EOA443_012_Patrimoine-Turin:Mise en page 1

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PATR I MOI N E
Turin
La résurrection de Venaria Reale, le Versailles piémontais
Érigée aux XVIIe et XVIIIe siècles non
loin de Turin, Venaria Reale, alors
considéré à l’égal de Versailles,
était tombé dans un état de
délabrement avancé. Un important
chantier de restauration lui a enfin
redonné le lustre qu’elle méritait.
Une vaste plaine aux portes de Turin, généreuse en forêts et en cours d’eau : c’est sur
ce site prometteur, réputé pour sa richesse
en gibier, que le duc Charles-Emmanuel II
de Savoie choisit d’édifier en 1659 une
résidence dédiée “au plaisir et à la chasse”.
Capitale de la maison des Savoie depuis le
XVIe siècle, Turin se pare à partir de cette
époque d’une Corona di Delitie, un ensemble de dix-huit palais et châteaux édifiés à
l’extérieur de la ville et dévolus aux fastes et
aux loisirs de la cour. Le chantier de Venaria
Reale, dont le nom rappelle la vocation
à la vènerie, dépasse cependant de loin
celui des résidences de Superga, Rivoli
ou Stupinigi. Il s’agit d’une entreprise architecturale et urbaine sans précédent pour
le duché sabaudien.
Une demeure aux ambitions royales
Chargé des plans et de l’orchestration des
travaux, l’architecte de cour Amadeo Di
Castellamonte fait surgir à l’emplacement
du modeste bourg d’Altessano – “petit et mal
fagoté, avec des rues tortueuses et des maisons basses et vétustes”, écrit-il – une vérita-
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ble ville, ainsi qu’un palais, des jardins d’agrément et un domaine pour la chasse (l’actuel
parc de la Mandria). Un complexe gigantesque
et articulé, dont les différentes composantes
sont reliées par une perspective axiale se
prolongeant du centre historique de Venaria
jusqu’aux jardins baroques, en passant par
la majestueuse Reggia (le palais royal).
Au cours du XVIIIe siècle, Venaria Reale fait
l’objet de nouveaux ajouts et embellissements. Premier roi de la dynastie sabaudienne, Victor-Amédée II a en effet pour
ses résidences des ambitions… royales. Le
palais – un édifice symétrique avec un grand
salon central et quatre pavillons d’angle – est
agrandi par Michelangelo Garove et surtout
par Filippo Juvarra (qui réalise à la même
époque la façade du palais Madame à Turin
et la basilique de Superga), à qui l’on doit les
deux chefs-d’œuvre de l’édifice : la Galleria
Grande et la Capella di Sant’Uberto, toutes
deux réalisées à partir de 1716. Inspirée des
grandes galeries à la française, la première,
qui reliait les appartements du roi à ceux du
dauphin, est une galerie d’apparat de 80 m
de long, entièrement décorée de stucs et
percée de quarante-quatre arcades en plein
cintre et de vingt-deux oculi, par lesquels le
soleil entre à flots. Cette remarquable mise
en scène de la lumière se retrouve dans la
Capella di Sant’Uberto, un édifice en forme
de croix grecque orné de coupoles vertigineuses, de colonnes, de pilastres et de
statues, mais où dominent le sentiment d’espace et un esprit rococo plein de légèreté.
Il est difficile d’imaginer que ces réalisations
d’exception étaient, il y a une dizaine d’années à peine, dans un état pitoyable.
Considéré au temps de sa splendeur comme
le Versailles piémontais, Venaria Reale et son
palais subirent en effet pendant deux siècles
les outrages du temps et de l’oubli, au point
de ne plus rien évoquer pour les Turinois.
“Avec l’occupation française de 1798, le
complexe connut un lent et inexorable
déclin. La résidence royale ne fut pas intégrée dans le circuit des demeures impériales
napoléoniennes, comme il advint par exemple de Stupinigi ; commence alors la dispersion de ses trésors et l’effacement progressif des jardins”, souligne Andrea Scaringella,
le directeur de la communication de Venaria.
“Totalement à l’abandon depuis la Seconde
Guerre mondiale, le complexe était dans un
état désastreux, renchérit l’historien Tomaso
Ricardi Di Netro, membre du comité scientifique. Les fenêtres étaient condamnées,
des arbres avaient poussé dans certains
bâtiments, la pluie entrait par endroits et
le risque d’écroulement était réel !”
L’un des plus gros chantiers d’Europe
En 1997, quelque 200 M€ sont débloqués
par l’Union Européenne, l’État italien et le
Piémont. “Un tel financement s’explique par
la nature du projet : ressusciter, à travers la
restauration de ce complexe monumental,
tout un territoire en déclin industriel”,
précise Andrea Scaringella. Dix ans plus tard,
près d’un million de visiteurs se sont suc-
Ci-dessous, les jardins à la française restitués
et, à droite, la Galleria Grande.
PHOTOS SERVICE DE PRESSE. © PROPRIETÀ CONSORZIO LA VENARIA REALE.
cédé à la Reggia (inaugurée en octobre 2007)
et 350 salariés bénéficient, directement ou
indirectement, de ce renouveau touristique.
Le chantier de restauration a mobilisé plusieurs centaines d’ouvriers et de restaurateurs, et a été considéré par son ampleur
comme le plus grand d’Europe. Parallèlement à la rénovation du bourg édifié par
Castellamonte, il a fallu consolider les structures de la Reggia, restaurer ses façades (un
enduit de couleur ivoire pour la partie XVIIe,
des briques rouges pour les ajouts XVIIIe),
reconstituer le pavement en terre cuite
d’après les techniques de l’époque, mettre
en lumière les fresques du XVIIe siècle et
restituer le système d’ouvertures en enfilade
de la Galleria Grande. Les délicates polychromies des stucs et du marmorino XVIIIe
(un enduit à base de poudre de marbre),
notamment dans la Galleria Grande et la
chapelle, ont également été ressuscitées, et
les tonalités lumineuses choisies par Juvarra
(jaune pâle, abricot clair, gris bleuté) retrouvées grâce à des relevés de pigments.
Les jardins ont également représenté un
immense chantier, car rien ou presque ne
subsistait du grand parc à la française (près
de 80 ha) et des “visions à l’infini” voulues
par Victor-Amédée II et aménagées par un
collaborateur d’André Le Nôtre – si ce n’est
une jungle de mauvaises herbes… Des
photos aériennes et des gravures anciennes
ont permis d’identifier le tracé des parterres
et des allées, et de faire revivre sur 25 ha
les dessins géométriques et les jeux de
symétrie des carrés. Une partie du parc a
en outre été transformée en jardin de
sculptures, et abrite à présent des œuvres
de Giuseppe Penone, grand représentant
de l’Arte Povera.
Quelle affectation donner en revanche aux
salles de la Reggia, immenses espaces restés vides faute de collections ? Après divers
tâtonnements, il a été décidé d’évoquer
l’histoire et les mœurs du duché de Savoie.
Long d’1 km, le parcours narre ainsi, à travers quelques œuvres d’art, des séquences
filmiques (imaginées par le réalisateur Peter
Greenaway) et des installations multimédias, les batailles, règnes et vicissitudes
des souverains sabaudiens sur trois siècles.
La Capella di Sant’Uberto.
On pourra trouver certains choix muséographiques discutables (l’importance donnée aux audioguides, l’omniprésence de
l’image et du son), mais la visite s’avère
plaisante et didactique. Surtout, elle permet d’admirer, au terme d’un chantier
titanesque, les splendeurs retrouvées de
la Reggia et de ses jardins. Éva Bensard
Palais de Venaria Reale, Piazza della Repubblica 4,
Venaria Reale (près de Turin), tél. 00 39 011 499
2333. Ouvert tous les jours de 9 h à 18 h 30.
www.lavenariareale.it
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