/ La Candelaria comme moyen
3.1.1 Symbolique de la centralité
La centralité de la Candelaria lui confère un statut particulier dans le processus
d'urbanisation de la ville. Point de référence spatial, il est également devenu au fil du temps
une norme socio-économique tant on a vu que la ségrégation socio-spatiale distinguait le
nord riche du sud pauvre. La récupération du centre a donc une portée symbolique dans la
mesure où elle traduit la capacité de l'État à maîtriser la croissance de la ville mais aussi
à aider les plus démunis.
La période de crise des années 1970 et 1980 avait conduit à des solutions contestables
en matière d'urbanisme. Rogelio Salmona, célèbre architecte colombien, rappelle que, lors
de la mise en œuvre du projet Santafé dans le centre historique de Bogota,
« quelqu'un de très important a dit qu'il fallait cloisonner la zone bancaire pour apporter
plus de sécurité aux personnes qui travaillaient là et pour que les pauvres et les prostituées
153
cessent de roder dans le secteur. »
De même, du point de vue socio-économique, la situation des habitants de El Cartucho
symbolisait à elle seule l'inaction des pouvoirs publics et leur incapacité à régler un problème
qui s'aggravait chaque jour un peu plus, à leur porte.
Le dépassement des autorités était manifeste. Mais on note une amélioration très
nette de la gestion de la ville à partir de l'administration de Jaime Castro (1992-1994) qui
assainit les finances de la ville et permet ensuite le développement de la politique de culture
citoyenne de Mockus, les grands travaux de Peñalosa ou encore la politique sociale de
Garzon. La récupération du centre permet de concrétiser ce changement de gestion grâce
à la portée symbolique du centre. Le parc Tercer Milenio en est un exemple car il traduit à
la fois la capacité planificatrice d'un État qui maîtrise son territoire et le modèle à sa guise
et sa faculté à assister les plus démunis au travers des « projets de vie » élaborés par la
maire avec chaque habitants de El Cartucho.
Cependant, la spécificité de la Candelaria ne tient pas seulement à sa centralité dans
le cadre bogotanais. A l'échelle nationale aussi, ce petit quartier fait office de centre de par
la position géographique de Bogota. Dans un pays marqué par ses aspirations régionalistes
très fortes comme en Antioquia, la position même de la capitale au cœur du pays a une
portée symbolique. Ce choix était d'ailleurs loin d'être évident à l'Indépendance tant la ville
154
était difficile d'accès et éloignée de la mer, à la différence de Buenos Aires ou Lima.
Beaucoup d'ailleurs lui préféraient Carthagène. L'expert en sécurité Leon Valencia souligne
lui aussi le rôle symbolique de la Candelaria à l'échelle nationale:
« (...) dans le cas de la Localité de la Candelaria à Bogota, il faut prendre en compte la
grande importance que revêt le fait d'être « la capitale de la capitale », (...) étant données
155
les répercussions de ce qu'il se passe ici sur le reste de la ville et du pays. »
Le politique de récupération consiste à désenclaver physiquement la Candelaria. Sa
situation topographique, sur un flanc de montagne, marque de façon ostensible sa différence
dans le cadre de la plaine bogotanaise. Les petites rues, inadaptées au trafic routier
signifient également aux visiteurs l'entrée dans un espace à part. On peut donc interpréter
la construction du Transmilenio sur l'Eje Ambiental comme un moyen d'intégrer le centre
historique au reste de la ville. D'ailleurs, Alberto Escovar Wilson-White, l'architecte et ancien
153
154
155
« Entrevista a Rogelio Salmona » in Bogota: El renacer de una ciudad, Op. Cit. p.193
Bushnell David, Op. Cit., p.112
Valencia Leon in Monografia de seguridad y convivencia, Loc. Cit., p.26
Charlie WEIBEL
49
A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une
politique du symbole
membre de la Corporation La Candelaria, reconnaît que les grands travaux « ont réouvert
156
le centre historique aux Bogotanais »
Le rôle symbolique du territoire de la Candelaria se reflète également dans l'importance
donnée à l'image du quartier. Parmi les stratégies avancées par la Chambre de Commerce
de Bogota pour la « Promotion de la Candelaria comme district touristique », on trouve ainsi
de nombreuses mesures en faveur de l'embellissement de l'espace public:
« La population vulnérable des rues, tout comme la détérioration de l'espace public
sont deux facteurs reconnus comme problématiques dans la zone. Les autorités locales ont
beau remplir leur mission, l'entretien des trottoirs et des espaces verts déborde la capacité
de l'administration publique. Dans ce sens, et en tenant compte de l'importance de l'image
de la zone dans l'attraction de nouveaux marchés, il est pertinent d'engager des groupes
157
particuliers qui soutiennent le travail du district en matière d'entretien des rues. »
« Obliger les propriétaires et les locataires d'immeubles à respecter les normes en
matière d'espace public notamment l'entretien des devantures, des façades et des trottoirs
et l'utilisation des déchets solides, à travers des actions des action pédagogiques et des
158
sanctions policières en accord avec le Code de Police. »
3.1.2 La rénovation autocrate
La politique de récupération de la Candelaria a elle aussi une portée symbolique car
elle illustre la capacité nouvelle de l'État à décider seul de ses priorités. Il se revendique
alors lui même comme acteur autonome. En effet, une des caractéristiques de la politique
de récupération dans ses débuts est qu'elle s'affranchie en grande partie du principe de
rentabilité économique qui prévalait jusqu'à maintenant.
Cela est du avant tout à l'affaiblissement du pouvoir des élites. A partir des années
1970, on assiste à un phénomène de consolidation social de certains groupes issus de la
classe moyenne mais qui s'en démarquent par un profil qu'on pourrait qualifier d'intellectuel:
« (Ils) acquièrent une certaine masse critique et se démarquent des normes de
comportement des groupes les plus riches. Ils cherchent ainsi des lieux qui leur sont propre
pour rompre avec le schéma plus ou moins imitatif d'autres groupes issus de la classe
159
moyenne qui cherchent, eux, des lieux proches des élites, généralement à la périphérie »
Le centre historique devient alors une destination privilégiée pour ces groupes aux
revenus moyens ou moyens-hauts. Ils sont attirés par l'offre culturel, la valeur architecturale
et patrimoniale de ses édifices mais aussi par la proximité d'avec leur lieu de travail.
On trouve par exemple beaucoup de professeurs d'université, qui enseignent dans la
Candelaria. Ce phénomène se développe particulièrement dans La Macarena, quartier
autrefois situé dans la périphérie nord du centre traditionnel et qui a été peu à peu intégré
à celui ci avec la croissance de la ville.
156
157
158
159
50
Escovar Wilson-White Alberto, 2007, Loc. Cit., p.72
Centro Habitat Urbano, 2007, Loc. Cit., p.40 (traduit de l'espagnol par nos soins)
Ibid., p.42 (traduit de l'espagnol par nos soins)
Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.20 (traduit de l'espagnol par nos soins)
Charlie WEIBEL
3/ La Candelaria comme moyen
« A partir des années 1970, (La Macarena) commence à recevoir de nouveaux
habitants parmi ces groupes intellectuels, qui font de cet endroit un de leurs foyers
160
identitaires et récupèrent physiquement les immeubles dont les prix remontent. »
L'État favorise même ce retour des classes moyennes dans le centre. En effet, dans le
cadre d'une vaste politique de création de logements, il cherche à profiter de la présence
d'infrastructures urbaines dans le centre pour construire de grands édifices en bordure de la
Candelaria. Ces nouveaux projets sont confiés, à la Banque Centrale Hypothécaire (BCH),
un organisme national chargé du financement des logements neufs. Celui-ci octroie des
crédits à quelques promoteurs privés mais il prend l'essentiel des constructions à sa charge.
Ces nouveaux logements encouragent encore davantage le retour des classes moyennes
vers le centre. L'exemple du complexe Torres del Parque dans la Macarena est tout à fait
161
représentatif. Les nouveaux immeubles bénéficient en effet d'une architecture élaborée
et s'adressent donc explicitement à ces nouveaux arrivants plus exigeants.
Cette opération étant couronnée de succès, on cherche à la répéter dans d'autres
parties de l'ancienne ceinture populaire du centre. La BCH finance ainsi d'autres projets
menés par des promoteurs privés sur le côté ouest de la Candelaria. Mais les nouveaux
logements ne suscitent pas le même engouement et sont vendus difficilement. De même, la
banque lance dans les années 1980 un nouveau projet dans le sud du centre historique. De
par son ampleur, il s'agit à l'époque d'une des entreprises les plus ambitieuses de rénovation
urbaine dans le centre. Une des plus controversée aussi. Elle concerne le quartier Santa
Bárbara, une prolongation de la Candelaria qui est avec ce quartier l'un des seuls vestiges
de l'époque coloniale proprement dite. Traditionnellement d'un niveau social inférieur au
centre historique traditionnel, Santa Bárbara habitait aussi une population aux revenus
moyens et conservait un nombre important d'immeubles anciens en bon état. De plus, le
tissu social était encore important. Pourtant:
« Selon un vision très controversé de prophylaxie sociale, la BCH a décidé d'éradiquer
ce quartier populaire, attenant au Palais présidentiel, et de le remplacer par un ensemble
à destination des classes moyennes. Bien que plusieurs études techniques engagées par
la propre banque aient conclu qu'il était préférable d'éviter la rénovation « bulldozer » et
que l'association des propriétaires du quartier aie proposé sa participation à un projet de
162
rénovation des bâtiments existants, la BCH a persisté. »
Elle a acheté et démoli 18 hectares du quartier avec la volonté affichée de reproduire
l'expérience des Torres del Parque dans la Macarena. C'est d'ailleurs à Rogelio Salmona
qu'on a confié les rênes de ce nouveau projet baptisé Nueva Santafé.
Bien qu'intéressant sur le plan architectural, ce projet reste un échec majeur en tant
qu'opération immobilière. A peine cinq hectares ont pu être vendus, le reste restant jusqu'à
maintenant inoccupé. L'échec tient d'abord à l'absence de contact avec le nord de la ville
où les classes moyennes intellectuelles conservent beaucoup de liens. De plus, alors que
les Torres del Parque sont entourées de quelques quartiers populaires, Nueva Santafé est
cerné par des zones beaucoup plus pauvres, ce qui entraîne des tensions sociales qui, bien
qu'atténuées par le profil plus intellectuel des nouveaux habitants, n'en sont pas pour autant
163
inexistantes.
160
161
162
163
Ibid., p.21 (traduit de l'espagnol par nos soins)
C'est Rogelio Salmona, le grand architecte colombien qui fut chargé du projet.
Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.21 (traduit de l'espagnol par nos soins)
Ibid., p.22
Charlie WEIBEL
51
A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une
politique du symbole
On voit donc clairement que l'État reprend à son compte la rénovation urbaine dans
le centre et s'impose comme « rénovateur autocrate » pour reprendre le terme de Samuel
164
Jaramillo.
Ce nouveau volontarisme poussé à l'extrême s'exprime de manière moins radicale dans
la réorganisation administrative menée à terme en 2007 avec la création de l'Institut Districtal
du Patrimoine Culturel. Il s'agit d'une simplification de la structure existante dans laquelle
une partie des licences accordées pour les immeubles de conservation situés en dehors du
centre historique était à la charge de la Direction du Patrimoine du Département Administratif
de Planification Districtal; le patrimoine meuble, sculptures et bustes situés dans l'espace
public relevaient de l'Institut de Développement Urbain (IDU) pendant que l'Institut Districtal
de la Culture et du Tourisme (IDCT) s'occupait du patrimoine immatériel et du Musée de
Bogota. L'Institut Districtal du Patrimoine Culturel prend désormais la charge de toutes ces
missions auxquelles s'ajoutent bien sûr les prérogatives de la Corporation La Candelaria
qui cesse ainsi d'exister. Il existe donc désormais une seule institution chargée de veiller à
la valorisation, la protection et la récupération du patrimoine culturel de Bogota, dans toutes
165
ses dimensions.
Cette volonté affichée de reprendre le contrôle de ce territoire de façon unilatérale et
sans consultation impose néanmoins l'État comme acteur qui produit ses propres normes
et définit lui-même ses priorités. Disqualifier son action, c'est omettre la portée symbolique
de l'échec. Par sa capacité à faillir, là où la rationalité voudrait qu'il réussisse, l'État souligne
son rôle dirigeant car il n'a à répondre de ses décisions devant personne. Les subordonnés
ne peuvent ainsi que constater leur impuissance à modeler la volonté de l'État.
La reconquête d'un territoire suppose de s'intéresser à la population qui l'habite.
3.2 Créer une nation
Cet objectif, qui peut nous apparaître anachronique, est pourtant l'un des enjeux essentiel
en Colombie. En effet, la nation colombienne n'est pas évidente. Comme le souligne David
Bushnell dans la préface à son œuvre majeure sur l'histoire de ce pays:
« Le problème de l'image de la Colombie comme nation se complique davantage si
l'on prend en compte les ambivalences propres aux Colombiens eux-mêmes. Outre leur
tendance récente à souligner les premiers les aspects négatifs du panorama national,
les Colombiens continuent d'exhiber des différences fondamentales quant à la classe, la
religion et, dans certains cas, la race. C'est donc devenu un lieu commun que de dire (et
les Colombiens sont les premiers à l'affirmer) que le pays manque d'une véritable identité
nationale, ou d'un esprit nationaliste qui lui serait propre, du moins si on le compare à ses
166
voisins latino-américains. »
167
Comment réussir à faire d'une « nation malgré elle » , un peuple uni? Les Colombiens
restent partagés entre leurs aspirations régionalistes et la vocation continentale de leur pays
164
165
166
167
52
Ibid., p.20
Escovar Wilson-White Alberto, 2007, Loc. Cit., p.78
Bushnell David, Op.Cit., p.14-15 (traduit de l'espagnol par nos soins)
Traduction du titre de l'oeuvre de David Bushnell
Charlie WEIBEL
3/ La Candelaria comme moyen
qui fut, après l'Indépendance, le cœur de la Grande Colombie qui réunissait également
le Venezuela, l'Équateur et le Panama alors partie intégrante du territoire colombien.
L'Indépendance, mythe fondateur pour beaucoup d'anciens pays colonisés, est donc
inopérante, ici, pour fonder la nation. Le Préambule de la Constitution traduit d'ailleurs
cette hésitation: « Le peuple de Colombie, (...) dans le but de consolider l'unité de la
Nation (...) et engagé dans la promotion de l'intégration de la communauté latino-américaine
168
(...) ». Dans ce contexte, le centre historique de la capitale peut-il être un symbole d'unité
nationale?
3.2.1 Un État horizontal
L'État colombien n'est pas représentatif des communautés qui le composent. Les
caractéristiques propres à la classe dirigeante imprègnent le système politique national.
L'élite est avant tout essentiellement urbaine:
« (...) les membres de la classe haute étaient totalement urbains et préféraient vivre en
169
ville alors qu'ils possédaient de très grandes propriétés dans la campagne. »
Les liens de servitude hérités de la Colonie continuent également de marquer la société
colombienne après l'Indépendance, notamment en ce qui concerne la hiérarchie raciale
imposée par les Espagnols:
« Des siècles de subordination à l'État et à l'Église espagnols, ainsi qu'aux quelques
membres de la classe haute d'ascendance espagnole avaient inculqué à la paysannerie
indigène et métisse une déférence instinctive, qui faisait que, par exemple, on appelait
170
son patron « mon maître » et les personnes de classe plus élevées « son excellence » ,
171
expression qui subsiste encore aujourd'hui. »
Le libéralisme dominant dans les constitutions nationales à partir de 1832 est lui aussi
caractéristique de la domination des élites. Déjà sous la Colonie, les idées nouvelles venues
de France, d'Angleterre et des États-Unis commençaient à arriver malgré la censure. Mais
c'est surtout la tradition du voyage en Europe chez la classe aisée qui a permis de diffuser
172
les idées des Lumières jusqu'en Colombie. La construction étatique s'est donc faite sans
la nation. Le modèle socioculturel empêchait de fait toute construction d'une démocratie
vivante. En 1840, un chargé d'affaire français observait déjà:
« Que peut-on espérer d'une République où chacun appelle maître tout individu plus
173
blanc ou mieux vêtu que lui »
La première Constitution de Colombie, en 1832, pose les principes fondateurs de ce
pays dominé par l'élite urbaine, blanche et libérale:
168
169
170
Constitution politica de Colombia, Préambule
Bushnell David, Ibid., p.120
« su merced », traduction approximative mais qui traduit bien le sentiment d'inferiorité ancré dans les classes rurales non
blanches.
171
172
173
Bushnell David, Ibid., p.116
Bushnell David, Op . Cit., p.51
Cité par Colmenares German, « Formas de la conciencia de clase en la Nueva Granada de 1848 (1848-1854) » in Boletin
cultural y bibliografico, 9, N°3, 1966, p399
Charlie WEIBEL
53
A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une
politique du symbole
« Bien que clairement libérale et républicaine, la nouvelle Charte était peu
démocratique; le droit de vote fut de nouveau limité par l'imposition d'un cens qui excluait
la grande majorité des Colombiens. (...) Les assemblées élues au niveau des provinces,
qui au temps de la Grande Colombie servaient seulement à rédiger des pétitions et de
collège électoral, acquirent le droit de prendre des décisions relatives aux écoles, aux
chemins et à d'autres sujets d'intérêt local. Les mesures pouvaient être annulées par le
gouvernement national et les gouverneurs des provinces redevinrent des agents du pouvoir
174
exécutif national. »
La Constitution de 1991 marque à cet égard un tournant très important. Elle propose
la création d'un État horizontal c'est à dire qui prend en compte toutes les communautés
qui le composent en affirmant le droit égal de chacune d'elles à participer à la vie publique.
Elle proclame la fin du monolithisme idéologique et l'avènement des communautés jusque
là oubliées comme les Indiens par exemple. Le Ministère de la Culture souligne qu'un des
principes recteurs de la nouvelle Charte est la diversité. Celle-ci est donc présentée comme
un élément fondateur du pays. Elle en est paradoxalement le ciment:
« Une réflexion nationale, basée sur la mémoire commune qui trouve dans le régional
et le local les ciments de son identité. La multi culturalité est le dénominateur commun de
175
l'identité colombienne (...). »
Pour consolider cette identité colombienne, l'État prend conscience qu'il ne peut rester
fermé aux aspirations des différentes communautés. Cependant, la gestion des affaires
publiques doit s'intégrer dans un bloc cohérent que l'État prétend représenter. Dès lors, il
dénonce le centralisme politique et le pouvoir d'obscures élites qu'il oppose à un peuple
divers mais dont l'intérêt est de s'unir. C'est pourquoi les deux autres autres principes
fondateurs de la Constitution de 1991, repris pour les célébrations du bicentenaire sont la
participation et l'appropriation:
« Participation: (...). Si nous voulons que tout le monde participe à la fête, celle-ci doit
faire appel le plus largement possible à tous les secteurs de notre société et ne doit pas être
le résultat de l'activité solitaire d'une élite qui se voit elle même comme civilisatrice. (...)
Appropriation: Une réflexion sur le pays qui ne naît pas du centre mais qui invite tous
les citoyens à se penser comme des êtres qui, grâce à leur autonomie, sont capable de se
176
comprendre comme une communauté. »
Grâce à cette stratégie décentralisatrice, l'État crée un sentiment de communauté.
Cette communauté est responsable et doit prendre en main son devenir dans le cadre de
la grande communauté nationale. De fait, elle devient donc membre de la structure étatique
grâce à la décentralisation. L'État intègre ainsi la population. Mais la décentralisation
institutionnelle s'accompagne parallèlement d'un mouvement d'inclusion culturelle.
Cette dynamique inclusive est initiée par l'État. Elle se traduit notamment par une
nouvelle approche du patrimoine, qui dans le passé avait été réduit aux monuments dans
leur dimension historique et artistique:
« Cette vision traduisait implicitement la caractère antidémocratique et élitiste, dans la
mesure où elle prétendait représenter l'identité d'une nation à travers ce que quelques une
174
175
176
54
Bushnell David, Ibid., p.123-124
Bicentenario, Loc. Cit., p.6 (traduit de l'espagnol par nos soins)
Ibid., p.6-7
Charlie WEIBEL
3/ La Candelaria comme moyen
considéraient comme essentiel, et son étude et sa compréhension étaient réduites à un
177
secteur minoritaire de la société. »
Il suit par là une évolution internationale initiée par l'UNESCO dans sa Déclaration
178
de Mexico de 1982 sur les politiques culturelles. Le concept de patrimoine historiqueartistique est remplacé par la notion de patrimoine culturel, plus démocratique. Celui-ci est
désormais associé à l'idée d'identité et à la reconnaissance de la diversité culturelle. Dans
la nouvelle Loi Générale sur la Culture de 1997 modifiée par l'article 1 de la loi 1185 de
2008, on définit donc le patrimoine culturel comme:
« constitué par tous les biens matériels, les manifestations immatérielles, les produits
et les représentations de la culture qui sont une expression de la nationalité colombienne,
tels que le castillan, les langues et dialectes des communautés indigènes, noires et créoles,
la tradition, les savoirs ancestraux, le paysage culturel, les us et coutumes, ainsi que
les biens matériels de nature meuble et immeuble, auxquels on attribue, entre autres,
un intérêt particulier historique, artistique, scientifique, esthétique ou symbolique dans
des domaines plastique, architectural, urbain, archéologique, linguistique, sonore, musical,
audiovisuel, filmique, testimonial, documentaire, littéraire, bibliographique, muséologique
179
ou anthropologique. »
Cette politique de reconnaissance du rôle de la population dans la définition du
patrimoine culturel commun s'exprime aussi à Bogota. Elle se concrétise dans plusieurs
actions menées par la maire au cours des dix dernières années pour développer de
nouveaux espaces de représentation pour les différents groupes sociaux urbains.
« L'impact qu'a eu la majorité de ces initiatives est le reflet de la demande de la part
de ces groupes minoritaires ou des secteurs sociaux qui perçoivent qu'ils n'ont pas eu de
véritables espaces de représentation. Dans ce sens, ce sont les nouvelles conceptions sur
le patrimoine de ces dernières années qui ont offertes de nouvelles potentialités pour la
180
visibilité des pratiques de groupes non hégémoniques (...). »
La participation citoyenne s'est ainsi illustrée dans un programme mené par le Musée
de Bogota en 2005 intitulé « Bogota vue à travers l'album de famille ». Cette exposition
part du principe que la mémoire individuelle et la mémoire collective sont en interaction
permanente et que la constitution de chacune d'elle est étroitement liée à l'autre:
« Dans une ville comme Bogota, dans laquelle se sont retrouvés des groupes d'origine
très diverses, particulièrement au siècle passé, il est impossible de configurer la mémoire
de la ville sans la participation de multiples acteurs. Ce projet de reconstruction de
la mémoire de la ville et de ses habitants est composé de différentes histoires, parmi
lesquelles beaucoup sont synonymes, qui s'entremêlent dans la vertigineuse transformation
181
de l'espace urbain et social. »
C'est pour cela que les objets exposés dans cette exposition ont été apportés par des
citoyens qui ont répondu à un appel réalisé en avril 2005. Plus de 3000 photographies ont
177
Colón Luis Carlos, « Nuevos espacios de representacion: cultura y patrimonio en Bogota » in Bogota: El Renacer de una
Ciudad, Loc. Cit., p.294 (traduit de l'espagnol par nos soins)
178
Déclaration
de
Mexico
sur
les
politiques
culturelles,
URL:
http://portal.unesco.org/culture/fr/ev.php-
URL_ID=12762&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html (page consultée le 5 août)
179
180
181
Ley General de Cultura 397 de 1997, Article 4 (traduit de l'espagnol par nos soins)
Colón Luis Carlos, 2007, Loc. Cit., p.296
Colón Luis Carlos, Ibid, p.302
Charlie WEIBEL
55
A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une
politique du symbole
ainsi été récupérées. Elles illustrent divers aspects sociaux et culturels des habitants de
Bogota, tels que leurs origines, les liens qu'ils maintiennent encore avec leurs terres, les
formes de célébration, les espaces qu'ils habitent, les changements dans la configuration de
la cellule familiale, les modes vestimentaires et les formes de divertissement entre autres.
Au niveau de la Candelaria, on observe également ce mouvement de reconnaissance
des manifestations populaires. Le Plan sur la politique culturelle de la maire locale propose
182
ainsi de « récupérer et institutionnaliser le carnaval de la Candelaria » La décentralisation
favorise cette inclusion des habitants dans la création d'un patrimoine commun:
« L'autonomie accordée aux mairies locales en matière d'identification et de valorisation
du patrimoine est capitale pour donner une véritable portée à l'intention de rendre
aux diverses communautés la responsabilité et le droit d'interpréter et de protéger leur
patrimoine propre. Grâce à cela, on cherche d'abord à établir une stratégie claire pour
multiplier les canaux d'interprétation mais aussi à garantir la construction d'une vision
183
interculturelle. »
En accordant plus de place aux expressions culturelles jusque là déconsidérées, l'État
entend s'affranchir de la hiérarchie culturelle imposée par l'élite jusque là. La politique
culturelle consiste donc ici à dépasser la dichotomie entre « culture haute » et « culture
184
populaire » pour prétendre à l'universalité. Tout comme un président élu par une partie
des électeurs déclare immédiatement qu'il sera la président de tout son peuple, il s'agit pour
l'État de s'approprier toutes les manifestations culturelles du territoire, pour montrer que son
action intéresse toutes les communautés.
Il faut bien comprendre que cette politique ne signifie absolument pas un
désengagement de l'État de la question culturelle. Au contraire, il s'agit d'un conflit dans
lequel l'État s'affirme comme acteur politique incarnant une certaine catégorie de la
population. La politique culturelle se présente dès lors comme:
« Le processus généré quand différents ensembles d'acteurs politiques, marqués par,
et qui incarnent des pratiques et des signifiants culturels différents, entrent en conflit.
Cette définition de la politique culturelle affirme que les pratiques et les signifiants –
particulièrement ceux théorisés comme marginaux, opposants, résiduels, émergeants,
alternatifs et dissidents, entre autres, c'est à dire tout ces groupes conçus par rapport à
un ordre culturel dominant – peuvent être source de processus qui doivent être acceptés
185
comme politique. »
La politique culturelle est politique. L'État représente toujours un intérêt spécifique mais
prétend s'imposer désormais par une stratégie non plus exclusive mais inclusive. Il fait sien
les manifestations culturelles émanent d'autres groupes. Ainsi, ce n'est pas tant en terme
de reconnaissance de la qualité culturelle de ces manifestations que le problème se pose
mais en terme de légitimité des dites manifestations à s'exprimer sur le territoire national.
182
183
Políticas culturales Localidad La Candelaria, Ibid, p.2
Colón Luis Carlos, « Nuevos espacios de representacion: cultura y patrimonio en Bogota » in Bogota: El Renacer de una
Ciudad, Op. Cit., p.307 (traduit de l'espagnol par nos soins)
184
185
Ibid., p.291
Alvarez Sonia, Dagnino Evelina, Escobar Arturo, Cultures of Politics/Politics of Cultures, Revisioning Latin American Social
Movements, Boulder, Col. West-view Press, 1998, p.143-144 (traduit de l'espagnol par nos soins)
56
Charlie WEIBEL
3/ La Candelaria comme moyen
Ainsi, depuis 2004, une vingtaine d'évènements ou activités ont été déclarés « activités
186
d'intérêt culturel », par exemple les marchés aux puces , dont un se situe sur l'Eje
187
Ambiental, ou encore le Festival de la Chicha, la Vida y la Dicha de la Perseverancia , dans
le centre historique populaire. On peut également citer les activités de la Casa de Poesia
188
Silva , dont le siège se trouve dans la Candelaria. Cette reconnaissance est une garantie
de publicité pour ces manifestations qui sont officiellement acceptées par le pouvoir. Mais
les évènements à prétention culturelle qui ne bénéficient pas de ce label ne peuvent pas se
prévaloir de l'accord des autorités en cas de litige et ne bénéficient donc pas de protection.
Cette vision de la politique culturelle comme conflit s'exprime à tous les niveaux et
notamment dans le centre historique où la maire locale observe dans son Plan sur la
politique culturelle:
« Le Conseil Local de la Culture de la Candelaria, conscient de la réalité sociale,
économique, politique et culturelle du pays comprend que les politiques culturelles sont à
la fois une expression des conflits et une alternative de construction de société, entre les
divers acteurs sociaux et culturels, d'autant plus que la Candelaria est un des épicentres
189
artistiques, patrimoniaux et de la diversité »
Cette appropriation par l'État de la diversité des formes culturelles lui permet néanmoins
de parler par la suite de démocratisation de la culture, comme si l'offre provenait du haut:
« Une des principales innovations de la politique de culture citoyenne a été la
démocratisation des services culturels, récréatifs et sportifs qu'offrent les institutions
publiques de la ville. Par là, on n'a pas seulement cherché à élever le niveau culturel de la
population et augmenter les possibilités de divertissement. On a aussi favorisé la tolérance
et le goût pour la diversité. D'un autre côté, le fait de favoriser les activités artistiques,
ludiques et récréatives dans les espaces ouverts a contribué à faire tomber les barrières
190
sociales et culturelles qui empêchent ou gênent la communication entre les citoyens. »
Cette démocratisation se traduit par une massification de mouvements culturels jusque
là tenus comme non nobles grâce notamment à de grands festivals annuels tels que Rock al
Parque, le plus important festival de rock en Amérique latine, et ses dérivés, Jazz al Parque
ou Salsa al Parque.
Cependant, la politique d'inclusion culturelle ne signifie pas tant un contrôle sur l'activité
culturelle en elle-même que sur ce qu'elle représente en terme symbolique. Prenons pour
exemple l'opéra qui est une activité définie comme élitiste. La politique de démocratisation
des activités culturelles a conduit à créer le festival Opera al Parque pour rendre cet art plus
accessible au grand public. Néanmoins, le majestueux Théâtre Colomb, siège traditionnel
de l'opéra en Colombie, situé dans la Candelaria, reste de l'usage exclusif des élites. La
démocratisation de la culture ne signifie donc pas la fin des barrières sociales. On ne peut
omettre le poids de la violence symbolique exercée par les dorures et la façade néoclassique
de cet édifice sur les classes inférieures. D'ailleurs, comme le souligne Bourdieu:
186
187
188
189
Accord 154 du 22 juin 2005
Accord 121 du 24 juin 2004
Accord 225 du 28 juin 2006
Políticas culturales Localidad La Candelaria, Alcaldía de La Localidad La Candelaria, Bogota, 2007, p.1 (traduit de l'espagnol
par nos soins)
190
Londoño Rocio, 2007, Loc. Cit., p.139 (traduit de l'espagnol par nos soins)
Charlie WEIBEL
57
A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une
politique du symbole
“l’espace est un des lieux où le pouvoir s’affirme et s’exerce, et sans doute sous la
191
forme la plus subtile, celle de la violence symbolique, comme violence inaperçue”
A l'heure où les mesures d'ordre socio-économique favorisent de plus en plus
l'homogénéité sociale, la culture reste donc encore un moyen de garantir la supériorité des
élites sur les autres communautés.
3.2.2 Un État vertical
Le traitement de la question sociale en Colombie reste problématique. À la fin des années
1960, on parle de miracle colombien. Le pays connaît des taux de croissance annuels
192
de l'ordre de 6% et la violence des guérillas est marginalisée. Pourtant, cette période
correspond paradoxalement à une aggravation des inégalités économiques. En 1970, les
50% les plus pauvres de la population urbaine ne reçoivent qu'un maigre 16% du total des
193
revenus urbains. Les 10% les plus riches quant à eux en reçoivent plus de 43%. La
situation est encore plus grave à la campagne où deux tiers des paysans colombiens vivent
194
en situation de pauvreté absolue. Comme le souligne Gerard Martin dans son article sur
la réinvention de la chose publique à Bogota, la capitale, à l'image de reste du pays, souffre
195
dans les années 1970 et 1980 du manque « d'institutionnalisation du social ».
La création d'un État vertical qui s'intéresse à toutes les couches de la société et
non plus aux plus aisés est donc un défi important dans la consolidation des institutions.
Les pouvoirs publics doivent s'approprier la question sociale afin de limiter le poids des
institutions paraétatiques qui prolifèrent, Églises mais aussi mouvements guérilleros ou
paramilitaires.
La récupération du centre historique de Bogota peut ainsi être considérée d'un point de
vue symbolique comme l'avènement d'un « État social » comme défini dans l'article 1 de la
196
Constitution de 1991. En effet, une des actions les plus importantes a été la récupération
197
du quartier populaire de El Cartucho
. Or ce projet reste important par l'impact qu'il a
eu sur les consciences en mettant au premier plan les considérations sociales au dépend
des questions de conservation du patrimoine. D'ailleurs, on peut noter que le projet qui avait
officiellement remporté le concours d'architecture pour le parc Tercer Milenio prévoyait la
conservation des principaux bâtiments d'intérêt pour le patrimoine:
191
Bourdieu Pierre, « Effet de lieu » in Bourdieu Pierre (dir.), La Misère du monde, Seuil, Collection Points, Paris, 1993,
p.249-262
192
193
194
Bushnell David, Op . Cit. p.327
Ocampo José Antonio, Historia economica de Colombia, Ed. Bogota, 1987, p.331
Reinhardt Nola, Our daily Bread: The Peasant Question and Family Farming in the Colombian Andes, Berkeley et Los Angeles,
1998, p.130
195
Martin Gerard, 2007, Loc. Cit., p.94
196
197
58
Constitution politica de Colombia, article 1
Voir supra., 2.1.1 Un État bâtisseur
Charlie WEIBEL
3/ La Candelaria comme moyen
« Le centre sera partagé par les bâtiments de conservation architecturale, – où l'on
propose l'installation de l'administration du parc, une bibliothèque, un centre culturel, entre
198
autres – et par le gazon, les arbres et un pont qui reliera les différents espaces internes. »
Cependant, le projet final mené par la maire de Bogota n'a pas tenu compte de ces
propositions. La mise en œuvre a même été confiée à d'autres architectes qui n'ont conservé
que le siège de la Médecine Légale, un édifice sans grand intérêt, construit dans les années
199
1970 et l'ancienne école de Santa Inés qui, elle, a une valeur architecturale. On voit
donc que la préoccupation des autorités dans ce dossier était de donner un signe fort. Son
action se présente comme le refus d'un compromis entre conservation des biens culturels
et question sociale.
Plus largement, elle s'inscrit dans une nouvelle approche théorique du patrimoine. La
Candelaria est désormais présentée comme une ressource économique et non plus comme
une contrainte urbanistique. Il est d'ailleurs intéressant de constater que cette nouvelle
approche du patrimoine culturel n'est pas spécifique au centre historique de Bogota mais
intéresse tout le territoire national comme en témoigne ce document émis conjointement par
le Ministère du Commerce, de l'Industrie et du Tourisme et par le Ministère de la Culture:
« (...) il apparaît nécessaire de penser à l'usage et à la mise à profit de tous ces
espaces, lieux et paysages qui représentent notre patrimoine en tant qu'instruments pour le
développement de l'industrie touristique; en d'autres termes, de la culture comme un moteur
de la croissance économique et comme une composante fondamentale quant il s'agit de
200
donner de la valeur aux destins et de la compétitivité à l'industrie. »
On peut donc en déduire que la promotion de la culture n'est pas une fin en soi pour
les autorités colombiennes. Il s'agit d'abord d'un moyen pour développer l'attractivité du
territoire en valorisant ses atouts. Cette subordination de la conservation du patrimoine à
l'intérêt économique est d'ailleurs confirmée par le mode de gestion des biens de la nation
qui tend à la privatisation. Dans un article du 6 avril 2008, le quotidien El Tiempo révélait que
le Ministère de la Culture envisageait d'établir un système de concessions pour la gestion
des biens culturels au profit d'entreprises privées dans le cadre de la révision de la Loi
Générale de la Culture.
« L'idée est que les compagnies financent et assurent la préservation des biens en
échange de leur usufruit, a expliqué Paula Marcela Moreno, Ministre de la Culture, dans un
entretien à El Tiempo. (...) Elle a affirmé qu'il était impossible à l'État de maintenir de manière
adéquate les 1033 édifices et monument historiques déclarés patrimoine de la nation (sans
201
compter les biens départementaux et municipaux). »
Cette perception du patrimoine comme source de profit conduit à une spécialisation
artificielle du quartier. Il s'agit en fait de forger une identité exagérément culturelle pour
servir le tourisme spécialisé dans ce domaine d'activité. De la conservation des biens de
la nation, on passe ainsi à la promotion de tous types d'activités culturelles parfois sans
rapports avec l'identité historique du quartier. On peut citer la construction récente du Centre
198
199
200
El Tiempo, 5 décembre 1999 (traduit de l'espagnol par nos soins)
Escovar Wilson-White Alberto, Ibid., p. 70
Politica de turismo cultural: identidad y desarrollo competitivo del patrimonio, Ministerio de Comercio, Industria y Turismo
et Ministerio de Cultura, 2007, p.4 (traduit de l'espagnol par nos soins)
201
« En seis meses se definira apoyo de empresa privada a bienes del patrimonio nacional » in journal El Tiempo. 6 avril
2008 (traduit de l'espagnol par nos soins)
Charlie WEIBEL
59
A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une
politique du symbole
culturel Gabriel Garcia Marquez au cœur de la Candelaria, mais également les subventions
accordées aux conteurs de rue.
On assiste donc à une réduction du centre historique à la seule Candelaria au dépend
de tous les quartiers périphérique qui ne bénéficient pas de l'aide de l'État en terme de
protection du patrimoine. Samuel Jaramillo souligne d'ailleurs la différence entre « centre
202
traditionnel » et « centre populaire ».
Le premier est le siège des activités tertiaires
supérieures alors que le second abrite surtout les activités commerciales, ludiques et de
production. Cette division s'explique par l'incompatibilité des règles socio-spatiales entre les
deux secteurs. Le centre populaire se caractérise par son aspect bigarré, le mélange des
activités, l'annonce à haute voix de services et de produits ou la vente ambulante, alors que
ces pratiques sont synonymes de désordre au sein du centre traditionnel.
La Candelaria correspond au centre traditionnel mais le centre populaire abrite lui aussi
des biens de la nation. Pourtant, ils ne font le mesure d'aucune protection. On a parlé de la
203
destruction du quartier Santa Barbara pour construire à la place le projet Nuevo Santafé.
La construction du parc Tercer Milenio en périphérie du centre reste également significative
de cette distinction:
« Encore une fois, comme cela s'était passé avec le quartier Santa Barabara, et malgré
la présence dans les quartiers San Bernardo et Santa Inés d'édifices à valeur architecturale,
comme l'ancien Laboratoire Officiel d'Hygiène (1920-1925) crée par José Maria del Corral
et déclaré monument national par le Décret 2536 du 17 décembre 1993, on a procédé à
la démolition presque totale des bâtiments qui formaient les seize pâtés de maisons du
secteur. Le premier à tomber fut cet édifice, démoli en octobre 1997 sous le prétexte qu'il
« menaçait de tomber en ruine », comme si le reste du patrimoine architectural de ce pays
204
ne menaçait pas lui aussi de tomber en ruine. »
On peut néanmoins questionner l'efficacité de la politique sociale de l'État qui, bien que
volontariste et à fort impact symbolique, n'en reste pas moins limitée dans ses moyens:
« Le problème social qui a conduit à l'époque à la démolition du secteur, s'est déplacé
aux secteurs voisins comme La Favorita ou Los Martires et l'on trouve déjà des lieux
rappelant de façon macabre El Cartucho, dans des secteurs qu'on appelle Cinco Huecos
205
ou El Bronx qui sont appelés à devenir les nouveaux « cartuchos » de ce siècle. »
Le sacrifice d'une partie du patrimoine culturel de Bogota sur l'autel du social témoigne
du renforcement de l'État. Il s'affirme d'abord comme État vertical, en accordant la priorité à
la question sociale sur la conservation du patrimoine, perçu comme une priorité élitiste. Ce
faisant pourtant, il garantie l'hégémonie des élites car ce sont elles qui disposent au final
de la capacité de décision. Cela se traduit d'une part par l'instrumentalisation du culturel à
des fins économiques et d'autre part dans la discrimination envers les quartiers du centre
populaire qui perdent leur patrimoine culturel mais ne gagnent pas nécessairement en
sécurité sociale.
Le troisième élément constitutif de l'État étant le gouvernement, on peut s'interroger
sur la capacité de la Colombie à consolider sa structure dirigeante notamment grâce à la
continuité des politiques.
202
203
204
205
60
Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.11
Voir supra., 3.1.2. La rénovation autocrate
Escovar Wilson-White Alberto, 2007, Loc. Cit., p.67 (traduit de l'espagnol par nos soins)
Ibid., p.70 (traduit de l'espagnol par nos soins)
Charlie WEIBEL
3/ La Candelaria comme moyen
3.3 Du gouvernement à l'État
En 2004, la Colombie a été le dernier pays latino-américain à adopter la réélection
immédiate du Président. Cela tient essentiellement à la peur qu'un trop long mandat
206
exécutif ne favorise les tentations autoritaires de la part des gouvernants. La Colombie
s'enorgueillit d'ailleurs d'être le seul pays important de la région à ne pas avoir connu de
dictature.
La nécessité de renouvellement comme gage de la démocratie a pourtant conduit à
une absence cruelle de continuité entre les titulaires du pouvoir. En Colombie, on parle non
pas de politique d'État mais de politique de gouvernement. La cohérence et la pérennité
des mesures reconnues comme efficaces est donc un enjeu essentiel pour assurer le rôle
dirigeant de l'État.
3.3.1 L'enjeu de la continuité
Bien que nous ayons signalé l'enjeu de la réforme constitutionnelle de 2004 qui a mené à
la réélection du Président Uribe, le changement significatif se situe davantage au niveau de
la maire de Bogota. On peut d'abord noter deux mesures d'ordre structurel qui favorisent
une planification plus efficace: d'abord, l'introduction de l'élection populaire des maires à
partir de 1988 et confirmée par la Constitution de 1991 et ensuite l'allongement progressif du
mandat de l'executif municipal, de deux ans en 1988 à trois en 1991 puis quatre à partir de
2004. Ces deux mesures ont « contribué à améliorer les conditions pour une gestion locale
207
moins ad hoc, plus cohérente et responsable. » Elles ont surtout permis de créer un lien
entre le poste et l'individu qui l'occupait. La maire de Bogota a ainsi cessé d'être considéré
comme un poste honorifique et médiatique dont l'usage était avant tout personnel. Rogelio
Salmona rappelle qu'il y a vingtaine d'années:
« ceux qui arrivaient à la maire l'utilisaient comme un tremplin pour accéder à la
Présidence de la République, obtenir certains postes, avoir certains avantages, mais ils ne
faisaient pas un ville parce qu'ils n'étaient pas préparés, ce qui est la pire chose qui puisse
208
arriver, pour affronter les problèmes de la capitale du pays. »
Ce contexte a favorisé l'émergence d'une nouvelle génération de maires qui ont
réinventé la gestion publique chacun à leur manière mais en se basant sur un certain
209
nombre de principes communs. Ils ont d'abord utilisé avec intelligence les nouveaux
instruments offerts par la Constitution de 1991, notamment en termes de décentralisation.
Jaime Castro (1992-1994) en tant que membre de l'Assemblée Constituante, chargé du
thème urbain et municipal, a favorisé l'inscription dans la Charte de mesures telles que
l'obligation de formulation des « Plans de développement et de mise en ordre territorial »
que tous les dirigeants municipaux ont ensuite utilisés. Il a également favorisé la création
d'un District Capital qui accorde une plus grande autonomie administrative à Bogota ainsi
206
207
Carey John, The Reelection Debate in Latin America, Latin American Politics and Society, Primavera, 2003, p.127
Martin Gerard, 2007, Loc. Cit., p.95 (traduit de l'espagnol par nos soins)
208
209
« Entrevista a Rogelio Salmona », Loc. Cit., p.190
Martin Gerard, Ibid., p.96
Charlie WEIBEL
61
A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une
politique du symbole
que l'adoption d'un nouveau Statut Organique
réforme constitutionnelle.
210
pour la ville qui consolide les acquis de la
Un second aspect commun à ces nouveaux maires est leur rejet commun des
explications traditionnelles de la crise, qu'on présentait alors comme un ensemble de
phénomènes structurels ou externes à Bogota. Castro, Mockus et Peñalosa ont tous
trois décidé de s'attaquer aux causes institutionnelles de la crise, bien réelles mais trop
souvent éludées par les administrations précédentes. Surtout, ils ont fait en sorte que
les raisons de la crise deviennent intelligibles pour la population en proposant une vision
centrée sur certains principes transversaux qui réapparaissent toujours dans leurs discours:
décentralisation et transparence pour Castro, culture citoyenne et vie sacrée pour Mockus,
211
mobilité et espace public de qualité pour Peñalosa.
Ils ont également en commun d'avoir placé les Bogotanais devant leur responsabilité
face à la ville. Dans la gestion de la ville mais aussi dans le discours, on retrouve cette
priorité accordée à l'intégration de l'État et de la société civile. On peut ainsi interpréter la
212
campagne « 110% avec Bogota » de Mockus comme une invitation faite aux citoyens à
apporter davantage dans le but de contribuer eux aussi à une plus grande efficacité de la
gestion publique.
Un quatrième élément significatif qu'on peut observer est la dimension intégrale
des nouvelles politiques de régulation et d'institutionnalisation. Cette dimension se déclin
d'abord dans la prétention des nouveaux maires à appliquer leurs réformes sur tout le
territoire du district capital et même au delà grâce à la définition progressive des limites
d'une sorte de communauté urbaine de Bogota. Le caractère intégral de ces politiques
se retrouve également dans l'ampleur des réformes qui intéressent tous les domaines de
l'action politique, de la politique fiscale, à la sécurité en passant bien sûr par le patrimoine.
Autre axe central chez tous les nouveaux maires, la transparence dans la gestion
publique a eu à Bogota des implications concrètes. Une quinzaine d'observatoires ont
ainsi été crées pour recueillir et publier des données statistiques qui guident les actions
des autorités et permettent aux citoyens de juger de l'efficacité des politiques publiques
notamment grâce à la diffusion de ces chiffres sur les pages internet de ces entités. On peut
citer par exemple le Système Unifié d'Information sur la Violence et la Délinquance (SUIVD)
ou la banque de données qui répertorie les quelques 4700 parcs que compte la ville.
Enfin, un sixième et dernier point qui mérite d'être souligné est l'approche plus
démocratique de la question des inégalités sociales. La tendance jusqu'alors consistait
à aborder la ville en terme de strates (riches et pauvres) ou en fonction de problèmes
structurels (l'informalité, le chômage, etc.) Les nouvelles administrations mettent en avant
l'individu en reconnaissant à chaque citoyen le droit à un accès équitable aux services
213
publics de qualité. En résumé, et pour reprendre les mots de l'initiateur de ce mouvement,
Jaime Castro:
« (...) conjointement, l'administration et les citoyens ont décidé d'emmener (la ville) vers
l'avant. L'administration parce que, grâce à la gouvernance qu'a récupérée le District, elle
a commencé à faire ce qu'elle devait faire et qu'elle n'avait pas fait durant longtemps. Et
les citoyens ont décidé de mettre la main à la pâte en faveur de la maison de tous (les
210
211
212
213
62
Estatuto Organico de Bogota, Decreto-Ley de la Nacion N°1421 de 1993
Martin Gerard, 2007, Loc. Cit., p.98
Voir Supra., 2.3.1. La participation institutionnalisée
Martin Gerard, Ibid., p.97
Charlie WEIBEL
3/ La Candelaria comme moyen
piétons ont fait preuve de culture citoyenne, les contribuables ont payé leurs impôts, les
entrepreneurs ont investi, les touristes sont arrivés, les chercheurs ont conçu de nouvelles
formules pour s'améliorer). Les plans et programmes de gouvernement deviennent des
politiques d'État quand ils s'institutionnalisent, c'est à dire quand ils deviennent des normes
– accords, décrets, lois ou textes constitutionnels – qu'on promulgue avec l'idée qu'elles
214
perdureront au-delà du mandat d'un maire, d'un gouverneur ou d'un président. »
La continuité des politiques est souvent désignée par les principes de « construire sur
le construit » ou « continuité créative ». Mockus (1995-1997 et 2001-2003) et Peñalosa
(1998-2000) en particulier se respectaient beaucoup et ont construit leurs politiques en
s'appuyant sur les succès de leur prédécesseur. On peut noter par exemple que le soussecrétaire pour la Sécurité et la Convivencia, Hugo Acero, est resté à son poste durant les
trois administrations Mockus-Peñalosa-Mockus, soit de 1995 à 2003. On a ainsi démontré
que la pratique de la table rase à chaque nouvelle administration était néfaste à la gestion
de villes de plus en plus grandes et complexes. D'ailleurs l'initiative prise par Luis Eduardo
Garzon (2004-2007) de remplacer les fonctionnaires techniques au début de son mandat
a entraîné dans un premier temps une chute significative de la qualité de gestion de la
ville. Au début de son mandat, il a été durement critiqué pour avoir introduit de nouveaux
programmes qui ne prenaient pas nécessairement en compte les succès passés, par
exemple en matière de sécurité dans l'espace public. De fait, en 2004, les indices de
criminalité sont reparti à la hausse et on estime que 23% de l'espace public qui avait été
récupéré a été de nouveau envahi par le secteur informel. Par conséquent, il a été contraint
de reprendre les politiques initiées avant son arrivée à la maire de Bogota.
215
En matière d'urbanisme, la loi de 1997 inclue ce principe de continuité. On souligne
ainsi que les actions étatiques doivent s'inscrire dans des stratégies d'ensemble qui
prennent en compte plusieurs facteurs du développement urbain et avoir un horizon
stratégique. Sans retomber dans les excès de la planification urbaine technocratique des
années 1950 à 1970, on prend donc définitivement ses distances d'avec l'urbanisme
postmoderniste qui considère que les interventions ponctuelles et subordonnées au marché
constituent la seule ligne d'action valable. C'est pourquoi le Plan de Mise en Ordre Territorial
216
(POT) adopté en 2000 court jusqu'en 2010.
Cette continuité s'avère un axe déterminant dans les politiques de récupération du
centre historique, ne serait-ce que dans l'importance de conserver un patrimoine sans cesse
menacé par les assauts du temps. Mais on peut aussi souligner l'intérêt intemporel de l'État
pour l'appropriation d'un patrimoine qui n'est pas seulement un ici et maintenant.
3.3.2 Symbolique de la temporalité
La Candelaria, en tant que centre historique de Bogota et de la Colombie s'inscrit non
seulement dans l'espace mais aussi dans le temps. L'architecture coloniale de ses rues
interpelle le visiteur par son originalité dans le contexte de la ville moderne mais fait
également appel à sa capacité de représentation de la durée. Cette édification de la
214
« Bogota, ciudad anfitriona: entrevista con Jaime Castro » in revista Habitar, XX Bienal colombiana de arquitectura, 2006,
p.57
215
216
Jaramillo Samuel, 2006, Loc. Cit., p.24
Voir Supra., 1.3.2 Un jugement retrospectif à portée hégémonique
Charlie WEIBEL
63
A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une
politique du symbole
temporalité constitue un capital politique important pour l'État qui cherche à se consolider
par la continuité.
217
L'architecture a une portée symbolique car elle « donne à voir le lien social » . Elle
médiatise le rapport entre l'utilisateur et le bâtisseur et joue sur la dimension imposante de
la construction pour souligner le rapport de force en jeu. En d'autres termes, elle réifie la
domination:
« Contrairement aux formes plus modestes et plus éphémères de marquage (de
l'espace) (tags, affiches, rassemblements des corps…) le marquage architectural nous
218
renvoie nettement du côté du pouvoir »
219
Le pouvoir se met en scène à travers la construction d'édifices de prestige. Ainsi,
sur la Place de Bolivar on trouve au nord le Palais de Justice, reconstruit en 1989, quatre
ans après la destruction du précédent bâtiment lors de la célèbre attaque du mouvement
guérillero M-19. Le Capitole National, siège du Parlement inauguré en 1926, couvre tout le
bord sud de la place. Il a été dessiné par Thomas Reed, un architecte danois dans un style
néoclassique. La maire de Bogota, se situe, elle, sur le flanc ouest, dans le Palais Liévano,
de style renaissance construit par le français Gaston Lelarge. La Cathédrale Primatiale de
Colombie, construite entre 1807 et 1823, domine, elle, la partie orientale de la place. Mais
le pouvoir est également le commanditaire des logements des classes populaires. On l'a vu
dans le cas de la politique de construction d'habitations hygiéniques après la grande grippe
220
de 1918, née dans les quartiers populaires du centre historique :
« ces constructions expriment alors le point de vue des architectes et des
commanditaires sur ces classes sociales et sur l’organisation sociale en général. »
221
L'architecture est l'espace du temps. En cela, elle est un instrument du pouvoir car
elle l'inscrit dans la durée. Les élites s'intéressent donc avant tout à l'architecture comme
instrument de formalisation de la continuité de leur domination dans les sphères publique et
privée. Cet objectif prime sur la vocation esthétique et utilitaire de l'architecture. Ainsi, outre
les fastes des grands édifices publics et l'imposition hégémonique de nouveaux modes de
vie par l'uniformisation des modes d'habitation, l'État cherche à assurer son rôle dirigeant
sur le long terme.
La production architecturale permet d'établir un rapport de force mais c'est dans la
222
patrimonialisation du construit que le pouvoir assure la continuité de son pouvoir.
« Faire reconnaître un patrimoine consiste en effet à réinjecter du sens dans un édifice
qui a généralement perdu ses fonctions d’origine et dont la désaffectation remet en cause
223
la pérennité. »
217
218
Frémont A., Chevalier J., Hérin R., Renard J., 1984, Géographie sociale, Paris, Masson, p.116
Veschambre Vincent, Appropriation et marquage symbolique de l'espace: quelques éléments de réflexion, Carta – Université
d'Angers, ESO – UMR 6590 CNRS, 2005, p.75 URL: http://carta.in2p3.fr/travaux.htm (page consultée le 14 août 2008)
219
220
221
222
Ibid., p.75
Voir Supra., 1.2.2 Mixité sociale et inégalités
Veschambre Vincent, Ibid., p. 75
Veschambre Vincent, « Patrimonialisation et enjeux politiques: les édifices Le Corbusier à Firminy », in Patrimoine et
environnement: les territoires du conflit, Norois n°185, 2000
223
64
Veschambre Vincent, 2005, Loc. Cit., p.75
Charlie WEIBEL
3/ La Candelaria comme moyen
Il s'agit donc d'un processus de réinterprétation et de valorisation. Cela ne peut se
comprendre que si l'on considère la relation entre espace et appropriation à travers la
notion de marquage. Pour le Dictionnaire du logement et de l'habitat, « le marquage par
la disposition des objets ou les interventions sur l'espace habité, est l'aspect matériel
le plus important de
l'appropriation ».
224
Une autre définition souligne que « le
225
marquage symbolique de l'espace est destiné à signaler une appropriation ».
La
patrimonialisation constitue donc un nouveau marquage pour deux raisons: d'abord,
on assiste mécaniquement à un phénomène d'association symbolique entre l’édifice
patrimonialisé et le groupe social qui l’a défendu, promu et investi. C'est le marquage
présence. De plus, ce groupe procède généralement à une intervention matérielle pour
226
transformer l'édifice, en le réhabilitant par exemple. C'est la marquage trace.
La
patrimonialisation assure donc la continuité du pouvoir par la réappropriation par l'élite
actuelle des œuvres de l'élite passée.
Le centre historique de Bogota avait perdu sa fonction d'origine de siège de l'élite et
son abandon a bien entraîné la destruction progressive de nombreuses édifices, menaçant
de fait sa survie. La patrimonialisation a donc été le moyen pour l'État de se réapproprier
la Candelaria. Il s'agissait pour lui de redonner du sens à un quartier qui était devenu
essentiellement résidentiel et qui accueillait une population aux revenus moyens ou bas.
La production de trace est à cet égard importante, notamment l'apposition de plaques
commémoratives rappelant l'occurrence d'un fait historique à un endroit déterminé, par
exemple la signature d'un traité ou la naissance d'un personnage célèbre. Ces traces
tendent à délégitimer la présence des habitants actuels en soulignant le fossé culturel qui
existe entre eux et le territoire qu'ils occupent. On leur fait comprendre qu'ils ne sont pas
dignes de leur quartier. De même, on peut interpréter les deux grands projets de rénovation
urbaine que sont le Transmilenio et le parc Tercer Milenio comme d'autres signes destinés
à redonner du sens à la Candelaria. On peut souligner en particulier la portée symbolique
du choix des termes qui incarnent le changement et le progrès. Il s'agit là encore de montrer
que seules les actions de l'État sont capables de faire avancer le quartier. Ces traces
227
correspondent pour Bourdieu de la dimension spatiale de la violence symbolique. Comme
le rappelle Vincent Veschambre:
« De même que toute domination repose sur un travail symbolique de légitimation, toute
forme d’appropriation de l’espace passe par la production (et/ou la destruction) de signes
228
afin de rappeler quel est le pouvoir qui s’exprime et dans le même temps de le légitimer. »
On peut établir un parallèle intéressant avec la construction de la région catalane
en Espagne. En effet, Stéphane Michonneau interprète la politique de restauration de
cathédrale à Barcelone, Tarragone, Gérone ou Lleida à la fin du XIXème siècle comme un
moyen pour les élites locales de consolider leur domination:
« L’appropriation par les élites barcelonaises des espaces symboliques les plus
traditionnels de la ville leur permet de capter la valeur suprahistorique et socialement
224
225
226
227
228
Ségaud Marion, Brun Jacques, Driant Jean-Claude, Dictionnaire de l'habitat et du logement, A. Colin, Paris, 2002, p.28
Brunet Roger et alii, Les Mots de la Géographie, La Documentation française, Paris, 1992, p.193
Veschambre Vincent, 2005, Loc. Cit., p.75
Bourdieu Pierre, 1993, Loc. Cit.
Veschambre Vincent, 2005, Loc. Cit., p.74
Charlie WEIBEL
65
A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une
politique du symbole
partagée de ses bâtiments. La permanence de l’architecture ancienne est une valeur
229
convoitée par des classes si peu assurées de leur domination sociale et politique. »
La réfection de la façade de la cathédrale de Barcelone est particulièrement significative
de cet effort de réappropriation symbolique. On joue sur une architecture de façade
somptueuse qui traduit le goût des élites pour l'ostentatoire. Mais cette transformation
arbitraire de ce monument traduit surtout la volonté des élites locales de faire de la
cathédrale un témoin de la continuité du pouvoir entre l'époque où la Catalogne jouissait
d'une quasi autonomie jusqu'en 1410 et cette fin de XIXème siècle. Cette ellipse doit servir
de légitimation du pouvoir:
« Les élites barcelonaises, sous prétexte de respect de l’histoire, ont conçu une
cathédrale qui nie l’histoire architecturale du bâtiment, qui efface le temps pour établir un
230
contact improbable avec la Catalogne médiévale. »
La récupération sélective de la Candelaria permet donc à la classe dominante de
capter la charge symbolique de ce quartier. La notion de centralité invite à considérer
l'espace qui l'entoure. De même, l'inscription de ce territoire dans le temps par le qualificatif
« historique » appelle à une réflexion inconsciente sur la durée de la production humaine.
La Candelaria transcende donc sa condition de hic et nunc, de ici et maintenant. C'est cette
valeur de continuité à la fois spatiale et temporelle qui fait tant défaut à l'État colombien.
On peut donc interpréter la politique de récupération du centre historique comme un
processus d'appropriation des connotations inconscientes associées au centre dans un but
de consolidation de l'État.
229
Michonneau Stéphane, «Barcelone 1900-1910 : la construction d’un espace symbolique», in Rives nord-méditerranéennes,
Patrimoine et politiques urbaines en Méditerranée, 2003 (mis en ligne en 2005), URL :
(page consultée le 14 août 2008)
230
66
Michonneau Stéphane, Ibid.
Charlie WEIBEL
http://rives.revues.org/document438.html
Conclusion
Conclusion
La politique culturelle est elle un instrument efficace pour renforcer le pouvoir de l'élite?
Les élites semblent en tout cas avoir privilégié cette voie. Le discours sur le déclin du
centre représente clairement l'intérêt de ce secteur de la population. Les normes et valeurs
attachées au concept de déclin du centre historique émanent de la bourgeoisie. L'État qui
diffuse ce message, notamment à travers ses appareils d'hégémonie comme l'école, génère
bien un processus de politique culturelle pour s'imposer aux groupes sociaux qu'il souhaite
dominer.
Cette politique culturelle est utilisée comme instrument de domination. Elle est la base
idéologique de la domination des élites. La politique de récupération du centre historique
ne peut être comprise qu'à la lumière de cette affirmation. Les grands travaux reflètent
le pouvoir de l'organisation sociale et traduisent le but vers lequel cette organisation se
doit d'aller. De même, la diffusion des valeurs de l'élite, grâce à la politique de culture
citoyenne, fonctionne comme un code de conduite pour la vie en société. Les deux principes
fondamentaux sont donc la participation et le progrès.
Grâce à cette politique, l'élite consolide son instrument de domination à savoir l'État. La
transformation du tissu social qu'a connue Bogota a mis à mal la domination traditionnelle
de « ceux de la place ». La crise de gouvernance de la deuxième moitié du XXème siècle
traduit de fait cette absence d'hégémonie. La ville était devenue anormée car les habitants
ne reconnaissaient plus la légitimité de la domination de cette catégorie restreinte de la
population.
Dans ce sens, la consolidation de l'appareil étatique traduit la nouvelle stratégie de
l'élite qui cherche désormais une domination indirecte par le biais de l'État. Celui-ci prétend
à l'universalité. En cela il constitue un outil de domination intéressant. L'élite n'ayant plus
les moyens de s'imposer par son seul poids social, elle doit institutionnaliser son pouvoir.
Elle médiatise son pouvoir.
La réaffirmation du pouvoir de l'élite passe donc par la consolidation de l'État. La
politique culturelle est un instrument privilégiée dans ce processus car c'est elle qui permet à
l'élite de représenter son action. Ainsi, la destruction de quelques maisons dans El Cartucho
devient synonyme d'un État volontaire et qui refuse les zones de non-droit. De même, grâce
à la décentralisation administrative, l'État prétend incarner la diversité des groupes sociaux
présents sur son territoire. Enfin cette politique culturelle donne une cohérence à l'action
des pouvoirs publics et conditionne donc la passage de la politique de gouvernement à la
politique d'État. Ce n'est donc pas tant l'action menée qui importe mais la façon dont elle est
présentée. En cela la maîtrise de l'appareil étatique et des instruments d'hégémonie dont il
dispose est vital pour assurer la domination d'un groupe social.
La récupération de la Candelaria relève-t-elle, elle aussi, de la politique culturelle de
représentation de l'action? C'est en tout cas un objectif stratégique pour l'élite qui a déployé
là des moyens considérables. Il est donc bien question de la publicité de l'action étatique. Ce
déploiement relève d'une appropriation symbolique. Mais dans le cas du centre historique,
on dont aussi considérer l'appropriation de la charge symbolique que portent ses murs. Le
centre historique est le centre de quelque chose et est historique pour un certain groupe
social. La définition des limites du territoire impliqué et de la population qui sent un lien
Charlie WEIBEL
67
A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une
politique du symbole
d'appartenance à ce passé revient à l'État. En cela l'appropriation de la charge symbolique
de l'État relève de la politique culturelle de représentation de l'action.
La récupération de la Candelaria contribue donc à renforcer le pouvoir de l'élite
par la politique culturelle.
Sur la place du Chorro de Quevedo, les habitants regardent leur avenir avec un
mélange d'enthousiasme et de méfiance. Bien sûr cette politique de récupération a eu
des effets très positifs en termes de sécurisation. Le quartier est également plus beau, les
façades sont régulièrement repeintes et les rues sont remarquablement bien entretenues si
l'on compare au reste de la capitale. Les petites rues autrefois perçues comme un handicap
protègent désormais les habitants du trafic autoroutier et font de la Candelaria une enclave
de paix dans la ville. Un luxe.
Le quartier attire des artistes, des étrangers. Les familles aussi viennent s'y promener
le weekend. Alors on parle d'élever les strates pour le paiement des services publics. Il y a
aussi ce projet de Zona C qui voudrait faire de la Candelaria un pôle gastronomique de luxe,
231
à l'image de la Zona G (comme Gourmet) qui existe déjà un peu plus au nord de la ville. La
restructuration du tissu social dans la centre historique est nécessaire à la redynamisation
du quartier. Mais elle tend à se faire au dépend des habitants actuels. Paradoxalement,
l'image des vieilles maisons coloniales était associée jusqu'à peu à l'insoumission et la
Candelaria était un quartier bohème. La réappropriation symbolique de ce quartier accentue
la violence symbolique de ces murs déclarés témoins de la continuité du pouvoir étatique.
La récupération de la Candelaria sert surtout à faire exister la Colombie. En lui trouvant
un centre et une origine valide, l'élite organise sont État. Pays toujours très autocentré et
peu étudié, la Colombie semble hésiter à s'ouvrir sur ce monde qui ne lui demande que
de combattre le trafic de drogue ou de libérer Ingrid Bétancourt. La récupération de la
Candelaria et la renaissance de Bogota sont, en dehors de toute considération politique ou
sociologique, une belle réussite pour ce pays. Ce modèle est étudié à Medellin, Pereira,
Pasto, Manizales mais aussi à Cap Town en Afrique du Sud et à Mexico. Cela valait bien
un mémoire.
231
68
« La Candelaria ahora es oficialmente la Zona C »in El Tiempo, 8 décembre 2007
Charlie WEIBEL
Bibliographie
Bibliographie
Ouvrages
Alvarez Sonia, Dagnino Evelina, Escobar Arturo, Cultures of Politics/Politics of Cultures,
Revisioning Latin American Social Movements, Boulder, Westview Press, 1998, 480
p.
Bergquist Charles W., Cafe y conflicto en Colombia 1886-1910 (La Guerra de los Mil
Dias : sus antecedentes y consecuencias, Medellin, FAES, 1981, 328 p.
Brunet Roger et alii, Les Mots de la Géographie, La Documentation française, Paris,
1992, 470 p.
Bushnell David, Colombia : una nacion a pesar de si misma. De los tiempos
precolombinos a nuestros dias, Bogota, Planeta Colombiana Editorial, 1996, 432 p.
Cuéllar Marcela, Delgadillo Hugo, Escovar Alberto, Gaston Lelarge: itinerario de
su obra en Colombia, Bogota, Planeta Colombiana Editorial et Corporacion La
Candelaria, 2006, 130 p.
Durkheim Emile, De la Division du Travail social, Paris, PUF, 2004, 416 p.
Escovar Wilson-White Alberto, Mariño von Hildebrand Margarita, Peña Iguavita César
Augusto, Atlas historico de Bogota: 1538-1910, Bogota, Planeta Colombiana Editorial
et Corporacion La Candelaria, 2004, 566 p.
Escovar Wilson-White Alberto, Mariño von Hildebrand Margarita, Guia del Cementerio
Central: elipse central, Bogota, Alcaldia Mayor et Corporacion La Candelaria, 2003,
218 p.
Frémont A., Chevalier J., Hérin R., Renard J., Géographie sociale, Paris, Masson,
1984, 387 p.
Fustel de Coulanges Numa Denys, La cité antique, Paris, Hachette, 1967, 479 p.
Gramsci Antonio, Textes (1917-1934), traduction de Jean Bramon, Gilbert Moget,
Armand Monjo, François Ricci et André Tosel, Paris, Éditions sociales, 1983, 388 p.
Martin Gerard, Escovar Wilson-White Alberto, Martin Marijke, Goossens Maarten (dir.),
Bogota: el renacer de una ciudad, Bogota, Planeta Colombiana Editorial et Instituto
Distrital de Patrimonio Cultural, 2007, 411 p.
Niño Murcia Carlos, Arquitectura y Estado, Bogota, Universidad Nacional de Colombia,
2003, 339 p.
Ocampo José Antonio, Historia economica de Colombia, Bogota, Tercer Mundo
Editores, 1994, 336 p.
Charlie WEIBEL
69
A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une
politique du symbole
Reinhardt Nola, Our daily Bread : The Peasant Question and Family Farming in the
Colombian Andes, Berkeley, University of California Press , 1988, 308 p.
Rojas Eduardo, Volver al Centro. Recuperacion de areas urbanas centrales, Mexico,
Alfaomega-BID, 2004, 312 p.
Ségaud Marion, Brun Jacques, Driant Jean-Claude, Dictionnaire de l'habitat et du
logement, Paris, A. Colin, 2002, 480 p.
Suarez Mayorga Adriana Maria, La ciudad de los elegidos: crecimiento urbano,
jerarquizacion social y poder politico, Bogota (1910-1950), Bogota, Adriana Maria
Suarez Mayorga (Guadalupe imp.), 2006, 229 p.
Weber Max, Le savant et le politique, Traduction J. Freund, E. Fleischmann et É. de
Dampierre, Paris, 10/18, 2002, 221 p.
Articles issus d'ouvrages
Bourdieu Pierre, « Effet de lieu » in Bourdieu Pierre (dir.), La Misère du monde, Paris,
Seuil, 1993, p.159 à 262
Carey John, « The Reelection Debate in Latin America », in Latin American Politics and
Society, Vol. 45. N°1, 2003, p.119 à 133
Colmenares German, « Formas de la conciencia de clase en la Nueva Granada de
1848 (1848-1854) » in Boletin cultural y bibliografico, 9, N°3, 1966
Colón Luis Carlos, « Nuevos espacios de representacion: cultura y patrimonio en
Bogota » in Bogota: el renacer de una ciudad, Bogota, Planeta Colombiana Editorial
et Instituto Distrital de Patrimonio Cultural, 2007, p.291 à 307
Cox Robert W., « Social Forces, States and World Orders : Beyond International
Relations Theory » in Millenium – Journal of International Studies, Vol. 10., N°2,
1981, Londres, p.126 à 155
Escovar Wilson-White Alberto, « Recuperacion del Patrimonio Cultural Construido
(1980-2006) » in Bogota: el renacer de una ciudad, Bogota, Planeta Colombiana
Editorial et Instituto Distrital de Patrimonio Cultural, 2007, p.57 à 79
Jaramillo Samuel, « El Destino del Centro de Bogota » in Desarrollo y Sociedad N°10,
Bogota, CEDE – Uniandes, 1982
Londoño Rocio, « De la cortesia a la cultura ciudadana » in Bogota: el renacer de una
ciudad, Bogota, Planeta Colombiana Editorial et Instituto Distrital de Patrimonio
Cultural, 2007, p.131 à 149
Martin Gerard, « La reinvencion de lo publico en Bogota » in Bogota: el renacer de
una ciudad, Bogota, Planeta Colombiana Editorial et Instituto Distrital de Patrimonio
Cultural, 2007, p.93 à 109
Montezuma Ricardo, « Del problema del transporte a la movilidad » in Bogota: el
renacer de una ciudad, Bogota, Planeta Colombiana Editorial et Instituto Distrital de
Patrimonio Cultural, 2007, p.167 à 181
70
Charlie WEIBEL
Bibliographie
Müller Jan Marco, « Centro historico versus periferia urbana » in Ambiente N°94,
Buenos Aires, 2004
Noguera Carlos Ernesto, « La higiene como politica. Barrios obreros y dispositivo
higienico: Bogota y Medellin a comienzos del siglo XX » in Anuario Colombiano de
Historia Social y de la Cultura, Vol. 25, Bogota, Universidad Nacional de Colombia,
1998, p.188 à 215
Ortiz Vargas Alfredo, « Santa Fe y Bogota » in Registro Municipal, Tome V, Bogota,
Imprenta municipal, 1935
Peñaranda Claudia Helena, Miranda Ruiz Leonel Alberto, « Desmarginalizacion e
inclusion social » in Bogota: el renacer de una ciudad, Bogota, Planeta Colombiana
Editorial et Instituto Distrital de Patrimonio Cultural, 2007, p.251 à 269
« Entrevista a Rogelio Salmona » in Bogota: el renacer de una ciudad, Bogota, Planeta
Colombiana Editorial et Instituto Distrital de Patrimonio Cultural, 2007, p.189 à 197
Veschambre Vincent, « Patrimonialisation et enjeux politiques: les édifices Le Corbusier
à Firminy », in Patrimoine et environnement: les territoires du conflit, Norois n°185,
2000
Textes officiels
Constitucion politica de Colombia, 1991, 276 p.
Ley General de Cultura 397 de 1997
Décret 619 de 2000, Article 299, Intervention de l'administration Publique qui crée le
Comité Distrital de Rénovation Urbaine
Décret 619 de 2000 Article 310, Plan Spécial pour la Récupération du Centre Historique
Estatuto Organico de Bogota, Decreto-Ley de la Nacion N°1421 de 1993
Accord 154 du 22 juin 2005, “Por el cual se declara actividad de interés cultural los
“mercados de las pulgas” que se realizan en Bogota”.
Accord 121 du 24 juin 2004, “Por el cual se establece el Festival de la Chicha, la Vida y
la Dicha de La Perserverancia como evento de intéres cultural de Bogota D.C.”.
Accord 225 du 28 juin 2006, “Por medio del cual se declaran de intéres cultural las
actividades culturales de la Casa de Poesia Silva”.
Políticas culturales, Localidad La Candelaria, Alcaldía local de La Candelaria, Bogota,
2007, 2 p.
Accord local 5 de 2001 « Par lequel est adopté le Plan de Développement,
Economique, Social et de Travaux publics » pour la Localité 17 de La Candelaria,
période 2002-2004 « Candelaria para la Convivencia », Article 1, Junta
Administradora Local de La Candelaria
Politica de turismo cultural: identidad y desarrollo competitivo del patrimonio, Ministerio
de Comercio, Industria y Turismo et Ministerio de Cultura, 2007, 29 p.
Charlie WEIBEL
71
A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une
politique du symbole
Bicentenario de las Independencias. Colombia. 2010-2019 Una Historia con Futuro.
Reflexion del pais para celebrar la democracia, Ministerio de Cultura, Bogota, 2008,
11 p.
Departamento Administrativo de Planeacion Distrital, Plan Maestro de Espacio Publico,
Alcaldia Mayor de Bogota, 2004
Rapports et compte rendus
Alcaldia Mayor de Bogota, « Formar Ciudad, 1995-1997 », balance de los proyectos
y acciones de la Administracion presidida por los alcaldes Antanas Mockus
(1995-1996) y Paul Bromberg (1996-1997), Bogota, Alcaldia Mayor de Bogota D.C.
Alcaldia Mayor de Bogota, « La escuela se aproprio de la ciudad » in Boletin mensual
de la Secretaria de Educacion Distrital Via educativa, Alcaldia Mayor de Bogota D.C.,
Novembre 2007
Arenas Maria Consuelo, Comisaria de Familia, in Monografia de seguridad y
convivencia para la Localidad 17: La Candelaria, Bogota, Alcaldia Mayor de Bogota
et Universidad del Rosario, 2003
Carrión Fernando, Centros historicos y pobreza enAmerica Latina, Quito, BID, 2003, 50
p.
Carrizosa Claudia, « Alta cirugia en el corazon de Bogota » (entretien) in Revista
Proyecto Diseño n°18, Bogota, 2000
Carvajal Eduardo, « Discurso pronunciado el 18 de noviembre ante los obreros de
Bogota » in Junta de Socorros de Bogota. Epidemia de Gripe: octubre y noviembre
de 1918, Bogota, Ed. Arboleds y Valencia, 1918
Centro Habitat Urbano, Promocion de la Candelaria como Distrto Turistico, Camara de
Comercio de Bogota, 2007, 57 p.
Hernandez Hernandez Clara Maria, maire de la Localité de La Candelaria, in
Monografia de seguridad y convivencia para la Localidad 17: La Candelaria, Bogota,
Alcaldia Mayor de Bogota et Universidad del Rosario, 2003
Instituto Distrital de Cultura y Turismo, « Noche de las Mujeres 2001 », Bogota, Mars
2002
« Bogota, ciudad anfitriona: entrevista con Jaime Castro » in revista Habitar, Bogota,
XX Bienal colombiana de arquitectura, 2006
Ministerio de Relaciones Exteriores, « Adopte un Parque! » in Catalogue de l'exposition
« Bogota: El renacer de una ciudad », Ministerio de Relaciones Exteriores, Bogota
Sin Indiferencia, Corporacion La Candelaria, p.17
Ministerio de Relaciones Exteriores, « La Avenida Jiménez » in Catalogue de
l'exposition « Bogota: El renacer de una ciudad », Ministerio de Relaciones
Exteriores, Bogota Sin Indiferencia, Corporacion La Candelaria, p.15
72
Charlie WEIBEL
Bibliographie
Ministerio de Relaciones Exteriores, « Planeacion con participacion ciudadana »
in Catalogue de l'exposition « Bogota: El renacer de una ciudad », Ministerio de
Relaciones Exteriores, Bogota Sin Indiferencia, Corporacion La Candelaria, p.12
Mosquera Gilma, « El Fin de la Vergüenza » in Revista Semana, Bogota, 22 décembre
2003
Peñalosa Enrique, « Bogota viva: la Bogota del tercer milenio. Historia de una
revolucion urbana », Bogota, Alcaldia Mayor de Bogota, 2000
Pizano Olga, Ibel Pinzon Rosa, Salazar Camilo, « Recuperacion espacial de la
avenida Jiménez y el parque Santander », Universidad de los Andes et Banco de la
Républica, Bogota, 1998
« Plan Zonal del Centro de Bogota » in Revista Preinversion, Bogota, Fonade, 1988
« Reencuéntrate: un compromiso por la Candelaria » in Revue Proa n°438, Bogota,
janvier 1998
Saenz Javier, La cultura ciudadana: una pedagogia para la democracia, la civilidad,
la seguridad, la comunicacion y el disfrute, vol. II, Memorias de la Administracion
Distrital 2001-2003, Bogota, 2003
Sanchez Carmen Adela, Unidad de Mediacion y Conciliacion, in Monografia de
seguridad y convivencia para la Localidad 17: La Candelaria, Bogota, Alcaldia Mayor
de Bogota et Universidad del Rosario, 2003
Secretaria de Gobierno del Distrito Capital, Monografia de seguridad y convivencia para
la Localidad 17: La Candelaria, Bogota, Alcaldia Mayor de Bogota et Universidad del
Rosario, 2003
Ulloa Rodolfo, Discours pour la présentation du concours d'architecture convoqué
par la maire de Bogota et la Société Colombienne des Architectes, « Concours
d'architecture pour la présentation d'idées en vue de l'élaboration du projet
architectural et dessin paysagiste du parc Tercer Milenio à Santafé de Bogota »
Valencia Leon, in Monografia de seguridad y convivencia para la Localidad 17: La
Candelaria, Bogota, Alcaldia Mayor de Bogota et Universidad del Rosario, 2003
Presse
El Tiempo, 5 décembre 1999
« La Candelaria ahora es oficialmente la Zona C »in El Tiempo, 8 décembre 2007
« En seis meses se definira apoyo de empresa privada a bienes del patrimonio
nacional » in periodico El Tiempo, 6 avril 2008
56Ariza Alberto, in El Catolicismo, Bogota, 2 août 1946, p.6
Documents issus d'Internet
Charlie WEIBEL
73
A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une
politique du symbole
Alcaldia de Bogota, Descripcion Geografica o Fisica, URL : <http://www.bogota.gov.co/
portel/libreria/php/frame_detalle.php?h_id=357&patron=01.0101>, (page consultée le
13 août 2008)
Alcaldia de Bogota, La Candelaria : Localidad 17, URL : <http://www.bogota.gov.co/
decide.php?patron=1.090717>, (page consultée le 13 août 2008)
Centro de Estudios y Analisis en Convivencia y Seguridad Ciudadana, Informe para
la Localidad 17 La Candelaria,, 2007, URL: <http://www.ceacsc.gov.co/index.php?
option=com_content&task=view&id=151&Itemid=195>, (page consultée le 1 août
2008)
Departamento Administrativo Nacional de Estadistica, Censo 2005, URL : <http://
www.dane.gov.co/censo/>, (page consultée le 13 août 2008)
Institut Bogotá como vamos, Ipsos, Bogota, Informe 2007, URL : <http://
www.bogotacomovamos.org/scripts/home.php>, (page consultée le 6 août 2008)
Jaramillo Samuel, Reflexiones sobre las politicas de recuperacion del centro
(y del centro historico) de Bogota, CEDE – Uniandes, 2006, URL : <http://
economia.uniandes.edu.co/documentocede2006-40.htm>, (page consultée le 17
juillet 2008)
Michonneau Stéphane, «Barcelone 1900-1910 : la construction d’un espace
symbolique», in Rives nord-méditerranéennes, Patrimoine et politiques urbaines
en Méditerranée, 2003 (mis en ligne en 2005), URL : <http://rives.revues.org/
document438.html>, (page consultée le 14 août 2008)
Pailhé Joël, « Références marxistes, empreintes marxiennes, géographie française »,
Géocarrefour, Vol. 78/1, 2003 (mis en ligne le 29 mai 2007), URL : <http ://
geocarrefour.revues.org//index102.html>, (page consultée le 15 août 2008)
Secrétariat Districtal de Planification, Plan 1995-1998 Formar Ciudad, URL : <http://
www.sdp.gov.co/www/section-2094.jsp>, (page consultée le 5 août 2008)
UNESCO, Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles,
1982 URL : <http://portal.unesco.org/culture/fr/ev.phpURL_ID=12762&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html>, (page consultée
le 5 août)
Universidad Nacional de Colombia, Red Bogota, Demografia Localidad 17, Candelaria,
URL : <http://redbogota.com/lopublico/secciones/localidades/candelaria/
demografia.htm>, (page consultée le 3 août)
Veschambre Vincent, Appropriation et marquage symbolique de l'espace: quelques
éléments de réflexion, Carta – Université d'Angers, ESO – UMR 6590 CNRS, 2005,
URL : <http://carta.in2p3.fr/travaux.htm>, (page consultée le 14 août 2008)
74
Charlie WEIBEL
Annexe
Annexe
Annexe 1
Plan de la Localité No. 17 La Candelaria
Source: Alcaldia Local de La Candelaria.
A consulter sur place au Centre de Documentation Contemporaine de l'Institut
d'Etudes Politiques de Lyon
Annexe 2
Bicentenario de las Independencias, Colombia 2010-2019, Una Historia con Futuro,
Reflexion del pais para celebrar la democracia,
Bogota, Ministerio de Cultura, 2008
EL ASUNTO
En 1872 se dio un curioso debate entre Miguel Antonio Caro y José María Quijano
Otero. El primero afirmó que la celebración de la independencia debía ser el 16 de julio
de cada año, pues en ese día del año 1813 Cundinamarca proclamó su independencia de
España; Quijano Otero, por el contrario, defendió como tesis, apoyado ya en la tradición,
que la celebración debía ser el 20 de julio, en conmemoración de los sucesos de 1810
ocurridos en Santafé. Este último se impuso y así los que lo seguían, especialmente en el
Congreso de la Unión, pues aprobaron la ley Nº 2854 de 16 de mayo de 1873, por la cual
232
se declaró el 20 de julio como aniversario de la Independencia nacional.
Del párrafo anterior, tres asuntos llaman de inmediato la atención: primero, que se
quisiera proponer la fecha correspondiente a Cundinamarca como la de la celebración de
la fiesta nacional; igualmente, el 20 de julio en sus orígenes hace relación a un hecho local,
de allí que fuera impugnado por muchas otras localidades en los años iniciales de nuestra
vida republicana; segundo, la tradición, esto es, el hecho de que para 1873 ya se hubiera
generalizado en muchos lugares de la nación la celebración de esta fecha como fiesta
patria; tercero, no tanto la necesidad de una ley para establecer tal día como una fiesta
nacional, lo que de todas formas tarde o temprano debía darse, sino lo tardío de la misma,
1873. En este sentido, la elección del 20 de julio como fiesta nacional fue el resultado de
232
Diaz Piedrahirta Santiago, 20 de julio de 1810, referente obligado y conmemoracion legitima in Academia Colombiana
de Historia, Bicentenario ¿Qué Celebrar?, Bogota, Cuadernos del Bicentenario, comité Bicentenario José Manuel Restrepo, 2007,
p.14-15
Charlie WEIBEL
75
A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une
politique du symbole
una construcción social que tomó varios decenios en tomar forma e imponerse sobre todo
el conjunto del territorio nacional.
Sin duda, la Constitución de 1886 recogió lo que esta dinámica social significó en el
siglo XIX: el triunfo de un estado democrático de claro talante centralista tanto en su forma
de gobernarse como de entender la nación. De esta manera, el país andino y en él, Bogotá,
se convirtió en el núcleo del proyecto civilizador que se desprendió de la carta del 86. El
20 de julio adquirió así el significado que mantuvo vigente hasta los últimos decenios del
siglo XX: la fiesta del centralismo político, del unanimismo ideológico, de la homogeneidad
cultural.
Sin embargo, hoy es constatable que en muchas de las comunidades del país, así
como en sectores de jóvenes, académicos y etnias la celebración del 20 de julio no tiene
la fortaleza que era incuestionable para nuestros padres. El pasado común que resulta
de dicha construcción decimonónica está hoy en cuestión, no porque el 20 de julio sea
una efeméride sin sentido sino porque las raíces de su significado están variando: son
reconocibles hoy otras y debemos estar atentos a esta transformación a riesgo de perder
en su totalidad el valor social de esta fiesta, que se quiere nacional. Por ello, conmemorar
en pluralidad y democracia serán construir una historia con futuro.
LA HISTORIA
En 1910, el primer centenario de la Independencia celebró el progreso. Lo hizo de
una manera que para nosotros resulta peculiar, no así para la generación que la vivió. Los
actos se centraron en Bogotá, sin que esto signifique que no hubo discursos, desfiles e
inauguración de monumentos en muchas ciudades y poblados del país; pero fue sobre todo
la feria exposición realizada en el Parque de la Independencia, en Bogotá, lo que centró
la atención y los esfuerzos del sector público y privado. Y allí, la industria, la agricultura,
las artes y las técnicas fueron elegidas para significar la independencia. Esto es, si nos
independizamos fue para mejorar, entendiendo por esto los triunfos de la Revolución
Industrial y, por supuesto, los de la Revolución de la Unión Americana y de la Francesa.
La Constitución de 1886 fue entendida por la generación de 1910 como el requisito de
esta celebración. Todo lo anterior quedó como una larga, difícil y sangrienta preparación,
incluido por supuesto el violento fin de siglo y sus secuelas sobre Panamá y el régimen
del Quinquenio. La historiografía hizo de este fenómeno el principio para edificar el pasado
que las nuevas generaciones debían aprender, esto es, recordar. En este sentido, todo lo
sucedido con anterioridad a 1886 fue convertido en preparación: los personajes centrales de
la gesta independentista fueron presentados como padres fundadores, acompañados ahora
de nuevos héroes, aquellos que en las guerras civiles dieron su vida en la construcción del
centralismo; el juicio sobre los presidentes anteriores a Núñez se edificó sobre el mismo
principio de contribución a la consolidación del Estado colombiano de 1886. Así quedó
consignado por Henao y Arrubla en su texto de 1910. Este nuevo pasado se acompañó de
una liturgia civil, los actos del 20 de julio, que se reglamentaron y así se reprodujeron por
décadas en muchas partes del país.
Un siglo más tarde, ese pasado ya no es necesariamente el nuestro y, en especial, el de
nuestros hijos, el de las nuevas generaciones. Este fenómeno, en términos historiográficos,
poco tiene de extraño. Es hoy aceptado que con alguna frecuencia una nueva generación
hace sus propias preguntas y realiza, por lo tanto, una lectura diferente de lo que le importa
de ese inmenso océano que es lo acontecido para cada grupo humano. Aunque duró casi
un siglo la interpretación que del pasado se hizo en torno a la Constitución de 1886, lo cierto
es que ya encontramos revisiones en épocas tan tempranas como el decenio de 1930,
76
Charlie WEIBEL
Annexe
para mencionar solo el caso de un gran intelectual como Luís Eduardo Nieto Arteta o los
debates sobre el significado de la Independencia en las páginas del Boletín de Historia y
Antigüedades, decano de las publicaciones históricas colombianas.
Los textos de educación fueron los encargados de mantener como tradición la
perspectiva del pasado colombiano que heredamos de las generaciones de fines del siglo
XIX e inicios del XX. No resulta extraño encontrar, entonces, que los primeros síntomas de
un gran cambio se encuentran precisamente en estos mismos textos. Desde los años 1970,
fueron introducidos libros de historia para la educación secundaria que revisaban lo que se
erigió en verdad a comienzos del siglo XX. Esto rápidamente pasó al nivel básico primario
y, por supuesto, desde antes estaba en debate en la universidad. ¿Qué fue lo diferente?
Hoy podemos argumentar que el movimiento que se gestó de una u otra manera
desde los años 1970 alcanzó una de sus cimas en la Constitución de 1991. De nuevo,
este hecho marcó la necesidad de otorgarle un marco histórico, un pasado, a esta nueva
situación. Grandes sectores de la sociedad no se entendían a sí mismos y a los demás
dentro de los parámetros de la Constitución de 1886. No solo se debía erigir un Estado sobre
fundamentos diferentes, sin negar la herencia pero entendiéndola ahora como patrimonio,
esto es, el capital con el cual erigir la propia vida, sino que se debían responder las
preguntas que ahora interesaban: aquellas que hacen referencia a la descentralización del
Estado y de la política, a la pluralidad ideológica y a la heterogeneidad cultural.
La conmemoración del bicentenario de las Independencias tiene, entonces, como
referente una constitución, pero no es la de 1886. No deja de ser interesante esta
constatación: cada celebración centenaria de los sucesos fundadores de 1810 tiene como
referente inmediato una constitución y es ésta la que informa el contenido de lo celebrado.
La nuestra es la de 1991.
Es desde lo que ella significa para nosotros que debemos llenar de sentido la
efeméride. Así lo hicieron los responsables del primer centenario y así lo debemos hacer
nosotros. De esta manera, lo que nos corresponde es construir nuestra memoria. Esto es,
valorar hoy nuestra diversidad, reconocer lo que hoy nos congrega y celebrar la democracia,
proyecta hacia el mañana el legado de ser colombianos.
EL PROPÓSITO
La conmemoración del bicentenario de las Independencias es una gran celebración de
la democracia. Propósito común realizado durante los últimos doscientos años que seguirá
siendo una empresa colectiva en el futuro como condición de nuestra vida en común.
Esta es una fiesta de todos: nuestra conmemoración de habernos constituido en
comunidad de seres libres, aceptando nuestra responsabilidad ante el otro, pues lo
reconocemos igualmente independiente, esto es, distinto; nuestra conmemoración de
habernos constituido en una nación cuya construcción social encuentra su valor en la
aceptación del otro; nuestra conmemoración de un pasado común, pero reconociendo
ahora que su significado es dinámico y plural; nuestra conmemoración del Estado, al
aceptar que en sus instituciones y reglas de vida se señala el modo de convivir y
consolidar un proyecto colectivo de nación, respetando lo particular; en escencia, nuestra
conmemoración del futuro, que no encuentra otra posibilidad que su despliegue en la
libertad, la comunidad, la convivencia y el patrimonio común.
LOS OBJETIVOS
Tres son los objetivos para la conmemoración de este gran acontecimiento de la nación
colombiana:
Charlie WEIBEL
77
A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une
politique du symbole
1. Integrar a la construcción de nuestra memoria las preguntas actuales sobre lo
acontecido durante últimos doscientos años, y materializar dicha construcción en acciones
que recuperen y acrecienten el patrimonio tangible e intangible de los colombianos.
2. Revitalizar la fiesta cívica como expresión de la ciudadanía en un acto incluyente,
participativo, tolerante y plural, capaz de expresar en la diversidad el gran valor que tiene
ahora, para nosotros, el reconocimiento de lo propio.
3. Fortalecer institucionalmente entidades del sector público dedicadas a la gestión
cultural.
LOS PRINCIPIOS
Los principios que inspiran esta conmemoración, fundados en la Carta de 1991, son
los siguientes:
1. Inclusión. Nuestra celebración de la democracia es incluyente pues acepta el pleno
reconocimiento de los derechos fundamentales de la persona en la sociedad a la que
pertenece.
2. Participación. Nuestra celebración de la democracia es participativa tanto en el
sentido de su dinámica social y cultural como de los actores que forman parte de ella. Si
queremos una fiesta en común, ésta debe convocar a los diversos y mas amplios sectores
de nuestra sociedad y no ser el resultado de la actividad solitaria de una elite que se ve a sí
misma como civilizadora; los actores somos todos, tanto en el pasado como en el presente.
3. Diversidad. Una reflexión de país, basada en la memoria común, que encuentra en
lo regional y en lo local los cimientos de su identidad. La multiculturalidad es el común
denominador de lo colombiano: somos nación porque nos recreamos en lo diverso.
4. Apropiación. Una reflexión de país que no nace del centro sino que invita a todos los
ciudadanos a pensarse como seres que desde su autonomía son capaces de entenderse
como comunidad.
LOS EJES DE ACCIÓN
La organización de la conmemoración bicentenaria incorpora matices regionales y
locales y se promueve desde el Estado para dejar huellas duraderas en el futuro. Los ejes
de acción, desde esta triple perspectiva, son los siguientes:
1. Patrimonial: una propuesta de rescate, conservación y difusión del patrimonio
histórico tangible e intangible de los colombianos.
2. Educativo: la construcción y reconstrucción de sentidos significados y memoria es
objetivo central de la conmemoración, de manera que se revisen los relatos a la luz de la
inclusión social y las contribuciones locales a la historia común, en el marco de los procesos
de aprendizaje.
3. Académico: elaboración de una agenda común, que genere y difunda conocimiento
actualizado y critico relativo al bicentenario, en coordinación con las diferentes instituciones
de investigación, universidades y otras comunidades científicas en el ámbito nacional e
internacional.
4. Comunitario: visibilizar y resaltar el aporte de las diferentes comunidades
campesinas, indígenas y afrocolombianas, entre otras, a la construcción de la nación
colombiana mediante su permanencia ciudadana.
78
Charlie WEIBEL
Annexe
5. Comunicativo: activación de la producción, difusión y distribución de nuevos
contenidos alusivos a la memoria histórica, desde organizaciones y colectivos que
adelantan acciones comunicativas comunitarias.
6. Cultural: articulación del Sistema Nacional de Cultura a la conmemoración del
bicentenario, generando planes de acción específicos para garantizar una amplia y diversa
oferta cultural.
7. Ciencia y tecnología: reconocer el aporte de la actividad científica en la construcción
de la Nación mediante el impulso a la investigación científica, al adelanto tecnológico y a
los programas de desarrollo sostenible.
8. Infraestructura: inscripción de obras civiles de importancia para el bienestar y el
desarrollo de las comunidades, en el programa de la conmemoración del bicentenario.
9. Festivo: Potenciar, mediante una adecuada organización y financiación, las maneras
propias de vivir, conmemorar y disfrutar esta fiesta de la nacionalidad y la democracia.
Estos ejes de acción se encuentran unidos transversalmente por los tres elementos
enunciados y se constituyen en la perspectiva general de la organización de la celebración:
énfasis cuidadoso en lo regional y local; articulación de un programa integral desde el
Estado; y, acciones que garanticen que lo realizado quedará como legado para los futuros
colombianos.
LAS ESTRATEGIAS
De acuerdo con los ejes de acción señalados, las estrategias seleccionadas para
garantizar el cumplimiento de los objetivos son, entonces, los siguientes:
1. Programa común: articular desde el Estado la elaboración de un programa integral
para la conmemoración del bicentenario.
2. Coordinación Interinstitucional: coordinación de objetivos y planes entre las
diferentes instituciones del Estado, en el nivel central y en el territorial.
3. Convocatoria intersectorial: el programa integral surge de una alianza entre los
sectores público y privado, en un enfoque transversal de iniciativas educativas, comerciales,
ambientales industriales y políticas, entre otros.
4. Emprendimiento cultural: desarrollo de programas de turismo cultural tendientes
a lograr que diferentes poblaciones articulen la conmemoración del bicentenario con la
creación y el fortalecimiento de empresas con enfoque cultural.
5. Participación regional y local: invitación a la sociedad civil, por medio de los
diferentes entes territoriales, a participar desde sus particularidades en la conmemoración
del bicentenario, formulando para ello planes específicos en los diferentes ejes de acción.
6. Financiación pública y privada: generación de una bolsa de recursos, alimentada
desde el sector publico y el privado, para la financiación de proyectos estratégicos de alto
impacto social, en el marco de la conmemoración del bicentenario.
7. Cooperación internacional: privilegiar acciones con Estados y organismos
internacionales, con el fin de reforzar los lazos de integración cultural y cooperación para
el desarrollo económico y social.
8. Resignificación de la fiesta: propuesta de una celebración, capaz de expresar
la diferencia a través de elementos simbólicos comunes. En este sentido, actividades
realizadas al mismo tiempo en los diferentes municipios, tales como el gran concierto
Charlie WEIBEL
79
A la recherche du temps perdu : récupération du centre historique de Bogota, enjeux d'une
politique du symbole
nacional, la siembra del Árbol de Mutis, obras artísticas, inauguraciones y otras iniciativas
que surjan de la creatividad individual y colectiva.
LOS PROGRAMAS
Los ejes de acción, dinamizados mediante las estrategias, dan lugar a programas
concretos, cada uno de los cuales agrupará los proyectos propuestos por las instituciones
del Estado, por el sector privado y por la sociedad civil. Estos programas son los siguientes:
1. Programa de patrimonio.
2. Programa de comunicaciones
3. Programa de espacios de memoria: archivos, bibliotecas y museos.
4. Programa académico.
5. Programa espacios de creación y expresión: música, danza, teatro, plástica y
literatura.
6. Programa de la fiesta cívica.
7. Programa de estímulos: concursos, becas, pasantías y premios.
8. Programa de emprendimiento cultural.
9. Programa de infraestructura.
LOS ACTORES ESTRATÉGICOS
La elaboración y coordinación de un programa integral, tiene como actores estratégicos
a las siguientes instancias individuales y colectivas:
1. Secretaria ejecutiva del bicentenario. Presidencia de la República.
2. Ministerio de Cultura (entidad coordinadora del programa general que se elaborará
desde el Estado).
3. Otros Ministerios e instituciones del Estado en sus diferentes niveles administrativos
y territoriales.
4. Gobernadores y Alcaldes.
5. Docentes e instituciones educativas.
6. Academias y organizaciones científicas y culturales.
7. Líderes y organizaciones comunitarias.
8. Organismos nacionales e internaciones de cooperación.
9. Líderes y entidades del sector comercial, industrial y financiero.
10. Medios de comunicación impresa, radial y televisiva.
CRONOGRAMA
El cronograma inicial hace referencia a la elaboración del programa general:
1. Enero 2008: elaboración y discusión del documento guía de la propuesta.
2. Febrero - junio, 2008: elaboración del programa general.
3. Julio 20, 2008: Lanzamiento del programa general.
4. Agosto 2008 - diciembre 2009: ejecución de planes y programas preparativos.
5. Enero - diciembre 2010: celebraciones locales y regionales.
80
Charlie WEIBEL
Annexe
6. Julio 20, 2010: gran fiesta nacional.
Charlie WEIBEL
81