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PRESENTATION
Le présent Cahier est un peu différent de ceux qui l’ont précédé. De
fait, jusqu’à présent nous avons toujours cherché à ce que chacun des
numéros de notre revue constitue une unité thématique. Pourtant, depuis
environ deux ans nous avions en réserve quelques bons articles, dont
plusieurs étaient les textes de conférences prononcées dans le cadre des
réunions du “Grupo de Reflexão sobre o Brasil Contemporaneo”, qui ne
rentraient directement dans aucun des thèmes programmés dans nos
publications. C’est pourquoi nous avons décidé de composer à partir
desdits articles et de quelques autres, qui nous sont parvenus plus
récemment et dont l’objet nous a paru original, ce numéro qui balise des
axes de recherche dont certains sont assez nouveaux. Même si la
cohésion est un peu moindre que dans un numéro thématique, nous avons
cherché à articuler la diversité de tous ces sujets, qui analysent plusieurs
aspects de la société brésilienne, en allant du plus général au plus
particulier afin de permettre à ceux pour qui l’un ou l’autre thème serait
un peu moins familier de le replacer dans un cadre socio-politique plus
large. Par ailleurs, il apparaît clairement que, malgré la diversité des
sujets abordés, les auteurs se rejoignent sur certaines problématiques et
questions concernant la dynamique sociale brésilienne.
Pour ouvrir le cadre dont je viens de parler Paulo da Costa Neves, a
développé une analyse rétrospective autour des rapports entre l’idée de
Nation et la Modernité au Brésil. Il a, pour ce faire, pris pour point de
départ la fin du monopole d’Etat sur le pétrole, ratifiée par le Parlement
en 1995 et considérée par certains comme “l’entrée du Brésil dans la
modernité”. Il étudie donc dans son texte comment, à partir des
mobilisations populaires autour du national-développementisme qui ont
été fomentées par les pouvoirs populistes, on a vu émerger un
nationalisme politique. Jusqu’alors, dans un pays aux dimensions
continentales la “nation” avait été supplantée au niveau de la cohésion
identitaire par la “région”. En s’appuyant sur des textes de Berger,
Luckmann et Castoriadis l’auteur analyse, à partir de la PETROBRAS, la
dynamique socio-politique qui se construit et permet au “peuple”
d’intégrer l’idée de Nation à partir de la cristallisation qui s’est faite
autour d’une institution concrète.
Les deux articles suivants forment une paire puisque tant Sergio
Adorno que Luciano Oliveira travaillent sur les problèmes de violence.
Ces deux auteurs s’intéressent aux rapports existant entre le “modèle
Cahiers du Brésil Contemporain, 1997, n° 31, p. 1-4
Présentation
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démocratique” formel et l’application des politiques publiques pénales ;
de ce fait, leurs textes se complètent remarquablement. Reprenant les
éléments d’une étude qu’il a menée, à la fin des années 80, sur la justice
pénale dans la ville de São Paulo, S. Adorno s’attache à étudier la
“production de la vérité” (au sens de M. Foucault) à l’intérieur des
institutions (police, cabinets de magistrats et tribunaux) qui instruisent les
procès criminels. Il met en lumière les jeux subtils de pouvoir revêtus de
savoir juridique qui visent à la protection par lesdites institutions de
modèles de rapports sociaux entre diverses catégories telles que
hommes/femmes,
adultes/enfants,
noirs/blancs,
travailleurs/nontravailleurs. Ce faisant, il souligne le décalage existant entre ces modèles
et la réalité des faits ainsi que la vulnérabilité des accusés face à ce
système. Il ressort de son texte, que le jus puniendi brésilien est
surdéterminé par l’appartenance sociale des contrevenants aux lois,
auxquels on peut généralement appliquer la “théorie des trois p”, la
“théorie du MIB” et souvent, aussi, celle de la “nordestinidade”.
De son côté, Luciano Oliveira aborde ce même problème à travers
les actes de violence qui sont perpétrés au coeur des institutions
policières contre les délinquants ou considérés comme tels. En premier
lieu l’auteur rappelle que la torture a été une constante qui traverse les
diverses phases historiques du pays. Ensuite, l’exposé de divers rapports
chiffrés et de récits d’exactions policières commises dans les dix
dernières années permet à l’auteur de montrer que le retour de la
démocratie n’a que peu changé les pratiques policières vis-à-vis de ceux
qui sont arrêtés. Une analyse du nombre des morts enregistrés à São
Paulo dans les années 90 dans les affrontements entre policiers et
criminels permet à l’auteur de mettre en relief l’étonnante disparité entre
les deux chiffres. L. Oliveira en conclut à un désir, sinon une volonté, de
la part des tenants de l’ordre --qu’ils soient civils ou institutionnels-d’élimination physique immédiate des auteurs de délits. Enfin, il termine
son analyse sur une note comparative à partir de divers auteurs et montre
comment, en France par exemple, c’est la Révolution qui a commencé à
changer le rapport institutionnel à la violence en promouvant la
Déclaration des Droits de l’Homme.
Russell Parry Scott et Jacob Carlos Lima, auteurs des deux textes
suivants de ce recueil, établissent eux aussi une sorte de dialogue sur des
sujets proches. Le premier de ces auteurs a centré son analyse autour des
relations de pouvoir et de dépendance entre des segments sociaux
différenciés (classes moyennes et pauvres urbains). Il reprend les deux
traditions anthropologiques différenciées d’étude de la famille
Présentation
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(subjectiviste et économico-productiviste) qui, au Brésil, ont le plus
souvent orienté et tenu séparées les recherches sur la famille et qui
correspondent à l’étude des deux segments sociaux ci-dessus mentionnés.
A partir de l’analyse des productions les plus importantes de ces deux
courants, l’auteur met à jour les phénomènes inconscients qui engendre
ce qu’il appelle la “partialité ethnographique” et le “blindage analytique”.
Pour remédier à cet état de fait, R.P. Scott propose que les perspectives
analytiques de chacune des traditions soient appliquées à l’autre segment
social et l’analyse qui en résulte lui permet de renouveler la vision des
rapports qui s’instaurent entre les deux classes et, à l’intérieur de chacune
d’elles, avec les sphères du privé et du public.
Jacob Lima développe une analyse de la sociabilité ouvrière à partir
d’un travail de terrain fait entre les ouvriers du textile dans l’état de la
Paraíba, l’un de ceux qui dans le Nord-est brésilien expulse le plus de sa
population vers les états voisins ou le sud du pays. Bien que son univers
de départ soit l’usine, son texte permet de percevoir le poids que revêtent,
dans cet univers “public”, les relations interpersonnelles, qu’elles soient
fondées sur la consanguinité, l’alliance ou le compérage. Par ailleurs,
dans une région ou il y a énormément de migrants, en partance ou en
retour, l’auteur de cet article met en évidence tout ce que cette mobilité,
soit-elle géographique ou sociale, doit aux liens de famille. Enfin, Jacob
Lima s’attache à décrypter le rapport qui existe entre les conditions du
travail (précarité, impersonnalité bureaucratique de l’entreprise) et cet
attachement à l’axe familial, lieu de l’affectivité mais aussi lieu par
excellence, aux yeux des personnes enquêtées, de construction et de
valorisation de l’individualité.
Dans “L’invention de la société gaúcha” Sandra Jatahy Pesavento
nous donne à voir la dynamique de construction d’un imaginaire
mythique à travers la réélaboration de quelques faits historiques vécus
par une société de frontière, celle du Rio Grande do Sul. Reprenant les
analyses d’E. Hobsbawm sur “l’invention de la tradition”, l’auteur nous
restitue la dynamique qui, depuis les années 30, a entraîné une refonte
des symboles de cette société gaúcha pour essayer de faire d’elle un
ensemble homogène et “naturellement démocratique” dans lequel les
différences entre patrons et subordonnés s’aboliraient. La compilation de
diverses productions historiques et littéraires régionales met en valeur la
volonté politique qui a contribué, à partir des années 40 de ce siècle, a
éliminer de la dynamique régionale les velléités séparatistes et à
réinterpréter, entre autres, la Révolution Farroupilha à travers une
dimension fédéraliste. L’auteur termine sur l’expression d’un étonnement
Présentation
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face à la présente récupération par des couches sociales émergentes
urbaines de ces représentations qui concernent, à l’origine, l’univers de la
grande propriété rurale.
Marcia Kuyumjian a mis au centre de ses analyses un personnage
sur lequel les recherches socio-anthropologiques ne sont jusqu’ici pas
bien nombreuses, le garimpeiro. Elle s’est intéressée à la relation existant
entre la représentation que se font de ce personnage ceux qui
n’appartiennent pas à l’univers des chercheurs d’or et la façon dont ceuxci élaborent leur autoreprésentation et leur identité à partir des signes qui
leur sont envoyés par cette société qui les regarde. En étudiant la
première l’auteur met en évidence la référence symbolique qui la relie à
la figure historique du bandeirante, personnage aventureux et
imprévisible mais aussi prodigue et porteur d’érotisme. L’analyse du
comportement des garimpeiros lorsqu’ils sont en ville permet à M.
Kuyumjian de mettre en évidence l’effet de miroir qui existe entre les
deux images. Ainsi, en cherchant à se conformer à l’idée que la société se
fait de lui --être exotique, aventureux et libre-- le chercheur d’or met en
avant les éléments qui le situent en tant qu’être “différent” et qui
reproduisent son exclusion.
La fin de ce tour d’horizon diversifié nous amène à un thème, la
recherche du corps idéal, qui semble à première vue éminemment
individualiste. On découvre toutefois, à travers l’analyse qu’en fait
Stéphane Malysse, tout ce que cette préoccupation de la représentation
somatique doit à la spécificité naturelle de Rio (plages, climat) qui
entraîne les personnes à exposer leur corps au regard des autres plus
qu’en d’autres lieux et, en conséquence à le “forger” selon des normes
préétablies. Celles-ci dépendent de modèles qui sont diffusés à grande
échelle par des médias spécialisés. On entre aussi, dans ce cas, dans le
domaine de la pénétration des modèles culturels venus de l’extérieur
puisqu’il apparaît très clairement que cette préoccupation, spécifiquement
féminine, doit beaucoup à une représentation de soi venue des EtatsUnis. Toutefois, l’auteur met en valeur les éléments proprement
idiosyncrasiques qui président à cette “mise en formes” et analyse le
rapport existant entre ces pratiques de malhação et la structure
traditionnelle du rapport homme/femme dans les classes moyennes
cariocas.
Marion AUBRÉE

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