Le magazine HEC au féminin

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Le magazine HEC au féminin
Le Magazine HEC Au Féminin n° 61
La valeur de "l'échec" après une aventure entrepreneuriale...ou salariale
Le Magazine est envoyé par courrier électronique à toutes les diplômées d’HEC Paris
(Grande Ecole, MBA, Executive MBA, Mastères et Docteurs), ainsi que les étudiantes du
campus, les présidents des Groupements professionnels, des Clubs et des Groupes de
régionaux et internationaux.
Nous vous invitons également à aller découvrir le blog Trajectoires HEC AU Féminin à
l’adresse ci-dessous. Vous y retrouverez toutes les informations utiles sur les
manifestations HEC Au Féminin, des interviews de femmes inspirantes, des compterendus d’événements : Trajectoires HEC Au Feminin
Dans ce numéro, vous trouverez les interviews de :
Alain Nebout (MBA.87), Directeur d’HEC Carrières, HEC Alumni
Louise Albertini, Directeur associé du cabinet Enjeux et Dirigeants
Juliette Tournand, Coach, conférencière et auteur de "Secrets du Mental des
navigateurs océaniques" et de "La Stratégie de la Bienveillance"
Pascal Neveu, Psychanaliste
Cristelle Ghekière (HJF.72), Chief Executive Officer de Seniosphère. Candidate Prix
Trajectoire 2012
Emilie Gobin Mignot (H.09), co-fondatrice de l’Usine à Design, Lauréate du Prix
jeune pousse pour l’Usine à Design, entrepreneur in residence à Numa
Hélène de Saint-Front (H.10), co-fondatrice de Business Harmonist. Membre de
l’équipe réseaux/événements de HEC Au Féminin
Myriam Prot-Poilvet (H.98), Consultante et fondatrice - Prot-Poilvet Conseil
Isabelle Capron (H.79), Vice Présidente Icicle Sanghai Fashion group
Marie-Christine Caradopoulos (E.01), Facility Manager France, Honeywell SA
Notre équipe de rédaction de ce numéro :
Responsable du Magazine:
Nathalie Halna du Fretay (H.86)
La rédactrice en chef de ce numéro:
Magali Bouges (M.12)
Editorial
Nathalie Zavidovique-Pakin (MBA02)
Les rédactrices de ce numéro
Magali Bouges (M.12), Bénédicte Cateland (H.97), Caroline Franceschetti (E.15),
Nathalie du Fretay (H.86), Sophie Hollanders (M.07), Caroline Jumelle (H.02),
Dominique Latrilhe (M.06), Sophie Resplandy-Bernard (H.92), Christine
Rodrigues (E.15), Hélène de Saint-Front (H.10), Nathalie Zavidovique Pakin
(MBA02)
Sommaire
Editorial .............................................................................................................. 3
Introduction ....................................................................................................... 5
Les Expert(e)s .................................................................................................... 7
Les Témoignages .............................................................................................. 15
Le coin Cultur’elle ............................................................................................. 23
Les associations ............................................................................................... 24
Les prochains événements HEC Au Féminin ...................................................... 25
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©Faïza Mebazaa
Editorial
L’échec est à la mode, les magazines d’économie en vantent les vertus, sa valeur
d’apprentissage, son passage obligé sur le chemin de l’innovation… et pourtant…
fondamentalement, la perception de l’échec est loin d’être toujours positive.
En France, si la vague entrepreneuriale et l’aspiration croissante des générations X et Y à
l’autonomie est en train de permettre une plus grande acceptation des aléas de la vie, en
particulier professionnelle. Pour autant, cela reste teinté d’une aura bleutée. A titre
d’exemple, ce n’est qu’en septembre 2014 que les 144 000 entrepreneurs figurant dans
les listes de la Banque de France, car ayant fait faillite, ont été affranchis. Ils n’avaient
avant cette date plus accès au financement tant personnel que professionnel.
Dans certains milieux, d’innovation, d’entreprenariat, l’absence d’échec est au contraire
suspecte. Car l’échec est la contrepartie de l’essai et donc de l’innovation. C’est en
échouant et en travaillant sur cet échec que des Edison, Pasteur, Gates, Jobs, et autres
ont construit leur réussite. L’échec est voisin du doute, de l’interrogation, de la remise en
question. Accepter l’échec, c’est pouvoir prendre des risques et avancer. Toute décision
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importante, personnelle comme professionnelle comporte un risque et une possibilité
d’échouer. Pour autant, le pire reste de ne pas décider, de ne rien tenter. Certains font
une analyse dite rationnelle, qui peut prendre la forme d’une SWOT ou autre, avant de
choisir leur époux. Est-ce une bonne mitigation du risque ? Car le couple est par essence,
une entreprise risquée, et pour autant largement pratiquée.
Mais l’échec reste un peu honteux, on le cache, le pare d’un peu plus de rose. Certains le
fuient, d’autres font avec, plus rares sont ceux qui l’accueillent. Et pourtant, l’échec, par
la confrontation au réel de ses schémas mentaux entraine une prise de conscience, qui
peut être brutale, de ses limites, des limites de ses modes de fonctionnement, voire de
ses automatismes. Et oui, c’est douloureux avant toute chose.
Pour autant, quand la personne peut regarder l’événement, quand elle arrive à
s’interroger avec courage, sincérité et honnêteté, alors, il est possible non seulement
d’en tirer les enseignements, mais surtout, de le dépasser, et de se rapprocher de sa
vérité d’être humain. C’est le cadeau caché qui vient à la fin du processus de deuil, le
moment où on se dit qu’on a traversé tout cela et que c’est bien ainsi.
L’échec est un puissant moteur d’apprentissage, qui nous procure un peu plus de
sagesse, un cadeau de la vie. Et le plus grand des échecs reste de ne pas essayer.
L’échec est le fondement de la réussite.
Lao-Tseu
La véritable histoire d'un homme est celle de ses échecs.
Le meilleur moyen de rencontrer l'échec consiste à le fuir.
Robert Sabatier
Le succès, c’est d’aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme.
Winston Churchill
La chute n’est pas un échec. L’échec c’est de rester là où on est tombé !
Socrate
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Introduction

Alain Nebout (MBA.87), Directeur d’HEC Carrières, HEC Alumni
L’échec ? … une réussite différée !
Comment ne pas nous enrichir de l’analyse d’Alain Nebout qui, pendant
15 ans, a reçu dans son bureau pas moins de 7500 diplômés HEC. Alain
nous livre ses réflexions….
Tranches de vie …
Dans le premier âge de la vie (professionnelle), les échecs peuvent être mal vécus. La
force du diplôme HEC donne en effet un « imperium de réussite ». Une petite voix
intérieure indique au jeune diplômé qu’il doit réussir en tant qu’HEC. Et la réussite étant
positive en soi, chacun court après, la réussite devient la loi commune.
Si d’aventure, l’échec sanctionne ce premier parcours, l’incompréhension nait mais l’on
se dit que c’est simplement un problème d’orientation et l’on ne se sent pas soi-même
remis en cause.
Certains jeunes pourtant sont très affectés de ne pouvoir trouver leur chemin
rapidement, cela peut provoquer une déception d’eux-mêmes, même irrationnelle et une
grande tristesse de ne pas pouvoir exprimer toute la valeur dont ils estiment être
porteurs.
Ces cas sont cependant peu nombreux et la réussite le plus souvent est là lors des
premières années. Et c’est précisément à ce moment qu’il faut être vigilant car le risque
existe de tomber d’un peu plus haut.
Après 10 à 15 ans d’expérience professionnelle, dans l’économie actuelle, il est rare
qu’une personne ne soit pas – ou n’ait pas - confrontée à une difficulté professionnelle.
Les raisons d’un échec quand il a lieu sont souvent alors plus complexes. L’individu ne
contrôle pas tout ni tout le temps ; il est dépendant de grandes transformations
technologiques et économiques, d’évolutions imprévisibles de sa société, de son
service….
L’échec s’il survient dans cette période de la trentaine, renvoie le plus souvent à la peur
de ne pas savoir rebondir.
Mais cet échec devient intéressant pour la personne car il est alors porteur d’une
correction plus forte de sa trajectoire.
Les personnes discernent bien les raisons exogènes de leur échec des raisons qui
dépendent exclusivement d’elles-mêmes. Cela déclenche des interrogations plus
personnelles. Certains se disent qu’ils ne veulent plus continuer dans la même direction,
car « ce n’est plus eux », et veulent se recentrer sur ce qu’ils sont réellement, sur leurs
désirs d’avenir aussi. D’autant plus qu’à cet âge, il est encore temps, on est adaptable,
agile, avec un temps long devant soi pour réaliser un projet en accord avec ses
convictions et ses compétences : on veut et on peut « trouver sa place ».
Après 45 ans, les personnes apprennent à s’adapter et capitalisent sur leurs capacités de
résilience pour trouver leur vraie place, mais de façon itérative. Cela prend du temps,
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pour les hommes comme pour les femmes. Mais ces personnes, expérimentées, arrivent
la plupart du temps à retrouver une voie plus personnelle et durable. Cette voie
professionnelle est alors dégagée des « oripeaux » de la réussite professionnelle
classique, pouvoir, argent, hiérarchie, visibilité, et se fonde sur les compétences et les
goûts profonds de l’individu.
Ma vérité ressentie…
L’échec existe, il rend plus fort et plus vrai la plupart du temps. Il se révèle souvent in
fine un facteur de succès. Nous l’avons dit, pour les HEC, il y a ce fameux imperium de
réussite. Cela amène parfois le diplômé HEC à « forcer » sa nature : ça passe ou ça casse
! Et si cela casse c’est au fond souvent parce que ce diplômé HEC ne désire plus vraiment
« rester » ce qu’il est devenu. Passées les premières années, les HEC qui viennent dans
mon bureau ont envie d’être au plus près d’eux-mêmes et transigent moins avec euxmêmes.
En fait, dans « les 30 glorieuses », il s’agissait de sortir de sa zone de confort, de se
challenger, de corriger ses faiblesses..., pour s’améliorer et profiter des nombreuses
opportunités du marché. Aujourd’hui, après certains échecs ressentis, dans une économie
beaucoup plus difficile qu’alors, l’objectif est plutôt d’identifier ses capacités durables et
de trouver ce que l’on aime faire : c’est plus sécurisant.
Mais dans le même temps, les nouvelles générations Y qui se lancent dans
l’entreprenariat veulent éviter le statut d’inconfort que représente à leurs yeux le
salariat. La joie de créer est si forte que les jeunes entrepreneurs ne décrivent plus
l’échec que comme un simple aléa comme un autre sur le chemin de la réussite de leur
entreprise.
« Exit » donc la notion d’échec pour un entrepreneur… Sauf cependant, toutefois s’il
s’agit de l’échec définitif de son entreprise ! Et j’ai rencontré souvent dans mon bureau
de ces jeunes en panne de rêve entrepreneurial, abattus à l’idée de devoir revenir dans
le champ professionnel « normal » et ne concevant guère la perte de liberté qu’elle soustend…
D’une façon plus générale, l’échec apparait actuellement de plus en plus comme un vrai
apprentissage. Et le concept de « test and learn » est en train de se diffuser largement.
Les changements et transitions multiples ne peuvent plus être vus comme des échecs.
Chacun devient une « petite entreprise de soi-même», dotée de compétences diverses,
ces fameuses « soft and hard skills »… Ce panier de valeurs évolue en fonction des
étapes de la vie professionnelle avec des hauts et des bas et nous amène à le gérer de
façon agile et opportune. L’échec est ainsi relativisé, sa vision change, il perd son
caractère trop inquiétant.
Avez-vous remarqué ? Une expression est très couramment employée aujourd’hui : «
c’est pas grave ! ». Et les échecs entrainent un processus de rebonds plus fréquents qui
permettent de reconstruire de façon résiliente une vie professionnelle mieux réussie…
même si ce n’est pas toujours en quelques mois ou en un an !
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Les Expert(e)s

Louise Albertini, directeur associé du cabinet Enjeux et Dirigeants, conseil en
évolution professionnel de dirigeants
En quelques mots, quel est votre parcours ?
Crédit photo :
de Silans
Patricia
Je me suis orientée très rapidement vers le développement
professionnel, bien que ma voie se soit définie au fil du temps.
Après des débuts dans la formation de formateurs, le recrutement,
et une formation en psychologie clinique et en psychanalyse, cela
fait 20 ans que j’accompagne spécifiquement des dirigeants en
phase de transition professionnelle. J’ai rejoint ce métier en 1993,
époque de l’explosion de l’outplacement, l’activité ne s’étant jamais
réduite depuis. Cela m’a permis d’avoir un fort développement de
carrière après 40 ans, à un âge où cela devient généralement plus
difficile, en particulier pour les femmes.
Selon vous, y a-t-il plus de parcours « non linéaires » qu’il y a quelques
années ?
Par définition, ma vision ne couvre que les salariés, et non les entrepreneurs. La réponse
est oui. Il y a plus d’aléas de parcours, ils interviennent plus jeunes, entre 30 et 40 ans.
Il est donc plus fréquent d’en avoir plusieurs au cours de sa carrière, notamment depuis
les années 2000. Il y a plusieurs facteurs. A commencer par l’accélération de la vie des
entreprises : les réorganisations, acquisitions, recentrages d’activités, … sont autant de
situations qui peuvent provoquer une rupture professionnelle. Des structures moins
stables ont entrainé un durcissement du management et une exigence plus forte vis à vis
des autres. La multiplication des outils 360°, d’évaluation, …, en sont une illustration. Il
faudrait être un manager parfait. Mais ceux qui les demandent, sont-ils des managers
parfaits ? Non, évidemment. Des différents relationnels peuvent ainsi créer la rupture.
Enfin, et c’est le reflet d’une évolution plus générale de notre société, la relation à
l’autorité a été transformée. Chaque niveau hiérarchique a conscience de sa contribution
à l’ensemble du groupe et souhaite exprimer son point de vue, mais le N+1 reste le
supérieur hiérarchique et ne l’accepte pas toujours … ces tensions peuvent aussi
expliquer des départs. Cela dit, il y a toujours des personnes qui font carrière 25 ou 30
ans dans la même entreprise !
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Comment l’échec peut être valorisé, surtout en France ?
Tout d’abord, qu’est-ce que l’échec ? Il y a échec lorsque l’on considère ne pas avoir
réussi à trouver le moyen de dépasser une difficulté, de résoudre un problème. Dans les
1
Note de l’éditeur
Etude outplacement individuel cadres - Mars 2014 (sur 1446 missions réalisée en 2013) – Syntec
« Les bénéficiaires des missions d’outplacement demeurent principalement les collaborateurs de 35 à 50 ans (38% des
missions), puis les 45/50 ans (26%), ayant entre 5 et 15 ans d’ancienneté dans leur entreprise. Depuis le lancement de
l’enquête en 2000, la part relative des profils plus expérimentés continue de croître parmi les bénéficiaires d’outplacement :
plus de 45 ans (48% en 2013), avec une formation bac+5 (64% en 2013 soit 1,5 fois plus qu’en 2000) et avec un niveau de
rémunération en conséquence (73% gagnent +50K€ annuel, dont 28% +100K€). »
http://www.syntec.evolution-professionnelle.com/fichiers/20140411152738_Resultats_Etude_Outplacement_individuel_cadres_2014.pdf
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situations que je connais, l’échec se traduit par la rupture avec l’employeur. Mais l’échec
ne se manifeste pas toujours par une rupture avec l’employeur : il peut y avoir rupture
sans échec, et, inversement, des échecs sanctionnés autrement que par des ruptures,
voire par des promotions (pour se débarrasser facilement de quelqu’un par exemple).
Pour valoriser l’échec, il faut commencer par ne pas confondre le faire et l’être.
L’incapacité que l’on a rencontrée à ne pas aboutir là où on voulait aboutir n’est pas un
défaut de l’être, de soi. On porte trop souvent atteinte à l’intégrité de la personne, dans
des situations où seuls les actes de cette personne devraient être examinés. C’est très
français, et résulte de notre système éducatif, où la qualité d’un élève est trop souvent
amalgamée à ses résultats scolaires. Il faudrait faire évoluer notre demande à l’égard de
l’école. Vaste programme…
Quels conseils donneriez-vous pour « rebondir » après un échec, en tant que
salarié ?
Qu’est-ce qui détermine qu’une situation est qualifiable d’échec ? Principalement, le
sentiment d’échec. C’est la première chose sur laquelle nous travaillons avec nos clients.
Ce sentiment d’échec ne doit pas demeurer, pour permettre le rebond. Pour cela, il faut
relativiser l’échec. Faire la distinction entre l’échec et son propre sentiment d’échec. Si on
a mis un enjeu personnel très fort, on peut avoir un sentiment d’échec très fort alors que
la situation n’est pas dramatique ou que tout n’a pas échoué.
Il faut ensuite pouvoir analyser la situation. Quand on travaille sur les raisons d’une
rupture de relation de travail, on s’aperçoit des multiples dimensions en jeu. Il faut
arriver à démêler et mieux se représenter la part que l’on a jouée soi-même, et les
causes extérieures.
C’est tout d’abord l’occasion de mieux connaître ce que l’on n’avait pas envie de réussir,
ses zones de vigilances ou de perfectionnement, les capacités que l’on peut mobiliser
pour dépasser cette difficulté. C’est difficile, car il faut surmonter ses propres limites :
son sentiment de culpabilité, sa vision trop rationnelle qui ne permettra pas d’identifier
les éléments plus subtils…
Mais l‘échec, ce n’est pas que soi, les autres ont pu y aider. Avec les dirigeants avec
lesquels je travaille, la compétence professionnelle n’est jamais la cause essentielle de
rupture. A ce niveau de carrière, après des années dans une entreprise, ce sont de bons
professionnels, sinon ils ne seraient pas là. Ce qui est en cause, c’est tout
l’environnement (humains, de moyens,…) et la perception que l’on a de cet
environnement. Par exemple, face à une action ou décision que vous prendrez, les
conséquences ne seront pas les mêmes, selon la personne qui vous évalue à un moment
donné, ses propres contraintes ou objectifs personnels. Un patron peut être plus ou
moins sensible à un certain comportement, ou être sous pression de son conseil
d’administration, et sanctionner quand un autre ne l’aurait pas fait, ou lui-même ne
l’aurait pas fait à un autre moment. L’échec n’est pas un élément objectif, c’est une
réaction en chaine à un fait générateur, réaction très influencée par tout
l’environnement. Démêler sa part de responsabilité est difficile, car les règles ne sont
jamais exprimées, ou plutôt, les règles exprimées dans une entreprise sont rarement
celles qui s’appliquent en réalité.
Enfin, il y a des zones d’ombre auxquelles la personne en échec n’a pas accès, elle n’a
jamais toute l’information.
L’échec, le succès, ça a l’air simple, mais ça ne l’est pas, c’est éminent relatif.
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Emilie Gobin Mignot (H.09), co-fondatrice de L’Usine à design, entrepreneur in
résidence à Numa
En quelques mots, quel est votre parcours ?
Dès l’école, je me suis intéressée à l’entrepreneuriat web ; mais c’est au
travers d’une mission HEC Entrepreneurs sur l’innovation web et le
meuble que L’Usine à design est née en 2009. La crise de 2008 était
passée par là, et notre promotion remettait en question le bien fondé des
carrières classiques, dans les grands groupes ou les banques, et pour
autant, nous étions peu à entreprendre. Après quatre années de
développement, deux levées de fonds totalisant 5,6 millions d’euros, nous
Crédit
photo
étions le 5ème pure player français de décoration et de design, avec des
libre de droit
établissements en France et en Chine, et une trentaine de salariés. La
croissance de notre chiffre d’affaires n’assurait pas encore notre rentabilité lorsque notre
troisième levée de fonds n’a pas été à son terme. Nous avons donc dû fermer à l’été
2013. Depuis, j’ai joué le rôle de business développeur et de leveur de fonds à Numa,
mais aussi d’accompagnateur de jeunes start-ups qui démarrent chez Numa. Et je vais
bientôt remonter en selle, dans une nouvelle aventure entrepreneuriale.
Observez-vous beaucoup de parcours « non linéaires » ?
Oui, pour différentes raisons. Au comité HEC Entrepreneurs, ou chez Numa, je vois
beaucoup de jeunes diplômés qui se lancent directement dans l’entreprenariat. Ils n’ont
pas encore acquis les bases du management, de la négociation, de connaissances
sectorielles, alors évidemment il faut bien s’entourer. L’œil du novice permet parfois des
innovations majeures, et donc de réinventer complètement une industrie, mais d’autres
travaillent sur des sujets non fondamentaux, avec une d’ambition qui n’est pas toujours à
la hauteur de leur talent. Ces start-ups vivotent un temps, puis des changements
drastiques s’imposent. D’autres jeunes diplômés rejoignent des start-ups plus établies,
en évolution rapide, ce qui génère aussi des changements de carrière fréquents, car tout
va vite dans cette économie de l’innovation. Enfin, la jeune génération n’hésite pas à
faire des choix très personnels, comme de quitter un emploi de DAF dans une start-up
pour devenir restaurateur. Donc, oui, à trente ans, il n’est pas rare d’avoir déjà changé
plusieurs fois de jobs.
Quels conseils donneriez-vous à un entrepreneur, pour « rebondir » après un
échec ?
Qu’est-ce que l’échec ? Quelqu’un a une ambition, il ne la mène pas au bout, cela génère
de la souffrance. Cela peut être très violent, selon son niveau d’ambition personnelle.
Quand la souffrance n’est plus là, il n’y a pas d’échec, il y le chemin parcouru.
La première chose à faire est de prendre son temps. De se reconstruire, de comprendre,
de décortiquer, de rationaliser les raisons de sa non réussite, pour être armé
différemment si la situation se représente et agir autrement. Ce n’est pas évident, car il y
a du déni, parfois une honte qui veut que l’on n’en parle pas, or il est important
d’extérioriser. Traverser ce moment avec un coach professionnel peut être très utile, je le
recommande à 100%. A tout le moins, il faut s’entourer de mentors.
Et si l’échec prend la forme d’une liquidation judiciaire, je signale l’association 60.000
rebonds (qui tire son nom du nombre de liquidations judiciaires par an au moment de sa
création, le chiffre actuel est plus près de 65.000). Elle accompagne bénévolement, par
du coaching et du mentorat sectoriel, des patrons dont l’entreprise a déposé le bilan. Elle
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fait également des travaux de recherche, notamment sur le rebond de ces chefs
d’entreprise.
Comment l’échec peut être valorisé, surtout en France ?
Le monde du web et des start-ups est un monde où l’échec est beaucoup mieux accepté
que dans d’autres secteurs. Parce que c’est inhérent à l’innovation de rupture,
évidemment. C’est moins le cas quand on ferme un restaurant ou le business familial.
Le travail intérieur mentionné plus haut peut faire beaucoup grandir, progresser
l’entrepreneur. Il y a une valeur à exploiter cette richesse dans une nouvelle activité.
Mais, malgré des réformes de simplification affichées, l’environnement administratif n’est
pas aussi constructif. Par exemple, après notre liquidation judiciaire, l’enquête du
ministère public a duré deux ans. Dans l’attente de ses conclusions, j’ai évidemment
refusé de prendre tout engagement. C’est long. Puis, lorsque j’ai voulu ouvrir un compte
bancaire pour une activité de conseil, donc non capitalistique, la banque a trouvé
l’histoire de l’Usine à design sur internet, et refusé. Grâce à mon réseau, j’ai finalement
pu ouvrir un compte bancaire. Mais le droit à une nouvelle chance n’est pas encore bien
suivi d’effet …

Juliette Tournand, Coach, conférencière et auteur de "Secrets du Mental des
navigateurs océaniques" et de "La Stratégie de la Bienveillance".
Pour naviguer en eaux déchaînées : restez bienveillantes avec vous-même.
Juliette Tounand a publié 3 livres majeurs pour (sur)vivre en entreprise :
Secrets du Mental pour résister aux tempêtes, La Stratégie de la
Bienveillance, pour tenir son cap, et Sun Tsu sans dessus dessous, pour
(re)lire le grand stratège… au féminin. Regard perçant d’une coach de
haut niveau sur les écueils qui nous chavirent… et nous transforment.
Juliette, pouvez-vous nous résumer votre « navigation » ?
J’ai navigué pendant 15 ans dans les eaux publicitaires, jusqu’à la tempête et le
chavirage. Puis ce fut le calme plat, bateau retourné… j’ai cherché le vent. Et soudain,
Terre ! Je prends pied à bord d’un cabinet de consultants en conduite du changement. Je
ne connais rien à ce genre de navigation et je manque plusieurs fois de passer par
dessus bord. Je m’accroche, j’apprends. Surgit un gros contrat - et moi, moussaillon, je
monte au mât : je propose la réponse que personne n’entrevoit, et qui réussit. Hélas, on
voit là une insolence, on m’affecte à fond de cale. Alors j’envoie une bouteille à la mer :
j’écris La Stratégie de la Bienveillance publiée chez Dunod. Me voici dans de nouvelles
eaux.
Vous coachez les situations à haut risque – manageurs et sportifs. Quel est
votre regard sur « l’échec » ?
« Échec » vient d’ « eschac », mot que prononce un joueur d’échec pour annoncer à
l’autre que son roi est en danger. Ainsi le roi n’est pas mort, seulement en danger. Dans
l’échec le « roi » en vous, l’essentiel, n’est pas mort. À lui de jouer.
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Qu’apprend-on de ses échecs ?
L’échec est l’occasion d’un « décapage », comme quand on détache les algues et
coquillages amassés sur la coque d’un navire. Rendu à ses formes, le bateau glisse
beaucoup mieux dans la mer. L’échec permet de faire place nette de ce qui nous freinait
– sans qu’on le sache. L’idéal serait de se décaper au jour le jour. C’est peut-être ce que
font ceux qui n’échouent jamais, s’ils existent.
Quels sont les secrets d’un « décapage » réussi que vous révélez dans votre
deuxième livre, Secrets du Mental ?
Le grand secret, c’est le « switch mental ». Jean Le Cam, dit le « roi Jean », naufragé
alors qu’il était en troisième position dans le Vendée Globe, se décape aussitôt de ses
attributs de concurrent. Il a trente secondes pour décider de donner sa position, jusque
là tenue secrète : la coque retournée, les ondes ne passeront plus. « As-tu eu des idées
noires ? » demande un journaliste. Il répond « on essaie de ne pas » et s’interrompt
comme il a interrompu ces idées pour « switcher » vers ce qu’il peut faire de bien pour
lui et ses sauveteurs. En danger, le « roi Jean » se sauve à partir du switch mental.
Avant que le roi rejoue, il y a pourtant la douleur…
Et comment ne pas en être détruite ? En acceptant sa fréquentation. Laissons-la passer
puisqu’elle fait partie de la vie. Écoutons ce qu’elle veut nous apprendre, faisons de nous
ce « vase vide, prêt à être rempli », comme dirait Sainte Catherine de Sienne. Je crois
que le suicide – lié au travail notamment – relève de l’idée assez française que l’on doive
vivre sans souffrir. Mais tout ce qui vit souffre en son temps. Le regard américain est
plus bienveillant : échouer, c’est s’être risquée là où le succès est incertain, tel un sportif
de haut niveau qui ose le défi. N’oser aucun défi pour éviter la souffrance de l’échec est
illusoire, cela ne conduit qu’à un échec plus général.
Homme/femme : voyez-vous une manière différente de refaire surface ?
L’héritage culturel a placé l’exigence de réussite professionnelle sur les épaules des
garçons. La blessure de ce type d’échec est sans doute plus vive pour l’identité
masculine. Quant à refaire surface, je crois que les lois sont humaines plus que sexuées.
Votre 1er ouvrage, La Stratégie de la Bienveillance sonne comme une
alternative à l’échec…
J’ai éclairé les constantes du cap de la réussite dans un monde complexe, changeant et
plein de rencontres. Ce cap nous invite à faire route à la croisée de quatre forces :
bienveillance, réciprocité (bienveillance pour soi, l’autre, les autres), clarté, et liberté
d’innover s’il faut créer cette conjonction. C’est la route qui offre le meilleur potentiel de
coopérations win-win, clé de réussite. Dans la vie, comme en mer, rien n’est tracé
d’avance. Autant faire route là où sont les chances. Même en compétition, nous sommes
d’abord des êtres de coopération.
Est-ce une idée neuve… en Europe ?
Je la vois grandir et réussir à l’échelle individuelle comme de l’entreprise. Partout dans le
monde, des patrons osent initier des systèmes de claire bienveillance pour leurs salariés,
fournisseurs, clients : en Finlande (SOL), en France (Favi, Babilou, Le Fédou), au Brésil
(Semco qui a connu des croissances à trois chiffres après une démarche commencée en
supprimant la fouille à la sortie des ateliers), aux USA (Harley Davidson), en Inde (HCL
Technologies)... Beaucoup s’y sont mis « roi en danger », tous ont une réussite
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insolente. Leurs modèles sont variés, signe que la claire bienveillance réciproque reste un
cap très ouvert à l’innovation. Des groupes français comme Suez, Orange, L’Oréal,
Renault… travaillent à la performance sociale. Ils ont compris que leur réussite passe par
là. Malraux avait annoncé que le XXIe siècle serait spirituel ou ne serait pas. Le
capitalisme commence à l’entendre.

Pascal Neveu, Psychanaliste
Psychanalyste et psychothérapeute, Pascal Neveu intervient sur
différentes questions de psychologie fondamentale auprès du personnel
hospitalier et de cadres en entreprises. Il exerce en cabinet et enseigne
à Paris. Il a écrit plusieurs ouvrages dont Revivre, même quand on
est terrassé (éd. Solar)
Comment définir un échec ?
Le dictionnaire lie l’échec au fait d’échouer, mais c’est avant tout une référence à être en
échec, de placer au jeu d’échec, le roi en situation de mort. C’est la plus ancienne
acception du terme depuis le XIème siècle. Dans un autre contexte, échouer, terme
marin, c’est toucher le fond par accident et se trouver arrêté dans sa marche. De façon
générale, l’échec reste le fait d’avorter d’un projet, de rater un examen ou un moment
crucial, symbolique, constructif de sa vie. Echouer, c’est ne pas réussir !
Il nous faut mesurer la portée de cette finitude, et sa symbolique : le roi mort.
Cette notion d’échec nous renvoie également à la notion d’Idéal du Moi. Idéal prôné par
les parents, par le nom de famille : ce que le parent aimerait que l’enfant devienne, voire
ce qui lui est imposé de père en fils ou de mère en fille. Dans ce cas, l’échec est redouté,
car imaginé/fantasmé comme un rejet du nom du père.
A contrario, l’opposition à cet idéal ne serait qu’un acte terroriste contre le nom du père
et donc une guerre ouverte avec cet idéal attendu par l’autre, en premier lieu, le parent.
L’échec est donc très dépendant du contexte dans lequel on l’apprécie : personnel,
familial, sociétal. L’échec est d’ailleurs vécu et perçu très différemment selon les pays et
les cultures.
Fait-il partie du développement humain, ou peut-on vivre sans connaitre l'échec
?
Nous vivons tous des non ! Ces non ne sont pas nécessairement des échecs.
Dès l’enfance, vers 2 ans, nous faisons l’apprentissage du non, avant que l’enfant ne
s’exprime et dise « Je », s’affirmant alors dans sa personnalité. Ce sont là des mini
échecs. Le gros échec, ce sera l’Œdipe. Mais justement, ce n’est pas un échec, au
contraire, l’enfant a tout à vivre : 1) il apprend la frustration, il accepte d’avoir échoué
dans ses désirs, 2) il se socialise donc se confronte aux autres et donc à d’autres
systèmes et valeurs d’échecs, et 3) il évalue son idéal.
12
En ce sens, il entre à l’école, il vit les notes, les éventuels échecs/redoublements, puis il
va devoir, plus âgé, vivre, « subir » les examens et/ou concours et donc les échecs
potentiels, relatifs ou bien réels.
La vie est faite de frustrations, en ce sens, nous connaissons tous des échecs. Pour
autant, ils n’ont pas tous la même magnitude, car l’échec et son amplitude restent
consubstantiels de nos attentes et de nos « limites ». Je l’entends au sens Bourdieusien,
c’est-à-dire dans la continuité de ses travaux sur les analyses des mécanismes de
reproduction des hiérarchies sociales. C’est un peu caricatural, mais l’échec de « l’enfant
de… » aura une résonnance particulière. Il est donc question d’habitus.
Mais où se situe l’échec ? Et à quelle notion de réussite renvoie-t-il ?
J’ai reçu une interne en médecine qui a mis fin à ses études en 5ème année, tentant de
s’éloigner de la « lignée familiale » et vivre ainsi sa vie. J’ai également accompagné un
jeune homme qui suivait des études scientifiques alors qu’il aurait voulu entrer aux
beaux-arts et le regrettait viscéralement. L’échec et le succès sont spécifiques à chaque
individu.
Y a t il des apprentissages spécifiques à l'échec ?
Nous sommes des êtres de répétition, on ne fait que répéter et reproduire, pouvant aller
jusqu’à étirer la réalité pour permettre cette reproduction. On se conforte jusqu’à se
gangréner de notre habitude. L’échec c’est aussi la mise en échec de cette répétition. Et
c’est douloureux. La contrepartie en est le changement. Peut-il y avoir changement sans
douleur ? Je ne le pense pas. C’est comme en physique où il faut une force pour dévier
un objet de sa trajectoire.
L’adaptation, qui passe par un actant pulsionnel ludique, est une forme de changement.
Mais d’abord, pour s’adapter, il faut accepter la possibilité de l’échec, et ensuite
l’adaptation conduit rarement au changement de paradigme que peut permettre la
confrontation aux limites de ses modèles.
Pour autant, afin de bénéficier des apprentissages de l’échec, il faut être en mesure de le
reconnaître et de l’accepter. Nous connaissons tous ces gens qui sont dans une forme de
déni, parce que la situation n’est pas si dramatique que ça, il y a bien pire, on fait avec,
etc.
Face à cet échec, pour ceux qui en font le constat, nous ne sommes pas tous pourvus
des mêmes « armes » et « outils », et je distingue les deux volontairement.
Les armes c’est pour celui ou celle qui restera dans l’affrontement, qui restera dans ce
questionnement de l’échec : pourquoi ? Qui m’en veut ?
Les outils c’est pour celui ou celle qui va tenter de reconstruire, plus ou moins bien,
qu’importe, mais qui sera dans cette dynamique, dans cette pulsion de vie.
En clinique, nous l’entendons comme « faire le deuil de… » mais de quoi ? Quête
inaccessible, dépassement d’un idéal, (re)conquête de quelque chose d’imaginaire, deuil
d’un mode de fonctionnement, d’une image de soi… Les échecs nous parlent de nous, à
nous à les entendre. Car à quoi tient la réalisation d’une vie ?
Lorsque je reçois une personne « amochée » nous travaillons sur ces ressentis face aux
ambitions et donc face à l’échec. Quelles ambitions ? Pour soi ? A quelles fins ? Des
questions qui permettent de comprendre le référentiel implicite, de l’expliciter, de le
13
questionner, et donc de le redéfinir.
Les femmes vivent elles l'échec de façon spécifique ?
Il est toujours délicat de faire des différences hommes femmes, tant on flirte avec les
caricatures et que les contre-exemples sont vite brandis. Et pourtant, il existe de réelles
différences. Disons que les femmes ont plus de facilités introspectives, elles sont plus
vite dans l’intuition, ce qui leur permet de bénéficier plus rapidement d’un échec, et d’un
échec moins avancé.
Selon vous, y a t il plus de parcours « non linéaires » qu’il y a quelques années
? Et quelle en est votre analyse ?
Le monde me parait effectivement moins linéaire, plus changeant aujourd’hui. Le
contexte économique est difficile, et le mélange des deux est source de beaucoup
d’incertitudes et d’inquiétudes.
Pour autant, personne ne sait ce qu’il ou elle fera dans dix ans. Cette phrase, je remercie
encore celui qui me l’a énoncée tant elle permet de panser le passé et penser le futur.
La vie est et reste un champ des possibles. Un échec n’est pas une fin en soi, c’est aussi
une opportunité de se repenser et se redéfinir son futur.
Mon parcours n’a pas été linéaire, pas plus que celui de beaucoup de gens que je croise
tant dans la vie que dans ma pratique. Ces rencontres, ces chances, ces opportunités
inattendues que la vie présente sont pour moi autant de chances.
En conclusion
La réussite sans échec est généralement une réussite relative. Car l’introspection
nécessaire au dépassement de soi, au changement profond, n’a pas été réalisée. La vraie
réussite passe par l’épanouissement de notre humanité individuelle. L’échec nous renvoie
à notre humanité, à notre finitude, terreau dans lequel la réussite peut ensuite éclore.
Car l’humain est le cœur de la vie et de la relation à l’autre.
14
Les Témoignages

Cristelle Ghekière (HJF.72), CEO de Seniosphère. Candidate Prix Trajectoire
2012
Cristelle participe régulièrement comme keynote speaker à des
conférences internationales et voyage à la recherche d'innovations et
de tendances. Elle est une contributrice régulière à divers sites.
Cristelle est CEO de Seniosphère Prospective et Formation, cabinet
spécialisé dans la détection et conception des opportunités de
marché engendrées par l’accroissement de la longévité, le
vieillissement de la population et le nombre croissant de seniors. Elle
intervient auprès des directions stratégie et innovation de grandes
entreprises, de think tanks, de pôles d’excellence et d’écoles en tant
qu’experte des seniors.
Quel est votre parcours ?
Je travaille dans le monde des services B2B depuis 30 ans. Avant Seniosphère, j’ai créé
et dirigé pendant 14 ans à New-York, Crystal Link, un cabinet spécialisé dans le
benchmarking et les best practices à destination de sociétés multinationales
européennes, de secteurs diversifiés tels que les services financiers, la grande
distribution ou les nouvelles technologies.
Quels ont été les facteurs de votre échec ?
Je viens du monde anglo-saxon où l’échec est normal et fait partie de la vie. On apprend
autant de ses échecs que de ses succès. D’ailleurs au mot échec en français, qui est
négatif, je préfère le terme « incident de parcours ».
Le plus grand incident de parcours que j’ai vécu, était précisément en 2001. Je dirigeais
alors Crystal Link, société que j’avais créé début des années 90 à New York. J’organisais
des « Learning expéditions » pour les Comex de grandes sociétés européennes qui
souhaitaient connaitre et comprendre les innovations dans leur métier ou des métiers
connexes. Cela consistait en une semaine de rendez-vous et d’échanges avec des chefs
d’entreprise américains sur des sujets de stratégie ou technologiques. Cela marchait très
bien et nous formions une bonne équipe, nous avions en permanence une trésorerie de 9
à 10 mois. Et le 11 septembre est arrivé ! Du jour au lendemain, je n’avais plus ni
client, ni visite de board, un choc ! J’avais le sentiment d’avoir perdu 12 ans de boulot. Et
impossible de me dire « c’est de ma faute ! » : Le 11 septembre avait changé la donne,
le business n’existait simplement plus. Faire voyager ensemble pendant une semaine un
board européen nécessite une programmation de 6-9 mois à l’avance et n’était plus
envisageable dans le contexte de crainte qui s’est installé après le 11 septembre J’avais
52 ans à l’époque et s’est vite posée la question de la suite. Devais-je rester aux USA ?
Pour faire quoi ? Comment me valoriser ?
J’ai alors évalué mes points forts et mes points faibles, en particulier mes points faibles :
l’âge et mon passé de chef d’entreprise. Mes amis à l’époque me disaient « personne
n’embauchera quelqu’un comme toi.. »
Les contraintes financières m’obligeaient à ne pas perdre de temps, car je n’avais plus de
gagne-pain. J’ai alors décidé de rentrer en France pour me rapprocher de mes enfants.
Bien entendu, arrivant des Etats-Unis, je n’avais pas droit à grand-chose, pas
d’allocations chômage et difficile de louer un appartement sans fiche de paye. De plus je
n’avais aucun réseau local et pas d’attache. J’ai dû me reconstruire vis-à-vis des
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organismes financiers. Je savais que je devais transformer mes faiblesses en
atouts mais comment ?
C'était une période difficile, je ne voulais pas y croire au début. Pendant six mois je me
suis acharnée à faire revivre mon ancien business, pour finalement me rendre à
l'évidence qu’il n'existait plus. J'ai alors connu une période déprimante. Je devais réfléchir
à comment m'en sortir. C'est venu progressivement.
J'ai voulu rencontrer le maximum de gens, j'ai beaucoup lu, été à des conférences Et puis
je suis partie en Inde avec l’idée de changer d’air et de chercher des idées de nouvelle
affaire.
De retour en France, progressivement, j’ai commencé à refaire surface et à sortir de
cette spirale de déprime. Je me suis rendue compte que j’avais passé plus 18 ans à
l'étranger et qu’il fallait me réinsérer dans la culture française et européenne. Des
rencontres, notamment grâce au réseau EPWN m’ont permis de le faire progressivement.
Je suis partie vivre à Lille, ville beaucoup moins chère que Paris. Elle a l’avantage de se
situer à mi-chemin entre Paris, Londres et Bruxelles. Je savais que c’était une ville
d’entrepreneurs, puisque beaucoup de mes anciens clients venaient de là.
J’ai installé mon QG dans une pépinière d'entreprises. J’étais encore mal dans ma peau à
cette époque, mais le directeur de cette pépinière, que je salue au passage, m’a secouée,
« engueulée », mais il m'a ouvert son carnet d'adresses ! Puis a germé l'idée de
Seniosphère, idée que j’avais en moi depuis 15 ans. C’est en discutant avec les gens de
la pépinière, en me sentant soutenue et secouée qu’une nouvelle page de ma vie, avec
des pour et des contre, s’est tournée. La vie n'est pas un livre que l'on peut reprendre.
Quel est votre retour d’expérience et quels conseils donneriez-vous ?
Je pense qu’il ne faut pas rester seul : les choses doivent pouvoir maturer et c’est plus
facile quand on peut en discuter. Les réseaux, pépinières font un bon travail en cela.
Il est important de bien réfléchir à son business plan et, là non plus, il vaut mieux ne pas
le faire seul dans son coin.
Il faut tirer les conséquences positives : la principale pour moi était que si j’étais arrivée
à monter une affaire à New York, je devrais y arriver n’importe où.
Regarder devant et savoir quels sont ses points forts et bâtir dessus : j’avais 52-53 ans,
moment difficile dans la vie d'une femme et j'ai décidé d'en tirer bénéfice, d'où l'idée de
Seniosphère. Comment transformer ses « liabilities » en « assets » ?
Il faut laisser du temps au temps et accepter de ne pas rebondir en trois mois. Les
Américains ont une expression pour qualifier cette période : le vide fertile. Cela permet
de remettre en cause ce que l'on a vécu et de se laisser la possibilité d'être fertile dans
ses idées pendant une période de six mois à un an et d’explorer toutes les possibilités.
Dans les entreprises de la Silicon Valley, on considère qu'il faut que quelqu'un ait connu
des échecs : il doit en assumer les conséquences pour devenir meilleur dans sa façon de
travailler.
16

Isabelle Capron (H.79), Vice Présidente Icicle Sanghai Fashion group
Parcours d’une insoumise
Elle s’avance comme on défilerait sur un podium. Elle trône très
simplement dans un immense bureau haussmannien. Elle a connu des
« down » qui lui ont permis d’oser ses « up ». Isabelle Capron, Ex-DG
de FCB, ex-CEO de Fauchon, dirige le bureau parisien de ICICLE,
Maison de Mode chinoise qui affiche +40% de croissance annuelle…
Nous convenons d’utiliser ses mots – « up et down » - plutôt que le
titre de notre numéro… Regard d’une insoumise sur les carrières
menées au féminin.
Avec votre carrière « successful » de très « bonne élève » - “Prix de l’Audace”
2008 aux Talents du Luxe, Prix HEC “Trajectoires” en 2009, Grand prix du
design Stratégies, pour tout Fauchon - quel est le « down » que vous avez
traversé ?
Lorsque j’étais Directrice Générale de l’agence de publicité FCB, la Présidence de l’agence
s’est libérée. Je m’attendais à ce que l’on me propose le poste, compte tenu de ma
position. Pourtant, la direction américaine du Groupe a nommé… un homme, moins
senior, issu de mes équipes. Soudain, tout a basculé. Pour moi, c’était l’INNACCEPTABLE.
Quelle a été votre réaction puis votre lecture, avec le recul ?
J’ai alors pris un risque important: je suis partie. J’ai cru que je ma carrière était finie.
Tout au long de mon parcours - et à HEC - la différence homme-femme, pour moi, ne
signifiait rien. Et là, on m’affirmait que « le boulot de patron, c’est dur pour une
femme » ! A compétence inférieure, on préférait un homme. J’ai ressenti beaucoup de
colère. Et puis… J’ai réfléchi. Je crois que les femmes aujourd’hui aiment gérer les
responsabilités. Mais nous ne sommes pas encore préparées à DEMANDER le pouvoir. Cet
homme avait dit « je veux », et moi pas.
Quel a été votre manière de transformer ce « down » ?
J’ai passé pas mal de temps seule. Dans ces cas-là, peu de personnes vous appelle. Ce
fut en fait, pour moi, une sorte de retraite, au sens christique. Juliette Tournand - une
amie - parle dans votre numéro du pouvoir « décapant » de l’échec. Pour moi, ce
moment a été purifiant : il m’a lavée. En me défaisant de mes oripeaux, de ces attributs
du pouvoir et de ces marqueurs sociaux que sont par exemple les voitures de fonction,
etc...
Ce
dénuement
est
devenu
un
moment
décisif :
celui
d’un
« reparamétrage intérieur ». J’ai alors pris conscience de ce que je voulais vraiment :
oser être moi-même. C’est là que j’ai saisi tout le sens de notre credo à l’école !
Apprendre à oser. C’est comme ça que j’ai fait Fauchon.
Avec Fauchon, vous avez tout révolutionné: lancé « le beau, le bon, le bien» ;
imposé la couleur; cassé les codes, osé introduire ceux de la mode, de la
modernité…
Oui. J’ai pris des risques. J’avais en moi quelque chose que je n’avais encore jamais
exprimé et que j’allais réaliser. Je ne serais plus la bonne élève, je serais l’insoumise,
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l’innovante. J’allais enfin donner ma mesure... J’avais mes convictions, j’ai adopté une
stratégie très radicale. J’ai créé une rupture qui par la suite est devenue une référence.
Ce « up » a-t-il été difficile à construire pour une femme (!)
C’était… DE L’EAU QUI COULE. Naturel ! J’ai cessé d’agir à contre cœur. J’ai au contraire
écouté mon instinct, suivi ma vision : je me suis entourée de gens que j’aime, je les ai
mis en confiance, j’ai été bienveillante. D’une bienveillance impitoyable, que je
m’appliquais également. Et chacun donnait le meilleur.
Aujourd’hui, je fais confiance à la nouvelle génération de femmes : elles sauront
demander le pouvoir et diriger sans être agressive. Oser Diriger en étant une femme.
Avec cette bienveillance exigeante.
Qu’est-ce que cela a changé pour la suite ?
Avoir connu un « down » ôte la peur. On se connaît, on saura se relever. Cela rend plus
libre. Cela pousse à oser. D’où ma nouvelle aventure avec ICICLE, que personne ne
connaît encore en France.
Vous accompagnez cette marque de luxe dont les collections proposent une
belle histoire : se sentir belle, bien, en portant une mode écologique …
Oui, j’aime apprendre et l’aventure du nouveau monde est fascinante. J’ai fait un choix
personnel plutôt qu’un choix classique. En Chine, on dit que la performance d’une
entreprise est fonction du taux de bonheur de ses salariés. ICICLE, dont le siège est à
Shanghai, est un produit du miracle chinois. La Maison crée des collections minimalistes
avec une vision inattendue pour la Chine : une mode « made in earth », élégante et
engagée pour l’environnement. Le couple fondateur de la marque est venu à Paris, siège
de son centre de design, chercher les talents créatifs français pour doper sa croissance
en Chine et la préparer à l’international. Le tout avec une croissance « à la chinoise » :
près de + 40% par an. Je crois que le pire est de ne pas risquer. No risk, no fun !

Hélène de Saint-Front (H.10), co-fondatrice de Business Harmonist. Membre
de l’équipe réseaux/événements de HEC Au Féminin
En quelques mots, quel est votre parcours ?
J’ai effectué ma dernière année d’HEC aux Pays-Bas en « mastère
entrepreneuriat ». J’y ai rencontré les deux associés de ma première
création d’entreprise de location de casiers électroniques (plages,
festivals), pour laquelle nous avons remporté plusieurs concours de
business-plans. C’est ainsi que nous avons été repérés par le président
d’un jury, pour rejoindre en parallèle son projet de création de la
première « Silicon Valley portugaise » centré sur les « Smart Cities ».
Malgré l’extraordinaire stimulation intellectuelle et humaine de cette aventure, notre
projet de casier a périclité suite à la faillite d’un fournisseur peu scrupuleux qui a abusé
de notre confiance. Le deuxième projet a échoué faute de financements solides et d’une
communication transparente sur le business plan.
De retour en France, j’ai rapidement rejoint un petit cabinet de conseil RH
malheureusement en forte incohérence entre valeurs affichés et pratiques internes, ce
qui m’a conduite au burn-out, comme plusieurs collègues.
18
J’ai alors complété mon long parcours de développement personnel (PNL, Hypnose…), et
peaufiné mon projet professionnel, jusqu’à créer avec bonheur ma propre structure de
conseil, the Business Harmonist
Serial entrepreneuse je demeure, puisqu’en plus de ma société de conseil, je développe
une appli Smartphone autour du feedback appréciatif, et un documentaire vidéo sur les
nouveaux modèles de management.
Quel est votre retour d’expérience et quels conseils donneriez-vous ?
Le rebond passe par une analyse approfondie de l’échec en termes de connaissance de
soi (fonctionnements, valeurs). Un facteur clé de reconstruction personnelle est la solidité
de l’entourage familial et amical. Enfin, le réseau HEC Alumni, et le Groupement HEC au
Féminin en particulier, m’ont permis des rencontres déterminantes pour la création de
Business Harmonist .
Si c’était à refaire, sur le contenu, je musclerais davantage les études de marché (par
ex : les plages diffèrent en Espagne et au Portugal) et la rédaction des contrats (« à
rédiger en temps de paix en prévision des temps de guerre »). Et sur la relation, je
conserverais la même confiance « a priori », car je continue de considérer qu’elle génère
plus de valeur globale que la défiance.

Myriam Prot-Poilvet (H.98), Consultante et fondatrice, Prot-Poilvet Conseil
En quelques mots quel est votre parcours ?
Après avoir obtenu mon diplôme d’HEC, j’ai eu un début de parcours plutôt classique en
intégrant Accenture en tant que consultante en Stratégie. En dernière année d’HEC
j’avais choisi l’échange en second semestre de MBA à McGill (Montréal) consacré à la
création d’entreprise – tout en étant très marquée par l’enseignement de stratégie
d’HEC. Cette expérience a fortement orienté mon parcours professionnel puisque j’ai
intégré Accenture en tant que consultante en Stratégie dans une équipe de taille
humaine avec une très forte expertise.
En parallèle, je suivais des cours à la Sorbonne afin de suivre un parcours universitaire
en Histoire de l’Art.
Après deux ans dans l’équipe Stratégie d’Accenture et ma licence d’Histoire de l’art en
poche, j’ai saisi l’opportunité de faire une première rupture en prenant un congé
sabbatique en entrant au musée du Louvre pour une mission de huit mois en tant que
chargée de communication autour de certaines expositions à venir, et autour des
solutions digitales émergentes. Pendant ces huit mois, j’ai mis en avant la sousexploitation des possibilités du digital en ce début des années 2000, ce qui m’a conduit à
travailler sur la mise en place d’un mécénat de compétence avec Accenture. C’est ainsi
que j’ai continué à être impliquée dans l’aventure digitale du Louvre pendant trois
années, en tant que consultante.
A la fin de ce mécénat, j’ai intégré définitivement les équipes digitales du Louvre pour
créer le service Internet, puis, quelques années après, le Louvre-DNP MuseumLab, un
lieu d’exposition et d’expérimentation sur la médiation par les nouvelles technologies, au
Japon.
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En 2006, j’ai passé la main sur les activités digitales du Louvre et je suis devenue
chargée de mission – c’est à dire consultante interne – auprès de la Direction du
Développement Culturel, puis auprès de l’Administratrice générale adjointe, à la Direction
du Louvre. J’ai approfondi de nouveau des questions de stratégie, et d’organisation, mais
cette fois spécifiquement dans le domaine culturel. J’ai commencé à enseigner cela en
intervenant en école de commerce, par exemple.
En 2009, après un congé de maternité, a lieu une deuxième rupture liée à une volonté de
réinventer mon métier. J’ai alors pris un an de congé formation pour me consacrer à mes
études d’Histoire de l’Art. Mes recherches, toujours en cours car je suis en thèse
maintenant, portaient sur l’usage des technologies digitales pour l’analyse de la couleur
dans les œuvres anciennes…
De retour au Louvre, j’ai continué à être chargée de mission, j’ai poursuivi mes
recherches en histoire de l’art, et enseigné la stratégie à Sciences Po, au Celsa-Sorbone
ou encore à l’Ecole du Louvre.
C’est alors que j’ai pris conscience que toutes mes activités étaient moins éparpillées
qu’elles n’en avaient l’air et revenaient toujours à trois points d’ancrage: la stratégie,
l’art et le digital. J’ai réalisé que cette diversité – ainsi que la complémentarité entre la
théorie et la pratique - était indispensable à mon équilibre professionnel. J’avais besoin
d’allier ces trois éléments dans mes activités.
S’est posé alors la question du modèle du travail en entreprise, qui est peu compatible
avec une telle diversité, surtout si on souhaite conserver une certaine disponibilité
familiale. Continuer à travailler sur tous ces fronts me semblait tout à fait cohérent et des
synergies au sein de cette diversité se faisaient de plus en plus évidentes.
J’ai pris un mi-temps pour préparer mon projet pendant deux ans avant de prendre un
congé pour création d’entreprise. Aujourd’hui, je suis mon propre patron et je développe
mon activité autour de mes points d’ancrage : je suis consultante à mon compte en
stratégie innovante pour des grandes entreprises ou des start-ups (l’art et le digital étant
de puissantes sources d’inspiration dans ce domaine), présidente fondatrice d’une maison
d’édition numérique qui donne des cartes blanches aux artistes, j’enseigne la stratégie
des institutions culturelles et je mène des recherches en histoire de l’art utilisant le
digital. Et tout se tient !
Ma double compétence HEC et universitaire en Histoire de l’Art me donne les moyens
d’évoluer naturellement au sein de cette diversité d’activités.
Quels sont les traits marquants de l’évolution de votre carrière?
Alors que mon début de carrière a été plutôt classique en intégrant un grand cabinet de
conseil, ma carrière a été ponctuée de ruptures douces et de beaucoup d’introspection,
ce qui m’a progressivement conduit vers une évolution toujours plus assumée vers mes
passions. Avec la naissance de mon enfant, j’ai vraiment ressenti le besoin de développer
une nouvelle approche du travail me permettant d’allier art, stratégie et digital. C’est en
créant ma propre structure que j’ai réuni les conditions me permettant de développer ces
diverses activités de façon satisfaisante pour moi.
Aujourd’hui il me semble important, avec l’arrivée de la génération Y (les moins de trente
ans), de réfléchir à un mode de management différent. Eux aussi, ils recherchent à
trouver un équilibre entre leur carrière, leurs passions et leur mode de vie – et les
grosses entreprises ne sont pas toujours prêtes à leur offrir. Alors qu’il y a quelques
années je rencontrais quelques difficultés à assumer mon envie de diversité, aujourd’hui
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je l’assume et la revendique. En effet, elle est une grande force et je constate au
quotidien une grande synergie entre mes activités – et tant pis si c’est un peu plus long
pour répondre à la question « qu’est-ce que vous faites dans la vie ? » !
Avant d’arriver à cet aboutissement, il m’a été nécessaire de sortir régulièrement de ma
zone de confort ou de celle dans laquelle le poids de la société essayait de m’enfermer.
A chaque rupture, j’ai pu bénéficier d’apprentissages nouveaux qui représentent une
source d’enrichissement personnel.
Quels ont été les facteurs de votre échec/rupture/transition professionnelle ?
Dans mon cas, mon évolution professionnelle est plutôt un processus par paliers et non
une rupture franche. D’ailleurs c’est une évolution continue, qui je l’espère ne va pas
s’arrêter. J’ai fait le choix d’une trajectoire permettant de privilégier un parcours autour
de mes passions plutôt qu’une carrière normée.
Il est vrai que je suis sortie du chemin traditionnel, j’ai suivi une trajectoire qui me
correspondait et qui était plus proche de mes valeurs.
Quel est votre retour d’expérience et quels conseils donneriez-vous ?
Je dirais à chacun qu’il est essentiel de ne pas avoir peur de se tromper ou d’échouer. Il
faut avoir un regard plus moderne sur l’échec, celui-ci est aussi une grande source
d’apprentissage. Il est également possible de pondérer les risques d’un lancement d’une
activité en prenant un congé sabbatique par exemple. L’essentiel me semble-t-il est de
chercher, de rester actif par rapport à ses désirs et ses passions, de trouver des solutions
innovantes pour sa propre carrière. Dès l’instant où on prend suffisamment de recul visà-vis de l’échec, on se libère et on avance plus vite.
Je dirais aussi que lorsqu’on a un rêve en tête, il est parfois possible de se donner les
moyens d’y accéder simplement, sans prendre le prétexte d’étapes intermédiaires. La
ligne droite est toujours le plus court chemin et souvent le plus sûr moyen d’arriver à son
but. Combien de fois des étudiants viennent me voir pour me parler du métier dont ils
rêvent, qui leur semble a priori difficile à atteindre, et m’exposent ensuite des projets
compliqués pour faire un autre métier d’abord et se réserver une petite possibilité
ensuite, plus tard, peut-être, s’ils ont de la chance, d’atteindre leur rêve… Je leur dis
toujours qu’avant de mettre en route le plan B ils doivent essayer le plan A ! D’ailleurs, le
plan A et le plan B seront peut-être aussi difficiles à atteindre l’un que l’autre, et au
moins avec le plan A ils se feront plaisir… Aller droit au but c’est surtout aller voir les
gens, aller leur exposer son projet, ses rêves. Et ne pas hésiter à rencontrer les gens qui
nous font rêver et leur demander comment ils sont arrivés là. Au pire ils ne vous
reçoivent pas, au mieux ils vous aident à avancer sur votre parcours.
Mon dernier conseil serait de s’écouter, et de prendre bien garde à ne pas se laisser
imposer des désirs par l’extérieur…

Marie-Christine Caradopoulos (E.01), Facility Manager France, Honeywell
SA *
Généraliste, polyglotte, Black belt 6 sygma, ambitieuse et volontariste,
Marie-Christine Caradopoulos a pourtant vécu par deux fois dans sa
carrière une rupture franche. Échec ou opportunité ? Elle nous en dit
21
plus sur ce qui aurait pu être vécu comme des échecs et dont elle a pleinement su tirer
parti.
Deux ruptures ? Pouvez-vous nous en dire plus ?
J’ai vraiment débuté mon parcours professionnel en 1991 lorsque j’ai intégré le groupe
General Electric. J’y ai été recrutée en tant que chef de projet et mon dernier poste
occupé était celui de Black Belt; entre temps, j’avais bénéficié de nombreuses formations
en interne (notamment la méthodologie Six Sygma) et au final, j’ai renforcé mes
connaissances en intégrant l’EMBA d’HEC, avec le support du groupe GE.
La première rupture s’est faite à l’issue de l’EMBA : j’étais jeune, un plan social a été
annoncé par le groupe, j’ai décidé d’en profiter. Aucun sentiment négatif à l’époque :
cette rupture, je l’avais décidée. Je rebondis donc rapidement. En 2004, je suis recrutée
par un autre grand groupe américain en tant que Directrice du service client et
contentieux. La seconde rupture a eu lieu quatre ans plus tard dans cette entreprise. La
suppression de mon poste a été décidée suite à une réorganisation, quelques mois en
amont de l’annonce d’un plan social. La rupture, orchestrée brutalement, m’a amené à
quitter ce groupe puis à intenter un procès pour faire valoir mes droits. Le procès a duré
deux ans. Nous sommes en 2008, en pleine crise économique et je ne suis pas la seule
cadre dirigeante dans ce cas-là…
Une rupture brutale, la remise en cause de vos compétences, un procès à
préparer… Comment sort-on de cette spirale ?
Par la volonté d’abord : je voulais me remettre en selle très vite. J’étais donc prête pour
cela à relever de nouveaux défis.
Par le réseau ensuite, en ne restant surtout pas seule face à ces sentiments négatifs qui
vous envahissent parfois. J’étais active au sein de deux réseaux : celui des Alumni HEC
bien entendu et le réseau Oudinot.
Par le travail sur soi enfin. La crise a cela de positif qu’elle vous oblige à vous recentrer.
J’ai beaucoup investi sur moi-même en menant une réflexion profonde sur les choses
essentielles à mes yeux. Cela m’a notamment permis de faire le deuil de certains aspects
de ma carrière, d’une certaine vision de la « réussite ». Au final, j’en suis sortie capable
de voir et de profiter d’opportunités auxquelles je n’aurais pas forcément prêté attention
auparavant, sans cette réflexion et cette profonde remise en cause.
De nouvelles opportunités se sont donc présentées ?
Oui, entre les ateliers auxquels je participais pour avancer dans ma recherche et les
contacts pris tous azimuts pour retrouver une activité, c’est finalement ma prof de danse
qui m’a parlé d’une entreprise qui cherchait quelqu’un pour faire de la « gestion du
changement ». Autant dire un nouvel univers pour moi. Contact pris, l’entreprise en
question cherchait un consultant pour gérer une mission majeure de réorganisation
d’espace de travail chez un grand compte du CAC 40. Dans ce contexte, mon âge et mon
expérience ont été des atouts pour cette entreprise majoritairement jeune. Le poste qui
s’est révélé recouvrir plus que la mission de conseil en elle-même m’a été confié.
Avez-vous du faire des compromis avec vos attentes pour obtenir ce poste ?
En effet. Comme je le disais « faire le deuil de l’avant » est indispensable. Ma priorité
était de retrouver une activité professionnelle. J’ai accepté pour cela plusieurs choses :
une baisse de revenus de l’ordre de 30 % par rapport à mon précédent package. Il a fallu
22
également accepter de relever de nombreux défis : apprendre un nouveau métier (celui
du conseil en aménagement d’espaces de travail), mettre son ego de côté (un consultant
accompagne, il ne sera jamais mis sur le devant de la scène), découvrir les secteurs
d’activités de mes clients (automobile, immobilier, nouvelles technologies, etc.).
Cela fait cinq ans je crois que vous avez rejoint cette entreprise de conseil. Où
en êtes-vous aujourd’hui ?
Eh bien, le client pour lequel je travaille depuis plusieurs années déjà s’est rapproché
d’un autre groupe. Je viens d’être embauchée par ce groupe pour poursuivre le travail
que je mène via ma société de conseil (Head of Facility Management) mais, cette fois, en
direct et en interne et ce, sur l’ensemble du territoire national.
Quels conseils donneriez-vous à un cadre dirigeant qui vient de vivre un « échec
» professionnel ?
Avant tout de prendre conscience que le changement est inhérent à la vie. Nous avons
facilement tendance à penser que nous perdons beaucoup lorsqu’une rupture de la
carrière « nous tombe dessus ». Mon expérience m’a démontré qu’au final on gagne plus
que l’on ne perd, dans la mesure bien sûr où l’on est prêt à passer par une phase de
deuil qui peut être difficile.
Ensuite, de bien s’entourer, ne jamais rester seul : groupes de travail, associations,
réseaux, coach… Les ressources ne manquent pas de nos jours ; à chacun de trouver
celles qui lui correspondent le mieux pour avancer dans son projet.
Et enfin, je lui conseillerai de profiter de cette opportunité qui lui est offerte pour se
recentrer sur lui/elle. Pour réfléchir à ses « essentiels ». Être en cohérence avec soi, c’est
la recette du succès à mon sens, y compris au plan professionnel.
* NDLR : Elle rejoindra le 1er Octobre Jones Lang La salle en tant que Facility Manager France
pour le compte Honeywell.
Le coin Cultur’elle

Les sites Web
Une sorte d'anti TED est apparu aux États Unis en 2009 : la Fail Con ( de "Failure"
et "Conférence")
Une journée de témoignages d'entrepreneurs, dirigeants ou encore hommes
politiques sur leurs échecs. Le principe : Oser partager en public pour mieux
rebondir et se préparer au succès. La première a eu lieu à Paris en 2014, la
dernière en date à Toulouse le 18 juin dernier.
A suivre pour de nouvelles éditions en France
http://toulouse.thefailcon.com/2015/

Les articles
Publié en avril dans la revue HEC : « Comment tirer profit de ses échecs ? » :
accessible en ligne sur le
23
site hecalumni.fr : http://www.hecalumni.fr/fr/magazine/business/business/commenttirer-profit-de-ses-echecs
Les associations
J’ai testé pour vous…les "FUCK-UP NIGHT". Ou pourquoi faut il célébrer
l’échec ?
L'échec, on en a tous peur. On est conditionnés depuis tout petit par un système qui
stigmatise l'échec, où la réussite passe par un "Sans-faute", où celui qui a échoué se sent
coupable, se trouve isolé, remis en question personnellement, et a beaucoup de mal à
s'en remettre.
Or dans l'entrepreneuriat, l'échec- partiel ou total- est presque inévitable.
Difficile à priori d'oser se lancer dans ces conditions, et encore plus difficile de rebondir
lorsqu'on a connu un échec entrepreneurial!
Et pourtant… Si l'on regarde de près, les entrepreneurs qui ont le mieux réussi…sont
aussi ceux qui ont le plus échoué!
L'échec et le rebond seraient donc des conditions de succès?
C'est pour porter ce message et faire évoluer les mentalités que l'association "Second
Souffle" a été créée, pour rassembler et accompagner des entrepreneurs qui ont connu
l’échec et les aider à repartir.
Son but: démarginaliser l'échec et valoriser l'audace, l'expérience entrepreneuriale et la
prise de risque comme source de croissance et de réussite.
Cette association, qui rassemble entrepreneurs, élus locaux, salariés et bénévoles, est
bien entendu née de l'expérience, partagée par beaucoup, des difficultés personnelles et
économiques liées à l'échec entrepreneurial.
L'association a développé le concept des "After Fail" ou "Fuck-Up Night", des soirées
conviviales organisées par Alexis Sordet (M.04) où plusieurs entrepreneurs qui ont
échoué puis rebondi viennent partager leur expérience.
Je suis invitée à témoigner à l'une de ces soirées, dans le cadre informel et chaleureux
d'un bar. Une quarantaine de personnes présentes, surtout des entrepreneurs, aux
profils riches et variés. Tout le monde est debout et fait connaissance. J'y retrouve par
hasard un ancien camarade d'HEC qui vient de se lancer. Le monde des entrepreneurs
est petit!
Nous avons le plaisir d'écouter un premier témoin d’échec, Julien Sylvain, qui explique
avec simplicité et sourire les déboires de son aventure entrepreneuriale de lits en
cartons…avant de rebondir en créant une entreprise de lingerie ! Son histoire est drôle,
émouvante, sincère. Les questions fusent, directes et bienveillantes "financièrement
comment avez-vous fait?", "que vous a apporté cet échec pour votre réussite actuelle ?".
Les réponses sont sincères, personne n'est là pour juger, tout le monde est là pour
apprendre.
C'est ensuite à mon tour de raconter l'échec de mon entreprise de casiers de plage. C'est
la première fois qu'on s'intéresse de manière positive à mes ratés et mes erreurs: qu'est
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ce que j'ai appris ? Qu'est ce que ces échecs m'ont permis ? Qu'est ce que je ferai
différemment désormais ? Je ne cherche pas à embellir l'histoire, je raconte tout, avec
une pointe d'humour que permet le recul: ma confiance aveugle dans les débuts, ma
faiblesse face à un investisseur mal intentionné, mon découragement après son départ,
mes problèmes avec mes associés etc. Puis la traversée du désert et enfin le nouveau
départ vers la "business harmony". La discussion qui s’ensuit est très intéressante. Pour
moi, c'est libérateur d'échanger sur ces sujets, de revivre les heures très sombres et les
grands moments qui ont suivi, et de prendre conscience de tout ce que ces échecs m'ont
permis de devenir.
Et pour le public, c’est inspirant et rassurant de comprendre qu’on fait tous de grossières
erreurs, et qu’elles nous apportent finalement beaucoup plus qu’elles ne nous coûtent.
Alors pour toutes celles qui hésitent à se lancer, allez-y, tentez l’expérience, et si vous
échouez non seulement vous aurez appris mais vous aurez de belles histoires à raconter
lors de la prochaine Fuck-Up Night !
Et faites passer le mot: l'échec fait grandir, le rebond fait plaisir !
Les associations du rebond :
http://secondsouffle.org/
http://www.fondsdurebond.fr/
Par Hélène de Saint-Front (H.10)
Les prochains événements HEC Au Féminin
N’oubliez pas de consulter l’agenda des événements (ateliers et conférences)
sur le site de www.hecalumni.fr sur le mur HEC Au Féminin
Elles bougent
Tous les moyens de l’esprit sont enfermés dans le langage, et qui n’a point
réfléchi sur le langage n’a point réfléchi du tout." Alain, Propos sur l’éducation.
Les titres de nos camarades sont désormais systématiquement féminisés.
Elles ont changé de poste dans les derniers mois, nous vous le disons avec :
http://www.nomination.fr/accueil.php
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L’équipe du Magazine HEC Au Féminin a besoin de renfort !
Vous avez envie de prendre la plume sur les sujets qui vous passionnent ? Vous voulez
partager avec une équipe de rédactrices de tous les âges ? Vous voulez interviewer des
experts reconnus ou de grandes professionnelles ? Rejoignez le Magazine !
Nous nous réunissons lors d’une conférence de rédaction le samedi matin environs tous
les 2 mois pour préparer le prochain numéro. Pour participer et connaître la date de
la prochaine réunion, contactez [email protected]
Pour que les hommes aient envie de lire le Magazine, pensez à l’envoyer à 5 hommes
autour de vous ! Incitez-les à s’abonner : envoyer un mail à [email protected] : je souhaite recevoir le Magazine HEC Au Féminin.
Appel à Partenariat :

Appel auprès de partenaires : Vous avez envie de contribuer d’une manière ou d’une
autre au rayonnement de HEC Au Féminin. Les événements sont un de nos axes forts
mais nous avons toujours besoin de salles pour les accueillir. Si vous pouvez mettre à
disposition une salle, de toute taille, et à titre gracieux, merci de prendre contact auprès
de Evelyne Kuoh ([email protected]).
Appel au bénévolat :

HEC Bénévolat est un lieu d’échange et de services pour les bénévoles HEC de tous
âges. Ensemble, ils développeront l’image de solidarité des HEC à l’intérieur et l’extérieur
de l’association à travers la Bourse du bénévolat, le Club des présidents d’association, le
groupe « Fundraising », la coopération avec les groupes professionnels, etc. Nous tenons
une permanence à l’Association, tous les jours de 10 h à 12 h. Nous y recevons les
camarades en recherche d’activité bénévole. Prise de rendez-vous par téléphone au 01
53 77 23 33.
Appel à témoignages : Nos prochains numéros, aidez-nous à les construire !

Notre prochain numéro, n°62 : Réussir le début de sa vie professionnelle

Faites de ce Magazine le vôtre ! Réagissez, critiquez, suggérez, contribuez par vos
témoignages, enrichissez-les !
Racontez-vous
pourquoi
et
comment !
[email protected]
Envoyez-nous
vos
témoignages
à.
Vos témoignages restent anonymes si vous le souhaitez. Et si vous avez envie que nous
traitions un thème en particulier, si vous voulez réagir à un de nos articles, envoyez-nous
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vos suggestions et témoignages à la même adresse. La rédaction sera ravie de donner
encore plus la parole à ses lectrices et lecteurs.
Et prochainement, dans le Magazine :

Thématique sectorielle (Carrières des femmes dans un secteur spécifique) :
Luxe d’exception, haute joaillerie, haute couture, grandes maisons de vente,
vins et spiritueux, culturel, aéronautique, carrières universitaires/recherche,
industrie pharmaceutique, libéral…

Les réseaux professionnels « féminins »

Le développement durable
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soit directement sur le nouveau site de notre Association (une fois identifiées, cliquez sur
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Messieurs, si vous souhaitez recevoir le Magazine HEC Au Féminin, prenez
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