"Le Parlement, kaléidoscope de l`Union" dans Le Figaro

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"Le Parlement, kaléidoscope de l`Union" dans Le Figaro
"Le Parlement, kaléidoscope de l'Union" dans Le Figaro (14 juin 2004)
Légende: À la suite des élections européennes des 10 et 13 juin 2004, le quotidien français Le Figaro retrace l'évolution
des pouvoirs grandissants attribués au Parlement européen. Dans le même temps, il évoque les répercussions budgétaires
d'une Union élargie à 25 États membres sur cette «énorme machine» qu'est le Parlement européen.
Source: Le Figaro. 14.06.2004. Paris: Le Figaro. "Le Parlement, kaléidoscope de l'Union", auteur:Jacquemart, Claude ,
p. 8.
Copyright: (c) Le Figaro
URL: http://www.cvce.eu/obj/le_parlement_kaleidoscope_de_l_union_dans_le_figaro_14_juin_2004-fr-223125ef11d0-411e-a6e1-a36804c5fae0.html
Date de dernière mise à jour: 27/05/2014
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Le Parlement, kaléidoscope de l'Union
« Le plus grand Parlement démocratique du monde » : c'est ainsi que Nicole Fontaine décrit le
Parlement européen dont elle fut la présidente pendant 30 mois, durée constitutionnelle de cette
fonction. Jusqu'à ce jour, 626 députés élus au suffrage universel y représentaient une Europe de 15
Etats et de 330 millions d'habitants. Demain, ils seront 732, représentant 25 Etats peuplés de 450
millions d'habitante. Un colosse démographique, derrière la Chine et l'Inde, mais largement devant la
Fédération de Russie et les Etats-Unis. Comment fonctionnera cette assemblée ?
Claude Jacquemart
D'abord, à quoi sert le Parlement européen ? Héritier de l'« Assemblée commune » créée en 1951 par le
traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l'acier (Ceca), il n'a longtemps été qu'une sorte
de chambre d'enregistrement, doté d'un simple rôle consultatif. Nicole Fontaine écrit à ce propos : « Perçu
comme une assemblée lointaine, visionnaire, sans pouvoir réel, le Parlement européen a constamment été
utilisé par les dirigeants politiques français de tous les partis comme un cimetière d'éléphants, le refuge de
recalés d'un scrutin national ou la pépinière de jeunes espoirs envoyés là pour y rester... le moins longtemps
possible »(1). Elle cite aussi ce mot d'Hervé de Charette, alors ministre des Affaires étrangères : « Ce
Parlement européen qui n'a de Parlement que le nom... »
En quoi d'ailleurs Hervé de Charette n'avait pas tort puisqu'un Parlement, par nature, doit être doté du
pouvoir législatif, notamment en matière financière, et que l'Assemblée européenne - terme beaucoup plus
exact en l'occurrence - fut longtemps privée d'un tel pouvoir. Par surcroît, ses membres, n'étant que les
délégués des Parlements nationaux, ne pouvaient se prévaloir de la qualité de parlementaires à part entière.
Beaucoup de « députés » européens de la première génération n'ont laissé aucune trace dans l'histoire.
Les choses ont évolué par étapes. La première, ce fut l'élection du Parlement européen au suffrage universel
direct, en juin 1979. Désormais, celui-ci dispose de trois pouvoirs fondamentaux qui l'apparentent au
Parlement national de tout Etat démocratique :
- le pouvoir législatif. Le Parlement européen participe à l'élaboration des directives et règlements
applicables dans tous les pays de l'Union ;
- le pouvoir budgétaire. Le Parlement européen adopte ou rejette le budget de l'Union, après discussion avec
les deux autres piliers de l'architecture européenne que sont le Conseil des ministres et la Commission ;
- le pouvoir de contrôle de l'action des autres institutions, Commission et Conseil des ministres, et des
politiques mises en œuvre dans l'Union.
Dans les premiers temps, les gouvernements nationaux et ceux qu'il est convenu d'appeler les « eurocrates »,
autrement la Commission de Bruxelles et la myriade de fonctionnaires gravitant autour d'elle, ont eu
tendance à traiter par-dessus la jambe la volonté émancipatrice du Parlement européen. Mais ce dernier a su
prouver qu'il existe, allant même jusqu'à provoquer, en 1999, la démission en bloc de la Commission
présidée alors par le Luxembourgeois Jacques Santer.
« Progressivement, le Parlement européen devient un Parlement au sens classique du terme », affirme
l'Irlandais Pat Cox, qui a succédé à Nicole Fontaine au « perchoir » de l'Assemblée européenne. En allant
donc jusqu'à la censure de l'exécutif, comme cela s'est produit il y a cinq ans. Ayant appris l'existence de
fraudes et d'irrégularités dans l'exécution du budget 1996, l'équipe de Jacques Santer ne répondant à leurs
questions que de manière dilatoire, les députés européens demandèrent à un comité d'experts d'enquêter sur
ces irrégularités. Le 15 mars, ce comité rendit un rapport dans lequel les procédés douteux de la Commission
de Bruxelles étaient mis en évidence. Du coup, le Parlement refusa son quitus pour l'exécution du budget
1996, et les commissaires européens en furent réduits à démissionner en bloc.
Comme tout projet émane de la Commission, le Parlement européen ne peut imposer ses propres lois. Son
travail législatif est cependant considérable, d'autant que le traité de Maastricht de 1992, complété en 1997
par celui d'Amsterdam, a institué la procédure de codécision qui permet aux députés européens de légiférer à
égalité avec le Conseil des ministres pour la plupart (80 % selon les experts) des textes communautaires. Au
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cours de la législature qui s'achève, pendant cinq années par conséquent, les députés européens ont adopté
pas moins de 403 textes qui, selon les traités, doivent avoir force de loi, à plus ou moins long terme, dans
l'ensemble des Etats membres de l'Union. Ces directives embrassent, au grand dam des souverainistes, un
nombre croissant de problèmes touchant au plus près la vie des citoyens de l'Union ; pollution terrestre ou
maritime, protection des consommateurs (l'étiquetage des OGM dans les centrales de distribution est entré
en vigueur à la suite d'un vote du Parlement européen), sauvegarde des oiseaux migrateurs. En règle
générale, le Parlement entérine les projets préparés par la Commission.
Mais il arrive aussi au Parlement de se rebiffer. Ainsi, au cours de la dernière législature, en 2001, a-t-il
repoussé un texte d'inspiration libérale - approuvé par le Conseil des ministres de l'Union - favorisant, dans
le domaine sensible des offres publiques d'achat (OPA), les détenteurs du capital des entreprises. De la
même façon, deux ans plus tard, s'est constituée une majorité, pilotée par les eurodéputés socialistes,
communistes et Verts, pour torpiller une directive qui tendait à soumettre les services portuaires aux lois de
la concurrence, en autorisant les équipages des navires à se substituer aux dockers pour le déchargement des
bateaux. Nicole Fontaine observe que, « dans presque tous les domaines qui relèvent de la compétence
communautaire, aucun texte législatif ne peut voir le jour sans l'accord formel du Parlement européen ».
Avancée fondamentale: en application du traité de Nice de décembre 2000. Le Parlement européen issu des
élections de ce 13 juin aura la possibilité d'accepter ou de rejeter la nomination du futur président de la
Commission. Ainsi se trouvera institutionnalisé le droit de censure déjà appliqué en fait contre Jacques
Santer en 1999. Déjà, tous les nouveaux commissaires, désignés par les gouvernements nationaux, doivent
recevoir l'investiture du Parlement. La durée de leur mandat - cinq ans - est d’ailleurs égale à celle de ce
dernier. Le Parlement européen peut mettre en place des commissions d'enquête, comme il l'a fait dans
l'affaire de la vache folle ou à propos de la marée noire provoquée par le Prestige.
Notons enfin que le Parlement européen agit comme une sorte de caisse de résonance pour les grands débats
de société ou les grands sujets de politique internationale. A ce sujet, le président Pat Cox observait dans une
interview publiée dans Le Monde du 25 mai dernier : « Tout Parlement qui refuserait de débattre de l'Irak
ne serait pas une tribune des peuples et ne mériterait pas de les représenter. » Ces débats, au demeurant,
constituent une sorte d'exécutoire, sans portée réelle sur tes événements.
Une nouvelle étape devrait être franchie avec l'éventuelle adoption du projet de Constitution européenne
préparé par la Convention réunie sous la houlette de Valéry Giscard d'Estaing, projet dont débattra le
Conseil européen les 17 et 18 juin prochains et que chaque pays de l'Union sera ensuite appelé à ratifier. La
procédure de codécision serait élargie au bénéfice du Parlement Le droit de regard de ce dernier sur le
budget communautaire serait élargi aux dépenses dites obligatoires, pour lesquelles seul le Conseil des
ministres a jusqu'à présent pouvoir de décision. Enfin, le président de la Commission ne serait plus nommé
par le Conseil. Le candidat au poste serait proposé par le Conseil en fonction des tendances politiques
dégagées par les élections au Parlement, et ne pourrait être officiellement investi après un vote positif des
eurodéputés.
Le Parlement européen, c'est évidemment une énorme machine. Un « objet votant non identifié » selon
l'amusante formule de l'un de ses vice-présidents, Gérard Onesta (Verts). Aux 732 députés que comptera la
nouvelle assemblée doivent être ajoutes les assistants parlementaires, les secrétaires, les fonctionnaires. Soit
plusieurs milliers de personnes disposant de trois lieux de travail : Bruxelles. Luxembourg et Strasbourg.
Car si le siège officiel du Parlement se trouve dans la capitale alsacienne, où se tiennent les sessions
plénières ordinaires, des additionnelles sont organisées dans la capitale belge où se réunissent aussi les
commissions parlementaires et les groupes politiques. Quant au secrétariat général du Parlement européen, il
est installé à Luxembourg. Pas simple !
La logique voudrait que toutes les institutions européennes soient regroupées en un même lieu - Bruxelles en
l'occurrence. Aussi la France s'est constamment battue, notamment contre les Britanniques, pour que le siège
du Parlement européen demeure officiellement à Strasbourg. Finalement, la « bataille du siège », comme on
l'appelle ordinairement, s'est soldée par un compromis réalisé en 1992 au Conseil européen d'Edimbourg:
même si l'essentiel du travail s'accomplit à Bruxelles, c'est à Strasbourg que demeure le siège du Parlement
Pour autant, les adversaires de Strasbourg n'ont pas désarmé. C'est ainsi qu'en 2002, à l'occasion du 50e
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anniversaire du Parlement, les eurodéputés conservateurs britanniques ont diffusé un rapport soulignant avec
pragmatisme que les dépenses liées à la dispersion des activités de l'Assemblée entre Bruxelles, Strasbourg
et Luxembourg, pouvaient être évaluées à 169 millions d'euros par an, chiffre porté à 203 millions par
l'élargissement à 25.
C'est un spectacle assez surréaliste que celui des fonctionnaires et des attachés parlementaires quittant
Bruxelles, une fois par mois, pour rejoindre à Strasbourg les eurodéputés venus de toute l'Europe. D'autant
que les sessions plénières, dans la capitale alsacienne, ont été réduites en 2001 de cinq à quatre jours. Après
quoi, chacun quitte l'immense palais de verre et d'acier abritant à Strasbourg le Parlement européen pour
rejoindre son pays d'origine ou Bruxelles. Le chancelier Kohl qualifia un jour de « moloch » une
administration européenne protéiforme et irresponsable. Nicole Fontaine raconte sa propre expérience : « II
me fallait des semaines pour obtenir que l'on me dise avec précision où arrivait le courrier. »
Avec le nouvel élargissement, entraînant l'inflation du nombre des parlementaires et du personnel
administratif, d'autres problèmes vont nécessairement se poser. Le Figaro du 13 avril dernier abordait celui
de la langue. On parlait 11 langues dans l'Europe des Quinze; on en parlera 9 de plus dans l'Europe des
Vingt-Cinq. Or l'Union applique le principe que toutes les langues sont égales, et chaque député européen
peut donc s'exprimer ou écouter les interventions des autres dans sa langue maternelle. Le coût du
multilinguisme va donc s'élever à plus d'un milliard d'euros par an, contre 700 ou 800 millions actuellement
Ce problème des langues a d'ailleurs suscité des incidents pittoresques dans le passé. Maurice Mestat, ancien
directeur et chef du protocole au Parlement européen, rapporte dans ses Mémoires et libres propos, publiés
en 2001, qu'un parlementaire s'avisa un jour d'intervenir en séance plénière en latin, en faisant valoir que
cette langue était celle de tous les lettrés du Moyen Âge. Un autre élu lui répondit dans la même langue,
avant que le président de séance ne mette fin à une joute oratoire qui était en train de faire perdre aux
interprètes leur... latin.
C'était, faut-il le préciser, avant l'élargissement à 25. Et déjà se profilent les soucis que causera aux
interprètes l'usage du maltais ou du slovène dans les enceintes de Bruxelles et de Strasbourg, même si
l'anglais est devenu, au détriment lent mais sûr du français, la langue usuelle des assemblées internationales.
Globalement, les frais de gestion de l'énorme machinerie engendrée par le Parlement européen vont pouvoir
qu'augmenter. Avec d'inévitables risques de dérapage. Nous avons déjà dit que la Commission européenne
présidée par Jacques Santer avait dû démissionner en 1999. En 2000, le contrôleur financier du Parlement,
l'Irlandais Eoghan O'Hannrachain, remettait à sa présidente, Nicole Fontaine, un rapport mettant en évidence
des anomalies dans la gestion du « moloch ». Nominations abusives, laxisme immobilier, favoritisme et
opacité dans l'attribution des contrats de maintenance.
Les eurodéputés, ou du moins nombre d'entre eux, ne sont pas les derniers à tirer parti des avantages liés à
leur mandat Officiellement, ils reçoivent une indemnité égale à celle des députés nationaux des pays
auxquels ils appartiennent, ce qui introduit entre eux, à la base, une forte inégalité. Ils avaient tenté en
décembre 2003 de supprimer celle-ci en accordant à tous les élus de leur Assemblée une indemnité brute de
8600 euros. Les États membres de l'Union ont opposé leur veto à une réforme jugée trop coûteuse.
Toutefois, au salaire de base s'ajoutent les indemnités journalières fournies par le Parlement - les « jetons de
présence » en quelque sorte - et les frais généraux (3 620 euros par mois), les frais de secrétariat (12 305
euros mensuels), le remboursement des frais de déplacement Un poste pour lequel le Parlement se montre
généreux et peu regardant, ce qui permet, par exemple, à tel eurodéputé français, vivant à longueur d'année à
Paris, de se faire domicilier à Perpignan et de se faire rembourser des frais de déplacement en conséquence,
ou à tel autre de prétendre qu'il est venu par la route - les frais de voiture étant largement pris en compte -,
alors que plusieurs témoins l'ont vu descendre d'un avion à Strasbourg ou à Bruxelles.
Les « europtimistes » diront qu'il s'agit du prix obligé de la démocratie.
(1) Mes combats , Plon, 2002.
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