synthèse - Syndicat national de l`édition

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Assises du livre numérique
Ebook, applications, Web : ce que nous apprend le livre pratique
19 mars 2015 – 13h15-17h
Salon du livre de Paris – Espace 2000
Table ronde « Le livre pratique : quel destin numérique ? »
Table ronde animée par Nathalie Bocher-Lenoir, Responsable du pôle illustration-médias des
éditions de SEJER/EDITIS.
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Nathalie Bloch-Pujo, Directrice du groupe Hachette Tourisme
Christelle Derda, Directrice numérique d’EDI8
Anne de Lilliac, Responsable du développement numérique des éditions Fleurus
Christophe Duhamel, Co-fondateur et directeur du site Marmiton.org
Nicolas Francannet, Président co-fondateur de StoryLab/IggyBook
Eléments de contexte : un marché pas encore arrivé à maturité ?
L’usage des livres pratiques numériques reste faible. Hachette Tourisme (le Guide du
routard) publie d’ailleurs encore peu de livres numériques. Pour leur part, les éditions EDI8
(First et Gründ) expérimentent deux supports digitaux pour leurs livres pratiques : l’ebook et
l’application. Pour autant, la réflexion sur le modèle économique et les usages n’est pas
encore aboutie. Quant aux éditions Fleurus, elles ont démarré leur activité numérique par
des applications avant de basculer vers le livre numérique compte tenu des coûts et du faible
public concerné. Leur catalogue numérique compte actuellement 400 titres pratiques, le plus
souvent enrichis en vidéo (notamment en cuisine et en bricolage).
Et pour cause, l’usage du livre pratique sur support numérique est appelé à se développer
autour de livres enrichis. D’autant que si le marché n’est pas encore mûr, les maisons
d’édition ont pu accumuler des connaissances au cours des dernières années. L’objectif est
désormais de partager les meilleures pratiques. Dans cette perspective, la maison d’édition
numérique StoryLab propose des prestations pour la conception de livres numériques
enrichis et d’applications permettant de prolonger l’expérience, mais également une
plateforme (IggyBook) de promotion et de makerting digital.
Dans ce paysage, Marmiton.org fait un peu figure « d’Ovni » puisqu’il est passé du
numérique au papier. Le challenge était de taille dans la mesure où, sur Internet, ses
contenus sont gratuits et comptabilisent 20 à 25 millions de visiteurs uniques par mois (tous
supports confondus). Les succès du magazine (deuxième magazine de cuisine en France en
quatre ans) et des livres de cuisine (500 000 exemplaires vendus en deux ans et demi)
témoignent que les lecteurs n’achètent plus seulement un contenu, mais une expérience
utilisateur.
Pourquoi faire des livres numériques ?
Quelle com plém entarité entre les différents supports ?
Pour le Guide du routard, la complémentarité existe uniquement entre le guide papier et
l’expérience sur le Web (2,5 millions de visiteurs uniques et 35 millions de pages vues par
mois). En revanche, le livre numérique reste encore très peu développé. Sans doute parce
que les attentes des lecteurs ne sont pas les mêmes que pour les livres de fiction. A cet
égard, Nathalie Bloch-Pujo souligne l’importance des enrichissements, qui peuvent aller
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très loin dans le livre pratique : nouvelle conception de la structure, analyse sémantique,
représentation esthétique. En l’occurrence, le format standard international ePub3 propose
de nombreux outils dans cette optique. Progressivement, les lecteurs auront très aisément
accès aux informations qu’ils recherchent. L’expérience utilisateur sera alors plaisante,
enrichissante, utile et facile.
Christelle Derda observe que toutes les maisons d’éditions de livres pratiques ont décidé
de se lancer dans les applications. Mais, au terme de quelques années, elles ont fait le
constat que les coûts de développement étaient très lourds, que les compétences requises
étaient très spécifiques, notamment en ergonomie et en design, et qu’une stratégie
marketing propre était indispensable. Cela explique le recul récent des éditeurs, qui ont
finalement fait le choix de favoriser les ePub2 et ePub3 Fixed Layout leur permettant de
décliner leurs livres illustrés avec une mise en page identique à celle des livres papier. L’offre
reste encore relativement faible. Constituer un catalogue permet d’identifier, au regard des
réactions des lecteurs, les livres qui ont un potentiel sur ce format.
Anne de Lilliac confirme que l’Epub3 permettra de nombreux développements, même si
certains supports ne prennent pas encore en compte toutes les possibilités qu’il offre. Dès le
départ, les éditions Fleurus ont fait le choix d’être le moins possible en ePub3 Fixed Layout,
qui présente l’inconvénient de figer la maquette, donc de limiter l’expérience utilisateur. Elles
ont privilégié l’ePub le plus reconfigurable possible, avec un texte séparé s’adaptant
automatiquement à la taille de l’écran de lecture. Cela suppose de repenser entièrement la
maquette éditoriale, mais améliore significativement l’expérience et l’usage. En outre, les
éditions Fleurus ont mis en ligne tous leurs ouvrages de bricolage en partenariat avec le
forum « Système D », sous forme de livres enrichis – malheureusement lisibles sur certains
supports uniquement. Ce format permet de répondre au plus près des attentes des lecteurs
et de diversifier les ventes, par exemple en transformant une encyclopédie papier de
300 pages en plusieurs livres numériques (8 livres numériques par chapitre papier) et fiches
pratiques en vente à l’unité.
Par ailleurs, il est possible de faire de la complémentarité avec le numérique sans pour
autant faire du livre numérique. Nicolas Francannet cite l’exemple d’applications ou de
sites « compagnons » qui permettent, à partir de QR codes présents dans le livre papier,
d’accéder à un dispositif numérique. Une application a ainsi été développée pour La
discothèque parfaite de l’odyssée du rock des éditions Hors collection. Grâce à cette
application, le lecteur peut écouter les morceaux cités dans le livre papier. L’éditeur a ainsi
pu augmenter de 3 euros le prix de la dernière version du livre et a vu ses ventes croître.
Qui plus est, en s’inscrivant sur l’application, les lecteurs ont laissé leurs coordonnées et
permis à l’éditeur de constituer une base conséquente de clients fans de rock. Or
l’acquisition de données constitue une source valeur ajoutée non négligeable.
Au total, les Web applications et les sites mobiles compatiles avec tous les supports
constituent une solution très intéressante pour enrichir un livre, y compris papier.
Vers une expérience m ulti-suppports
C’est sur la suggestion d’utilisateurs de Marmiton.org qu’un magazine puis un livre papier de
recettes ont été testés. Christophe Duhamel observe que la consommation de Web ne
nuit pas à la lecture papier, et vice-versa : les utilisateurs recherchent des expériences
différentes suivant les supports, mais cohérentes au regard de la marque. L’important
consiste donc à bâtir des passerelles entre les différents supports, pour un véritable
enrichissement. A terme, les utilisateurs passeront d’un support (télévision, mobile, tablette,
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livre, etc.) à l’autre sans véritablement s’en rendre compte. Il ne sera plus alors question de
support, mais de contenu, de service et d’expérience multi-supports.
Quels pré-requis ?
Pour Nathalie Bloch-Pujo, deux pré-requis sont indispensables : prendre en compte
l’expérience utilisateur et les usages, ne pas sous-estimer le caractère technique du métier.
Pour répondre à cette technicité et à l’exigence de compétences, Hachette Tourisme s’est
organisé en interne (en embauchant un chercheur en sémantique, par exemple), mais se
tourne également vers l’externe (recours à des prestataires spécialisés).
Christelle Derda souligne l’évolution du rôle de l’éditeur, qui ne consiste plus simplement à
concevoir et fabriquer un livre papier. Quoi qu’il en soit, l’éditeur reste au centre, grâce à sa
maîtrise du contenu et sa connaissance du public auquel le livre est destiné. Il importe donc
de faire évoluer l’organisation interne pour l’accompagner afin d’imaginer des contenus
numériques mais aussi de mettre en œuvre un marketing spécifique. Pour l’informatique
éditoriale, qui va au-delà de la numérisation, EDI8 fait appel à des experts. Il a notamment
fallu créer des bases de données, qui sont à la fois un outil d’aide pour les éditeurs et un
outil d’animation sur les réseaux sociaux.
Pour Anne de Lilliac, un autre mot-clé est celui de « souplesse ». Chez Fleurus, le service
numérique s’adapte en permanence et entraîne les éditeurs, le studio et le marketing dans
son sillage. Il importe de limiter au maximum les contraintes du numérique et de
communiquer sur ses avantages.
S’il reconnaît que le poids de la technique est important, Nicolas Francannet considère
pour autant qu’un projet de livre enrichi ne doit pas être abordé sous l’angle technique. En
effet, un livre enrichi est avant tout un projet éditorial. A cet égard, les rôles de l’éditeur et
de l’auteur sont fondamentaux pour définir le contenu et l’expérience. Il importe également
d’intégrer les coûts de production, qui peuvent être lourds mais sont la condition sine qua
non pour que le livre soit réussi. Ils peuvent être mutualisés, dans une logique de collection
ou d’internationalisation par exemple.
Christophe Duhamel ajoute que le Web offre de très nombreux outils intéressants à
exploiter pour identifier les attentes et les usages des utilisateurs.
Quel(s) modèle(s) économique(s)…
… pour la rentabilité des sites Internet ?
Dans le secteur de la cuisine, le seul modèle viable est celui de la publicité. Le payant et le
freemium ne fonctionnent pas : les gens ne sont pas prêts à payer pour avoir des recettes
de cuisine. Ainsi, contre toute attente, c’est finalement le papier qui a permis de stabiliser les
revenus de Marmiton.org qui dépendaient au départ exclusivement, et de façon trop
fluctuante, de la publicité.
Le modèle est le même chez Hachette Tourisme : le Web est gratuit pour l’utilisateur et
financé par la publicité. Le secteur du voyage ayant massivement basculé sur le numérique,
les annonceurs sont très nombreux.
Les sites des éditions EDI8 sont uniquement des vitrines, sous forme de catalogues. L’enjeu
des années à venir sera leur transformation en sites à part entière.
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Chez Fleurus, l’équilibre économique du numérique n’a pas encore été trouvé. Pour la partie
Web, sans doute y a-t-il beaucoup à apprendre de la partie presse. Les équations restent
très compliquées à trouver, le modèle publicitaire n’étant pas habituel dans l’édition.
… pour l’acquisition des illustrations ?
Lorsque les contenus rapportent peu, comme chez Marmiton.org, il est primordial que leur
coût soit réduit. Pour le papier, il a fallu passer à un niveau supérieur en termes de qualité
des photographies notamment. Pour limiter les coûts, Marmiton.org a fait appel à des
particuliers et a formé son équipe à la fois à la photographie et à la vidéo. En outre, la forme
retenue correspond à la valeur d’accessibilité de la marque, dont l’une des promesses est
que le lecteur parviendra à reproduire les recettes qu’il voit. Cela permet de produire à
moindre coût et pour tout support. Au sein de l’équipe, chacun travaille sur tous les supports
et est une ressource pour les autres.
La réflexion conduite par Hachette Tourisme est partie du point de vue de l’acheteur d’un
guide de voyage, qui attend un contenu riche, pertinent et à jour. Les guides étant actualisés
chaque année, il n’est pas question de systématiquement racheter les droits. En outre, le
guide doit être léger et, concernant le Routard, peu coûteux. Des flashcodes permettent
donc d’accéder aux centaines de milliers de photographies qui sont en ligne sur le site. Ces
photographies sont en majorité offertes par les lecteurs, le Routard ayant fédéré une
communauté très soudée et attachée à la marque.
Chez EDI8, l’expérience est encore différente : les photographies sont produites en interne
et les coûts de production sont élevés. En revanche, grâce à des accords sur la cession des
droits papier et numériques, le numérique n’entraîne pas de surcoût. Quoi qu’il en soit, les
équilibres financiers sont très fragiles pour ce qui est des beaux livres de cuisine, car les
photographies proviennent souvent de fonds particuliers. Des arbitrages au cas par cas sont
indispensables pour ne pas mettre en péril l’économie du livre papier. Pour les versions
numériques enrichies, le compte d’exploitation est distinct de celui du livre papier. Soit le
projet est en mesure de s’autofinancer compte tenu de son potentiel commercial, soit il
s’insère dans une logique de vitrine – solution la plus fréquente aujourd’hui.
Aux éditions Fleurus, l’expérience diverge selon les secteurs. Dans celui de la cuisine, où
l’exigence de qualité est élevée, les auteurs produisent eux-mêmes leurs photographies et
cèdent à la fois leurs droits papier et leurs droits numériques. Pour les livres de jardin, très
spécialisés, d’autres biais sont envisagés comme le développement d’une photothèque
spécialisée ou de blogs avec des partenaires.
Echanges avec la salle
Les applications du Routard coûtent 5 euros et les guides papier, 10 euros. Pourriez-vous
proposer une application à 10 euros contenant l’équivalent du livre papier ?
Lorsqu’un consommateur achète un livre, il sait exactement ce qu’il achète, ce qui n’est pas
encore le cas avec les applications. La preuve en est qu’en l’occurrence, les applications du
Routard reprennent l’intégralité des guides papier ! Il est très difficile de faire prendre
conscience de la richesse des informations contenues dans l’application. Il est d’ailleurs
intéressant de noter que si les retours utilisateurs sont très positifs, les achats ne sont pas
au rendez-vous, même si l’application est vendue à la moitié du prix du livre. Le marché
n’existe sans doute pas encore. Sans compter qu’il est compliqué de faire du marketing sur
les App Stores.
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Développez-vous des partenariats dans une optique de B2B, qui pourrait constituer un
débouché intéressant pour le livre pratique ?
La structuration des données permet de vendre des contenus pour créer des applications,
par exemple. La constitution des bases de données d’EDI8 s’inscrit dans cette logique, même
si le modèle économique (forfait, pourcentage sur les ventes à venir) reste encore à définir.
Christophe Duhamel ajoute que le native advertising consiste à aller chercher du contenu de
marque pour en faire un produit, un service ou un contenu. Il est en train de devenir la
norme : il y a aura de moins en moins de bannières et de plus en plus de contenu construit
par ou avec les marques pour répondre aux besoins des utilisateurs. Leroy Merlin est un
pionnier dans ce domaine. C’est le sens de l’histoire, tant pour le livre papier et numérique
que pour le Web.
Les formats des livres numériques ressemblent de plus en plus à des sites Web. Cela rend
difficile la différenciation.
Pour Nicolas Francannet, tout est question de contenu. Celui-ci doit être véritablement
différent d’un site Internet, du point de vue éditorial et de l’expérience, même s’il doit aussi
être complémentaire. Le risque, à défaut, est celui d’une cannibalisation. L’éditeur a toutes
les cartes en main pour décider du projet éditorial et du degré de différenciation entre les
différents canaux.
Chez EDI8, ceux qui font les livres numériques sont des spécialistes de Web Design. Les
langages des sites Internet et des livres numériques sont donc les mêmes. Toutefois,
l’expérience est très différente et liée aux applications de lecture qui organisent
différemment le contenu. L’éditeur a tout son rôle à jouer, pour apporter sa caution au livre
numérique. C’est très fortement perçu par les lecteurs.
Chez Hachette Tourisme, seule une partie du contenu est commune sur le Web et sur le
papier. En effet, les usages ne sont pas du tout les mêmes. Le site Web favorise la
préparation du voyage. Une fois en voyage, les utilisateurs favorisent le guide papier,
d’autant que les coûts de roaming (consultation de données depuis l’étranger) sont très
élevés.
Vos ressources sont-elles interopérables ? Quid du traitement des données ?
Hachette Tourisme compte des spécialistes en interne et fait également appel à des
spécialistes externes. La plus grande attention est portée à l’interopérabilité des données
issues du contenu même des ouvrages, mais la réflexion n’est pas encore aboutie.
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