Overdose - Valentin

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Overdose - Valentin
Overdose
Voilà quelques temps que je marchais sur ces nuages orangés sous un ciel violet ou plutôt
mauve. Mes pieds nus étaient agréablement chatouillés par ces cumulus semblables à de la barbe à
papa. Une sensation de légèreté venait étreindre mon corps frêle, enveloppant mon être d’un
manteau chaud et rassurant. Je me tenais ainsi à l’abri du néant, éloignant la souffrance et les larmes
de mon inconscient.
Et puis, j’ai trébuché dans un trou d’air. J’ai chuté à grande vitesse, l’air froid pénétrant les
pores de ma peau d’où s’évaporait alors le confort de l’insouciance. La descente dura une poignée de
secondes ou bien quelques heures, jusqu’à ce que j’atterrisse dans cet espèce de liquide gélatineux.
La viscosité de la substance noire s’empara de mes bras et de mes jambes, freinant mes mouvements
et asservissant ma volonté. Le temps de reprendre mes esprits et je m’aperçus que je me débattais
dans un lac de pétrole et que, peu à peu, je m’abandonnais à l’angoisse. Je relevai la tête tant bien
que mal pour apercevoir cet arbre fragile, trempant, ou, devrais-je dire, noyant ses racines dans un
océan de détritus toxiques, produit du déclin de l’humanité. L’atmosphère était saturée de
pesticides, leur odeur venait emplir mes narines jusqu’à me faire suffoquer, imprégnant ma bouche
d’un goût âcre et cognant dans mon crâne à en dissoudre les quelques neurones qui subsistaient
encore.
Je pensais être au plus mal quand je sentis cette légère brise fraîche effleurer mon épiderme
sali, hérissant mes poils, éveillant ma conscience. Ce vent soulevait un tic-tac assourdissant et glacial
qui semblait rythmer une autre horreur à dissimuler dans ce paysage dépravé. Je ne tardai pas à
découvrir l’origine de ce son funèbre : les branches de ce petit bout de nature mourant étaient
lestées de chaînes métalliques constituées de maillons épais prêts à supporter le poids du désespoir.
Les lianes de fer balançaient et s’entrechoquaient en tintinnabulant bruyamment. A leur extrémité
pendaient des cadavres d’hommes et de femmes comme les fruits trop mûrs d’une humanité
immature. Ces rebuts de l’existence, gaspillages de sperme et d’ovules ayant probablement carburé
à la méthadone ou au Xanax, fleurissaient l’horizon de mon champ de vision. Leur visage affichait un
sourire de satisfaction que seule la mort avait pu leur procurer. Personne ne les pleurerait et c’était
mieux ainsi.
J’avançais difficilement dans ce marécage quand, tout à coup, un cri perçant vint interrompre
mon avancée. J’avais marché sur quelque chose, des aspérités avaient entamé ma voûte plantaire. Je
stoppai net ma progression pour m’enquérir de cet obstacle gênant et douloureux. Je vis remonter à
la surface un petit fœtus recouvert d’or noir gluant. Celui-ci émergea comme un monstre abyssal
d’un océan ténébreux. Il me dévisageait de ses yeux globuleux pendant que son corps chétif, presque
atrophié, grelottait, agité de convulsions liées au froid ou à l’effroi. Il joint ses petites mains serties de
doigts minuscules comme une tentative de prière vaine à un Dieu absent, comateux ou disparu. De
ses globes oculaires se mirent à perler des larmes impures, d’une tristesse sincère et d’un désespoir
affligeant. Le voilà maintenant sanglotant et ses perles lacrymales moiraient la surface opaque de
pâles arcs-en-ciel concentriques.
C’en était trop pour moi et c’est à ce moment précis que je compris que je ne pourrai pas
supporter cette nature morte beaucoup plus longtemps. Il allait me falloir un nouveau fix pour
échapper à cette réalité sordide et m’en retourner vers des cieux plus cléments.

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