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LES PROCESSUS D’ADAPTATION À LA MONDIALISATION AUX ÉMIRATS ARABES UNIS : DES ZONES FRANCHES AUX ZONES ÉCONOMIQUES SPÉCIALES Nermine EL SHIMY * L’établissement de zones de statut particulier afin d’atteindre des objectifs économiques n’est pas une idée neuve. Dès le XVIIIe siècle, plusieurs territoires furent transformés en zones de libre-échange : Gibraltar en 1704, Singapour en 1819 et Hong Kong en 1824. Cependant, c’est durant les trentecinq dernières années que s’est répandu le concept de zones franches. Cellesci font partie des moyens utilisés pour attirer les investisseurs étrangers. Gagnant du terrain sur l’ensemble de la planète, elles sont devenues de plus en plus importantes à mesure que les pays en développement ont cherché à attirer des investissements étrangers pour dynamiser leur commerce et soutenir leur croissance économique. Les avantages présentés par les zones franches sont clairs. Dans les pays en développement, elles peuvent servir de point de départ à l’industrialisation et permettre d’élargir le spectre des possibilités de diversification économique. Les objectifs à court terme du pays d’accueil sont d’augmenter les exportations ainsi que les recettes des échanges avec l’étranger, de générer des opportunités d’emplois, de stimuler les investissements et d’accélérer le développement régional. Sur le long terme, le pays d’accueil espère que les zones franches participeront également au transfert de technologies, à l’acquisition des clés du management, ainsi qu’au développement de liens avec l’économie de l’ensemble du pays. Dans les économies industrialisées, on observe que le modèle des zones franches est utilisé pour revitaliser des * Nermine El Shimy est Chief Economic and Regulatory Officer, The Higher Corporation for Specialized Economic Zones-Zones Corp, Abou Dhabi. Maghreb-Machrek, N° 195, Printemps 2008 2 Nermine EL SHIMY espaces urbains et ruraux où l’économie est déficiente et pour relancer la compétitivité des produits et l’efficacité commerciale des entreprises. Le concept de zone franche variant légèrement d’un pays à l’autre, la difficulté à le maîtriser, faute d’expérience, a gêné la mise en place et l’exploitation des zones franches en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, où les zones franches ont été un succès seulement dans quelques pays dont les Émirats. Il convient donc d’expliquer clairement le concept de zone franche et son évolution, en mettant en lumière les directions prises par les zones franches à l’échelle internationale avant de présenter le statut des zones franches aux Émirats arabes unis et d’analyser les raisons qui justifient de s’orienter vers l’adoption d’un modèle différent, celui des zones économiques spéciales. LE DÉVELOPPEMENT ET L ’ ÉVOLUTION DES ZONES FRANCHES À TRAVERS LE MONDE Pendant les dernières décennies, de nombreux changements se sont produits dans la manière dont ces zones ont été conçues, développées, gérées, régulées et administrées. Ces changements incluent le rôle croissant du secteur privé dans le développement et l’organisation de ces zones, l’implantation de la politique de l’OMC et l’adoption de cadres juridiques innovants, régulateurs et adaptables. Des pays comme la Chine, la Malaisie et la Jordanie ont utilisé ces zones comme des espaces-test afin d’évaluer l’impact des nouvelles politiques et des nouvelles mesures visant à améliorer le climat des affaires. Le Costa Rica les a utilisées comme un outil efficace pour attirer des investisseurs étrangers, avant d’étendre cette approche à un ensemble plus large d’entreprises. De nouvelles lois en Inde et au Panama utilisent des zones économiques d’une nature particulière pour faire disparaître les rigidités du marché du travail et pour promouvoir des approches compatibles avec les obligations de l’OIT (Organisation Internationale de travail). Dans la zone économique spéciale d’Aqaba en Jordanie, les mesures de simplification, d’accélération et de transparence des démarches ont été couronnées de succès et sont désormais appliquées à d’autres parties du pays. Enfin, dans plusieurs pays du Golfe, les zones franches permettent d’illustrer la spectaculaire libéralisation des politiques concernant les investissements étrangers. Les études menées sur les zones franches permettent de résumer les principales raisons qui inspirent les politiques menées. • Appuyer une stratégie de réforme économique : les zones franches sont de simples outils qui permettent au pays de diversifier et de développer ses exportations. Ce modèle a été suivi à Taiwan et en Corée du Sud. • Servir de soupapes de sécurité pour limiter l’augmentation du chômage : les zones franches en Tunisie et en République Dominicaine sont souvent citées comme exemples de réussite en matière de création d’emplois. Les processus d’adaptation à la mondialisation aux Émirats arabes unis 3 • Servir de laboratoires pour tester les nouvelles politiques : les zones franches chinoises sont des exemples de cette catégorie. Des dispositions financières, législatives ou réglementaires ont été expérimentées dans ces zones avant leur généralisation au reste du pays. • Attirer des investisseurs étrangers : les zones franches récemment établies au Moyen-Orient ont pour principal objectif d’attirer des investisseurs étrangers. Aujourd’hui, il y a au moins 850 zones franches dans le monde, sans compter toutes les zones chinoises de taille d’une province ou d’une ville, qui doivent maintenant dépasser les mille. Tableau 1 – Le développement des zones franches Dans les années 1970 Aujourd’hui 30 pays Plus de 120 pays 80 zones en projet 2000 à 5000 zones en projet Pas de zones privées Plus de 1200 zones privées Total des exportations = 6 milliards $ Total des exportations > 600 milliards $ Création d’emplois directs = 1 million Création d’emplois directs = 50 millions Source : OTT et Banque mondiale. Selon la Banque mondiale, les zones franches peuvent catalyser ou piloter une réforme au niveau de la politique nationale. Elles jouent aussi un rôle en créant des emplois, en augmentant les salaires, en améliorant les conditions de travail et en permettant la diffusion des qualifications (0,21 % de l’emploi total est créé par les zones franches dans le monde). Les zones franches participent également à l’augmentation du PNB des pays d’accueil à hauteur de 0,52 % en moyenne. Elles contribuent à accroître les exportations, particulièrement dans les plus petits pays. Elles représentent 14,3 % du commerce mondial des exportations. Les zones franches facilitent aussi le transfert de technologies et la diversification des économies. La mondialisation entre, bien entendu, en jeu puisque ces zones peuvent servir de liens dans les chaînes de production qui alimentent les marchés mondiaux. Au-delà de leur diversité, les investisseurs manifestent des préoccupations communes. La première d’entre elles concerne ce que l’on pourrait appeler la rançon du succès : surchauffe de l’économie, pénurie de ressources et surcapacité de production. La deuxième préoccupation commune concerne la force de travail. L’investisseur doit se préoccuper de la disponibilité des compétences requises et de la possibilité d’améliorer celles qui existent. La surchauffe du marché du travail est une autre préoccupation puisqu’une demande importante aboutit à une augmentation excessive des salaires et à un important turnover. Le manque de soutien de la part du gouvernement fait aussi partie des inquiétudes. La bureaucratie et la routine effraient Nermine EL SHIMY 4 les investisseurs. La faiblesse de la législation sur les droits de propriété intellectuelle et la carence de mesures efficaces pour faire respecter les lois sont également un sujet de préoccupation de même que l’augmentation des coûts de fonctionnement. Enfin, les investisseurs se préoccupent de l’existence de risques, problèmes de sécurité ou risques naturels. Selon une étude sur les investisseurs étrangers dirigée par la Multilateral Investment Guarantee Agency (MIGA) de la Banque mondiale en 2002, les principales compagnies mondiales citaient les vingt raisons suivantes comme éléments déterminants dans le processus de décision d’une implantation à l’étranger. Tableau 2 – Les facteurs déterminants pour les investisseurs étrangers Facteur Pourcentage Accès au marché 77 Environnement social et politique stable 64 Climat des affaires facile 54 Fiabilité et qualité des infrastructures et des services 50 Facilité à recruter des techniciens qualifiés 39 Facilité à recruter du personnel d’encadrement 38 Niveau de corruption 36 Coût de la main-d’œuvre 33 Criminalité et sécurité 33 Facilité à recruter des ouvriers qualifiés 32 Taxes nationales 29 Coût des services 28 Réseau routier 26 Accès aux matières premières 24 Existence et qualité des universités et formations techniques 24 Disponibilité en espaces équipés 24 Taxes locales 24 Accès aux fournisseurs 23 Relations de travail et syndicalisation 23 Services aériens 23 Source : MIGA 2002. L’étude révèle que l’accès au marché est le facteur crucial pour les entreprises quand elles décident de s’installer à l’étranger. Il convient aussi de noter que les entreprises manufacturières placent au second rang la réduction des coûts de fonctionnement avant les matières premières et les sources d’énergie. Ce dernier point est une des raisons majeures qui poussent les Émirats à adopter le modèle des zones économiques spéciales, comme on le verra ci-dessous dans cet article. En général, les entreprises regardent aussi le potentiel du marché, la proximité des clients, la fiabilité Les processus d’adaptation à la mondialisation aux Émirats arabes unis 5 des fournisseurs, les risques économiques et la qualité et le coût du travail, ainsi que la qualité du réseau de transports. En 1993, NEI/Ernest and Young a publié une étude à l’intention des compagnies multinationales pour leur démontrer l’importance d’un certain nombre de critères. Tableau 3 – Les facteurs de localisation géographique % des entreprises considérant les facteurs du choix du pays choix de la région décisif important décisif important 34 51 19 31 Disponibilité en matières premières 9 23 12 17 Proximité des principaux clients 17 14 18 6 Disponibilité en sites aménagés 5 5 17 17 11 20 19 20 Appui du gouvernement 6 19 9 23 Langues 15 14 2 2 Fiscalité des entreprises 6 15 3 - Climat des affaires Proximité des marchés Caractéristiques Assistance financière Travail Disponibilité en main d’œuvre 8 26 5 32 Disponibilité en travailleurs qualifiés 9 19 11 22 Qualité du travail 8 22 9 29 Relations de travail 6 17 5 6 Comportement au travail 8 14 - 17 Coût des locaux 5 17 11 18 Coût du travail 11 22 9 17 Qualité du réseau routier et ferroviaire 23 20 15 32 Coût des facteurs Infrastructures Proximité d’un port 8 11 6 15 Proximité d’un aéroport 9 14 6 31 Qualité des aéroports 5 12 2 11 Facteurs culturels 5 17 - 23 Écoles pour expatriés 2 11 2 9 Facilités éducatives - 6 2 12 Attractivité générale de la zone 5 6 6 8 Qualité de vie Source : NEI/Ernst & Young, 1993. Nermine EL SHIMY 6 Les tendances exposées dans cette première partie ont des implications sur le développement des zones franches aux Émirats dans la mesure où toute zone se doit de répondre aux exigences et aux préoccupations des entreprises. Les investisseurs ont besoin de flexibilité en termes d’allocation des ressources (travail, capital, équipement), d’une réglementation appropriée, de chaînes logistiques compétitives, ce qui implique des infrastructures de qualité et un système de transports multimodal, de travailleurs productifs et compétents mais aussi de l’adhésion aux attentes d’entreprises socialement responsables. Tels sont les impératifs dont les zones des Émirats doivent tenir compte. LES ZONES FRANCHES AUX DÉVELOPPEMENT ÉMIRATS ARABES UNIS ET LEUR CONTRIBUTION AU Selon un rapport de l’OMC 1, l’économie des Émirats arabes unis a connu une croissance de l’ordre de 6 % par an au cours de la dernière décennie. De 2003 à 2005, le taux de croissance a atteint 9 %, ce qui est en partie dû à l’augmentation du prix des hydrocarbures. L’investissement des surplus générés par les revenus des hydrocarbures dans des infrastructures et des grands projets, combiné à l’afflux de travailleurs étrangers, a contribué à la diversification de l’économie émirienne. Le pétrole et le gaz comptent aujourd’hui pour seulement un tiers du PNB des EAU (contre 74 % en 1980), derrière le secteur des services qui comptent pour 55 % du PNB. Le PNB par habitant des EAU est maintenant l’un des plus élevé de la planète et dépasse les 49 000 dollars en 2007. Le commerce a une importance particulière dans l’économie des EAU. Les exportations de marchandises, à côté de celles de pétrole et de gaz, s’orientent vers la mécanique et l’outillage et incluent des ordinateurs et d’autres matériels électroniques. L’activité de réexportation est également substantielle. Alors que les exportations de brut se font essentiellement à destination des pays d’Asie orientale, les exportations non pétrolières sont destinées à des clients tels que l’Inde, le monde arabe, voire l’Europe. Les réexportations se font à destination de l’Iran et des membres du Conseil de Coopération du Golfe. Le secteur des services des EAU est aussi en pleine croissance tant au sein du pays qu’à l’étranger. Les piliers de l’économie des EAU sont donc en bonne santé et s’inscrivent fortement dans une diversification orientée vers les secteurs de l’industrie et des services. En décembre 2006, il y avait trente-deux zones économiques spéciales aux EAU, dont vingt-six situées dans l’émirat de Doubaï. Les activités des zones franches sont reliées au commerce ou aux services. Les indicateurs-clés de deux des zones doubaïotes permettent de se faire une idée de leur importance. En janvier 2006, on dénombrait 5 243 entreprises et 106 971 salariés à Jebel Ali, tandis que Dubai International Financial Center rassemblait 150 entreprises et 1 400 employés. 1. WTO Trade Policy Review Report, avril 2006. Les processus d’adaptation à la mondialisation aux Émirats arabes unis 7 Tableau 4 – Les zones franches des Émirats arabes unis Jebel Ali Free Zone (Jafza) Dubai Airport Free Zone Dubai Internet City Dubai Media City Dubai Metals & Commodities Center (DMCC) Dubai International Financial Center (DIFC) Dubai Auto Zone Dubai Building Material Zone Dubiotech Gold & Diamond Park Knowledge Village Hamriyah Free Zone Dubai Silicon Oasis Maritime City Techno Park Sharjah Airport International Free Zone (SAIF) Dubai Aid City Dubai Health Care City Dubai Auto Parts City Ajman Free Zone Dubai Textile City Dubai Outsource Zone Dubai Studio City Ahmad Bin Rashid Free Zone Heavy Equipment & Trucks FZ Dubai Academic City Dubai Flower Center Ras Al Khaimah Free Zone International Media Production Zone Dubai Carpet Free Zone Jebel Ali Airport City Fujairah Free Zone Sources personnelles de l’auteur. Les zones franches aux EAU offrent un ensemble d’avantages s’inscrivant dans le cadre habituel des zones franches présentes tout autour du monde : absence de taxes, de frais de douanes sur les importations, de quotas, de contrôle des échanges avec l’étranger, aucune restriction sur le rapatriement des profits et des capitaux, liberté d’employer et de licencier la maind’œuvre, réduction de la bureaucratie. La possibilité pour les étrangers d’être propriétaire à 100 % de leur entreprise dans les zones franches des EAU, ce qui n’est pas le cas hors zones franches, a joué un rôle important pour attirer les investisseurs étrangers et explique largement le succès de ces zones. Les zones franches représentent l’unique moyen de contourner la législation fédérale sur les entreprises, selon laquelle la propriété des étrangers ne peut dépasser 49 %. En dépit de leur succès, la contribution des zones franches à l’économie des EAU n’est pas à la mesure de leur nombre, car certaines font en quelque sorte double emploi, dans la mesure où leurs activités se chevauchent. Une stratégie reste à mettre en place pour : • Attirer les investissements étrangers : l’implantation d’une zone franche aux EAU induit un afflux de capital. Il y a environ 9000 compagnies opérant dans les zones franches de Doubaï. Selon la Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement (CNUCED), les Investissements Directs Étrangers (I.D.E.) aux EAU entre 1990 et 2004 ont atteint vingt deux milliards de dollars. Le ministère de l’économie travaille en étroite collaboration avec la CNUCED afin d’estimer les I.D.E. générés par les compagnies opérant dans les zones franches. Actuellement, il n’y a pas encore de chiffres précis montrant la contribution des zones franches dans les statistiques relatives aux I.D.E. 8 Nermine EL SHIMY • Promouvoir les exportations : selon le rapport annuel de la Banque Centrale des EAU de 2005, les importations totales en 2004 au sein des zones franches ont atteint 69 milliards de dihrams soit 35 % des importations totales des EAU. Le montant total des exportations non pétrolières générées par les zones franches (en incluant les réexportations) a atteint 53 milliards de dihrams en 2004, ce qui représente 66,75 % des exportations totales du pays. Ayant surtout servi de centres de réexportation, les zones franches, pour être en phase avec la politique gouvernementale qui prône la diversification, vont devoir reconsidérer leurs approches et leurs stratégies afin d’augmenter la valeur ajoutée de leurs activités. • Créer des opportunités d’emplois qualifiés : la mondialisation oblige les entreprises des zones franches à produire plus rapidement et pour un moindre coût, donc à s’améliorer constamment. Cela amène de nombreuses entreprises à introduire de nouvelles technologies et à trouver des moyens d’augmenter la productivité de leurs employés en finançant des stages intensifs de formation. Certaines entreprises, parmi les plus avancées, utilisent même des systèmes de plans de carrière, des équipes autodirigées et un partage du profit pour assurer une amélioration de la rapidité et de la qualité du travail tout en minimisant les coûts. Les entreprises des zones franches, concernées par quelques-uns des problèmes qui réduisent la productivité aux Émirats, fournissent des facilités pour les moyens de transport et la garde des enfants ou aident leurs employés à trouver un logement. Un autre effet de la mondialisation est la demande croissante de nouveaux talents. Les firmes étrangères demandent des travailleurs et des équipes qualifiés, ce qui oblige les EAU à remettre en cause leur système éducatif afin de répondre à la demande des investisseurs et à mieux contribuer à la création d’emplois pour les Émiriens. • Faciliter le transfert de technologies et l’art du management : les EAU espèrent utiliser les zones économiques spéciales (ZES) pour l’introduction de nouvelles technologies dans l’économie du pays, en encourageant les entreprises à diffuser ces technologies. Même dans les industries sans technologie très compliquée, le transfert existe toujours. Or, différentes études ont montré que la capacité d’un pays d’accueil à initier un transfert de technologies dépendait en grande partie des caractéristiques du capital humain 2, ce qui renvoie à la politique d’éducation et de formation. • Nouer des liens avec l’économie nationale : la nature des liens entre les activités en zones franches et celle du reste de l’économie nationale est une question importante. Plus les liens sont étendus, plus les zones franches seront susceptibles de générer des bénéfices sur le long terme. La création de tels liens reste l’un des principaux objectifs de la stratégie des zones économiques spéciales. La construction, l’électricité, les technologies de l’information et de la communication, les services financiers et les transports 2. Dieter Lösch, “Chinese Special Economic Zones at a Crossroads”, HWWA – Discussion Paper, Hambourg, n° 25, 1995. Les processus d’adaptation à la mondialisation aux Émirats arabes unis 9 comptent parmi les liens les plus importants avec l’économie nationale. Si aucun intrant du pays n’est utilisé dans la production de la zone, celle-ci n’aura pas d’effets multiplicateurs, alors que la construction de relations entre la zone et le pays peut obliger les producteurs nationaux d’intrants intermédiaires à produire des intrants de meilleure qualité pour que les firmes étrangères se procurent ces intrants sur place et n’aillent plus les chercher à l’étranger. Faute de liens suffisants avec l’économie nationale, les zones ne seront que des enclaves. LA NÉCESSITÉ D’ADAPTER LES ZONES FRANCHES ÉMIRIENNES À DE NOUVELLES RÉALITÉS GLOBALES Il ne fait aucun doute que le concept de zone franche est un atout pour la croissance économique. Plusieurs pays ont déjà bénéficié de l’implantation de ces zones d’activités particulières. La compétition est donc de plus en plus forte au niveau régional et international. La gestion de ces zones implique une surveillance étroite des investissements internationaux. Il faut connaître leur évolution, la position des acteurs, les facteurs qui expliquent les tendances, ce qui est déterminant si l’on veut conserver la compétitivité des zones franches. La première étape dans la gestion d’une ZES consiste à attirer des entreprises qui investissent et s’établissent. La seconde étape consiste à les retenir. Les gestionnaires doit donc prendre en compte le degré de mobilité des entreprises. Généralement, les activités en aval (reliées au marché) et en amont (reliées à la source) de la chaîne de production sont moins mobiles que celles situées au niveau intermédiaire (reliées à la logistique). La mobilité croissante des entreprises va donc forcer les zones franches à analyser et à renforcer, avec attention et en permanence, leur position en termes d’avantages comparatifs et des stratégies de suivi sont indispensables pour fidéliser les entreprises existantes. Le rapport qualité/prix est un autre élément déterminant pour la compétitivité des zones franches qui ont besoin de concentrer au même endroit la meilleure qualité de services et les coûts les plus bas possible. Les zones qui ont commencé comme sites à faibles coûts de fabrication ont besoin, pour la plupart, de se transformer en zones logistiques sophistiquées pour rester compétitives. Des études ont montré que les incitations fiscales ne constituent plus désormais un argument suffisant pour les zones franches et qu’elles doivent proposer une offre globale attractive. L’impact socio-environnemental négatif des ZES, dénoncé par les organisations internationales comme une « course vers le bas », est un autre élément à retenir. Selon l’Organisation Internationale du Travail (OIT), les zones franches offrent, en effet, une force de travail abondante et comparativement peu chère. Parfois même, les zones franches échappent à la réglementation du travail des pays dans lesquels elles sont implantées. Des conditions particulières de travail émergent en raison du manque de réglementation des emplois. L’OIT appelle à une action collective pour 10 Nermine EL SHIMY limiter cette probable « course vers le bas ». Les législateurs doivent prendre cette dimension en considération lorsqu’ils conçoivent ces zones. Pour attirer les entreprises, les zones franches proposent plusieurs types d’avantages et d’incitation qui doivent être en conformité avec les règles édictées par l’OMC 3. L’Accord sur les Subventions et les Mesures Compensatoires (ASMC) et les Mesures Associées au Commerce et aux Investissements (MACI) sont particulièrement à considérer lors de la création et de l’organisation des zones. L’ASMC réglemente l’usage des subventions et régule les actions que les pays peuvent mettre en place pour contrebalancer les effets négatifs des subventions. Ces dernières sont, soit interdites, soit tolérées. Les subventions interdites ne doivent pas être maintenues, ni financées par un pays membre de l’OMC alors que les subventions tolérées sont soumises à l’obligation de prouver qu’elles ne nuisent pas aux intérêts des autres pays membres. Les subventions interdites sont principalement de deux types : subventions pour les exportations ou subventions de substitution aux importations. Toutes les zones ne sont pas compatibles avec les accords de l’OMC. Des avantages tels que l’exemption d’impôts directs sont considérés comme des subventions interdites lorsqu’elles sont liées à des exportations. Or il s’agit de l’un des avantages majeurs offerts par la plupart des zones franches à travers le monde, en violation des principes de l’OMC. Dans certaines zones, les entreprises doivent assurer un certain volume d’exportation pour bénéficier de ces exemptions fiscales. Une telle exigence d’exportation n’est pas en conformité avec les règles du commerce mondial. Les pays membres de l’OMC sont signataires, pour la plupart, d’un ou plusieurs Accords Régionaux de Commerce (ARC). En décembre 2002, 250 ARC ont été recensés par le GATT et l’OMC dont 130 postérieurs à janvier 1995. À la fin de l’année 2005, le nombre d’ARC était de l’ordre de 300. Depuis que les zones franches sont considérées comme « un pays à l’intérieur du pays », les entreprises qui y sont implantées ne peuvent plus prétendre aux bénéfices énoncés dans les accords commerciaux préférentiels. Dans le cas des EAU, ceci s’étend aux pays du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) et aux pays signataires de l’Accord Pan Arabe de Libre Echange (PAFTA). De plus, alors que l’accessibilité au marché a été une grande priorité aux EAU, et ce particulièrement depuis l’entrée en vigueur de l’accord de libreéchange, le 1er janvier 2005, les entreprises manufacturières qui opèrent dans les zones franches ont réalisé qu’elles n’étaient plus concernées par les bénéfices énoncés dans les accords commerciaux préférentiels. L’article 85 de la loi sur les douanes des pays du CCG stipule que les biens acquis en dehors des zones franches sont traités comme des biens étrangers. L’article 88 ajoute que les biens importés des zones franches doivent être traités comme des biens étrangers. 3. Ce paragraphe est fondé sur les discussions qui se sont tenues lors de la réunion annuelle de la convention mondiale des zones franches qui a eu lieu à Genève en juillet 2006. Les processus d’adaptation à la mondialisation aux Émirats arabes unis 11 Pour surmonter ce problème d’accessibilité au marché, un autre modèle, celui des zones économiques spéciales, doit être introduit afin de soutenir la diversification économique et de renforcer les exportations. Les manufacturiers trouveront ce modèle particulièrement séduisant pour leurs besoins, car il tente d’éliminer toutes les difficultés d’accessibilité au marché auxquelles ils ont dû faire face en opérant au sein des zones franches. La ZES est un concept aujourd’hui répandu sur l’ensemble du globe. On peut espérer que les ZES deviendront des sortes de laboratoires pour expérimenter des politiques économiques de plus en plus orientées vers l’extérieur. Le projet de loi sur les ZES proposé au gouvernement fédéral inclut également un article concernant la définition du concept de désignation d’entreprise, pour proposer une solution au secteur manufacturier ayant déjà réalisé des investissements importants dans les zones franches. Les ZES doivent être établies en se conformant aux standards mondiaux. Le développement de ZES aux EAU est un objectif prioritaire défini à moyen et à long terme, pour maintenir leur position de centre régional dans un contexte où la compétition s’intensifie. Les EAU doivent mettre en place le projet d’établissement des ZES et l’envisager comme un outil permettant de supprimer les barrières entravant l’accès au marché. La ZES n’est donc pas un simple concept industriel. C’est un espace ouvert, attractif pour les ressources humaines de niveau mondial, pour les capitaux et pour la technologie. Les responsables politiques doivent envisager cette initiative comme un nouveau moteur de croissance de l’économie des EAU pour le XXIe siècle. Les ZES peuvent aider les EAU à conforter leur place de leader régional dans les affaires, l’industrie et la logistique, mais elles doivent aussi permettre au pays de tenir sa place dans la compétition mondiale. Les zones franches logistiques sont un autre modèle à prendre en compte lorsque l’on examine les futures options possibles pour les EAU. Elles se concentrent sur l’amélioration de l’efficacité des systèmes logistiques et des flux. Les zones franches logistiques peuvent servir à stocker des marchandises étrangères ou nationales, à reconditionner du matériel, à assembler des produits ou à réexporter des biens. Le tableau suivant résume les éléments clés que les gouvernements doivent prendre en considération lorsqu’ils conçoivent des zones franches logistiques. Nermine EL SHIMY 12 Tableau 5 – Conditions de fonctionnement des zones franches logistiques Localisation stratégique Fort support gouvernemental Infrastructures et services de niveau mondial Soutien à la logistique industrielle Promotion d’une maind’œuvre qualifiée Technologies de l’information sophistiquées Taille du marché Avantages pour les loyers, les taxes, etc. Facilités portuaires Lignes maritimes Compétences en logistique Plates-formes de e-commerce Localisation Atmosphère favorable aux affaires Conditions de transport international Lignes aériennes Présence d’experts en logistiques Infrastructures de télécommunications Atmosphère Faible intensité des conflits Hinterland portuaire Fournisseurs de services logistiques Stabilité du marché du travail Accès facilité à internet haut débit Diffusion de l’information Niveau de services Programmes d’éducation et de formation Liens électroniques avec les différentes administrations portuaires Accords de libreéchange Source : Arthur D. Little, 2003. L’expérience internationale a révélé cinq domaines que les décideurs devraient prendre en compte pour réussir l’implantation d’une zone. Le type de zone. L’une des questions cruciales à aborder est celle du choix du type de zone. Les zones franches devraient être différenciées des ZES. Les activités industrielles visant les pays du CCG et du PAFTA doivent être situées dans les ZES, tandis que les zones franches doivent se concentrer principalement sur les activités logistiques et de réexportation. Le cadre stratégique. Les meilleures pratiques dans la formulation d’une stratégie incluent les aspects suivants : - le développement de zones privées implique de définir clairement les droits et les obligations des développeurs ainsi que les modalités des partenariats public-privé. - les critères de désignation d’une zone, incluant des critères de développement physiques, doivent être pris en compte. - l’expérience internationale suggère fortement que la compétitivité des zones sur le long terme dépend de la qualité et de la productivité de leurs employés. Pour atteindre ce but, il est important de respecter les principes et obligations de l’Organisation Internationale du Travail. Des règles doivent être définies à l’intérieur d’un cadre flexible et libéral concernant le marché du travail. Les processus d’adaptation à la mondialisation aux Émirats arabes unis 13 Les mesures d’incitation. Celles-ci doivent être en adéquation avec les obligations de l’OMC. Les subventions non autorisées doivent être transformées en subventions tolérées. Les exigences vis-à-vis des exportations, la restriction des ventes au sein du territoire douanier national et les exonérations d’impôts directs doivent être abolies. Le cadre réglementaire. Une instance régulatrice est indispensable pour coordonner les efforts des diverses zones et pour assurer leur adéquation à la vision globale que les EAU veulent adopter. - Les lois et règlements qui établissent les différentes zones doivent être centralisés et facilement accessibles aux investisseurs étrangers. Les activités actuelles des zones doivent être revues et chaque zone doit répondre à la liste d’activités établie. - Des procédures simplifiées pour l’enregistrement des entreprises doivent être établies. - Un « guichet unique » doit être créé pour faciliter l’obtention des permis, l’acquisition des terrains, les procédures de construction des bâtiments, la gestion des travailleurs, les questions de santé, de sécurité, etc. L’objectif est de concentrer l’ensemble des démarches auprès de l’autorité en vigueur dans la zone qui aurait aussi la capacité à accorder les autorisations, au lieu d’attendre celles-ci des ministères et des agences. Chaque zone devrait disposer de sa propre autorité et de ses propres bureaux pour parvenir à offrir de tels services. Le cadre institutionnel doit viser : - à assurer une autonomie appropriée à l’autorité de la zone, plus particulièrement pour les objectifs, le budget, les dépenses et les décideurs politiques ; - à assurer une autonomie appropriée en mettant en place une administration spécifique comprenant certains départements clés du gouvernement et des représentants du secteur privé ; - à s’assurer que l’autorité de la zone agit comme un « guichet unique » ; - à s’assurer que l’autorité délègue et privatise les fonctions externalisables pour se concentrer sur les fonctions de base. CONCLUSION Il est indéniable que les zones à statut spécial des EAU doivent se réinventer pour répondre à l’intégration mondiale, aux règles du commerce international et à l’augmentation des accords commerciaux préférentiels. L’avenir des zones ne peut et ne devrait pas se fonder uniquement sur les avantages fiscaux, mais devrait plutôt jouer sur des spécialisations qui 14 Nermine EL SHIMY permettent des complémentarités en termes d’équipements, de services et surtout de procédures. Le succès des ZES ne dépend pas uniquement d’un travail qualifié ou d’infrastructures appropriées. C’est l’organisation des processus socio-politico-économiques dans lesquels elles se mettent en place et fonctionnent qui peut apporter un changement coordonné et global. En conséquence, trois facteurs sont décisifs : la vision, le consensus, la continuité. Pour développer un programme réussi de zones économiques spéciales, les EAU doivent avoir une vision claire du projet et du but qu’ils poursuivent. Si différentes zones ont des visions différentes de leurs projets et de leurs objectifs, alors les efforts seront dispersés dans différentes directions. Les stratégies des zones devraient faire partie de la stratégie globale des EAU. Cependant, une vision claire du futur ne suffit pas en elle-même ; sans un consensus autour de cette vision, le progrès est difficile, voire impossible. Une autorité de coordination devrait être établie pour permettre une coordination maximale entre les différentes zones et pour assurer un suivi des projets et des réalisations effectuées. Enfin, les décideurs politiques doivent considérer que les investisseurs ne s’inquiètent pas seulement des incertitudes politiques. Ils accordent aussi beaucoup d’attention aux changements concernant les salaires, l’augmentation des coûts de production, des services publics, la mise en place d’infrastructures adaptées, mais aussi leur maintenance. Au final, il apparaît clairement qu’afin de permettre aux zones économiques spéciales de contribuer de manière positive à l’économie des EAU, l’élaboration de lois et de réglementations nouvelles est indispensable.