Le sens de la peine et la place de la victime

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Le sens de la peine et la place de la victime
Le sens de la peine et la place de la victime
Thème proposé par le groupe de Paris-La Santé
Assises de Montpellier, Avril 2005
« Ne tolérons aucune souffrance ». Voici en substance le slogan de la Croix-Rouge.
Ce refus absolu de la souffrance qui semble caractéristique de notre époque s’est traduit à
peu près simultanément de deux façons notables dans le domaine judiciaire : d’une part en
un mouvement d’humanisation des prisons et de la peine en général ; d’autre part en un
mouvement de prise en compte de la victime.
Ces deux mouvement peuvent sembler opposés. Ils ont pu l’être.
L’antagonisme est facile et peut s’exprimer de plusieurs manières : soit qu’on entende
souvent : « Pourquoi s’occuper des condamnés plutôt que de leur victimes ? Leur peine,
ils l’ont bien mérité de toute façon ! » soit qu’on considère que la victime ne doit être que
témoin (elle risquerait de faire du procès un instrument de vengeance). Cette opposition
est-elle vraiment indépassable ?
Une articulation entre les deux est peut-être possible : ainsi, Robert Badinter a travaillé
comme Garde des Sceaux au début des années 80 à l’humanisation des prisons et au
développement de l’aide aux victimes, et cela en même temps. Un autre exemple : la loi du
15 juin 2000 s’intitule loi « renforçant la présomption d’innocence et le droit des victimes ».
La notion de victime est de plus en plus présente dans notre discours, nos réflexions.
Depuis quelques dizaines d’années, la victime a fait son retour dans la justice pénale après
en avoir été la grande absente, de l’avis de tous.
La création au printemps 2004 d’un Secrétariat d’État aux droits des victimes (p. 7) témoigne de la place grandissante donnée aux victimes.
Table des matières :
• La victime dans le procès pénal
• Évolution du droit des victimes et de l’aide aux victimes
• Les associations de victimes et les associations d’aide aux victimes
• Médias, justice et victimes
• Sens de la peine
• La justice restaurative
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Thème d’Assises 2005: Place de la Victime.
La victime dans le procès pénal
Action Publique : Procédure consistant à
établir l’existence d’une infraction et son imputation à une personne déterminée, le jugement de cette personne et son éventuelle
condamnation à une peine.
Le principe de séparation entre l’action
publique et l’action civile.
L’action civile est exercée par la victime ou ses
ayants droits. En revanche, l’action publique est
exercée par le ministère public, ou « parquet ».
Le parquet est la partie de la magistrature en
charge de la poursuite des délinquants. Ils sont
indépendants des magistrats du « siège » (ceux
qui jugent), du juge d’instruction ainsi que de la
partie lésée (la victime). En tant qu’institution
publique, il agit « au nom de la société » : c’est
toujours la société en son entier qui inflige des
peines. Les victimes n’ont donc en principe aucun rôle dans la punition, dans l’attribution de
la sanction pénale.
Pour jouer malgré tout un rôle dans la procédure pénale, la victime dispose de la possibilité
de se constituer « partie civile » (ce qui peut se
faire lors du dépôt de la plainte et tout au long de
l’instruction). Mais cela ne remet pas en cause,
du moins en principe, cette séparation. Car, plutôt que d’ajouter une troisième partie au sein de
la même procédure (en l’occurrence l’action publique), la constitution de la partie civile crée une
nouvelle procédure : l’action civile. Son déroulement sera parallèle à celui de l’action publique
mais sans pour autant se confondre avec elle. Car
la partie civile n’a pour fonction que de défendre
au procès les intérêts civils de la victime, c’est-àdire que la partie civile ne doit plaider que sur le
préjudice et la réparation (les dommages et intérêts), alors que l’infraction et la peine sont l’objet
du seul réquisitoire du procureur (représentant
du parquet au procès). C’est pourquoi, lorsqu’un
procès pénal a lieu avec partie civile, c’est en réalité deux procès qui se jouent en même temps. Il
est alors possible de distinguer d’un côté la partie
pénale du procès et de l’autre sa partie civile ; le
juge sera amené à se prononcer à la fois sur ces
deux aspects.
Aussi, quand les associations de victimes se
plaignent du fait que les victimes sont « tenues
à l’écart » de l’instruction, il ne faut pas oublier
Action Civile : Procédure consistant à établir le préjudice subi par la victime de l’infraction et à décider le versement de dommages et
intérêts.
que cette attitude correspond à un principe fondamental du droit pénal. Lorsqu’on parle d’une
amélioration nécessaire du « droit des victimes »,
se pose donc la question de savoir dans quelle mesure il faut maintenir ferme cette séparation.
Si en principe, la fonction de la partie civile
se cantonne à la défense des intérêts civils de la
victime, on doit bien reconnaître qu’en faits il en
est souvent autrement : la partie civile déborde
souvent de la seule question de la responsabilité
civile de l’accusé pour intervenir sur la question
de la peine. Comme cet empiètement des parties
civiles sur le terrain pénal n’est pas prévu par les
lois, il relève entièrement de la pratique. Il faudrait donc se demander si ces pratiques ont évolué, et tenter le cas échéant de tracer les lignes
de cette évolution.
Qui peut se constituer partie civile ?
La première remarque à faire est que l’action
civile est facultative et que les procès avec partie
civile ne représentent qu’une minorité des procès
pénaux. Du point de vue de la qualité de l’infraction, les crimes sont bien plus concernés que
les délits mais ils ne constituent pas plus de 5
% des infractions. D’autre part, certaines infractions, par leur nature même, mettent spontanément la victime au centre de la procédure, car
elles la lèsent très lourdement quant à son intégrité physique, son intégrité psychologique ou ses
intérêts financiers.
L’article 2 du Code de Procédure Pénale
(CPP), qui définit l’action civile, précise qu’elle
appartient à tous ceux qui « ont personnellement
souffert du dommage directement causé par l’infraction ». Le problème réside dans l’interprétation de la fin de l’expression. Ainsi dans le cas
d’homicides, la famille, et le conjoint, éventuellement le concubin, peuvent se constituer partie
civile. Du point de vue de la loi, la victime ne se
réduit pas à l’individu qui a subi, pour ainsi dire,
matériellement, l’infraction ; et le problème de savoir jusqu’où s’étend la sphère des victimes d’une
Thème d’Assises 2005: Place de la Victime.
infraction est un problème qui reste discuté.
Depuis 1972, les associations régulièrement déclarées depuis plus de 5 ans et dont l’objet est
de lutter contre les discriminations raciales ont
la possibilité de se constituer partie civile dans
les procès jugeant une infraction commise envers
une personne en raison de son appartenance ethnique. Des lois ultérieures élargissent cette possibilité à d’autres infractions (affaires sexuelles,
toxicomanie, terrorisme, accidents du travail...),
si bien que les associations qui inscrivent à leurs
statuts l’assistance aux victimes d’infractions ont
aujourd’hui la possibilité de se constituer partie
civile dans un grand nombre de procès.
Quels sont les droits de cette partie civile ?
Le procès pénal, au sens large, se décompose
en une série d’étapes : il commence avec le déclenchement de l’action publique, implique éventuellement une instruction, pour se clore par le
procès proprement dit avec l’audience. Mais il n’y
a pas seulement lieu de préciser le rôle que peut
jouer la partie civile sur chacune de ces étapes.
On peut aussi présenter le rôle que celle-ci joue
après le procès, en faisant appel de la décision de
la juridiction, ou dans l’application de la peine.
Le déclenchement de l’action publique.
La victime a deux moyens pour déclencher l’action publique : la plainte (transférée au procureur
de la république, qui décide s’il y a lieu ou non de
poursuivre) et la citation directe (qui consiste à
citer le prévenu directement devant la juridiction
compétente). En cas de plainte, la victime peut
également se constituer partie civile. Mais si la
victime décide plutôt d’exercer l’action civile devant une juridiction civile, ou si elle décide tout
simplement de ne pas demander de réparation,
alors elle disparaît de la procédure pénale : au
moment du procès, elle sera alors soit complètement absente, soit présente à titre de témoin ou
simplement de public, assise sur les mêmes bancs
que les autres témoins et les autres spectateurs.
L’instruction. Les droits de la partie civile
dans l’instruction ont été singulièrement renforcés par la loi du 15 juin 2000. La partie civile peut
ainsi demander des actes au juge d’instruction
qui, en cas de refus doit motiver sa décision. Il est
donc reconnu un droit à la partie civile de peser
dans l’instruction, qui concerne bien la responsa-
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bilité pénale de la personne mise en examen (et
pas seulement la responsabilité civile). Surtout,
la loi permet également à la partie civile de faire
procéder à des actes visant à établir la nature et
l’importance du préjudice ; le juge d’instruction
se voit donc confier une mission qui dépasse la
seule sphère pénale, pour servir les intérêts civils de la victime. Plus de détails à ce sujet se
trouvent dans la partie suivante sur l’évolution
du droit des victimes.
L’audience. Dans ce domaine aussi la loi de
2000 a contribué à augmenter les droits de la partie civile. En particulier, « le ministère public et
les avocats des parties peuvent poser directement
des questions au prévenu, à la partie civile, aux
témoins, et à toutes les personnes introduites à la
barre, en demandant la parole au président ». Ce
nouvel article a beaucoup changé la physionomie
des débats car, avant son introduction, les parties
ne pouvaient poser de question que par l’intermédiaire du président. La possibilité pour les parties
de s’adresser directement aux personnes interrogées rend les débats plus vifs et augmente la place
des parties (et en particulier celle de la partie civile au procès). L’avocat Daniel Soulez-Larivière
est très critique sur ce point et se plaint, dans
son ouvrage Notre justice que, dans ces circonstances, assurer la défense de l’accusé est devenu
particulièrement difficile devant les « associations
de victimes, puissamment organisées, relayées et
encouragées par les médias et qui exercent une
dictature sur le procès et réussissent à le dominer ».
On assiste également à une transformation de
la pratique judiciaire. Les évolutions législatives
donnant plus de place à la partie civile lors du
procès ne remettent pourtant pas en cause le
principe de séparation entre l’action civile et l’action publique. Ainsi, en théorie, les parties civiles
sont cantonnées dans la question de la réparation
du dommage et ne sont toujours pas censées se
prononcer sur la sanction pénale. Mais ici, la relative discrétion de la loi qui, sans autoriser les
parties civiles à se prononcer sur la question de la
peine, ne le prescrit pas non plus expressément,
laisse une liberté qu’ont abondamment exploitée
les avocats des parties civiles. Les témoignages
des magistrats ou des avocats sont unanimes sur
ce point : les parties civiles ne cessent de s’avancer dans la sphère pénale du procès et les plaidoiries des avocats en faveur du dédommagement
de la victime se transforment de plus en plus en
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réquisitoires contre l’accusé. (À ce sujet, Alain
Blanc, président de la cour d’assises de Paris, estime que : « si certains des avocats des parties
civiles cessaient de réclamer une condamnation –
qui plus est, en précisant qu’elle soit lourde – au
nom du deuil nécessaire de leurs clients, tout le
monde, y compris le débat judiciaire y gagnerait
en dignité ».)
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Thème d’Assises 2005: Place de la Victime.
Après le procès. La partie civile ne peut faire
appel de la décision que quant au montant des
dommages et intérêts.
Par ailleurs, la référence à la victime intervient
dans l’exécution de la peine qui conditionne la
dispense ou l’ajournement de peine au versement
intégral des dommages et intérêts.
Évolution du droit des victimes et de l’aide aux victimes
La victime, de simple témoin à partie centrale du procès et de la politique pénale.
La victime, titulaire de droits patrimoniaux. Jusqu’à la fin des années 70, il n’existe
aucun texte sur le droit des victimes, aucun service public pour les soutenir. Les premiers efforts
des pouvoirs publics concernant les victimes d’infractions pénales vont porter sur l’indemnisation.
Les réformes commencent en janvier 1977 avec la
création des CIVI, les Commissions d’Indemnisation des Victimes d’Infractions, visant à faciliter
la réparation du préjudice découlant d’une infraction. Les conditions d’indemnisation restent
longtemps restrictives : elles ne concernent que
les infractions les plus graves, l’auteur de l’infraction doit être identifié, la victime doit prouver
l’insolvabilité du délinquant et seul le préjudice
matériel est pris en compte. Ici, la victime est
considérée seulement comme titulaire de droits
patrimoniaux.
La victime, personne souffrante. Entre
1981 et 1985, Robert Badinter, alors garde des
Sceaux, souhaite mettre en place une politique
publique d’aide aux victimes pour apporter une
écoute, une information, une aide (accueil et prise
en charge) ainsi qu’un accompagnement pendant
la procédure. Cela se traduit en 1982 par rapport contribuant à faire apparaître une définition
plus large de la victime d’infraction, à envisager la victime par rapport à la protection de ses
droits fondamentaux et à mettre en place une
meilleure indemnisation.
En France, la politique publique d’aide aux victimes emprunte deux directions : développement
de la voie associative et amélioration de l’indemnisation.
La voie associative. Il s’agit ici de prendre en
charge la victime au-delà du simple préjudice matériel, pour une avancée vers la réparation du
préjudice moral et psychologique causé par l’in-
fraction. C’est en 1986, avec la création de l’INAVEM, que se concrétise l’émergence d’un réseau associatif. L’INAVEM fédère la majorité des
associations œuvrant dans le domaine de l’aide
aux victimes en collaboration avec le Ministère
de la justice ; les associations sont subventionnées par l’État et les collectivités locales. En 1983
et 1996, le rôle des associations dans la procédure pénale est consacré : des associations de
victimes peuvent désormais se constituer partie
civiles dans les procès pénaux.
L’amélioration de l’indemnisation. Parallèlement, la politique gouvernementale se concrétise dans le sens d’une amélioration de l’indemnisation : une loi de 1986 fixe les conditions d’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme
et permet la réparation intégrale des dommages
causés par ces actes par un fonds de garantie.
En 1990 est réalisée une réforme en profondeur
des CIVI, le fonds de garantie (en charge de l’indemnisation des victimes au nom de la solidarité
nationale) est élargi à d’autres infractions.
La victime, titulaire de droits et d’obligations à tous les stades de la procédure. À
partir de 1998, l’aide aux victimes devient l’une
des priorités majeures de la politique pénale engagée par le ministère de la justice et a pour
but d’améliorer la prise en compte de la victime
à tous les stades de la procédure pénale ainsi
qu’un renforcement des dispositifs d’accès au
droit (les Maisons de justice et du droit ainsi que
les Conseils départementaux d’accès aux droits).
Par ailleurs, le rapport Lienemann (1999) Pour
une nouvelle politique publique d’aide aux victimes, préconise l’amélioration de l’accueil des
victimes par les Services Publics, du traitement
des plaintes et de l’information, le renforcement
des droits dans la procédure. Certaines dispositions seront reprises dans la loi du 15 juin 2000.
Thème d’Assises 2005: Place de la Victime.
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Fonctionnement de la CIVI :
La commission d’indemnisation des victimes
d’infraction est créée en janvier 1977. Il existe
auprès de chaque TGI une commission composée
de trois membres (deux magistrats et une personne ayant un intérêt pour les problèmes des
victimes). La requête, déposée par la victime, ne
vise pas l’auteur de l’infraction : elle se borne
à réclamer une indemnité auprès d’un Fonds de
garantie (le FGTI) disposant de fonds recueillis
pour chaque contrat d’assurance souscrit.
Il n’est pas nécessaire que le procès pénal soit
terminé pour que la victime puisse obtenir une
indemnisation, c’est d’ailleurs là que réside l’intérêt de la CIVI : séparer la réparation du préjudice et le procès pénal. Il n’est pas besoin de se
constituer partie civile pour saisir la CIVI. Les
débats se déroulent à huis clos, hors la présence
de l’auteur ou de son conseil, il suffit qu’il n’y ait
pas de contestation sur l’existence de l’infraction
(la CIVI ne statuant qu’en cas d’absolue certi-
tude sur la réalité des faits). Ainsi, il n’est pas
nécessaire que l’auteur des faits soit identifié si
l’infraction est certaine, de même si l’auteur bénéficie d’un non lieu ou d’une relaxe pour troubles
mentaux.
La CIVI apprécie de manière autonome de la juridiction pénale le montant des dommages intérêts
mais tient compte des sommes qui ont pu être
perçues par ailleurs. Deux régimes d’indemnisation existent : l’un pour les infractions les plus
graves (ex : agressions sexuelles, homicides ou
incapacité permanente ou totale de travail égale
ou supérieure à un mois) sans plafond d’indemnisation (des sommes très importantes peuvent
donc être allouées), l’autre pour les infractions
moins graves pour lesquelles les conditions sont
plus restrictives (il y a une liste des infractions
concernées, cette indemnisation n’est allouée que
s’il n’y a pas d’autre indemnisation possible et
elle est plafonnée).
La loi du 15 juin 2000.
Les évolutions récentes.
« Renforçant la présomption d’innocence et le
droit des victimes », elle introduit un article préliminaire au CPP : « l’autorité judiciaire veille à
l’information et à la garantie des droits des victimes au cours de toute la procédure pénale ».
En outre, une référence aux intérêts des victimes est introduite dans le serment des jurés
d’assises : « Vous jurez et promettez d’examiner
avec l’attention la plus scrupuleuse les charges
qui seront portées contre X, de ne trahir ni les
intérêts de l’accusé, ni ceux de la société qui l’accuse ni ceux de la victime (...) ».
Les dispositions de la loi du 15 juin 2000 en
faveur des victimes concernent la victime en tant
que telle ainsi que la victime-partie civile, c’està-dire comme partie au procès pénal (cf figure
1).
Faciliter l’exercice de l’action civile. La loi
du 9 septembre 2002 prévoit que pour certains
crimes particulièrement graves, la victime peut
bénéficier de l’aide juridictionnelle sans condition
de ressource. Cette aide consiste à faire prendre
en charge par la collectivité tout ou partie des
frais de jsutice, y compris d’avocat.
Dans l’esprit du législateur, cette loi va dans
le sens d’une amélioration des droits et de l’aide
aux victimes mais cet avis n’es pas partagé par
tous : ainsi pour l’APEV (association d’Aide aux
Parents d’Enfants Victimes), la loi de juin 2000
est une loi qui fait passer la présomption d’innocence avant la recherche de la vérité et avant la
protection de la société. Il s’agirait même d’un
recul du droit des victimes.
Meilleure information de la victime. La loi
du 9 mars 2004 consacre la pratique judiciaire qui
consistait à motiver les classements sans suite.
Disposition améliorant l’indemnisation de
la victime. Depuis la loi du 10 juillet 2000, il y
a eu une évolution entre la notion d’identité des
fautes civiles et pénales en matière d’infractions
non intentionnelles.
– pour les infractions non intentionnelles, le
tribunal correctionnel en cas de relaxe (déclaration de non culpabilité) peut néanmoins accorder des dommages intérêts à la
victime.
– Devant la Cour d’assises, la cour conserve
toujours la possibilité en cas d’acquittement
d’accorder à la victime des dommages intérêts.
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Thème d’Assises 2005: Place de la Victime.
Fig. 1 – Dispositions de la loi du 15 juin 2000 concernant les victimes.
Pour la victime en tant que telle :
Simplification du dépôt de plainte. Création du
guichet unique : la victime peut déposer plainte
auprès de tout commissariat, quelque soit le lieu
de commission de l’infraction.
Amélioration de l’information sur les droits et
les aides. Les policiers ont obligation d’informer
les victimes de leurs droits à obtenir réparation
du préjudice subi, à se constituer partie civile et
à être aidées par un service ou une association
d’aide aux victimes.
Protection de l’image des victimes. Création de
l’infraction d’attente à la dignité de la victime
d’un crime ou d’un délit concernant la reproduction de certaines images.
L’indemnisation des victimes d’infraction pénale.
La possibilité d’obtenir une indemnisation est
élargie à de nouveaux types de préjudice.
– Les victimes d’infractions non intentionnelles peuvent, en cas de relaxe ou de non
lieu devant la juridiction d’instruction, se
tourner vers les juridictions civiles.
– La victime a la possibilité de recourir à la
procédure d’injonction de payer pour obtenir, après réussite d’une médiation pénale ou
d’une composition pénale, les sommes que
l’auteur de l’infraction s’est engagé à lui verser.
Prise en compte de la qualité de la victime. Le législateur tient également compte de
la qualité de la victime, soit pour sanctionner
plus sévèrement l’auteur des faits délictueux, soit
pour améliorer la prise en charge de la victime.
S’agissant de la répression des faits délictueux, de
nouvelles circonstances aggravantes ont été retenues pour le prononcé des peines témoignant de
l’orientation de la politique criminelle. Ainsi, par
exemple, la répression des actes à caractères discriminatoires en raison de l’appartenance de la
victime à une ethnie, une nation, une race ou une
religion déterminée ou de son orientation sexuelle
a été accrue.
Protection des victimes mineures. La politique du gouvernement en faveur de la protection des victimes mineures est notable. Diverses
dispositions législatives sont venues au cours des
Pour la victime partie civile :
Simplification de la constitution de partie civile.
Les victimes peuvent se constituer partie civile
par fax ou lettre recommandée.
Sur la durée de l’instruction. Amélioration de
l’information concernant la procédure : le Juge
d’instruction est tenu d’informer les parties civiles de l’avancement de la procédure tous les 6
mois. Il doit indiquer dès le début de l’information sa durée prévisible. S’il y a dépassement elles
peuvent saisir la chambre de l’instruction.
Les droits des victimes dans le procès. Un
meilleur équilibre des droits entre les parties au
procès : demander des actes, des confrontations,
expertises, perquisitions, transport sur les lieux.
Possibilité d’interroger directement les témoins à
l’audience.
dernières années faciliter leur prise en charge et
leur représentation dans le cadre de la procédure.
Plusieurs exemples peuvent être donnés, illustrant les différentes étapes de la procédure pénale : l’aide juridictionnelle est, depuis la loi du 9
mars 2004, accordée aux victimes mineures étrangères, sans aucune condition de résidence sur le
territoire national. La loi du 9 mars 2004 rallonge les délais de prescription pour les crimes
sexuels et certains délits sexuels commis contre
les mineurs : la prescription passe de 10 à 20 ans,
permettant à une victime mineure de dénoncer
les faits jusqu’à sa 38ème année. La répression
des crimes et délits commis sur les mineurs est
devenue plus sévère. Le secrétariat d’État aux
droits des victimes prévoit d’améliorer la prise
en charge thérapeutique des mineurs victimes sur
l’ensemble du territoire national. Les possibilités
d’action collective des associations de lutte contre
la maltraitance des mineurs sont étendues.
Le prononcé de la peine. Dans la procédure
de comparution sur reconnaissance préalable de
culpabilité (le plaider coupable), deux hypothèses
permettent à la victime d’intervenir. Si la victime
est identifiée, elle est informée aussitôt du choix
du parquet en faveur du plaidoyer de culpabilité,
et elle est invitée à comparaître devant le juge
en même temps que l’auteur, afin de pouvoir se
constituer partie civile et demander réparation
Thème d’Assises 2005: Place de la Victime.
de son préjudice. Si la victime n’a pu exercer
l’action, le procureur doit l’informer de son droit
de lui demander de citer l’auteur des faits à une
audience du tribunal correctionnel. Le tribunal
statue alors sur les seuls intérêts civils. La victime peut faire échouer la procédure de plaider
coupable en se constituant devant le juge d’instruction.
La révision de la peine. Depuis la loi du 9
mars 2004 les juges d’application des peines sont
invités à ne pas se référer uniquement aux intérêts
du condamné mais également à ceux de la victime. Les jugements du tribunal de l’application
des peines peuvent faire l’objet d’un appel devant
la chambre de l’application des peines qui est
alors composée de 3 magistrats assistés d’un représentant d’une association d’aide aux victimes
et d’un représentant d’une association de réinsertion des condamnés. La prise en compte de l’intérêt des victimes pourra par exemple conduire le
JAP ou le TAP à imposer au condamné libéré de
ne pas rencontrer la victime.
Le Secrétariat d’état aux droits des victimes.
C’est lors du remaniement gouvernemental
(Raffarin III) suivant les élections régionales et
cantonales du 28 mars 2004 qu’est créé un secrétariat d’Etat au droit des victimes. Est placée à sa tête celle qui était en charge du secrétariat d’Etat aux programmes immobiliers de
la justice, Nicole Guedj. Ainsi, la disparition de
ce secrétariat d’Etat chargé en majeure partie
de la construction des prisons illustre la volonté
du nouveau gouvernement : afficher l’importance
qu’il souhaite accorder aux victimes. Le secrétariat d’Etat est « chargé de veiller à l’adaptation des dispositions permettant d’assurer le
respect des droits des personnes victimes, notamment, d’infractions pénales, de faits de terrorisme, d’accidents collectifs, de sinistres sanitaires, industriels, alimentaires ou de santé publique, d’accidents écologiques, industriels, de catastrophes naturelles ou encore de discriminations et d’atteintes aux droits de l’homme ».
Ainsi, l’action du secrétariat doit être menée en
faveur de toute personne ayant subi un préjudice
à la suite d’un événement, quelque soit l’événement. Le 29 septembre 2004 le secrétariat d’Etat
publie son « premier programme d’action » : il y
affirme la nécessité d’une politique globale d’aide
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aux victimes, et définit quatre grandes orientations : l’amélioration de l’accès des victimes au
droit, l’octroi de justes réparations, le développement de leurs droits au plan international et le
renforcement de la solidarité nationale. Ceci doit
s’organiser autour de sept axes principaux :
• Une meilleure information des victimes ;
• Une plus grande place de la victime dans l’institution judiciaire ;
• Une indemnisation plus simple des victimes
d’infractions pénales ;
• Une plus juste indemnisation des préjudices
corporels ;
• Une médecine légale efficace et humanisée pour
les victimes ;
• Une prise en charge coordonnée dans les situations d’urgence ;
• Une coopération internationale effective en
matière d’aide aux victimes.
Le secrétariat créé il y a à peu près un an, son
programme d’action annoncé il y a 5 mois, il est
difficile d’avoir le recul nécessaire pour juger les
actions concrètes entreprises, d’autant plus qu’il
semble que pour l’instant l’action se limite essentiellement à la rédaction de rapports. On peut
cependant relever la mise en place d’un numéro
national d’aide aux victimes. Il faut également
noter que la politique publique envisagée s’appuie
en grande partie sur l’action des associations.
On peut alors remarquer que la plupart des
mesures invoquées dans le programme d’action
sont inspirées des revendications des associations
d’aide aux victimes. L’INAVEM par exemple se
dit « tout à fait satisfait du positionnement du
Secrétariat d’État, notamment dans le sens où
un certain nombre de points entérine des travaux
réalisés avec l’Inavem au sein du Conseil National de l’Aide aux Victimes et d’autres points où
la compétence tant de l’Inavem que de son réseau sera mise à contribution au service des victimes ».
Si le secrétariat d’État a été bien accueilli
par les associations d’aide aux victimes, les commentaires sont plus nuancés s’agissant des magistrats et des avocats. On peut citer notamment le président de l’Union Syndicale des Magistrats (USM), Dominique Barella, qui dénonce
une « entreprise démagogique » (La Voix du
Nord). En effet, le secrétariat d’État, dépendant
du ministère de la justice, n’a pas de budget
propre, c’est pourquoi sa création apparaît sur-
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tout comme un effet d’annonce, la simple apposition d’un nom sur un domaine d’intervention préexistant du Ministère de la justice. Si l’on peut
s’interroger sur sa capacité à mettre en œuvre les
mesures affichées, celles-ci couvrant un domaine
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Thème d’Assises 2005: Place de la Victime.
très large, on peut aussi remarquer que les mesures envisagées s’inscrivent dans une évolution
amorcée et plusieurs fois réaffirmée depuis la fin
des années 90.
Les associations de victimes et les associations d’aide aux victimes
La voie associative a eu une importance majeure dans les évolutions récentes des droits des
victimes, tant pour ce qui est de l’application de
mesures d’aide au victimes (en cela, certaines associations remplissent une mission de service public par délégation) que comme moteurs de réformes dans ce domaine (les réformes en faveur
des droits des victimes qui ont été adoptées ces
dernières années sont très fréquemment issues de
revendications du milieu associatif). Enfin, certaines associations ont des rôles dans la procédures juridiques : certaines d’entre elles pouvant
se constituer parties civiles, d’autres participant
aux CIVI ou participant aux Chambres d’Applications des Peines. La création du Secrétariat
d’État au droit des victimes est pour partie un
geste en direction des associations de victimes et
d’aide aux victimes.
Pour autant, le milieu associatif est assez hétérogène, les associations le constituant ayant des
objectifs et des revendications parfois bien différentes. Au sein de ce milieu associatif, il faut distinguer les associations d’aide aux victimes d’une
part et les associations de victimes d’autre part.
Citons d’abord l’Institut national d’aide
aux victimes et de médiation (INAVEM). Il
s’agit d’une fédération nationale des associations
d’aide aux victimes dont l’objet est « de promouvoir et de développer l’aide et l’assistance aux
victimes, les pratiques de médiation et tout autre
mesure contribuant à améliorer la reconnaissance
des victimes. Ses objectifs sont d’une part, l’accueil et l’écoute des victimes d’atteintes à la personne ou aux biens et d’autre part, l’aide psychologique, l’information sur les droits et l’accompagnement social des victimes. Les associations
d’aide aux victimes sont aujourd’hui au nombre
de 150. En 2003, elles ont animé 650 permanences
d’accueil, reçu 230 000 victimes et réalisé 20 000
médiations. Les associations d’aide aux victimes
sont ouvertes à tout public, leurs services sont
proposés à titre gratuit ». Le but est donc notamment de verbaliser la souffrance et de percevoir
le sujet au-delà de l’événement (la thérapie d’une
victime s’inscrit dans une démarche de réparation globale où se nouent les registres psychologique, social et juridique). Son objectif n’est donc
pas d’opposer les intérêts des auteurs des délits à
ceux des victimes puisque ce n’est « pas en abaissant les droits des premiers que l’on améliorera les
droits des seconds ». L’une des revendications de
l’INAVEM est le manque cruel de structures pour
une prise en charge à long terme des victimes.
Paris Aide aux Victimes s’inscrit dans
cette démarche : ses antennes reçoivent sur
rendez-vous les personnes victimes d’infractions
pénales (vol, agression, escroquerie, attentat terroriste...). Accueil, écoute, information sur les
droits des victimes, soutien psychologique... sont
les principales activités de cette structure constituée uniquements de juristes et de psychologues.
Le principe de l’association est de faire sortir la
victime de son statut de victime en lui donnant
une place active, une information précise ainsi
qu’un soutien psychologique qui lui permet de
se questionner sur la victimisation et la procédure pénale (le soutien psychologique se poursuit
avant, pendant et après la procédure). Le but affiché est que les victimes arrivent au moment du
prononcé de la peine en étant presque sorties de
leur statut de victimes.
SOS Attentats est une association de victimes et a une démarche différente. Cette « association créée par des victimes, pour des victimes »
a un rôle d’écoute et de soutien, d’information et
d’orientation dans la durée, d’aide aux victimes
d’attentats dans leur accès aux procédures judiciaires, un rôle aussi de lutte contre l’oubli avec
la cérémonie annuelle aux victimes du terrorisme,
et enfin elle participe aux débats internationaux.
SOS Attentats a beaucoup œuvré pour l’indemnisation des victimes par la création d’un Fond de
Garantie, pour leur prise en charge médicale et
psychologique par son réseau de professionnels,
pour la communication aussi par des colloques
Thème d’Assises 2005: Place de la Victime.
et cérémonies. Enfin, SOS Attentats plaide pour
la création d’un fonds international d’indemnisation des victimes du terrorisme, pour la fin des
immunités des responsables politiques commanditaires ou complices d’actes de terrorisme, et enfin pour une coopération judiciaire européenne
sur la question.
Les objectifs de l’Aide aux parents d’enfants victimes, assassinés ou disparus (APEV)
sont plus ceux d’une prise de conscience de la
sphère publique, de propositions pour améliorer
la législation quant aux droits des victimes mais
aussi à la lutte contre la récidive, à la prévention,
à l’aide juridique et administrative. Les revendications sont donc plus offensives et plus tournées contre les auteurs des crimes et des délits :
il est ainsi choquant, aux yeux de l’APEV, que
les délits financiers soient imprescriptibles et pas
les assassinats, qu’il y ait des structures d’accueil
pour les délinquants sexuels et pas pour les vic-
4
9
times, que la loi sur la présomption d’innocence
fasse place à la réinsertion des délinquants et n’ait
plus, à ses yeux, pour priorité de rendre justice
aux victimes. La loi sur la présomption d’innocence alourdit la procédure judiciaire, mais bafouerait aussi le principe d’égalité entre les parties en autorisant l’appel des décisions d’Assises à
l’accusé mais pas aux victimes (cette conception
est résumée dans la phrase : « la présomption
d’innocence passe avant la recherche de la vérité
et avant la protection de la société »). L’APEV
souhaite aussi la révision de la notion d’irresponsabilité pénale (considérant que toute personne
devrait passer en jugement ; il revient ensuite à
la société de s’occuper des problèmes de psychiatrie), l’amélioration des indemnisations (avec une
mise en cause du fonctionnement des CIVI, sous
le mot d’ordre « ne pas confondre réparation et
indemnisation »). Une phrase, éloquente, résume
l’esprit de l’APEV « la protection des libertés individuelles, les droits de l’homme doivent-ils s’appliquer uniquement aux criminels ? »
Médias, justice et victimes
Médias, instruments pour les victimes, ou Victime instrumentalisée par les médias ?
La justice est rendue en France de manière publique depuis la Révolution. Les médias sont le
principal relais de cette publicité, garante de la
transparence et de l’équité des jugements. Mais
justice et médias n’ont pas toujours des intérêts
convergents. À la lumière des relations qu’ils entretiennent, on peut analyser les attentes de chacun et les raisons de possibles dérapages. Après
quelques nécessaires considérations générales, on
s’attachera plus particulièrement à l’étude du
traitement des victimes.
Quand les médias parlent de justice
Le compte-rendu d’une affaire judiciaire par
les médias se fait selon deux phases distinctes :
la partie enquête/instruction, et la partie procès.
Chacune d’elle est traitée dans un cadre différent,
soumise à des contraintes particulières.
Pendant la phase d’enquête/instruction, le
journaliste se doit au moins de respecter la présomption d’innocence. D’autre part, s’il n’est pas
stricto sensu soumis au secret de l’instruction, il
peut néanmoins lui être reproché une complicité
de violation de ce secret. Il est de fait soumis à un
certain devoir de réserve, avec un degré de liberté
laissé au journaliste par l’application souple de la
loi.
En ce qui concerne la phase du procès, le facteur limitant majeur est l’interdiction de toute
forme d’enregistrement des débats dans la salle
d’audience. Cette interdiction remonte aux années cinquante et au procès Dominici, où la présence de caméras de télévision avait fortement
perturbé le déroulement du procès. Depuis, une
exception est cependant admise pour les procès
à caractère historique (Barbie, Papon). Dans le
cas général, le journaliste ne peut que retranscrire les débats a posteriori. La difficulté est qu’il
n’est plus entouré du cadre symbolique de la salle
d’audience. La disposition des personnes, la tenue
vestimentaire des juges, ... sont partie intégrante
du « rituel de justice », définissant les rôles de
chacun. Mise en scène difficile à reconstituer par
les seuls mots du journaliste.
Enfin, lorsque les divers protagonistes sont interrogés en marge du procès, il arrive qu’ils ne
tiennent pas le même discours à l’extérieur qu’à
l’intérieur. On assiste alors à un « procès de couloirs » qui peut prendre une tournure tout à fait
différente de celle du procès se déroulant à l’intérieur de la salle d’audience. Il peut en résulter un
10
décalage entre le verdict prononcé et les convictions de l’opinion, qui n’a qu’une vision parcellaire des audiences (affaire Emilie Tanay).
Pour éviter ce genre de distorsions, la commission chargée de tirer les conséquences du procès d’Outreau a proposé la nomination d’un magistrat délégué à la communication avec les médias lors des procès médiatisés. Ceci afin que la
justice reporte une version officielle à la presse.
L’autre piste envisageable est la réintroduction
de caméras de télévision dans le procès, bien évidemment dans un cadre strictement réglementé.
Cependant, aucun consensus ne semble se dégager pour ou contre cette option. Certaines expériences temporaires ont été menées en ce sens,
aux Etats-Unis notamment, avec souvent un retour en arrière au bout de quelques années.
Les attentes de la société
Les médias, acteurs de premier plan dans une
société démocratique, jouent un rôle important
dans la perception qu’a l’opinion de la justice.
Ils ont donc une vocation pédagogique sur le
fonctionnement de l’institution judiciaire, souvent méconnue et complexe. Si la population est
informée, elle se trouve moins en décalage avec
la justice, dont les décisions suscitent moins d’incompréhensions et dont l’action se trouve alors
renforcée.
Par exemple, le public a souvent l’image d’une
justice française accusatoire, image véhiculée par
les nombreux documentaires et séries autour
du système judiciaire anglo-saxon ; alors qu’en
France, la justice est inquisitoire, donc pas uniquement à charge. D’autre part, en expliquant
mieux les peines encourues par les accusés et
pourquoi ces quanta peines sont établis, on évite
la frustration de l’opinion et des victimes qui s’attendent souvent à des peines très sévères. Ce qui
ôte tout caractère apaisant à la peine, et ne crée
que du ressentiment.
En outre, la médiatisation de certaines affaires
a permis de mettre sur la place publique des questions jusqu’alors taboues. Ainsi, les premiers procès pour pédophilie ou homophobie par exemple
ont pu jouer un rôle de catalyseur dans l’opinion
et pousser certaines victimes à se déclarer auprès
de la justice.
Au-delà, ils ont permis à la société d’engager
un débat de fond sur certains problèmes, judiciaires (responsabilité pénale, affaires politiques,
...). Lorsqu’un journaliste traite d’un événement,
Thème d’Assises 2005: Place de la Victime.
il faut qu’il soit analysé dans son contexte. Sans
permettre une prise de recul, l’exposé brut et factuel du fait divers ne fait qu’exciter nos tendances
primitives à la vengeance et à la justice expéditive. Se concentrer sur les conditions qui rendent
possible l’infraction, et non sur l’infraction ellemême, est nettement moins contre-productif. Des
affaires médiatiques ont été particulièrement propices à une scénarisation abusive, les transformant uniquement en séries à épisodes très rentables pour les médias (affaire Grégory Villemin).
Le traitement des victimes.
La victime a besoin de reconnaissance pour
faire le deuil de son état de victime. L’une des
vocations de la justice est de permettre, le cas
échéant, cette reconnaissance, qu’elle soit morale
lors du procès pénal, ou matérielle lors du procès
civil. Mais la victime peut rechercher cette reconnaissance directement au niveau de la société via
les médias. Leur réactivité constitue un moyen
efficace de sensibiliser rapidement une large audience.
Ce recours aux médias vient combler un vide
créé par nos sociétés modernes. En effet, autrefois la victime utilisait son appartenance à un
groupe (famille, clan, ...) pour obtenir réparation. La négociation se faisait de groupe offensé
à groupe offenseur, et non d’individu à individu.
De nos jours, du fait de l’individualisation de la
société, la victime se trouve souvent seule face
à la justice, appareil intimidant et impersonnel.
Elle peut alors rechercher par les médias à reconstituer autour d’elle un groupe de circonstance, en
jouant sur l’identification et la compassion.
C’est en particulier le recours aux médias qui
a permis une évolution du statut des victimes
et une meilleure prise en compte de leurs besoins : suivi médico-psychologique, indemnisation, structures d’accueil adaptées, etc. Les associations de victimes ont joué un grand rôle dans
ce processus, en utilisant des stratégies de communication de plus en plus poussées.
Cependant, le retentissement des affaires judiciaires peut engendrer deux types d’effets indésirables opposés. Le premier est qu’une victime
peut se retrouver propulsée instantanément sur
la scène médiatique sans en avoir le désir et sans
y avoir été préparée. Le droit à l’image, pour les
victimes d’attentats notamment, et l’anonymat
pour les crimes sexuels sont des exemples de dispositions qui permettent de préserver les victimes
Thème d’Assises 2005: Place de la Victime.
de la surexposition. Sans cela, on peut entretenir
la victime dans son statut de victime et empêcher
un retour à une vie normale.
Si certaines victimes cherchent à éviter le
contact avec les médias, d’autres au contraire les
utilisent comme un moyen de se mettre en avant,
de connaître son « quart d’heure de célébrité ».
Ce comportement peut aller jusqu’à l’invention
du statut de présumée victime (affaire Marie L.),
et une exploitation politique de l’empathie de
l’opinion pour la victime et de son animosité à
l’égard de l’agresseur.
Pour conclure, les relations entre médias et justice sont empreintes d’une méfiance réciproque.
Les premiers cherchent l’information instantanée
5
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et directe, peu compatible avec le temps judiciaire qui doit se donner le temps pour établir la
vérité et les responsabilités. Cette méfiance garantit un certain équilibre. Ce tant que les médias, sous couvert de compassion, n’encouragent
pas notre étrange fascination pour le malheur des
autres et que la recherche de transparence ne
cache pas un quelconque populisme. « La justice
se fait en public et non pour le public ». Bien que
la plupart des journalistes aient une formation
spécifique aux questions judiciaires, on constate
toujours quelques dérives, parfois facilitées par
les errements de la justice elle-même (affaire Outreau). Mais médias et justice peuvent oeuvrer
également en coopération (pédagogie, appels à
témoins, ...) dans un même but.
Sens de la peine
Des sens de la peine traditionnels à une peine « relationnelle »
Pourquoi punir, comment punir, dans quel but
punir ? Trois questions naturelles lorsqu’il s’agit
de justifier la punition et de fixer une échelle des
peines. Si l’on envisage de punir un acte, c’est
parce que d’une certaine manière il représente un
« mal » : la punition doit faire sens pour être
acceptable et doit permettre d’atteindre le résultat espéré. On attribue traditionnellement plusieurs sens à la peine, variant dans le temps : la
peine peut d’abord viser à rappeler la loi en la
sacralisant ; sa transgression justifierait alors en
elle-même une punition (la peine serait alors rétribution d’un acte commis ; c’est ici que se situe
le fondement de la notion d’une peine expiatoire).
Une deuxième approche considère l’acte criminel
comme trouble de l’ordre social que l’on cherche
à éviter en neutralisant son auteur pour le rendre
inoffensif ou en dissuadant les autres membres de
la société d’agir de même, le but recherché étant
la sécurité de la société. Enfin, la peine peut viser à éduquer l’individu « hors-la-loi » pour lui
permettre de « devenir meilleur », de s’amender,
de se réinsérer ; il s’agit alors, par la peine, de le
réhabiliter.
Un élément commun à ces diverses approches
est qu’elles envisagent toutes les trois, un individu seul face à sa peine : qu’il s’agisse de lui
rappeler la loi, de le rendre inoffensif, de le dissuader de transgresser la loi par l’exemplarité de
la peine ou bien encore lui donner les moyens de
réintégrer la société au terme de sa peine. Pour-
tant l’acte criminel lui-même est par essence le
résultat d’une « rencontre malheureuse » entre
l’auteur et la victime de l’infraction. Pour comprendre la peine, il faudrait peut-être prendre en
compte sa dimension relationnelle.
Outre le fait de vouloir donner un sens à
l’acte de punir, ne faut-il pas se demander quel
sens chaque partie du procès (condamné, victime et société) peut donner à la peine ? Pour
cela nous envisagerons successivement les trois
couples « société-auteur », « société-victime » et
« auteur-victime », pour comprendre comment
chaque partie peut trouver, dans sa relation aux
autres, de quoi donner sens à la peine.
Société-Auteur La peine sanctionne l’acte
d’un individu transgressant la loi. La loi étant
une norme établie par la société, la peine apparaît
comme une réponse sociale à l’acte. Dans un premier temps, il est nécessaire d’analyser la peine
au travers des relations que l’auteur de l’acte et la
société vont entretenir pendant et après le procès
pénal. Nous omettons sciemment de traiter la relation avant procédure, considérant que l’aspect
dissuasif de la peine a été traité plus haut.
Il s’agit tout d’abord de comprendre la sanction. Il est important de rappeler que la motivation de la décision est la base des relations
société/auteur/victime, motivation basée sur un
débat contradictoire en vue d’établir une vérité,
la présomption d’innocence étant sacralisée dans
les textes.
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Le défaut de motivation peut d’ores et déjà
être la source d’une impression d’injustice pour
l’auteur, la société ou la victime. En effet, le Code
pénal détermine des peines maximales encourues
de référence pour un acte donné, mais les sanctions prononcées se révèlent généralement différentes des sanctions légalement encourues, prenant en compte d’éventuelles circonstances atténuantes.
Donner un sens à la peine, cela passe par l’acceptation de la peine. Il faut donc a priori être
conscient de ses actes, les reconnaître ; qu’en estil alors en cas d’irresponsabilité pénale ? L’attitude de l’accusé, mais aussi celle de la société lors
du procès et au prononcé de la peine, jouent un
rôle certain dans l’acceptation de la peine pour
l’un et l’autre.
Par ailleurs, dans une procédure où se superposent un aspect pénal et un aspect civil, n’y at-il pas une incompréhension, quant à la victime
à reconnaître, la société ou la partie civile ?
Une fois la sanction prononcée, peut-on parler
à l’égard de la « métapeine » (concept apparu en
1791 qui vise à l’éducation, l’insertion, l’amendement, la re-socialisation ou le traitement) d’une
peine humaine, dans le sens d’une peine humanisante ?
Il y a une phase pour l’individu de « redéfinition de soi » par l’appropriation de son statut de
condamné. La société doit donc donner un sens à
la peine et a donc, en ce sens, une responsabilité,
ce qui pose, de fait, la question du sens de la détention provisoire, des conditions de détentions
et autres aspects influant sur le sens de la peine ;
pour le condamné comme pour la société.
L’incarcération est le temps de construction
d’un futur pour le condamné, par et avec la société, qui passe par la prise en compte de l’individu (individualisation des peines) et de sa gestion du temps d’incarcération (notamment pour
l’aménagement de peine).
Enfin, au terme de la peine, la question qui se
pose est de savoir si le lien social entre le détenu
et le reste de la société aura été retissé. Les objectifs de la peine auront-ils été atteints ? Quelle
projection réelle, pour l’avenir, le détenu peut-il
avoir dès lors que la société garde trace de son
passé pénal ? Peut il croire aux objectifs de la
peine ? La société veut-elle y croire aussi ?
Société-Victime. La société se sent redevable
envers la victime pour le dommage qu’elle n’a pas
pu lui éviter.
Thème d’Assises 2005: Place de la Victime.
Elle veut donc favoriser sa réparation qui a
deux aspects : une indemnisation financière mais
aussi symbolique, marque de la reconnaissance de
la société envers la souffrance de la victime.
C’est pour lui éviter les désagréments et les
contraintes de la procédure judiciaire que la société prend en charge l’action publique. Cette
prise en charge reflète, outre un soutien à la victime, une volonté ferme d’écarter tout fantôme de
justice privée. En effet, l’action publique, menée
par la société, est un moyen d’ éviter l’expression
d’un possible sentiment de vengeance de la part
de la victime. La société devient ainsi arbitre des
litiges qui opposent ses individus.
La personne victime est celle qui a subi un préjudice physique, moral ou matériel du fait d’une
infraction pénale, par opposition à la personne
qui le cause : l’auteur. Il existe un sentiment de
culpabilité chez la personne victime qui se sent
alors responsable des actes passés. Elle ne peut
s’imaginer autrement que victime, et se perçoit
comme un sujet passif et non plus agissant. La
reconnaissance de son statut par la société est un
élément important dans sa reconstruction.
La société va même plus loin de nos jours en
reconnaissant des victimes sans avoir besoin de
coupable : c’est l’une des orientations prises par la
CIVI qui indemnise maintenant des victimes d’infraction non susceptible d’aboutir à une condamnation (par exemple quand l’auteur est resté non
identifié). la CIVI marque un point de libération
et d’achèvement à partir duquel le travail de reconstruction de la personne victime peut commencer.
La sanction pénale joue ce rôle de rétablissement de la personne blessée dans sa dignité. La
société, condamnant un acte criminel, ne dit pas
seulement au condamné : « tu as mal agi » mais se
tourne également vers la victime lui disant : « tu
as souffert, nous l’avons vu et par cette condamnation nous en témoignons et prenons conscience
de ta douleur ».
La victime voit dans la peine une mesure,
par la société, de sa souffrance. Ce qui expliquerait son attachement à de lourdes peines et
ses difficultés à comprendre la prise en compte
de circonstances atténuantes. Le symbole de la
peine, comme le souligne A. Boulay, président de
l’APEV, serait une « échelle de mesure de la douleur par la société ». Il faudrait punir pour faire
cesser la souffrance de la victime, tel est l’énoncé
sociétal contemporain.
Thème d’Assises 2005: Place de la Victime.
Auteur-Victime C’est dans la rencontre malheureuse entre deux personnes que l’acte criminel trouve son origine : celle de la victime et de
l’auteur de l’infraction. C’est là également que se
situe le nœud de la souffrance.
Nous allons maintenant analyser les éléments
porteurs de sens dans la relation entre la victime
et l’auteur, dans la peine, mais bien sûr plus largement dans la procédure qui précède le prononcé
de la peine car la procédure se trouve ici au cœur
de la production de sens.
Ce qui pose problème dans le crime, une fois
mis de côté l’aspect sacré de la loi, c’est la souffrance causée à un individu. Les anciennes théories de la vengeance considéraient que du crime
résultait une dette de souffrance de l’auteur envers la victime ou sa famille. C’était ainsi expressément une attitude insistant sur l’échange et
la réciprocité. D’ailleurs, le paiment en échange
de quoi la victime renonçait à se venger était
moins indemnisation d’un dommage, moins un
équivalent de la douleur subie, que le prix pour
lequel la victime renonçait à son droit de vengeance.
Cette approche de la vengeance a deux aspects
notables : elle met en avant l’idée d’un échange
possible entre la victime et le coupable d’une part
et d’autre part, la victime s’y trouve active et non
plus confinée dans la passivité.
On se demande ici ce qui peut faire sens, pour
l’auteur et pour la victime, dans la peine (ou le
déroulement de la procédure) en tant qu’ils sont
en relation l’un avec l’autre.
Il s’agit d’abord de la reconnaissance de l’autre
et de l’acte : lors du procès, victime et auteur se
retrouvent et sont dans une situation à nouveau
équilibrée où la victime voit l’auteur, non plus
comme son bourreau mais comme une personne
à son niveau. Face à ceci, l’auteur voit la victime non pas faible comme auparavant, non plus
comme quantité négligeable, mais d’égal à égal.
La reconnaissance a un autre aspect : outre la
reconnaissance de celui qui fait face, il y a, pour
la victime, la reconnaissance de la souffrance –son
explication– par la peine. Comme le dit Frédéric
Gros, « punir, c’est faire exister publiquement la
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souffrance de la victime, en tentant de lui articuler un équivalent chez son agresseur ». Mais quel
serait cet équivalent ? S’agirait-il de génération
de souffrance réciproque ? Non, nous dit-il dans
la mesure où ce qui est caractéristique de la souffrance est son incommunicabilité, c’est « ne pas
pouvoir mettre de mots sur ce qui m’arrive », par
opposition au malheur qui est défini, qui a « une
mesure et une usure ». Ainsi, punir, se serait reconnaître la souffrance et lui donner un nom en
l’articulant à la peine infligée au condamné, ce serait « transformer une souffrance en malheur ».
En comdamnant quelqu’un, on ne le ferait pas
souffrir, mais on lui accorderait du malheur. La
peine définie, mesurable, transformerait une souffrance indéfinie en deux malheurs articulés l’un à
l’autre : « j’ai souffert, mais aujourd’hui un autre
connaît le malheur d’être enfermé ». « je souffre,
mais j’ai commis tel acte ». Et même si les malheurs peuvent être parfois considérés comme diproportionnés (condamnation jugée trop lourde
par le condamné, ou au contraire trop clémente
par la victime) le principe de l’équivalence des
malheurs est accepté.
Contrairement à la formule couramment employée, il ne s’agit pas pour la victime de faire
son deuil, mais plutôt de faire le deuil de sa souffrance, de pouvoir faire le deuil de son état de victime. C’est l’idée qu’une fois sa souffrance transformée en malheur, la victime va pouvoir oublier.
De même que l’on considère qu’une peine doit
permettre la réinsertion, du point de vue de la
victime elle devrait lui permettre l’oubli.
Un dernier point : notre discussion s’interrogeait sur le sens que les parties peuvent donner
à la peine. Une condition pimordiale à cette production de sens est une familiarité suffisante du
système juridique, de son fonctionnement comme
de ses principes. On voit ici l’importance d’une
éducation au droit et plus spécifiquement d’une
éducation à la peine (faire saisir à une victime que
les circonstances atténuantes ne diminuent pas
le dommages, mais la responsabilité de l’auteur,
faire saisir la notion d’irresponsabilité pénale, le
fait que les peines du Code pénale sont les peines
maximales encourues, ...).
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Thème d’Assises 2005: Place de la Victime.
La justice restaurative
Restaurer le lien Victime-Accusé. Choisir en commun une peine qui fait sens.
Les politiques pénales qualifiées de « tout répressif » ne fonctionnent pas de manière satisfaisant. Témoin de cet échec, l’important taux de
classement sans suite. La justice restaurative 1 est
une approche alternative de la justice pénale que
l’on peut définir, suivant Robert Cario, comme le
« processus par lequel les parties concernées par
une infraction donnée décident en commun de la
manière de réagir aux conséquences de l’infraction ainsi qu’à ses répercussions futures ».
Théorie de la justice restaurative
La justice pénale classique repose sur l’hypothèse que toute transgression de la loi constitue
une infraction commise contre l’État. Dans cette
optique, c’est l’État qui devient la victime reconnue d’une violation de la loi, tandis que la victime
réelle est réduite à un rôle de témoin. Les modèles proposés reposent sur l’opposition de l’État
et du délinquant, et ce dernier en reste la figure
centrale. Le modèle rétributif vise à compenser
un mal par un autre, sachant que la peine y joue
une fonction purement symbolique, distincte de
toute idée de vengeance. Le modèle de réhabilitation, quant à lui, est axé sur la réinsertion et la
réhabilitation du délinquant. Les failles de cette
logique ont été mises en exergue par des évolutions sociétales récentes.
Tout d’abord, le modèle classique de la justice pénale peine à engendrer des solutions satisfaisantes. Les prisons engorgées, le taux de récidive, et le mécontentement tant des victimes que
des délinquants démontrent les insuffisances de la
logique punitive. Ensuite, un nouveau contexte
socio-culturel, à savoir une société plus individualiste qui se méfie de l’intervention excessive
de l’Etat, favorise l’émergence d’alternatives à
la justice pénale. A cela s’ajoute le retranchement du secteur public, d’où le recul du monopole
réglementaire de l’Etat en cette matière. Enfin,
l’évolution du rôle de la victime, déclenchée par
l’apparition des victimes de guerre et d’attentats,
amène à une prise en compte de la victime même,
si bien que le débat public commence à s’intéresser à la figure et au droit des victimes.
C’est dans ce contexte-là que la justice restaurative commence à se développer. La jus1
tice restaurative est un processus dans lequel
toutes les parties ayant un intérêt sont impliquées, et cherchent ensemble une solution satisfaisante. Elle part du préjudice que le délit a
causé au lieu de limiter le problème à la transgression d’une norme juridique. La fonction principale n’est plus de punir, mais de responsabiliser
l’auteur de l’infraction et de créer ainsi des conditions pour qu’une réparation et/ou une compensation des préjudices puissent se réaliser. L’objectif est de réparer le lien social brisé lors de l’infraction, objectif d’autant plus important qu’il
est fréquent que le délinquant vienne de l’entourage de la victime. Ainsi, la justice restaurative
n’implique pas seulement un dédommagement de
la victime, mais comporte également l’effet thérapeutique d’un face à face, qui contribue à la fois à
la reconnaissance de la victime et à la réinsertion
du délinquant dans la société. Dans le cas idéal,
la justice restaurative débouche sur le rétablissement de la paix sociale. Par rapport à la justice
pénale classique, elle a donc le grand avantage
de prévenir la criminalité autrement que par le
moyen de la dissuasion.
Les pratiques.
Domaines d’application. En principe, tout
type de préjudice est envisagé, pour autant qu’il
est produit par un délit (par opposition à une
contravention ou un crime) : les dommages matériels et physiques, les souffrances psychologiques,
les troubles relationnels, mais aussi les conséquences au niveau collectif, comme les sentiments
d’insécurité, les pertes de confiance dans les autorités, et même les dommages causés à l’accusé
lui-même. Les délits des mineurs sont tout particulièrement pris en compte.
Les résultats encourageants de ces expériences
ont cependant mené à l’extension des pratiques
dans certains pays comme la Nouvelle-Zélande.
Des variations de médiation peuvent alors s’appliquer après des crimes graves, avec des parties
qui s’opposent initialement de façon très hostile.
Les différents modes de rencontre victimeaccusé.
De nombreuses terminologies sont proposées dans la littérature. Plutôt que restauratrice, reconstructive ou réparatrice, nous emploierons le terme de « justice restaurative » qui est calqué sur l’anglais « restorative justice ».
Thème d’Assises 2005: Place de la Victime.
Médiation : cette procédure permet à la victime et à l’accusé de se rencontrer dans un
cadre sûr et structuré et d’engager une discussion sur le délit avec l’assistance d’un médiateur. Cette rencontre est l’occasion de développer un projet commun de compensation
du tort causé.
Conférence en famille ou en communauté : elle rassemble la victime, l’accusé et
la famille, les amis et les principaux sympathisants des deux parties. De nombreux auteurs avancent en effet la communauté locale
comme étant une entité souffrante des conséquences d’un délit, et donc comme une partie
prenante. La définition de cette communauté
et des types de préjudices dont elle souffre
présente cependant des difficultés.
Cercles de réconciliation ou de sentence : elle rassemble les victimes, les accusés
et leurs sympathisants, les juges, les avocats,
la police et les personnes qui travaillent au
tribunal.
La réparation des dommages. Les formes
d’actions à caractère restauratif sont multiples :
prestations financières, matérielles (réparations,
dédommagements, dons), symboliques (excuses,
engagements divers) ou personnelles (respect du
droit de visite). La compensation, paiement par
l’accusé d’une somme d’argent visant à compenser la victime des pertes financières occasionnées
par le délit, ainsi que le Travail d’Intérêt Général se présentent comme les actions restauratives
prévalentes. Le « calibre restaurateur » d’une action dépend en grande partie de l’implication et
de la motivation de l’accusé.
Enjeux et limites.
Les études évaluatives menées aux États-Unis,
en Australie, en Nouvelle Zélande au Canada et
dans la plupart des pays d’Europe démontrent
une réelle efficacité des expériences de justice restaurative : entre 60 et 92 % des victimes se disent
prêtes à coopérer à ce type de procédure, et 90 %
des accords ainsi obtenus sont appliqués de manière jugée satisfaisante. Ce succès pose donc la
question de l’ampleur à donner à ces programmes
restauratifs, qui restent encore souvent au stade
expérimental.
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Diversionniste ou maximaliste. Faut-il
croire avec les diversionnistes que la justice restaurative ne peut s’exercer que dans un nombre
restreint de situations ? Ceux-ci considèrent que
la justice restaurative trouve ses limites dès lors
que la concertation n’est plus possible : la nécessité de recourir à la coercition dans de nombreux
cas laisse la justice pénale au centre du système.
Les maximalistes voient en revanche dans la
justice restaurative une possibilité de réformer
en profondeur du système pénal. Ils préconisent
son extension d’une part à des infractions de plus
en plus diversifiées, voire à des crimes graves, et
d’autre part aux différents moments de la procédure pénale (exécution de la peine, suivi postpénal), et n’excluent donc pas une application
sous contrainte.
Cloisonner le champ de la justice restaurative... La justice restaurative offre une réponse à des situations qui seraient délaissées par
le système pénal classique : tous les actes de petite délinquance peuvent donner lieu à des procédures restauratives, et constituent donc une large
part des affaires ainsi traitées. Si les résultats paraissent encourageants, le risque est cependant
de voir ainsi s’élargir le filet pénal, voire de pénaliser le social par une prise en charge judiciaire des problèmes dits sociaux. Un autre danger d’un cloisonnement trop strict serait de créer
une sous-justice qui évacuerait de la scène publique certaines affaires, au risque de marginaliser
encore des populations fragiles et peu conscientes
de leurs droits.
... ou élargir son domaine d’application au
risque de perdre son essence ? La justice
restaurative peut au contraire être vue comme
la voie à suivre pour le système pénal dans
son ensemble. Mais peut-elle vraiment faire face
aux principes de punition et de rétribution qui
prévalent dans le système pénal actuel ? Fautil croire aussi à la possibilité de sanctions restauratives, ou la notion de restauration exclutelle l’idée de coercition ? Si une peine de TIG ou
une réparation imposée ne sont pas en complète
rupture avec les modèles punitif et réhabilitatif,
celles-ci ne sont-elles pas cependant plus restauratives que d’autres peines ?
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Les Maisons de justice et du droit
Présentation. Face à la augmentation des
conflits de la vie quotidienne et de la petite délinquance, face aussi à la complexité du droit,
la nécessité d’une justice plus proche des citoyens et d’un accès plus simple à l’information sur les droits de chacun s’est fait sentir.
C’est dans cet esprit qu’en 1990 sont nées les
maisons de la justice et du droit (MJD) ; il y
en a aujourd’hui une soixantaine.
Leur mission est double : permettre l’accès au
droit, en particulier pour les victimes et assurer une permanence judiciaire de proximité,
en particulier favoriser le règlement des litiges
d’ordre civil (problèmes de voisinage, litiges
avec un commerçant, problèmes familiaux...)
Les Tribunaux de Grande Instance sont placés
sous l’autorité des chefs de TGI, en partenariat avec les collectivités locales.
Thème d’Assises 2005: Place de la Victime.
Réalités et perspectives. Ces 2 activités
sont inégalement réparties, le rôle principal
des MJD étant celui de point d’accès au droit,
en grande partie du fait de la faible implication des magistrats dans cette mission. Il serait intéressant de développer deux autres activités au sein des MJD : des permanences de
droit du travail ainsi qu’une action d’éducation juridique auprès du grand public (en particulier en établissements scolaires).
Les MJD fonctionnent grâce à un partenariat
entre ministère de la Justice et la Ville qui est
important : le label "ministère de la justice"
apportant crédibilité et neutralité, celui de la
commune, proximité avec les citoyens.
Certains problèmes se posent tout de même
quant à leur fonctionnement : manque d’effectifs (notamment avec la fin des emploisjeunes), manque d’intervenants (trop peu de
magistrats s’y intéressent) mais aussi problème de financement et de communication
(les MJD sont peu connues du public).
Quelques questions pour ouvrir le débat...
• Où en est-on de la prise en compte de la victime ? Faut-il aller plus loin ? Est-on
déjà allé trop loin ?
• Quelle place pour la justice restaurative en France ?
• Quelle place pour le GENEPI dans la problématique d’éducation à la peine ?
• Quel rôle pour les médias sur la question d’éducation à la peine ?
• Comment prendre en compte la victime sans lui refuser d’être victime, ni en faire
une victime à perpétuité ?
Ont participé à la rédaction de ce dossier :
Soulmaz Alavinia (Fresnes), Raphael Alivon (La Santé), Rémi Bonnefoi (La Santé), Anne-Sophie Briant
(La Santé), Laure-Anne Cornélie (Fresnes), Arnaud Desplan (La Santé), Élise Duchiron (Fresnes), Muriel Garidou (La Santé), Raphael Kempf (Fresnes), Philippe Le Brouster (Trésorier), Antoine Lentacker
(La Santé), Olivier Milhaud (La Santé), Carine Navarro (La Santé), Stéphane Plat (DR Idfc), Catherine Pochard (La Santé), Daniel Renambatz (Chargé de Formation), Caroline Roblain (Fresnes), Alexis
Saurin (La Santé), Nelly Schumacher (La Santé), Anne Seitz (Fresnes).