Hépatite chronique B : pathologie qui change ?

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Hépatite chronique B : pathologie qui change ?
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Hépatite chronique B : une pathologie qui change ?
● P. Marcellin, M. Martinot, C. Castelnau*
hépatite B est un défi thérapeutique majeur. Elle représente l’une des plus évolutives des hépatopathies.
Quinze à 25 % des porteurs chroniques du virus de
l’hépatite B meurent prématurément de complications graves, de
cirrhose ou de carcinome hépatocellulaire. L’hépatite B est une
infection dont la compréhension s’est considérablement améliorée durant ces dernières années.
Si l’épidémiologie de cette maladie reste encore assez mal connue
(le portage chronique du virus de l’hépatite B concernerait en
France 0,2 à 0,5 % de la population générale) (1), une meilleure
connaissance de la physiopathologie de l’infection et de ses conséquences, l’émergence du VHB avec mutation pré-core, le recours
à des outils diagnostiques de plus en plus performants, le développement de nouvelles thérapeutiques, l’implication des autorités de santé au niveau le plus élevé et la mise en place d’une conférence de consensus européenne, rendent compte de l’évolution
des concepts et de la prise en charge.
L’
UNE MEILLEURE CONNAISSANCE
DE LA PHYSIOPATHOLOGIE
ET DE SES CONSÉQUENCES :
DE L’ADN SUPER-ENROULÉ AU PORTEUR INACTIF
L’hépatite B est due au VHB, virus appartenant à la famille des
hépadnavirus. Ce virus réplique son génome par l’intermédiaire
d’une transcriptase inverse. Le VHB infecte les hépatocytes de
façon préférentielle. Après interaction avec son récepteur cellulaire, le virus pénètre dans le cytoplasme de l’hépatocyte où il
subit un phénomène de déshabillage. Le génome viral migre dans
le noyau où il est transformé en ADN super-enroulé. Cet ADN
viral extra-chromosomique est la matrice de la transcription des
ARN messagers viraux qui sont traduits en protéines virales.
L’un de ces ARN messagers, l’ARN prégénomique, est encapsidé dans le cytoplasme avec la polymérase virale, puis, par une
étape de transcription inverse, permet la synthèse d’un nouvel
ADN. Les capsides virales ainsi formées pourront soit être recy-
* Service d’hépatologie. – Inserm U481 et Centre de recherche
Claude-Bernard sur les hépatites virales, hôpital Beaujon, Clichy.
La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 3 - vol. VI - mai-juin 2003
clées vers le noyau pour amplifier la formation initiale d’ADN
super-enroulé, soit être enveloppées et sécrétées sous forme de
virions infectieux qui pourront alors infecter de nouveaux hépatocytes (2, 3, 4).
Très difficile à éradiquer, l’ADN super-enroulé explique les phénomènes de résistance et les réactivations. Sa présence permanente chez le sujet infecté par le VHB explique pourquoi le
concept de porteur sain doit être banni au profit du concept d’hépatite B chronique inactive (patient AgHBs positif avec faible
multiplication virale, AgHBe négatif, anti-HBe positif, ADN
VHB négatif par tests standard et activité des aminotransférases
normale) (5).
L’ÉMERGENCE DU VHB AVEC MUTATION PRÉ-CORE
Le variant du VHB le plus fréquemment rencontré est celui dont
le profil phénotypique correspond à un AgHBe négatif associé à
une réplication virale chez des malades porteurs chroniques de
l’AgHBs (6, 7). Ces mutants ont été baptisés pré-core (pré-C) du
fait de diverses mutations survenant dans la région pré-core. Les
deux mutations les plus importantes sont représentées, d’une part,
par l’apparition d’un codon stop au niveau du codon 28, entraînant un arrêt de lecture et l’arrêt de l’expression de l’AgHBe, et,
d’autre part, par une double mutation au niveau du gène X. Ces
mutations aboutissent à une diminution de sécrétion de l’AgHBe
d’environ 70 % et n’empêchent pas la réplication virale, car elles
n’affectent pas la transcription de l’ARN génomique.
Ces mutants, initialement décrits comme une nouvelle souche de
VHB qui se réplique et évolue vers une forme chronique de
manière tout à fait distincte de la forme sauvage, semblent en fait
être une forme émergeante au cours de l’infection à VHB sauvage, sous la pression de la réponse immunitaire, après la séroconversion HBe. Les mutations s’accumulent avec la durée de
l’infection.
L’histoire naturelle de l’infection par un mutant pré-C se caractérise par une réplication virale de plus faible intensité et fluctuante dans le temps. On peut trouver, typiquement, des fluctuations d’activité des aminotransférases, avec des poussées
d’exacerbation suivies de phases de rémission spontanée. Ces
phases de rémission spontanée posent le problème du diagnostic
différentiel avec le portage inactif du VHB.
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La distribution de ces mutants pré-C est ubiquitaire et particulièrement fréquente à travers le monde, avec une prévalence de
7 à 30 % des malades porteurs d’infection chronique par le VHB.
Ces variants sont essentiellement trouvés en Méditerranée, avec
une prévalence de 50 à 80 % et, en Asie, avec une prévalence de
40 à 55 %. En France, alors qu’il y a une dizaine d’années seulement 20 % des cas d’hépatite chronique B étaient liés au virus
pré-C, cette proportion a fortement augmenté et approche les 50 %
dans les dernières estimations (7, 8).
DES OUTILS DIAGNOSTIQUES
DE PLUS EN PLUS PERFORMANTS (9, 10)
Le diagnostic de l’infection à VHB ainsi que son stade évolutif
sont déterminés par les marqueurs sérologiques que sont les antigènes HBs et HBe, les anticorps anti-HBs, anti-HBc et anti-HBe.
Des tests moléculaires permettent de quantifier l’ADN viral, reflet
du degré d’infectivité et du taux de réplication, et de suivre l’évolution de la maladie sous traitement.
La détection-quantification de l’ADN du VHB est donc le
meilleur marqueur de la réplication virale. Il peut être réalisé par
hybridation de l’ADN viral à des sondes spécifiques, éventuellement associée à une amplification du signal (technique des ADN
branchés) ou par amplification génique de type Polymerase Chain
Reaction (PCR). La technique PCR, ou “réaction d’amplification
en chaîne” réalise l’amplification exponentielle et sélective des
séquences d’ADN cible. Cette technique est extrêmement sensible, puisqu’elle permet de détecter des concentrations d’ADN
inférieures à 200 copies/ml. Les techniques se classent donc de
la façon suivante, par ordre de sensibilité croissante : hybridation, amplification du signal (ADN branché), amplification
génique. La mise en évidence d’une réplication virale est indispensable pour poser l’indication thérapeutique au cours de l’hépatite B.
Ces nouveaux tests de détection de l’ADN obligent à repenser la
définition de l’hépatite B. Ainsi, de nombreux patients répondeurs à un traitement antiviral continuent de présenter une charge
virale détectable par PCR, ce qui pose la question de la définition de la réponse et de l’arrêt du traitement (4, 5). Environ 90 %
des patients inactifs ont de l’ADN du VHB détectable par PCR
(11). Récemment, les conclusions de la conférence de consensus
internationale sur l’hépatite B ont proposé le seuil de 100 000
copies d’ADN VHB pour définir une hépatite chronique active
et l’indication du traitement antiviral (12).
LES NOUVELLES THÉRAPEUTIQUES
L’objectif du traitement de l’hépatite B est de prévenir la progression de l’infection jusqu’à la cirrhose ou le carcinome hépatocellulaire et donc de réduire la morbidité et la mortalité associées à cette pathologie. Afin d’atteindre cet objectif, il est
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nécessaire d’éliminer ou de réduire significativement la réplication virale et d’obtenir une diminution de l’activité nécroticoinflammatoire au niveau du foie.
Les molécules antivirales actuelles trouvent leur efficacité maximale et leur justification lorsqu’elles interviennent en renfort du
processus d’éradication immune des cellules infectées, c’est-àdire lors des phases d’activité de la maladie.
Jusqu’à présent, le traitement de l’hépatite chronique B reposait
sur l’interféron alpha ou la lamivudine en monothérapie (12, 13).
Cependant, l’un ou l’autre de ces traitements n’entraîne une
réponse virologique prolongée que dans environ 20 à 30 % des
cas, aussi bien chez les malades atteints d’hépatite chronique B
à virus sauvage (AgHBe positif) que chez ceux atteints d’hépatite chronique B liée à un virus mutant pré-C (AgHBe négatif).
De plus, la fréquence d’apparition du VHB résistant à la lamivudine augmente avec le temps de 24 % à 1 an, 38 % à 2 ans, 50 %
à 3 ans et 67 % à 4 ans.
Récemment, de nouveaux antiviraux (analogues nucléotidiques
et nucléosidiques), élaborés d’abord pour le virus de l’immunodéficience humaine, ont fait l’objet d’une évaluation dans l’hépatite chronique B. Le chef de file de cette nouvelle génération
d’antiviraux est l’adéfovir, dont les résultats des études de phase
III confirment l’efficacité (14, 15, 16). L’adéfovir dipivoxil est
particulièrement intéressant dans la mesure où il n’induit pas de
résistance virale, au moins après 48 semaines d’administration,
et qu’il peut être efficace sur le virus de l’hépatite B résistant à
la lamivudine (17). Pour d’autres antiviraux en cours de phase I
ou II, les premiers résultats sont également encourageants (13).
Dans deux études contrôlées de l’adéfovir (10 mg par jour) contre
placebo conduites chez des patients atteints d’hépatite B chronique, AgHBe positif ou négatif, un nombre significativement
plus élevé de patients (p < 0,001) ont présenté une amélioration
histologique à la semaine 48 (respectivement 53 et 64 %) par rapport aux groupes placebo (25 et 33 %) (15, 16). Une amélioration histologique a été observée, quelles que soient les données
démographiques initiales des patients et les caractéristiques initiales de leur hépatite B, incluant l’existence ou non d’un traitement préalable par l’interféron alpha.
Dans les deux études mentionnées ci-dessus, le traitement par 10mg
d’adéfovir dipivoxil a été associé à une réduction significative des
taux sériques d’ADN du VHB (respectivement 3,52 et 3,91 log10
copies/ml versus 0,55 et 1,35 log10 copies/ml), à une augmentation
de la proportion de patients présentant une normalisation des taux
d’ALAT (48 et 72 % versus 16 et 29 %) et à une augmentation de
la proportion de patients présentant des taux sériques d’ADN du
VHB indétectables, inférieurs à 400 copies/ml (LLQ Roche Amplicor) (21 et 51 % versus 0 %) par rapport au placebo.
Dans l’étude conduite chez des patients AgHBe positifs, les taux
de séroconversion AgHBe (12 %) et de perte de l’AgHBe (24 %)
ont été significativement plus élevés chez les patients traités par
10 mg d’adéfovir dipivoxil que chez les patients sous placebo
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(respectivement 6 et 11 %) après 48 semaines de traitement.
Ces résultats démontrent l’intérêt de l’adéfovir dipivoxil dans la
prise en charge des patients atteints d’hépatite chronique B.
Les résultats de cette enquête devraient permettre de mieux caractériser les populations infectées par le VHB et d’optimiser les
stratégies thérapeutiques.
Les conclusions de la conférence de consensus internationale
recommandent de tenter, dans un premier temps, un traitement
par l’interféron et, en cas d’échec, d’utiliser la lamivudine ou
l’adéfovir. Des résultats récents – qui seront présentés au congrès
de l’EASL – confirment l’incidence exceptionnelle de résistances
sous adéfovir, son efficacité à long terme et son excellente tolérance. Ces derniers résultats suggèrent que l’adéfovir pourrait
devenir la meilleure option thérapeutique aussi bien comme traitement de première intention que dans le cadre d’un retraitement.
L’ensemble des données récentes concernant la virologie et les
progrès thérapeutiques obtenus grâce aux nouveaux antiviraux
vont bouleverser la prise en charge de l’hépatite. Les conclusions
de la conférence de consensus sur l’hépatite B, organisée par
l’EASL, en septembre 2002, ont mieux précisé les modalités de
prise en charge des malades atteints d’hépatite B (12).
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LE PLAN NATIONAL HÉPATITE B (2002-2005) (1)
1. www.sante.gouv.fr/htm/actu/hepatites/synthese.htm.
2. Bailly F, Zoulim F. Les hépatites chroniques B : histoire naturelle et traite-
Ce plan fait partie intégrante du plan national Hépatites B et C.
Il constitue une priorité de santé publique en France et s’impose
par la fréquence de cette infection virale transmissible et l’évolution potentielle des formes chroniques vers des complications
graves.
Les grands axes du plan de lutte sont les suivants :
– réduire la transmission du virus ;
– dépister les personnes atteintes ;
– renforcer le dispositif de soin et l’accès aux traitements ;
– renforcer la recherche clinique ;
– renforcer la surveillance et l’évaluation.
Ce plan s’articule avec d’autres plans ou programmes, en particulier la sécurité des produits de santé, les pratiques addictives,
l’infection VIH/sida et la santé de populations vulnérables (détenus, personnes en situation précaire). Il vise à apporter des
réponses aux attentes des associations de soutien aux personnes
atteintes d’hépatite chronique et associe professionnels hospitaliers et libéraux.
L’amélioration des connaissances épidémiologiques sur l’hépatite B fait l’objet de mesures spécifiques. En effet, l’hépatite B a
été ajoutée à la liste des maladies à déclaration obligatoire. Cette
surveillance qui a été mise en place en 2002 en même temps que
la déclaration de séropositivité VIH, permettra de mieux appréhender l’incidence actuelle, les groupes exposés au risque et les
principaux modes de transmission qui persistent.
L’estimation de la prévalence du portage chronique du VHB, réalisée de manière concomitante de celle de l’hépatite C en 2002, fait
actuellement l’objet d’une enquête de prévalence nationale réalisée par l’Institut national de veille sanitaire en collaboration avec
la caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés.
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ALJAC S.A., locataire-gérant d’EDIMARK © février 1998. Imprimé en France - EDIPS Paris - Dépôt légal : à parution.
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