Compression sciatique par un hématome secondaire à un

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Compression sciatique par un hématome secondaire à un
Cas clinique
C as clinique
Compression sciatique par un hématome secondaire
à un traumatisme bénin
#L.B. Seck, C. Kahn, P. Aillères, C. Sereni*
L
a douleur sciatique correspond à une douleur des membres
inférieurs liée à l’irritation du nerf sciatique ou d’une de
ses branches. Une sciatalgie non radiculaire peut être
due à une lésion du nerf sciatique dans la fesse ou dans la cavité
pelvienne. Les mécanismes peuvent être nombreux.
OBSERVATION
Madame L.C., 75 ans, a été reçue le 26 mars 2005 aux urgences
d’un hôpital parisien pour douleurs sciatiques droites dans un
contexte d’infection du pied droit. Dans ses antécédents, on
notait une hypertension artérielle, une gonarthrose et une
surcharge pondérale. Son médecin traitant lui a prescrit de
l’amoxicilline associée à de l’oflaxacine pour surinfection d’une
phlyctène du dos du pied droit. Après une amélioration transitoire des signes inflammatoires locaux, la douleur s’est exacerbée.
Il s’agissait d’une douleur naissant dans la fesse droite, à irradiation radiculaire S1, à l’origine d’une impotence fonctionnelle du
membre inférieur droit. La patiente signalait par ailleurs avoir
subi un traumatisme mineur de cette même fesse.
À l’examen initial, dans ce service d’urgence, la patiente était
apyrétique et stable sur le plan hémodynamique. Un œdème du
dos du pied a été noté, sans érythème, indolore, centré par une
plaie propre en voie de cicatrisation. Les pouls périphériques
étaient bien perçus. Il n’y avait pas de douleur à la palpation
du mollet, qui était souple. Sur le plan neurologique, il existait
un signe de Lasègue à 5° à droite, sans raideur rachidienne. La
mobilité du membre inférieur droit était limitée par la douleur.
L’examen de la motricité effectué à distance de la douleur
montrait un déficit moteur coté à 2 sur 5 au triceps sural, à 2
sur 5 au niveau du sciatique poplité externe (SPE) et à 2 sur
5 au niveau du sciatique poplité interne (SPI). Il n’y avait pas
de trouble réflexe ni sensitif. Le diagnostic de lombosciatique
commune S1 droite dans un contexte de probable érysipèle a
été posé, et la patiente a été transférée en rhumatologie. Elle
a reçu dans ce service d’urgence 10 mg de diazépam par voie
i.v. lente + 1 g de paracétamol i.v. + 20 mg de néfopam i.v.
lente + 40 mg d’énoxaparine s.c. Elle a également bénéficié
d’un rappel de vaccin antitétanique.
À son arrivée le 27 mars 2005, l’examen a objectivé un érythème
du tiers supérieur de la face latérale de la cuisse droite mesurant
4 cm sur 5 cm. Les radiographies du rachis lombaire et du pied
* Hôpital Léopold-Bellan, Paris.
La Lettre du Rhumatologue - n° 327 - décembre 2006
étaient normales. Les examens biologiques ont montré une
hyperleucocytose à 25 400/mm3 avec 90 % de polynucléaires
neutrophiles, une protéine C réactive (CRP) à 125 mg/l et un
fibrinogène à 6,9 g/l.
Une tomodensitométrie (TDM) du rachis lombaire et de la
fesse n’a pas montré de lésion rachidienne discosomatique ni
intracanalaire, mais une image évoquant un volumineux abcès
de l’échancrure sciatique, comprimant le nerf sciatique droit.
Devant ce tableau de compression du nerf sciatique, nous avons
transféré en urgence la patiente dans un service de chirurgie
orthopédique. Elle a subi le 29 mars 2005 une intervention
chirurgicale qui a permis d’évacuer un volumineux hématome
sous le muscle grand fessier. Il n’a pas été observé localement
de saignement actif. L’examen histologique a confirmé le caractère fibrino-cruorique du caillot. L’évolution a été marquée par
différentes complications :
– la reconstitution de l’hématome a nécessité une seconde intervention évacuatrice le 14 avril 2005, laquelle a confirmé le contact
entre l’hématome et le nerf sciatique. Il a été procédé par la
même occasion à l’embolisation de l’artère fessière supérieure
qui alimentait l’hématome. L’examen histologique n’a objectivé
qu’un gros hématome coagulé sans signe tumoral ni signe de
surinfection, mais Pseudomonas aeruginosa a été isolé dans le
caillot ainsi que dans les urines ;
– la patiente a présenté une déglobulisation progressive ayant
nécessité des transfusions itératives de culots globulaires. À J5
postopératoire, la patiente a présenté un volumineux hématome
au point de ponction fémorale gauche ;
– le bilan étiologique (exploration chirurgicale locale, artériographie, TDM du bassin, bilan de l’hémostase) n’a détecté qu’un
temps de céphaline activé (TCA) allongé avec des anticorps anticardiolipines. Cette anomalie biologique a été isolée sans notion
d’élément en faveur d’un syndrome des antiphospholipides.
DISCUSSION
Plusieurs cas de compression du nerf sciatique, pelvienne ou
extrapelvienne, ont été décrits dans la littérature (1-9). Le tableau
clinique se manifeste par (10, 11) :
– un déficit musculaire et une hypoesthésie dans les territoires du
SPI et du SPE ainsi que dans la loge postérieure de la cuisse ;
– une abolition des réflexes achiléens et péronéo-fémoraux ;
– des douleurs vives, subites, intenses, sans composante rachidienne, intéressant le trajet du nerf plus ou moins la fesse, la
cuisse, le mollet et la cheville ;
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– des troubles trophiques : atrophie musculaire de la jambe
avec œdème, hypohydrose, peau sèche, hyperkératose plantaire,
déformation des ongles.
Une radiculalgie d’origine discale peut être éliminée en l’absence
d’effort déclenchant et d’impulsivité à la toux ou à l’éternuement.
Les compressions nerveuses par hématome sont décrites dans
la littérature depuis 1928 (8). Les étiologies des compressions
extrinsèques du sciatique sont nombreuses (1, 2, 6, 10, 11).
Elles peuvent être liées à un traumatisme (section, contusion),
à une compression par un hématome (traitement anticoagulant,
hémopathie, suites postopératoires) ou par une tumeur, à des
anomalies musculaires ou au maintien prolongé d’une position. Un cas de compression sciatique par un travail prolongé
lors d’un accouchement a été décrit dans la littérature (6). Les
compressions sciatiques par hématome compliquant un traitement anticoagulant arrivent au deuxième rang des compressions
nerveuses après les compressions crurales (6, 10).
Sur le plan anatomique, le nerf sciatique est habituellement situé sous
le muscle pyriforme. Cette proximité le rend vulnérable à l’irritation
et à la compression en cas d’hématome ou de myosite de ce muscle
(7) et lors des pseudo-anévrysmes de l’artère glutéale inférieure.
Le mécanisme de la souffrance nerveuse est le plus souvent une
neuropathie par étranglement contre l’épine sciatique (4, 8).
Le traitement est avant tout étiologique (6) : correction des
anomalies de la crase sanguine, levée de la compression…
Chez notre patiente, le diagnostic initial a été celui d’une lombosciatique commune, essentiellement en raison de la topographie
de la douleur. L’examen local soigneux de la cuisse, qui a montré
un “érythème” localisé qui était une ecchymose, et surtout la
TDM de la fesse ont été d’un apport décisif. L’imagerie (TDM
ou imagerie par résonance magnétique [IRM]) est déterminante
pour le diagnostic lésionnel et étiologique des compressions
nerveuses tronculaires par hématome profond (1-5, 7, 11, 12).
Habituellement, le premier diagnostic est celui de la “hernie
discale”, car il existe assez souvent des lombalgies (3). Chez un
patient sous traitement anticoagulant, la chute du taux d’hémoglobine est également un élément évocateur (3, 7). Le diagnostic
peut être étayé par l’examen électromyographique (EMG), lequel
permet en outre d’établir un pronostic (1, 13).
La recherche étiologique constitue une étape importante dans la
prise en charge, car elle influe sur l’attitude thérapeutique. Si dans
la majorité des cas la survenue de l’hématome est favorisée par un
traitement anticoagulant plus ou moins associé à un traumatisme
(3, 5, 11), chez notre patiente, il n’y a pas eu d’anticoagulation
antérieure à l’installation de la douleur. La recherche étiologique
n’a pas retrouvé d’élément objectif. Cependant, elle a présenté
un minime traumatisme de la fesse. Peu d’hématomes idiopathiques ont été décrits dans la littérature (12). Certains auteurs
pensent même que l’hypocoagulabilité induite par un traitement
anticoagulant favorise l’hémorragie mais ne la déclenche pas
(11) ; d’où l’hypothèse de facteurs mécaniques favorisants tels
que des microtraumatismes passés inaperçus (4, 12).
La prise en charge des compressions nerveuses par hématome
n’est pas consensuelle. Certains auteurs proposent un traitement
symptomatique (2, 3, 5, 6, 11), notamment en cas d’hématome
par hypocoagulabilité induite par le traitement anticoagulant.
Dans ce cas, la correction de l’hypocoagulabilité peut améliorer le
tableau clinique. Cependant, la majorité des auteurs observe une
meilleure récupération neurologique après une chirurgie évacuatrice précoce de l’hématome (3, 7-9, 12-14). Cette intervention
garantit un meilleur pronostic fonctionnel (qui est fonction de
la durée et de l’importance de l’hématome), et a en outre un
effet antalgique immédiat (4, 11). Ainsi, en cas d’aggravation,
il est préférable d’intervenir immédiatement (6).
CONCLUSION
Les compressions nerveuses radiculaires ou tronculaires par
hématome sont décrites dans la littérature depuis 1928. Elles sont
le plus souvent iatrogènes, liées à un traitement anticoagulant.
Cependant, il faut savoir y penser devant une neuropathie
tronculaire dans un contexte d’anémie, même en l’absence de
traitement anticoagulant. L’IRM (ou l’échographie) permet habituellement le diagnostic. La précocité de la prise en charge
thérapeutique conditionne le pronostic fonctionnel, mais aussi
l’efficacité antalgique.
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