Le magazine HEC au féminin
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Le magazine HEC au féminin
Le Magazine HEC Au Féminin n° 61 La valeur de "l'échec" après une aventure entrepreneuriale...ou salariale Le Magazine est envoyé par courrier électronique à toutes les diplômées d’HEC Paris (Grande Ecole, MBA, Executive MBA, Mastères et Docteurs), ainsi que les étudiantes du campus, les présidents des Groupements professionnels, des Clubs et des Groupes de régionaux et internationaux. Nous vous invitons également à aller découvrir le blog Trajectoires HEC AU Féminin à l’adresse ci-dessous. Vous y retrouverez toutes les informations utiles sur les manifestations HEC Au Féminin, des interviews de femmes inspirantes, des compterendus d’événements : Trajectoires HEC Au Feminin Dans ce numéro, vous trouverez les interviews de : Alain Nebout (MBA.87), Directeur d’HEC Carrières, HEC Alumni Louise Albertini, Directeur associé du cabinet Enjeux et Dirigeants Juliette Tournand, Coach, conférencière et auteur de "Secrets du Mental des navigateurs océaniques" et de "La Stratégie de la Bienveillance" Pascal Neveu, Psychanaliste Cristelle Ghekière (HJF.72), Chief Executive Officer de Seniosphère. Candidate Prix Trajectoire 2012 Emilie Gobin Mignot (H.09), co-fondatrice de l’Usine à Design, Lauréate du Prix jeune pousse pour l’Usine à Design, entrepreneur in residence à Numa Hélène de Saint-Front (H.10), co-fondatrice de Business Harmonist. Membre de l’équipe réseaux/événements de HEC Au Féminin Myriam Prot-Poilvet (H.98), Consultante et fondatrice - Prot-Poilvet Conseil Isabelle Capron (H.79), Vice Présidente Icicle Sanghai Fashion group Marie-Christine Caradopoulos (E.01), Facility Manager France, Honeywell SA Notre équipe de rédaction de ce numéro : Responsable du Magazine: Nathalie Halna du Fretay (H.86) La rédactrice en chef de ce numéro: Magali Bouges (M.12) Editorial Nathalie Zavidovique-Pakin (MBA02) Les rédactrices de ce numéro Magali Bouges (M.12), Bénédicte Cateland (H.97), Caroline Franceschetti (E.15), Nathalie du Fretay (H.86), Sophie Hollanders (M.07), Caroline Jumelle (H.02), Dominique Latrilhe (M.06), Sophie Resplandy-Bernard (H.92), Christine Rodrigues (E.15), Hélène de Saint-Front (H.10), Nathalie Zavidovique Pakin (MBA02) Sommaire Editorial .............................................................................................................. 3 Introduction ....................................................................................................... 5 Les Expert(e)s .................................................................................................... 7 Les Témoignages .............................................................................................. 15 Le coin Cultur’elle ............................................................................................. 23 Les associations ............................................................................................... 24 Les prochains événements HEC Au Féminin ...................................................... 25 2 ©Faïza Mebazaa Editorial L’échec est à la mode, les magazines d’économie en vantent les vertus, sa valeur d’apprentissage, son passage obligé sur le chemin de l’innovation… et pourtant… fondamentalement, la perception de l’échec est loin d’être toujours positive. En France, si la vague entrepreneuriale et l’aspiration croissante des générations X et Y à l’autonomie est en train de permettre une plus grande acceptation des aléas de la vie, en particulier professionnelle. Pour autant, cela reste teinté d’une aura bleutée. A titre d’exemple, ce n’est qu’en septembre 2014 que les 144 000 entrepreneurs figurant dans les listes de la Banque de France, car ayant fait faillite, ont été affranchis. Ils n’avaient avant cette date plus accès au financement tant personnel que professionnel. Dans certains milieux, d’innovation, d’entreprenariat, l’absence d’échec est au contraire suspecte. Car l’échec est la contrepartie de l’essai et donc de l’innovation. C’est en échouant et en travaillant sur cet échec que des Edison, Pasteur, Gates, Jobs, et autres ont construit leur réussite. L’échec est voisin du doute, de l’interrogation, de la remise en question. Accepter l’échec, c’est pouvoir prendre des risques et avancer. Toute décision 3 importante, personnelle comme professionnelle comporte un risque et une possibilité d’échouer. Pour autant, le pire reste de ne pas décider, de ne rien tenter. Certains font une analyse dite rationnelle, qui peut prendre la forme d’une SWOT ou autre, avant de choisir leur époux. Est-ce une bonne mitigation du risque ? Car le couple est par essence, une entreprise risquée, et pour autant largement pratiquée. Mais l’échec reste un peu honteux, on le cache, le pare d’un peu plus de rose. Certains le fuient, d’autres font avec, plus rares sont ceux qui l’accueillent. Et pourtant, l’échec, par la confrontation au réel de ses schémas mentaux entraine une prise de conscience, qui peut être brutale, de ses limites, des limites de ses modes de fonctionnement, voire de ses automatismes. Et oui, c’est douloureux avant toute chose. Pour autant, quand la personne peut regarder l’événement, quand elle arrive à s’interroger avec courage, sincérité et honnêteté, alors, il est possible non seulement d’en tirer les enseignements, mais surtout, de le dépasser, et de se rapprocher de sa vérité d’être humain. C’est le cadeau caché qui vient à la fin du processus de deuil, le moment où on se dit qu’on a traversé tout cela et que c’est bien ainsi. L’échec est un puissant moteur d’apprentissage, qui nous procure un peu plus de sagesse, un cadeau de la vie. Et le plus grand des échecs reste de ne pas essayer. L’échec est le fondement de la réussite. Lao-Tseu La véritable histoire d'un homme est celle de ses échecs. Le meilleur moyen de rencontrer l'échec consiste à le fuir. Robert Sabatier Le succès, c’est d’aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme. Winston Churchill La chute n’est pas un échec. L’échec c’est de rester là où on est tombé ! Socrate 4 Introduction Alain Nebout (MBA.87), Directeur d’HEC Carrières, HEC Alumni L’échec ? … une réussite différée ! Comment ne pas nous enrichir de l’analyse d’Alain Nebout qui, pendant 15 ans, a reçu dans son bureau pas moins de 7500 diplômés HEC. Alain nous livre ses réflexions…. Tranches de vie … Dans le premier âge de la vie (professionnelle), les échecs peuvent être mal vécus. La force du diplôme HEC donne en effet un « imperium de réussite ». Une petite voix intérieure indique au jeune diplômé qu’il doit réussir en tant qu’HEC. Et la réussite étant positive en soi, chacun court après, la réussite devient la loi commune. Si d’aventure, l’échec sanctionne ce premier parcours, l’incompréhension nait mais l’on se dit que c’est simplement un problème d’orientation et l’on ne se sent pas soi-même remis en cause. Certains jeunes pourtant sont très affectés de ne pouvoir trouver leur chemin rapidement, cela peut provoquer une déception d’eux-mêmes, même irrationnelle et une grande tristesse de ne pas pouvoir exprimer toute la valeur dont ils estiment être porteurs. Ces cas sont cependant peu nombreux et la réussite le plus souvent est là lors des premières années. Et c’est précisément à ce moment qu’il faut être vigilant car le risque existe de tomber d’un peu plus haut. Après 10 à 15 ans d’expérience professionnelle, dans l’économie actuelle, il est rare qu’une personne ne soit pas – ou n’ait pas - confrontée à une difficulté professionnelle. Les raisons d’un échec quand il a lieu sont souvent alors plus complexes. L’individu ne contrôle pas tout ni tout le temps ; il est dépendant de grandes transformations technologiques et économiques, d’évolutions imprévisibles de sa société, de son service…. L’échec s’il survient dans cette période de la trentaine, renvoie le plus souvent à la peur de ne pas savoir rebondir. Mais cet échec devient intéressant pour la personne car il est alors porteur d’une correction plus forte de sa trajectoire. Les personnes discernent bien les raisons exogènes de leur échec des raisons qui dépendent exclusivement d’elles-mêmes. Cela déclenche des interrogations plus personnelles. Certains se disent qu’ils ne veulent plus continuer dans la même direction, car « ce n’est plus eux », et veulent se recentrer sur ce qu’ils sont réellement, sur leurs désirs d’avenir aussi. D’autant plus qu’à cet âge, il est encore temps, on est adaptable, agile, avec un temps long devant soi pour réaliser un projet en accord avec ses convictions et ses compétences : on veut et on peut « trouver sa place ». Après 45 ans, les personnes apprennent à s’adapter et capitalisent sur leurs capacités de résilience pour trouver leur vraie place, mais de façon itérative. Cela prend du temps, 5 pour les hommes comme pour les femmes. Mais ces personnes, expérimentées, arrivent la plupart du temps à retrouver une voie plus personnelle et durable. Cette voie professionnelle est alors dégagée des « oripeaux » de la réussite professionnelle classique, pouvoir, argent, hiérarchie, visibilité, et se fonde sur les compétences et les goûts profonds de l’individu. Ma vérité ressentie… L’échec existe, il rend plus fort et plus vrai la plupart du temps. Il se révèle souvent in fine un facteur de succès. Nous l’avons dit, pour les HEC, il y a ce fameux imperium de réussite. Cela amène parfois le diplômé HEC à « forcer » sa nature : ça passe ou ça casse ! Et si cela casse c’est au fond souvent parce que ce diplômé HEC ne désire plus vraiment « rester » ce qu’il est devenu. Passées les premières années, les HEC qui viennent dans mon bureau ont envie d’être au plus près d’eux-mêmes et transigent moins avec euxmêmes. En fait, dans « les 30 glorieuses », il s’agissait de sortir de sa zone de confort, de se challenger, de corriger ses faiblesses..., pour s’améliorer et profiter des nombreuses opportunités du marché. Aujourd’hui, après certains échecs ressentis, dans une économie beaucoup plus difficile qu’alors, l’objectif est plutôt d’identifier ses capacités durables et de trouver ce que l’on aime faire : c’est plus sécurisant. Mais dans le même temps, les nouvelles générations Y qui se lancent dans l’entreprenariat veulent éviter le statut d’inconfort que représente à leurs yeux le salariat. La joie de créer est si forte que les jeunes entrepreneurs ne décrivent plus l’échec que comme un simple aléa comme un autre sur le chemin de la réussite de leur entreprise. « Exit » donc la notion d’échec pour un entrepreneur… Sauf cependant, toutefois s’il s’agit de l’échec définitif de son entreprise ! Et j’ai rencontré souvent dans mon bureau de ces jeunes en panne de rêve entrepreneurial, abattus à l’idée de devoir revenir dans le champ professionnel « normal » et ne concevant guère la perte de liberté qu’elle soustend… D’une façon plus générale, l’échec apparait actuellement de plus en plus comme un vrai apprentissage. Et le concept de « test and learn » est en train de se diffuser largement. Les changements et transitions multiples ne peuvent plus être vus comme des échecs. Chacun devient une « petite entreprise de soi-même», dotée de compétences diverses, ces fameuses « soft and hard skills »… Ce panier de valeurs évolue en fonction des étapes de la vie professionnelle avec des hauts et des bas et nous amène à le gérer de façon agile et opportune. L’échec est ainsi relativisé, sa vision change, il perd son caractère trop inquiétant. Avez-vous remarqué ? Une expression est très couramment employée aujourd’hui : « c’est pas grave ! ». Et les échecs entrainent un processus de rebonds plus fréquents qui permettent de reconstruire de façon résiliente une vie professionnelle mieux réussie… même si ce n’est pas toujours en quelques mois ou en un an ! 6 Les Expert(e)s Louise Albertini, directeur associé du cabinet Enjeux et Dirigeants, conseil en évolution professionnel de dirigeants En quelques mots, quel est votre parcours ? Crédit photo : de Silans Patricia Je me suis orientée très rapidement vers le développement professionnel, bien que ma voie se soit définie au fil du temps. Après des débuts dans la formation de formateurs, le recrutement, et une formation en psychologie clinique et en psychanalyse, cela fait 20 ans que j’accompagne spécifiquement des dirigeants en phase de transition professionnelle. J’ai rejoint ce métier en 1993, époque de l’explosion de l’outplacement, l’activité ne s’étant jamais réduite depuis. Cela m’a permis d’avoir un fort développement de carrière après 40 ans, à un âge où cela devient généralement plus difficile, en particulier pour les femmes. Selon vous, y a-t-il plus de parcours « non linéaires » qu’il y a quelques années ? Par définition, ma vision ne couvre que les salariés, et non les entrepreneurs. La réponse est oui. Il y a plus d’aléas de parcours, ils interviennent plus jeunes, entre 30 et 40 ans. Il est donc plus fréquent d’en avoir plusieurs au cours de sa carrière, notamment depuis les années 2000. Il y a plusieurs facteurs. A commencer par l’accélération de la vie des entreprises : les réorganisations, acquisitions, recentrages d’activités, … sont autant de situations qui peuvent provoquer une rupture professionnelle. Des structures moins stables ont entrainé un durcissement du management et une exigence plus forte vis à vis des autres. La multiplication des outils 360°, d’évaluation, …, en sont une illustration. Il faudrait être un manager parfait. Mais ceux qui les demandent, sont-ils des managers parfaits ? Non, évidemment. Des différents relationnels peuvent ainsi créer la rupture. Enfin, et c’est le reflet d’une évolution plus générale de notre société, la relation à l’autorité a été transformée. Chaque niveau hiérarchique a conscience de sa contribution à l’ensemble du groupe et souhaite exprimer son point de vue, mais le N+1 reste le supérieur hiérarchique et ne l’accepte pas toujours … ces tensions peuvent aussi expliquer des départs. Cela dit, il y a toujours des personnes qui font carrière 25 ou 30 ans dans la même entreprise ! 1 Comment l’échec peut être valorisé, surtout en France ? Tout d’abord, qu’est-ce que l’échec ? Il y a échec lorsque l’on considère ne pas avoir réussi à trouver le moyen de dépasser une difficulté, de résoudre un problème. Dans les 1 Note de l’éditeur Etude outplacement individuel cadres - Mars 2014 (sur 1446 missions réalisée en 2013) – Syntec « Les bénéficiaires des missions d’outplacement demeurent principalement les collaborateurs de 35 à 50 ans (38% des missions), puis les 45/50 ans (26%), ayant entre 5 et 15 ans d’ancienneté dans leur entreprise. Depuis le lancement de l’enquête en 2000, la part relative des profils plus expérimentés continue de croître parmi les bénéficiaires d’outplacement : plus de 45 ans (48% en 2013), avec une formation bac+5 (64% en 2013 soit 1,5 fois plus qu’en 2000) et avec un niveau de rémunération en conséquence (73% gagnent +50K€ annuel, dont 28% +100K€). » http://www.syntec.evolution-professionnelle.com/fichiers/20140411152738_Resultats_Etude_Outplacement_individuel_cadres_2014.pdf 7 situations que je connais, l’échec se traduit par la rupture avec l’employeur. Mais l’échec ne se manifeste pas toujours par une rupture avec l’employeur : il peut y avoir rupture sans échec, et, inversement, des échecs sanctionnés autrement que par des ruptures, voire par des promotions (pour se débarrasser facilement de quelqu’un par exemple). Pour valoriser l’échec, il faut commencer par ne pas confondre le faire et l’être. L’incapacité que l’on a rencontrée à ne pas aboutir là où on voulait aboutir n’est pas un défaut de l’être, de soi. On porte trop souvent atteinte à l’intégrité de la personne, dans des situations où seuls les actes de cette personne devraient être examinés. C’est très français, et résulte de notre système éducatif, où la qualité d’un élève est trop souvent amalgamée à ses résultats scolaires. Il faudrait faire évoluer notre demande à l’égard de l’école. Vaste programme… Quels conseils donneriez-vous pour « rebondir » après un échec, en tant que salarié ? Qu’est-ce qui détermine qu’une situation est qualifiable d’échec ? Principalement, le sentiment d’échec. C’est la première chose sur laquelle nous travaillons avec nos clients. Ce sentiment d’échec ne doit pas demeurer, pour permettre le rebond. Pour cela, il faut relativiser l’échec. Faire la distinction entre l’échec et son propre sentiment d’échec. Si on a mis un enjeu personnel très fort, on peut avoir un sentiment d’échec très fort alors que la situation n’est pas dramatique ou que tout n’a pas échoué. Il faut ensuite pouvoir analyser la situation. Quand on travaille sur les raisons d’une rupture de relation de travail, on s’aperçoit des multiples dimensions en jeu. Il faut arriver à démêler et mieux se représenter la part que l’on a jouée soi-même, et les causes extérieures. C’est tout d’abord l’occasion de mieux connaître ce que l’on n’avait pas envie de réussir, ses zones de vigilances ou de perfectionnement, les capacités que l’on peut mobiliser pour dépasser cette difficulté. C’est difficile, car il faut surmonter ses propres limites : son sentiment de culpabilité, sa vision trop rationnelle qui ne permettra pas d’identifier les éléments plus subtils… Mais l‘échec, ce n’est pas que soi, les autres ont pu y aider. Avec les dirigeants avec lesquels je travaille, la compétence professionnelle n’est jamais la cause essentielle de rupture. A ce niveau de carrière, après des années dans une entreprise, ce sont de bons professionnels, sinon ils ne seraient pas là. Ce qui est en cause, c’est tout l’environnement (humains, de moyens,…) et la perception que l’on a de cet environnement. Par exemple, face à une action ou décision que vous prendrez, les conséquences ne seront pas les mêmes, selon la personne qui vous évalue à un moment donné, ses propres contraintes ou objectifs personnels. Un patron peut être plus ou moins sensible à un certain comportement, ou être sous pression de son conseil d’administration, et sanctionner quand un autre ne l’aurait pas fait, ou lui-même ne l’aurait pas fait à un autre moment. L’échec n’est pas un élément objectif, c’est une réaction en chaine à un fait générateur, réaction très influencée par tout l’environnement. Démêler sa part de responsabilité est difficile, car les règles ne sont jamais exprimées, ou plutôt, les règles exprimées dans une entreprise sont rarement celles qui s’appliquent en réalité. Enfin, il y a des zones d’ombre auxquelles la personne en échec n’a pas accès, elle n’a jamais toute l’information. L’échec, le succès, ça a l’air simple, mais ça ne l’est pas, c’est éminent relatif. 8 Emilie Gobin Mignot (H.09), co-fondatrice de L’Usine à design, entrepreneur in résidence à Numa En quelques mots, quel est votre parcours ? Dès l’école, je me suis intéressée à l’entrepreneuriat web ; mais c’est au travers d’une mission HEC Entrepreneurs sur l’innovation web et le meuble que L’Usine à design est née en 2009. La crise de 2008 était passée par là, et notre promotion remettait en question le bien fondé des carrières classiques, dans les grands groupes ou les banques, et pour autant, nous étions peu à entreprendre. Après quatre années de développement, deux levées de fonds totalisant 5,6 millions d’euros, nous Crédit photo étions le 5ème pure player français de décoration et de design, avec des libre de droit établissements en France et en Chine, et une trentaine de salariés. La croissance de notre chiffre d’affaires n’assurait pas encore notre rentabilité lorsque notre troisième levée de fonds n’a pas été à son terme. Nous avons donc dû fermer à l’été 2013. Depuis, j’ai joué le rôle de business développeur et de leveur de fonds à Numa, mais aussi d’accompagnateur de jeunes start-ups qui démarrent chez Numa. Et je vais bientôt remonter en selle, dans une nouvelle aventure entrepreneuriale. Observez-vous beaucoup de parcours « non linéaires » ? Oui, pour différentes raisons. Au comité HEC Entrepreneurs, ou chez Numa, je vois beaucoup de jeunes diplômés qui se lancent directement dans l’entreprenariat. Ils n’ont pas encore acquis les bases du management, de la négociation, de connaissances sectorielles, alors évidemment il faut bien s’entourer. L’œil du novice permet parfois des innovations majeures, et donc de réinventer complètement une industrie, mais d’autres travaillent sur des sujets non fondamentaux, avec une d’ambition qui n’est pas toujours à la hauteur de leur talent. Ces start-ups vivotent un temps, puis des changements drastiques s’imposent. D’autres jeunes diplômés rejoignent des start-ups plus établies, en évolution rapide, ce qui génère aussi des changements de carrière fréquents, car tout va vite dans cette économie de l’innovation. Enfin, la jeune génération n’hésite pas à faire des choix très personnels, comme de quitter un emploi de DAF dans une start-up pour devenir restaurateur. Donc, oui, à trente ans, il n’est pas rare d’avoir déjà changé plusieurs fois de jobs. Quels conseils donneriez-vous à un entrepreneur, pour « rebondir » après un échec ? Qu’est-ce que l’échec ? Quelqu’un a une ambition, il ne la mène pas au bout, cela génère de la souffrance. Cela peut être très violent, selon son niveau d’ambition personnelle. Quand la souffrance n’est plus là, il n’y a pas d’échec, il y le chemin parcouru. La première chose à faire est de prendre son temps. De se reconstruire, de comprendre, de décortiquer, de rationaliser les raisons de sa non réussite, pour être armé différemment si la situation se représente et agir autrement. Ce n’est pas évident, car il y a du déni, parfois une honte qui veut que l’on n’en parle pas, or il est important d’extérioriser. Traverser ce moment avec un coach professionnel peut être très utile, je le recommande à 100%. A tout le moins, il faut s’entourer de mentors. Et si l’échec prend la forme d’une liquidation judiciaire, je signale l’association 60.000 rebonds (qui tire son nom du nombre de liquidations judiciaires par an au moment de sa création, le chiffre actuel est plus près de 65.000). Elle accompagne bénévolement, par du coaching et du mentorat sectoriel, des patrons dont l’entreprise a déposé le bilan. Elle 9 fait également des travaux de recherche, notamment sur le rebond de ces chefs d’entreprise. Comment l’échec peut être valorisé, surtout en France ? Le monde du web et des start-ups est un monde où l’échec est beaucoup mieux accepté que dans d’autres secteurs. Parce que c’est inhérent à l’innovation de rupture, évidemment. C’est moins le cas quand on ferme un restaurant ou le business familial. Le travail intérieur mentionné plus haut peut faire beaucoup grandir, progresser l’entrepreneur. Il y a une valeur à exploiter cette richesse dans une nouvelle activité. Mais, malgré des réformes de simplification affichées, l’environnement administratif n’est pas aussi constructif. Par exemple, après notre liquidation judiciaire, l’enquête du ministère public a duré deux ans. Dans l’attente de ses conclusions, j’ai évidemment refusé de prendre tout engagement. C’est long. Puis, lorsque j’ai voulu ouvrir un compte bancaire pour une activité de conseil, donc non capitalistique, la banque a trouvé l’histoire de l’Usine à design sur internet, et refusé. Grâce à mon réseau, j’ai finalement pu ouvrir un compte bancaire. Mais le droit à une nouvelle chance n’est pas encore bien suivi d’effet … Juliette Tournand, Coach, conférencière et auteur de "Secrets du Mental des navigateurs océaniques" et de "La Stratégie de la Bienveillance". Pour naviguer en eaux déchaînées : restez bienveillantes avec vous-même. Juliette Tounand a publié 3 livres majeurs pour (sur)vivre en entreprise : Secrets du Mental pour résister aux tempêtes, La Stratégie de la Bienveillance, pour tenir son cap, et Sun Tsu sans dessus dessous, pour (re)lire le grand stratège… au féminin. Regard perçant d’une coach de haut niveau sur les écueils qui nous chavirent… et nous transforment. Juliette, pouvez-vous nous résumer votre « navigation » ? J’ai navigué pendant 15 ans dans les eaux publicitaires, jusqu’à la tempête et le chavirage. Puis ce fut le calme plat, bateau retourné… j’ai cherché le vent. Et soudain, Terre ! Je prends pied à bord d’un cabinet de consultants en conduite du changement. Je ne connais rien à ce genre de navigation et je manque plusieurs fois de passer par dessus bord. Je m’accroche, j’apprends. Surgit un gros contrat - et moi, moussaillon, je monte au mât : je propose la réponse que personne n’entrevoit, et qui réussit. Hélas, on voit là une insolence, on m’affecte à fond de cale. Alors j’envoie une bouteille à la mer : j’écris La Stratégie de la Bienveillance publiée chez Dunod. Me voici dans de nouvelles eaux. Vous coachez les situations à haut risque – manageurs et sportifs. Quel est votre regard sur « l’échec » ? « Échec » vient d’ « eschac », mot que prononce un joueur d’échec pour annoncer à l’autre que son roi est en danger. Ainsi le roi n’est pas mort, seulement en danger. Dans l’échec le « roi » en vous, l’essentiel, n’est pas mort. À lui de jouer. 10 Qu’apprend-on de ses échecs ? L’échec est l’occasion d’un « décapage », comme quand on détache les algues et coquillages amassés sur la coque d’un navire. Rendu à ses formes, le bateau glisse beaucoup mieux dans la mer. L’échec permet de faire place nette de ce qui nous freinait – sans qu’on le sache. L’idéal serait de se décaper au jour le jour. C’est peut-être ce que font ceux qui n’échouent jamais, s’ils existent. Quels sont les secrets d’un « décapage » réussi que vous révélez dans votre deuxième livre, Secrets du Mental ? Le grand secret, c’est le « switch mental ». Jean Le Cam, dit le « roi Jean », naufragé alors qu’il était en troisième position dans le Vendée Globe, se décape aussitôt de ses attributs de concurrent. Il a trente secondes pour décider de donner sa position, jusque là tenue secrète : la coque retournée, les ondes ne passeront plus. « As-tu eu des idées noires ? » demande un journaliste. Il répond « on essaie de ne pas » et s’interrompt comme il a interrompu ces idées pour « switcher » vers ce qu’il peut faire de bien pour lui et ses sauveteurs. En danger, le « roi Jean » se sauve à partir du switch mental. Avant que le roi rejoue, il y a pourtant la douleur… Et comment ne pas en être détruite ? En acceptant sa fréquentation. Laissons-la passer puisqu’elle fait partie de la vie. Écoutons ce qu’elle veut nous apprendre, faisons de nous ce « vase vide, prêt à être rempli », comme dirait Sainte Catherine de Sienne. Je crois que le suicide – lié au travail notamment – relève de l’idée assez française que l’on doive vivre sans souffrir. Mais tout ce qui vit souffre en son temps. Le regard américain est plus bienveillant : échouer, c’est s’être risquée là où le succès est incertain, tel un sportif de haut niveau qui ose le défi. N’oser aucun défi pour éviter la souffrance de l’échec est illusoire, cela ne conduit qu’à un échec plus général. Homme/femme : voyez-vous une manière différente de refaire surface ? L’héritage culturel a placé l’exigence de réussite professionnelle sur les épaules des garçons. La blessure de ce type d’échec est sans doute plus vive pour l’identité masculine. Quant à refaire surface, je crois que les lois sont humaines plus que sexuées. Votre 1er ouvrage, La Stratégie de la Bienveillance sonne comme une alternative à l’échec… J’ai éclairé les constantes du cap de la réussite dans un monde complexe, changeant et plein de rencontres. Ce cap nous invite à faire route à la croisée de quatre forces : bienveillance, réciprocité (bienveillance pour soi, l’autre, les autres), clarté, et liberté d’innover s’il faut créer cette conjonction. C’est la route qui offre le meilleur potentiel de coopérations win-win, clé de réussite. Dans la vie, comme en mer, rien n’est tracé d’avance. Autant faire route là où sont les chances. Même en compétition, nous sommes d’abord des êtres de coopération. Est-ce une idée neuve… en Europe ? Je la vois grandir et réussir à l’échelle individuelle comme de l’entreprise. Partout dans le monde, des patrons osent initier des systèmes de claire bienveillance pour leurs salariés, fournisseurs, clients : en Finlande (SOL), en France (Favi, Babilou, Le Fédou), au Brésil (Semco qui a connu des croissances à trois chiffres après une démarche commencée en supprimant la fouille à la sortie des ateliers), aux USA (Harley Davidson), en Inde (HCL Technologies)... Beaucoup s’y sont mis « roi en danger », tous ont une réussite 11 insolente. Leurs modèles sont variés, signe que la claire bienveillance réciproque reste un cap très ouvert à l’innovation. Des groupes français comme Suez, Orange, L’Oréal, Renault… travaillent à la performance sociale. Ils ont compris que leur réussite passe par là. Malraux avait annoncé que le XXIe siècle serait spirituel ou ne serait pas. Le capitalisme commence à l’entendre. Pascal Neveu, Psychanaliste Psychanalyste et psychothérapeute, Pascal Neveu intervient sur différentes questions de psychologie fondamentale auprès du personnel hospitalier et de cadres en entreprises. Il exerce en cabinet et enseigne à Paris. Il a écrit plusieurs ouvrages dont Revivre, même quand on est terrassé (éd. Solar) Comment définir un échec ? Le dictionnaire lie l’échec au fait d’échouer, mais c’est avant tout une référence à être en échec, de placer au jeu d’échec, le roi en situation de mort. C’est la plus ancienne acception du terme depuis le XIème siècle. Dans un autre contexte, échouer, terme marin, c’est toucher le fond par accident et se trouver arrêté dans sa marche. De façon générale, l’échec reste le fait d’avorter d’un projet, de rater un examen ou un moment crucial, symbolique, constructif de sa vie. Echouer, c’est ne pas réussir ! Il nous faut mesurer la portée de cette finitude, et sa symbolique : le roi mort. Cette notion d’échec nous renvoie également à la notion d’Idéal du Moi. Idéal prôné par les parents, par le nom de famille : ce que le parent aimerait que l’enfant devienne, voire ce qui lui est imposé de père en fils ou de mère en fille. Dans ce cas, l’échec est redouté, car imaginé/fantasmé comme un rejet du nom du père. A contrario, l’opposition à cet idéal ne serait qu’un acte terroriste contre le nom du père et donc une guerre ouverte avec cet idéal attendu par l’autre, en premier lieu, le parent. L’échec est donc très dépendant du contexte dans lequel on l’apprécie : personnel, familial, sociétal. L’échec est d’ailleurs vécu et perçu très différemment selon les pays et les cultures. Fait-il partie du développement humain, ou peut-on vivre sans connaitre l'échec ? Nous vivons tous des non ! Ces non ne sont pas nécessairement des échecs. Dès l’enfance, vers 2 ans, nous faisons l’apprentissage du non, avant que l’enfant ne s’exprime et dise « Je », s’affirmant alors dans sa personnalité. Ce sont là des mini échecs. Le gros échec, ce sera l’Œdipe. Mais justement, ce n’est pas un échec, au contraire, l’enfant a tout à vivre : 1) il apprend la frustration, il accepte d’avoir échoué dans ses désirs, 2) il se socialise donc se confronte aux autres et donc à d’autres systèmes et valeurs d’échecs, et 3) il évalue son idéal. 12 En ce sens, il entre à l’école, il vit les notes, les éventuels échecs/redoublements, puis il va devoir, plus âgé, vivre, « subir » les examens et/ou concours et donc les échecs potentiels, relatifs ou bien réels. La vie est faite de frustrations, en ce sens, nous connaissons tous des échecs. Pour autant, ils n’ont pas tous la même magnitude, car l’échec et son amplitude restent consubstantiels de nos attentes et de nos « limites ». Je l’entends au sens Bourdieusien, c’est-à-dire dans la continuité de ses travaux sur les analyses des mécanismes de reproduction des hiérarchies sociales. C’est un peu caricatural, mais l’échec de « l’enfant de… » aura une résonnance particulière. Il est donc question d’habitus. Mais où se situe l’échec ? Et à quelle notion de réussite renvoie-t-il ? J’ai reçu une interne en médecine qui a mis fin à ses études en 5ème année, tentant de s’éloigner de la « lignée familiale » et vivre ainsi sa vie. J’ai également accompagné un jeune homme qui suivait des études scientifiques alors qu’il aurait voulu entrer aux beaux-arts et le regrettait viscéralement. L’échec et le succès sont spécifiques à chaque individu. Y a t il des apprentissages spécifiques à l'échec ? Nous sommes des êtres de répétition, on ne fait que répéter et reproduire, pouvant aller jusqu’à étirer la réalité pour permettre cette reproduction. On se conforte jusqu’à se gangréner de notre habitude. L’échec c’est aussi la mise en échec de cette répétition. Et c’est douloureux. La contrepartie en est le changement. Peut-il y avoir changement sans douleur ? Je ne le pense pas. C’est comme en physique où il faut une force pour dévier un objet de sa trajectoire. L’adaptation, qui passe par un actant pulsionnel ludique, est une forme de changement. Mais d’abord, pour s’adapter, il faut accepter la possibilité de l’échec, et ensuite l’adaptation conduit rarement au changement de paradigme que peut permettre la confrontation aux limites de ses modèles. Pour autant, afin de bénéficier des apprentissages de l’échec, il faut être en mesure de le reconnaître et de l’accepter. Nous connaissons tous ces gens qui sont dans une forme de déni, parce que la situation n’est pas si dramatique que ça, il y a bien pire, on fait avec, etc. Face à cet échec, pour ceux qui en font le constat, nous ne sommes pas tous pourvus des mêmes « armes » et « outils », et je distingue les deux volontairement. Les armes c’est pour celui ou celle qui restera dans l’affrontement, qui restera dans ce questionnement de l’échec : pourquoi ? Qui m’en veut ? Les outils c’est pour celui ou celle qui va tenter de reconstruire, plus ou moins bien, qu’importe, mais qui sera dans cette dynamique, dans cette pulsion de vie. En clinique, nous l’entendons comme « faire le deuil de… » mais de quoi ? Quête inaccessible, dépassement d’un idéal, (re)conquête de quelque chose d’imaginaire, deuil d’un mode de fonctionnement, d’une image de soi… Les échecs nous parlent de nous, à nous à les entendre. Car à quoi tient la réalisation d’une vie ? Lorsque je reçois une personne « amochée » nous travaillons sur ces ressentis face aux ambitions et donc face à l’échec. Quelles ambitions ? Pour soi ? A quelles fins ? Des questions qui permettent de comprendre le référentiel implicite, de l’expliciter, de le 13 questionner, et donc de le redéfinir. Les femmes vivent elles l'échec de façon spécifique ? Il est toujours délicat de faire des différences hommes femmes, tant on flirte avec les caricatures et que les contre-exemples sont vite brandis. Et pourtant, il existe de réelles différences. Disons que les femmes ont plus de facilités introspectives, elles sont plus vite dans l’intuition, ce qui leur permet de bénéficier plus rapidement d’un échec, et d’un échec moins avancé. Selon vous, y a t il plus de parcours « non linéaires » qu’il y a quelques années ? Et quelle en est votre analyse ? Le monde me parait effectivement moins linéaire, plus changeant aujourd’hui. Le contexte économique est difficile, et le mélange des deux est source de beaucoup d’incertitudes et d’inquiétudes. Pour autant, personne ne sait ce qu’il ou elle fera dans dix ans. Cette phrase, je remercie encore celui qui me l’a énoncée tant elle permet de panser le passé et penser le futur. La vie est et reste un champ des possibles. Un échec n’est pas une fin en soi, c’est aussi une opportunité de se repenser et se redéfinir son futur. Mon parcours n’a pas été linéaire, pas plus que celui de beaucoup de gens que je croise tant dans la vie que dans ma pratique. Ces rencontres, ces chances, ces opportunités inattendues que la vie présente sont pour moi autant de chances. En conclusion La réussite sans échec est généralement une réussite relative. Car l’introspection nécessaire au dépassement de soi, au changement profond, n’a pas été réalisée. La vraie réussite passe par l’épanouissement de notre humanité individuelle. L’échec nous renvoie à notre humanité, à notre finitude, terreau dans lequel la réussite peut ensuite éclore. Car l’humain est le cœur de la vie et de la relation à l’autre. 14 Les Témoignages Cristelle Ghekière (HJF.72), CEO de Seniosphère. Candidate Prix Trajectoire 2012 Cristelle participe régulièrement comme keynote speaker à des conférences internationales et voyage à la recherche d'innovations et de tendances. Elle est une contributrice régulière à divers sites. Cristelle est CEO de Seniosphère Prospective et Formation, cabinet spécialisé dans la détection et conception des opportunités de marché engendrées par l’accroissement de la longévité, le vieillissement de la population et le nombre croissant de seniors. Elle intervient auprès des directions stratégie et innovation de grandes entreprises, de think tanks, de pôles d’excellence et d’écoles en tant qu’experte des seniors. Quel est votre parcours ? Je travaille dans le monde des services B2B depuis 30 ans. Avant Seniosphère, j’ai créé et dirigé pendant 14 ans à New-York, Crystal Link, un cabinet spécialisé dans le benchmarking et les best practices à destination de sociétés multinationales européennes, de secteurs diversifiés tels que les services financiers, la grande distribution ou les nouvelles technologies. Quels ont été les facteurs de votre échec ? Je viens du monde anglo-saxon où l’échec est normal et fait partie de la vie. On apprend autant de ses échecs que de ses succès. D’ailleurs au mot échec en français, qui est négatif, je préfère le terme « incident de parcours ». Le plus grand incident de parcours que j’ai vécu, était précisément en 2001. Je dirigeais alors Crystal Link, société que j’avais créé début des années 90 à New York. J’organisais des « Learning expéditions » pour les Comex de grandes sociétés européennes qui souhaitaient connaitre et comprendre les innovations dans leur métier ou des métiers connexes. Cela consistait en une semaine de rendez-vous et d’échanges avec des chefs d’entreprise américains sur des sujets de stratégie ou technologiques. Cela marchait très bien et nous formions une bonne équipe, nous avions en permanence une trésorerie de 9 à 10 mois. Et le 11 septembre est arrivé ! Du jour au lendemain, je n’avais plus ni client, ni visite de board, un choc ! J’avais le sentiment d’avoir perdu 12 ans de boulot. Et impossible de me dire « c’est de ma faute ! » : Le 11 septembre avait changé la donne, le business n’existait simplement plus. Faire voyager ensemble pendant une semaine un board européen nécessite une programmation de 6-9 mois à l’avance et n’était plus envisageable dans le contexte de crainte qui s’est installé après le 11 septembre J’avais 52 ans à l’époque et s’est vite posée la question de la suite. Devais-je rester aux USA ? Pour faire quoi ? Comment me valoriser ? J’ai alors évalué mes points forts et mes points faibles, en particulier mes points faibles : l’âge et mon passé de chef d’entreprise. Mes amis à l’époque me disaient « personne n’embauchera quelqu’un comme toi.. » Les contraintes financières m’obligeaient à ne pas perdre de temps, car je n’avais plus de gagne-pain. J’ai alors décidé de rentrer en France pour me rapprocher de mes enfants. Bien entendu, arrivant des Etats-Unis, je n’avais pas droit à grand-chose, pas d’allocations chômage et difficile de louer un appartement sans fiche de paye. De plus je n’avais aucun réseau local et pas d’attache. J’ai dû me reconstruire vis-à-vis des 15 organismes financiers. Je savais que je devais transformer mes faiblesses en atouts mais comment ? C'était une période difficile, je ne voulais pas y croire au début. Pendant six mois je me suis acharnée à faire revivre mon ancien business, pour finalement me rendre à l'évidence qu’il n'existait plus. J'ai alors connu une période déprimante. Je devais réfléchir à comment m'en sortir. C'est venu progressivement. J'ai voulu rencontrer le maximum de gens, j'ai beaucoup lu, été à des conférences Et puis je suis partie en Inde avec l’idée de changer d’air et de chercher des idées de nouvelle affaire. De retour en France, progressivement, j’ai commencé à refaire surface et à sortir de cette spirale de déprime. Je me suis rendue compte que j’avais passé plus 18 ans à l'étranger et qu’il fallait me réinsérer dans la culture française et européenne. Des rencontres, notamment grâce au réseau EPWN m’ont permis de le faire progressivement. Je suis partie vivre à Lille, ville beaucoup moins chère que Paris. Elle a l’avantage de se situer à mi-chemin entre Paris, Londres et Bruxelles. Je savais que c’était une ville d’entrepreneurs, puisque beaucoup de mes anciens clients venaient de là. J’ai installé mon QG dans une pépinière d'entreprises. J’étais encore mal dans ma peau à cette époque, mais le directeur de cette pépinière, que je salue au passage, m’a secouée, « engueulée », mais il m'a ouvert son carnet d'adresses ! Puis a germé l'idée de Seniosphère, idée que j’avais en moi depuis 15 ans. C’est en discutant avec les gens de la pépinière, en me sentant soutenue et secouée qu’une nouvelle page de ma vie, avec des pour et des contre, s’est tournée. La vie n'est pas un livre que l'on peut reprendre. Quel est votre retour d’expérience et quels conseils donneriez-vous ? Je pense qu’il ne faut pas rester seul : les choses doivent pouvoir maturer et c’est plus facile quand on peut en discuter. Les réseaux, pépinières font un bon travail en cela. Il est important de bien réfléchir à son business plan et, là non plus, il vaut mieux ne pas le faire seul dans son coin. Il faut tirer les conséquences positives : la principale pour moi était que si j’étais arrivée à monter une affaire à New York, je devrais y arriver n’importe où. Regarder devant et savoir quels sont ses points forts et bâtir dessus : j’avais 52-53 ans, moment difficile dans la vie d'une femme et j'ai décidé d'en tirer bénéfice, d'où l'idée de Seniosphère. Comment transformer ses « liabilities » en « assets » ? Il faut laisser du temps au temps et accepter de ne pas rebondir en trois mois. Les Américains ont une expression pour qualifier cette période : le vide fertile. Cela permet de remettre en cause ce que l'on a vécu et de se laisser la possibilité d'être fertile dans ses idées pendant une période de six mois à un an et d’explorer toutes les possibilités. Dans les entreprises de la Silicon Valley, on considère qu'il faut que quelqu'un ait connu des échecs : il doit en assumer les conséquences pour devenir meilleur dans sa façon de travailler. 16 Isabelle Capron (H.79), Vice Présidente Icicle Sanghai Fashion group Parcours d’une insoumise Elle s’avance comme on défilerait sur un podium. Elle trône très simplement dans un immense bureau haussmannien. Elle a connu des « down » qui lui ont permis d’oser ses « up ». Isabelle Capron, Ex-DG de FCB, ex-CEO de Fauchon, dirige le bureau parisien de ICICLE, Maison de Mode chinoise qui affiche +40% de croissance annuelle… Nous convenons d’utiliser ses mots – « up et down » - plutôt que le titre de notre numéro… Regard d’une insoumise sur les carrières menées au féminin. Avec votre carrière « successful » de très « bonne élève » - “Prix de l’Audace” 2008 aux Talents du Luxe, Prix HEC “Trajectoires” en 2009, Grand prix du design Stratégies, pour tout Fauchon - quel est le « down » que vous avez traversé ? Lorsque j’étais Directrice Générale de l’agence de publicité FCB, la Présidence de l’agence s’est libérée. Je m’attendais à ce que l’on me propose le poste, compte tenu de ma position. Pourtant, la direction américaine du Groupe a nommé… un homme, moins senior, issu de mes équipes. Soudain, tout a basculé. Pour moi, c’était l’INNACCEPTABLE. Quelle a été votre réaction puis votre lecture, avec le recul ? J’ai alors pris un risque important: je suis partie. J’ai cru que je ma carrière était finie. Tout au long de mon parcours - et à HEC - la différence homme-femme, pour moi, ne signifiait rien. Et là, on m’affirmait que « le boulot de patron, c’est dur pour une femme » ! A compétence inférieure, on préférait un homme. J’ai ressenti beaucoup de colère. Et puis… J’ai réfléchi. Je crois que les femmes aujourd’hui aiment gérer les responsabilités. Mais nous ne sommes pas encore préparées à DEMANDER le pouvoir. Cet homme avait dit « je veux », et moi pas. Quel a été votre manière de transformer ce « down » ? J’ai passé pas mal de temps seule. Dans ces cas-là, peu de personnes vous appelle. Ce fut en fait, pour moi, une sorte de retraite, au sens christique. Juliette Tournand - une amie - parle dans votre numéro du pouvoir « décapant » de l’échec. Pour moi, ce moment a été purifiant : il m’a lavée. En me défaisant de mes oripeaux, de ces attributs du pouvoir et de ces marqueurs sociaux que sont par exemple les voitures de fonction, etc... Ce dénuement est devenu un moment décisif : celui d’un « reparamétrage intérieur ». J’ai alors pris conscience de ce que je voulais vraiment : oser être moi-même. C’est là que j’ai saisi tout le sens de notre credo à l’école ! Apprendre à oser. C’est comme ça que j’ai fait Fauchon. Avec Fauchon, vous avez tout révolutionné: lancé « le beau, le bon, le bien» ; imposé la couleur; cassé les codes, osé introduire ceux de la mode, de la modernité… Oui. J’ai pris des risques. J’avais en moi quelque chose que je n’avais encore jamais exprimé et que j’allais réaliser. Je ne serais plus la bonne élève, je serais l’insoumise, 17 l’innovante. J’allais enfin donner ma mesure... J’avais mes convictions, j’ai adopté une stratégie très radicale. J’ai créé une rupture qui par la suite est devenue une référence. Ce « up » a-t-il été difficile à construire pour une femme (!) C’était… DE L’EAU QUI COULE. Naturel ! J’ai cessé d’agir à contre cœur. J’ai au contraire écouté mon instinct, suivi ma vision : je me suis entourée de gens que j’aime, je les ai mis en confiance, j’ai été bienveillante. D’une bienveillance impitoyable, que je m’appliquais également. Et chacun donnait le meilleur. Aujourd’hui, je fais confiance à la nouvelle génération de femmes : elles sauront demander le pouvoir et diriger sans être agressive. Oser Diriger en étant une femme. Avec cette bienveillance exigeante. Qu’est-ce que cela a changé pour la suite ? Avoir connu un « down » ôte la peur. On se connaît, on saura se relever. Cela rend plus libre. Cela pousse à oser. D’où ma nouvelle aventure avec ICICLE, que personne ne connaît encore en France. Vous accompagnez cette marque de luxe dont les collections proposent une belle histoire : se sentir belle, bien, en portant une mode écologique … Oui, j’aime apprendre et l’aventure du nouveau monde est fascinante. J’ai fait un choix personnel plutôt qu’un choix classique. En Chine, on dit que la performance d’une entreprise est fonction du taux de bonheur de ses salariés. ICICLE, dont le siège est à Shanghai, est un produit du miracle chinois. La Maison crée des collections minimalistes avec une vision inattendue pour la Chine : une mode « made in earth », élégante et engagée pour l’environnement. Le couple fondateur de la marque est venu à Paris, siège de son centre de design, chercher les talents créatifs français pour doper sa croissance en Chine et la préparer à l’international. Le tout avec une croissance « à la chinoise » : près de + 40% par an. Je crois que le pire est de ne pas risquer. No risk, no fun ! Hélène de Saint-Front (H.10), co-fondatrice de Business Harmonist. Membre de l’équipe réseaux/événements de HEC Au Féminin En quelques mots, quel est votre parcours ? J’ai effectué ma dernière année d’HEC aux Pays-Bas en « mastère entrepreneuriat ». J’y ai rencontré les deux associés de ma première création d’entreprise de location de casiers électroniques (plages, festivals), pour laquelle nous avons remporté plusieurs concours de business-plans. C’est ainsi que nous avons été repérés par le président d’un jury, pour rejoindre en parallèle son projet de création de la première « Silicon Valley portugaise » centré sur les « Smart Cities ». Malgré l’extraordinaire stimulation intellectuelle et humaine de cette aventure, notre projet de casier a périclité suite à la faillite d’un fournisseur peu scrupuleux qui a abusé de notre confiance. Le deuxième projet a échoué faute de financements solides et d’une communication transparente sur le business plan. De retour en France, j’ai rapidement rejoint un petit cabinet de conseil RH malheureusement en forte incohérence entre valeurs affichés et pratiques internes, ce qui m’a conduite au burn-out, comme plusieurs collègues. 18 J’ai alors complété mon long parcours de développement personnel (PNL, Hypnose…), et peaufiné mon projet professionnel, jusqu’à créer avec bonheur ma propre structure de conseil, the Business Harmonist Serial entrepreneuse je demeure, puisqu’en plus de ma société de conseil, je développe une appli Smartphone autour du feedback appréciatif, et un documentaire vidéo sur les nouveaux modèles de management. Quel est votre retour d’expérience et quels conseils donneriez-vous ? Le rebond passe par une analyse approfondie de l’échec en termes de connaissance de soi (fonctionnements, valeurs). Un facteur clé de reconstruction personnelle est la solidité de l’entourage familial et amical. Enfin, le réseau HEC Alumni, et le Groupement HEC au Féminin en particulier, m’ont permis des rencontres déterminantes pour la création de Business Harmonist . Si c’était à refaire, sur le contenu, je musclerais davantage les études de marché (par ex : les plages diffèrent en Espagne et au Portugal) et la rédaction des contrats (« à rédiger en temps de paix en prévision des temps de guerre »). Et sur la relation, je conserverais la même confiance « a priori », car je continue de considérer qu’elle génère plus de valeur globale que la défiance. Myriam Prot-Poilvet (H.98), Consultante et fondatrice, Prot-Poilvet Conseil En quelques mots quel est votre parcours ? Après avoir obtenu mon diplôme d’HEC, j’ai eu un début de parcours plutôt classique en intégrant Accenture en tant que consultante en Stratégie. En dernière année d’HEC j’avais choisi l’échange en second semestre de MBA à McGill (Montréal) consacré à la création d’entreprise – tout en étant très marquée par l’enseignement de stratégie d’HEC. Cette expérience a fortement orienté mon parcours professionnel puisque j’ai intégré Accenture en tant que consultante en Stratégie dans une équipe de taille humaine avec une très forte expertise. En parallèle, je suivais des cours à la Sorbonne afin de suivre un parcours universitaire en Histoire de l’Art. Après deux ans dans l’équipe Stratégie d’Accenture et ma licence d’Histoire de l’art en poche, j’ai saisi l’opportunité de faire une première rupture en prenant un congé sabbatique en entrant au musée du Louvre pour une mission de huit mois en tant que chargée de communication autour de certaines expositions à venir, et autour des solutions digitales émergentes. Pendant ces huit mois, j’ai mis en avant la sousexploitation des possibilités du digital en ce début des années 2000, ce qui m’a conduit à travailler sur la mise en place d’un mécénat de compétence avec Accenture. C’est ainsi que j’ai continué à être impliquée dans l’aventure digitale du Louvre pendant trois années, en tant que consultante. A la fin de ce mécénat, j’ai intégré définitivement les équipes digitales du Louvre pour créer le service Internet, puis, quelques années après, le Louvre-DNP MuseumLab, un lieu d’exposition et d’expérimentation sur la médiation par les nouvelles technologies, au Japon. 19 En 2006, j’ai passé la main sur les activités digitales du Louvre et je suis devenue chargée de mission – c’est à dire consultante interne – auprès de la Direction du Développement Culturel, puis auprès de l’Administratrice générale adjointe, à la Direction du Louvre. J’ai approfondi de nouveau des questions de stratégie, et d’organisation, mais cette fois spécifiquement dans le domaine culturel. J’ai commencé à enseigner cela en intervenant en école de commerce, par exemple. En 2009, après un congé de maternité, a lieu une deuxième rupture liée à une volonté de réinventer mon métier. J’ai alors pris un an de congé formation pour me consacrer à mes études d’Histoire de l’Art. Mes recherches, toujours en cours car je suis en thèse maintenant, portaient sur l’usage des technologies digitales pour l’analyse de la couleur dans les œuvres anciennes… De retour au Louvre, j’ai continué à être chargée de mission, j’ai poursuivi mes recherches en histoire de l’art, et enseigné la stratégie à Sciences Po, au Celsa-Sorbone ou encore à l’Ecole du Louvre. C’est alors que j’ai pris conscience que toutes mes activités étaient moins éparpillées qu’elles n’en avaient l’air et revenaient toujours à trois points d’ancrage: la stratégie, l’art et le digital. J’ai réalisé que cette diversité – ainsi que la complémentarité entre la théorie et la pratique - était indispensable à mon équilibre professionnel. J’avais besoin d’allier ces trois éléments dans mes activités. S’est posé alors la question du modèle du travail en entreprise, qui est peu compatible avec une telle diversité, surtout si on souhaite conserver une certaine disponibilité familiale. Continuer à travailler sur tous ces fronts me semblait tout à fait cohérent et des synergies au sein de cette diversité se faisaient de plus en plus évidentes. J’ai pris un mi-temps pour préparer mon projet pendant deux ans avant de prendre un congé pour création d’entreprise. Aujourd’hui, je suis mon propre patron et je développe mon activité autour de mes points d’ancrage : je suis consultante à mon compte en stratégie innovante pour des grandes entreprises ou des start-ups (l’art et le digital étant de puissantes sources d’inspiration dans ce domaine), présidente fondatrice d’une maison d’édition numérique qui donne des cartes blanches aux artistes, j’enseigne la stratégie des institutions culturelles et je mène des recherches en histoire de l’art utilisant le digital. Et tout se tient ! Ma double compétence HEC et universitaire en Histoire de l’Art me donne les moyens d’évoluer naturellement au sein de cette diversité d’activités. Quels sont les traits marquants de l’évolution de votre carrière? Alors que mon début de carrière a été plutôt classique en intégrant un grand cabinet de conseil, ma carrière a été ponctuée de ruptures douces et de beaucoup d’introspection, ce qui m’a progressivement conduit vers une évolution toujours plus assumée vers mes passions. Avec la naissance de mon enfant, j’ai vraiment ressenti le besoin de développer une nouvelle approche du travail me permettant d’allier art, stratégie et digital. C’est en créant ma propre structure que j’ai réuni les conditions me permettant de développer ces diverses activités de façon satisfaisante pour moi. Aujourd’hui il me semble important, avec l’arrivée de la génération Y (les moins de trente ans), de réfléchir à un mode de management différent. Eux aussi, ils recherchent à trouver un équilibre entre leur carrière, leurs passions et leur mode de vie – et les grosses entreprises ne sont pas toujours prêtes à leur offrir. Alors qu’il y a quelques années je rencontrais quelques difficultés à assumer mon envie de diversité, aujourd’hui 20 je l’assume et la revendique. En effet, elle est une grande force et je constate au quotidien une grande synergie entre mes activités – et tant pis si c’est un peu plus long pour répondre à la question « qu’est-ce que vous faites dans la vie ? » ! Avant d’arriver à cet aboutissement, il m’a été nécessaire de sortir régulièrement de ma zone de confort ou de celle dans laquelle le poids de la société essayait de m’enfermer. A chaque rupture, j’ai pu bénéficier d’apprentissages nouveaux qui représentent une source d’enrichissement personnel. Quels ont été les facteurs de votre échec/rupture/transition professionnelle ? Dans mon cas, mon évolution professionnelle est plutôt un processus par paliers et non une rupture franche. D’ailleurs c’est une évolution continue, qui je l’espère ne va pas s’arrêter. J’ai fait le choix d’une trajectoire permettant de privilégier un parcours autour de mes passions plutôt qu’une carrière normée. Il est vrai que je suis sortie du chemin traditionnel, j’ai suivi une trajectoire qui me correspondait et qui était plus proche de mes valeurs. Quel est votre retour d’expérience et quels conseils donneriez-vous ? Je dirais à chacun qu’il est essentiel de ne pas avoir peur de se tromper ou d’échouer. Il faut avoir un regard plus moderne sur l’échec, celui-ci est aussi une grande source d’apprentissage. Il est également possible de pondérer les risques d’un lancement d’une activité en prenant un congé sabbatique par exemple. L’essentiel me semble-t-il est de chercher, de rester actif par rapport à ses désirs et ses passions, de trouver des solutions innovantes pour sa propre carrière. Dès l’instant où on prend suffisamment de recul visà-vis de l’échec, on se libère et on avance plus vite. Je dirais aussi que lorsqu’on a un rêve en tête, il est parfois possible de se donner les moyens d’y accéder simplement, sans prendre le prétexte d’étapes intermédiaires. La ligne droite est toujours le plus court chemin et souvent le plus sûr moyen d’arriver à son but. Combien de fois des étudiants viennent me voir pour me parler du métier dont ils rêvent, qui leur semble a priori difficile à atteindre, et m’exposent ensuite des projets compliqués pour faire un autre métier d’abord et se réserver une petite possibilité ensuite, plus tard, peut-être, s’ils ont de la chance, d’atteindre leur rêve… Je leur dis toujours qu’avant de mettre en route le plan B ils doivent essayer le plan A ! D’ailleurs, le plan A et le plan B seront peut-être aussi difficiles à atteindre l’un que l’autre, et au moins avec le plan A ils se feront plaisir… Aller droit au but c’est surtout aller voir les gens, aller leur exposer son projet, ses rêves. Et ne pas hésiter à rencontrer les gens qui nous font rêver et leur demander comment ils sont arrivés là. Au pire ils ne vous reçoivent pas, au mieux ils vous aident à avancer sur votre parcours. Mon dernier conseil serait de s’écouter, et de prendre bien garde à ne pas se laisser imposer des désirs par l’extérieur… Marie-Christine Caradopoulos (E.01), Facility Manager France, Honeywell SA * Généraliste, polyglotte, Black belt 6 sygma, ambitieuse et volontariste, Marie-Christine Caradopoulos a pourtant vécu par deux fois dans sa carrière une rupture franche. Échec ou opportunité ? Elle nous en dit 21 plus sur ce qui aurait pu être vécu comme des échecs et dont elle a pleinement su tirer parti. Deux ruptures ? Pouvez-vous nous en dire plus ? J’ai vraiment débuté mon parcours professionnel en 1991 lorsque j’ai intégré le groupe General Electric. J’y ai été recrutée en tant que chef de projet et mon dernier poste occupé était celui de Black Belt; entre temps, j’avais bénéficié de nombreuses formations en interne (notamment la méthodologie Six Sygma) et au final, j’ai renforcé mes connaissances en intégrant l’EMBA d’HEC, avec le support du groupe GE. La première rupture s’est faite à l’issue de l’EMBA : j’étais jeune, un plan social a été annoncé par le groupe, j’ai décidé d’en profiter. Aucun sentiment négatif à l’époque : cette rupture, je l’avais décidée. Je rebondis donc rapidement. En 2004, je suis recrutée par un autre grand groupe américain en tant que Directrice du service client et contentieux. La seconde rupture a eu lieu quatre ans plus tard dans cette entreprise. La suppression de mon poste a été décidée suite à une réorganisation, quelques mois en amont de l’annonce d’un plan social. La rupture, orchestrée brutalement, m’a amené à quitter ce groupe puis à intenter un procès pour faire valoir mes droits. Le procès a duré deux ans. Nous sommes en 2008, en pleine crise économique et je ne suis pas la seule cadre dirigeante dans ce cas-là… Une rupture brutale, la remise en cause de vos compétences, un procès à préparer… Comment sort-on de cette spirale ? Par la volonté d’abord : je voulais me remettre en selle très vite. J’étais donc prête pour cela à relever de nouveaux défis. Par le réseau ensuite, en ne restant surtout pas seule face à ces sentiments négatifs qui vous envahissent parfois. J’étais active au sein de deux réseaux : celui des Alumni HEC bien entendu et le réseau Oudinot. Par le travail sur soi enfin. La crise a cela de positif qu’elle vous oblige à vous recentrer. J’ai beaucoup investi sur moi-même en menant une réflexion profonde sur les choses essentielles à mes yeux. Cela m’a notamment permis de faire le deuil de certains aspects de ma carrière, d’une certaine vision de la « réussite ». Au final, j’en suis sortie capable de voir et de profiter d’opportunités auxquelles je n’aurais pas forcément prêté attention auparavant, sans cette réflexion et cette profonde remise en cause. De nouvelles opportunités se sont donc présentées ? Oui, entre les ateliers auxquels je participais pour avancer dans ma recherche et les contacts pris tous azimuts pour retrouver une activité, c’est finalement ma prof de danse qui m’a parlé d’une entreprise qui cherchait quelqu’un pour faire de la « gestion du changement ». Autant dire un nouvel univers pour moi. Contact pris, l’entreprise en question cherchait un consultant pour gérer une mission majeure de réorganisation d’espace de travail chez un grand compte du CAC 40. Dans ce contexte, mon âge et mon expérience ont été des atouts pour cette entreprise majoritairement jeune. Le poste qui s’est révélé recouvrir plus que la mission de conseil en elle-même m’a été confié. Avez-vous du faire des compromis avec vos attentes pour obtenir ce poste ? En effet. Comme je le disais « faire le deuil de l’avant » est indispensable. Ma priorité était de retrouver une activité professionnelle. J’ai accepté pour cela plusieurs choses : une baisse de revenus de l’ordre de 30 % par rapport à mon précédent package. Il a fallu 22 également accepter de relever de nombreux défis : apprendre un nouveau métier (celui du conseil en aménagement d’espaces de travail), mettre son ego de côté (un consultant accompagne, il ne sera jamais mis sur le devant de la scène), découvrir les secteurs d’activités de mes clients (automobile, immobilier, nouvelles technologies, etc.). Cela fait cinq ans je crois que vous avez rejoint cette entreprise de conseil. Où en êtes-vous aujourd’hui ? Eh bien, le client pour lequel je travaille depuis plusieurs années déjà s’est rapproché d’un autre groupe. Je viens d’être embauchée par ce groupe pour poursuivre le travail que je mène via ma société de conseil (Head of Facility Management) mais, cette fois, en direct et en interne et ce, sur l’ensemble du territoire national. Quels conseils donneriez-vous à un cadre dirigeant qui vient de vivre un « échec » professionnel ? Avant tout de prendre conscience que le changement est inhérent à la vie. Nous avons facilement tendance à penser que nous perdons beaucoup lorsqu’une rupture de la carrière « nous tombe dessus ». Mon expérience m’a démontré qu’au final on gagne plus que l’on ne perd, dans la mesure bien sûr où l’on est prêt à passer par une phase de deuil qui peut être difficile. Ensuite, de bien s’entourer, ne jamais rester seul : groupes de travail, associations, réseaux, coach… Les ressources ne manquent pas de nos jours ; à chacun de trouver celles qui lui correspondent le mieux pour avancer dans son projet. Et enfin, je lui conseillerai de profiter de cette opportunité qui lui est offerte pour se recentrer sur lui/elle. Pour réfléchir à ses « essentiels ». Être en cohérence avec soi, c’est la recette du succès à mon sens, y compris au plan professionnel. * NDLR : Elle rejoindra le 1er Octobre Jones Lang La salle en tant que Facility Manager France pour le compte Honeywell. Le coin Cultur’elle Les sites Web Une sorte d'anti TED est apparu aux États Unis en 2009 : la Fail Con ( de "Failure" et "Conférence") Une journée de témoignages d'entrepreneurs, dirigeants ou encore hommes politiques sur leurs échecs. Le principe : Oser partager en public pour mieux rebondir et se préparer au succès. La première a eu lieu à Paris en 2014, la dernière en date à Toulouse le 18 juin dernier. A suivre pour de nouvelles éditions en France http://toulouse.thefailcon.com/2015/ Les articles Publié en avril dans la revue HEC : « Comment tirer profit de ses échecs ? » : accessible en ligne sur le 23 site hecalumni.fr : http://www.hecalumni.fr/fr/magazine/business/business/commenttirer-profit-de-ses-echecs Les associations J’ai testé pour vous…les "FUCK-UP NIGHT". Ou pourquoi faut il célébrer l’échec ? L'échec, on en a tous peur. On est conditionnés depuis tout petit par un système qui stigmatise l'échec, où la réussite passe par un "Sans-faute", où celui qui a échoué se sent coupable, se trouve isolé, remis en question personnellement, et a beaucoup de mal à s'en remettre. Or dans l'entrepreneuriat, l'échec- partiel ou total- est presque inévitable. Difficile à priori d'oser se lancer dans ces conditions, et encore plus difficile de rebondir lorsqu'on a connu un échec entrepreneurial! Et pourtant… Si l'on regarde de près, les entrepreneurs qui ont le mieux réussi…sont aussi ceux qui ont le plus échoué! L'échec et le rebond seraient donc des conditions de succès? C'est pour porter ce message et faire évoluer les mentalités que l'association "Second Souffle" a été créée, pour rassembler et accompagner des entrepreneurs qui ont connu l’échec et les aider à repartir. Son but: démarginaliser l'échec et valoriser l'audace, l'expérience entrepreneuriale et la prise de risque comme source de croissance et de réussite. Cette association, qui rassemble entrepreneurs, élus locaux, salariés et bénévoles, est bien entendu née de l'expérience, partagée par beaucoup, des difficultés personnelles et économiques liées à l'échec entrepreneurial. L'association a développé le concept des "After Fail" ou "Fuck-Up Night", des soirées conviviales organisées par Alexis Sordet (M.04) où plusieurs entrepreneurs qui ont échoué puis rebondi viennent partager leur expérience. Je suis invitée à témoigner à l'une de ces soirées, dans le cadre informel et chaleureux d'un bar. Une quarantaine de personnes présentes, surtout des entrepreneurs, aux profils riches et variés. Tout le monde est debout et fait connaissance. J'y retrouve par hasard un ancien camarade d'HEC qui vient de se lancer. Le monde des entrepreneurs est petit! Nous avons le plaisir d'écouter un premier témoin d’échec, Julien Sylvain, qui explique avec simplicité et sourire les déboires de son aventure entrepreneuriale de lits en cartons…avant de rebondir en créant une entreprise de lingerie ! Son histoire est drôle, émouvante, sincère. Les questions fusent, directes et bienveillantes "financièrement comment avez-vous fait?", "que vous a apporté cet échec pour votre réussite actuelle ?". Les réponses sont sincères, personne n'est là pour juger, tout le monde est là pour apprendre. C'est ensuite à mon tour de raconter l'échec de mon entreprise de casiers de plage. C'est la première fois qu'on s'intéresse de manière positive à mes ratés et mes erreurs: qu'est 24 ce que j'ai appris ? Qu'est ce que ces échecs m'ont permis ? Qu'est ce que je ferai différemment désormais ? Je ne cherche pas à embellir l'histoire, je raconte tout, avec une pointe d'humour que permet le recul: ma confiance aveugle dans les débuts, ma faiblesse face à un investisseur mal intentionné, mon découragement après son départ, mes problèmes avec mes associés etc. Puis la traversée du désert et enfin le nouveau départ vers la "business harmony". La discussion qui s’ensuit est très intéressante. Pour moi, c'est libérateur d'échanger sur ces sujets, de revivre les heures très sombres et les grands moments qui ont suivi, et de prendre conscience de tout ce que ces échecs m'ont permis de devenir. Et pour le public, c’est inspirant et rassurant de comprendre qu’on fait tous de grossières erreurs, et qu’elles nous apportent finalement beaucoup plus qu’elles ne nous coûtent. Alors pour toutes celles qui hésitent à se lancer, allez-y, tentez l’expérience, et si vous échouez non seulement vous aurez appris mais vous aurez de belles histoires à raconter lors de la prochaine Fuck-Up Night ! Et faites passer le mot: l'échec fait grandir, le rebond fait plaisir ! Les associations du rebond : http://secondsouffle.org/ http://www.fondsdurebond.fr/ Par Hélène de Saint-Front (H.10) Les prochains événements HEC Au Féminin N’oubliez pas de consulter l’agenda des événements (ateliers et conférences) sur le site de www.hecalumni.fr sur le mur HEC Au Féminin Elles bougent Tous les moyens de l’esprit sont enfermés dans le langage, et qui n’a point réfléchi sur le langage n’a point réfléchi du tout." Alain, Propos sur l’éducation. Les titres de nos camarades sont désormais systématiquement féminisés. Elles ont changé de poste dans les derniers mois, nous vous le disons avec : http://www.nomination.fr/accueil.php 25 L’équipe du Magazine HEC Au Féminin a besoin de renfort ! Vous avez envie de prendre la plume sur les sujets qui vous passionnent ? Vous voulez partager avec une équipe de rédactrices de tous les âges ? Vous voulez interviewer des experts reconnus ou de grandes professionnelles ? Rejoignez le Magazine ! Nous nous réunissons lors d’une conférence de rédaction le samedi matin environs tous les 2 mois pour préparer le prochain numéro. Pour participer et connaître la date de la prochaine réunion, contactez [email protected] Pour que les hommes aient envie de lire le Magazine, pensez à l’envoyer à 5 hommes autour de vous ! Incitez-les à s’abonner : envoyer un mail à [email protected] : je souhaite recevoir le Magazine HEC Au Féminin. Appel à Partenariat : Appel auprès de partenaires : Vous avez envie de contribuer d’une manière ou d’une autre au rayonnement de HEC Au Féminin. Les événements sont un de nos axes forts mais nous avons toujours besoin de salles pour les accueillir. Si vous pouvez mettre à disposition une salle, de toute taille, et à titre gracieux, merci de prendre contact auprès de Evelyne Kuoh ([email protected]). Appel au bénévolat : HEC Bénévolat est un lieu d’échange et de services pour les bénévoles HEC de tous âges. Ensemble, ils développeront l’image de solidarité des HEC à l’intérieur et l’extérieur de l’association à travers la Bourse du bénévolat, le Club des présidents d’association, le groupe « Fundraising », la coopération avec les groupes professionnels, etc. Nous tenons une permanence à l’Association, tous les jours de 10 h à 12 h. Nous y recevons les camarades en recherche d’activité bénévole. Prise de rendez-vous par téléphone au 01 53 77 23 33. Appel à témoignages : Nos prochains numéros, aidez-nous à les construire ! Notre prochain numéro, n°62 : Réussir le début de sa vie professionnelle Faites de ce Magazine le vôtre ! Réagissez, critiquez, suggérez, contribuez par vos témoignages, enrichissez-les ! Racontez-vous pourquoi et comment ! [email protected] Envoyez-nous vos témoignages à. Vos témoignages restent anonymes si vous le souhaitez. Et si vous avez envie que nous traitions un thème en particulier, si vous voulez réagir à un de nos articles, envoyez-nous 26 vos suggestions et témoignages à la même adresse. La rédaction sera ravie de donner encore plus la parole à ses lectrices et lecteurs. Et prochainement, dans le Magazine : Thématique sectorielle (Carrières des femmes dans un secteur spécifique) : Luxe d’exception, haute joaillerie, haute couture, grandes maisons de vente, vins et spiritueux, culturel, aéronautique, carrières universitaires/recherche, industrie pharmaceutique, libéral… Les réseaux professionnels « féminins » Le développement durable Pour recevoir le Magazine HEC Au Féminin, il faut mettre à jour vos coordonnées soit directement sur le nouveau site de notre Association (une fois identifiées, cliquez sur « Mon Espace » puis allez dans les rubriques « Mon Profil » et « Mon Compte ») ou par email à [email protected] ou auprès d’Annick Drouet tél 01 53 77 23 31 / [email protected] Messieurs, si vous souhaitez recevoir le Magazine HEC Au Féminin, prenez contact avec HEC Au Féminin : [email protected]. 27