Hyperactivité avec déficit de l attention : addiction et facteurs
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Hyperactivité avec déficit de l attention : addiction et facteurs
Mise s au p oint t n Mise s au p oi Hyperactivité avec déficit de l’attention : addiction et facteurs prédictifs de comportements à risque François Bange, Marie-Christine Mouren-Siméoni* Bien que l’expérimentation des drogues soit un phénomène ubiquitaire chez les jeunes, la majorité de ceux qui s’initient à la consommation d’alcool ou de drogues ne connaissent pas d’escalade jusqu’à l’abus ou la dépendance. On incrimine de nombreux facteurs qui favorisent l’installation et la pérennisation d’une consommation de substances psychoactives, de façon nocive pour la santé. Parmi les causes possibles de cette évolution néfaste, un nombre croissant d’études ont été consacrées au rôle joué par diverses pathologies dont l’hyperactivité avec déficit de l’attention. Nous allons donc brosser un tableau des connaissances et des interrogations actuelles sur les liens entre cette dernière et l’addiction aux substances psychoactives. Par ailleurs, l’hyperactivité avec déficit de l’attention est impliquée dans la genèse d’autres conduites à risque et d’autres addictions telles que le jeu pathologique (9). Nous limiterons cet exposé aux substances psychoactives, domaine où la littérature est la plus abondante. Mise s au poin t L’hyperactivité avec déficit de l’attention L’hyperactivité avec déficit de l’attention désigne un syndrome composé d’une triade de symptômes, l’hyperkinésie, l’impulsivité et l’inattention, groupés en un trouble primaire, durable et invalidant. Ce syndrome a été décrit par les psychiatres d’enfants depuis plusieurs dizaines d’années, mais beaucoup d’interrogations surgissent actuellement à propos du devenir de ces jeunes * Service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, hôpital Robert-Debré, Paris. patients à l’âge adulte. La prévalence de l’hyperactivité chez les enfants est élevée, autour de 5 % en population générale, avec un sex-ratio de 4/1 en faveur des garçons. Ce trouble constitue l’une des causes les plus fréquentes des consultations en pédopsychiatrie actuellement. Il est loin de toujours disparaître à l’adolescence comme cela avait été suggéré initialement, mais la prévalence chez l’adulte en est controversée. On reconnaît en effet de plus en plus qu’une proportion non négligeable des jeunes hyperactifs conservent à l’âge adulte une part invalidante de leurs symptômes infantiles, voire, pour certains d’entre eux, le syndrome au complet. Pour beaucoup d’auteurs, l’hyperactivité persiste encore à l’âge adulte chez au moins un quart des enfants qu’elle touche (7). Il importe de souligner que le diagnostic 147 d’hyperactivité, avec déficit de l’attention chez l’enfant, l’adolescent ou l’adulte, requiert obligatoirement une évolution continue, développementale des troubles depuis au moins l’âge de 7 ans, ce qui exclut tout syndrome acquis à l’adolescence ou plus tard. Enfin on remarque l’association fréquente à l’hyperactivité, de pathologies psychiatriques comorbides, qui vont des personnalités antisociales aux troubles anxieux et thymiques, outre les addictions auxquelles nous nous intéressons ici. Les hyperactifs devenus adultes et le risque d’addiction aux substances psychoactives Les troubles liés à l’utilisation des substances psychoactives comptent parmi les évolutions les plus redoutées chez les hyperactifs lorsqu’ils parviennent à l’âge adulte. Nombre d’études montrent, en effet, que les enfants hyperactifs, une fois adultes, ont un risque augmenté pour de tels troubles, comparés à des sujets contrôles. Deux types d’enquêtes l’illustrent clairement : d’une part, celles menées auprès des hyperactifs, d’autre part, celles conduites auprès de patients traités pour toxicomanie chez qui on recherche, de plus en plus souvent, des antécédents d’hyperactivité. Parmi les premières, on peut s’appuyer sur plusieurs études prospectives de suivi d’enfants hyperactifs parvenus à l’âge adulte, qui ne laissent aucun doute sur une prévalence accrue de la toxicomanie, chez ces adultes, par rapport à des populations témoins. Par exemple, parmi une cohorte de 91 jeunes adultes diagnostiqués comme hyperactifs depuis l’enfance et suivis pour cette pathologie, dont l’âge moyen au moment de l’enquête est de 26 ans, 16 % présentent un abus de drogues, contre 4 % dans un groupe contrôle apparié (29). Les mêmes auteurs ont répliqué ce résultat sur une autre cohorte de 85 adultes hyperactifs âgés en moyenne de 24 ans, chez qui 12 % ont un abus de substance, contre 4 % dans le groupe témoin (30). Dans une étude non plus prospective mais transversale, des adultes qui ont eu un diagnostic d’hyperactivité dans l’enfance montrent un risque deux fois plus élevé de troubles liés aux substances psychoactives Mise s au p oint t n Mise s au p oi par rapport à la population générale (5). Un grand nombre d’études ont recherché des antécédents d’hyperactivité chez des patients adultes suivis pour addiction à des substances psychoactives et ont mis à jour une proportion plus fréquente de ceux-ci comparés à des groupes témoins. La plupart des substances addictives sont impliquées dans ce phénomène. Le taux de fumeurs de tabac est nettement plus élevé chez les adultes hyperactifs que dans la population générale (40 %, contre 26 %) (15, 32). Pour l’alcool, Goodwin et al. (21) relèvent une surreprésentation des antécédents d’hyperactivité dans l’enfance chez les alcooliques comparés aux non alcooliques. Dans l’étude de Tarter (35), la sévérité de l’alcoolisme est plus grande (“alcoolisme primaire”) chez les patients avec antécédents de Minimal Brain Dysfunction dans l’enfance. Wood et al. (43) évaluent la prévalence du trouble hyperactivité avec déficit de l’attention (THADA) chez des alcooliques à 33 %, ce qui est considérablement supérieur à la population générale. Chez les adultes toxicomanes aux opiacés, Eyre et al. (17) estiment à 22 % les antécédents d’hyperactivité infantile. Plus récemment, King et al. (25) notent, chez des patients entrant dans un “programme méthadone”, que 19 % ont des antécédents de THADA et que, parmi eux, 88 % souffrent encore de symptômes actuels. Une série d’études a également retrouvé un taux d’hyperactivité plus élevé que ne le voudrait le hasard, chez les adultes toxicomanes à la cocaïne. Cette drogue fait l’objet d’une attention particulière en rapport avec l’hyperactivité. En effet, elle agit, sur le plan neurobiologique sur la neurotransmission dopaminergique dont les dysfonctionnements sont actuellement impliqués au premier plan de l’étiopathogénie du THADA (36). Notons, de surcroît, que la recherche d’antécédents d’hyperactivité doit être rigoureuse chez les toxicomanes à la cocaïne : on décrit chez certains d’entre eux qu’un syndrome identique au THADA mais apparu après l’usage régulier et sévère de cocaïne (14), qui doit donc être soigneusement distingué de l’hyperactivité développementale, à laquelle nous nous intéressons ici. Pour Caroll et al. (10), parmi 298 cocaïnomanes adultes traités, 35 % ont les critères de THADA dans l’enfance, dont 95 % ont aussi ceux de trouble des conduites. Les cocaïnomanes adultes avec antécédents de THADA infantile ont un début d’usage régulier plus précoce, un usage plus fréquent et intense ainsi qu’un devenir péjoratif. Dans l’étude de Levin et al. (27), chez 281 cocaïnomanes adultes traités, 12 % ont les critères de THADA dans l’enfance ; parmi ceux-ci, la plupart (80 %) ont encore un THADA à l’âge adulte et une majorité (63 %), un trouble des conduites. Enfin chez des polytoxicomanes, Clure et al. (13) observent que parmi 136 patients adultes hospitalisés pour dépendance (alcool, cocaïne, cocaïne + alcool), 32 % ont des antécédents de THADA dans l’enfance, et parmi ceux-ci, 49 % les critères du THADA adulte. Schubiner et al. (34) retrouvent des résultats comparables chez 201 toxicomanes traités, dont 24 % ont les critères de THADA, parmi lesquels les deux tiers ont aussi les critères de trouble des conduites. En définitive, tant les études menées chez les hyperactifs que chez les toxicomanes montrent un risque notablement accru d’addiction pour l’ensemble des substances psychoactives étudiées, chez les enfants hyperactifs devenus adultes, qu’ils aient ou non un syndrome persistant d’hyperactivité à l’âge adulte. Mise s au poin t L’usage de substances psychoactives chez les enfants et adolescents hyperactifs On sait peu de choses sur l’usage précoce des substances psychoactives, chez les hyperactifs avant 15 ans. Une étude éclaire quelque peu ce sujet, bien qu’elle ne concerne pas l’usage régulier des substances, mais leur initiation. L’étude prospective menée par Chilcoat et al. (11) auprès de 717 enfants de la population générale entre la naissance et 11 ans, est d’autant plus précieuse qu’elle dépiste à la fois le premier usage de substances psychoactives (marijuana, alcool, tabac, inhalants), l’hyperactivité et l’existence de troubles externalisés (agressivité, passages à l’acte, comportement disruptifs). Tous les enfants qui ont consommé, au moins une fois, l’un de ces produits avant 11 ans ont été recensés ; ils représentent 19 % de l’ensemble. L’alcool et le tabac sont largement Le Courrier des addictions (2), n° 4, décembre 2000 148 prépondérants, la marijuana et les inhalants marginaux (1 et 4 %). L’étude montre nettement que l’existence d’une hyperactivité à 6 ans augmente le risque d’un premier usage de substances avant 11 ans ; le facteur multiplicatif est de 1,7. Le degré de surveillance parentale et l’usage de drogue dans l’entourage sont également des facteurs significatifs augmentant le risque. L’existence de troubles externalisés, surtout quand ils atteignent une grande sévérité, accroît aussi ce risque. Lorsque leur sévérité n’est que moyenne, les troubles externalisés ne jouent de façon mesurable que s’ils accompagnent une hyperactivité. L’hyperactivité, aggravée ou non par des troubles externalisés sévères, est donc un facteur qui détermine précocement et pour une part importante – mais non pas comme facteur unique – le premier contact avec les substances psychoactives. Après ce premier contact, les facteurs d’évolution vers un usage régulier restent à éclaircir. Qu’en est-il de la consommation de substances psychoactives plus tard, à l’adolescence, chez les hyperactifs ? Différentes études ont recherché la prévalence de cette consommation chez les adolescents hyperactifs, comparés à des populations contrôles appariées. August et al. (1) rapportent un taux de 15 % chez des adolescents hyperactifs de 14 ans ; Manuzza et al. (19, 28) 20 % à 18 ans ; Weiss et al. (38) 15 % à 19 ans. La conclusion essentielle est qu’aucune de ces études ne révèle de différence significative d’avec les sujets appariés non hyperactifs. Alcool, tabac, marijuana et inhalants sont les drogues les plus fréquemment consommées par les adolescents hyperactifs comme par les autres, avec la même prévalence (4, 16). Seul le tabac semble faire exception à l’adolescence, en étant plus consommé par les hyperactifs que dans la population générale, comme le montrent plusieurs études concordantes. C’est ainsi que chez des adolescents de 15 ans hyperactifs, 48 % s’adonnent au tabac, contre 27 % des non hyperactifs (2). Chez des adolescents de 17 ans, 46 % des hyperactifs fument quotidiennement, contre 24 % des contrôles non hyperactifs (26). Dans une étude menée par Disney et al. (16) sur un très large échantillon en population générale (1 252 adolescents, 626 paires de jumeaux, âge moyen 17 ans), la nicotine ressort comme la seule substance Mise s au p oint Mise s au p oint psychoactive pour laquelle l’hyperactivité constitue un facteur de risque significatif de dépendance chez les adolescents, et, il faut le souligner, indépendamment de l’existence d’un trouble comorbide comme le trouble des conduites. En résumé, à l’exception notable du tabac, aucune étude n’a donc montré, jusqu’à présent, une prévalence de la consommation (et des addictions) des substances psychoactives, plus élevée chez les enfants et les adolescents hyperactifs comparés à la population générale, alors que c’est le cas chez les adultes, comme on l’a vu. Plusieurs explications peuvent être avancées, les unes qui impliquent les pathologies psychiatriques comorbides à l’hyperactivité, les autres qui s’intéressent à des processus encore très mal connus intervenant lors du passage de l’adolescence au jeune âge adulte. L’hyperactivité, facteur de risque indépendant pour les addictions ? De nombreuses études ont montré, sans controverse, que l’hyperactivité est fréquemment associée à d’autres troubles psychiatriques comorbides. L’hyperactivité, dès l’enfance et l’adolescence, est associée au trouble des conduites, plus souvent que dans la population générale, et, à l’âge adulte, à la personnalité antisociale, phénomènes dont on suspecte le rôle dans le développement des addictions. Deux études illustrent cette comorbidité à l’âge adulte : dans la première, à l’âge moyen de 25 ans, dans une proportion notable, les hyperactifs (23 % contre 2 % chez les témoins) présentent une personnalité antisociale (38). Dans la seconde, parmi 239 hyperactifs adultes, 24 % ont un trouble des conduites (contrôles 5 %), et 17 % une personnalité antisociale (contrôles 6 %) (5). La comorbidité psychiatrique des enfants hyperactifs ne se limite pas au trouble des conduites, mais comprend aussi les troubles anxieux et les troubles de l’humeur, dont on sait qu’ils augmentent à eux seuls le risque de troubles liés à l’usage de substances psychoactives, aussi bien chez les enfants que chez les adolescents et les adultes (8, 40). Savoir quelle est la part propre à l’hyperactivité et celle qui revient à ces troubles psychiatriques comorbides, dans le développe- ment de la consommation/abus de substances psychoactives, est un enjeu important sur les plans du diagnostic, du traitement et de la prévention. La responsabilité de la comorbidité psychiatrique dans les risques de développement d’une addiction aux substances psychoactives doit donc être précisément recherchée chez les enfants et les adolescents hyperactifs (41). C’est l’objectif de l’étude prospective menée par Biederman et al. (4), qui évalue également la part des facteurs d’adversité psychosociale tels que l’existence d’une psychopathologie parentale ou de conflits familiaux. Pour cela, les auteurs comparent 140 enfants puis adolescents hyperactifs et 120 sujets contrôles appariés, suivis sur une durée de 4 ans (âge moyen de départ, 10 ans : 6, et au suivi, 14 ans : 4). Ils parviennent à une série de conclusions intéressantes que nous résumerons. Comme dans les études déjà rapportées précédemment, celle-ci ne laisse apparaître aucune différence significative entre les adolescents hyperactifs et les contrôles, que ce soit dans les taux d’abus et de dépendance, concernant l’alcool et les autres drogues étudiées. Hyperactifs et contrôles ont des taux voisins de ce qui est rapporté habituellement dans la littérature. Il n’y a aucune différence entre hyperactifs et non hyperactifs quant au choix de la substance. Dans les deux groupes, les drogues les plus utilisées sont l’alcool, le tabac, la marijuana, suivis par les hallucinogènes, et, loin derrière, les stimulants y compris la cocaïne. Pour ce qui concerne la comorbidité psychiatrique, dans cette étude, c’est la présence du trouble des conduites qui prédit la survenue de troubles liés à l’usage de substances psychoactives, indépendamment de l’existence d’une hyperactivité. Les troubles bipolaires, eux aussi, prédisent la survenue de ces troubles, qu’il existe ou non une hyperactivité. Mais aucun lien n’est retrouvé avec les troubles anxieux et la dépression unipolaire, peut-être à cause du jeune âge de l’échantillon étudié. Le trouble oppositionnel avec provocation, en l’absence de trouble des conduites, n’augmente pas non plus le risque de troubles liés à l’usage de substances psychoactives. L’étude de Biederman et al. (4) montre également le rôle important des facteurs liés à l’environnement familial : l’existence, dans l’entourage familial, d’une dépendance aux psychotropes et de troubles antisociaux, est associée à un risque plus élevé de troubles liés à l’usage de substances psychoactives. 149 Toutefois, les antécédents familiaux d’hyperactivité ne constituent pas un facteur de risque pour de tels troubles. Cette étude souligne donc clairement le rôle de la pathologie antisociale, tant chez le patient lui-même que dans sa famille, comme facteur de risque de troubles liés à l’abus de substances psychoactives à l’adolescence. Dans son enquête, déjà citée, sur un large échantillon d’adolescents en population générale (1 252 sujets), Disney et al. (16) confirment que, chez les adolescents, c’est le trouble des conduites et non l’hyperactivité qui prédit significativement l’addiction aux substances psychoactives (à l’exception du tabac). Le trouble des conduites n’est pas le seul trouble comorbide à l’hyperactivité susceptible de jouer un rôle aggravant pour la consommation de tabac à l’adolescence. Ainsi l’hyperactivité ressort dans l’étude Milberger (31) comme facteur prédictif d’une initiation plus précoce au tabac chez les adolescents, particulièrement quand il y a comorbidité avec un trouble des conduites, mais également avec la dépression majeure et les troubles anxieux. Dans une étude sur l’abus de substances chez de jeunes délinquants toxicomanes, Riggs et al. (33) montrent que la sévérité de la dépendance à la nicotine est liée à l’hyperactivité mais aussi à la dépression majeure. De même, dans une des rares études consacrées spécifiquement à la dépendance alcoolique chez les adolescents et qui tiennent compte de la comorbidité psychiatrique, les adolescents avec une dépendance alcoolique (133 patients) ont plus fréquemment une hyperactivité associée à un trouble opposant et à un trouble des conduites, mais aussi une dépression majeure et un syndrome de stress posttraumatique, comparés à des contrôles. Une polytoxicomanie avec cannabis et hallucinogènes est très fréquente (12). Enfin, dans une étude menée, non plus chez des adolescents mais chez des adultes hyperactifs, Wilens et al. (42) observent également que le trouble des conduites et le trouble bipolaire augmentent le risque d’installation précoce d’une addiction aux substances psychoactives. Le rôle de la comorbidité psychiatrique associée à l’hyperactivité apparaît donc primordial. Elle peut expliquer comment, chez des adolescents hyperactifs pour lesquels toutes les études montrent qu’ils n’ont pas de prévalence accrue d’addiction aux substances psychoactives (sauf au tabac) une fois parvenus à l’âge adulte, la prévalence de l’abus/dépendance augmente. Mise s au poin t Mise s au p oint t n Mise s au p oi Le rôle propre de l’hyperactivité dans l’installation de l’abus/dépendance C’est dans la chronologie de l’installation de l’addiction aux substances psycho-actives que certains auteurs croient pouvoir décrire des particularités spécifiques aux hyperactifs, même indemnes de troubles psychiatriques comorbides. Ainsi Biederman (4) souligne que l’hyperactivité chez les adolescents raccourcit significativement le délai entre l’installation de l’abus et celle de la dépendance : 1,2 an chez les hyperactifs, contre 3 ans chez les sujets contrôles. Bien qu’elle ne soit pas un facteur de risque indépendant pour l’installation d’une addiction aux psychotropes, l’hyperactivité peut, néanmoins, accélérer l’aggravation de la consommation de substances chez les adolescents qui s’y livrent. De même, dans un centre de traitement d’adolescents pour abus de substances, Horner et al. (23) constatent que les hyperactifs ont commencé à un âge plus jeune, ont une consommation plus sévère et un besoin plus obsédant des drogues que les autres. Enfin, chez les hyperactifs indemnes de comorbidité avec un trouble des conduites ou un trouble bipolaire, bien qu’aucune donnée épidémiologique concrète n’ait encore été publiée à ce sujet, nombre d’auteurs sont conduits à penser que c’est lors du passage de l’adolescence à l’âge adulte que se produit une augmentation de la prévalence des troubles liés à l’abus de drogue. En résumé, les études actuelles permettent de distinguer, au moins provisoirement, d’une part, les adolescents hyperactifs chez qui la comorbidité psychiatrique avec des troubles des conduites, thymiques et anxieux, conduirait à un risque accru d’entrée dans l’abus dès l’adolescence, et, d’autre part, les adolescents hyperactifs sans comorbidité psychiatrique, qui présentent, quant à eux, un risque accru d’installation de l’abus au début de l’âge adulte et un risque d’aggravation plus rapide de celui-ci, comparé à la population générale. cité des travaux nombreux, variés et riches d’enseignement. Khantzian (24) avait émis l’hypothèse de “l’automédication” comme facteur d’addiction, selon laquelle les hyperactifs seraient préférentiellement attirés par la cocaïne qui améliorerait l’attention et diminuerait l’impulsivité. C’est une question d’autant plus importante que la consommation de cocaïne s’étend dans certains pays (39). Mais rien dans les enquêtes menées à ce jour n’est venu justifier cette opinion. Rappelons que, chez les adolescents hyperactifs, la cocaïne et les stimulants ne suscitent aucune consommation préférentielle (2, 4). De même, les observations de Biederman et al. (3), sur un groupe de 120 adultes hyperactifs, et de Manuzza et al. (30), sur une cohorte de 85 adultes hyperactifs suivis depuis l’enfance, montrent que l’addiction aux stimulants et à la cocaïne est très marginale. Les études menées auprès de groupes de toxicomanes adultes confirment l’absence de préférence des hyperactifs pour la cocaïne. Parmi 136 patients adultes hospitalisés pour dépendance (alcool, cocaïne, cocaïne + alcool), un tiers remplissent les critères d’hyperactivité dans l’enfance, mais chez ceux-ci, aucune préférence pour la cocaïne ne ressort, par comparaison avec les non-hyperactifs (13). De même, dans l’étude de Schubiner et al. (34) portant sur 201 patients traités pour dépendance, les hyperactifs ne montrent aucune préférence pour la cocaïne, comparés aux patients non hyperactifs. L’hypothèse de l’automédication comme facteur d’addiction à la cocaïne chez les hyperactifs reste donc, à l’heure actuelle, purement théorique, sans confirmation épidémiologique. De surcroît, dans l’étude de Levin et al. (27) menée chez des cocaïnomanes traités, les trois quarts de ceux qui présentent également une hyperactivité rapportent que la cocaïne “aggrave leurs difficultés” à cet égard. Mise s au poin t Existe-t-il des drogues privilégiées chez les hyperactifs ? L’existence éventuelle de substances privilégiées, chez les adultes hyperactifs, a sus- Méthylphénidate et addiction aux substances psychoactives Il s’agit du rôle attribué, par certains, au traitement psychostimulant comme facteur de risque de développement des addictions aux substances psychoactives. Historiquement, c’est avant la Seconde Guerre mondiale que l’on s’est aperçu que Le Courrier des addictions (2), n° 4, décembre 2000 150 les psychostimulants amélioraient les symptômes d’hyperactivité : il s’agissait d’amphétamines dont l’usage dans la toxicomanie est abondamment prouvé. Depuis plus de trente ans, un autre psychostimulant est également utilisé, le méthylphénidate (Ritaline®), qui connaît un succès remarquable et constitue de très loin la molécule la plus employée. L’essor du traitement pharmacologique de l’hyperactivité chez l’enfant nécessite d’établir si l’exposition aux traitements psychostimulants chez les jeunes hyperactifs peut conduire à un abus de la substance prescrite ou constituer une porte d’entrée vers l’utilisation d’autres drogues. Des éléments de réponse de plus en plus nombreux invalident cette crainte qu’aucune évidence concrète ne vient appuyer. Au chapitre des cas cliniques, la littérature sur l’usage abusif du méthylphénidate ne comprend qu’un nombre extrêmement restreint d’exemples d’abus, le plus souvent chez des adultes polytoxicomanes. À l’inverse d’autres substances psychoactives, cette molécule n’est pas recherchée par les toxicomanes, peutêtre parce qu’elle ne produit pas d’effet euphorisant (37). De même, l’abus de méthylphénidate par des patients hyperactifs chez qui le médicament a été régulièrement prescrit est considéré comme exceptionnel. Seuls trois cas ont été rapportés par la littérature, ce qui est infime en regard de la population traitée qui s’élève à des millions de jeunes patients (18). Comme on l’a indiqué, aucune étude ne montre d’usage préférentiel des stimulants chez les hyperactifs consommateurs de drogue, dont pourtant une proportion croissante a été traitée par ces molécules dans l’enfance. Parmi les hyperactifs traités pharmacologiquement, les enquêtes contrôlées, consacrées à la prévalence la consommation de drogue, sont encore trop peu nombreuses mais vont toutes dans le même sens. Hechtman (22) ne rapporte aucune donnée épidémiologique suggérant que l’exposition aux psychostimulants dans l’enfance ou à l’adolescence soit un facteur prédictif de consommation abusive ultérieure de substances psychoactives. Chilcoat et al. (11) n’observent aucun lien entre traitement psychostimulant et risque d’usage de drogue. Parmi la cohorte d’enfants qu’ils suivent en population générale, le risque d’usage de drogue (consommation, au moins une fois, d’alcool, tabac, Mise s au p oint Mise s au p oint Quelle relation entre tabagisme des adolescents et dépression ? ment par méthylphénidate des adultes hyperactifs et consommateurs de cocaïne. Levin et al. (27) montrent, dans une étude ouverte, que ce traitement peut réduire à la fois l’hyperactivité et l’usage de cocaïne. Il peut exister également un usage des stimulants hors d’une prescription médicale contrôlée, avec un mode d’utilisation de type expérimental et occasionnel. Sa prévalence estimée aux États-Unis à 1 %, demeure stable depuis une dizaine d’années à travers les enquêtes qui lui sont consacrées dans ce pays (20). En conséquence, un ensemble de recommandations ont été formulées en direction des médecins prescripteurs, des familles et des écoles concernant les adolescents traités, souvent à risque de déviances antisociales (44) : rechercher systématiquement un abus de substance chez le patient et dans sa famille et avertir celle-ci des risques de détournement possible du produit. Conclusion L’existence d’une hyperactivité dans l’enfance entre certainement parmi les facteurs prédictifs d’un risque accru d’addiction aux substances psychoactives à l’âge adulte. Mais les voies qui conduisent de l’une à l’autre sont complexes, et il n’y a pas de continuité directe, chez les hyperactifs, entre le premier contact avec les substances Brèv Brèv s Brèv es èv es r B s e e marijuana, inhalants) est le même chez les hyperactifs traités et non traités. L’étude prospective en population générale de Lambert et al. (26) ne montrent une augmentation associée au traitement psychostimulant chez les enfants hyperactifs que pour le tabac. Enfin, Biederman et al. (6) démontrent que le traitement psychostimulant peut constituer, au contraire de ce qui est redouté, un facteur de diminution du risque de développement d’une toxicomanie chez les patients hyperactifs. Dans leur étude où des hyperactifs sont suivis pendant quatre ans, comparés à des témoins, deux tiers reçoivent un traitement le plus souvent psychostimulant, un tiers non. Chez ces patients, dont l’âge moyen est 17 ans, le traitement, d’une durée moyenne de 4 ans et demi, entraîne une réduction de 85 % du risque de trouble lié à l’usage de substances psychoactives. Toutes les données connues à l’heure actuelle montrent donc que le traitement de l’hyperactivité par psychostimulants, depuis l’enfance jusqu’à la tranche d’âge charnière entre adolescence et âge adulte, ne constitue pas un facteur de risque pour une addiction ultérieure aux substances psychoactives et pourrait, au contraire, être un facteur protecteur. Chez les adultes traités eux-mêmes par psychostimulants, une indication à ce sujet provient des études consacrées au traite- On avance couramment que, chez les adolescents, la dépression favorise le tabagisme. Cependant, une étude américaine publiée en octobre 2000 dans Pediatrics semble montrer qu’il convient d’inverser la relation. Menée auprès de 8 704 adolescents non dépressifs un an auparavant, elle paraît établir le tabagisme comme “le plus fort facteur prédictif ” du développement de symptômes dépressifs. Les sujets non dépressifs au début de l’étude se sont avérés quatre fois plus susceptibles de développer une dépression si, un an après, ils étaient devenus fumeurs modérés ou gros fumeurs. Pour le Dr E. Goodman, du Children’s Hospital Medical Center de Cincinnati, l’impact cérébral de la nicotine ou d’autres substances contenues dans les cigarettes pourrait être responsable de l’apparition de cette symptomatologie. Elle déclare en outre : “L’efficacité des antidépresseurs dans l’arrêt du tabac, indépendamment de l’existence d’une dépression passée ou présente, fournit un argument supplémentaire pour cette hypothèse”, soulignant que “des symptômes dans l’enfance ou l’adolescence, et les conduites addictives à l’âge adulte. Les pathologies psychiatriques comorbides jouent un grand rôle dans la survenue des addictions – le trouble des conduites en premier lieu – mais aussi les troubles thymiques et anxieux. L’hyper-activité, quant à elle, pourrait jouer un rôle plus spécifique dans la chronologie des étapes qui conduisent de l’expérimentation à la dépendance, ainsi que dans la sévérité de la toxicomanie. Certains lieux communs se trouvent contredits : ainsi, les adolescents hyperactifs n’ont pas un risque accru d’addiction aux substances psychoactives, à l’exception notable du tabac. De même, le traitement de l’hyperactivité par psychostimulants, loin d’augmenter le risque d’addiction, pourrait au contraire le réduire. Rien ne confirme que l’addiction à la cocaïne soit une “automédication” courante chez les hyperactifs. La substance qui semble bénéficier d’une attirance privilégiée chez les hyperactifs est la nicotine, ce qui n’est pas sans fondement neurobiologique ni conséquence thérapeutique. Mais un vaste domaine reste encore peu défriché : celui de l’évolution des conduites addictives parmi les adultes chez qui le syndrome d’hyperactivité persiste à un degré invalidant. Mise s au poin t dépressifs importants n’étaient pas prédictifs de la progression du tabagisme dans cette étude”. S.B. Les associations d’anciens buveurs Le concept des Alcooliques anonymes a été introduit en France par l’écrivain Joseph Kessel, mouvement nord-américain prônant un type de thérapie comportementaliste en douze étapes dont le but est la prise en charge de sa dépendance par le buveur lui-même. Cette association d’entraide, dont la finalité est l’abstinence, qui a d’ailleurs son pendant auprès des toxicomanes (Narcotiques anonymes), des joueurs pathologiques (Joueurs anonymes), des acheteurs compulsifs (Acheteurs anonymes), etc. n’est pas seule. D’autres associations “néphalistes” fournissent une aide non-médicalisée, reconnue, aux malades. Alcooliques anonymes : 01 43 25 75 00 – Vie libre : 01 47 39 40 80 Croix-d’or : 01 47 70 34 18 – Croix bleue : 01 42 85 30 74 – Alcool écoute : 01 43 36 83 99 e Brèv s Brè ves 151 F.A.R. t n i s e M s au p oi t n i Mise s au p o Références.bibliographiques 1. August GJ, Stewwart MA, Holmes CS. A four-year follow-up of hyperactive boys with and without conduct disorder. Br J Psychiatry 1983 ; 143 : 192-8. 2. Barkley RA, Fischer M, Edelbrock C et al. The adolescent outcome of hyperactive children diagnosed by research criteria : I. An 8–year prospective follow-up study. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1990 ; 29 (4) : 546-57. 3. Biederman J, Wilens T, Mick E. Psychoactive substance use disorders in adults with attention deficit hyperactivity disorder : effects of ADHD and comorbidity. Am J of Psychiatry 1995 ; 152 (11) : 1652-8. 4. Biederman J, Wilens T, Mick E et al. Is ADHD a risk factor for psychoactive substance use disorders ? 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