Une biographie de Daniel Marchac, un pionnier parmi les
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Une biographie de Daniel Marchac, un pionnier parmi les
Annales de chirurgie plastique esthétique (2013) 58, 77—79 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com IN MEMORIAM Une biographie de Daniel Marchac, un pionnier parmi les chirurgiens plasticiens A biography of Daniel Marchac, a pioneer among plastic surgeons Daniel Marchac, un pionnier parmi les chirurgiens plasticiens, nous a quitté le 15 octobre 2012, à l’âge de 75 ans (Fig. 1). Né le 3 décembre 1936 à Paris, il avait décidé de devenir chirurgien en lisant, à l’âge de 15 ans, un livre sur les miracles de la médecine moderne, où il fut frappé par l’histoire d’un homme qui parvenait à changer la forme du crâne et des orbites en les coupant et en y ajoutant des greffes osseuses. Ayant perdu son père à l’âge de 13 ans, il alla trouver son oncle Victor Marchak, chirurgien digestif, qui le découragea vivement de faire médecine, car selon lui le métier n’était plus ce qu’il était, l’administration était devenue omniprésente, et les rémunérations étaient en chute libre depuis la création de la sécurité sociale. Comme Daniel n’avait pas de fortune personnelle, il lui conseilla d’étudier plutôt la physique nucléaire, qui semblait curieusement pleine d’avenir dans les années 1950, ou bien de faire une école de commerce. Mais Daniel n’avait aucun intérêt pour la physique et sentait qu’il n’avait aucun talent pour les affaires. Il n’écouta donc pas son oncle, s’inscrivit en première année médecine, et fut brillamment nommé à l’internat des hôpitaux de Paris en 1961. De 1961 à 1962, il fit son service militaire, d’abord dans la Marine, puis à l’hôpital Foch, où il découvrit, un peu par hasard, Paul Tessier, qui avait initié sans le savoir sa vocation médicale et qui n’était pas encore devenu mondialement célèbre. De 1962 à 1968, Daniel profita du fait que les internes ne travaillaient que le matin (quelle époque !) pour passer ses après-midi avec Paul Tessier, le voyant inventer la chirurgie craniofaciale. À la fin de son internat, il décida de partir aux États-Unis pour élargir son horizon. Il avait prévu de passer l’année de 1968 à New York avec John Marquis Converse et au Texas avec Thomas Cronin, l’inventeur des prothèses mammaires. Mais en visitant Ralph Millard en Floride, celui-ci lui demanda de rester six mois, ce qu’il accepta rapidement tant il était impressionné par ses méthodes et ses résultats. Il devint ainsi le premier Millard Fellow et s’en réjouissait car il 0294-1260/$ — see front matter http://dx.doi.org/10.1016/j.anplas.2013.01.008 avait trouvé un maître qui lui apprit bien plus que des techniques chirurgicales : comment penser la chirurgie plastique au-delà de l’acte opératoire, et une manière d’exercer qu’il poursuivra toute sa carrière, combinant l’excellence en chirurgie réparatrice à une activité dynamique de chirurgie esthétique, et offrant un fellowship à de jeunes gens intelligents et curieux. Figure 1 Daniel Marchac dans son cabinet à Paris, en 2007. 78 Figure 3 Daniel Marchac et Dominique Renier ont décrit de nombreuses techniques de remodelage frontocrânien, comme ici pour les plagiocéphalies, avançant et remodelant le bandeau supraorbitaire. Figure 2 Le lambeau axial frontonasal (Lambeau de Marchac), est une modification du lambeau au hasard de Rieger, où l’oreille créée par la rotation du lambeau peut être excisée sans compromettre la vascularisation de la peau du dorsum nasal. Il est indiqué pour les défects larges de pointe du nez. La fiabilité vasculaire et les résultats à long terme de ce lambeau sont excellents et Daniel Marchac a continué à l’employer avec succès pendant de nombreuses années. En 1969, de retour à Paris, il prit un poste de chef de clinique à l’hôpital Saint-Louis, sous la direction de Claude Dufourmentel. C’est là qu’en 1970 il décrivit une modification du lambeau de Rieger, connue sous le nom de lambeau de Marchac, incorporant un pédicule axial dans le dessin du lambeau [1] (Fig. 2). Il avait appris de Millard toute l’importance d’une bonne iconographie, et devint un photographe chevronné, documentant soigneusement chaque intervention. Si au début cela faisait sourire ses collègues de SaintLouis, qui l’avaient surnommé « le photographe », c’est cette abondante documentation qui lui permit d’écrire un excellent ouvrage sur la chirurgie des carcinomes basocellulaires [2]. En 1971, malgré le fait que Paul Tessier était désormais célèbre et opérait dans la même ville, Daniel décida de poursuivre seul son intérêt pour la chirurgie craniofaciale. Il s’associa avec un jeune neurochirurgien, Jean Cophighon, à l’hôpital Lariboisière, où ils trouvèrent des cas d’hypertélorisme et de craniosténoses adultes. Son vrai coup de chance arriva en 1976, lorsqu’il fut recruté comme attaché par le Pr Jean-François Hirsch, chef de service de neurochirurgie pédiatrique à l’hôpital Necker enfants-malades, qui avait entendu parler de ces travaux et qui pressentait qu’il y avait une voie à creuser chez les petits enfants. Il lui associa un jeune neurochirurgien pédiatrique, Dominique Renier, et ensemble ils se mirent à appliquer des techniques de chirurgie craniofaciale à des enfants de moins de deux ans, ce que Tessier pensait impossible. En 1982, Dominique Renier et Daniel Marchac avaient déjà opéré 156 enfants de moins de deux ans et ils publièrent leurs techniques et leurs expériences (Fig. 3) [3]. Parallèlement à son activité de chirurgie craniofaciale, Daniel publia également en 1982 un autre papier remarquable dans le PRS décrivant une plastie mammaire avec une courte cicatrice horizontale, qui marquait pour la première fois une rupture avec les techniques à longues cicatrices horizontales et qui ouvrait la voie à la technique verticale [4] (Fig. 4). Suivant l’exemple de Millard, il avait en effet démarré une activité de chirurgie esthétique libérale, qui l’intéressait beaucoup et qui devint rapidement très active. Il aimait autant la chirurgie réparatrice que la chirurgie esthétique et était convaincu que les deux aspects de notre spécialité était indissociables. Depuis 1979, il offrait un fellowship de six mois, où il enseignait la chirurgie craniofaciale et la chirurgie esthétique, mais également la vie, les vins et la nourriture française, et de l’importance d’équilibrer sa vie entre travail, famille et plaisirs. Il aimait voyager et échanger des idées et en 1974, avec Hans Anderl de Innsbrück et Wolfgang Mühlbauer de Münich, ils créèrent l’Alpine Workshop in Plastic Surgery, un congrès annuel dans les Alpes, où un groupe de chirurgiens au top Figure 4 Plastie mammaire avec une courte cicatrice horizontale. En 1982, cet article a marqué une rupture avec la classique longue cicatrice horizontale, ouvrant la voie aux techniques verticales. Une biographie de Daniel Marchac, un pionnier parmi les chirurgiens plasticiens Figure 5 Lifting cervicofacial avec cicatrices dissimulées : le U vertical. Daniel Marchac était connu pour ses résultats naturels et ses cicatrices soigneusement dissimulées. La branche postérieure du U permet de redraper l’excédent cutané cervical, en évitant une cicatrice horizontale visible avec un chignon et en diminuant le risque de nécrose cutanée. niveau se rencontrait pour skier et discuter de cas compliqués dans un cadre très dynamique. L’année prochaine marquera la 40e année de cet excellent congrès. Ce groupe d’amis est à la base de l’European Association of Plastic Surgeons (EURAPS), que Daniel Marchac a créé en 1989. L’idée était de regrouper les meilleurs chirurgiens plasticiens européens pour un congrès élitiste et dynamique, similaire à l’AAPS. Il en fut le secrétaire général de 1989 à 1995 et son président de 1998 à 1999. Durant sa carrière, il reçut de nombreuses autres distinctions et honneurs. En 1991, il devint Professeur au Collège de médecine des hôpitaux de Paris. En 1993 et 1995 il fut Président de l’ISCFS, et en 1998 Président de la Société française de chirurgie plastique reconstructrice et esthétique (SOFCPRE). En 2001, il fut décoré Chevalier de la Légion d’Honneur. Il était également membre honoraire de la British 79 Society of Plastic Surgery, membre honoraire de l’American Association (AAPS) et il eut l’honneur de donner la Malignac Lecture en 2002 à l’ASPS. La même année, il publia un papier sur le rajeunissement de la face décrivant un lifting avec des cicatrices cachées, utilisant une incision en U verticale [5] (Fig. 5). Au total, Daniel a publié cinq livres, 23 chapitres et plus de 160 articles. Il aimait écrire et donnait l’impression de le faire avec facilité, dans un avion, dans le train en allant à sa maison de vacances sur l’Île de Ré, en fait dès qu’il avait un peu de temps libre. C’était un chirurgien très doué sur le plan manuel, précis et méticuleux, possédant un sens inné de l’équilibre et de la beauté. Il ne cessait jamais d’être curieux et innovant et son équipe redoutait ces retours de congrès car cela signifiait souvent qu’il allait essayer quelque chose de nouveau et osé. Sur un plan plus général, c’était un homme équilibré, élégant, profondément sain et généreux, curieux des arts et de la littérature, un véritable honnête homme au sens où l’entendait Montaigne. En octobre 2011, à l’âge de 74 ans, on lui diagnostiqua une forme rare et sévère de lymphome. Il s’est battu pendant un an, avec courage et ne laissant jamais le désespoir le gagner. Il se comporta jusqu’à la fin comme il avait toujours fait, croyant profondément en lui-même et en sa capacité de surmonter les obstacles. Il ne cessera de manquer à sa femme Nina, et ses quatre enfants, Valentine, Grégoire, Nathalie et moi-même, Alexandre, ainsi qu’à tous ses amis autour du monde. Références [1] Marchac D, Toth B. The axial frontonasal flap revisited. Plast Reconstr Surg 1985;76(5):686—94. [2] Marchac D. Chirurgie des baso de la face. Genève: M&H; 1986. [3] Marchac D, Renier D. Craniofacial surgery for craniosynostosis. Boston: Little Brown & Co; 1982. [4] Marchac D, De Olarte G. Reduction mammaplasty and correction of ptosis with a short inframammary scar. Plast Reconstr Surg 1982. [5] Marchac D, Brady J, Chiou P. Face lifts with hidden scars: the vertical U incision. Plast Reconstr Surg 2002;109(7):2552—4. A. Marchac Chirurgie plastique réparatrice et esthétique, 130, rue de la Pompe, 75116 Paris, France Adresse e-mail : [email protected] Received 29 January 2013 Accepted 3 January 2013