La non-discrimination: un droit fondamental

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La non-discrimination: un droit fondamental
La non-discrimination :
un droit fondamental
Séminaire marquant l’entrée
en vigueur du Protocole n° 12
Strasbourg, 11 octobre 2005
Editions du Conseil de l’Europe
2006
Edition anglaise: Non-discrimination: a human right – Seminar to mark the
entry into force of Protocol No. 12
ISBN 10 - 92-871-5926-2
ISBN 13 - 978-92-871-5926-7
Editions du Conseil de l’Europe
F-67075 Strasbourg Cedex
ISBN 10 - 92-871-5925-4
ISBN 13 - 978-92-871-5925-0
© Conseil de l’Europe, 2006
Imprimé dans les ateliers du Conseil de l’Europe
Table des matières
Préface
5
Session d’ouverture
9
Exemples de l’application de l’article 26 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques
La protection contre la discrimination en vertu de l’article 14
de la Convention européenne des Droits de l’Homme
Le Protocole n° 12 et sa genèse
12
26
38
Thème 1 : La portée du Protocole n° 12
51
Le Protocole n° 12 et la Convention des Nations Unies
sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
Combattre le terrorisme en combattant la discrimination :
le Protocole n° 12 constitue-t-il une aide ?
Le Protocole n° 12 et la Charte sociale
Les relations entre la législation de l’Union européenne
et le Protocole n° 12
Résumé des discussions – Thème 1
Thème 2 : Comment concrètement préparer
la ratification ?
Position de l’Assemblée parlementaire
Ratification du Protocole n° 12 par la République
de Croatie : motifs, procédure et mise en œuvre
Position du Gouvernement du Royaume-Uni
Résumé des discussions – Thème 2
Conclusions du Président
51
55
67
72
79
83
83
88
98
103
109
Annexe I :
Protocole n° 12 à la Convention de Sauvegarde des Droits
de l’Homme et des libertés fondamentales
Rapport explicatif
125
129
Annexe II :
Etat des signatures et des ratifications
143
Annexe III :
Avis de la Cour européenne des Droits de l’Homme
sur le projet de Protocole n° 12
Avis de l’Assemblée parlementaire
sur le projet de Protocole n° 12
146
149
Annexe IV :
Liste des participants
152
Annexe V :
Programme
170
La non-discrimination : un droit fondamental
Préface
La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme commence
par les mots « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en
dignité et en droits. » La notion d'égalité en droits et son
corollaire, la non-discrimination, sont au cœur même de la
protection des droits de l'homme. Il aura néanmoins fallu près de
cinquante ans pour que soit introduit dans la Convention européenne des Droits de l’Homme une disposition autonome et de
portée générale prohibant la discrimination. Loin d'être révolutionnaire, le protocole n° 12 ne fait donc que combler une
lacune de la garantie collective établie par la Convention.
Au sein du Conseil de l’Europe, nous sommes convaincus que
la discrimination constitue une atteinte à la dignité humaine. Elle
agit comme un poison détruisant les liens sociaux. Dans nos
sociétés, les victimes de la discrimination appartiennent très
souvent aux groupes les plus vulnérables : les demandeurs
d'asile, les immigrants, les membres des minorités nationales et
ethniques, les personnes âgées ou les personnes handicapées.
L’égalité et la non-discrimination sont indivisibles. Alors que
chaque forme de discrimination présente des caractéristiques
propres et exige une attention spécifique, le combat contre
l’ensemble des manifestations de la discrimination doit s’enraciner dans un seul et même principe fondamental.
S’appliquant à tous les domaines régit par la loi et à tous les
secteurs de l’activité publique, le Protocole n° 12 est de portée
générale. L’interdiction générale de la discrimination autorise les
juridictions nationales et la Cour de Strasbourg à adapter l’application du principe de non-discrimination à des contextes particuliers. Le Protocole n° 12 complète ainsi de manière utile l’application de la législation nationale.
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
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La non-discrimination : un droit fondamental
Le séminaire, marquant l'entrée en vigueur du
Protocole n° 12 le 1er avril 2005, a réuni des représentants des
gouvernements des Etats membres du Conseil de l’Europe, ainsi
que des Etats observateurs, des juges à la Cour européenne des
Droits de l’Homme, des membres de la Commission européenne
contre le racisme et l’intolérance (ECRI), du Comité européen des
Droits sociaux, du Comité consultatif de la Convention-cadre pour
la protection des minorités nationales, de l’Assemblée Parlementaire, des experts universitaires et des représentants de la société
civile, y compris d’ONG luttant contre la discrimination et d’institutions nationales et internationales de défense des droits de
l’homme.
Ce séminaire aura permis aux participants d’adopter une attitude sereine à l’égard de l'interprétation et de l’application du
protocole. Les discussions se sont concentrées sur le champ
d’application du protocole, en particulier sur la notion de discrimination, de discrimination indirecte, des mesures positives, des
effets horizontaux et des liens du protocole avec la législation de
l’Union européenne. Ce fut également l’occasion idéale de
procéder à un échange de vue relatif aux expériences nationales,
les pays ayant déjà ratifié le protocole comme ceux qui hésitent
encore à le faire ayant pu s’exprimer. La présente publication
comprend les textes des différentes interventions, un résumé des
discussions, ainsi que les conclusions du président du séminaire.
Je suis convaincu que ces discussions franches et ouvertes ont
contribué à une meilleure compréhension du protocole. Elles ont
permis d’écarter certains des mythes concernant son champ
d’application et ses effets, ouvrant ainsi la voie à des ratifications
supplémentaires. Le principe selon lequel la protection des droits
de l’homme commence au niveau national s’applique pleinement au protocole. En effet, les Etats qui ne l’auraient pas encore
fait devraient édicter une législation anti-discrimination efficace
en s’inspirant des recommandations pertinentes de l’ECRI.
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Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
Il est certes impossible de prédire avec exactitude comment le
protocole sera appliqué aux cas individuels. Mais cette remarque
ne vaut-elle pas, en fait, pour l’ensemble des droits garantis par
la Convention ? Cette impossibilité ne doit servir de prétexte à
une attitude attentiste. En ratifiant le Protocole, les Etats
membres font preuve d’un engagement politique fort en faveur
de la prohibition de la discrimination. Dans un futur proche,
aucun des Etats membres ne devrait plus être en mesure de
prétendre qu’un cas de discrimination attribuée aux autorités
publiques « ne tombe pas sous l’emprise » de la protection de la
Convention.
Strasbourg, décembre 2005.
Pierre-Henri IMBERT
Directeur Général des Droits de l’Homme
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
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La non-discrimination : un droit fondamental
Session d’ouverture
Allocution de bienvenue
par Mme Maud de Boer-Buquicchio
Secrétaire Générale adjointe du Conseil de l’Europe
La discrimination est rarement le fruit du hasard. Elle est
alimentée par l’intolérance qui persiste malheureusement dans
toutes nos sociétés et qui est souvent acceptée, encouragée, voire
même engendrée par des mesures des pouvoirs publics.
Nous vivons à une époque où les préjugés sont souvent
acceptés comme une fatalité. Envisagés comme tels, les préjugés
peuvent influer sur les politiques relatives aux défis majeurs de
notre société actuelle, tels que la lutte contre le terrorisme ou la
gestion des migrations. Les propos racistes, antisémites et xénophobes s’infiltrent insidieusement dans le discours politique, et
l’on s’abrite bien trop souvent derrière l’opinion publique pour
proposer des mesures, des décisions et des politiques contraires à
nos principes et à nos valeurs, et qui sont néfastes ou inefficaces,
c’est-à-dire tout bonnement mauvaises.
Dès lors, il va sans dire que l’entrée en vigueur le 1er avril de
cette année du Protocole n° 12 à la Convention européenne des
Droits de l’Homme tombe à point nommé.
Le Protocole n° 12 instaure une interdiction générale de la
discrimination dans la jouissance de tout droit prévu par la loi. Il
comble une lacune anachronique de la Convention européenne
des Droits de l’Homme. Avec le Protocole n° 12, la non-discrimination devient un droit à part entière et non plus un droit
accessoire. Ce point a des conséquences importantes et
profondes, la protection juridique étant étendue à plusieurs
droits économiques et sociaux qui n’étaient pas pleinement
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
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La non-discrimination : un droit fondamental
couverts jusqu’ici. Je suis persuadée que la portée de ce Protocole
sera encore affinée par la jurisprudence de la Cour européenne
des Droits de l’Homme.
Mesdames et Messieurs, la lutte contre la discrimination est
également un thème transversal de nombreuses activités du
Conseil de l’Europe, notamment dans les domaines du handicap,
de l’égalité des sexes, des minorités, de l’accès aux droits sociaux
et bien d’autres.
La protection juridique contre la discrimination garantie par le
Protocole n° 12 est complétée par les activités de la Commission
européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI), qui joue un
rôle essentiel dans la lutte contre le racisme et l’intolérance en
Europe grâce à ses lignes directrices pour les législations nationales.
Les mesures juridiques ne peuvent à elles seules éliminer le
racisme de nos sociétés. Des manifestations telles que la
Campagne européenne de la jeunesse sur la diversité et la participation contribuent à sensibiliser aux problèmes et à trouver des
manières de les traiter.
Six mois après l’entrée en vigueur du Protocole n° 12, ce
séminaire va tenter de trouver des manières permettant d’assurer
son application concrète et d'encourager de nouvelles signatures
et ratifications.
J’aimerais conclure par un appel à tous les Etats membres qui
ne l’ont pas encore fait à signer et à ratifier ce Protocole pour
combler une lacune de la Convention européenne des Droits de
l’Homme qui a permis à certaines discriminations des pouvoirs
publics de se perpétuer sans que les victimes n’aient de recours
judiciaire efficace.
Certes, le Protocole n° 12 ne manquera pas d’ajouter à la
charge de travail d'une Cour qui est déjà surchargée. Il faut
10
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
relever ce défi par une réforme de la Cour, sur la base des propositions que formuleront les Sages qui viennent d’être mandatés à
cet effet, mais certainement pas par une réduction des droits ou
de l’étendue de la protection. Les Etats parties à la Convention et
à ses protocoles doivent assurer une mise en oeuvre correcte des
dispositions correspondantes au plan national. L’application
systématique et complète de la Convention par les tribunaux
nationaux contribuera certainement à alléger la charge de travail
de la Cour de Strasbourg.
Je sais que certains gouvernements considèrent que la portée
de ce Protocole n'est pas assez précise, et qu’ils ont exprimé leur
intention d’attendre que la Cour clarifie son interprétation du
Protocole avant de le signer et de le ratifier. Je lance un appel à
ces gouvernements pour qu’ils reconsidèrent leur position. L’on
ne devrait pas hésiter sur des points de détail à l’heure de lutter
contre la discrimination dans nos sociétés. D’ailleurs, si les mêmes
critères avaient été appliqués il y a un demi siècle, la Convention
européenne des droits de l’homme n’aurait jamais vu le jour. Je
vous invite à méditer sur ces pensées et vous souhaite un très bon
séminaire.
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
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La non-discrimination : un droit fondamental
Exemples de l’application de l’article 26
du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques
Professeur Martin Scheinin
Université de Åbo Akademi (Finlande),
Membre du Comité pour les droits de l’homme (1997-2004)
Introduction
Dans la discussion sur les effets possibles de l’entrée en
vigueur du Protocole n° 12 à la Convention européenne des
Droits de l’Homme (CEDH), il n’a pas été accordé suffisamment
d’attention au fait que tous les Etats membres du Conseil de
l’Europe sont déjà parties à une disposition de fond sur les droits
de l’homme très similaire, l’article 26 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), qui consacre le droit
autonome à l’égalité et à la non-discrimination, ni au fait que
presque tous les Etats membres ont également accepté le droit de
recours individuel en relation avec cette disposition1.
1. Le Royaume-Uni, notamment, n’est pas partie au (premier) Protocole facultatif se rapportant au PIDCP, qui autorise les communications individuelles au
Comité des droits de l’homme. Pour sa part, l’Allemagne a accepté
l’article 26 du PIDCP sans émettre de réserves mais, en ratifiant le Protocole
facultatif, a cherché à restreindre la portée des communications par une
réserve en vertu de laquelle elle admet la compétence du Comité des droits
de l’homme uniquement pour les communications fondées sur l’article 26
qui ont trait à la jouissance de droits garantis par d’autres dispositions du
Pacte. Voir Collection des traités des Nations Unies. Jusqu’à présent, le
Comité des droits de l’homme n’a pas adopté de position claire quant aux
conséquences juridiques de cette réserve. Voir Riedl-Riedenstein et al. c.
Allemagne, Communication n° 1188/2003, décision d’irrecevabilité du
2 novembre 2004.
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Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
Cette brève étude examine la pratique du Comité des droits de
l’homme en ce qui concerne la mise en œuvre de l’article 26 du
PIDCP, afin de montrer quelles questions pourraient se poser et
quelles approches pourraient être adoptées dans l’application du
Protocole n° 12 par la Cour européenne des Droits de l’Homme.
La discussion qui suit met l’accent sur deux aspects de la pratique
du Comité des droits de l’homme : d’abord, le caractère dynamique d’une disposition autonome sur l’égalité et la nondiscrimination ; ensuite, les solutions adoptées par le Comité
pour néanmoins rejeter les communications non fondées alléguant une inégalité de traitement.
Le caractère dynamique de l’article 26 du PIDCP
L’article 26 du PIDCP dispose :
« Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit
sans discrimination à une égale protection de la loi. A cet égard,
la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les
personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de
religion, d’opinion politique et de toute autre opinion, d’origine
nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre
situation. »
La disposition est ambitieuse à plusieurs titres : en premier
lieu, elle interdit « toute » discrimination et, comme le confirme
la référence à « toute autre situation » à la fin de la deuxième
phrase, la liste des motifs de discrimination expressément interdits n’est pas exhaustive. Dans sa jurisprudence, le Comité des
droits de l’homme considère que les discriminations fondées par
exemple sur l’orientation sexuelle,2 la nationalité3 ou l’âge4
relèvent du champ d’application de l’article 26. En second lieu,
2. Young c. Australie (Communication n° 941/2000), Constatations du
6 août 2003.
3. Gueye et al. c. France, Communication n° 196/1985, Constatations du
3 avril 1989.
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
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La non-discrimination : un droit fondamental
non seulement cette disposition interdit les discriminations imputables à l’Etat lui-même ou à toute autre autorité publique, mais
elle exige également une protection active contre « toute
discrimination », y compris lorsque celle-ci est le fait de personnes
privées. En troisième lieu, l’interdiction de « toute
discrimination » implique que, contrairement à ce que prévoit
l’article 14 de la CEDH, l’article 26 du PIDCP ne se contente pas
d’interdire les discriminations dans l’exercice des droits par
ailleurs protégés par le traité mais va jusqu’à interdire les discriminations dans tous les domaines de la vie, y compris en matière
économique et sociale. Enfin, l’article 26 ne se limite pas à interdire les discriminations mais consacre aussi un droit positif à
l’égalité : le droit à l’égalité devant la loi et à l’égale protection
de la loi.
Aux fins de la présente étude, c’est peut-être le troisième
aspect mentionné ci-dessus qui appelle la plus grande attention.
En 1987, le Comité des droits de l’homme a confirmé que cette
disposition devait être interprétée conformément au sens
ordinaire de son libellé : l’article 26 du PIDCP interdit les discriminations même lorsqu’elles se produisent en dehors de la
sphère des droits civils et politiques protégés par les autres dispositions du Pacte. Que l’on se souvienne des affaires Zwaan – de
Vries5, Broeks6 et Danning c. Pays-Bas7, qui concernaient toutes des
allocations en matière de sécurité sociale. Dans les deux
premières affaires, le Comité a constaté une violation de
l’article 26 car les femmes mariées, contrairement aux femmes
non mariées ou aux hommes, qu’ils soient mariés ou non, ne
jouissaient pas d’un droit individuel autonome à percevoir des
allocations chômage mais devaient prouver qu’elles étaient
« soutien de famille ». Dans la troisième affaire (Danning), où la
discrimination alléguée se rapportait à une différenciation faite
entre les couples mariés et les couples non mariés en termes de
prestations de sécurité sociale, le Comité a conclu que l’article 26
était applicable mais que la distinction en cause se justifiait par
4. Love et al. c. Australie, Communication n° 983/2001, Constatations du
25 mars 2003.
14
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
des motifs objectifs et raisonnables8. L’interprétation de
l’article 26 comme reconnaissant un droit autonome à la nondiscrimination a été affirmée de manière générale par le Comité
en 1989 dans son Observation générale n° 18 sur la nondiscrimination :
« De l’avis du Comité, l’article 26 ne reprend pas simplement
la garantie déjà énoncée à l’article 2, mais prévoit par lui-même
un droit autonome. Il interdit toute discrimination en droit ou en
fait dans tout domaine réglementé et protégé par les pouvoirs
publics. L’article 26 est par conséquent lié aux obligations qui
sont imposées aux Etats parties en ce qui concerne leur législation
5. Communication n° 182/1984, Constatations du Comité des droits de
l’homme du 9 avril 1987. Voir, en particulier, les paragraphes 12.1 à 12.4 :
« 12.1 L’Etat partie affirme que les dispositions de l’article 26 et celles de l’article 2 du
Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels se chevauchent
en grande partie. Le Comité est d’avis que le Pacte international relatif aux droits civils
et politiques continuerait de s’appliquer même si un sujet particulier était mentionné ou
couvert par d’autres instruments internationaux, par exemple la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, la Convention sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes ou, comme en
l’espèce, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
Nonobstant le fait que les deux pactes ont été rédigés parallèlement, il convient que le
Comité continue d’appliquer pleinement les termes du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques… » ;
« 12.2 Le Comité a également examiné l’argument de l’Etat partie selon lequel
l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne peut être
invoqué s’agissant d’un droit spécifiquement consacré par l'article 9 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (la sécurité sociale, y compris
les assurances sociales) » ;
« 12.3 Aux fins de déterminer la portée de l’article 26, le Comité a tenu compte du
« sens ordinaire » de chaque terme de l’article dans son contexte et à la lumière de son
objet et de son but (article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités). Le
Comité commence par noter que l’article 26 ne reprend pas simplement les garanties
déjà énoncées à l’article 2. Cet article découle du principe de l’égale protection de la loi
sans distinction contenu à l’article 7 de la Déclaration universelle des droits de l’homme,
qui interdit toute discrimination en droit ou en fait dans les domaines réglementés et
protégés par les pouvoirs publics. L’article 26 est par conséquent lié aux obligations qui
sont imposées aux Etats en ce qui concerne leur législation et l’application de celle-ci. » ;
« 12.4 Bien que l’article 26 exige que la loi interdise toute discrimination, il ne
contient pas en lui-même d'obligation quant aux questions que la loi peut régir. Ainsi, il
n’impose pas, par exemple, aux Etats d’adopter des lois portant sur la sécurité sociale.
Cependant, lorsqu'une telle loi est adoptée par un Etat dans l’exercice de son pouvoir
souverain, cette loi doit être conforme à l’article 26 du Pacte. »
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
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La non-discrimination : un droit fondamental
et l’application de celle-ci. Ainsi, lorsqu’un Etat partie adopte un
texte législatif, il doit, conformément à l’article 26, faire en sorte
que son contenu ne soit pas discriminatoire. En d’autres termes,
l’application du principe de non-discrimination énoncé à
l’article 26 n’est pas limitée aux droits stipulés dans le Pacte.9 »
L’absence de définition ou même de qualification du terme
« discrimination » affaiblit l’article 26 du PIDCP. Dans sa jurisprudence, le Comité des droits de l’homme a toujours rappelé que
toutes les distinctions ne constituaient pas des discriminations au
sens de cet article et que les différenciations objectives et raisonnables étaient permises10. Dans son Observation générale n° 18,
le Comité a réaffirmé cette position et a même déduit de
l’article 26 du PIDCP une définition de la discrimination largement influencée par les définitions qu’en donnent la Convention
sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale et
la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes :
6. Communication n° 172/1984, Constatations du 9 avril 1987.
7. Communication n° 180/1984, Constatations du 9 avril 1987.
8. Idem, paragraphe 14 : « Par conséquent, il appartient au Comité de déterminer si la
distinction opérée par le droit néerlandais à l’époque considérée, telle qu’elle a été
appliquée à M. Danning, constituait une discrimination au sens de l’article 26. A la
lumière des explications fournies par l’Etat partie au sujet des différences faites par le
droit néerlandais entre les couples mariés et les couples non mariés (paragraphe 8.4 cidessus), le Comité a la conviction que la distinction contestée par M. Danning est
fondée sur des critères objectifs et raisonnables. Le Comité fait observer, à cet égard,
que la décision d’acquérir un statut juridique par le mariage, qui selon la législation
néerlandaise entraîne certains avantages et certains devoirs et responsabilités, appartient aux seuls concubins. En choisissant de ne pas contracter mariage, M. Danning et sa
concubine n’ont pas, au regard de la loi, assumé l’intégralité des devoirs et responsabilités incombant aux personnes mariées. En conséquence, M. Danning ne reçoit pas tous
les avantages prévus par la loi néerlandaise en faveur des personnes mariées. Le Comité
conclut que la différenciation contestée par M. Danning ne constitue pas une discrimination au sens de l’article 26 du Pacte. »
9. Comité des droits de l’homme, Observation générale n° 18, paragraphe 12.
10. Voir, par exemple, Zwaan – de Vries c. Pays-Bas (note 5, supra),
paragraphe 13 : « Le droit à l’égalité devant la loi et à une égale protection de la loi
sans aucune discrimination n’implique pas que toutes les différences de traitement
soient discriminatoires. Une différenciation fondée sur des critères raisonnables et
objectifs ne constitue pas une discrimination interdite au sens de l’article 26. »
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Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
« … le Comité considère que le terme « discrimination », tel
qu’il est utilisé dans le Pacte, doit être compris comme s’entendant de toute distinction, exclusion, restriction ou préférence
fondée notamment sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la
religion, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale ou
sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation, et ayant
pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par tous, dans des conditions d’égalité, de l’ensemble des droits de l’homme et des
libertés fondamentales.11 »
La mention « ayant pour effet ou pour but » contenue dans la
définition précitée peut être comprise comme signifiant que les
discriminations directes (« but ») aussi bien qu’indirectes
(« effet »), sont interdites par l’article 26 du PIDCP12. Cependant,
ces dernières années, le Comité des droits de l’homme s’est
orienté, dans son analyse, vers une conception plus rigoureuse de
la discrimination indirecte, caractérisée non seulement par des
effets discriminatoires, mais par des effets discriminatoires survenant en l’absence de toute intention discriminatoire. Dans sa
jurisprudence récente, le Comité a attaché la notion de discrimination indirecte aux effets discriminatoires qui résultent d’une
règle ou d’une mesure apparemment neutre. Dans l’affaire
Althammer c. Autriche13 (n° 2), le Comité a tenu le raisonnement
suivant :
« 10.2 Les auteurs affirment être victimes d’une discrimination
parce que la suppression de l’allocation de foyer les touche plus
fortement, en tant que retraités, qu’elle ne touche les employés
en activité. Le Comité rappelle qu’une violation de l’article 26
11. Comité des droits de l’homme, Observation générale n° 18, paragraphe 7 ;
à comparer avec l’article 1-1 de la Convention sur l’élimination de toutes les
formes de discrimination raciale et avec l’article 1er de la Convention sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.
12. Voir Simunek et al. c. République tchèque, Communication n° 516/1992,
Constatations du 19 juillet 1995, paragraphe 11.7.
13. Communication n° 998/2001, Constatations du 8 août 2003.
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
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La non-discrimination : un droit fondamental
peut également résulter de l’effet discriminatoire d’une règle ou
d’une mesure apparemment neutre ou dénuée de toute intention
discriminatoire. Toutefois, on ne peut dire qu’une telle discrimination indirecte est fondée sur les motifs énumérés à l’article 26
du Pacte que si les effets préjudiciables d’une règle ou d’une décision affectent exclusivement ou de manière disproportionnée des
personnes particulières en raison de leur race, couleur, sexe,
langue, religion, opinion politique ou toute autre opinion, origine
nationale ou sociale, fortune, naissance ou toute autre situation.
En outre, des règles ou décisions ayant une telle incidence ne
constituent pas une discrimination si elles sont fondées sur des
motifs objectifs et raisonnables. En l’occurrence, la suppression
de l’allocation mensuelle de foyer conjuguée à l’augmentation de
la prestation pour enfant est préjudiciable, non seulement aux
retraités, mais aussi aux salariés en activité n’ayant pas (encore ou
plus) d’enfants dans la tranche d’âge pertinente, et les auteurs
n’ont pas démontré que l’incidence de ces mesures pour eux avait
un caractère disproportionné. À supposer même, à titre d’hypothèse, qu’une telle incidence puisse être démontrée, le Comité
considère que la mesure, comme l’ont souligné les juridictions
autrichiennes (paragraphe 2.3 ci-dessus), était fondée sur des
motifs objectifs et raisonnables. »
De la même manière, dans l’affaire Derksen et Bakker c. PaysBas14, le Comité, constatant cette fois une violation de l’article 26,
a fait référence à la notion de discrimination indirecte :
« Le Comité rappelle que l’article 26 interdit la discrimination
tant directe qu’indirecte, cette dernière notion caractérisant une
règle ou une mesure qui semble a priori neutre ou dénuée de
toute intention discriminatoire mais qui peut néanmoins
entraîner une discrimination du fait de son effet négatif, exclusif
ou disproportionné, sur une certaine catégorie de personnes.
Toutefois, une distinction ne peut constituer une discrimination
interdite au sens de l’article 26 du Pacte que si elle n’est pas
14. Communication n° 976/2001, Constatations du 1er avril 2004.
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Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
fondée sur des critères objectifs et raisonnables. […] Le Comité
considère que la distinction entre enfants nés, d’une part, soit
dans le mariage soit hors mariage après le 1er juillet 1996 et,
d’autre part, hors mariage avant le 1er juillet 1996 n’est pas
fondée sur des motifs raisonnables. […] ».
La première phrase de l’article 26, qui a trait au droit à
l’égalité, a donné lieu à une jurisprudence dans des domaines où
il n’est pas possible de prouver qu’une personne a subi un traitement discriminatoire par rapport à une autre, mais où une violation de cet article est établie même en l’absence de point de
comparaison. L’affaire Pezoldova c. République tchèque15, qui
concernait les nombreux obstacles mis par l’administration à
l’examen de la demande de restitution de ses biens qu’avait
déposée l’auteur de la réclamation, montre qu’un comportement
arbitraire de l’administration peut suffire à constituer une violation de l’article 26, en l’espèce qualifiée par le Comité de
« discrimination ». Dans l’affaire Kavanagh c. Irlande, plus récente,
le Comité s’est montré encore plus clair en concluant que la décision administrative non motivée de traduire l’auteur de la
communication devant un tribunal pénal spécial convoqué dans
les affaires de terrorisme ou de crime organisé, constituait une
violation du « droit de l’auteur, consacré par l’article 26, à
l’égalité devant la loi et à l’égale protection de la loi »16.
Il est étonnant de constater que la jurisprudence du Comité est
peu développée en ce qui concerne l’obligation, contenue de
manière latente dans l’article 26, de prendre des mesures
concrètes pour promouvoir une égalité de fait dans la société.
Bien que le PIDCP contienne une clause spécifiquement consacrée aux droits des minorités dans son article 27, aucune affaire
n’a permis de répondre clairement à la question de savoir dans
quelle mesure une obligation de prévoir des mesures spéciales en
faveur des membres des minorités ou d’autres personnes se trou15. Communication n° 757/1997, Constatations du 25 octobre 2002.
16. Communication n° 819/1998, Constatations du 4 avril 2001.
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
19
La non-discrimination : un droit fondamental
vant dans une position vulnérable pouvait être déduite de
l’article 2617. Cependant, dans son Observation générale n° 18
relative à la non-discrimination, le Comité n’est pas loin de
l’affirmer lorsqu’il estime que l’adoption de mesures concrètes
n’est pas simplement permise par l’article 26 mais peut en fait
être exigée des Etats pour que ledit article soit respecté :
« Le Comité fait également observer que l’application du principe d’égalité exige parfois de la part des Etats parties l’adoption
de mesures en faveur de groupes désavantagés, visant à atténuer
ou à supprimer les conditions qui font naître ou contribuent à
perpétuer la discrimination interdite par le Pacte. Par exemple,
dans les Etats où la situation générale de certains groupes de
population empêche ou compromet leur jouissance des droits de
l’homme, l’Etat doit prendre des mesures spéciales pour corriger
cette situation. Ces mesures peuvent consister à accorder temporairement un traitement préférentiel dans des domaines
spécifiques aux groupes en question par rapport au reste de la
population. Cependant, tant que ces mesures sont nécessaires
pour remédier à une discrimination de fait, il s’agit d’une différenciation légitime au regard du Pacte.18 »
Limites de l’article 26 du PIDCP
Voilà presque trente ans que le Protocole facultatif se rapportant au PIDCP est entré en vigueur. Pourtant, le nombre
de communications déposées sur son fondement demeure assez
17. Dans l’affaire Jacobs c. Belgique, Communication n° 943/2000, Constatations
du 7 juillet 2004, le Comité a affirmé que les mesures spéciales visant à
promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes étaient permises en
vertu de l’article 26 et d’autres dispositions du Pacte. Cependant, le Comité
n’a pas apporté de réponse à la question de savoir si et dans quelle mesure
ces mesures pouvaient être exigées.
18. Comité des droits de l’homme, Observation générale n° 18, paragraphe 10.
Voir également l’Observation générale n° 23 (droits des minorités),
paragraphe 6.2, et l’Observation générale n° 28 (égalité des droits entre
hommes et femmes), paragraphes 3 et 29.
20
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
faible – une centaine par an19. Cela est dû au fait que l’essentiel
des lettres faisant état de violations des droits de l’homme que
reçoit l’ONU ne sont pas enregistrées comme des communications individuelles en vertu du PIDCP ou d’un autre traité de
protection des droits de l’homme. Comme on le voit couramment
dans le domaine des droits de l’homme, le succès d’un recours à
propos de tel ou tel pays peut donner lieu à une vague d’affaires
similaires ou connexes provenant de ce pays, voire d’autres
pays20. Malgré cela, et malgré l’approche dynamique adoptée
par le Comité des droits de l’homme dans l’application de
l’article 26, cette disposition est loin de susciter un déferlement
de recours. Par exemple, il y a eu peu de réactions aux manquements de l’Etat dans la protection des citoyens contre des discriminations imputables à des personnes privées, alors que les
articles 26 et 2 combinés pourraient fort bien servir de fondement juridique à de telles communications. Cette question a été
débattue dans l’affaire Jazairi c. Canada, où le Comité des droits de
l’homme a fini par déclarer la communication irrecevable, sans
pour autant fermer la porte à des recours ultérieurs où l’article 26
serait invoqué dans le cadre d’un manquement de l’Etat à offrir
une protection contre des discriminations imputables à des
personnes privées21.
Dans l’affaire Jazairi, le Comité a déclaré la communication
irrecevable faute d’avoir été suffisamment étayée. Cette condition
de recevabilité, qui découle de l’article 2 du Protocole facultatif,
se rapporte à l’obligation, pour l’auteur de la communication, de
déposer son recours en fournissant des renseignements et en
19. Voir Rapport annuel 2004 du Comité des droits de l’homme (Partie I,
paragraphe 88) (document des Nations Unies A/59/40).
20. Les affaires Zwaan – de Vries et Broeks c. Pays-Bas (notes 5 et 6, supra) sont un
exemple de l’augmentation du nombre des communications présentées
après le succès d’un précédent.
21. Communication n° 958/2000, décision d’irrecevabilité du 26 octobre 2004.
Techniquement, l’affaire Jazairi ne portait pas sur une allégation de discrimination imputable à une personne privée mais à une université. Les questions
en cause sont néanmoins les mêmes.
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
21
La non-discrimination : un droit fondamental
s’appuyant sur des moyens suffisants, en fait comme en droit, de
manière à présenter un commencement de preuve de violation
du PIDCP. D’autres motifs peuvent servir à déclarer irrecevables
les communications présentées sur le fondement de l’article 26,
par exemple le fait de ne pas avoir épuisé les voies de recours internes
(article 5-2-b du Protocole facultatif), ou le fait de considérer la
communication, en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif, soit
comme un abus du droit de présenter des communications, soit
comme étant incompatible avec les dispositions du Pacte. Ce
dernier motif permet de rejeter les griefs qui, aux termes du Pacte
ou en vertu de la jurisprudence antérieure du Comité, n’entrent
pas dans le champ d’application du PIDCP.
Une autre solution possible pour rejeter des demandes non
fondées consiste à les déclarer recevables mais à conclure ensuite,
par exemple après avoir examiné au fond si un motif objectif et
raisonnable justifiait la distinction prétendument discriminatoire,
que le recours ne démontre pas l’existence d’une violation de
l’article 26.
Cette dernière approche est celle qu’a utilisée le Comité dans
l’affaire Pohl et al. c. Autriche22, où les auteurs de la communication ont fait valoir que différentes contributions financières
exigées d’eux pour le financement d’un système d’assainissement
dans des zones rurales et urbaines de Salzbourg constituaient une
violation de l’article 26. Le Comité des droits de l’homme a
déclaré le recours recevable mais a conclu que les différences en
cause étaient justifiées par des motifs raisonnables et objectifs et
qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 26.
L’affaire Althammer et al. c. Autriche23 (n° 1) a été déclarée irrecevable faute d’avoir été suffisamment étayée, conformément à
l’article 2 du Protocole facultatif. L’affaire portait sur le calcul des
pensions de retraite, et en particulier sur la façon dont l’inflation
22. Communication n° 1160/2003, décision d’irrecevabilité du 9 juillet 2004.
23. Communication n° 803/1998, décision d’irrecevabilité du 21 mars 2002.
22
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
était prise en compte pour en ajuster le montant. Selon le Comité
des droits de l’homme, les auteurs n’avaient pas expliqué en quoi
les règles en vigueur étaient discriminatoires ou relevaient du
champ d’application de l’article 26. Par la suite, l’affaire Dichtl et
al. c. Autriche24 a elle aussi été déclarée irrecevable en application
de l’article 2 du Protocole facultatif, le Comité renvoyant à sa
décision antérieure rendue dans la première affaire Althammer,
puisque la question qui se posait était identique. Dans l’affaire
Irschik c. Autriche25, le Comité a également déclaré la communication irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif car
l’auteur n’avait pas montré en quoi la pension alimentaire versée
à ses enfants allait être affectée par le calcul de l’impôt auquel il
était assujetti.
Certaines communications ont été déclarées irrecevables au
regard de l’article 3 du Protocole facultatif : c’est le cas par
exemple de deux communications alléguant des discriminations
en matière de succession à des titres nobiliaires héréditaires en
Espagne. Les auteurs, Isabel Hoyos Martínez de Irujo26 et Mercedes
Carrión Barcaíztegui27, prétendaient qu’était constitutif d’une
violation de l’article 26 le fait qu’une femme ne pouvait obtenir
tel ou tel titre nobiliaire héréditaire, même si elle était l’aînée de
la famille. Le Comité des droits de l’homme a fait observer que le
droit espagnol reconnaissait l’existence de ces titres, mais aussi
que ceux-ci n’avaient pas d’effet réel en termes de droits et
d’obligations juridiques pour la personne qui en était titulaire. Le
Comité a déclaré les deux communications irrecevables en application de l’article 3 du Protocole facultatif, affirmant que
l’article 26 du PIDCP ne saurait être invoqué à l’appui d’une
revendication concernant un titre héréditaire qui est exclusif,
indivisible et donc incompatible avec les valeurs intrinsèques de
l’article 26.
24. Communication n° 999/2001, décision d’irrecevabilité du 7 juillet 2004.
25. Communication n° 990/2001, décision d’irrecevabilité du 19 mars 2004.
26. Communication n° 1008/2001, décision d’irrecevabilité du 30 mars 2004.
27. Communication n° 1019/2001, décision d’irrecevabilité du 30 mars 2004.
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
23
La non-discrimination : un droit fondamental
Conclusion
Toutes les parties à la CEDH sont également parties au PIDCP,
et presque toutes ont accepté sans hésitation le droit de recours
individuel à l’égard de la clause autonome sur l’égalité et la nondiscrimination de l’article 26 du Pacte. Bien que le Comité des
droits de l’homme ait été saisi de temps à autre de communications contre des pays européens sur le fondement de
l’article 26,28 on ne peut pas parler d’un très grand nombre de
cas, même par rapport au modeste total des affaires contre des
pays européens. Au bout du compte, le Comité des droits de
l’homme a retenu une approche dynamique mais équilibrée de
l’article 26, évitant l’écueil qui aurait consisté à voir dans tout
grief subjectivement identifié par telle ou telle personne une
violation de cette disposition. L’article 26 a été appliqué dans le
cadre du PIDCP pris dans son ensemble, conformément à la
nature de cet article, voué à la protection des droits de l’homme.
Le Protocole n° 12 n’impose pas de nouvelles obligations
substantielles de protection des droits de l’homme aux Etats
parties à la CEDH. Ces pays devraient adopter sans hésiter le
Protocole n° 12, conformément à leur pratique antérieure en
matière de ratification.
La question d’éventuels changements dans les rapports de
force entre le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire au niveau
national, ou entre l’Etat-nation et la Cour européenne des Droits
de l’Homme est, de notre point de vue, artificielle. En adoptant
28. A titre d’exemple, on peut citer l’affaire Kristjánsson c. Islande,
Communication n° 951/2000, que le Comité des droits de l’homme a
déclarée irrecevable le 16 juillet 2003 en application de l’article 1er du
Protocole facultatif, étant donné que l’auteur de la communication n’était
pas une « victime ». La décision a laissé ouverte la possibilité que le Comité
examine ultérieurement la question au fond – le caractère prétendument
discriminatoire du système islandais des quotas de pêche – si une autre
communication venait à être présentée par quelqu’un qui en démontre les
effets négatifs pour lui.
24
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
des traités de protection des droits de l’homme, notamment
l’article 26 du PIDCP, les pays européens ont accepté, par l’intermédiaire de leurs parlements démocratiquement élus, une obligation juridique de mettre en œuvre les principes d’égalité de
traitement et de non-discrimination dans toutes les sphères de la
vie. Dans de nombreux pays, ces principes ont, par des procédures démocratiques reconnues, été élevés au niveau de
la constitution nationale. Dans la mesure où cette décision reste
inappliquée dans le domaine de la législation ordinaire ou de la
pratique administrative, il n’y a rien d’antidémocratique à ce que
les juridictions nationales ou les instances internationales de
protection des droits de l’homme rectifient la situation.
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
25
La non-discrimination : un droit fondamental
La protection contre la discrimination en
vertu de l’article 14 de la Convention
européenne des Droits de l’Homme
Mme Margarita Tsatsa-Nikolovska
Juge à la Cour européenne des Droits de l’Homme
Mesdames et Messieurs,
Je suis très reconnaissante de l’occasion qui m’est offerte de
prendre la parole devant vous à l’occasion de l’entrée en vigueur
du Protocole n° 12. C’est pour moi un privilège que de vous
présenter brièvement la jurisprudence de la Cour relative à
l’article 14 de la Convention européenne des Droits de l’Homme
et son interprétation au fil du temps, bien qu’il ne puisse être
question d’en aborder tous les aspects en si peu de temps.
Le Protocole n° 12 entre en vigueur cette année et il importera d’observer de près la façon dont la Cour examinera les allégations de discrimination aux termes des nouvelles dispositions.
Cela d’autant plus que la Cour n’a encore prononcé aucun arrêt
en application de l’article 1 du Protocole, dont le champ d’application s’étend au-delà des limites définies par l’article 14 de la
Convention.
Remarques liminaires
La protection contre la discrimination et la promotion de
l’égalité font partie des questions prioritaires en matière de droits
de l’homme. L’interdiction de la discrimination se retrouve dans
tout l’éventail des instruments internationaux relatifs aux droits
de l’homme, notamment dans la Convention européenne des
Droits de l’Homme, qui repose sur les principes inscrits dans la
Déclaration universelle des Droits de l’Homme des Nations Unies.
26
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
La Convention européenne des Droits de l’Homme énonce
l’interdiction de la discrimination en termes généraux.
L’article 14 dispose :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente
Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée
notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion,
les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la
fortune, la naissance ou toute autre situation. »
L’emploi de termes tels que « notamment » et « toute autre
situation » laisse entendre que la liste des catégories et des motifs
de discrimination n’est pas exhaustive. L’article 14 a donc un
champ d’application étendu. C’est pourquoi, selon l’interprétation de la Cour, « toute autre situation » inclut, entre autres,
l’orientation sexuelle, l’état civil, la filiation, le statut de syndicat,
le statut militaire, l’objection de conscience, le statut professionnel, l’emprisonnement, le handicap, l’âge, le lieu d’habitation, la région de résidence, la séropositivité, la fortune ou la
propriété immobilière, la religion, la nationalité, l’origine nationale ou ethnique et la langue.
Contrairement à l’article 26 du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques, instrument onusien équivalant à la
Convention européenne, qui définit un droit autonome à
l’égalité, le champ d’application de l’interdiction édictée par
l’article 14 est limité aux droits précisés dans la Convention et ses
protocoles. Le libellé même de la disposition le souligne, puisqu’il
dispose que l’interdiction de la discrimination est assurée en ce
qui concerne la jouissance des droits et libertés « reconnus dans
la présente Convention ». En conséquence, ainsi que je le rappellerai plus loin, l’article 14 ne peut être invoqué qu’en liaison avec
l’un quelconque des autres droits garantis par la Convention.
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
27
La non-discrimination : un droit fondamental
Champ d’application de l’article 14 de la
Convention européenne des Droits de l’Homme
Il convient de tenir compte du fait que l’article 14 s’inspire de
l’interdiction générale de tout acte arbitraire, élément moteur de
la Convention (en effet, de tels actes s’opposent aux principes du
droit). De plus, l’application équitable de la loi faisant partie intégrante des principes du droit, elle constitue la pierre angulaire de
la démocratie, seul modèle politique compatible avec la Convention.
En ce qui concerne le champ d’application de l’article 14 de
la Convention, son examen à la lumière du droit de la Convention
soulève deux questions pertinentes sur la relation entre le principe de non-discrimination et les droits et libertés protégés par
d’autres clauses normatives de la Section 1 de la Convention. Il
s’agit de savoir d’une part si l’article 14 possède un sens en luimême, indépendamment des droits et libertés reconnus dans la
Convention, et d’autre part si, en relation avec ces droits et
libertés, il garantit une protection autonome ou seulement subsidiaire. La Cour a répondu à ces questions dans son arrêt relatif à
l’affaire Linguistique belge, où elle relève entre autres que « si
cette garantie n’a pas, il est vrai, d’existence indépendante en ce
sens qu’elle vise uniquement, aux termes de l’article 14, les
« droits et libertés reconnus dans la Convention », une mesure
conforme en elle-même aux exigences de l’article consacrant le
droit ou la liberté en question peut cependant enfreindre cet
article, combiné avec l’article 14, pour le motif qu’elle revêt un
caractère discriminatoire. »
En ce qui concerne la seconde question, la jurisprudence antérieure semble indiquer que le caractère dépendant de l’article 14
fait que cette disposition ne peut être invoquée que s’il y a apparence de violation de l’un des droits et libertés cités. Par exemple,
dans l’arrêt Isop c. Autriche (requête n°808/60), l’article 14 n’a
pas été appliqué, puisqu’il n’y a pas eu atteinte au droit à un
procès équitable aux termes de l’article 6. La Convention étant
28
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
considérée comme un instrument vivant, ce type d’interprétation
a été amené à évoluer. La jurisprudence montre donc que la Cour
a continué d’examiner les allégations en vertu de l’article 14, au
cas où elles se rapporteraient aux clauses normatives de la
Convention « lorsque l’objet entre dans le champ d’application
de l’article en question » ou « dans celui de cet autre article ».
Dans l’arrêt X c. Allemagne (1976)29, relatif à des allégations de
discrimination à l’encontre d’homosexuels, la Commission a
invoqué l’article 14 en faisant valoir « qu’il suffit que l’objet entre
dans le champ d’application de l’article en question ».
L’article 14, de nature substantielle, occupe la dernière position dans la hiérarchie des clauses normatives consacrées par la
Section I de la Convention. Comme la jurisprudence de la Cour le
confirme, cet article n’a pas d’existence indépendante puisqu’il
vaut uniquement pour « la jouissance des droits et libertés »
garantis par la Convention. Dans la mesure où il complète les
autres clauses normatives de la Convention et des Protocoles,
l'article 14 a un statut de clause subsidiaire ou, pour citer
M. Wildhaber, Président de la Cour européenne des Droits de
l’Homme, on peut le considérer comme une clause « parasite »30.
Il serait cependant faux d’affirmer que ses effets sont strictement
de nature passive, étant donné le rôle autonome important qu’il
joue en tant que complément des autres clauses normatives de la
Convention. L’article 14 protège les individus et les groupes se
trouvant dans des situations analogues, de toute discrimination
portant atteinte aux droits et libertés reconnus dans la Convention. Il n’est donc pas surprenant que l’article 14 soit souvent
invoqué par les requérants et que de très nombreuses allégations
soient examinées à sa lumière.
29. 19 Yearbook 276.
30. « La protection contre la discrimination en vertu de la Convention européenne des Droits de l’Homme – Une garantie de second rang ? » (Protection
against Discrimination under the European Convention on Human Rights – A
Second-Class Guarantee ?) par M. Luzius Wildhaber, Président de la Cour
européenne des Droits de l’Homme, Riga Graduate School of Law,
mars 2001.
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
29
La non-discrimination : un droit fondamental
D’après la jurisprudence de la Cour, l’application de
l’article 14 ne présuppose pas l’atteinte à un droit ou à une
liberté de la Convention : il peut y avoir violation de la clause de
non-discrimination même si, considérée indépendamment de
cette clause, il n’y a pas violation de la clause avec laquelle elle
est combinée. Pour que la discrimination soit examinée en application de l’article 14 de la Convention européenne des Droits de
l’Homme, et donc justifiable par la Cour, il est toutefois impératif
qu’elle « tombe sous l’empire » de l’une au moins des clauses de
la Convention. La Cour a fréquemment formulé la restriction que
« certes, l’article 14 peut entrer en jeu même sans un manquement aux exigences de la Convention et que, dans cette mesure,
il possède une portée autonome, mais qu’il ne saurait trouver à
s’appliquer si les faits du litige ne tombent pas sous l’empire de
l’une au moins desdites clauses ». Cette formulation se retrouve
régulièrement dans la jurisprudence de la Cour, par exemple dans
les arrêts Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni31,
Inze c. Austriche32, Karlheinz Schmidt c. Allemagne33, Van Raalte
c. Pays-Bas34, Petrovic c. Austriche35, Haas c. Pays-Bas36. En conséquence, l’article 14 n’entre pas en jeu si la discrimination ne
porte pas atteinte aux droits et libertés protégés par la Convention (tels que la protection du droit de percevoir des prestations
sociales, considéré comme une partie du droit de propriété, ainsi
que l’illustrent les arrêts Gaygusuz c. Autriche37et Koua Poirrez
c. France38), ou si elle ne relève pas d’une clause de la Convention.
Par exemple, dans l’arrêt Thlimmenos c. Grèce39, l’article 14 a été
invoqué avec succès en combinaison avec l’article 9 ; le requérant, témoin de Jehovah, n’avait pu obtenir un poste d’expertcomptable à la suite d’une condamnation en matière pénale pour
31.
32.
33.
34.
35.
36.
37.
38.
39.
30
Arrêt du 28 mai 1985.
Arrêt du 28 octobre 1987.
Arrêt du 18 juillet 1994.
Arrêt du 21 février 1997.
Arrêt du 27 mars 1998.
N°36983/97, § 41, CEDH 2004.
Arrêt du 16 septembre 1996.
N° 40892/98, CEDH 2003-X.
N° 34369/97, CEDH 2000-IV.
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
avoir refusé de porter l’uniforme en raison de ses convictions religieuses. Cependant, l’article 14 est autonome dans le sens où il
peut s’appliquer même en l’absence de tout manquement aux
exigences de la Convention. Tout se passe comme s’il faisait partie
intégrale de chacune des clauses relatives à la protection de droits
et de libertés.
Le caractère limité du champ d’application de l’article 14 est
compensé, entre autres, par l’interprétation large des clauses
normatives (voir la manière dont la Cour interprète les notions de
vie privée et de vie de famille de l’article 8 de la Convention),
étendant l’exigence de non-discrimination à de nombreuses
situations qu’une interprétation littérale, donc restrictive, de la
Convention n’aurait jamais incluses. La jurisprudence révèle que
la clause de non-discrimination peut être invoquée dans des
contextes tels que ceux de l’allocation de prestations (que ce soit
dans le cadre de régimes de prestations contributives ou de
régimes de prestations non contributives, dans le domaine de la
sécurité sociale ou dans celui de l’assistance sociale) ou, entre
autres, d’allocations aux personnes handicapées. Par exemple,
dans l’arrêt Petrovic c. Autriche, l’article 14 a été jugé applicable,
combiné avec l’article 8, dans le cadre d’une affaire relative au
versement d’une allocation de congé parental.
Principes appliqués en vertu de l’article 14 de la
Convention européenne des Droits de l’Homme
Il convient de faire remarquer qu’une différence de traitement
n’est pas en soi discriminatoire aux termes de l’article 14. Toutes
les différences de traitement n’entrent pas dans le champ de
l’interdiction énoncée par l’article 14. Le critère employé par la
Cour pour établir une discrimination au sens de l’article 14 se
vérifie en deux étapes. Les individus ou les groupes peuvent alléguer une discrimination au titre de cet article dans les situations
suivantes : il convient d’établir que la situation de la victime
présumée peut se comparer avec d’autres situations où les protagonistes ont bénéficié d’un meilleur traitement. Dans l’affaire
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
31
La non-discrimination : un droit fondamental
Van der Mussele c. Belgique40, un avocat stagiaire estime qu’il n’a
pas bénéficié d’un traitement équitable par rapport aux stagiaires
d’autres professions car, contrairement à eux, il a dû représenter
un prévenu sans toucher aucune rémunération. La Cour rejette les
allégations de discrimination du requérant au motif que les
professions cités en exemple sont fondamentalement différentes.
De même, dans l’affaire Lindsay c. Royaume-Uni (1986) la Cour
estime que la situation d’un couple marié n’est pas analogue à
celle d’un couple non marié. Ceci signifie que l’allégation de
manquement à l’article 14 pourrait à première vue être justifiable
dans le cas où des individus, dans une situation analogue, seraient
traités différemment en raison de leur « situation ». Comme le
relève la Cour dans l’affaire Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen
c. Danemark41, l’article 14 interdit un traitement discriminatoire
ayant pour base ou pour motif une caractéristique personnelle
(« situation ») par laquelle des personnes ou groupes de
personnes se distinguent les uns des autres.
La deuxième étape de l’exercice consiste à déterminer si la
différence de traitement se justifie pour des raisons « objectives et
raisonnables ». La Cour recherche donc « les critères qui
permettent de déterminer si une distinction de traitement
donnée contrevient ou non à l'article 14 » ; elle retient que
« l’égalité de traitement est violée si la distinction manque de
justification objective et raisonnable » et que « l’existence d’une
pareille justification doit s’apprécier par rapport au but et aux
effets de la mesure considérée, eu égard aux principes qui prévalent généralement dans les sociétés démocratiques ». La Cour
établit « qu’une distinction de traitement dans l’exercice d’un
droit consacré par la Convention ne doit pas seulement poursuivre un but légitime : l’article 14 est également violé lorsqu’il
est clairement établi qu’il n'existe pas de rapport raisonnable de
proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ». Ainsi
que la Cour l’indique dans l’arrêt Syndicat national de la police
belge c. Belgique42, il convient d’établir si « le préjudice subi est
40. Arrêt du 23 novembre 1983.
41. Arrêt du 7 décembre 1976.
32
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
excessif en regard du but légitime visé ». Il incombe à la Cour
d’examiner si la différence de traitement possède ce type
de caractéristique discriminatoire. Il est donc possible de conclure
que l’exigence d’un motif raisonnable comme justification d’une
différence de traitement aux termes de l’article 14 est très proche
du critère de « besoin social impérieux » énoncé aux articles 8
à 11 de la Convention.
À la lumière de ce qui précède, la Cour a souligné les éléments
qu’il convient de prendre en compte lors de l’examen de la
conformité au principe de non-discrimination d’un traitement ou
d’une situation. Il y a atteinte au principe de non-discrimination
en cas de différence de traitement dans des situations analogues,
même en l’absence de justifications objectives ou raisonnables ou
de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens
employés et le but visé. En d’autres termes, l’article 14 peut être
invoqué s’il est possible de répondre par l’affirmative aux questions suivantes : la discrimination présumée « tombe-t-elle sous
l’empire » de l’une au moins des clauses de la Convention ? La
distinction de traitement est-elle avérée ? Concerne-t-elle des
individus ou des groupes dans des situations analogues ? La
détermination du manquement au principe de non-discrimination dépend de la réponse à la question suivante : existe-t-il une
justification raisonnable à la distinction de traitement, autrement
dit poursuit-elle un but légitime et existe-il un rapport de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ?
J’ai déjà cité quelques-unes des affaires historiques liées à
l’article 14 de la Convention, mais permettez-moi d’évoquer
encore quelques affaires pertinentes pour l’objet de cette
réunion. L’affaire Linguistique belge est l’une des premières dans
lesquelles les organes de la Convention ont été amenés à envisager l’application de l’article 14 de la Convention. Dans cette
affaire, la Cour écarte l’idée que l’article 14 ne possède pas de
valeur pratique, mais considère au contraire qu’il fait partie inté42. Arrêt du 27 octobre 1975.
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
33
La non-discrimination : un droit fondamental
grante de chacune des clauses définissant les droits et les libertés.
Non seulement la Cour établit les principes à appliquer en vertu
de l’article 14, mais elle relève que les Etats jouissent d’une
certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle
mesure des différences entre des situations à d’autres égards
analogues justifient des distinctions de traitement juridique. La
Cour établit la notion de « discrimination positive », où la
compensation d’une situation d’inégalité est acceptée comme
justification légitime d’une différence de traitement. Elle énonce
que « les autorités nationales compétentes se trouvent souvent en
face de situations ou de problèmes dont la diversité appelle des
solutions juridiques différentes ; certaines inégalités de droit ne
tendent d'ailleurs qu’à corriger des inégalités de fait ».
Dans l’arrêt Marckx c. Belgique43, la Cour constate que
lorsqu’une violation d'une clause normative de la Convention est
invoquée devant elle à la fois de manière distincte et conjointement avec l’article 14, elle n’a en général pas besoin d'examiner
aussi l’affaire sous l'angle de l’article 14.
Plus précisément, la jurisprudence indique que bien que
l’article 14 ne soit pas indépendant, il possède néanmoins un
certain degré de signification autonome en cela qu’il ne présuppose pas nécessairement un manquement aux autres clauses de
la Convention. Comme le relève la Cour dans l’arrêt Rasmussen
c. Danemark44, pour que l’article 14 soit invoqué il n’est pas
nécessaire qu’une violation d’une autre clause normative de la
Convention soit reconnue, ni même qu’il y ait allégation de violation, c’est-à-dire qu’il n’est pas nécessaire de se fonder sur la
clause normative de façon autonome ou conjointement avec
l’article 14. Cependant, dans l’arrêt De Meester c. Belgique, la
Cour indique clairement qu’une distinction de traitement dans un
domaine non couvert par la Convention ne peut pas constituer
une violation de l’article 14. Elle rejette l’allégation de discrimination du requérant, discrimination qui, selon lui, portait atteinte
43. Arrêt du 13 juin 1979.
44. Arrêt du 28 novembre 1984.
34
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
à sa liberté de postuler à un emploi dans la magistrature, au motif
que cette liberté n’est pas protégée par la Convention. La Cour a
donc estimé que l’article 14 n’était pas applicable en l’espèce.
Chassagnou et autres c. France45est une affaire intéressante de
la nouvelle Cour, en cela qu’elle réaffirme que la législation nationale peut violer directement la Convention. La Cour a estimé que
la Loi Verdeille de 1964 portait atteinte aux articles 11 de la
Convention et 1 du Protocole n° 1 en combinaison avec
l’article 14, car selon cette loi, seuls les propriétaires terriens dont
le bien avait une superficie dépassant le seuil de franchise,
pouvaient s’opposer à l’inclusion de leur propriété dans les
terrains de chasse municipaux et échapper ainsi à l’obligation
d’adhérer à la société de chasse.
Thlimmenos c. Grèce, précédemment citée, constitue une autre
affaire importante de la Cour, où celle-ci relève que les garanties
de l’article 14 concernent non seulement l’égalité formelle
(traitement égal de situations identiques), mais aussi l’égalité
réelle (distinction de traitement pour des situations différentes).
La Cour « conclut à la violation du droit garanti par l’article 14 de
ne pas subir de discrimination dans la jouissance des droits
reconnus par la Convention lorsque les Etats font subir sans justification objective et raisonnable un traitement différent à des
personnes se trouvant dans des situations analogues ».
Je citerai encore une affaire récente Nachova et autres
c. Bulgarie46, relative au meurtre d’un appelé rom par la police
militaire. Alors que la Chambre a établi l’existence, à titre accessoire, d’un préjudice racial dans l’emploi d’une force excessive et
de négligences dans l’enquête, la Grande Chambre n’a pas considéré que le racisme avait joué un rôle dans la mort de la victime.
Toutefois, l’incapacité des autorités nationales à mener une
enquête efficace bien que disposant d’informations plausibles sur
le caractère haineux des violences infligées, a conduit la Grande
45. [GC], n°25088/94, 28331/95 et 28443/95, CEDH 1999-III.
46. [GC], n°43577/98 43579/98, CEDH-2004.
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
35
La non-discrimination : un droit fondamental
Chambre à conclure à la violation de l’article 14 pris conjointement avec l’obligation procédurale de l’article 2 de
la Convention.
Dans l’arrêt Moldovan et autres c. Roumanie47, la Cour, bien
qu’incompétente ratione temporis pour examiner les faits
(l’incendie du domicile des requérants et le meurtre des membres
de leur famille), relève que cette agression a été commise contre
les requérants en raison de leur origine rom. Cependant, elle
conclut à la violation de l’article 14 combiné aux articles 6 et 8 de
la Convention, estimant que l’appartenance ethnique des requérants a joué un rôle décisif dans la longueur et les résultats de la
procédure nationale relative à cette affaire. La Cour prend également note des remarques discriminatoires répétées de la part des
autorités tout au long de la procédure, et de leur refus absolu
d’octroyer un dédommagement non pécuniaire aux requérants
pour la destruction de leur maison.
Je tiens d’ailleurs à faire état du nombre croissant d’affaires
relevant de l’article 14 où des allégations de violences motivées
par la haine jouent un rôle important.
Conclusion
Un peu moins de cinq ans se sont écoulés depuis que le
Protocole n° 12 à la Convention a été ouvert à la signature.
L’article 1 de ce Protocole interdit les discriminations portant
atteinte à la « jouissance de l’un quelconque des droits reconnus
par la loi » de même que les discriminations exercées par « toute
autorité publique », qu’elles constituent ou non un manquement
à un autre droit de la Convention. En cela, l’article 1 élargit les
garanties de protection inscrites dans l’article 14 de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Lorsque la discrimination est fondée sur d’autres motifs que l’exercice de droits
protégés par la Convention, la Cour pourrait invoquer le
47. N° 41138/98 et 64320/01, 12 juillet 2005.
36
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
Protocole n° 12 afin d’étendre sa compétence aux situations qui
ne sont actuellement pas couvertes par l’article 14. Mon intention n’était pas ne commenter le Protocole ni de préjuger en
aucune façon de la manière dont la Cour pourrait l’appliquer et
l’interpréter. Toutefois, comme le Protocole n’a pas été signé et
ratifié par tous les Etats contractants, il semble que la Cour soit
amenée pour quelque temps à l’invoquer en combinaison avec
l’article 14, selon la position des Etats concernés vis-à-vis du
Protocole.
Pour conclure, je citerai M. le Juge Wildhaber, Président de la
Cour européenne des Droits de l’Homme : « Depuis l’entrée en
vigueur de la Convention, la clause de non-discrimination a le
plus souvent constitué une garantie de second rang. Les développements récents constituent la promesse d’un nouvel élan en
matière de protection contre la discrimination aux termes de la
Convention. Ils pourraient de même amener la Cour à explorer la
complexité du thème de l’égalité dans nos sociétés modernes. »48
Il me semble que nous sommes en droit d’espérer d’autres
développements et innovations car la protection contre la discrimination en vertu du Protocole n° 12 de la Convention est de
nature générale et ouvre de ce fait davantage de perspectives.
48. « Protection against Discrimination under the European Convention on
Human Rights – A Second-Class Guarantee? », M. Luzius Wildhaber, Président de la Cour européenne des Droits de l’Homme, Riga Graduate School of
Law, mars 2001.
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
37
La non-discrimination : un droit fondamental
Le Protocole n° 12 et sa genèse
M. Michael Head
Président de la Commission européenne contre le racisme
et l’intolérance (ECRI)
Je suis très heureux de participer avec vous au Séminaire
marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12 à la Convention
européenne des Droits de l’Homme (CEDH).
Depuis l’adoption du Protocole n° 12 le 4 novembre 2000,
dans chaque rapport de monitoring pays-par-pays qu’elle publie,
l’ECRI recommande systématiquement aux autorités nationales
concernées de signer et/ou de ratifier le Protocole n° 12. Lorsque
l’ECRI adopte un rapport sur un Etat qui a déjà ratifié le
Protocole n° 12, elle ne manque pas de saluer un tel évènement.
L’ECRI dont le but est de lutter contre le racisme et donc
également contre la discrimination raciale, considère le
Protocole n° 12 comme un instrument juridique primordial.
Comme je l’expliquerai plus tard, l’ECRI a milité dès le début en
faveur de l’adoption du Protocole, n’ayant de cesse de faire pression sur les Etats membres du Conseil de l’Europe pour les
convaincre que la lutte contre la discrimination raciale passait
nécessairement par le renforcement de l’article 14 de la Convention européenne.
Je suis chargé d’évoquer la genèse du Protocole n° 12 et, si
vous me le permettez, je voudrais le faire sans passer par une
description purement chronologique qui risquerait d’être
ennuyeuse. Je préfère examiner avec vous quels ont été d’une
part les freins et, d’autre part, les moteurs qui expliquent le
processus d’adoption de cet instrument.
38
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
Les freins
Il faut partir d’un constat initial concernant la Convention
européenne et son article 14 : La Déclaration universelle des
droits de l’homme du 10 décembre 1948, qui est une Résolution
de l’Assemblée générale de l’ONU, prévoit dans son article 7 que
– je cite – « Tous sont égaux devant la loi et ont droit sans distinction à une égale protection de la loi. Tous ont droit à une protection égale contre toute discrimination qui violerait la présente
Déclaration et contre toute provocation à une telle
discrimination. »
Les rédacteurs de la Convention européenne se sont ouvertement inspirés de la Déclaration universelle pour rédiger la
Convention, adoptée deux ans après. Or, l’article 14 de la
Convention européenne est, on le sait, bien différent de l’article 7
de la Déclaration universelle. Il ne consacre qu’un principe de
non-discrimination dans la jouissance des droits et libertés
reconnus dans la Convention. Autrement dit, alors que l’article 7
de la Déclaration universelle consacre un principe général
d’égalité devant la loi, l’article 14 de la Convention européenne
se limite à interdire la discrimination pour les droits que la
Convention reconnaît. On sait aussi que l’article 26 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques reprend le principe général d’égalité devant la loi et va donc en cela plus loin
que la CEDH dans la protection des droits de l’homme.
Comment expliquer alors que l’article 14 soit en retrait par
rapport aux textes onusiens ? Et comment expliquer que ce n’est
que 50 ans plus tard que ce retard sera comblé par l’adoption du
Protocole n° 12 ?
Pour le comprendre, il faut étudier les nombreux freins qui
ont empêché le principe d’égalité d’être reconnu de façon générale dans la Convention européenne.
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
39
La non-discrimination : un droit fondamental
La lecture des travaux préparatoires à la Convention
européenne des Droits de l’Homme ne permet pas de répondre
à la question de savoir pourquoi, dès le départ, l’article 14 ne
reproduit pas le contenu de l’article 7 de la Déclaration universelle.
On peut supposer qu’il y a derrière ce phénomène un frein
idéologique concernant la notion d’égalité :
En 1950, au moment d’adopter la Convention européenne, le
développement du principe d’égalité était à ses débuts, tout
comme le droit international des droits de l’homme. A cette
époque encore, beaucoup pensaient que le principe d’égalité
revenait à défendre une pure identité de traitement. Vu comme
cela, l’égalité consisterait en une uniformisation des statuts
juridiques des individus, idée utopique qui serait tout à fait irréalisable d’un point de vue juridique. Par conséquent, si la jeunesse
du principe international d’égalité ne l’a pas empêché de figurer
en bonne place dans la Déclaration universelle, elle a quand
même empêché son inscription dans la Convention européenne,
un traité contenant un catalogue des droits et prévoyant un mécanisme de contrôle collectif.
En l’absence d’explication claire dans les travaux préparatoires de la Convention européenne, on doit chercher des explications ailleurs. Notamment dans l’étude des refus successifs qui
ont été opposés par les experts gouvernementaux aux
nombreuses propositions émanant de l’Assemblée parlementaire
du Conseil de l’Europe de renforcer par la suite, à travers l’adoption d’un Protocole, la disposition d’interdiction de la discrimination dans la Convention européenne.
Il faut savoir en effet qu’entre l’adoption de la Convention et
celle du Protocole n° 12, l’Assemblée parlementaire a formulé
pas moins de six Recommandations dans lesquelles elle demande
au Comité des Ministres de procéder à l’élargissement du champ
40
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
d’application de l’interdiction de la discrimination au moyen de
l’adoption d’un Protocole à la Convention européenne49.
Un des arguments qui revient souvent pour justifier le maintien de l’article 14 de la Convention en l’état est que l’adoption
d’une disposition générale d’interdiction de la discrimination
aurait pour conséquence une jurisprudence incertaine de la part
de la Cour européenne. Par exemple, en réponse à la
Recommandation 234 adoptée en 1960 par l’Assemblée parlementaire demandant d’insérer dans la CEDH une disposition très
générale selon laquelle « Toutes les personnes sont égales devant
la loi », le Comité des experts des droits de l’homme soulignait les
risques d’interprétations juridiques très différentes d’une disposition aussi large.
La peur d’une extension de l’interdiction de discriminer à des
domaines relevant de la sphère privée a aussi été longtemps un
frein à l’adoption d’un protocole additionnel. Lorsque l’Assemblée parlementaire propose en 1970 une extension de l’interdiction de la discrimination limitée à l’application de la loi dans des
domaines tels que les élections, les emplois, les logements
sociaux et la fonction publique, on lui répond que ce « n’est pas,
pour le moment du moins, opportun». Ceci notamment parce
que la modification de l’article 14 pourrait englober des relations
sociales ou privées qui ne relèvent pas du droit. Aussi, parce que
cela conduirait à l’ouverture d’un champ virtuellement infini,
d’obligations positives et au développement d’un effet horizontal
(c’est-à-dire entre particuliers) de l’égalité.
Lorsque le Comité des Ministres a lui-même commencé
sérieusement à envisager l’extension des droits reconnus dans la
Convention, notamment le 14 mai 1981, dans sa « Déclaration
49. Voir Jeroen Schokkenbroek, « A New European Standard Against Discrimination: Negotiating Protocol N° 12 to the European Convention on Human
Rights », in Jan Niessen, Isabelle Chopin, The Development of Legal Instruments to Combat Racism in a Diverse Europe, Koninklije Brill NV, The Netherlands, 2004, p. 61-79.
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
41
La non-discrimination : un droit fondamental
sur l’intolérance – une menace pour la démocratie », le Comité
directeur pour les droits de l’homme (CDDH), examinant la possibilité d’adopter une disposition générale d’interdiction de la
discrimination, adopte dans un premier temps une approche
fataliste en indiquant que les chances d’aboutir sont minces. Par
conséquent, il convenait plutôt, selon lui, d’adopter une
approche sectorielle.
Pour terminer sur les freins, alors que l’idée qu’il fallait interdire la discrimination dans tous les domaines faisait son chemin
dans les années 90, apparaissait un nouveau frein à l’adoption
d’un protocole permettant d’obtenir un tel résultat. En effet, la
Cour européenne, victime de son succès et suite à l’élargissement
du Conseil de l’Europe, était de plus en plus sollicitée. Cela a
conduit à l’engorgement qu’elle connaît encore actuellement en
dépit de l’adoption du Protocole n° 11 réformant son mode de
fonctionnement. C’était un argument supplémentaire, s’il en
fallait un, pour refuser d’étendre le principe de non-discrimination et donc de charger encore plus la Cour de travail.
Les moteurs
Toutefois, et il faut s’en réjouir, dans les années 1990, une
nouvelle acception du principe d’égalité qui s’est développée
depuis les années 1960, mais aussi d’autres arguments en faveur
du Protocole n° 12, vont l’emporter sur tous les freins que je
viens de mentionner.
L’un des principaux moteurs favorisant l’adoption du
Protocole n° 12 est la jurisprudence de la Cour en matière
d’interdiction de la discrimination. Cette jurisprudence a joué un
rôle à deux titres : elle a été à la fois rassurante et décevante.
Rassurante, parce que l’interprétation que la Cour a faite de la
notion de discrimination est tout à fait raisonnable et réaliste. Au
fil des années, sa jurisprudence a démontré qu’elle ne considère
pas l’égalité comme une identité de traitement absolue mais qu’il
42
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
y a discrimination lorsqu’une différence de traitement manque
de justification objective et raisonnable. C’est-à-dire lorsque
qu’elle ne poursuit pas un but légitime ou lorsque fait défaut un
rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens
employés et le but visé.
Décevante, parce que les affaires où la Cour européenne
condamne un Etat pour discrimination en vertu de l’article 14
sont très rares, notamment en ce qui concerne la discrimination
sexuelle et la discrimination raciale. Une des raisons de ce phénomène, même si ce n’est pas la seule, tient au caractère non indépendant de l’article 14. L’interdiction de la discrimination telle
que prévue par la Convention ne s’applique pas aux droits
sociaux et économiques, par exemple. Au passage, je souligne
que les arrêts récents Nachova contre la Bulgarie et Moldovan et
autres contre la Roumanie sont les premiers où la Cour
condamne ouvertement des Etats membres pour discrimination
raciale contraire à l’article 14 de la Convention50. Il est évidemment impossible de croire que, depuis les années 50, il n’y a pas
eu d’autre cas de violation du principe de non-discrimination
raciale en Europe. Au vu de la jurisprudence de la Cour, le constat
s’imposait donc : l’article 14 à lui seul n’est pas un outil
efficace et suffisant pour lutter contrer la discrimination au niveau
européen.
Un autre moteur qui a conduit à l’adoption du
Protocole n° 12 est l’insistance avec laquelle certains organes ont
appelé à l’extension du champ d’application de l’article 14 de la
CEDH. J’ai déjà mentionné les nombreuses Recommandations en
ce sens adoptées par l’Assemblée parlementaire du Conseil de
l’Europe mais il faut aussi évoquer ici le rôle important qui a été
joué par, d’un côté, le Comité directeur pour l’égalité entre les
femmes et les hommes (CDEG) et, de l’autre côté, l’ECRI. A peu
près au même moment, ces deux institutions ont fait une propo50. Cour européenne des Droits de l’Homme, 6 juillet 2005, Nachova et autres
contre la Bulgarie ; Cour européenne des Droits de l’Homme, 12 juillet 2005,
Moldovan et autres contre la Roumanie n° 2.
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
43
La non-discrimination : un droit fondamental
sition de protocole additionnel à la Convention européenne
visant à renforcer l’article 14.
Approche de l’ECRI
Concernant l’ECRI, on peut dire que la genèse du
Protocole n° 12 est liée à la création même de la Commission
européenne contre le racisme et l’intolérance.
Il y a eu dans les années 90 une prise de conscience de la
nécessité de redoubler d’efforts pour lutter contre le racisme, la
xénophobie, l’antisémitisme et l’intolérance, comme le montrent
la Déclaration et le Plan d’action adoptés le 9 octobre 1993 à
Vienne par le premier Sommet des Chefs d’Etats et de gouvernement des Etats membres du Conseil de l’Europe. Ces derniers ont
alors décidé de mettre en place l’ECRI qui a été chargée notamment d’étudier les instruments juridiques internationaux existant
en matière de lutte contre le racisme en vue de leur renforcement
si nécessaire.
Après une étude approfondie des instruments existant dans le
cadre du Conseil de l’Europe, le choix de l’ECRI s’est judicieusement porté sur l’adoption d’un protocole additionnel contenant
une disposition générale d’interdiction de la discrimination
raciale dans la Convention européenne des droits de l’homme,
l’instrument de protection des droits de l’homme jugé le plus efficace.
Dans son « Rapport circonstancié sur le renforcement de la
disposition de non-discrimination de la Convention européenne »
datant de 1995, l’ECRI soulignait que la Cour européenne n’avait
pas encore condamné un Etat pour violation de l’article 14 en
raison d’une discrimination raciale et que la jurisprudence des
organes de la Convention en la matière était de toute façon peu
abondante. L’ECRI n’a pas manqué de souligner que la Convention européenne était en retrait par rapport à d’autres instruments internationaux en matière d’interdiction de la discrimina-
44
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
tion. Elle a donc choisi de proposer une formulation dont on
pourrait s’inspirer pour rédiger un protocole additionnel.
Selon cette proposition, toute personne devait être protégée
contre la discrimination fondée sur la race, la couleur, la langue,
la religion ou l’origine nationale ou ethnique.
L’ECRI justifiait son approche limitée à la discrimination
raciale par un souci d’efficacité. Une telle disposition était urgente
en matière de lutte contre le racisme, dont la résurgence était
constatée par tous en Europe. On peut donc qualifier l’approche
de l’ECRI de pragmatique.
Approche du Comité directeur pour l’égalité entre
les femmes et les hommes (CDEG)
Pendant longtemps, le CDEG a examiné la possibilité d’insérer
une disposition dans la Convention européenne afin de créer un
droit à l’égalité entre les femmes et les hommes, notamment en
vue de pallier la faiblesse et le manque d’indépendance de
l’article 14 de la Convention.
Selon le Comité directeur, une autre faiblesse de la Convention était de ne pas reconnaître le caractère particulier de la discrimination fondée sur le sexe, celui-ci étant une caractéristique
d’une autre nature, d’un ordre qui pourrait être qualifié de
« structurel ». La différence entre les sexes serait une caractéristique permanente de l’humanité et le respect de la personne
humaine exigerait que soit reconnue la dualité sexuelle des sujets
de droit. Dans sa « Proposition circonstanciée sur un droit fondamental de la femme et de l’homme à l’égalité pour inclusion dans
un protocole à la Convention européenne des droits de
l’homme », le Comité directeur plaide en faveur d’un protocole
additionnel portant exclusivement sur l’égalité entre les femmes
et les hommes.
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
45
La non-discrimination : un droit fondamental
Il faut noter que l’approche restrictive du Comité directeur,
que l’on pourrait qualifier d’idéologique par opposition à
l’approche pragmatique de l’ECRI, a été reprise par l’Assemblée
parlementaire (APCE) dans son avis sur le projet du
Protocole n° 12. Cette dernière demandera en effet au Comité
des Ministres de prévoir une disposition à part selon laquelle « les
hommes et les femmes sont égaux devant la loi », à côté de la
disposition plus générale contenant une liste non exhaustive de
motifs de discrimination, y compris le sexe. Comme vous le savez,
cette proposition n’a pas été retenue.
L’approche du CDDH sur la base des propositions
de l’ECRI et du CDEG
Sur la base des deux rapports circonstanciés, le CDDH s’est
penché sur l’opportunité et la faisabilité d’une extension de
l’article 14 de la Convention. Entre l’approche de l’ECRI – restrictive pour avoir une chance de réussir – et celle du Comité directeur – restrictive parce que l’égalité entre les sexes serait structurellement différente de toutes les autres égalités –, le CDDH a
tranché de la meilleure manière qui soit. Au nom du principe
d’universalité des droits de l’homme, désormais bien ancré en
droit international, le CDDH a refusé tout protocole séparé
portant uniquement sur l’un ou l’autre type de discrimination,
opérant par là même un volte-face par rapport à la position qu’il
défendait dans les années 80.
Apparemment, l’ère d’une approche sectorielle ou spécifique
selon le motif de discrimination était révolue.
Toutefois, les craintes qui ont longtemps empêché l’approche
universelle d’aboutir n’ont pas été complètement balayées :
ainsi, au cours des débats, certains experts du CDDH ont évoqué
les dangers d’interprétations trop imprévisibles, les effets horizontaux considérables qu’un tel protocole aurait, le danger de
voir la Cour européenne engorgée par de trop nombreuses
requêtes, etc. Cependant, toutes ces craintes n’ont pas suffit à
46
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
empêcher l’adoption du Protocole n° 12, même si certaines
d’entre elles sont largement reflétées dans le Protocole lui-même
ou, au moins, dans son rapport explicatif.
Le rapport remis en 1997 par le CDDH au Comité des
Ministres plaide donc en faveur d’un Protocole additionnel à la
CEDH, prévoyant une interdiction générale de la discrimination
fondée sur une liste non exhaustive de motifs. Le Comité des
Ministres, sur la base de ce rapport, a chargé en 1998 le CDDH
de rédiger un projet de Protocole et de rapport explicatif permettant de déterminer la nature et le champ précis des engagements
des Etats parties. Ce qui a été fait en 1999. Ce rapport a été
soumis pour avis à l’Assemblée parlementaire. Celle-ci, comme je
l’ai déjà dit, a exprimé sa position en faveur d’une disposition
générale mais a demandé d’ajouter une disposition particulière
pour l’égalité entre les femmes et les hommes. La Cour
européenne a, quant à elle, indiqué qu’elle était en faveur d’un
tel protocole. Elle a souligné que le surcroît de travail qu’il
entraînerait nécessairement devra être pris en compte dans la
programmation, à long et moyen termes, des ressources pour la
Cour.
Enfin, le 26 juin 2000, le Comité des Ministres adopte le
Protocole n° 12 et son rapport explicatif tels que nous les
connaissons aujourd’hui, reprenant le projet de Protocole soumis
par le CDDH.
Le résultat obtenu
Avant de conclure, je voudrais commenter le résultat obtenu,
maintenant que nous connaissons mieux la genèse du
Protocole n° 12. A mon avis, il s’agit d’un Protocole ambitieux et
timide à la fois.
Ambitieux, parce qu’il prévoit une interdiction universelle de
la discrimination, c’est-à-dire en faveur de tous les êtres humains,
y compris cette catégorie souvent mise à part que sont les non-
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
47
La non-discrimination : un droit fondamental
ressortissants, dans tous les domaines et pas seulement celui des
droits civils et politiques. Il faut se réjouir de ce résultat car,
comme nous l’avons vu, ce n’était pas gagné d’avance.
Timide, d’une part parce que le terme « égalité » n’est
employé que dans le préambule du Protocole. La différence avec
l’article 7 de la Déclaration universelle et l’article 26 du Pacte
persiste dans ce domaine. Elle n’est peut-être que symbolique,
mais il ne faut pas négliger l’importance des symboles dans le
domaine des droits de l’homme. La timidité du résultat se reflète
surtout dans le rapport explicatif, qui insiste sur l’idée que le
Protocole n’oblige pas les Etats parties à « éviter tout cas de discrimination dans les relations entre particuliers ou (à) y remédier ».
Aux yeux de l’ECRI, même les discriminations du fait de particuliers doivent faire l’objet d’une réponse appropriée des autorités
étatiques. Celles-ci n’arriveront certainement pas à empêcher
toute discrimination, mais elles doivent au moins avoir l’obligation d’accorder à la victime une possibilité d’intenter un recours
pour obtenir réparation.
Ces critiques ne sont rien face à l’apport essentiel du
Protocole n° 12 à la lutte contre la discrimination, au travers de
la jurisprudence de la Cour européenne mais aussi des tribunaux
nationaux. Pour que cette lutte se fasse dans toute l’Europe, il
reste encore à encourager la ratification du Protocole n° 12 par
tous les Etats membres du Conseil de l’Europe. Malheureusement, c’est à ce niveau que les freins mentionnés précédemment
réapparaissent.
Bien sûr, 11 Etats ont ratifié ce texte et il est entré en vigueur
le 1er avril 2005. En tout, 35 Etats l’ont déjà signé. Pourtant,
24 de ceux-ci doivent encore le ratifier. Et surtout, 11 Etats n’ont
même pas jugé bon de signer ce texte. La plupart d’entre eux ont
même indiqué à l’ECRI qu’ils n’étaient pas prêts à tout faire pour
arriver à ratifier ce texte. Par conséquent, même si un pas
immense a été franchi le 1er avril 2005, il reste encore beaucoup
de chemin à faire.
48
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
Aujourd’hui, nous attendons avec impatience les premières
affaires concernant le Protocole n° 12 qui seront portées devant
la Cour européenne. Compte tenu de la règle de l’épuisement des
voies de recours interne avant toute saisine de la Cour, cela
devrait encore prendre un certain temps. En attendant, notre
tâche n’est pas terminée, il faut sans relâche continuer à lever les
freins qui empêchent non plus l’adoption du Protocole n° 12
mais sa signature et sa ratification par un certain nombre d’Etats.
Espérons que ce séminaire saura convaincre qu’il n’est plus temps
pour les Etats d’avoir peur d’être injustement condamnés pour
avoir discriminé mais plutôt de tout faire, y compris ratifier le
Protocole n° 12, pour mieux lutter contre les discriminations et
notamment la discrimination raciale, ce fléau qui persiste dans
toute l’Europe.
Merci de votre attention.
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
49
La non-discrimination : un droit fondamental
Thème 1 : La portée du
Protocole n° 12
Le Protocole n° 12 et la Convention des
Nations Unies sur l’élimination de toutes
les formes de discrimination raciale
M. Morten Kjaerum
Directeur de l’Institut danois des droits de l’homme
Membre du Comité des Nations Unies pour
l’élimination de la discrimination raciale
Le protocole n° 12 renforcera la lutte contre la discrimination
en Europe car la Convention européenne des Droits de l’Homme
(CEDH) reste, de l’avis des juristes comme du grand public, la
plus importante convention régionale/internationale sur les droits
de l’homme. Bien que les Conventions des Nations Unies aient un
champ d’application plus large, l’applicabilité directe du
Protocole n° 12 par les tribunaux nationaux dans la plupart des
Etats membres ainsi que la compétence de la Cour européenne
des Droits de l’Homme renforceront les moyens juridiques de
lutter contre la discrimination.
La normalisation du système européen grâce au
Protocole n° 12 facilitera la tâche non seulement des tribunaux
mais aussi des institutions nationales des droits de l’homme, des
médiateurs actifs dans ce domaine et d’autres organes parajudiciaires qui, dans un nombre toujours accru de pays, deviennent
les acteurs clés de la lutte contre la discrimination.
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
51
La non-discrimination : un droit fondamental
Toutefois, le Protocole n° 12 est toujours flou sur deux questions capitales pour la lutte quotidienne contre la discrimination,
à savoir l’effet horizontal du protocole, et les mesures positives.
Sur ces deux questions, les Conventions des Nations Unies offrent
de meilleures possibilités.
La Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes
les formes de discrimination raciale (ICERD) met fermement
l’accent sur le fond de l’égalité et non pas simplement sur sa
forme. Selon l’article 2, paragraphe 2, les Etats parties ont l’obligation de prendre « des mesures spéciales et concrètes pour
assurer […] le développement ou la protection de certains
groupes raciaux ou d’individus appartenant à ces groupes en vue
de leur garantir, dans des conditions d’égalité, le plein exercice
des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Cette question a été soulevée avec un Etat partie et, dans ses
observations finales, le comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD) a affirmé : « s'agissant de l'action palliative,
le comité note avec préoccupation la position de l’Etat partie
selon laquelle les dispositions de la Convention permettent aux
Etats parties, mais ne leur imposent pas, d’adopter des mesures
palliatives tendant à assurer le développement adéquat et la
protection de certains groupes raciaux, ethniques ou nationaux.
Le comité souligne que l’adoption par les Etats parties de mesures
spéciales quand les circonstances le justifient, par exemple la
persistance de disparités, constitue une obligation en vertu du
paragraphe 2 de l’article 2 de la convention. »51
Des mesures spéciales pourraient être jugées discriminatoires
contre les groupes ou individus qui ne bénéficient pas d’un traitement de faveur. Afin d’éviter de telles situations, l’article 1,
paragraphe 4, prévoit qu’un tel traitement de faveur n’est pas
considéré comme une mesure de discrimination raciale à condition qu’une telle mesure n’ait pas pour effet le maintien de droits
51. CERD A/56/18, paragraphes 380 à 407 (2001).
52
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
distincts pour des groupes raciaux différents et qu’elle ne soit pas
maintenue en vigueur une fois atteints les objectifs auxquels elle
répondait.
Lorsque l’on traite les questions relatives à toute forme de
discrimination et à la discrimination raciale en particulier, une
question importante est la relation entre les individus ou groupes
de personnes, c’est-à-dire l’effet horizontal. La question est de
savoir si, outre l’obligation de s’abstenir de toute pratique discriminatoire, le gouvernement a également l'obligation positive
d’intervenir entre des parties privées afin de protéger l’individu
de toute discrimination exercée par des agents non étatiques.
L’article 2, paragraphe 1 (d) de l’ICERD fait explicitement obligation à l’Etat partie d’interdire par tous les moyens appropriés, y
compris des mesures législatives, la discrimination raciale pratiquée par des personnes, des groupes ou des organisations et d’y
mettre fin.
Un certain nombre de communications adressées au CERD
font état de manquements présumés de l’Etat partie à son obligation d’enquêter sur les cas de discrimination entre parties privées.
Dans un cas où une personne s’est vu refuser un prêt bancaire, le
CERD a estimé qu’il convenait « en se fondant sur le
paragraphe (d) de l’article 2 de la convention, d’enquêter
dûment sur les véritables raisons qui sous-tendent la politique en
matière de prêt suivie par la banque à l’égard des résidents étrangers, pour vérifier si des critères pouvant donner lieu à une discrimination raciale, au sens de l’article 1er de la convention, sont
appliqués.[…] Dans ces conditions, le comité estime que l’auteur
a été privé d'une voie de recours effective, au sens de l’article 6
de la convention, compte tenu du paragraphe (d) de
l’article 2. »52
Certains Etats parties sont réticents à intervenir dans la sphère
privée et ne tiennent donc pas compte de cette partie importante
52. CERD/C/54/D/10/1997.
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
53
La non-discrimination : un droit fondamental
de l’ICERD. Lors de l’examen de la situation dans l’un des pays,
la question a été soulevée et le CERD a noté « avec préoccupation
la position de l’Etat partie à l’égard de l’obligation qui est la
sienne, aux termes des alinéas (c) et (d) du paragraphe 1 de
l’article 2, de faire cesser la discrimination raciale pratiquée par
des personnes, des groupes ou des organisations – position selon
laquelle l’interdiction et la répression de comportements relevant
de la sphère purement privée n’entrent pas dans le champ de la
réglementation gouvernementale, même là où la liberté de la
personne s’exerce de manière discriminatoire. » Le comité a
recommandé à l’Etat partie « de réviser sa législation afin d’ériger
en infraction pénale une aussi grande partie que possible des
comportements relevant de la sphère privée présentant un caractère discriminatoire motivés par des considérations de race ou
d’ethnie ».53
En conclusion, les tribunaux et les organes parajudiciaires
disposent avec le Protocole n° 12 d’un instrument utile ; toutefois, il ne peut se substituer entièrement aux Conventions des
Nations Unies qui ont un champ d’application plus large en
rapport avec des questions de la plus haute importance dans les
pays européens.
53. CERD A/56/18 paragraphe 392 (2001).
54
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
Combattre le terrorisme en combattant la
discrimination : le Protocole n° 12
constitue-t-il une aide ?
M. James A. Goldston
Directeur exécutif, Open Society Justice Initiative
On a demandé à ce panel d’aborder la question de la « portée
du Protocole n° 12 ». C’est ce que j’aimerais faire en concentrant
ces brefs commentaires sur un ensemble de problèmes qui, je
pense, concernent le protocole : l’application d’une législation
antidiscriminatoire européenne à la lutte antiterroriste.
Aujourd’hui, un défi important que doit relever l’Europe est
de garantir que la lutte contre la violence terroriste soit menée
d’une manière intelligente, efficace et non discriminatoire.
Ces dernières années, quelques gouvernements, et ce pour
des raisons compréhensibles, ont été particulièrement actifs dans
l’adoption et la mise en œuvre de mesures antiterroristes.
Parallèlement, les organes officiels de l’Europe ont substantiellement élargi le cadre juridique et normatif interdisant la
discrimination raciale et ethnique. En 2000, l’Union européenne
a adopté la directive relative à la mise en œuvre du principe de
l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race
ou d’origine ethnique, qui interdit la discrimination directe aussi
bien qu’indirecte pour des raisons d’origine raciale ou ethnique.
La même année, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe
a ajouté le Protocole n° 12 à la Convention européenne des
Droits de l’Homme. En outre, la Cour européenne des Droits de
l’Homme a commencé – pour faire face à la multitude de procès
intentés par les victimes et les groupes d’intérêt public – à
dégager une jurisprudence interprétant l’interdiction de la discrimination fondée sur la race, l’origine ethnique et l’origine natio-
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
55
La non-discrimination : un droit fondamental
nale et mentionnée à l’article 14. L’arrêt Nachova de la Grande
Chambre, rendu plut tôt cette année, est à cet égard très révélateur.
A ce jour et en dépit de ces développements positifs, on ne
s’est pas suffisamment préoccupé, au-delà des grandes déclarations ou des bonnes intentions, de faire coïncider la lutte
antiterroriste avec l’effort déployé pour combattre la discrimination raciale et ethnique. C’est la raison pour laquelle il faut
approfondir la réflexion sur la relation bilatérale de ces deux
phénomènes. En ce sens, le Protocole n° 12 s’inscrit parfaitement dans cette discussion.
Actuellement, on constate dans le monde que certains gouvernements ont adopté, depuis le 11 septembre, une attitude
tendant à surveiller particulièrement certaines fractions de la
population ou à accorder moins de protection à des personnes
étrangères ou originaires de pays arabes ou musulmans bien
définis. Dans certains cas, on a estimé que des groupes entiers –
par exemple ceux désignés par le terme de « combattants
ennemis hors la loi » – ne bénéficiaient pas de protection juridique. Sur le plan historique, les sociétés confrontées à des
menaces ont souvent manifesté plus de volonté à sacrifier la
liberté d’une minorité au profit de la sécurité de la majorité. Le
passé de mon propre pays est profondément marqué par l’internement forcé pendant la seconde guerre mondiale de dizaine de
milliers d’Américains d’origine japonaise fondé uniquement sur
leur ascendance ou sur leur origine nationale.
Je voudrais être clair. Le terrorisme constitue une menace
réelle et sérieuse pour les droits de l’homme et la sécurité des
personnes. En ce sens, il mérite une réponse énergique de la part
des gouvernements. Toutefois il serait contre-productif d’établir
des normes et de sélectionner quelles sont celles qui sont applicables et quelles sont celles qui ne le sont pas, ou encore de faire
de nombreuses exceptions pour des groupes entiers.
56
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
Heureusement le Conseil de l’Europe a une approche différente. En effet, les lignes directrices sur les droits de l’homme et
la lutte antiterroriste énoncent clairement « que toutes les
mesures prises par les États pour lutter contre le terrorisme54
doivent … [exclure] tout arbitraire ainsi que tout traitement
discriminatoire ou raciste » (Lignes directrices II). De même, le
texte du Protocole n° 12 tout en rejetant une approche sélective
et peu méthodique affirme que « TOUTES LES PERSONNES sont
égales devant la loi et ont droit à une égale protection de la loi »
(Préambule). Cependant comment appliquer ces principes dans
la pratique, c’est-à-dire dans les situations de la vie quotidienne ?
Laissez-moi brièvement proposer quelques méthodes grâce
auxquelles le Protocole n° 12 faciliterait l’application de normes
antidiscriminatoires relatives à la lutte antiterroriste. Ce faisant, je
vais aborder plusieurs « sous- thèmes » prévus par ce panel y
compris la portée du Protocole n° 12, sa relation avec l’article 14
de la Convention et avec le droit de l’Union européenne ainsi que
la question de l’effet horizontal.
Il existe une multitude d’activités gouvernementales impliquées dans la lutte antiterroriste qui seraient particulièrement
concernées par la « portée de la protection additionnelle
mentionnée à l’article 1 du Protocole n° 12 » (rapport explicatif,
paragraphe 22). Vu le temps disponible, nous ne pourrons
aborder que les deux thèmes suivants : l’utilisation du profil
ethnique par la police lors de la pratique des interpellations,
fouilles à corps, opérations de surveillance et activités similaires
ainsi que la sélection de personnes appartenant à une race,
ethnie, religion, origine nationale ou nationalité particulières
pour les soumettre à un traitement spécifique en matière de politique d’immigration et/ou de déchéance de nationalité.
54. Adoptées le 11 juillet 2002.
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
57
La non-discrimination : un droit fondamental
1. Profil ethnique
Ces dernières années, plusieurs gouvernements européens ont
eu recours, en appliquant la loi, à des politiques de profil racial
ou ethnique considérées comme aptes à lutter contre la violence
terroriste. Concernant le profil racial ou ethnique, je me réfère à
l’utilisation blessante des stéréotypes raciaux ou ethniques sur
lesquels reposent les décisions du personnel chargé d’enquêter et
d’appliquer la loi pour apprécier qui a été ou pourrait être
impliqué dans une activité criminelle.
Le profil ethnique n’est pas inconnu. En effet, l’ECRI et
d’autres organisations ont souvent constaté sa présence dans de
nombreux États membres du Conseil de l’Europe. Ces dernières
années, de nombreux gouvernements ont concentré leurs activités policières et leurs méthodes d’investigation sur des
personnes qui avaient l’air d’être d’origine musulmane ou arabe.
Malheureusement, on n’a jamais pu vraiment élucider si le lien
avec cette identité musulmane ou arabe se basait sur une information concernant un incident spécifique en un endroit particulier ou sur une large présomption selon laquelle, en règle générale, les musulmans ou les arabes ont plus de chances d’être des
terroristes. En effet, certains gouvernements se sont montrés très
ouverts à l’utilisation du profil ethnique. Au début de
l’année 2005, un ancien ministre d’un État membre de l’Union
européenne a déclaré expressément que la communauté musulmane allait inévitablement faire les frais, et ce d’une manière
disproportionnée, de la législation antiterroriste, dans la mesure
où c’est de là que vient la menace terroriste.
D’autres gouvernements auraient chargé les services de police
de réunir des données relatives à des jeunes gens d’origine islamique auprès des universités, des services de l’état civil, des assurances maladie ainsi que d’autres institutions.
En 2002 la réunion de travail de l’UE sur le terrorisme dressa
pour les Etats membres une liste de recommandations relative à
58
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
l’utilisation du « profil terroriste » en se servant pour ce faire d’un
ensemble de variables comprenant la nationalité, l’âge,
l’éducation, le lieu de naissance, des caractéristiques psychosociologiques, la situation de famille, et ce afin d’identifier les terroristes avant qu’ils ne passent à l’action.
Ces développements soulèvent de véritables questions. Le
Réseau d’experts indépendants de l’UE en matière de droits
fondamentaux se montre très préoccupé par le développement
du profil terroriste par la police ou les services d’immigration, ce
qui, et c’est un avertissement, « présente un risque important de
discrimination »55. Selon le Réseau, « l’élaboration de tels profils
à des fins opérationnelles ne saurait être admise qu’en présence
d’une démonstration claire, statistiquement significative, de liens
entre de telles caractéristiques et le risque de terrorisme. Cette
démonstration n’est pas apportée à l’heure actuelle56 ».
Les méthodes du profil racial impliquent clairement des
normes anti-discriminatoires. Ainsi, la Recommandation n° 8 de
politique générale de l’ECRI sur la législation nationale pour lutter
contre le racisme tout en combattant le terrorisme, adoptée par
l’ECRI le 17 mars 2004, recommande particulièrement aux
gouvernements « d’accorder à cet égard une attention particulière aux moyens de garantir de façon non-discriminatoire la
liberté … de mouvement et de faire en sorte qu’aucune discrimination ne résulte de la législation et des réglementations – ou de
leur application – régissant (entre autres) les contrôles auxquels
procèdent les forces de l’ordre sur le territoire des États et le
personnel de contrôle aux frontières ».
Actuellement il n’est pas avéré que de telles pratiques contreviennent au droit positif de l’Union européenne ou à la Convention européenne. En ce sens, le Protocole n° 12 en créant une
55. Réseau d’experts indépendants de l’UE en matière de droits fondamentaux
« Rapport sur la Situation des Droits Fondamentaux dans l’Union européenne
et ses États membres en 2002 » (mars 2003), paragraphe 4.
56. Idem
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
59
La non-discrimination : un droit fondamental
norme non-discriminatoire indépendante semble combler une
lacune. Apparemment, la recommandation antidiscriminatoire
principale de l’UE relative aux questions de discrimination raciale
et ethnique – la directive relative à la mise en oeuvre du principe
de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de
race ou d’origine ethnique de l’année 2000 – ne vise pas ces
questions. Certains observateurs sont allés très loin et ont suggéré
qu’on pouvait concevoir que le maintien de l’ordre relève également des marchandises et des services disponibles au public et
pour lesquels la directive prévoit un accès égal (Art. 3 (1) (h)).
Mais cette interprétation semble entrer en conflit avec le champ
d’application des pouvoirs limités de la Communauté européenne.
L’idée selon laquelle l’article 14 de la Convention européenne, lu avec l’un des autres articles, empêcherait la police
d’appliquer la méthode du profil racial et ethnique bénéficie d’un
soutien majeur. Quand l’activité en question consiste dans des
interpellations et des fouilles à corps, tout dépend du sens donné
par l’article 5 (1) aux mots « arrestation » et « détention ».
Certains prétendent que, lorsqu’un policier fait savoir à une
personne, et ce par le biais d’une contrainte physique, de paroles
ou d’un comportement, qu’elle n’est pas libre de s’en aller, il
s’agit alors d’une arrestation au sens de l’article 557.
D’autre part il existe une jurisprudence des organes de Strasbourg énonçant que c’est « l’intention de la police » qui devrait
déterminer si une personne est en état d’arrestation – auquel cas,
la question n’est pas vraiment claire58.
L’utilisation du profil ethnique à d’autres fins, déjà contestable en soi, serait encore plus difficile à justifier au titre de la
Convention, et pourrait tomber sous le coup de l’interdiction de
la discrimination prévue à l’article 14. Ainsi, lorsque la police
57. Harris, O’Boyle, Warbrick, Law of the European Convention on Human Rights
(1995), p. 100
58. X c. RFA, No. 8819/79, 24 DR 158 (1981)
60
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
surveille des personnes dans des lieux publics, et ce d’une
manière qui ne respecte pas clairement l’intimité de la vie privée
mentionnée à l’article 8, et que cette surveillance se concentre
uniquement sur des personnes d’une ethnie, d’une origine nationale ou d’une apparence raciale particulières, il n’est pas sûr
qu’un tel comportement soit interdit par la Convention sous sa
forme actuelle.
Le Protocole n° 12 englobe plus nettement cette activité soit
parce que les interpellations, les fouilles à corps et la surveillance
policière correspondent aux termes du paragraphe 22 du rapport
explicatif à « l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la police »,
soit parce qu’elles constituent « d’autres actes ou omissions de la
part des autorités publiques ».
2. Immigration et citoyenneté
La méthode du profil ethnique est un domaine où le
Protocole n° 12 peut apporter la clarté dont le cadre législatif a
besoin. La discrimination relative à l’immigration et à la citoyenneté relève d’un autre domaine. Ces dernières années, de
nombreux gouvernements ont durci leur politiques d’immigration et de citoyenneté, et ce dans le but d’empêcher des
personnes soupçonnées d’être des terroristes d’entrer sur leur
territoire ou/et de les éloigner. Sans aucun doute, il est très utile
de rechercher ce qui peut être fait légalement pour maintenir à
l’extérieur des frontières nationales des personnes connues pour
être impliquées dans la violence terroriste. Néanmoins, cet effort
semble se traduire par la sélection de groupes de personnes
déterminés en fonction de l’origine ethnique, de la race, de
l’origine nationale ou de la nationalité.
De nombreux pays ont proposé et adopté des mesures
diverses pour (i) limiter l’immigration et /ou les droits de séjour,
accélérer l’expulsion (ii) et/ou déchoir de leur nationalité des
personnes suspectées d’être impliquées dans le soutien d’activités
terroristes. Dans la pratique, de telles mesures visaient souvent
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
61
La non-discrimination : un droit fondamental
des personnes à peau foncée, originaires de certains pays
d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.
Au niveau normatif, la Recommandation n° 8 de politique
générale d’ECRI préconise que les gouvernements fassent en sorte
qu’aucune discrimination ne résulte de la législation et des réglementations – ou de leur application – régissant notamment les
domaines suivants :
• « expulsion, extradition, reconduite à la frontière et principe de non-refoulement
• délivrance de visas
• permis de séjour et de travail et regroupement familial
• acquisition et retrait de la nationalité »
Cependant les directives sont de nouveau moins nombreuses
au niveau du droit positif. La directive relative à la mise en œuvre
du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans
distinction de race ou d’origine ethnique de l’Union européenne
n’est vraisemblablement pas d’un grand secours dans la mesure
où « elle ne vise pas les différences de traitement fondées sur la
nationalité et s’entend sans préjudice des dispositions et conditions relatives à l’admission et au séjour des ressortissants de pays
tiers et des personnes apatrides sur le territoire des Etats membres
et de tout traitement lié au statut juridique … » (article 3,
alinéa 2).
Il faut donc également se poser la question si la Convention
européenne des Droits de l’Homme dans sa version actuelle
pourrait éventuellement être d’un grand secours pour répondre à
ces questions.
Ce qui est certain, c’est que la Cour européenne a déjà clarifié
que l’article 14 interdit la discrimination pour des motifs de
nationalité ou pour des motifs fondés sur la race et l’origine nationale ou ethnique (Gayguszuz). Les motifs énumérés dans le texte
de l’article 14 ainsi que dans le Protocole n° 12 ne sont pas
62
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
exhaustifs59. En outre, le retrait arbitraire de la nationalité
pourrait donner lieu, dans certaines circonstances, à une
demande de réparation mentionnée à l’article 3 et peut-être dans
d’autres dispositions. Cela étant, la Convention, jusqu’ici, ne
donne à aucune personne le droit d’obtenir la nationalité d’un
pays particulier. Cette position reflète la tendance générale du
droit international.
De même, alors que la reconduite à la frontière et/ou l’expulsion de ressortissants étrangers peut soulever une multitude de
problèmes au titre des différents articles de la Convention, cette
dernière n’accorde pas aux ressortissants étrangers le droit d’asile
ou le droit d’entrée sur le territoire. Ainsi, il sera actuellement
difficile d’accepter une plainte concernant une discrimination
raciale ou ethnique et relative aux droits d’entrée des ressortissants étrangers sur le territoire60.
En ce qui concerne la méthode policière du profil ethnique, là
aussi, le Protocole n° 12 ferait disparaître certaines ambiguïtés
de la protection juridique existante en instaurant une garantie
indépendante de non-discrimination. Au minimum, le protocole
contraindrait les gouvernements à justifier d’une manière plus
rigoureuse et substantielle des politiques qui, en matière d’accès
59. Voir le rapport explicatif, paragraphe 20 (« la liste des motifs de discrimination figurant à l’article 1 est identique à celle de l’article 14 de la
Convention » ; « inutile d'un point de vue juridique » d’ajouter des motifs
spécifiques puisque la « liste des motifs de discrimination n’est pas
exhaustive … ( La) Cour européenne des droits de l'Homme a déjà appliqué
l’article 14 à l’égard de motifs de discrimination qui ne sont pas mentionnés
dans cette disposition »).
60. Dans l’arrêt Asiatiques de l’Afrique orientale c. RU (1973), 3 EHRR 76, la
Commission européenne a déclaré que le fait de sélectionner un groupe de
citoyens britanniques en fonction de motifs raciaux et de leur refuser les
droits d’entrée constituait un traitement dégradant. Justement dans ce cas de
figure, comme le RU n’avait pas et n’a toujours pas ratifié le Protocole n° 4
garantissant le droit des citoyens à entrer dans leur propre pays, la Commission ne pouvait se baser sur l’article 14, mais devait fonder son raisonnement sur les articles 3 et 8.
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
63
La non-discrimination : un droit fondamental
à la citoyenneté ou de politique d’immigration, sélectionnent des
nationalités particulières ou des groupes ethniques pour les
soumettre à un traitement spécifique discriminatoire. Indépendamment de l’état actuel du droit positif de la nationalité, de
l’immigration et du droit au séjour des ressortissants étrangers
inscrit dans la Convention européenne, le Protocole n° 12 interdirait plus clairement des pratiques de discrimination raciale et
ethnique dans l’exercice de ces droits et donnerait ainsi aux
gouvernements tout comme aux victimes potentielles d’abus des
informations plus précises sur ce qui est autorisé61.
3. Effet horizontal
Une autre question concernant le lien entre les normes antidiscriminatoires et la lutte antiterroriste est celle de l’effet horizontal. Par manque de temps, je n’entrerai pas ici dans les détails,
mais je voudrais juste mentionner que dans certains pays, et ce
depuis 2001, des personnes perçues comme musulmanes ou
arabes ont souffert d’un contrecoup de discrimination, et dans
certains cas, ont été victimes de la part de particuliers de violences
physiques ou visant la propriété. Ainsi, lorsque des personnes
perçues comme musulmanes ou arabes se voient refuser des
offres d’emploi ou l’accès aux bars, restaurants ou autres établissements commerciaux, ou encore subissent des discriminations
qui ne sont pas couvertes pas les dispositions de fond de la
Convention, il serait alors pertinent d’étendre la portée du protocole aux particuliers.
61. Bien de ce que je dis ne doit être interprété comme laissant entendre que le
droit international actuel n’a pas encore interdit ces pratiques discriminatoires. Je crois qu’il l’a fait. Prenons à ce titre un premier exemple : en
décembre dernier, la Chambre des Lords du Royaume-Uni, se basant sur la
législation nationale et sur les principes du droit international coutumier,
statua que les fonctionnaires britanniques du service de l’immigration de
l’aéroport de Prague avaient commis une discrimination raciale illicite en
traitant moins bien les Roms cherchant à partir au RU que les personnes
n’appartenant pas à ce groupe mais se trouvant dans la même situation.
Regina c. fonctionnaire du service de l’immigration à l’aéroport de Prague
(2004) UKHL 55 (décembre 9, 2004)
64
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
Le rapport explicatif du Protocole n° 12 suggère que
« néanmoins, la portée de toute obligation positive découlant de
l’article 1 sera probablement limitée au cas de lacune manifeste
dans la protection offerte par le droit national contre la
discrimination »62. Le nombre de pays dépourvu de législations
adéquates pour traiter la discrimination privée tend à diminuer,
et ce grâce en partie à l’obligation de transposer la directive européenne relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de
traitement entre les personnes sans distinction de race ou
d’origine ethnique dans les Etats membres de l’UE. Cependant, il
y a encore des points qui méritent d’être examinés. Un en particulier devrait l’être : dans quelle mesure des actions gouvernementales pratiquant ouvertement le profil ethnique sur des
personnes perçues comme musulmanes ou arabes délivrent-elles
un message, même si cela n’est pas intentionnel, aux acteurs
privés – employeurs, compagnies aériennes et autres – signifiant
que l’identité musulmane et arabe constitue un facteur central
justifiant le soupçon de terrorisme ? Etant donné que les
méthodes de lutte antiterroriste utilisées par les gouvernements
encouragent la discrimination privée, peut-on alors en déduire
que l’effet horizontal du Protocole n° 12 serait élargi ?
Naturellement, il existe de nombreux domaines où la lutte
antiterroriste touche les minorités raciales et ethniques, et beaucoup sont couverts par la Convention européenne des Droits de
l’Homme dans sa version actuelle. Ces domaines comprennent
les points suivants : la protection du droit au respect de la vie
privée et familiale mentionnée à l’article 8, les limites fixées par
la liberté d’expression en cas de discours soutenant la violence
terroriste mentionnées à l’article 10 ainsi que le droit à un procès
équitable et les libertés des personnes accusées mentionnées,
entre autres dispositions, aux articles 3, 5 et 6.
Cependant le Protocole n° 12 procure à l’Europe, dans sa
lutte contre le terrorisme, un instrument potentiellement fort qui
62. Rapport explicatif, paragraphes, 26, 27
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
65
La non-discrimination : un droit fondamental
lui permet d’intensifier la protection contre la discrimination. Et
pour cette seule raison, il mérite un soutien plus large de la part
des gouvernements.
66
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
Le Protocole n° 12 et la Charte sociale
M. Jean-Michel Bélorgèy
Président du Comité européen des Droits sociaux
Les dispositions du Protocole n° 12 ont une résonance familière pour les membres du Comité européen des Droits sociaux.
Ce Comité qui est l’organe de régulation de la Charte sociale du
Conseil de l’Europe, complément dans le domaine des droits
sociaux de la Convention de sauvegarde dans le domaine des
droits civils et politiques, procède d’une part à la lecture de
rapports, d’autre part, depuis quelques années, à l’examen de
réclamations collectives présentées contre les Etats qui en ont
accepté le principe. Le CEDS s’est de longue date mesuré à la
question des discriminations qui est traitée par l’article E de la
Charte révisée. Il s’y est de fait attaché, bien avant l’entrée en
vigueur de la Charte révisée, sur le fondement des dispositions du
préambule de la Charte sociale originelle, pour traiter du
problème du droit du travail applicable aux femmes, du
problème des prestations sociales servies aux étrangers ou aux
travailleurs ayant une faible durée de travail. C'est à la lumière de
cette expérience que je voudrais faire deux types de remarques.
Premier type de remarques : la différence essentielle entre le
Protocole n° 12 et la Charte, comme entre le Protocole n° 12 et
la Convention européenne des droits de l’homme est évidemment que la prohibition de la discrimination qui figure dans la
Charte concerne les droits dont elle traite, les droits sociaux au
sens large, alors que la prohibition énoncée par le Protocole vaut
pour tout droit et, ça ne fait pas tout de suite aussi facilement
image, pour les comportements de l’autorité publique. Ce qui,
dans cette transversalité, est un élément extrêmement positif, et
d’ailleurs le rapport explicatif du Protocole le fait valoir, c’est
qu’on peut saisir une partie au moins des abstentions fautives des
Etats autant que certaines de leurs initiatives contrevenant au
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
67
La non-discrimination : un droit fondamental
principe de non-discrimination. Ce qui est moins positif c’est que
les Etats peuvent s’estimer dispensés de prendre certaines initiatives législatives ou réglementaires, et que – Michael Head l’a
fortement fait ressortir tout à l’heure – les comportements discriminatoires se manifestant dans les relations entre personnes
privées peuvent ne pas être regardés comme relevant de la
responsabilité des Etats. C’est une toute autre doctrine que, dans
le cadre de la Charte qu’il a pour mission d’appliquer, le Comité
européen des Droits sociaux a fait prévaloir. Non seulement, et
un peu comme Morten Kjaerum le faisait valoir pour les instruments des Nations Unies, la Charte fait obligation aux Etats de
prendre un certain nombre d’initiatives normatives en vue de
prévenir certaines discriminations ou de les interdire, mais,
lorsque les comportements discriminatoires sont attestés par des
acteurs sociaux dans le champ de compétence d’un Etat, il est
courant que le Comité européen des Droits sociaux soit amené à
relever que l’Etat s’est engagé, et que seraient-ce les partenaires
sociaux qui contreviennent à l’obligation de non-discrimination,
serait-ce une autorité locale, serait-ce une entreprise, même sans
participation publique, l’Etat est comptable de ces discriminations. C’est ce que le Comité européen des Droits sociaux a
notamment relevé hier, alors qu’il siégeait, pour accepter la réclamation collective d'une Fondation grecque contre les manquements de l’Etat grec à un certain nombre d’obligations. L’idée est
qu’il incombe aux Etats non seulement de ne pas discriminer,
mais de ne pas tolérer de discriminations, et par conséquent, de
prendre des initiatives concrètes en vue de prévenir ou de
réprimer les discriminations. C’est ce qui me semble-t-il, contribuera, par delà le Protocole n° 12 – et Morten Kjaerum l’a fait
valoir fortement – à garder tout leur intérêt aux instruments internationaux, de champ mondial ou de champ européen, qui
prévoient non pas des bons usages, non pas un droit d’une
certaine manière essentiel, comme le Protocole n° 12 mais aussi
un droit incarné avec à la fois du droit et de la chair, car les bons
usages ne sont pas suffisants, le droit essentiel a ses vertus, mais
l’idéal est un droit avec de la chair.
68
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
Ma deuxième catégorie de remarques consistera à faire
ressortir que l’entrée en vigueur du Protocole n° 12 va, compte
tenu de ses ambitions d’exhaustivité, mais aussi de sa rédaction
elliptique, qui fait renvoi à l’acquis jurisprudentiel dont il a été
question ce matin, faire rebondir trois questions, dont la portée a
déjà été évoquée dans le cours de la discussion, mais que je
voudrais à nouveau caractériser.
Première question : non-discrimination ne signifie pas traitement identique en toutes circonstances de toutes les catégories de
sujets de droit. Il peut y avoir justification objective d’un traitement différent : toute la question est cependant de savoir où l’on
fait passer la limite entre ce qui est traitements différents admettant une justification objective et traitements ne l’admettant pas ;
et ceci est singulièrement compliqué sur des terrains où les Etats
sont sensibles, voire crispés : la nationalité, la régularité du séjour
des étrangers présents sur le territoire, le séjour ou pas des
enfants en matière de prestations familiales. Il faut saluer à cet
égard les décisions qui ont été relatées par Martin Scheinin s’agissant du Comité des droits de l’homme des Nations Unies,
l’histoire des pensions des anciens militaires de l’armée française
d’origine sénégalaise que la France ne voulait pas payer au même
niveau que les pensions françaises ; et s’agissant de la Cour
européenne des droits de l’homme par Mme Tsatsa-Nikolovska,
qui nous a rappelé les affaires françaises, autrichiennes et turques
en matière de prestations sociales. Mais il y a toutes sortes de
problèmes liés aux services des prestations sociales aux étrangers
qui vont certainement resurgir à travers le Protocole n° 12. Il ne
faudrait pas que les juges qui en seront saisis développent une
posture si innovante que les Etats, même raisonnables, se sentiraient pris à partie. Il ne faudrait pas non plus que le Protocole
fasse naître chez certaines catégories d'usagers, de justiciables,
des espoirs qu’on ne pourra satisfaire.
Deuxième question : la non-discrimination n’appelle pas
toujours un traitement identique ; il y a des gens dans des situations différentes qu’il faut traiter différemment, en général plus
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
69
La non-discrimination : un droit fondamental
favorablement – mais pas toujours forcément – en tout cas par
des procédés impliquant un détour de stratégie, un effort singulier pour pourvoir à la prise en compte de caractéristiques singulières. C’est le sens le plus profond de l’arrêt Thlimmenos contre
Grèce de la CEDH qui a déjà été évoqué. Le Comité que je préside
a lui-même fait application d’un raisonnement de ce type dans
une décision concernant des personnes handicapées autistes –
Autisme-Europe contre France. Il a fait application du même
raisonnement dans l’affaire Rom Center contre Grèce concernant
les tsiganes en Grèce. Il faut savoir jusqu’où on peut aller dans ce
domaine, non seulement à l’intérieur d’enceintes spécialisées
comme le CEDS, mais dans le cadre de l’application du
Protocole n° 12, et s’il est possible, notamment, d’aller assez loin
pour traiter de problèmes dont je sais qu’ils inquiètent beaucoup
cette maison, comme l’islamophobie. Est-ce que, dans le
domaine du droit du travail, on pourra, par le canal du
Protocole n° 12, mieux qu’on ne l’a fait jusqu’à présent,
résoudre le problème des libertés religieuses des ressortissants de
religions minoritaires, allogènes à l’Europe, problème sur lequel
plus d’une juridiction nationale a pris position de façon spécialement inadéquate du point de vue des équilibres politiques et
humains ?
Dernière – et j’en ai fini, Monsieur le Président – question qui
risque de rebondir. La non-discrimination doit, dans plusieurs
cas, être conciliée avec la protection. C’est ce qui rend la question
de la non-discrimination en matière de santé, en matière de
handicap, en matière de personnes âgées plus compliquée que la
question de la non-discrimination dans d’autres secteurs. C’est ce
que l’on doit toujours aussi avoir tête – et on ne l’a pas toujours
malheureusement en tête – concernant les femmes enceintes ou
allaitantes. Comment assurer cette conciliation ? Quelle ligne de
partage, là encore, pourra-t-on dégager dans le cadre de la juridiction à compétence transversale, je ne parle pas des enceintes
spécialisées.
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Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
C’est, à mon avis, la mesure, mais aussi l’adéquation des solutions dégagées pour traiter de ces différentes questions qui fera le
succès d’un Protocole qui, tout en résolvant un certain nombre de
questions, en soulève beaucoup, et dont la fécondité gagnerait à
être recherchée dans le dialogue avec les enceintes spécialisées,
soit des Nations Unies, soit du Conseil de l’Europe.
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
71
La non-discrimination : un droit fondamental
Les relations entre la législation de l’Union
européenne et le Protocole n° 12
M. Mark Bell
Centre pour le droit et l’intégration européens,
Université de Leicester
1. Introduction
Au cours des cinq années qui ont suivi la signature du
Protocole n° 12, la législation de l’Union européenne en matière
de lutte contre la discrimination a connu une évolution rapide
dont le moment décisif remonte à 1999. C’est en effet cette
année-là que le Traité d’Amsterdam est entré en vigueur, venant
ainsi ajouter une nouvelle disposition au Traité CE, à savoir
l’article 13. Comme nombre d’entre vous le savent déjà, cette
disposition permet à l’Union d’adopter des mesures en vue de
combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou
l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap,
l’âge ou l’orientation sexuelle. Bien que l’article 13 soit pour
l’essentiel une disposition habilitante, l’UE n’a pas tardé à
exploiter les possibilités qu’il offrait. Fait plus remarquable,
en 2000, elle a adopté deux directives sur la discrimination :
• L’une relative à l’égalité de traitement sans distinction de
race aux termes de laquelle les Etats doivent interdire
toute discrimination fondée sur la race ou l’origine
ethnique dans un large éventail d’activités sociales tels
que l’emploi, l’éducation, les soins de santé, le logement63
• et l’autre relative à l’égalité de traitement en matière
d’emploi et de travail qui prévoit l’obligation pour les
63. Directive 2000/43/CE mettant en oeuvre le principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique
[2000] JO L180/22.
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Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
Etats d’interdire toute discrimination fondée sur la religion
et les convictions, un handicap, l’âge et l’orientation
sexuelle dans l’emploi et la formation professionnelle64.
En outre, en 2004, l’Union a recouru à l’article 13 pour
étendre l’interdiction existante à la discrimination fondée sur le
sexe sur le marché du travail. La nouvelle directive fait obligation
aux Etats d’interdire toute discrimination entre les hommes et les
femmes en matière d’accès aux biens et services65.
Avec une telle activité au sein de l’Union européenne, on peut
légitimement se demander si le Protocole n° 12 est pertinent,
voire nécessaire aux Etats de l’Union. C’est pourquoi je souhaiterais, dans ce bref exposé, mettre en lumière un certain nombre
de différences fondamentales entre la législation de l’Union en
matière de lutte contre la discrimination et le Protocole n° 12.
Ces différences sont l’illustration du caractère complémentaire de
ces sphères du droit.
2. Motifs de discriminations
A première vue, l’observateur non averti pourrait conclure
que la législation de l’UE est plus centrée sur les problèmes
saillants et contemporains en matière d'égalité. Les dispositions
de la directive sur l’égalité de traitement en matière d'emploi
concernant le handicap, l’âge et l’orientation sexuelle étaient
novatrices ; si la plupart des Etats membres possédaient déjà une
législation nationale pour combattre la discrimination fondée sur
le sexe, la race et la religion, pour les autres motifs l’expérience
était bien moindre. En dépit du débat animé sur le fait de savoir
si ces motifs devraient être ou non expressément inclus dans le
Protocole n° 12, il avait été finalement décidé de retenir la liste
64. Directive 2000/78/CE établissant un cadre général en vue d’une égalité de
traitement en matière d’emploi et de travail [2000] JO L303/16.
65. Directive 2004/113/CE mettant en oeuvre le principe de l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes dans l’accès à des biens et services et
la fourniture de biens et services, [2004] JO L373/37.
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
73
La non-discrimination : un droit fondamental
non exhaustive des motifs de discrimination figurant déjà à
l’article 14 de la Convention européenne des Droits de l’Homme.
A l’époque, l’inexistence apparente de motifs tels que l’orientation sexuelle et le handicap avait préoccupé quelques ONG.
Depuis, ces préoccupations ont, dans une certaine mesure, été
apaisées par l’évolution de la jurisprudence de la Cour des Droits
de l’Homme. Ainsi, par exemple, une série de décisions a systématiquement confirmé que l’article 14 englobait l'orientation
sexuelle. Qui plus est, il s’agit là d'un motif à propos duquel la
Cour exige des « raisons particulièrement sérieuses » pour justifier
une différence de traitement66.
La conception plus globale de la discrimination que l’on
trouve dans le Protocole n° 12, présente certains avantages par
rapport à l’approche de l’UE. J’en donnerai deux exemples.
Premièrement, une liste non exhaustive des motifs constitue
un instrument souple permettant de traiter des formes de discriminations se chevauchant. A l’opposé, la législation de l’UE pour
combattre la discrimination répartit cette dernière en catégories
qui ne correspondent pas toujours à la réalité sociale. Ainsi, par
exemple, les recoupements entre discriminations fondées sur la
race, l’origine ethnique et la religion sont devenus de plus en plus
évidents depuis 2000, tout particulièrement pour ce qui est des
communautés musulmanes issues de l’immigration. La distinction
que la législation de l’Union fait entre l'origine ethnique et la religion continue à poser problème.
Deuxièmement, l’éventail des motifs de discriminations figurant au Protocole n° 12 permet une adaptation à l’évolution
sociale. Lorsque l’Union a adopté la directive relative à l’égalité
de traitement sans distinction de race, la discrimination fondée
sur la race et l’origine ethnique était largement perçue en Europe
comme un problème touchant les communautés immigrées.
66. Paragraphe 45, L. et V. c. Autriche, Requêtes 39392/98 et 39829/98,
9 janvier 2003.
74
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
L’élargissement de l’Union en 2004 a mis en lumière d’autres
défis sociaux :
• la situation des minorités nationales historiques (par
exemple, les Hongrois en Roumanie) ;
• l’exclusion socio-économique des communautés roms ;
• la situation des communautés russes au sein des Etats
baltes.
Le Protocole n° 12 englobe ce type de motifs de discrimination sous le vocable « origine nationale ou sociale » et
« appartenance à une minorité nationale ». Il s’agit de domaines
où la législation de l’Union sur la lutte contre la discrimination
reste ambiguë et ne reflète plus totalement le contexte social dans
lequel elle sera appliquée.
3. Champ d’application concret
Eu égard aux origines de l’UE, qui sont celles d’une organisation économique, la législation de l’Union en matière d’égalité
entre les sexes a d’abord mis l’accent sur la lutte contre la discrimination dans l’emploi. Dans ce contexte, la directive relative à
l’égalité de traitement sans distinction de race a marqué une
évolution significative qui va bien au-delà des problèmes du
marché du travail. Toutefois, la mise en œuvre des dispositions de
cette directive dans les domaines autres que l’emploi s’est avérée
difficile. Dans au moins sept Etats, la transposition de cet aspect
de la directive en question dans la législation nationale n’a pas
encore été effectuée totalement (République tchèque, Estonie,
Allemagne, Lettonie, Luxembourg, Malte et Pologne).
Encore une fois, le Protocole n° 12 peut, comparé à la législation de l’Union, apporter une valeur ajoutée. En interdisant la
discrimination dans l’ensemble de la sphère publique, ce protocole évite les éventuels problèmes concernant les frontières
exactes de la législation sur la lutte contre la discrimination. Ainsi,
par exemple, si la directive relative à l'égalité de traitement sans
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
75
La non-discrimination : un droit fondamental
distinction de race englobe la fourniture de biens et services, il
reste des zones grises pour lesquelles on ne sait précisément si elle
est applicable. Les décisions municipales concernant l’octroi
d’autorisation d’aménagement relèvent-elles de la notion de
fourniture de « services » ? La portée générale du
Protocole n° 12 constitue une réponse plus efficace au risque
d’omission ou de zone d’ombre quant au champ d’application de
la législation.
L’un des atouts de la législation de l’UE en matière de discrimination tient à ce qu’elle privilégie la lutte dans les interactions
sociales quotidiennes. Les normes les plus développées
concernent le marché du travail, mais la législation s’étend
progressivement aux inégalités dans le domaine de la prestation
de biens sociaux clés tels que les services financiers ou l’accès aux
espaces publiques (exemple : bars et restaurants). Si la législation
de l’Union tend à insister sur la discrimination de la part des
acteurs tant publics que privés sur les marchés (comme le marché
du travail ou celui des services), le Protocole n° 12 se caractérise
par une orientation différente, mais complémentaire, elle met
l’accent sur l’Etat. C’est une façon de reconnaître que, dans
certaines sphères, l’Etat reste l’acteur dominant et l’agent principal en matière de garantie d’égalité. Fait des plus remarquables,
la législation de l’Union ne porte pas sur la répression, domaine
pourtant central en matière d’égalité. La récente décision de la
Cour des Droits de l’Homme dans l'affaire Nachova c. Bulgarie67
met en lumière la nécessité de lutter contre la discrimination au
niveau de la répression, mais également le caractère sensible
d’une discrimination éventuelle durant les processus de poursuite
et d’enquête. Combiner les directives de l’UE et le
Protocole n° 12 offre une réponse plus complète à la discrimination, que celle-ci intervienne dans les domaines public ou privé.
67. Nachova c. Bulgarie, Requêtes 43577/98 et 43579/98, 2 juillet 2005.
76
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
4. Définition de la discrimination
Le dernier exemple que je souhaite aborder ici est celui de la
définition de la discrimination. Le Protocole n° 12 n’en
comporte pas ; par contre, le rapport explicatif fait référence aux
principes établis par la Cour européenne des Droits de l’Homme
en application de l’article 14. Une différence de traitement ne
saurait être illégale si elle poursuit un but légitime et s’il existe un
rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens
employés et le but poursuivi68.
A l’opposé, les directives de l’Union donnent une définition
plus détaillée et rigoureuse de la discrimination. Une distinction
précise est faite entre la discrimination directe qui normalement
ne saurait être justifiée, et la discrimination indirecte pour
laquelle une justification objective reste possible. En outre, les
directives de l’Union comportent une interdiction explicite du
harcèlement et de la victimisation des plaignants.
Les différences d’approches de la définition de la discrimination sont le reflet du caractère distinct de ces domaines du droit.
Comme nous l’avons vu, le Protocole n° 12 fournit une protection contre la discrimination dans l’ensemble de la sphère
publique et pour un éventail illimité de motifs. En conséquence,
il était nécessaire de laisser aux Etats suffisamment de marge de
manœuvre pour pouvoir justifier les différences de traitement qui
seraient nécessaires et appropriées. En se concentrant sur un
éventail limité de motifs dans des domaines spécifiques, la législation de l’Union a imposé plus de restrictions à la liberté
d’appréciation au niveau national. Toutefois, même dans le droit
de l’Union, il existe des domaines où le législateur a jugé qu’il lui
fallait prévoir une plus grande souplesse ; ainsi, la discrimination
directe peut faire l’objet de justifications objectives fondées sur
l’âge, dans le cas de l’emploi, et sur le sexe en matière de prestations de services financiers comme, par exemple, les assurances.
68. Paragraphe 18, rapport explicatif du Protocole n° 12.
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
77
La non-discrimination : un droit fondamental
La définition plus rigide de la discrimination que donne la
législation de l’UE constitue un point de référence utile pour une
future interprétation de la notion de discrimination aux termes du
Protocole n° 12. Un bon exemple de renforcement réciproque
de normes juridiques nous est fournit dans l’affaire Nachova c.
Bulgarie où des questions concernant la charge de la preuve se
sont posées, du fait du soupçon de motivation raciste alléguée à
propos de l’homicide illégitime perpétré par la police militaire. Si
la Grande chambre de la Cour n’a finalement pas renversé la
charge de la preuve concernant les faits spécifiques à l’affaire
Nachova, elle a cependant fait référence aux dispositions dans ce
domaine figurant dans les directives relatives à l’égalité de traitement sans distinction de race et en matière d’emploi et admis que
ce principe pourrait être appliqué dans des affaires futures en
vertu de l’article 14 de la Convention européenne des Droits de
l’Homme69.
Conclusions
Les Etats de l’UE ne sauraient se limiter dans leur réponse juridique à la discrimination à la seule mise en œuvre des directives
de l’Union. Celles-ci n’englobent pas tous les motifs de discrimination, ni tous les domaines de la vie dans lesquels persiste
l’inégalité. Le Protocole n° 12 complète les directives de l’UE en
instaurant le principe général de non-discrimination ; il s’agit
d’un fondement juridique essentiel pour restaurer l’égalité, que
ce soit en droit, ou dans les interventions des pouvoirs publics.
Réciproquement, l’expérience et la mise en œuvre de la législation de l’Union permettent de tirer des leçons et de dégager des
normes dont la Cour européenne des Droits de l’Homme pourrait
s’inspirer pour perfectionner ultérieurement le Protocole n° 12.
69. Paragraphe 157.
78
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
Résumé des discussions – Thème 1
1 – Le protocole comble-t-il d’éventuelles lacunes laissées
par la Convention européenne des Droits de l’Homme ?
Le juge M. Bossuyt, juge à la Cour d’arbitrage de Belgique,
note qu’en opérant une extension du champ matériel de
l’article 14 de la Convention, le Protocole n° 12 procède aussi à
une extension du champ de compétence de la Cour. Dr M. Bell
est d’avis que le véritable enjeu de cette extension de compétence est la définition même de la notion de discrimination : la
Cour va devoir préciser cette notion, et ce afin de l’adapter aux
exigences d’une protection générale contre la discrimination.
2 – La jurisprudence relative à l’article 14 permet-elle de
préciser la portée du Protocole n° 12 ?
Ainsi que l’a rappelé l’un des membres du panel dans ses
remarques introductives, il est fort probable que la Cour limitera
l’extension du champ d’application du protocole en considérant,
comme elle le fait déjà pour l’article 14, qu’une grande majorité
des différences de traitement qui lui sont soumises sont justifiées
et ne constituent pas des discriminations. Dr M. Bell note que
lorsque l’obligation de remédier à une discrimination entraîne
des incidences budgétaires pour un Etat défendeur (par exemple
dans le contexte de l’accès aux services publics), la Cour accorde,
en principe, une marge d’appréciation plus généreuse à ce
dernier. Prof R. Wintemute est d’avis que la jurisprudence de la
Cour de Justice des Communautés européennes concernant la
discrimination pourrait constituer l’une des sources d’inspiration
de la Cour.
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
79
La non-discrimination : un droit fondamental
3 – La complémentarité entre le Protocole n° 12
et la législation de l’Union européenne
Prof R. Wintemute attire l’attention sur le fait qu’à l’instar de
dispositions constitutionnelles, la Convention européenne a pour
vocation de définir de grands principes : ces principes sont de
nature générale et ont donc essentiellement pour vocation de
s’appliquer aux relations entre les personnes et les autorités
publiques. En revanche, la législation européenne est par nature
à un niveau infra-constitutionnel et ne régit que les domaines
ressortissant de la compétence de l’UE : elle a principalement
vocation à s’appliquer au secteur privé. Elle se doit d’être plus
détaillée, en ce qu’elle vise généralement un secteur très spécifique. Ainsi, le protocole et la législation de l’UE en matière de
discrimination apparaissent complémentaires.
4 – Le caractère non exhaustif de la liste des motifs de
discrimination n’affecte pas le caractère général de la
prohibition de la discrimination énoncée par le
Protocole n° 12
Un certain nombre de participants est d’avis qu’une liste
exhaustive aurait, certes, eu un impact symbolique plus
important, mais que l’absence d’un motif de discrimination dans
la liste dressée par l’article 1er du protocole n’emporte aucune
conséquence juridique en termes de protection. Ainsi, la Cour
européenne des Droits de l’Homme n’a pas hésité à procéder à
une interprétation extensive dans sa jurisprudence des motifs de
discrimination. De la même façon, le Comité des droits de
l’homme des Nations Unies a relevé des violations fondées sur
des motifs non explicités à l’article 26 du Pacte sur les Droits Civils
et Politiques.
Certains intervenants ont souhaité évoquer les éventuelles
conséquences institutionnelles de l’élargissement du champ de la
protection contre la discrimination. Selon le juge M. Bossuyt, les
potentialités du protocole ne seront pas découvertes et exploitées
80
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
immédiatement par les juristes et les requérants. Il insiste, de
même que d’autres membres du panel, sur la nécessité de
prendre en compte les incidences de l’entrée en vigueur du
protocole sur la charge de travail de la Cour, notamment dans le
cadre des réflexions menées sur la réforme des procédures de la
Cour. M. J.-M. Belorgey attire l’attention sur le fait que l’entrée
en vigueur du Protocole n° 12 risque aussi de modifier l’équilibre
existant entre la Cour et d’autres institutions périphériques,
comme par exemple le Comité européen des Droits Sociaux, et
qu’il devra être veillé à éviter toute contradiction entre les conclusions de ces différentes instances.
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
81
La non-discrimination : un droit fondamental
Thème 2 : Comment concrètement
préparer la ratification ?
Position de l’Assemblée parlementaire
Mr Boriss Cilevičs
Commission des questions juridiques et des droits de
l’homme, Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe
La création du système européen de protection des droits de
l’homme a donné lieu à une situation assez paradoxale : le principe de non-discrimination est certes reconnu comme l’un des
fondements de la conception moderne des droits de l’homme,
mais la disposition correspondante de la Convention européenne
des Droits de l’Homme (CEDH), à savoir l’article 14, n’a qu’une
portée relativement limitée, d’où le caractère également limité de
la jurisprudence de la Cour en la matière.
L’Assemblée parlementaire n’a eu de cesse de plaider en
faveur d’une extension de la CEDH, en vue d’y inclure une clause
générale anti-discriminatoire. La recommandation 1116 (1989),
notamment, maintient que : « L’Assemblée recommande au
Comité des Ministres : … de charger le Comité directeur pour les
droits de l’homme d’accorder la priorité au renforcement de la
clause de non-discrimination de l’article 14 de la Convention
européenne des Droits de l’Homme… en élaborant une clause
générale d’égalité de traitement devant la loi ».
Dès lors, l’Assemblée ne peut que se féliciter de l’entrée en
vigueur du 12e Protocole.
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
83
La non-discrimination : un droit fondamental
Toutefois, un certain nombre de problèmes se pose ou risque
de se poser.
1. Ratification par tous les Etats membres
Jusqu’à présent, le Protocole n° 12 a été ratifié essentiellement par les Etats membres qui ont récemment rejoint le Conseil
de l’Europe. Pour certains d’entre eux, cette ratification avait
valeur d’engagement formel auprès du Conseil de l’Europe dans
le cadre des procédures de suivi relatives au respect des obligations et des engagements des Etats membres. Dans le même
temps, la plupart des Etats fondateurs, autrement dit les « vieilles
démocraties », n’ont pas ratifié, ni parfois même signé, le protocole en question (cela concerne par exemple le Danemark, la
France, l’Espagne, la Suède, la Suisse, le Royaume-Uni, mais aussi
la Bulgarie, la Pologne, la Lituanie, etc.).
Pour quelle raison tant d’Etats tardent-ils à ratifier ce
protocole ? Pour l’instant, beaucoup hésitent à prendre de
nouveaux engagements, même formels, dans le domaine des
droits de l’homme, préférant observer ce que font les autres :
« nous ratifierons lorsque les autres l’auront fait ».
Certains Etats, dont la législation et les pratiques anti-discriminatoires sont bien établies (le Royaume-Uni étant probablement
le plus avancé d’entre eux), ont pour habitude d’opposer à l’idée
d’une ratification rapide les deux arguments suivants : premièrement, il existe déjà un système tout à fait efficace de lutte contre
la discrimination qui, à bien des égards, va même au-delà des
exigences du Protocole ; deuxièmement, ledit protocole présente
certains défauts, et la façon dont la Cour l’appliquera n’est pas
clairement définie. Si ces arguments sont globalement justes, je
ne vois néanmoins toujours pas comment ils pourraient justifier
de ne pas ratifier le Protocole.
84
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
Comment l’Assemblée et le Conseil de l’Europe peuvent-ils
convaincre les Etats « récalcitrants » ? Les mesures suivantes
peuvent être envisagées :
• la Commission des questions juridiques et des droits de
l’homme de l’Assemblée parlementaire pourrait rédiger
un rapport spécial sur les obstacles à la ratification et les
mesures qui permettraient de les surmonter ;
• la Commission de suivi de l’Assemblée pourrait prêter une
attention particulière à cette question dans son approche
thématique par pays ;
• le Secrétaire Général pourrait prendre position en faveur
d’une ratification du Protocole n° 12 dans les meilleurs
délais ;
• le Comité des Ministres pourrait envisager d’organiser un
tour de table sur la question.
Cependant, pour que ces mesures soient vraiment suivies
d’effet, il est nécessaire qu’un nombre suffisamment important
d’Etats membres aie le courage de prendre leurs responsabilités
en faisant du Protocole n° 12 un instrument vivant.
2. Interprétation du Protocole : égalité contre
non-discrimination
Dans son rapport de janvier 2000, M. Jurgens, rapporteur de
l’Assemblée, a mis l’accent sur le fait que le préambule « …ne
correspond pas au contenu du Protocole, qui… ne consacre pas
l’égalité mais étend à d’autres droits le principe de non-discrimination déjà contenu dans la Convention depuis son origine
en 1950. D’ailleurs, les auteurs du texte ont tout de même eu
conscience de cette différence entre égalité et non-discrimination
puisque, dans le paragraphe suivant, ils ont ajouté ce qui suit :
« Réaffirmant que le principe de non-discrimination n'empêche
pas les Etats parties de prendre des mesures afin de promouvoir
une égalité pleine et effective, à la condition qu'elles répondent
à une justification objective et raisonnable. »
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
85
La non-discrimination : un droit fondamental
Par conséquent, la jurisprudence future de la Cour sera de la
plus haute importance à deux égards :
2.1. L’évaluation de la proportionalité, tout d’abord : dans un
nombre croissant d’affaires récentes, la Cour a conclu que les
autorités judiciaires nationales étaient mieux à même d’évaluer le
caractère proportionnel des différences de traitement introduites,
et n’a donc pas souhaité réexaminer les décisions prises par les
pays concernés. Si elle s’accentue, cette tendance nuira à la mise
en oeuvre effective du Protocole n° 12.
2.2. L’interprétation de la non-discrimination, ensuite, non
seulement au sens d’un traitement égal dans des situations
analogues, mais aussi comme un traitement différencié lorsque
cela est nécessaire pour garantir une égalité pleine et effective,
comme énoncé dans l’arrêt Thlimmenos du 6 avril 2000
(requête n° 34369/97) : « La Cour a conclu jusqu’à présent à la
violation du droit garanti par l’article 14 de ne pas subir de discrimination dans la jouissance des droits reconnus par la Convention
lorsque les Etats font subir sans justification objective et raisonnable un traitement différent à des personnes se trouvant dans
des situations analogues. Toutefois, elle estime que ce n’est pas la
seule facette de l’interdiction de toute discrimination énoncée par
l’article 14. Le droit de jouir des droits garantis par la Convention
sans être soumis à discrimination est également transgressé
lorsque, sans justification objective et raisonnable, les Etats
n’appliquent pas un traitement différent à des personnes dont les
situations sont sensiblement différentes ». Reste à savoir si la Cour
interprètera le Protocole dans le même sens.
3. Poursuivre et mener à bien la réforme de la
Cour
L’entrée en vigueur du Protocole n° 12 risque encore
d’accroître substantiellement le nombre de requêtes ; la Cour doit
donc être prête à parer à une telle éventualité.
86
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
4. Synergie avec les directives de l’Union
européenne en matière de lutte contre la
discrimination (2000/43 et 2000/78)
Les obligations découlant de cette dernière, qui s’appliquent
aussi aux acteurs privés, interdisent expressément la discrimination indirecte et envisagent le principe fondamental du renversement de la charge de la preuve. Les deux instruments comportant
des mécanismes différents, le même dilemme se pose que lors de
l’examen de la Charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne : il faut éviter à tout prix que coexistent en Europe
deux ensembles différents de normes en matière de droits de
l’homme. A cette fin, une coopération étroite et une interprétation uniforme des dispositions anti-discriminatoires sont essentielles. Les Etats membres du Conseil de l’Europe qui
n’appartiennent pas à l’Union européenne devraient néanmoins
appliquer le Protocole n° 12 en tenant compte des grands principes des directives, et notamment celui du renversement de la
charge de la preuve.
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
87
La non-discrimination : un droit fondamental
Ratification du Protocole n° 12 par la
République de Croatie : motifs, procédure
et mise en œuvre
Mme Dubravka Šimonović
Chef de la Division des droits de l’homme,
Ministère des affaires étrangères et de l’intégration
européenne (Croatie)
La République de Croatie a ratifié le Protocole n° 12 à la
Convention européenne des droits de l’Homme le
3 février 2003. Elle est le troisième Etat Partie à avoir exprimé
son consentement à être liée par ce texte.
Ce protocole contre la discrimination définit un droit distinct
de ne pas être l’objet d’une discrimination dans la jouissance des
droits prévus par la loi. Il garantit en outre la protection de ce
droit par la Cour européenne des droits de l’homme. Cette
nouvelle interdiction générale de la discrimination permet la
protection effective au niveau européen des droits proclamés
en 1948 dans la Déclaration universelle des droits de l’homme.
En 1950, l’adoption de la Convention européenne des droits
de l’Homme constituait « la première mesure propre à assurer la
garantie collective de certains des droits énoncés dans la Déclaration universelle », comme le rappelle le préambule. Cinquante
ans plus tard, les Etats membres du Conseil de l’Europe ont
décidé de prendre une nouvelle mesure importante pour garantir
l’égalité dans la jouissance sans discrimination de tout droit prévu
par la loi. Le préambule du Protocole n° 12 énonce que « toutes
les personnes sont égales devant la loi et ont droit à une égale
protection de la loi ».
88
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
La liste des motifs de discrimination interdits par l’article 1 du
Protocole n° 12 est la même que celle énoncée dans l’article 14
de la Convention : « le sexe, la race, la couleur, la langue, la
religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions,
l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité
nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ».
Comme l’indique le rapport explicatif de ce protocole, cette
formulation non exhaustive est assez souple pour permettre d’y
inclure des motifs qui ne sont pas mentionnés explicitement dans
cette disposition. La Cour européenne des droits de l’homme a
déjà interprété cette disposition dans ce sens (orientation
sexuelle, dans l’affaire Salguiero da Silva Mouta c. Portugal). De
nouveaux motifs de discrimination peuvent être reconnus au
niveau européen et ajoutés à la liste, tel que la discrimination
fondée sur le patrimoine génétique, interdite par l’article 13 de
la Convention européenne sur les droits de l’homme et la biomédecine.
Processus national de ratification
La République de Croatie a signé le Protocole n° 12 de la
CEDH le 6 mars 2002 et, en moins d’une année, le parlement
croate a mené à terme la procédure de ratification. Le Parlement
croate a adopté la loi de ratification du Protocole n° 12 le
7 novembre 2002. L’instrument de ratification a été déposé près
le Secrétaire général du Conseil de l’Europe le 3 février 2003. Le
Protocole est entré en vigueur le 1er avril 2005, soit le premier
jour du mois suivant l’expiration d’une période de trois mois
après la date à laquelle dix Etats membres du Conseil de l’Europe
ont exprimé leur consentement à être liés par le Protocole. La
Croatie ayant ratifié le Protocole n° 12 avant cette date, il est
aussi entré en vigueur dans ce pays le 1er avril 2005.
Désormais, le Protocole n° 12 fait partie intégrante de l’ordre
juridique croate et sa mise en œuvre va permettre de tester la
législation croate de lutte contre la discrimination et ses mécanismes de protection.
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
89
La non-discrimination : un droit fondamental
Pour l’heure, la Croatie n’a d’autre expérience concernant le
Protocole n° 12 que la préparation de sa signature et sa ratification.
Dans ce processus, nous pouvons distinguer trois étapes : (I) Position
de la République de Croatie pendant l’élaboration du
Protocole n° 12, (II) Préparation de la signature du Protocole n° 12,
(III) Préparation de la ratification du Protocole n° 12.
Position de la République de Croatie pendant
l’élaboration du Protocole n° 12
Il est à noter que, dès le début du processus, la République de
Croatie a soutenu l’idée d’un protocole général contre la discrimination au sein du Comité directeur des droits de l’homme
(CDDH). Ce soutien, qui a constitué la première étape du
processus national d’acception du protocole, reflète l’intérêt
affiché par la République de Croatie pour l’évolution de la
Convention européenne des droits de l’homme. Cet engagement
se fonde aussi sur la Constitution croate qui fait de l’égalité dans
la jouissance des droits et libertés l’un des plus grands principes
de l’ordre constitutionnel croate (Article 3), garantit une protection générale contre toute discrimination dans la jouissance des
droits et libertés et affirme le principe de l’égalité devant la loi.
Dans son article 14, elle dispose que « chacun, en République de
Croatie, jouit de tous les droits et libertés, sans distinction liée à
la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, la
fortune, la naissance, la formation, le statut social ou toute autre
situation. Tous sont égaux devant la loi ».
L’article 14 de la Constitution ne comportant pas de référence
spécifique à la discrimination fondée sur l’appartenance à une
minorité nationale, la loi constitutionnelle sur les minorités nationales, adoptée en 2002, qui revêt une valeur constitutionnelle,
vient compléter et renforcer cet article. Elle dispose, à l’article 44, que « toute discrimination fondée sur l’appartenance à une
minorité nationale est interdite. Les personnes appartenant aux
90
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
minorités nationales bénéficient du principe d’égalité devant la
loi et d’une protection égale de la loi ».
En outre, la Croatie est partie au Pacte international relatif aux
droits civils et politiques et à son premier Protocole facultatif ; elle
est partie au Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels et elle soutient l’adoption de son protocole
facultatif ; elle est partie à la Convention sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et à son
Protocole. Elle a donc approuvé les instruments internationaux de
protection contre la discrimination dans la jouissance des droits
civils, politiques, économiques, sociaux, culturels, y compris les
procédures de plaintes prévues par ces instruments.
Préparation de la signature et ratification du
Protocole n° 12
Après l’adoption du Protocole et l’ouverture de sa signature à
Rome, le 4 novembre 2000, la première étape entreprise au plan
national a consisté à mettre en place la procédure relative à sa
signature. Le ministère des Affaires étrangères a assumé cette
tâche, conformément à la loi croate sur la conclusion et l’exécution des traités. Le processus préparatoire de cette signature
s’apparente au processus de ratification en ce qu’il impose de
rappeler les fondements constitutionnels et les raisons qui ont
conduit à une telle décision, à cette différence près que le gouvernement décide de la signature tandis que le Parlement croate
ratifie les traités.
Après sa ratification, un traité international est soit directement applicable au niveau national, soit incorporé dans le
système juridique national. C’est pourquoi la loi sur la conclusion
et l’exécution des traités impose l’obligation de vérifier sa compatibilité avec la législation nationale et d’évaluer son incidence
financière.
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
91
La non-discrimination : un droit fondamental
Le processus intergouvernemental qui a présidé à l’élaboration du Protocole ayant permis de réaliser ces évaluations et de
conclure à la compatibilité de la législation nationale avec le
Protocole n° 12, le gouvernement croate a adopté une décision
portant signature du Protocole n° 12 le 7 décembre 2000,
demandant au ministre des Affaires étrangères de signer le Protocole. Cette décision a ensuite été modifiée et c’est au Représentant permanent de la République de Croatie auprès du Conseil de
l’Europe qu’a été confiée la tâche de le signer (Décision du
13 décembre 2001). La République de Croatie a signé le
Protocole n° 12 à Strasbourg le 6 mars 2002.
Préparation de la ratification du Protocole n° 12
Le processus formel de ratification du Protocole n° 12 a été
mis en place par le ministère des Affaires étrangères, qui a
présenté au gouvernement croate une proposition de ratification
du Protocole n° 12 le 10 septembre 2002. Après avoir formulé
l’avis requis sur le fondement constitutionnel et les raisons pertinentes de ce texte et avoir évalué sa compatibilité avec la législation nationale, le gouvernement a soumis au Parlement une
proposition de loi de ratification du Protocole n° 12 le
19 septembre 2002.
Le parlement croate a adopté la loi de ratification du
Protocole n° 12 le 7 novembre 2002. Conformément à la
Constitution croate, la loi de ratification du Protocole n° 12 a été
promulguée par le Président de la République de Croatie le
11 novembre 2002 et publiée au Journal officiel – accords
internationaux n° 12/2002 – le 7 novembre 2002. L’instrument
de ratification a été déposé près le Conseil de l’Europe le
3 février 2003. Enfin, le Protocole est entré en vigueur le
1er avril 2005, après que dix Etats membres du Conseil de
l’Europe eurent exprimé leur consentement à y être liés. Depuis
ce jour, il est en vigueur en République de Croatie.
92
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
Il est important de rappeler que dans son deuxième rapport
sur la Croatie, en juillet 2001, la Commission européenne contre
le racisme (ECRI) avait recommandé à la Croatie de ratifier le
Protocole n° 12 à la CEDH et que, dans son troisième rapport,
publié en décembre 2004, l’ECRI a pris note de cette ratification
et souligné qu’elle marquait un progrès.
Mise en œuvre du Protocole n° 12 au niveau
national
Conformément à l’article 140 de la Constitution croate : « les
accords internationaux ratifiés et publiés officiellement, qui sont
en vigueur, sont partie intégrante de l’ordre juridique interne de
la République de Croatie et se situent au dessus de la loi sur le
plan juridique ». Cela signifie que le Protocole n° 12, à l’instar
de tous les autres instruments internationaux auxquels la République de Croatie est partie, est directement applicable devant les
juridictions nationales.
On peut se demander si tous les droits de l’homme contenus
dans les traités internationaux ratifiés par la Croatie sont aussi
considérés comme les droits prévus par la loi et comme étant
protégés par l’application du Protocole n° 12 devant les juridictions nationales. Sur ce point, le projet de loi sur les tribunaux,
qui est actuellement devant le Parlement croate, apporte une
réponse claire. Son article 5 dispose explicitement que : « les
tribunaux rendent la justice conformément à la Constitution, à la
loi et aux traités internationaux qui sont partie de l’ordre juridique national de la République de Croatie ».
Le Protocole n° 12 fera partie intégrante de la législation
croate de lutte contre la discrimination, qui a encore été
renforcée par la promulgation de nouvelles lois telles que la loi
sur l’égalité des sexes de 2003 et la loi sur les unions homosexuelles de 2003, et de certains amendements apportés au Code
du travail en 2003 et au Code pénal en 2004.
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
93
La non-discrimination : un droit fondamental
D’importants amendements ont été apportés à l’article 174
du Code pénal sur la discrimination raciale et autres
discriminations. Ces amendements ont élargi la liste des motifs de
discrimination liés à la race, la couleur, l’origine nationale ou
ethnique, pour y ajouter, entre autres, la discrimination fondée
sur la religion et la langue. Un troisième paragraphe a été inséré
à l’article 174 afin d’interdire « la propagation de la haine fondée
sur la race, la religion, le sexe, l’appartenance nationale ou
ethnique, ou la haine fondée sur la couleur, l’orientation sexuelle
et autres caractéristiques ». Cette disposition incrimine aussi le fait
de « faire des déclarations publiques ou de diffuser des idées sur
la supériorité ou la subordination d’une race, d’une communauté
ethnique ou religieuse, d’un genre, d’une nation ou de toute
autre caractéristique, dans le but de propager la haine sur le
fondement de la race, de la religion, du sexe, de l’appartenance
ethnique ou nationale ou la haine fondée sur la couleur, l’orientation sexuelle et toute autre caractéristique ». La peine encourue
pour la propagation d’une telle haine ou pour des déclarations
publiques ou la diffusion de telles idées est de trois mois à trois
ans d’emprisonnement.
Les amendements apportés en 2003 au Code du travail interdisent la discrimination directe et indirecte dans le domaine de
l’emploi, protègent contre le harcèlement sexuel et garantissent
pour les hommes et les femmes un salaire égal pour un travail
égal. La charge de la preuve revient à la partie défenderesse
lorsque la discrimination est établie.
La loi sur l’égalité entre les sexes de 2003 interdit la discrimination directe et indirecte dans tous les domaines et met en place
le nouveau Médiateur pour l’égalité des sexes. Aux côtés du
Médiateur général qui promeut l’égalité de traitement entre tous
sans discrimination (y compris la discrimination fondée sur
l’origine raciale ou ethnique) et du Médiateur des enfants, le
Médiateur pour l’égalité des sexes apporte des services consultatifs et administratifs dans des affaires de discrimination. Actuellement, la mise en place d'un nouveau Médiateur pour la protec-
94
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
tion des personnes handicapées est en cours, ainsi que la définition d’une stratégie nationale globale de lutte contre la
discrimination.
Il est à noter que les directives européennes pertinentes dans
ce domaines, telles que la Directive sur la discrimination fondée
sur le sexe, la Directive sur l’égalité en matière d’emploi et la
Directive sur l’égalité raciale ont constitué pour la Croatie une
incitation supplémentaire à élaborer une législation de lutte
contre la discrimination et ont d’ores et déjà influencé les changements législatifs mentionnés plus haut.
Dans le système juridique croate, diverses voies de recours
internes sont ouvertes pour garantir une protection contre la
discrimination, allant du dépôt de plainte devant une juridiction
civile à une plainte constitutionnelle devant la Cour constitutionnelle.
Il existe aussi d'autes voies de recours internationales, telles
que les communications devant le Comité des droits de l’homme
des Nations Unies et devant le Comité CEDAW des Nations Unies,
qui sont des recours non juridictionnels, ainsi que la possibilité de
saisir la Cour européenne des droits de l’homme d'une requête
individuelle, qui constitue une voie de recours juridictionnel.
La mise en œuvre du Protocole n° 12 au niveau national
s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre de la Convention
européenne des droits de l’homme. Les arrêts de la Cour
européenne des droits de l’homme dans des affaires contre la
Croatie ont toujours eu une influence importance dans l’évolution
de la législation croate. La majeure partie des requêtes individuelles contre la Croatie devant la Cour européenne porte sur la
lenteur excessive des procédures, ce qui est important aussi
s’agissant de l’application du Protocole n° 12.
Après l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Horvat c. Croatie,
dans laquelle la Cour a constaté qu’il n’existait pas de véritable
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
95
La non-discrimination : un droit fondamental
voie de recours permettant à une personne de se plaindre de la
durée excessive d’une procédure, la loi constitutionnelle sur la
Cour constitutionnelle a été modifiée en 2002, de manière à
donner compétence aux tribunaux constitutionnels pour
connaître des plaintes relatives à la durée excessive d’une procédure. La Cour européenne a estimé que cette procédure constituait une voie de recours interne effective, conforme à la Convention européenne des droits de l’homme. Après cette modification, 925 plaintes constitutionnelles pour délai excessif ont été
déposées en 2004 ; actuellement, près de mille plaintes sont
pendantes devant la Cour constitutionnelle, qui a bien d’autres
domaines de compétences parmi lesquelles, au premier chef, le
contrôle de la loi. Pour résoudre ce problème, un projet de loi sur
l’organisation judiciaire, actuellement devant le parlement,
prévoit la mise en place de voies de recours à chaque niveau de
juridiction, afin d’accélérer les procédures pendantes et de
permettre au plaignant de demander réparation pour les procédures qui ont duré trop longtemps.
S’agissant de l’exécution des arrêts de la Cour européenne des
droits de l’homme, la réforme de la loi sur la procédure civile
en 2003 (loi sur les amendements à la loi sur la procédure civile,
Journal officiel n° 117/03) permet de rouvrir la procédure si la
Cour européenne des droits de l’homme considère qu’un droit
garanti par la Convention a été violé au cours de la procédure
engagée au niveau national. Selon la nouvelle procédure, les
tribunaux ont l’obligation de respecter l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme établissant la violation d’un droit
ou d’une liberté fondamentale.
L’avenir dira comment le Protocole n° 12 et les éventuels
arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme qui seront
rendus sur le fondement du Protocole pourront engendrer de
nouvelles modifications de la législation croate.
Permettez-moi de conclure par ces quelques remarques.
96
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
De nombreuses formes de discrimination entravent la jouissance des droits de l’homme universellement reconnus dans tous
les Etats membres du Conseil de l’Europe. Aujourd’hui, seuls
quelques Etats membres ont approuvé le Protocole n° 12 à la
CEDH, confirmant ainsi leur engagement d’accorder à toutes les
personnes relevant de leur juridiction la jouissance, sans discrimination, de tous les droits prévus par la loi.
Cette approbation est une étape importante, mais la principale difficulté résidera dans l’application du Protocole n° 12.
Considérant la réforme en cours du système de contrôle de la
Convention, envisagée par le Protocole n° 14, et le principe de
subsidiarité selon lequel les droits énoncés dans la Convention et
ses protocoles doivent d’abord être protégés au niveau national,
la Croatie se trouve face à la nécessité de renforcer son système
juridique interne et de proposer des moyens de formation suffisants au Protocole n° 12, de manière à garantir une protection
effective et rapide contre la discrimination dans la jouissance de
tous les droits prévus par la loi.
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
97
La non-discrimination : un droit fondamental
Position du Gouvernement du
Royaume-Uni
M. John Kissane
Chef de la Division du droit international des droits de
l’homme, Service des affaires constitutionnelles,
Royaume-Uni
S’agissant du Protocole n° 12, le Gouvernement du
Royaume-Uni maintient la même position depuis 1999, date du
début des discussions préliminaires à l’élaboration dudit Protocole au sein du Comité directeur pour les droits de l’homme à
Strasbourg.
Cela signifie :
Que le Gouvernement apprécie toute disposition antidiscriminatoire concrète et globalement compatible avec le droit du
Royaume-Uni,
Qu’il est favorable à l'introduction d’un Protocole indépendant à la CEDH interdisant la discrimination,
Qu’il espère toutefois que toutes les dispositions auxquelles il
souscrit apporteront une solution utile qui aboutira au résultat
escompté, et qu’elles feront une réelle différence dans la lutte
contre la discrimination,
A maintes reprises, au Parlement et dans ses échanges avec
plusieurs parties concernées, le Gouvernement a exposé ce qu’il
considère comme étant les problèmes majeurs posés par le
Protocole n° 12.
Ce sont les suivants :
98
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
Le texte du Protocole (plus que le préambule) ne précise pas
quel traitement différent, ayant une justification objective et
raisonnable, est autorisé (par exemple la discrimination positive
est autorisée au titre de la « Race Relations Act » de 1976 – loi
relative aux relations raciales).
Il est vrai que le préambule fait exception de la discrimination
positive, mais il s’agit là de la seule forme de distinction objective
et raisonnablement justifiée, et en tout état de cause le préambule n’a pas la même valeur que le corps du texte lui-même.
Bien que la jurisprudence logique de la Cour européenne des
droits de l’homme stipule que les distinctions objectives et raisonnablement justifiées ne constituent pas une discrimination, le
Gouvernement estime que cela aurait dû être codifié dans le
texte, car la Cour n'est pas liée par la jurisprudence antérieure.
On ne sait pas bien si les termes « tout droit prévu par la loi »
(article 1) incluent le droit international et le droit interne.
Dans l’état actuel des choses, on pourrait considérer que la
formulation inclut :
Les droits reconnus par les instruments internationaux (par
exemple les droits civils et politiques reconnus par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui ne figurent pas
dans la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH)).
Les droits reconnus par les Protocoles à la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) que le Royaume-Uni n’a
pas ratifiés.
Les droits économiques, sociaux et culturels, de nature assez
ambitieuse, reconnus par le Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels, qui ne figurent pas dans le
droit du Royaume-Uni.
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
99
La non-discrimination : un droit fondamental
On a pu entendre que le fait de ne pas signer le
Protocole n° 12 amoindrit la crédibilité de l’engagement du
Gouvernement contre la discrimination et de ses efforts en vue de
promouvoir l’égalité de traitement dans toute la société.
Le Royaume-Uni estime néanmoins que son rapport relatif à
la lutte contre la discrimination est bon.
Le Royaume-Uni dispose d’une législation efficace contre la
discrimination fondée sur la race, le sexe et le handicap, et en
Irlande du Nord, sur la religion. En décembre 2003, le Gouvernement a mis en place une nouvelle législation interdisant la discrimination motivée par la religion, les croyances et l’orientation
sexuelle sur le lieu de travail ou de formation. Il entend également proscrire la discrimination fondée sur l’âge sur le lieu de
travail et de formation en 2006.
Nous sommes également convaincus que, si la loi antidiscrimination est un élément majeur de la lutte contre l’inégalité, il
convient d’étudier les causes de cette inégalité. En GrandeBretagne nous réalisons une « Equality review », étude importante
sur l’égalité, qui s’intéresse aux fondements de l’inégalité dans
notre société.
Le champ d’application de la législation antidiscrimination du
Royaume-Uni ne se limite pas aux dispositions de l’article 14 de
la CEDH. Il va beaucoup plus loin.
Le Royaume-Uni soutient activement l’adoption de dispositions antidiscriminatoires au sein de l’UE en vertu de l’article 13
du Traité d'Amsterdam. Celui-ci condamne la discrimination
fondée sur le sexe, l’origine raciale ou ethnique, la religion ou les
croyances, le handicap, l’âge et l’orientation sexuelle. Les directives publiées au titre de cet article, et la législation qui les met en
œuvre couvrent les secteurs public et privé, et dès lors les relations entre les individus et les entreprises, et non pas uniquement
entre les individus et l’Etat.
100
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
Là encore, la « Race Relations Act » de 1976 (telle qu’amendée
par la « Race Relations (Amendment) Act 2000 ») n’est pas une
simple condamnation de la discrimination : elle impose l’obligation positive aux autorités publiques de promouvoir l’égalité
raciale et l’équité dans les relations communautaires, allant une
nouvelle fois au-delà de la CEDH – et de la directive européenne
relative à l’égalité de traitement sans distinction de race. En
janvier 2005, le Gouvernement a lancé une stratégie visant à
accroître l’égalité entre les races et la cohésion sociale. La stratégie s’attache à identifier et à répondre aux besoins des différentes communautés dans les secteurs clés de la vie : l’éducation,
la santé, l'emploi, le logement et la sécurité – afin d’assurer que
la majeure partie de l’aide va bien aux plus défavorisés.
Le Royaume-Uni a confirmé son engagement d’éradiquer la
discrimination fondée sur l’âge dans le travail en soutenant la
directive européenne relative à l’emploi, et en s’engageant à
mettre en place une législation sur l’âge couvrant l’emploi et la
formation professionnelle. Il est prévu que la législation soit mise
en place le 1er octobre 2006. L’orientation officielle du « Learning
and Skills Council » (conseil de l'apprentissage et des qualifications) relative à l'égalité des chances prévoit de corriger la sousreprésentation et le sous-développement des personnes âgées.
Le « National Service Framework for Older People », cadre
national des services aux personnes âgées, définit des normes
nationales de soins aux personnes âgées pour assurer que
l’âgisme ne soit pas toléré dans les services de santé.
S’agissant des handicaps, la « Disability Discrimination Act » (loi
sur la discrimination envers les handicapés) de 1995 proscrit
toute discrimination à l’égard des personnes handicapées, réclamant l’accessibilité des services à cette catégorie de personnes. Le
1er octobre 2004, des obligations supplémentaires d’accès ont
pris effet, demandant aux prestataires de services de prendre tous
les dispositions qui conviennent pour supprimer ou modifier les
obstacles physiques à l'accès des personnes handicapées. La
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
101
La non-discrimination : un droit fondamental
« Disability Discrimination Act » de 2005 porte modification à la
« Disability Discrimination Act » de 1995 et impose notamment
une nouvelle obligation positive aux organismes publics, à savoir
promouvoir l’égalité des chances en faveur des personnes handicapées. Cette obligation prendra effet en décembre 2006.
Ce n’est donc pas comme si, en ne signant pas le
Protocole n° 12, le Gouvernement négligeait la discrimination ou
simplement s’abstenait de la gérer sous ses différents aspects.
Nous poursuivons un programme proactif et énergique contre la
discrimination et l’inégalité. En réalité, il y a des cas où le Gouvernement va au-delà de ce que demande le Protocole n° 12.
Le problème n’est pas que le Gouvernement sous-estime
d’une certaine manière la gravité du problème de la discrimination, mais qu’il se demande vraiment si le Protocole n° 12 réalisera l’objectif qu’il est censé atteindre.
Les employeurs, les fournisseurs de biens et de services et les
autorités publiques doivent être au fait de ce que la loi contre la
discrimination leur demande, et nous tous, salariés, consommateurs et usagers des services publics et privés devons être personnellement au fait de ce que sont nos droits reconnus par la loi. Le
Protocole n° 12 n’est pas explicite à cet égard.
Cela dit, le Gouvernement est convaincu qu’en temps voulu
l’interprétation de la Cour du Protocole n° 12 dissipera ses
craintes. Le Gouvernement n’a pas exclu de signer ou de ratifier
ce Protocole.
Il est tout à fait possible que notre « non » ne soit pas définitif.
102
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
Résumé des discussions – Thème 2
1 – L’expérience des Etats membres ayant ratifié le protocole
Mme D. Šimonović estime que les différents instruments internationaux contraignants de protection des droits de l’homme se
recoupent et devraient être vu comme se complétant les uns les
autres. La ratification du Protocole n° 12 présente donc, selon
elle, une valeur ajoutée pour les Etats ayant déjà ratifié le Pacte
International relatif aux droits civils et politiques des Nations
Unies et la Convention internationale sur l’élimination de toutes
les formes de discrimination raciale, qui ne couvrent pas
l’ensemble des hypothèses de discrimination.
Le fait que la plupart des constitutions des Etats membres
affirment un principe général d’égalité entre les citoyens apporte,
selon elle, des arguments en faveur de la ratification du
Protocole n° 12.
Mme D. Šimonović relativise les difficultés rencontrées par
certains Etats pour ratifier de nouveaux instruments juridiques et
donne l’exemple de la Croatie qui, comme de nombreux pays
ayant plus récemment rejoint le Conseil de l’Europe, a procédé à
de drastiques changements législatifs en une courte période et est
dés lors habituée à intégrer de nouvelles normes en droit interne.
Un représentant de la Finlande (M. A. Kosonen) note que son
pays n’a pas connu d’hésitation à ratifier le Protocole n° 12. Sa
décision a été facilité par l’Avis rendu par la Cour européenne des
Droits de l’Homme en 1999 alors que la rédaction du
Protocole n° 12 était en cours. Tel qu’il apparaît dans l’avis de la
Cour, le mécanisme de contrôle de la Convention est de caractère
subsidiaire, ce qui laisse aux Etats parties une marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
103
La non-discrimination : un droit fondamental
entre des situations à d’autres égards analogues justifient des
distinctions de traitement au travers de la législation.
2 – Les obstacles à la ratification du Protocole n° 12
Outre l’intervention de M. J. Kissane rapportant les hésitations
du Royaume-Uni à propos du Protocole n° 12, d’autres représentants d’Etats ont exprimé des réserves sur le Protocole. Un
représentant de Monaco (Prof. J.-F. Renucci) considère que la
portée du Protocole n° 12 est imprécise et, dès lors, que des
incertitudes se font jour quant à l’interprétation que la Cour fera
de ses articles. Ce manque de précision explique, selon lui, les
réticences des Etats à s’engager. La représentante de la Suède
(Mme I. Kalmerborn) indique que son pays était initialement en
faveur d’un instrument à part, avec des dispositions plus
détaillées et précises, pour combattre la discrimination plutôt
qu’un protocole additionnel à la Convention. Elle insiste également sur le fait que son pays, à l’instar du Royaume-Uni, offre
déjà une protection efficace contre la discrimination au travers de
la législation nationale et que de nouvelles mesures législatives
étaient prévues. Tout comme l’intervenant précédant, son Etat
estime que le contenu et l’étendue du Protocole ne sont pas suffisamment clairs, avec pour conséquence de déterminer si la législation interne est compatible au Protocole. La représentante du
Danemark (Mme N. Holst-Christensen) exprime des inquiétudes
du même ordre et ajoute que son pays considère que le législateur national est mieux placé que la Cour pour évaluer comment
mieux lutter contre la discrimination.
En réponse aux incertitudes se rapportant à l’interprétation
que fera la Cour du Protocole n° 12, Prof. R. Wintemute avance
qu’il y a tout lieu de croire que la Cour appliquera une interprétation mesurée et, comme sous l’angle de l'article 14, estimera la
majeure partie du temps qu’une mesure discriminatoire repose
sur une « justification objective et raisonnable », y compris dans
les éventuels cas de discrimination positive. Selon
M. J. Schokkenbroek (Secrétariat du Conseil de l’Europe), il
104
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
n’existe pas d’incertitudes quant à l’interprétation que fera la
Cour de la notion de discrimination dans le cadre du Protocole.
En effet, dans l’Avis susmentionné, elle énonce que la définition
de la notion de discrimination dans le cadre du Protocole est
conforme à l’interprétation constante qu’elle en a faite dans sa
jurisprudence jusqu’à ce jour, par le biais de l’article 14 de la
Convention. Sur ce point, la jurisprudence de la Cour sur
l’article 14 servira donc de référence pour l’interprétation future
du Protocole n° 12 par la Cour (selon la jurisprudence de la
Cour : « une différence de traitement est discriminatoire si elle
manque de justification objective et raisonnable, c’est-à-dire si
elle ne poursuit pas un but légitime ou s’il n’y a pas un rapport
raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le
but visé »). Les Etats parties devraient être donc rassurés par ce
cadre interprétatif d’ores et déjà fixé par la Cour pour la notion
de discrimination et dont elle ne devrait pas s’éloigner. Un représentant de la Finlande (M. A. Kosonen) fait sien ce point de vue
et ajoute que son pays a estimé que l’interprétation que donnera
la Cour de la notion de discrimination était suffisamment prévisible et laissait aux Etats une marge de manœuvre suffisamment
importante pour pouvoir ratifier le Protocole n° 12 sans craindre
de multiples condamnations.
3 – Quel type de mesures doit être pris au niveau national ?
Mme Šimonović souligne qu’il est important de passer en revue
la législation nationale avant la ratification du Protocole n° 12
pour avoir une idée claire de la protection offerte par l’arsenal
législatif interne contre la discrimination.
Le représentant de la Lettonie (M. V. Romanovskis) est
d’accord pour dire qu’il convient de s’assurer qu’il existe bien un
droit justiciable contre la discrimination sur le plan national.
M. B. Cilevičs est d’avis que le refus de certains Etats de ratifier le
Protocole est lié à l'absence ou à l’insuffisance de recours au
niveau interne portant sur la discrimination. Le juge D. Spielmann
de la Cour européenne des Droits de l’Homme souligne l’impor-
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
105
La non-discrimination : un droit fondamental
tance de recours interne car cela s’inscrit dans le principe de
subsidiarité qui sous-tend le mécanisme de la Convention européenne des Droits de l’Homme, selon lequel il revient en premier
lieu aux Etats d’assurer le protection des droits protégés par la
Convention et ses protocoles, la Cour restant un ultime recours
une fois que les recours internes pertinents ont été épuisés. S’il y
a des recours internes, il serait intéressant d’examiner la jurisprudence existant déjà au niveau national.
4 – Le rapport entre le Protocole n° 12 et les directives de
l’UE
a – Observations générales des représentants de la Commission européenne
Des représentants de la Commission européenne
(Mme K. Grzybowska, M. Á. Oliveira) fournissent quelques
éléments sur l’état actuel du droit de l’Union européenne (UE)
relatif à la lutte contre la discrimination. Ce droit inclut plusieurs
directives concernant l’interdiction de la discrimination, mais
cette législation n’a pas encore épuisé toutes ses potentialités. En
effet, la mise en œuvre par les Etats membres de l’UE a été à
certains égards insuffisante ou incomplète. Certains Etats ont déjà
été condamnés pour non-transposition dans leur droit interne de
ces directives, notamment les directives 2000/43/CE (contre la
discrimination raciale ou pour l’origine ethnique) et 2000/78/CE
(contre la discrimination sur la base de la religion, l’handicap,
l’âge et l’orientation sexuelle). A ce jour, il n’existe pas encore de
jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE) précisant les notions contenues dans ces deux
directives. Cependant, la Commission européenne envisage la
possibilité d’introduire des recours en manquement contre
certains Etats membres pour transposition incorrecte de ces directives, ce qui donnera une occasion à la CJCE de mieux définir le
champ d’application de la législation anti-discrimination. Il est
rappelé que la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne n’a pas de force obligatoire. Elle s’adresse aux institutions
106
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
de l’Union européenne et aux Etats membres lorsqu'ils mettent
en œuvre le droit de l’UE. Si elle n’est pas juridiquement contraignante, elle n’en a pas moins un impact politique puissant, dû
notamment au fait qu’elle constitue l’expression d’un consensus
politique élaboré démocratiquement sur ce qui doit aujourd’hui
être considéré comme le catalogue des droits fondamentaux dans
l’Union européenne, garantis par l’ordre juridique communautaire. L’attention des participants est aussi attirée sur la récente
mise en place au sein de la Commission d’un groupe de Commissaires chargé des droits fondamentaux, de la lutte contre les
discriminations et de l’égalité des chances.
b – La complémentarité du Protocole n° 12 avec les directives
anti-discrimination de l’Union européenne (UE)
Selon Prof. R. Wintemute, le fait qu’un Etat membre de l’UE
ait transposé les directives anti-discrimination susmentionnées
n’est pas suffisant pour assurer la protection des personnes contre
la discrimination en toutes circonstances. En effet, les compétences de l’UE sont strictement limitées par les traités : si une
législation nationale sort du champ de compétence de l’UE, les
directives anti-discrimination ne pourront alors s’appliquer. Il est
donc important de ratifier le Protocole n° 12 qui, par sa portée
générale, couvre tous les domaines qui font l’objet de lois en droit
interne.
5 - Le rôle des Institutions nationales des droits de l’homme
concernant le Protocole n° 12
Selon M. M. Kjaerum, ces institutions doivent jouer un rôle de
promotion du Protocole n° 12 auprès des autorités nationales
pour les inciter à le ratifier. Promouvoir la ratification de
nouveaux instruments de protection des droits de l’homme fait
partie des objectifs fixés par les principes de Paris qui gouverne
les institutions nationales de défense des droits de l’homme.
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
107
La non-discrimination : un droit fondamental
6 - Autres considérations entourant le Protocole n° 12
Selon Mme D. Petrova (European Roma Rights Center, ERRC)
certains Etats, tels que le Royaume-Uni, sont très avancés dans le
domaine de la lutte contre la discrimination et ont déjà une législation relativement complète à cet égard. Par conséquent, ils
constituent une « avant-garde » dont peuvent s'inspirer de
nombreux autres Etats. Selon elle, cette situation leur confère une
certaine responsabilité à l’égard des autres Etats membres du
Conseil de l’Europe. Ainsi, la non-ratification du Protocole n° 12
par des Etats disposant d’un arsenal législatif de lutte contre les
discriminations peut donner un signal négatif à d’autres Etats
n’ayant pas ratifié le Protocole n° 12 qui peuvent déduire de la
non-ratification par un pays considéré comme avancé dans le
domaine de la lutte contre les discriminations que le
Protocole n° 12 ne présente pas de valeur ajoutée.
Mme M. Franken (Comité directeur pour l’égalité entre les
femmes et les hommes, CDEG) déclare que le CDEG s’était félicité
de l’existence du Protocole n° 12, le Comité s’étant énormément
investi durant plusieurs années afin que soit élaboré ce complément à la Convention européenne des Droits de l’Homme. Elle
considère que même si le Protocole n° 12 est un progrès dans la
mesure où il interdit la discrimination fondée sur le sexe, il ne va
cependant pas assez loin. En effet, les femmes ne devraient pas
être considérées comme une simple minorité, mais comme un
élément constitutif de l’humanité (50% de la population étant
des femmes, elles ne composent pas une minorité). Il aurait donc
fallu un instrument juridique à part entière concernant la question de la place des femmes dans la société, ce qui constituait
l’objectif initial de la CDEG, obligeant à prendre en compte
l’égalité homme/femme dans tous les domaines (approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes ou gender mainstreaming). Néanmoins elle encourage les Etats membres du
Conseil de l’Europe à ratifier le Protocole n° 12 qui constitue,
selon elle, une avancée majeure dans la lutte contre les discriminations envers les femmes.
108
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
Conclusions du Président70
Présentées par M. Emmanuel Decaux
Professeur de droit public à l’Université Panthéon-Assas,
Paris
Ce séminaire entend marquer l’entrée en vigueur du
Protocole n° 12, le 1er avril 2005, trois mois après la dixième
ratification, comme l’a rappelé d’emblée, la Secrétaire générale
adjointe, Maud de Boer Buquicchio. Dans son discours d’ouverture, elle a rappelé les enjeux du protocole en lançant un appel
très clair et très direct pour l’engagement de tous les Etats
membres du Conseil de l’Europe.
Il aura donc fallu près de cinq ans, entre l’adoption solennelle
du protocole, à Rome, à l’occasion de la conférence ministérielle
marquant le cinquantième anniversaire de la Convention européenne des droits de l’homme, et cette entrée en vigueur. A
l’échelle de la Ville éternelle, un lustre c’est sans doute peu de
choses… Pourtant s’agissant du cœur des droits de l’homme, « le
principe fondamental selon lequel toutes les personnes sont égales
devant la loi et ont droit à une égale protection de la loi », selon les
propres termes du préambule du protocole, ce délai supplémentaire à corriger les limites de la convention de 1950 n’en est pas
moins symptomatique. Certes le temps des traités n’est pas celui
des hommes, encore moins celui des victimes quotidiennes des
violations et des discriminations, mais c’est une raison de plus
pour ne pas multiplier les retards et les prétextes pour entraver
une pleine mise en œuvre du protocole.
C’est sans doute le sens profond de ce séminaire, que de
mesurer les obstacles et les enjeux, de chercher les voies et
70. Ces conclusions reflètent le point de vue du Président.
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
109
La non-discrimination : un droit fondamental
moyens d’une ratification par chacun des quarante-six Etats
parties à la Convention européenne.
Face à tous ces défis, cette entrée en vigueur n’en est que plus
importante. Il s’agit d’abord d’une date importante sur le plan
pratique, pour les millions de citoyens européens concernés. Or,
si l’on fait une carte géopolitique des ratifications, les onze
premiers Etats ressemblent à des îlots dispersés aux quatre coins
du continent : au nord – Pays-Bas, Finlande – au sud – SaintMarin, Chypre – ou à l’est du continent – Arménie, Géorgie – avec
un noyau central dans les Balkans – Albanie, Bosnie-Herzégovine,
Croatie, « ex-République yougoslave de Macédoine », SerbieMonténégro. Parmi cet ensemble, seuls trois membres de l’Union
européenne sont présents, avec Chypre, la Finlande et les PaysBas. Mais force est de reconnaître le poids des 23 Etats signataires
qui restent dans l’expectative, d’autant qu’une dynamique de
signatures n’apparaît guère – si l’on laisse de côté cinq des Etats
parties qui n’étaient pas des signataires originaires – seuls quelques pays comme la Slovénie et la Turquie en 2001, la Norvège
et l’Azerbaïdjan en 2003 ont rejoint les signataires de Rome. Bien
plus, un noyau dur d’une dizaine d’Etats – et non des moindres,
reste délibérément à l’écart du nouvel instrument, notamment la
Bulgarie, le Danemark, l’Espagne, la France, la Lituanie, la
Pologne, le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse. C’est d’autant
plus inquiétant que figurent parmi ces Etats, un fort contingent de
membres de l’Union européenne, qui semble ainsi freiner les
autres signataires. La solidarité communautaire devrait au
contraire, ici comme ailleurs, constituer une cause de dynamisme,
non un facteur d’attentisme.
L’entrée en vigueur du protocole n’en constitue pas moins une
date importante d’un point de vue collectif, sur le plan symbolique comme sur le plan technique. La Cour va désormais être à
même de mettre en œuvre l’article 1er du Protocole n° 12, avec
une jurisprudence qui permettra d’en enrichir et d’en préciser
l’interprétation. Il faut espérer que cette étape permettra de créer
une nouvelle dynamique pour mobiliser les signataires qui se sont
110
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
assoupis, maintenant que ces résultats concrets sont à leur portée
immédiate. A défaut de cette dynamique vertueuse, il faut aussi
souligner le paradoxe que constituerait une transition trop
longue, avec un système à deux vitesses où l’égalité ne serait pas
la même pour tous les justiciables européens. Le Protocole n° 9
avait introduit une différenciation procédurale, avec deux règlements intérieurs, mais il est quand même exceptionnel qu’un
même principe substantiel ait deux variantes applicables, selon le
choix des Etats. Quelle portée donner à l’autorité relative de la
chose jugée, lorsque la Cour se sera prononcée sur une question
de principe ? C’est dire, dans un simple souci de cohérence juridique et d’harmonie jurisprudentielle, qu’il faut souhaiter voir
dans les meilleurs délais, l’ensemble des Etats parties à la Convention se rallier autour du Protocole n° 12.
I
Comment expliquer les réticences, pour ne pas dire plus, de
nombre d’Etats ? Sur le plan des principes, tous les Etats se sont
engagés, plutôt dix fois qu’une, en faveur de l’égalité des droits
et de la non-discrimination. On retrouve ces grands principes à la
base de tous les grands textes internationaux, depuis soixante
ans, à commencer par la Charte des Nations Unies qui proclame
« le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour
tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion ».
C’est un leitmotiv, inséparable de la mention des droits de
l’homme, tout au long de la Charte.
Dans le droit fil de la Déclaration universelle, le principe est
décliné dans les dispositions des deux Pactes internationaux
de 1966, comme des autres instruments spécialisés des Nations
Unies. Lors de la première séance, Martin Scheinin nous a rappelé
l’expérience du Comité des droits de l’homme dans l’application
de l’article 26. De son côté, la Sous-Commission des droits de
l’homme a entrepris une étude sur la portée de l’article 2 §2 du
Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et
culturels, confiée à Marc Bossuyt, en tant que rapporteur spécial.
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
111
La non-discrimination : un droit fondamental
Cette étude est d’autant plus importante que le groupe de travail
de la Commission des droits de l’homme sur les « options » pour
un protocole facultatif au Pacte permettant des communications
individuelles, met l’accent sur la justiciabilité des droits
économiques, sociaux et culturels, avec l’hypothèse d’une double
protection, sous l’angle de la non-discrimination, par l’un et
l’autre Pacte.
J’ajouterai que cet effet de miroitement existe déjà entre
l’article 14 de la Convention européenne et l’article 26 du Pacte
relatif aux droits civils et politiques, comme l’atteste la triste saga
du contentieux des anciens soldats africains de l’armée française.
Dès 1989, le Comité des droits de l’homme s’était prononcé très
clairement dans l’affaire Guye et autres pour constater une discrimination à raison de la nationalité dans la jouissance des
pensions de retraite, à la suite de la « cristallisation » des pensions
versées aux retraités étrangers. Après bien des hésitations et des
contradictions, marquées notamment par un avis Dame
Doukouré, le Conseil d’Etat a fini par reconnaître les droits à
pension des anciens militaires africains, dans un arrêt Diop du
30 novembre 2001, mais en se fondant sur la Convention européenne, et en appliquant l’article 14 au premier article du
Protocole n° 1 sur le droit de propriété, plutôt que de se fonder
sur les constatations du Comité des droits de l’homme… Cet arrêt
figure désormais dans les « grands arrêts » du Conseil d’Etat !
Malgré l’extension prise par la jurisprudence relative à
l’article 14, que ce soit dans le cadre interne ou dans le cadre
européen – le juge Tsatsa-Nikolovska a bien montré le rôle dynamique joué récemment par la Cour européenne – un décalage
subsiste entre le principe de non-discrimination tel qu’il est
garanti dans le cadre universel, à travers les deux Pactes, et le
principe consacré par l’article 14 dans le cadre du Conseil de
l’Europe. Ce retard initial aurait pu être comblé, lors de la mise à
niveau effectuée à l’occasion de l’entrée en vigueur des Pactes,
avec le Protocole n° 7, cela n’a pas été le cas.
112
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
Ce « moins disant » de la Convention européenne est d’autant
moins excusable aujourd’hui que de son côté l’Union européenne
a fait du principe de non-discrimination un de ses fondements de
son action dans tous les domaines. La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne comporte des dispositions
complexes, articulant citoyenneté européenne et non-discrimination, mais le principe général est proclamé sans ambiguïté : « Est
interdite toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race,
la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques
ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la
fortune la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle »
(article II-81 §1 du Traité établissant une Constitution pour
l’Europe). La prise en compte de discriminations longtemps
cachées, négligées, ou même admises, comme celles fondées sur
le handicap, sur l’âge ou sur l’orientation sexuelle est particulièrement utile pour sensibiliser les pouvoirs publics mais aussi la
société civile. Ainsi l’action européenne contre l’homophobie est
d’autant plus importante que le cadre universel n’est guère
propice à une telle prise de conscience, comme le montrent les
débats récurrents à ce sujet, que ce soit à la Sous-Commission, à
la Commission des droits de l’homme ou à la 3e Commission de
l’Assemblée générale.
On retrouve le même élargissement des discriminations prises
en compte, sur le plan interne, soit avec la multiplication
d’instances spécialisées, sur le modèle des différents Ombudsman
suédois, soit avec la mise en place d’institutions à compétences
générales, fusionnant des commissions préexistantes comme au
Royaume-Uni ou créées ex nihilo comme la nouvelle Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) en
France. L’Union européenne se trouve face au même dilemme
avec la transformation de l’Observatoire de Vienne des phénomènes racistes et xénophobes en Agence européenne des droits
fondamentaux. Mais la juxtaposition de compétences spécifiques
et de compétences générales se retrouve aussi dans le système
onusien, avec des organes spécialisés comme le Comité pour
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
113
La non-discrimination : un droit fondamental
l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(CERD) ou le Comité pour l’élimination de toutes les formes de
discrimination à l’égard des femmes (CEDAW).
A cet égard, l’expérience de la Commission européenne
contre le racisme et l’intolérance, l’ECRI – représentée ici par son
président Michael Head – est particulièrement significative pour
rappeler l’importance de la lutte contre le racisme et l’intolérance. Comme il nous l’a rappelé, c’est une demande de l’ECRI
visant la discrimination raciale qui a été le point de départ du
Protocole n° 12, alors que le Comité directeur sur l’égalité des
femmes et des hommes préconisait de son côté un protocole
relatif à la discrimination sexuelle. Il est heureux que ces deux
approches aient permis de déboucher sur une clause générale,
évitant d’établir une hiérarchie entre les discriminations.
Pour autant, certains ont déploré, lors du débat, que le
Protocole n° 12 s’en tienne à la liste des discriminations établies
en 1950. Il est bien sûr impossible, à ce stade, de revenir sur
l’option de principe qui a été faite par les rédacteurs du
protocole ! Sur le plan juridique, comme cela a été souligné,
la rédaction du Protocole n° 12 couvre bien toutes les
discriminations – puisque son énumération qui commence par
« notamment » se termine en visant « toute autre situation » – et la
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme a
déjà donné une grande extension à cette formule, ainsi que nous
a rappelé Mme Tsatsa-Nikolovska en multipliant les exemples.
C’est seulement sur le terrain symbolique, à l’égard de l’opinion
publique, qu’on peut déplorer l’absence de mention explicite à
de « nouvelles » formes de discriminations, même si toute réécriture d’une énumération prête le flanc à des raisonnements a
contrario, impliquant de nouvelles lacunes… Encore une fois, le
texte du protocole n’exclut rien. Raison de plus pour renforcer le
travail de sensibilisation à l’égard de toutes les discriminations et
des groupes les plus vulnérables.
114
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
Mais affirmer des priorités ne doit pas nous amener à sousestimer d’autres discriminations. Le Protocole n° 12, par sa
double généralité, en visant toute forme de discrimination à
l’égard de « tout droit prévu par la loi », nous oblige à élargir considérablement la portée du radar de la Convention.
II
Le premier panel était justement consacré à la portée du
Protocole n° 12, aussi bien dans le cadre de la Convention européenne que dans sa mise en relation avec d’autres instruments
internationaux. Comme l’a souligné Marc Bossuyt, avec son franc
parler coutumier, le Protocole n° 12 n’apporte rien de neuf sur
le fond. Le principe est déjà largement consacré sur le plan
interne comme dans le cadre international. Ce qui est nouveau,
c’est seulement – mais c’est sans doute beaucoup, j’allais dire
trop, pour nombre d’Etats – l’extension de la compétence de la
Cour de Strasbourg. L’hypothèque concerne sans doute la charge
de travail supplémentaire de la Cour – nous y reviendrons – mais
plus fondamentalement encore le poids donné à la jurisprudence.
La dialectique classique entre le rôle du législateur, s’agissant
notamment de « l’allocation nationale des ressources » et la
fonction d’interprétation du juge se trouve ici doublée par la
réticence à abandonner la « marge nationale d’appréciation » en
faveur d’une confiance aveugle accordée à un juge supranational. Le débat a montré que le juge européen avait besoin de
rassurer, de « faire ses preuves », comme si depuis près de 40 ans,
une jurisprudence abondante n’avait pas déjà fixé les traits
d’une démarche, à la fois dynamique et prudente. M. Head nous
a décrit la jurisprudence relative à l’article 14 comme
« rassurante et décevante », avant de présenter la rédaction du
Protocole n° 12 comme « audacieuse et timide », dans la mesure
où la référence à l’égalité ne figure que dans le préambule et où
la dimension horizontale des discriminations dans la sphère
privée s’efface derrière l’écran de la loi. Mais l’Etat se voit
rappeler ses obligations positives dans la mesure où il doit
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
115
La non-discrimination : un droit fondamental
respecter et faire respecter le principe de non-discrimination, en
vertu du principe fondamental rappelé par le préambule que
chacun a « droit à une égale protection de la loi ».
Mais le débat a permis d’écarter bien des malentendus, s’agissant notamment de la place des travaux préparatoires et notamment du rapport explicatif. La question des « discriminations
positives » visées par le Préambule ne laisse place à aucune incertitude, conformément au droit commun de la non-discrimination,
tel que la jurisprudence comparée l’a amplement illustré, tout
comme les observations générales des différents organes de
traités des Nations Unies, alors que certains craignaient que ces
« mesures positives » d’affirmative action ne tombent sous le coup
du protocole. Morten Kjaerum l’a bien montré, en sa qualité de
membre du CERD.
De même, la participation de plusieurs juges au débat, même
s’il n’était pas question pour eux de « pré-juger » une position officielle de la Cour, a permis de souligner toute la portée de l’avis
rendu le 6 décembre 1999 qui – comme l’a rappelé
Jeroen Schokkenbroek – a été rendu en réunion plénière administrative, c’est-à-dire avec la participation de tous les juges, dans
une formation encore plus représentative qu’une Grande
Chambre. Ainsi, « en ce qui concerne le contenu normatif du Protocole, la Cour relève, en rapport avec l’article 1er, que le projet de
rapport explicatif (voir le § 18) renvoie à la notion de discrimination
telle que celle-ci a toujours été interprétée dans la jurisprudence de la
Cour, d’après laquelle une différence de traitement est discriminatoire
si elle manque de justification objective et raisonnable, c’est-à-dire si
elle ne poursuit pas un but légitime ou s’il n’y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
Comme la Cour l’a dit dans l’affaire linguistique belge, « les autorités
nationales compétentes se trouvent souvent en face de situations ou
de problèmes dont la diversité appelle des solutions juridiques
différentes » (arrêt du 23.7.68, série A n° 6, p.34, § 10). On trouve
une autre illustration de cette idée, en accord avec le caractère subsidiaire du système de la Convention, dans la marge d’appréciation
116
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
dont les autorités nationales jouissent pour déterminer si et dans
quelle mesure les différences entre des situations à d‘autres égards
analogues justifient des distinctions de traitement juridique (voir,
entre autres, l’arrêt Rasmussen c.Danemark du 23.11.84, série A
n° 87, p. 15, § 40) » (§ 5).
Manifestement la jurisprudence de la Cour s’inscrira dans la
continuité, épousant la dialectique qui est au cœur de la justice
distributive depuis Aristote et Pythagore. Il n’y a pas lieu de
craindre que la Cour abandonne son rôle traditionnel de
« réducteur des incertitudes », comme s’en inquiétait le professeur Renucci. La jurisprudence déjà riche de la Cour européenne
des Droits de l’Homme – tout comme celles de la Cour suprême
des Etats-Unis ou des Cours constitutionnelles européennes – a
bien montré que l’égalité n’était pas l’uniformité, l’égalité des
casernes, mais qu’elle était plus proche de l’équité en tenant pleinement compte de la diversité des situations. Selon la formule
souvent répétée par le Conseil constitutionnel français, le principe
d’égalité « ne s’oppose, ni à ce que le législateur règle de façons différentes des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour
des raisons d’intérêt général, pour autant que, dans l’un et l’autre cas,
la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l’objet
de la loi qui l’établit ». Il s’agit, en somme, de traiter de manière
identique des situations identiques et de manière différente des
situations différentes. Mais précisément ce calcul de plus en plus
sophistiqué, ne peut être fait que par le juge, dans des situations
concrètes.
Pour autant, la jurisprudence européenne comportait une
limite inhérente à la construction de l’article 14 en faisant sinon
une « clause parasitaire », du moins une « disposition accessoire »
au sens technique du mot, même si une violation de l’article 14
pouvait, en principe, être constatée en dehors de toute violation
d’un des droits garantis par la Convention. Mais contrairement
par exemple à l’expérience de la Chambre des droits de l’homme
de Bosnie-Herzégovine qui en vertu des accords de Dayton, appliquait en priorité le « test » de la non-discrimination, la jurispru-
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
117
La non-discrimination : un droit fondamental
dence de la Cour européenne relègue ce débat aux derniers paragraphes de son arrêt. C’est dire que trop souvent, moins sans
doute en raison d’une réticence de principe à admettre certaines
discriminations, que par son inclinaison à pratiquer « l’économie
des moyens », elle se concentrait sur les violations substantielles,
plutôt que de rechercher de manière superfétatoire les discriminations pouvant s’y greffer. Il faut d’autant plus saluer le rôle de
pionnier du juge Louis-Edmond Pettiti qui, dans son opinion
dissidente sur l’arrêt Buckley du 25 septembre 1996, avait
souligné toute la potentialité de l’article 14, s’agissant notamment des discriminations institutionnelles subies par les Roms.
A cet égard, le Protocole n° 12 vient à point nommé pour
remettre en première ligne le principe de l’article 14, en faisant
de « l’interdiction générale de discrimination » un droit à part
entière, une priorité juridique et non plus un « droit accessoire »,
au propre mais aussi au figuré. Cette vigilance est d’autant plus
importante que de nouveaux défis surgissent, comme l’a bien
montré M. Jim Goldston, le directeur exécutif de l’Open Society
Justice Initiative, en concentrant son intervention sur les risques de
discriminations dans la lutte contre le terrorisme, notamment
avec les techniques de profiling.
III
Dès lors comment aller plus loin ? Comment concrètement
préparer la ratification ? Tel était le titre du deuxième panel,
consacré aux enjeux de la ratification. Le débat a d’abord été
placé sur le plan politique, grâce à la présentation d’un membre
de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, appartenant à la Commission des questions juridiques et des droits de
l’homme, M. Boriss Cilevičs, qui n’a pas manqué de relever le
paradoxe de la situation, puisque la ratification a été imposée aux
nouveaux Etats membres, dans le cadre du monitoring des engagements, sans que les « anciens » Etats ne s’engagent. Face à cet
attentisme, il a souligné qu’il était essentiel que les « craintes
118
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
infondées » au sujet du Protocole n° 12 ne suscitent à leur tour
des « espoirs déçus ».
L’exemple de la Croatie, présenté par Mme Šimonović qui
dirige le département des droits de l’homme du ministère des
affaires étrangères, montre bien le cercle vertueux entraîné par la
ratification du protocole, mettant en œuvre le principe de subsidiarité. L’entrée en vigueur du protocole va en effet « provoquer
le juge national », à travers le renforcement des compétences de
la Cour constitutionnelle, et servir de moteur pour des réformes
législatives et la mise en place de nouvelles institutions, de la
famille des ombudsman. C’est donc d’abord sur le plan interne
que se joue la mise en œuvre du protocole. Inversement, la multiplication des garanties internationales, devant la Cour européenne, comme devant le Comité des droits de l’homme, le CERD
ou le CEDAW, n’a de sens que si un dispositif est mis en place
pour exécuter les décisions de ces organes, en bouclant ainsi la
boucle.
De son côté, M. Kissane, du département des affaires constitutionnelles, a exposé les hésitations du Royaume-Uni, sans fermer la
porte à une évolution, mais en soulignant les incertitudes qui
subsistent. Il a rappelé que le Royaume-Uni est fermement engagé,
sur le plan des principes comme des politiques, en faveur de la
promotion de l’égalité raciale et de la cohésion sociale. Notant
que, depuis le traité d’Amsterdam, l’Union européenne va encore
plus loin en visant directement la sphère privée – comme l’avait
indiqué dans son exposé sur le droit communautaire
M. Mark Bell – s’interrogeant ainsi sur « la valeur ajoutée » du
Protocole n° 12. Toutefois, les débats ont permis de souligner que
le protocole du Conseil de l’Europe et la législation de l’Union
européenne sont de nature différente, ont des fonctions différentes
et sont donc complémentaires. Le professeur Wintemute a évoqué
le caractère constitutionnel du droit de la Convention. Alors que les
directives de l’Union n’englobent pas tous les motifs de discrimination, ni tous les domaines de la vie dans lesquels persiste l’inégalité,
le Protocole n° 12 instaure le principe général de non-discrimina-
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
119
La non-discrimination : un droit fondamental
tion. Il s’agit d’un fondement juridique essentiel pour restaurer
l'égalité, que ce soit en droit, ou dans les interventions des pouvoirs
publics.
L’autre argument, mis en avant a été celui de l’exemplarité,
du leadership, attendu justement d’un pays comme le RoyaumeUni. En effet, au-delà de l’expérience propre de chaque Etat, ce
qui est en jeu est une dynamique collective, à travers les conséquences de l’entrée en vigueur pour le système de la Convention.
Il ne faut pas se le cacher, la somme des réticences individuelles
ou des obstacles techniques répond aussi à une incertitude plus
générale, dont la Cour elle-même s’était fait l’écho dans son avis
de 1999, en évoquant le poids de la réforme sur son propre fonctionnement, au moment où la nouvelle Cour venait d’être mise
en place.
La contribution de Robert Badinter aux Mélanges Pettiti,
publiée en 1998 sous le titre « Du Protocole n° 11 au
Protocole n° 12 » était un exercice de fiction juridique, risqué
comme toute projection dans le temps, en évoquant « la réforme
de la réforme » – ce qui deviendra le Protocole n° 14 – et non de
notre Protocole n° 12. Mais ce titre prend aujourd’hui un sens
prophétique. Il y a bien un lien étroit entre le Protocole n° 11 et
le Protocole n° 12, entre les incertitudes des Etats à l’égard du
fonctionnement actuel de la Cour et les réticences à la charger de
nouvelles responsabilités pour l’avenir. Les projections quantitatives montrent d’ailleurs que le mot « charger » n’est pas un vain
mot. Mais, peut-on remettre à plus tard une pleine garantie du
principe de non-discrimination, en raison de l’absence de moyens
financiers ou humains. Il faut adapter les moyens aux principes et
non les principes aux moyens. Jean Kahn, le fondateur de
l’Observatoire de Vienne l’avait rappelé à un ministre européen
qui considérait que la mise en œuvre de l’égalité entre les
femmes et les hommes avait coûté trop cher pour que la Communauté européenne s’implique dans la lutte contre la discrimination raciale.
120
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
La lutte contre les inégalités et les discriminations est
aujourd’hui un leitmotiv politique, c’est un impératif juridique, et
une obligation morale pour tous nos Etats. On voit mal comment
la Convention européenne des Droits de l’Homme pourrait être
amputée durablement de cet outil nouveau, et on comprend mal
quel argument avouable pourrait être invoqué à l’encontre de la
mise en œuvre d’un principe fondamental. On comprend encore
moins comment sur un terrain aussi essentiel le système européen
pourrait être laissé durablement à la traîne, face aux développements du droit international et du droit communautaire, à moins
de remettre en cause sa cohérence comme « modèle » de garantie
collective des droits de l’homme.
Si le principe contient une part d’incertitudes, c’est justement
au juge européen, comme au juge national, d’apporter les clarifications nécessaires, dans le respect de la marge nationale
d’appréciation, à travers la notion de proportionnalité et/ou le
critère de raisonnable.
Cet engagement est d’autant plus nécessaire pour les pays qui
comme la France écartent l’idée de conférer des droits collectifs à
des groupes ou des communautés, en insistant sur l’égalité de
droits entre tous les citoyens. En ce sens la consécration par la
Convention européenne – que ce soit à l’article 14 ou dans le
Protocole n° 12 qui reprend les mêmes termes dans son article
premier – du refus de toute discrimination fondée « sur l’appartenance à une minorité nationale » fournit un pont pour concilier
concrètement les deux positions, en assurant la pleine effectivité
des droits de l’homme. C’est ce qu’a rappelé la Commission
nationale consultative des droits de l’homme, dans sa réponse au
3e rapport de l’ECRI sur la France, en écartant unanimement
toute intention de ratification de la convention-cadre sur les
minorités nationales, mais en préconisant la ratification du
Protocole n° 12 dans les meilleurs délais. C’est sur le terrain de la
non-discrimination, que l’égalité abstraite, tant de fois proclamée
en vain, peut devenir une véritable égalité des droits, une égalité
des chances…
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
121
La non-discrimination : un droit fondamental
Mais de manière positive cette fois, le lien entre le
Protocole n° 11 et le Protocole n° 12 implique aussi de
conserver la dialectique entre la promotion et la protection des
droits de l’homme, ou pour reprendre un vocabulaire plus familier à Strasbourg, entre le développement et la procédure. A cet
égard, permettez-moi de le dire très franchement, l’idée de
mettre en veilleuse des activités du DH-DEV me semble regrettable sur le plan symbolique comme sur le plan pratique. Lorsque
je participais aux travaux du CDDH, il y a près de vingt ans, nous
parlions de l’initiative autrichienne visant à consacrer des droits
économiques et sociaux dans un protocole additionnel ! Fort
heureusement, la Charte sociale européenne a pris depuis un
grand essor, comme l’a rappelé Jean-Michel Belorgey, le président du Comité des Droits sociaux.
Reste que la Convention européenne comporte un « déficit
social » important. A défaut de nouvelle percée substantielle, le
Protocole n° 12 offre une ouverture sur l’ensemble des droits
garantis par l’Etat, permettant ainsi une prise en compte des
droits économiques et sociaux, au-delà de la sphère étroite des
« biens », jouant par définition au seul bénéfice des beati possidentes, au sens de l’article premier du protocole additionnel. Ce
retour sur les droits économiques et sociaux, dans le cadre européen, me semble essentiel pour lutter concrètement contre les
discriminations et les exclusions qui sont une atteinte à la dignité.
Ces « pauvres droits de l’homme » dont a si bien parlé PierreHenri Imbert, avec la rigueur intellectuelle et le courage moral
qu’on lui connaît, dans un article qui a fait date.
Dans une Europe sans clivages, dont le modèle social est en
crise, écartelée entre l’individualisme et la globalisation, le
Protocole n° 12 n’est pas seulement un instrument technique –
un expédient à laisser de côté ou à remiser pour plus tard – c’est
le révélateur de notre volonté collective d’une société plus juste
et plus solidaire, fondée sur « l’égale dignité de tous les êtres
humains », de chaque homme et de chaque femme, y compris les
plus vulnérables.
122
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
Les droits de l’homme n’ont de sens que si ce sont les droits
de tous. Ce sont d’abord les « droits des autres », comme le rappelait Emmanuel Lévinas. Plus que jamais, le principe de non-discrimination doit être placé au cœur des droits de l’homme. Mais
tout autant, et même plus, les droits de l’homme doivent être
ancrés dans le principe de non-discrimination. Si tous les chemins
mènent à Rome, ils doivent aussi nous conduire à Strasbourg.
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
123
La non-discrimination : un droit fondamental
Annexe I
Protocole n° 12 à la Convention de
Sauvegarde des Droits de l’Homme
et des libertés fondamentales
Rome, 4.XI.2000
Les Etats membres du Conseil de l’Europe, signataires du
présent Protocole,
Prenant en compte le principe fondamental selon lequel
toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit à une
égale protection de la loi ;
Résolus à prendre de nouvelles mesures pour promouvoir
l’égalité de tous par la garantie collective d'une interdiction générale de discrimination par la Convention de sauvegarde des Droits
de l’Homme et des Libertés fondamentales, signée à Rome le
4 novembre 1950 (ci-après dénommée « la Convention ») ;
Réaffirmant que le principe de non-discrimination n’empêche
pas les Etats parties de prendre des mesures afin de promouvoir
une égalité pleine et effective, à la condition qu'elles répondent
à une justification objective et raisonnable,
Sont convenus de ce qui suit :
Article 1 – Interdiction générale de la discrimination
1. La jouissance de tout droit prévu par la loi doit être assurée,
sans discrimination aucune, fondée notamment sur le sexe, la
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
125
La non-discrimination : un droit fondamental
race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques
ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale,
l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.
2. Nul ne peut faire l’objet d’une discrimination de la part d’une
autorité publique quelle qu’elle soit fondée notamment sur
les motifs mentionnés au paragraphe 1.
Article 2 – Application territoriale
1. Tout Etat peut, au moment de la signature ou au moment du
dépôt de son instrument de ratification, d’acceptation ou
d’approbation, désigner le ou les territoires auxquels s’appliquera le présent Protocole.
2. Tout Etat peut, à tout autre moment par la suite, par une
déclaration adressée au Secrétaire Général du Conseil de
l’Europe, étendre l’application du présent Protocole à tout
autre territoire désigné dans la déclaration. Le Protocole
entrera en vigueur à l’égard de ce territoire le premier jour du
mois qui suit l’expiration d’une période de trois mois après la
date de réception de la déclaration par le Secrétaire Général.
3. Toute déclaration faite en vertu des deux paragraphes précédents pourra être retirée ou modifiée, en ce qui concerne tout
territoire désigné dans cette déclaration, par notification
adressée au Secrétaire Général du Conseil de l’Europe. Le
retrait ou la modification prendra effet le premier jour du
mois qui suit l'expiration d’une période de trois mois après la
date de réception de la notification par le Secrétaire Général.
4. Une déclaration faite conformément au présent article sera
considérée comme ayant été faite conformément au
paragraphe 1 de l'article 56 de la Convention.
126
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
5. Tout Etat ayant fait une déclaration conformément au
paragraphe 1 ou 2 du présent article peut, à tout moment par
la suite, déclarer relativement à un ou plusieurs des territoires
visés dans cette déclaration qu’il accepte la compétence de la
Cour pour connaître des requêtes de personnes physiques,
d’organisations non gouvernementales ou de groupes de
particuliers, comme le prévoit l’article 34 de la Convention,
au titre de l’article 1 du présent Protocole.
Article 3 – Relations avec la Convention
Les Etats parties considèrent les articles 1 et 2 du présent
Protocole comme des articles additionnels à la Convention et
toutes les dispositions de la Convention s’appliquent en conséquence.
Article 4 – Signature et ratification
Le présent Protocole est ouvert à la signature des Etats
membres du Conseil de l’Europe qui ont signé la Convention. Il
sera soumis à ratification, acceptation ou approbation. Un Etat
membre du Conseil de l’Europe ne peut ratifier, accepter ou
approuver le présent Protocole sans avoir simultanément ou antérieurement ratifié la Convention. Les instruments de ratification,
d’acceptation ou d’approbation seront déposés près le Secrétaire
Général du Conseil de l’Europe.
Article 5 – Entrée en vigueur
1. Le présent Protocole entrera en vigueur le premier jour du
mois qui suit l’expiration d’une période de trois mois après la
date à laquelle dix Etats membres du Conseil de l’Europe
auront exprimé leur consentement à être liés par le présent
Protocole conformément aux dispositions de son article 4.
2 Pour tout Etat membre qui exprimera ultérieurement son
consentement à être lié par le présent Protocole, celui-ci
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
127
La non-discrimination : un droit fondamental
entrera en vigueur le premier jour du mois qui suit l’expiration
d’une période de trois mois après la date du dépôt de l’instrument de ratification, d’acceptation ou d’approbation.
Article 6 – Fonctions du dépositaire
Le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe notifiera à tous
les Etats membres du Conseil de l’Europe:
a toute signature;
b le dépôt de tout instrument de ratification, d’acceptation
ou d’approbation;
c toute date d’entrée en vigueur du présent Protocole
conformément à ses articles 2 et 5;
d tout autre acte, notification ou communication, ayant trait
au présent Protocole.
En foi de quoi, les soussignés, dûment autorisés à cet effet, ont
signé le présent Protocole.
Fait à Rome, le 4 novembre 2000, en français et en anglais,
les deux textes faisant également foi, en un seul exemplaire qui
sera déposé dans les archives du Conseil de l'Europe. Le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe en communiquera copie
certifiée conforme à chacun des Etats membres du Conseil de
l’Europe.
128
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
Rapport explicatif
I. Le Protocole n° 12 à la Convention de sauvegarde des
Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales a été élaboré
au sein du Conseil de l’Europe par le Comité Directeur pour les
Droits de l’Homme (CDDH). Il a été ouvert à la signature des Etats
membres du Conseil de l’Europe le 4 novembre 2000.
II. Le texte du rapport explicatif, préparé par le CDDH et
adopté par le Comité des Ministres le 26 juin 2000, ne constitue
pas un instrument d’interprétation authentique du texte du
Protocole bien qu’il puisse être susceptible de faciliter la compréhension des dispositions qui y sont contenues.
Introduction
1. L’article 1 de la Déclaration universelle des droits de
l’homme proclame : « Tous les êtres humains naissent libres et
égaux en dignité et en droits ». Le principe d’égalité et de nondiscrimination constitue un élément fondamental du droit international en matière de droits de l’homme. Il a été affirmé en tant
que tel à l’article 7 de la Déclaration universelle des droits de
l’homme, à l’article 26 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques, et aux dispositions similaires figurant dans
d’autres instruments internationaux en matière de droits de
l’homme. La disposition pertinente de la Convention européenne
des Droits de l’Homme (CEDH) en la matière est l’article 14.
Toutefois, la protection offerte par l’article 14 concernant
l’égalité et la non-discrimination est limitée, comparée à celle
prévue aux dispositions d’autres instruments internationaux. Ce
fait tient principalement à ce que l’article 14, à la différence des
dispositions contenues dans d’autres instruments, n’énonce pas
une interdiction indépendante relative à la discrimination,
puisqu’il ne la proscrit qu’en ce qui concerne « la jouissance des
droits et libertés » définis dans la Convention. Depuis 1950,
certaines garanties spécifiques supplémentaires concernant
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
129
La non-discrimination : un droit fondamental
uniquement l’égalité entre époux ont été énoncées à l’article 5 du
Protocole n° 7 à la CEDH.
2. Depuis les années 60, divers moyens d’assurer des garanties supplémentaires dans le domaine de l’égalité et de la nondiscrimination par le biais d’un protocole à la Convention ont été
proposées ou étudiées, tant par l’Assemblée parlementaire que
par les comités d’experts intergouvernementaux compétents du
Conseil de l’Europe, mais les travaux menés ces dernières années
dans le domaine de l’égalité entre les femmes et les hommes et
de la lutte contre le racisme et l’intolérance ont donné une
nouvelle impulsion à cette démarche. La question d’un éventuel
renforcement des garanties de la CEDH à ces égards a été étudiée
activement par la Commission européenne contre le racisme et
l’intolérance (ECRI), le Comité directeur pour l’égalité entre les
femmes et les hommes (CDEG) et le Comité directeur pour les
droits de l’homme (CDDH).
3. Les participants au 7e Colloque international sur la Convention européenne des Droits de l’Homme (Copenhague, Oslo et
Lund, 30 mai-2 juin 1990) ont affirmé que les principes d’égalité
et de non-discrimination étaient des éléments essentiels du droit
international en matière de droits de l’homme. Quant à l’élargissement, par la voie du développement de la jurisprudence de
Strasbourg, de la protection offerte par l’article 14 de la Convention au-delà de la limite susmentionnée (voir paragraphe 1 cidessus), ils ont reconnu qu’il y avait peu de possibilités d’expansion jurisprudentielle sur ce point, du fait que l’interdiction
édictée par l’article 14 a un caractère nettement accessoire par
rapport aux autres garanties de fond de la Convention.
4. Depuis 1990, l’étude d’un éventuel renforcement des
garanties de la Convention concernant l’égalité et la non-discrimination a d’abord été menée de façon indépendante et dans des
perspectives spécifiques par le Comité directeur pour l’égalité
entre les femmes et les hommes et la Commission européenne
contre le racisme et l’intolérance.
130
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
5. Au cours de ses travaux, le CDEG a souligné l’absence, dans
le cadre des instruments contraignants du Conseil de l’Europe, de
protection juridique de l’égalité entre les femmes et les hommes
en tant que droit fondamental indépendant. Considérant qu’une
norme juridique à cet effet constituait l’une des conditions essentielles pour atteindre l’égalité de jure et de facto, le CDEG a
concentré la majeure partie de ses activités sur l’inclusion dans la
Convention européenne des Droits de l’Homme d’un droit fondamental de la femme et de l’homme à l’égalité. Les travaux du
CDEG ont abouti à la proposition circonstanciée d’introduire un
tel droit dans un protocole à la CEDH. En 1994, le Comité des
Ministres a chargé le Comité directeur pour les droits de l’homme
d’étudier la nécessité et la faisabilité d’une telle mesure, en
tenant compte, entre autres, du rapport soumis par le CDEG. Sur
la base des travaux de son Comité d’experts pour le développement des droits de l’homme (DH-DEV), le CDDH est convenu, en
octobre 1996, qu’il était nécessaire que le Conseil de l’Europe
adopte des normes dans le domaine de l’égalité entre les femmes
et les hommes, mais, se situant sur le plan du principe de l’universalité des droits de l’homme, il a exprimé des réserves à l’égard
d’un projet de protocole fondé sur une approche sectorielle. A la
suite d’une demande formulée par le CDDH, le Comité des Ministres l’a chargé, en décembre 1996, d’étudier des solutions
d’ordre normatif quant à l’égalité entre la femme et l’homme
autres que celle d’un projet de protocole spécifique à la CEDH, et
de soumettre des propositions à cet égard.
6. Dans l’intervalle, conséquence directe du premier Sommet
des chefs d’État et de gouvernement des Etats membres tenu à
Vienne les 8 et 9 octobre 1993, les travaux du Conseil de
l’Europe sur les problèmes du racisme et de l’intolérance se sont
intensifiés. La Déclaration et le Plan d’action sur la lutte contre le
racisme, la xénophobie, l’antisémitisme et l’intolérance adoptés
à cette occasion exprimaient l’inquiétude face à la résurgence de
ces phénomènes, ainsi qu'au développement d’un climat d’intolérance. Dans le cadre de l’approche globale du traitement de ces
problèmes, définie dans le Plan d’action, les chefs d’État et de
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
131
La non-discrimination : un droit fondamental
gouvernement ont décidé de créer la Commission européenne
contre le racisme et l’intolérance (ECRI), qu’ils ont chargée, entre
autres, d’œuvrer au renforcement des garanties contre toutes les
formes de discrimination et, à cette fin, d’étudier les instruments
juridiques internationaux applicables en la matière en vue de leur
renforcement si nécessaire.
7. Après avoir étudié tous les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme traitant des questions de discrimination, l’ECRI a transmis ses conclusions au Comité des Ministres.
Elle était d’avis que la protection offerte par la CEDH contre la
discrimination raciale devait être renforcée au moyen d’un protocole additionnel qui contiendrait une clause générale de protection contre la discrimination fondée sur la race, la couleur, la
langue, la religion ou l’origine ethnique ou nationale. En proposant un nouveau protocole, l’ECRI reconnaissait que le droit seul
ne suffirait pas à éliminer le racisme sous ses multiples formes à
l’égard de divers groupes et, dans le même temps, soulignait que
la lutte pour la justice raciale ne saurait se passer du droit. L’ECRI
était convaincue que la consécration du droit à la protection
contre la discrimination raciale en tant que droit fondamental de
l’être humain constituerait une étape importante dans la lutte
contre les violations manifestes des droits de l’homme qui résultent du racisme et de la xénophobie. Elle soulignait que les attitudes discriminatoires et la violence raciste se répandaient actuellement dans de nombreux pays européens et constatait que la
résurgence des idéologies racistes et des intolérances religieuses
ajoutait aux tensions quotidiennes que connaissent nos sociétés,
une tentative de légitimation de la discrimination.
8. A la lumière de la proposition de l’ECRI, le Comité des
Ministres a décidé, en avril 1996, de charger le Comité directeur
pour les droits de l’homme d’étudier l’opportunité et la faisabilité
d’un instrument juridique contre le racisme et l’intolérance, en
tenant compte du rapport circonstancié de l’ECRI sur le renforcement de la clause de non-discrimination de la CEDH.
132
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
9. Sur la base des travaux préparatoires effectués par le DHDEV, qui incluaient le recensement des arguments pour et contre
les diverses solutions d’ordre normatif envisageables (un protocole additionnel fondé sur la proposition de l’ECRI, un protocole
additionnel élargissant de façon générale le champ d’application
de l’article 14, une convention-cadre ou une autre convention,
une recommandation du Comité des Ministres), le CDDH a
adopté, en octobre 1997, un rapport à l’attention du Comité des
Ministres concernant à la fois la question de l’égalité entre les
femmes et les hommes et celle du racisme et de l’intolérance. Le
CDDH était d’avis qu’un protocole additionnel à la CEDH était
opportun et faisable, tant comme solution d’ordre normatif
quant à l’égalité entre les femmes et les hommes que comme
instrument juridique contre le racisme et l’intolérance.
10. C’est sur la base de ce rapport que le Comité des Ministres, à la 622e réunion des Délégués des Ministres (10 et
11 mars 1998), a confié au CDDH le mandat de rédiger un protocole additionnel à la Convention européenne des Droits de
l’Homme élargissant d’une façon générale le champ d’application de son article 14 et contenant une liste non exhaustive de
motifs de discrimination.
11. En 1998 et 1999, le CDDH et son comité d'experts, le
DH-DEV, ont élaboré le projet de protocole et le projet d’un
rapport explicatif. Comme ce fut le cas au cours des étapes antérieures de cette activité, le CDEG et l’ECRI ont été associés à ces
travaux par l’intermédiaire de leurs représentants. Au cours de
cette période, les participants au Colloque européen régional
« Tous concernés – L’effectivité de la protection des droits de
l’homme cinquante ans après la Déclaration universelle » (Strasbourg, 2-4 septembre 1998), organisé par le Conseil de l’Europe
en tant que contribution à la commémoration du
50e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de
l’homme, ainsi que le Comité des Ministres, par sa Déclaration
politique, adoptée le 10 décembre 1998, à l’occasion de ce
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
133
La non-discrimination : un droit fondamental
même anniversaire, se sont exprimés en faveur d’une conclusion
rapide de la rédaction du projet de protocole.
12. Le CDDH, après avoir consulté la Cour européenne des
Droits de l’Homme, l’Assemblée parlementaire et d’autres
instances du Conseil de l’Europe, a parachevé le texte du projet
de protocole lors de sa réunion extraordinaire des 9 et
10 mars 2000 et a décidé de le transmettre au Comité des Ministres, avec le projet de rapport explicatif.
13. Le Comité des Ministres a adopté le texte du Protocole le
26 juin 2000, à la 715e réunion des Délégués des Ministres et l’a
ouvert à la signature par les Etats membres du Conseil de l’Europe
le 4 novembre 2000.
Commentaires sur les dispositions du protocole
Préambule
14. Le bref préambule se réfère, dans le premier paragraphe,
au principe d’égalité devant la loi et d’égale protection de la loi.
Il s’agit d’un principe général fondamental et bien établi, et d’un
élément essentiel de la protection des droits de l’homme reconnu
dans les constitutions des Etats membres et dans le droit international en matière de droits de l’homme (voir aussi le
paragraphe 1 ci-dessus).
15. Bien que le principe d’égalité n’apparaisse pas explicitement dans le texte de l’article 14 de la Convention ni dans
l’article 1 du présent protocole, il convient de noter que les principes de non-discrimination et d’égalité sont étroitement liés. Par
exemple, le principe d’égalité exige que des situations égales
soient traitées de manière égale et des situations inégales de
manière différente. Toute atteinte à cet égard sera considérée
comme une discrimination, à moins qu’il n’existe une justification
objective et raisonnable (voir paragraphe 18 ci-dessous). Dans sa
jurisprudence relative à l’article 14, la Cour a déjà fait référence
134
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
à « l’égalité de traitement » (voir, par exemple, l’arrêt de la Cour
du 23 juillet 1968 dans l’affaire « linguistique belge », Série A,
n° 6, paragraphe 10) ou à « l’égalité des sexes » (voir par
exemple, l’arrêt du 28 mai 1985 dans l’affaire Abdulaziz, Cabales
et Balkandali c/Royaume-Uni, Série A, n° 94, paragraphe 78).
16. Le troisième paragraphe du préambule fait référence aux
mesures prises afin de promouvoir une égalité pleine et effective,
et réaffirme que de telles mesures ne sont pas interdites par le
principe de non-discrimination, dans la mesure où elles répondent à une justification objective et raisonnable (ce principe
apparaît déjà dans certaines dispositions internationales
existantes : voir, par exemple, l’article 1, paragraphe 4, de la
Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes
de discrimination raciale, l’article 4, paragraphe 1, de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à
l’égard des femmes et, au niveau régional, l’article 4,
paragraphe 3, de la Convention-cadre pour la protection des
minorités nationales). Le fait que certains groupes ou catégories
de personnes soient défavorisés ou l’existence de certaines inégalités de fait, peut constituer une justification pour l’adoption de
mesures octroyant des avantages spécifiques afin de promouvoir
l’égalité, sous réserve que le principe de proportionnalité soit
respecté. En effet, il y a plusieurs instruments internationaux qui
obligent ou encouragent les Etats à adopter des mesures positives
(voir, par exemple, l’article 2, paragraphe 2, de la Convention
internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, l’article 4, paragraphe 2, de la Convention-cadre
pour la protection des minorités nationales, ainsi que la
Recommandation n° R (85) 2 du Comité des Ministres aux Etats
membres relative à la protection juridique contre la discrimination fondée sur le sexe). Toutefois, le présent protocole n’impose
aucune obligation d’adopter de telles mesures. En effet, une telle
obligation de caractère programmatoire s’accommoderait mal du
caractère global de la Convention et de son système de contrôle,
qui sont fondés sur une garantie collective des droits individuels
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
135
La non-discrimination : un droit fondamental
énoncés en des termes suffisamment spécifiques pour être justiciables.
Article 1 – Interdiction générale de la discrimination
17. Cet article contient les principales dispositions de fond du
protocole. Sa formulation s’appuie sur les considérations générales suivantes.
18. La notion de discrimination a été interprétée de manière
constante par la Cour européenne des Droits de l’Homme dans sa
jurisprudence relative à l’article 14 de la Convention. Cette jurisprudence a, en particulier, fait ressortir clairement que toutes les
distinctions ou différences de traitement n’équivalaient pas à une
discrimination. Ainsi que la Cour l’a énoncé, par exemple dans
l’arrêt concernant l’affaire Abdulaziz, Cabales et Balkandali c/
Royaume-Uni, « une distinction est discriminatoire si elle ‘manque
de justification objective et raisonnable’, c’est-à-dire si elle ne
poursuit pas un ‘but légitime’ ou s’il n'y a pas de ‘rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but
visé’ » (arrêt du 28 mai 1985, Série A, n° 94, paragraphe 72). La
signification du mot « discrimination » à l’article 1 est identique à
celle qui a été donnée dans le contexte de l’article 14 de la
Convention. La formulation française de cet article 1 (« sans
discrimination aucune ») diffère légèrement de celle de
l’article 14 (« sans distinction aucune »), mais elle n’implique pas
une signification différente ; au contraire, il s’agit d’un aménagement terminologique visant à mieux illustrer le concept de discrimination au sens de l’article 14, en alignant le texte français sur
le texte anglais (voir sur ce point précis l’arrêt de la Cour du
23 juillet 1968 dans l’affaire « linguistique belge », Série A, n° 6,
paragraphe 10).
19. Dans la mesure où toute distinction ou différence de traitement n’équivaut pas à une discrimination et du fait du caractère
général du principe de non-discrimination, il n’a pas été jugé
nécessaire ni opportun d’inclure une clause restrictive dans le
136
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
présent protocole. Dans le droit de la plupart, sinon de la totalité
des Etats membres du Conseil de l’Europe, certaines distinctions
fondées sur la nationalité sont par exemple opérées quant à
certains droits ou prestations. Les situations dans lesquelles de
telles distinctions sont parfaitement acceptables sont suffisamment couvertes par la signification même de la notion de
« discrimination » telle qu'elle est décrite au paragraphe 18 cidessus, puisque des distinctions pour lesquelles existe une justification objective et raisonnable ne constituent pas une discrimination. De plus, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence
de la Cour européenne des Droits de l’Homme, une certaine
marge d’appréciation est laissée aux autorités nationales pour
déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des
situations à d’autres égards analogues justifient des distinctions
de traitement juridique. L’étendue de la marge d’appréciation
varie selon les circonstances, les domaines et le contexte (voir, par
exemple, l’arrêt du 28 novembre 1984 dans l’affaire Rasmussen c/
Danemark, Série A, n° 87, paragraphe 40). Par exemple, la Cour
a reconnu une large marge d’appréciation en ce qui concerne
l’élaboration et la mise en œuvre d’une politique fiscale (voir, par
exemple, l’arrêt du 3 octobre 1997 dans l’affaire National and
Provincial Building Society et autres c/Royaume-Uni, Recueil des
arrêts et décisions 1997-VII, paragraphe 80).
20. La liste des motifs de discrimination figurant à l’article 1 est
identique à celle de l’article 14 de la Convention. Cette solution
a été jugée préférable à d’autres, comme celle consistant à inclure
expressément certains motifs supplémentaires (par exemple, le
handicap physique et psychique, l’orientation sexuelle, l'âge),
non par méconnaissance du fait que ces motifs ont pris, dans les
sociétés actuelles, une importance particulière par rapport à
l’époque de la rédaction de l’article 14 de la Convention, mais
parce qu’une telle inclusion a été considérée comme inutile d’un
point de vue juridique, puisque la liste des motifs de discrimination n’est pas exhaustive et que l’inclusion de tout motif supplémentaire particulier pourrait engendrer des interprétations a
contrario indésirables concernant la discrimination fondée sur des
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
137
La non-discrimination : un droit fondamental
motifs non mentionnés. Il est rappelé que la Cour européenne
des Droits de l’Homme a déjà appliqué l’article 14 à l’égard de
motifs de discrimination qui ne sont pas mentionnés dans cette
disposition (voir par exemple, en ce qui concerne le motif de
l’orientation sexuelle, l’arrêt du 21 décembre 1999 dans l’affaire
Salgueiro da Silva Mouta c/Portugal).
21. L’article 1 prévoit une clause générale de non-discrimination et ainsi la portée de la protection qu’il offre va au-delà de « la
jouissance des droits et libertés reconnus dans la [présente]
Convention ».
22. En particulier, la portée de la protection additionnelle en
vertu de l’article 1 vise les cas où une personne fait l’objet d’une
discrimination:
i. dans la jouissance de tout droit spécifiquement accordé à
l’individu par le droit national;
ii. dans la jouissance de tout droit découlant d’obligations
claires des autorités publiques en droit national, c’est-à-dire
lorsque ces autorités sont tenues par la loi nationale de se
conduire d’une certaine manière;
iii. de la part des autorités publiques du fait de l’exercice d’un
pouvoir discrétionnaire (par exemple, l’octroi de certaines
subventions);
iv. du fait d’autres actes ou omissions de la part des autorités
publiques (par exemple, le comportement des responsables de
l’application des lois pour venir à bout d’une émeute).
23. A cet égard, il a été jugé inutile de préciser lesquels de ces
quatre éléments relevaient respectivement du premier paragraphe de l’article 1 et lesquels du deuxième paragraphe. Les
deux paragraphes sont complémentaires et leur portée combinée
fait que tous ces quatre éléments sont couverts par l’article 1. Il
138
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
convient de garder également à l’esprit que la distinction entre les
catégories i. à iv. n’est pas nette et que les systèmes juridiques
nationaux peuvent avoir différentes approches quant au fait de
savoir si un cas donné entre dans une de ces catégories plutôt que
dans une autre.
24. La formulation de l’article 1 reflète une approche équilibrée des éventuelles obligations positives des Parties aux termes de
cette disposition. La question posée ici est de savoir dans quelle
mesure l’article 1 contraint les Parties à prendre des mesures
visant à prévenir la discrimination, même dans les relations entre
particuliers (ce qui est qualifié d’« effets horizontaux indirects »).
La même question se pose à l’égard des mesures visant à remédier à des cas de discrimination. Si de telles obligations positives
ne peuvent être globalement exclues, l’objectif principal de
l’article 1 est d’établir pour les Parties une obligation négative :
celle de s’abstenir de toute discrimination à l’encontre des individus.
25. D’une part, l’article 1 assure une protection contre la
discrimination de la part des autorités publiques. Cet article ne
vise pas à imposer aux Parties une obligation positive générale de
prendre des mesures pour éviter tout cas de discrimination dans
les relations entre particuliers ou pour y remédier. Un protocole
additionnel à la Convention, qui, par essence, énonce des droits
individuels justiciables formulés de façon concise, ne constituerait
pas un instrument approprié pour définir les différents éléments
d’une obligation aussi large, de caractère programmatoire. Des
règles spécifiques et plus détaillées ont déjà été énoncées dans le
cadre de conventions distinctes, exclusivement consacrées à
l’élimination de la discrimination fondée sur les motifs particuliers visés par ces conventions (voir, par exemple, la Convention
sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale et
la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, toutes deux élaborées dans le cadre
des Nations Unies). Il est clair que le présent protocole ne saurait
être interprété comme une restriction ou une dérogation aux
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
139
La non-discrimination : un droit fondamental
dispositions de droit interne ou de traités prévoyant une protection supplémentaire contre la discrimination (voir les remarques
concernant l’article 3 au paragraphe 32 ci-dessous).
26. D’autre part, on ne peut exclure totalement que le devoir
d’« assurer », figurant au premier paragraphe de l’article 1,
entraîne des obligations positives. Cette question peut, par
exemple, se poser lorsqu’il existe une lacune manifeste dans la
protection offerte par le droit national contre la discrimination.
En ce qui concerne plus spécifiquement les relations entre particuliers, l’absence de protection contre la discrimination dans ces
relations pourrait être tellement nette et grave qu’elle entraînerait clairement la responsabilité de l’Etat et relèverait alors de
l’article 1 du protocole (voir, mutatis mutandis, l’arrêt de la Cour
du 26 mars 1985 dans l’affaire X et Y c/Pays-Bas, Série A, n° 91,
paragraphes 23, 24, 27 et 30).
27. Néanmoins, la portée de toute obligation positive découlant de l’article 1 sera probablement limitée. Il convient de garder
à l’esprit que la portée du premier paragraphe se trouve réduite
du fait de la référence à la « jouissance de tout droit prévu par la
loi » et que le second paragraphe précise que « nul ne peut faire
l’objet d’une discrimination de la part d’une autorité publique
quelle qu’elle soit ». En outre, il convient de noter que, quant à
la responsabilité des Etats, l’article 1 de la Convention fixe une
limite générale particulièrement pertinente dans les cas de discrimination entre particuliers.
28. Il ressort de ces considérations que toute obligation positive dans le domaine des relations entre particuliers concernerait,
au mieux, les relations dans la sphère publique normalement
régie par la loi, pour laquelle l’Etat a une certaine responsabilité
(par exemple : le refus arbitraire d’accès au travail, l’accès aux
restaurants ou à des services pouvant être mis à disposition du
public par des particuliers, tels que les services de santé ou la
distribution d'eau et d'électricité, etc.). La manière précise dont
l’Etat devrait répondre variera selon les circonstances. Il est
140
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
entendu que les affaires purement privées ne seraient pas affectées. La réglementation de telles affaires serait également susceptible d’interférer avec le droit de chacun au respect de sa vie
privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance,
garanti par l’article 8 de la Convention.
29. Le premier paragraphe de l’article 1 fait référence à « tout
droit prévu par la loi ». Cette expression vise à définir la portée
de la garantie fournie par cette phrase et à limiter les éventuels
effets horizontaux indirects (voir paragraphe 27 ci-dessus). Dans
la mesure où il pourrait subsister un doute sur le fait que cette
phrase à elle seule englobe les quatre éléments qui constituent le
champ d’application supplémentaire du protocole (cette question pourrait se poser en particulier pour les éléments iii. et iv. –
voir paragraphe 22 ci-dessus), il convient de rappeler que les
premier et deuxième paragraphes de l’article 1 sont complémentaires. Il en résulte que ces quatre éléments sont, dans tous les cas,
couverts par l’article 1 dans son ensemble (voir paragraphe 23 cidessus). Le terme « loi » peut également englober le droit international, mais cela ne signifie pas que cette disposition confère à
la Cour européenne des Droits de l’Homme la compétence
d’examiner le respect des règles de droit contenues dans d’autres
instruments internationaux.
30. La formule « autorité publique » figurant au paragraphe 2
a été empruntée aux articles 8, paragraphe 2, et 10,
paragraphe 1, de la Convention, et elle revêt ici la même signification que dans ces dispositions. Elle englobe non seulement les
autorités administratives, mais également les tribunaux et les
organes législatifs (voir le paragraphe 23 ci-dessus).
Article 2 – Application territoriale
31. Il s’agit ici de la clause d'application territoriale contenue
dans le modèle de clauses finales adopté par le Comité des Ministres en février 1980. Le paragraphe 5 suit de près le libellé de
l’article 56, paragraphe 4 de la Convention.
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
141
La non-discrimination : un droit fondamental
Article 3 – Relations avec la Convention
32. L’objet de cet article est de préciser les relations de ce
protocole avec la Convention, en indiquant que toutes les dispositions de cette dernière s’appliqueront aux articles 1 et 2 du
protocole. Parmi ces dispositions, il convient, en particulier,
d’attirer l’attention sur l’article 53 aux termes duquel « aucune
des dispositions de la présente Convention ne sera interprétée
comme limitant ou portant atteinte aux droits de l’homme et aux
libertés fondamentales qui pourraient être reconnus conformément aux lois de toute Partie contractante ou à toute autre
convention à laquelle cette Partie contractante est partie ». Il est
clair que cet article sera applicable aux relations entre le présent
protocole et la Convention elle-même. Il a été décidé de ne pas
inclure de référence dans le protocole à l’article 16 de la Convention.
33. Comme déjà mentionné au paragraphe 21 ci-dessus,
l’article 1 du protocole englobe la protection offerte par
l’article 14 de la Convention, mais sa portée est plus large. En tant
que protocole additionnel, il ne modifie ni ne supprime
l’article 14 de la Convention, qui continuera donc à s’appliquer
aux Etats parties au protocole. Il y a donc recoupement entre les
deux dispositions. Conformément à l’article 32 de la Convention,
toute question d’interprétation concernant les relations précises
entre ces dispositions relève de la compétence de la Cour.
Article 4 – Signature et ratification
Article 5 – Entrée en vigueur
Article 6 – Fonctions du dépositaire
34. Les dispositions des articles 4 à 6 correspondent à la
formulation du modèle de clauses finales adoptée par le Comité
des Ministres du Conseil de l’Europe.
142
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
Annexe II
Etat des signatures et des ratifications
Situation au: 01/03/2006
Etats
Signature
Ratification
Entrée en
vigueur
Albanie
26/5/2003
26/11/2004
1/4/2005
Arménie
18/6/2004
17/12/2004
1/4/2005
Autriche
4/11/2000
Azerbaïdjan
12/11/2003
Belgique
4/11/2000
Bosnie-Herzegovine
24/4/2002
29/7/2005
1/4/2005
Croatie
6/3/2002
3/2/2003
1/4/2005
Chypre
4/11/2000
30/4/2002
1/4/2005
République tchèque
4/11/2000
Andorre
Bulgarie
Danemark
Estonie
4/11/2000
Finlande
4/11/2000
17/12/2004
1/4/2005
4/11/2000
15/6/2001
1/4/2005
France
Géorgie
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
143
La non-discrimination : un droit fondamental
Etats
Signature
Allemagne
4/11/2000
Grèce
4/11/2000
Hongrie
4/11/2000
Islande
4/11/2000
Irlande
4/11/2000
Italie
4/11/2000
Lettonie
4/11/2000
Liechtenstein
4/11/2000
Ratification
Entrée en
vigueur
21/3/2006
1/7/2006
28/7/2004
1/4/2005
Lituanie
Luxembourg
4/11/2000
Malte
Moldova
4/11/2000
Monaco
Pays-Bas
4/11/2000
Norvège
15/1/2003
Pologne
Portugal
4/11/2000
Roumanie
4/11/2000
Fédération de Russie
4/11/2000
Saint-Marin
4/11/2000
25/4/2003
1/4/2005
Serbie-Monténégro
3/4/2003
3/3/2004
1/4/2005
République slovaque
4/11/2000
Slovénie
7/3/2001
144
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
Etats
Signature
Espagne
4/10/2005
Ratification
Entrée en
vigueur
13/7/2004
1/4/2005
27/3/2006
1/7/2006
Suède
Suisse
“Ex-République yougoslave de Macédoine”
4/11/2000
Turquie
18/4/2001
Ukraine
4/11/2000
Royaume-Uni
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
145
La non-discrimination : un droit fondamental
Annexe III
Avis de la Cour européenne des Droits de
l’Homme sur le projet de Protocole n° 12
adopté par la Cour lors de sa réunion plénière administrative
du 6 décembre 1999
1. Lors de leur réunion des 27-28 juillet 1999, les Délégués
des Ministres ont décidé de transmettre pour avis à la Cour européenne des Droits de l’Homme le texte du projet de
Protocole n° 12 à la Convention européenne des Droits de
l’Homme.
2. En réponse à cette demande, la Cour souhaite tout d’abord
souscrire à la mise en place d’une interdiction générale de la
discrimination. Elle reconnaît que les principes d’égalité et de
non-discrimination, affirmés comme tels par l’article 7 de la
Déclaration universelle des droits de l’homme et par l’article 26
du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, sont
des éléments fondamentaux de la protection internationale des
droits de l’homme (voir le paragraphe 1 du projet de rapport
explicatif).
3. La Cour rappelle que l’article 14 de la Convention tel qu’il
est aujourd’hui en vigueur revêt un caractère accessoire par
rapport aux autres garanties normatives de la Convention et n’a
pas d’existence indépendante, ainsi qu’il ressort clairement de
son libellé et de la jurisprudence de la Cour. Si cela n’a pas
empêché la Cour d’examiner un large éventail de questions sous
l’angle de l’article 14 combiné avec les autres articles de la
Convention, certaines formes de discrimination échappent irrémédiablement au champ d’application de l’article 14.
146
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
4. La Cour observe que le projet de Protocole n° 12 fournit
une base juridique claire permettant d’examiner les questions de
discrimination non couvertes par l’article 14.
5. En ce qui concerne le contenu normatif du Protocole, la
Cour relève, en rapport avec l’article 1, que le projet de rapport
explicatif (voir le paragraphe 18) renvoie à la notion de discrimination telle que celle-ci a toujours été interprétée dans la jurisprudence de la Cour, d’après laquelle une différence de traitement
est discriminatoire si elle manque de justification objective et
raisonnable, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou
s’il n’y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les
moyens employés et le but visé. Comme la Cour l’a dit dans
l’affaire linguistique belge, « les autorités nationales compétentes
se trouvent souvent en face de situations ou de problèmes dont
la diversité appelle des solutions juridiques différentes » (arrêt du
23.7.68, série A n° 6, p. 34, §10). On trouve une autre illustration de cette idée, en accord avec le caractère subsidiaire du
système de la Convention, dans la marge d’appréciation dont les
autorités nationales jouissent pour déterminer si et dans quelle
mesure des différences entre des situations à d’autres égards
analogues justifient des distinctions de traitement juridique (voir,
entre autres, l’arrêt Rasmussen c. Danemark du 23.11.84, série A
n° 87, p. 15, §40).
6. Nonobstant les « limites » à l’interdiction de la discrimination qui se dégagent de ladite jurisprudence, on peut prévoir que
l’entrée en vigueur du Protocole n° 12 entraînera une augmentation substantielle des saisines de la Cour. Celle-ci attire l’attention
du Comité des Ministres sur l’impact de pareil accroissement sur
un mécanisme qui se trouve déjà soumis à une forte pression. Si
la force de cet impact, qui ne serait de toute manière pas immédiat, ne pourra être appréciée qu’à un stade ultérieur, il faudra en
tenir compte dans la programmation, à moyen et à long terme,
des ressources pour la Cour et pour le système de la Convention.
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
147
La non-discrimination : un droit fondamental
7. En conclusion, et sans préjudice des observations qui précèdent, la Cour voit dans le projet de Protocole, qu’elle salue
comme tel, une mesure supplémentaire importante permettant
d'assurer la garantie collective des droits fondamentaux au
travers de la Convention européenne des Droits de l’Homme.
148
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
Avis de l’Assemblée parlementaire sur le
projet de Protocole n° 12
Avis n° 216 (2000)
Projet de Protocole n° 12 à la Convention européenne des
droits de l’homme71
1. L’Assemblée rappelle ses Recommandations 1269 (1995)
et 1229 (1994), dans laquelle elle recommandait au Comité des
Ministres « de consacrer le principe de l’égalité des droits de la
femme et de l’homme comme un droit fondamental de la
personne humaine dans un protocole additionnel à la Convention
de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés
fondamentales ».
2. Elle rappelle également sa Recommandation 1116 (1989),
dans laquelle elle recommandait au Comité des Ministres « de
charger le Comité directeur pour les droits de l’homme
d’accorder la priorité au renforcement de la clause de non-discrimination de l’article 14 de la Convention européenne des Droits
de l’Homme ».
3. L’Assemblée attendait donc avec impatience et intérêt le
projet de protocole n° 12 qui lui est maintenant soumis pour
avis.
4. L’Assemblée constate que la modification introduite par le
projet de protocole concernant le champ d’application de la nondiscrimination réside dans l’extension de l’article 14 « à tout droit
71. Discussion par l’Assemblée le 26 janvier 2000 (5e séance) (voir
Doc. 8614, rapport de la commission des questions juridiques et des
droits de l’homme, rapporteur : M. Jurgens). Texte adopté par
l’Assemblée le 26 janvier 2000 (5e séance).
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
149
La non-discrimination : un droit fondamental
prévu par la loi » au lieu d’être limité aux droits et libertés
reconnus dans la Convention.
5. Elle note par ailleurs que la liste des motifs de discrimination reste inchangée du fait que cette liste serait non exhaustive
et permettrait donc son extension à d’autres motifs par la jurisprudence.
6. Elle est d’avis que l’énumération de motifs à l’article 14,
sans être exhaustive, vise à établir une liste de formes de discrimination qu’elle considère comme étant particulièrement
odieuses. En conséquence, il conviendrait d'y ajouter le motif
d’« orientation sexuelle ».
7. Par ailleurs, le principe de l’égalité des droits de la femme
et de l’homme n'est pas inclus dans le projet de protocole.
8. L’Assemblée est donc amenée à constater que le projet de
protocole ne répond pas pleinement à ses attentes.
9. Par conséquent, l’Assemblée recommande au Comité des
Ministres:
i. de remplacer l’article 1 du projet de protocole par le texte
suivant :
«Article 1
1. Les hommes et les femmes sont égaux devant la loi.
2. La jouissance de l’un quelconque des droits reconnus par la
loi doit être assurée, sans discrimination aucune, fondée notamment sur le sexe, l’orientation sexuelle, la race, la couleur, la
langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres
opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une
minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.
150
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
3. Nul ne peut faire l’objet d’une discrimination de la part de
toute autorité publique, fondée notamment sur les motifs
mentionnés au paragraphe 2. »
ii. à l’article 5, de fixer à dix le nombre des ratifications
requises pour l’entrée en vigueur du protocole.
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
151
La non-discrimination : un droit fondamental
Annexe IV
Liste des participants
PRESIDENCE
M. Emmanuel DECAUX, Professeur de droit public à
l’Université Panthéon-Assas (Paris II), Directeur du Centre de
Recherche sur les Droits de l’Homme et le Droit Humanitaire
(CRDH), 12 Place du Panthéon, 75231 PARIS CEDEX 05
ORATEURS
Dr Martin SCHEININ, Institute for Human Rights, Åbo
Akademi University, Department of Law, 20500 TURKU/ÅBO,
Finland
Mr Michael HEAD, Chair of the European Commission against
Racism and Intolerance, (ECRI), Rustlings, Castle Road, Horsell,
GB-WOKING, Surrey GU21 4ET, United Kingdom
Mrs Margarita TSATSA-NIKOLOVSKA, Judge of the European
Court of Human Rights, Council of Europe, F-67075
STRASBOURG CEDEX
PANELISTES
Dr Mark BELL, Faculty of Law, University of Leicester,
LEICESTER LE1 7RH, United Kingdom
152
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
M. Jean-Michel BELORGEY, Président du Comité européen
des Droits sociaux, Président de la Section du Rapport et des
Etudes Conseil d’Etat, 1 place du Palais Royal, 75100 PARIS,
France
Mr Morten KJÆRUM, Director, Danish Institute for Human
Rights, Wildersplads 8H,DK-1401 COPENHAGEN K, Denmark
Mr James A. GOLDSTON, Executive Director, Open Society
Justice Initiative, 400 West 59th Street, NEW YORK, NY 10019
Dr. Dubravka ŠIMONOVIĆ, Head of Human Rights
Department, Ministry of Foreign Affairs and European
Integration, Trg N Š. Zrinskog 7-8, 10000 ZAGREB, Republic of
Croatia
Mr Boriss CILEVIČS, Saeima of the Republic of Latvia, Jekaba
iela 11, 1811 RIGA, Latvia
Mr John KISSANE, Head of International Human Rights Law
Division, Department for Constitutional Affairs, Postal Point 5B,
6th Floor, Selborne House, 54-60 Victoria St, GB-LONDON SW1E
6QW, United Kingdom
ETATS MEMBRES
ALBANIE
Ms Agustela NINI, Legal Expert, Legal Affairs and Treaties
Department, Ministry of Foreign Affairs, Blv. Gjergj Fisha, no. 6,
TIRANA
ANDORRE
(excusé)
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
153
La non-discrimination : un droit fondamental
ARMENIE
Ms Syuzanna TSATURYAN, Chief Specialist, Legal
Department, Ministry of Foreign Affairs, Government House 2,
Republic Square, YEREVAN 375010
AUTRICHE
Ms Brigitte OHMS, Deputy Head of Division for International
Affairs and General Administrative Affairs, BundeskanzleramtVerfassungsdienst, Ballhausplatz 2, 1014 WIEN
AZERBAÏDJAN
Mr Arif MAMMADOV, Attaché, Department of Human Rights,
Democratisation and Humanitarian Affairs, Ministry of Foreign
Affairs, 4, Str. Gurbanov str., 370009 BAKU
BELGIQUE
M. Philippe WERY, Attaché, SPF Justice, Service des droits de
l’homme, 115 Boulevard de Waterloo, 1000 BRUSSELS
BOSNIE-HERZEGOVINE
Mr Sabit SUBAŠIC, Head of Department for Human Rights,
Ministry of Foreign Affairs, 71000 SARAJEVO
BULGARIE
Mme Yordanka PARPAROVA, Direction des droits de
l’homme, Ministère des Affaires étrangères, 2 rue Alexander
Djendov, BG-1113 SOFIA
154
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
CROATIE
Dr. Dubravka ŠIMONOVIĆ, Head of Human Rights
Department, Ministry of Foreign Affairs and European Integration
(see Panelists)
Ms Romana KUZMANIC OLUIC, First Secretary, Department
for the UN and Human Rights, Ministry of Foreign Affairs, Trg N.Š
Zrinskoga 7/8, HR-10 000 ZAGREB
CHYPRE
Ms Eleonora NICOLAIDES, Senior Counsel of the Republic,
Office of the Attorney-General, Law Office of the Republic of
Cyprus, 1403 NICOSIA
REPUBLIQUE TCHEQUE
Mrs Jitka KRUKOVÁ, Department of Human Rights, Ministry
of Foreign Affairs, Loretánská nám. 5, CZ-11800 PRAGUE 1
DANEMARK
Ms Nina HOLST-CHRISTENSEN, Deputy Permanent Secretary,
Human Rights Division, Ministry of Justice, Slotsholmsgade 10,
DK-1216 COPENHAGEN K
ESTONIE
Ms Riina PIHEL, First Secretary, Human Rights Division, Legal
Department, Ministry of Foreign Affairs, 1 Islandi Väljak,
EE15049 TALLINN
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
155
La non-discrimination : un droit fondamental
FINLANDE
Mr Arto KOSONEN, Government Agent, Director, Legal
Department, Ministry for Foreign Affairs, PO Box 176, FIN 00161
HELSINKI
Ms Camilla BUSCK-NIELSEN, Legal Officer, Ministry of Foreign
Affairs, Legal Department, Laivastokatu 22 C, PO Box 176, FIN00160 HELSINKI
FRANCE
Mme Marie-Gabrielle MERLOZ, Rédacteur, Direction des
Affaires juridiques, Ministère des Affaires étrangères, 37, Quai
d'Orsay, F-75351 Paris
GEORGIE
Ms Irine BARTAIA, Head of the Department of the State
Representation to the European Court of Human Rights, Ministry
of Justice, 30 Rustaveli Ave., 0146 TBILISI
ALLEMAGNE
Ms Ulrike HÖFLER, Executive Assistant of the Federal Agent
for Human Rights, Bundesministerium der Justiz, Mohrenstrasse
37, D-10117 BERLIN
GRECE
Mme Athina CHANAKI, Rapporteur, Ministère des Affaires
étrangères, 3 rue Zalokosta, 10671 ATHENES
HONGRIE
Mr Tamás TÓTH, Head of the Human Rights Department,
Ministry of Justice, BUDAPEST
156
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
ISLANDE
Ms Asgerdur RAGNARSDOTTIR, Legal Expert, Office of Legal
Affairs, Ministry of Justice, Skuggasundi, IS-101 REYKJAVIK
IRLANDE
Mrs Emer KILCULLEN, Assistant Legal Adviser, Legal Division,
Department of Foreign Affairs, Hainault House, 69/71 St.
Stephen’s Green, IRL - DUBLIN 2
ITALIE
M. Roberto BELLELLI, Juge, Ministero delli Affari Esteri,
Servizio del Contenzioso Diplomatico e dei Trattati, Piazzale della
Farnesina 1, I - 00194 ROME
LETTONIE
Mr Valerijs ROMANOVSKIS, Head of the Human Rights Policy
Division, Ministry of Foreign Affairs, 36 Brivibas Blv, LV - 1395
RIGA
LIECHTENSTEIN
(excusé)
LITUANIE
Mr Darius STANIULIS, Head of the Human Rights and NGOs
Division, Ministry of Foreign Affairs, J. Tumo-Vaižganto 2, LT01511 VILNIUS
LUXEMBOURG
M. Yves HUBERTY, attaché de Gouvernement, Ministère de la
Justice, 13, rue Erasme, 1468 LUXEMBOURG
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
157
La non-discrimination : un droit fondamental
Mme Viviane ECKER, Conseiller d'Etat, Docteur en droit et
Avocate à la Cour, 36, rue du Maréchal Foch, L-1527
LUXEMBOURG
MALTE
(excusé)
MOLDOVA
Mrs Rodica POSTU, Secretary II, Directorate of Council of
Europe and Human Rights, Ministry of Foreign Affairs and
European Integration of the Republic of Moldova, 80, 31 August
1989 Str., CHISINAU, MD-2012
MONACO
M. Jean-François RENUCCI, Professeur des Universités,
Conseiller aux droits de l’homme, Département des Relations
extérieures, Ministère d'Etat, Place de la Visitation, 98000
MONACO
M. Jacques BOISSON, Ambassadeur Extraordinary and
Plenipotentiary, Résidence de l’Aar, 9, rue des Arquebusiers,
67000 STRASBOURG
Mme Virginie COTTA, Conseiller Juridique des Affaires sociales
et de la Santé, Palais de Justice
Mme Stéphanie VIKSTROM, Substitut du Procureur Général,
Palais de Justice
Mme Martine COULET-CASTOLDI, Premier Juge Chargé de la
Justice de Paix, Palais de Justice
Mme Isabelle BERRO-LEFEVRE, Premier Juge au Tribunal de
Première Instance, Palais de Justice
158
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
Mme Corinne LAFOREST DE MINOTTY, Directrice Générale du
Département des Relations extérieures
PAYS-BAS
Ms Jolien SCHUKKING, Agent for the Government of the
Netherlands, Ministry of Foreign Affairs, Po Box 20061,
Bezuidenhoutseweg 67, NL-2500 EB THE HAGUE
Ms Liselot EGMOND, Legal Adviser, Ministry of Foreign
Affairs, Po Box 20061, Bezuidenhoutseweg 67, NL-2500 EB THE
HAGUE
Dr H.L. JANSSEN, Legal Adviser, Ministry of the Interior and
Kingdom Relations, Division of Constitutional Policy, Department
of Constitutional Policy and Legislation, PO Box 20011, 2300 EA
THE HAGUE
NORVEGE
Mr Kyrre GRIMSTAD, Higher Executive Officer, Department of
Legislation, Norwegian Ministry of Justice, P.O.Box 8005 Dep.,
N-0030 OSLO
POLOGNE
Ms Alexandra MEZYKOWSKA, Legal Advisor, Ministry of
Foreign Affairs, Al. Szucha 23, WARSAW
Ms Joanna MACIEJEWSKA, Conseillère du Ministre, Ministère
de la Politique sociale, Department des analyses économiques, ul.
Nowogrodzka 1/3, WARSAW
PORTUGAL
Mr José DE SOUSA E BRITO, Juge à la Cour constitutionnelle
(emer.), Rua Prof. Mark Athias, lote A-2, 2B, 1600-646 LISBON
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
159
La non-discrimination : un droit fondamental
ROUMANIE
(excusé)
FEDERATION DE RUSSIE
Ms Tatiana SMIRNOVA, Head of the Division for European
Cooperation, Department for Humanitarian Cooperation and
Human Rights, Ministry of Foreign Affairs, 32/34 SmolenskayaSennaya sq., 121200 MOSCOW
Mr Vladislav ERMAKOV, Department for Humanitarian
Cooperation and Human Rights, Ministry of Foreign Affairs, 32/
34 Smolenskaya-Sennaya Sq., 121200 MOSCOW
SAINT-MARIN
(excusé)
SERBIE-MONTENEGRO
Ms Jelena MARKOVIC, Assistant to the Minister for Human
and Minority Rights, 2, Bulevar Mihajla Pupina, 11000 BELGRAD
REPUBLIQUE SLOVAQUE
Ms Jana VNUKOVÁ, Director, International Relations and
Human Rights Department, International Law and European Law
Section, Ministry of Justice, Zupné námestie 13, 813 11
BRATISLAVA
SLOVENIE
Ms Valerija SLIVNIK MARC, State Attorney, State Attorney’s
Office, Šubiceva 2, SI - 1000 LJUBLJANA
160
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
ESPAGNE
(excusé)
SUEDE
Ms Inger KALMERBORN, (Chairperson of the DH-DEV),
Government Agent, Senior Legal Adviser, Ministry for Foreign
Affairs, S-103 39 STOCKHOLM
SUISSE
Mme Dominique STEIGER LEUBA, Collaboratrice scientifique,
Section droits de l’homme et Conseil de l’Europe, Office fédéral
de la justice, Département fédéral de justice et police, Bundesrain
20, CH-3003 BERNE
Ms Caroline TRAUTWEILER, Deputy to the Permanent
Representative of Switzerland, Permanent Representation of
Switzerland, 23 rue Herder, F-67000 STRASBOURG Cedex
“L’ex-République yougoslave de Macédoine”
Ms Sanja ZOGRAFSKA-KRSTESKA, Head of Council of Europe
and Human Rights Unit, Ministry of Foreign Affairs, Gruev 6,
1000 SKOPJE
Mrs
Eleonora
PETROVA-MITEVSKA,
Ambassador
Extraordinary and Plenipotentiary, Permanent Representation of
“the Former Yugoslav Republic of Macedonia”, 13, rue André
Jung, F-67000 STRASBOURG
TURQUIE
Mr Can INCESU, Head, Department of Foreign Affairs,
Disisleri Bakanligi Ek Bina, Ziyabey Cad, 3. Sok. No.20, 06150
Balgat, ANKARA
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
161
La non-discrimination : un droit fondamental
Ms Deniz AKÇAY, Deputy to the Permanent Representative of
Turkey to the Council of Europe, 23, Boulevard de l'Orangerie,
67000 STRASBOURG
UKRAINE
(excusé)
ROYAUME-UNI
Mr John KISSANE, Head of International Human Rights Law
Division, Department for Constitutional Affairs (see Panelists)
Mr Chanaka WICKREMASINGHE, Assistant Legal Adviser,
Foreign and Commonwealth Office, Room No. K.1.166, King
Charles Street, GB -LONDON SW1A 2AH
OBSERVATEURS
Saint-Siège
R.P. Olivier POQUILLON, o.p., Mission permanente du SaintSiège auprès du Conseil de l’Europe, 2 rue Le Nôtre, 67000
STRASBOURG
Japon
Mr Yasushi FUKE, Consul (Attorney), Consulate General of
Japan, « Tour Europe » Place des Halles, F-67000 STRASBOURG
CONSEIL DE L’EUROPE
Secrétaire Générale adjointe
Mme Maud DE BOER-BUQUICCHIO
162
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
Cour européenne des Droits de l’Homme
Juge Françoise TULKENS
Juge Dean SPIELMANN
Juge Nina VAJIC
Juge Margarita TSATSA-NIKOLOVSKA (voir Orateurs)
Juge Rait MARUSTE
Juge Dragoljub POPOVIC
Mme Montserrat ENRICH-MAS, Head of the Research and
Library Division
M. Mario OETHEIMER, Lawyer, Research and Library Division
Comité européen des Droits sociaux
M. Jean-Michel BELORGEY (voir Orateurs)
M. Régis BRILLAT, Secrétaire exécutif, Secrétariat de la Charte
sociale européenne
M. Gerard QUINN, Premier Vice-Président de la Charte sociale
européenne
Commission européenne contre le racisme et l’intolérance
(ECRI)
Professor Raluca BESTELIU, Professor in International Public
Law, Former Judge of the European Court of Human Rights, Ana
Davila Street No. 6D, Sector 5, RO-76244 BUCHAREST
Mr Michael HEAD, Chair, ECRI (voir Intervenants)
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
163
La non-discrimination : un droit fondamental
Professor Gudrun HOLGERSEN, University of Bergen, Faculty
of Law, Magnus Lagabøtes plass 1, N-5010 BERGEN
Professor Dalibor JILEK, Head of the International and
European Law Department, Faculty of Law - Masaryk Universtiy,
Ververi 70, CZ-611 80 BRNO
Comité consultatif de la Convenion-cadre pour la protection
des minorités nationales
Prof. Dr Lidija R. BASTA FLEINER, Representative of the
Advisory Committee on the Framework Convention for the
Protection of National Minorities, Director, Institute of
Federalism, International Research and Consulting Centre (IRCC),
University of Fribourg (CH), Route d'Englisberg 7, CH-1763
GRANGES-PACCOT
Assemblée parlementaires du Conseil de l’Europe
Mr Boriss CILEVIČS (voir Orateurs)
Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe
M. Julien ATTUIL, Office of the Commissioner for Human
Rights, Council of Europe, F-67075 STRASBOURG Cedex
Comité directeur pour l'égalité entre les femmes et les
hommes (CDEG)
Ms Martha FRANKEN, Director, Equal Opportunities in
Flanders, Ministry of Flanders, Boudewijnlaan 30, B-1000
BRUSSELS
Direction générale III - Cohésion Sociale
Mrs Maria OCHOA-LLIDO
164
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
Mr Gunnar TVEITEN
Mrs Angela GARABAGIU
Mrs Lioubov SAMOKHINA
Mrs Ivana d’ALESSANDRO
ORGANES D’AUTRES ORGANISATIONS INTERNATIONALES
IMPLIQUÉS DANS CE DOMAINE
Nations Unies
Ms Carla EDELENBOS, Office of the High Commissioner for
Human Rights, Secretary, Committee on Migrant Workers, Palais
des Nations, CH-1211 GENEVA 10
Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes (EUMC)
(excusé)
Commission européenne
Mr Álvaro OLIVEIRA, Legal Officer – European Commission,
DG Employment, Social Affairs and Equal Opportunities, Unit D/
3 Anti-discrimination & Relations with Civil Society, Rue Joseph
II, n°37, Office 2/30, B-1049 BRUSSELS
Ms Katarzyna GRZYBOWSKA, Detached National Expert, Desk
Officer, UNIT C3, Citizenship and Fundamental Rights,
Directorate-General Justice, Freedom and Security,European
Commission, Rue du Luxembourg 46,B-1000 BRUSSELS
Parlement européen
(excusé)
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
165
La non-discrimination : un droit fondamental
OSCE (Bureau des institutions démocratiques et des droits
de l'homme (BIDDH))
Ms Vera EGENBERGER, Adviser on Anti-Racism and Tolerance,
Office for Democratic Institutions and Human Rights (ODIHR),
Aleje Ujazdowskie 19, 00-557 WARSAW, Poland
Mr John GLEASON, Legal Adviser of the Tolerance and Nondiscrimination Programme, Office for Democratic Institutions and
Human Rights (ODIHR), Aleje Ujazdowskie 19, 00-557
WARSAW, Poland
ORGANISATIONS NON GOUVERNEMENTALES (ONG),
SOCIETE CIVILE ET INSTITUTIONS NATIONALES
DES DROITS DE L’HOMME
Migration Policy Group
Ms Isabelle CHOPIN, Deputy Director, Migration Policy
Group, 205 Rue Belliard, Box 1, 1040 BRUSSELS, Belgium
Interights
Ms Andrea COOMBER, Interights, Equality Legal Officer,
Lancaster House, 33 Islington High St., LONDON N1 9LH, United
Kingdom
International Lesbian and Gay Association-European Region
(ILGA)
Mr Maxim ANMEGHICHEAN, Programmes Director,
International Lesbian and Gay Association-European Region
(ILGA), Avenue de Tervueren 94, B - 1040 ETTERBEEK
166
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
Gender Equality Grouping
Ms Karin NORDMEYER, Vice-President, Gender Equality
Grouping, Am Birkenrain 26, D-79271 ST PETER
European Roma Rights Center
Ms Dimitrina PETROVA, Executive Director, European Roma
Rights Center, Nyar Utca 12, H-1072 BUDAPEST, Hungary
European Roma and Travellers Forum
Mr Christian Scheider, Attorney for the European Roma and
Travellers Forum, Council of Europe, DG III - Social Cohesion, F
67075 STRASBOURG
ENAR, European Network Against Racism
Ms Anna Visser, Policy Officer, ENAR, European Network
Against Racism, 43 rue de la Charité, B-1210 Brussels
Groupe européen de coordination des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de
l’homme
Mme Stéphanie DJIAN, Chargée de mission, Présidence du
groupe européen des institutions nationales de promotion et
protection des droits de l’homme, Commission Nationale
Consultative des droits de l’homme, 35, rue Saint-Dominique, F75700 PARIS
German Institute for Human Rights
Ms Petra FOLLMAR-OTTO, Scientific Assistant, Schwerpunkt
Menschenrechte im Inland, German Institute for Human Rights,
Zimmerstr. 26/27, D-10969 BERLIN
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
167
La non-discrimination : un droit fondamental
AUTRES PARTICIPANTS
Mr Marc BOSSUYT, Judge, Court of Arbitration of Belgium, 7,
Place Royale, B-1000 - BRUSSELS
Mr Robert WINTEMUTE, Professor of Human Rights Law,
School of Law, King’s College, University of London, The Strand,
LONDON WC2R 2LS, United Kingdom
SECRETARIAT
Direction Générale des Droits de l’Homme – DG II, Conseil
de l’Europe, F-67075 STRASBOURG CEDEX
M. Pierre-Henri IMBERT, Directeur Général des Droits de
l’Homme
M. Jeroen SCHOKKENBROEK, Chef du Service des
programmes intergouvernementaux en matière de droits de
l’homme
M. Jörg POLAKIEWICZ, Chef de la Division du droit et de la
politique des droits de l’homme
Mme Claudia LAM, Juriste, Secrétariat de l’ECRI
Mme Gioia SCAPPUCCI, Division de la coopération
intergouvernementale en matière de droits de l’homme
Mme
Katherine
ANDERSON-SCHOLL,
Assistante
administrative, Division du droit et de la politique des droits de
l’homme
M. Gerald DUNN, Juriste, Division du droit et de la politique
des droits de l’homme
168
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
Mme Tania GISSELBRECHT, Stagiaire, Division du droit et de la
politique des droits de l’homme
M. Lamine DIALLO, Assistant juridique, Secrétariat de l’ECRI
Mme Lindsay CHESTNUTT, Assistante, Division du droit et de la
politique des droits de l’homme
Mme Michèle COGNARD, Assistante, Division de la
coopération intergouvernementale en matière de droits de
l’homme
Interprètes
M. Philippe QUAINE
Mme Chloé CHENETIER
M. Christopher TYCZKA
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
169
La non-discrimination : un droit fondamental
Annexe V
Programme
Ouverture du séminaire
09h30
Par
le
Président,
M. Emmanuel Decaux,
Professeur de droit public à l’Université
Panthéon-Assas (Paris II) et membre de la SousCommission de la promotion et de la protection
des droits de l’homme des Nations Unies
09h35-09h45
Allocution de bienvenue
Par la Secrétaire Générale adjointe du Conseil de
l’Europe, Mme Maud de Boer-Buquicchio
09h45-10h10
L’expérience du Comité des droits de
l’homme des Nations Unies concernant
l’application de la clause autonome de nondiscrimination de l’article 26 du PIDCP
Exposé par le Professeur Martin Scheinin,
Institut pour les droits de l’homme, Université de
Åbo Akademi, Finlande
10h10-10h35
La protection contre la discrimination en
vertu de l’article 14 de la Convention
européenne des Droits de l’Homme
Exposé par Mme Margarita Tsatsa-Nikolovska,
Juge de la Cour européenne des Droits de
l’Homme
170
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
10h35-11h00
Le Protocole n° 12 et sa génèse
Exposé par M. Michael Head, Président de la
Commission européenne contre le racisme et
l’intolérance (ECRI)
11h00
Pause
11h30
Thème 1 : La portée du Protocole no 12
Panel:
M. Mark Bell, Maître de conférences, Centre
pour le droit et l’intégration européens,
Université de Leicester
M. Jean-Michel Bélorgèy, Président du Comité
européen des droits sociaux (CEDS)
M. James Goldston, Directeur
Open Society Justice Initiative
exécutif,
The
M. Morten Kjaerum, Directeur exécutif, Danish
Institute for Human Rights
Exposés introductifs de cinq minutes pour
amorcer les discussions.
– Quelle est exactement la portée du
Protocole n° 12 ?
– Quelles sont les relations entre le
Protocole n° 12 et l’article 14 de la CEDH ?
– Dans quelles mesures des actions positives
sont-elles requises ou admises ?
– Les dispositions du Protocole n° 12 ont-elles
des effets horizontaux ?
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
171
La non-discrimination : un droit fondamental
– Quelle comparaison peut être faite entre le
Protocole n° 12 et le droit de l’UE ?
11h45-13h00
Débat
14h45
Thème 2: Comment concrètement préparer
la ratification ?
Panel :
M. Boriss Cilevičs (Lettonie), Représentant de la
Commission des questions juridiques et des
droits de l’homme de l’Assemblée Parlementaire
du Conseil de l’Europe
Mme Dubravka Šimonović, Chef du Service des
droits de l’homme, Ministère des affaires
étrangères, Croatie
M. John Kissane, Chef de la Division du droit
international des droits de l’homme, Service des
affaires constitutionnelles, Royaume-Uni
Exposés introductifs de cinq minutes pour
amorcer les discussions.
– Quelle est l’expérience des Etats ayant ratifié le
Protocole n° 12 ?
– Quels ont été les obstacles ayant empêché les
Etats de le ratifier ?
– Quel type de mesures (législatives ou autres)
ont été prises préalablement à la ratification ?
– Quels recours ont été mis en place au niveau
national concernant les problèmes de
discrimination ?
– Comment le Conseil de l’Europe peut-il assister
les Etats dans le processus de ratification ?
172
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
La non-discrimination : un droit fondamental
15h00-16h30
Débat
16h30
Pause
17h15
Résumé par le Président
18h00
Vin d’honneur offert par M. Pierre-Henri Imbert,
Directeur Général des Droits de l’Homme
Séminaire marquant l’entrée en vigueur du Protocole n° 12
173
Sales agents for publications of the Council of Europe
Agents de vente des publications du Conseil de l’Europe
BELGIUM/BELGIQUE
La Librairie européenne SA
50, avenue A. Jonnart
B-1200 BRUXELLES 20
Tel.: (32) 2 734 0281
Fax: (32) 2 735 0860
E-mail: [email protected]
http://www.libeurop.be/
GREECE/GRÈCE
Librairie Kauffmann
Mavrokordatou 9
GR-ATHINAI 106 78
Tel.: (30) 1 38 29 283
Fax: (30) 1 38 33 967
E-mail: [email protected]
Jean de Lannoy
202, avenue du Roi
B-1190 BRUXELLES
Tel.: (32) 2 538 4308
Fax: (32) 2 538 0841
E-mail: [email protected]
http://www.jean-de-lannoy.be/
HUNGARY/HONGRIE
Euro Info Service
Hungexpo Europa Kozpont ter 1
H-1101 BUDAPEST
Tel.: (361) 264 8270
Fax: (361) 264 8271
E-mail: [email protected]
http://www.euroinfo.hu/
CANADA
Renouf Publishing Company
Limited
5369 Chemin Canotek Road
CDN-OTTAWA, Ontario, K1J 9J3
Tel.: (1) 613 745 2665
Fax: (1) 613 745 7660
E-mail:
[email protected]
http://www.renoufbooks.com/
CZECH REPUBLIC/
RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
Suweco Cz Dovoz Tisku Praha
Ceskomoravska 21
CZ-18021 PRAHA 9
Tel.: (420) 2 660 35 364
Fax: (420) 2 683 30 42
E-mail: [email protected]
DENMARK/DANEMARK
GAD Direct
Fiolstaede 31-33
DK-1171 KØBENHAVN K
Tel.: (45) 33 13 72 33
Fax: (45) 33 12 54 94
E-mail: [email protected]
FINLAND/FINLANDE
Akateeminen Kirjakauppa
Keskuskatu 1, PO Box 218
FIN-00381 HELSINKI
Tel.: (358) 9 121 41
Fax: (358) 9 121 4450
E-mail: [email protected]
http://
www.akatilaus.akateeminen.com/
GERMANY/ALLEMAGNE
AUSTRIA/AUTRICHE
UNO Verlag
August Bebel Allee 6
D-53175 BONN
Tel.: (49) 2 28 94 90 20
Fax: (49) 2 28 94 90 222
E-mail: [email protected]
http://www.uno-verlag.de/
ITALY/ITALIE
Libreria Commissionaria Sansoni
Via Duca di Calabria 1/1, CP 552
I-50125 FIRENZE
Tel.: (39) 556 4831
Fax: (39) 556 41257
E-mail: [email protected]
http://www.licosa.com/
NETHERLANDS/PAYS-BAS
De Lindeboom Internationale
Publikaties
MA de Ruyterstraat 20 A
NL-7482 BZ HAAKSBERGEN
Tel.: (31) 53 574 0004
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