Troubles prosodiques chez les personnes atteintes d

Transcription

Troubles prosodiques chez les personnes atteintes d
45e Année
Mars 2007
Trimestriel
N° 229
ph
o o
co ral, no
la ns p log
pa be ci er ie
ce ro , t en ce ,
al pt le, ro ce pti pa
di tér ion an ub p on ro
le ho d le
al o
tio e, ati
a
,
, lo
s
l
a
n
o
y
e
dy n m n u s
n
o
sc pe gi
te sa d otr s p dit e p mo log la lan
ie rc e,
pa ur, rth u ici h ive er te iq p ga
n e
au rc o ri la té on , ce ur ue aro ge tro ce pti
tis ou rth e, ng ve éti int pt s , s le an ub p o
le h
m rs o- ap ag rb qu ell ive de yl ,
au alys s on
e, d ph p e al es ig , p l r , e
i
i
a
di e m
pa agn on ent d , p , pr bili erph tiv pe ot
ra os ie, iss ysp ro os té,
on e, rc
ly tiq é ag h du oé t i n ep
s i u va e a c
v
e r iq t e
si e e lu
e
b a ue l l i
,
m
cé su at o ,
e
, l e , s, g
ré rd ion br ité ,
t i s d y p r pr
al ,
s s o
e,
év ag p h a du
al e si
u
e
su a t i m o ,
rd o -
Projet2
19/03/07
15:32
Page 1
Fondatrice : Suzanne BOREL-MAISONNY
Parole(s) : aspects perceptifs
et moteurs
Rééducation
Orthophonique
Rencontres
Données actuelles
Examens et interventions
Perspectives
Fédération Nationale des Orthophonistes
texte 229
19/03/07
15:17
Sommaire
Page 1
mars 2007
N° 229
Rééducation Orthophonique, 145, Bd Magenta, 75010 Paris
Ce numéro a été dirigé par Françoise Coquet, orthophoniste
PAROLE(S) : ASPECTS
PERCEPTIFS ET MOTEURS
« Parler, c’est marcher devant soi »
Raymond Queneau
1. La perception de la parole et l’acquisition de la phonologie,
Sharon Peperkamp, Laboratoire de Sciences Cognitives
et Psycholinguistique (EHESS/CNRS/DEC-ENS) Paris
2. Phonologie : notions complémentaires pour la pratique orthophonique,
Françoise Coquet, orthophoniste, Douai
1. Initialiser l’acquisition du lexique et de la syntaxe,
Séverine Millotte, Laboratoire de Sciences Cognitives et Psycholinguistique,
EHESS-ENS-CNRS Paris, Département d’Études Cognitives, ENS Paris,
Laboratoire de Psycholinguistique Expérimentale, Genève,
Savita Bernal et Anne Christophe,
Laboratoire de Sciences Cognitives et Psycholinguistique,
EHESS-ENS-CNRS Paris, Département d’Études Cognitives, ENS Paris
2. Rôle de la syllabe dans la production de la parole :
évidences psycholinguistiques et neurolinguistiques
Marina Laganaro, Service de Rééducation, Hôpitaux Universitaires de Genève
3. Qualité et efficacité de l’audition restituée par l’implant cochléaire
chez des enfants sourds porteurs d’un implant depuis plus de 10 ans,
Martine Sillon, orthophoniste, Palavas les flots, Alain Uziel, Adrienne Vieu
4. Sensibilité phonologique et apprentissage de la lecture,
Jean Ecalle, Annie Magnan, Laboratoire Étude des Mécanismes
Cognitifs / Dynamique du Langage, UMR-CNRS 5596 Université Lyon 2
3
17
27
39
47
61
1
texte 229
19/03/07
15:17
Page 2
1. Définition, classification et évaluation des dysarthries
Pascal Auzou, médecin neurologue, Service d’Explorations
Fonctionnelles Neurologiques,
Fondation Hopale, Berck sur mer
2. La prise en charge des dysarthries
Véronique Rolland-Monnoury, orthophoniste, Rosporden
3. La dysarthrie de l’enfant avec Paralysie Cérébrale –
Rééducation – Impact des moyens alternatifs
de communication sur la parole naturelle,
Catherine Grosmaître, orthophoniste, Hôpital National Saint Maurice,
Service de Pathologies Neurologiques Congénitales, Saint Maurice
4. Évaluation du domaine « Phonologie » lors du bilan de langage oral
Françoise Coquet, orthophoniste, Douai
5. Représentations phonologiques et dysphasie
Christelle Maillart, Département des Sciences Cognitives,
Troubles développementaux du langage, Université de Liège
6. Troubles prosodiques chez les personnes atteintes d’autisme
Nathalie Courtois, orthophoniste, CAMSP
et Centre Ressources Autisme, CHU Tours
7. Présentation de la Dynamique Naturelle de la Parole
et de son application à la rééducation des difficultés de parole
Christine Ferté, orthophoniste, Corbie
8. La rééducation de la conscience phonologique
Guillemette Bertin-Stremsdoerfer, orthophoniste, Douai
1. L’étude comparative de la perception de la parole :
nouveaux développements,
Franck Ramus, Laboratoire de Sciences Cognitives
et Psycholinguistique (EHESS/CNRS/DEC-ENS) Paris
2. Production et jugement des liaisons obligatoires chez des enfants
tout-venant et des enfants atteints de troubles du langage :
décalages développementaux et différences interindividuelles,
Jean Pierre Chevrot et Aurélie Nardy, LIDILEM, Université Grenoble 3,
Stéphane Barbu, EVE, Université Rennes 1 et CNRS,
Michel Fayol, LAPSCO, Université Blaise Pascal et CNRS, Clermont Ferrand
75
87
103
113
127
139
155
169
181
199
221
2
texte 229
19/03/07
15:17
Page 3
La perception de la parole et l’acquisition de la
phonologie
Sharon Peperkamp
Résumé
La structure sonore de notre langue maternelle influence la façon dont nous percevons les
sons du langage. Dans cet article, nous allons voir en quoi consiste cette influence. En plus,
nous abordons la question de savoir comment la connaissance tacite de la phonologie de
notre langue est exploitée lors de la reconnaissance des mots. Enfin, nous allons voir comment sont perçus les sons du langage à la naissance, et quand et comment les nourrissons
acquièrent la structure sonore de leur langue.
Mots clés : phonologie, perception de la parole, acquisition précoce.
Speech perception and the acquisition of phonology
Abstract
The sound structure of our native language influences the way in which we perceive speech
sounds. In this article, we will consider the nature of this influence. Moreover, we will examine how implicit knowledge of our native language’s phonology is used for the purposes of
word recognition. Finally, we will consider how speech sounds are perceived at birth, and
when and how infants acquire the sound structure of their language.
Key Words : phonology, speech perception, early acquisition
Rééducation Orthophonique - N° 229 - mars 2007
3
texte 229
19/03/07
15:17
Page 4
Sharon PEPERKAMP
Laboratoire de Sciences Cognitives et
Psycholinguistique
(EHESS/CNRS/DEC-ENS)
5 rue d’Ulm
75005 - Paris
Courriel : [email protected]
♦ Notions de phonolo gie
Phonèmes
L
es unités sonores de base sont les consonnes et les voyelles, ou phonèmes.
Toutes les langues n’utilisent pas les mêmes phonèmes. Ainsi, tandis que
les langues qui ont cinq voyelles (/i,u,e,o,a/ ) sont les plus répandues, le
français ne compte pas moins de 14 voyelles. On peut donc trouver des longues
séries de mots qui ne se distinguent que quant à leur voyelle, comme dit, dé, dès,
du, deux, doux, dos, donc, dans. Le nombre de consonnes varie également à travers
les langues : le rotokas, une langue de Papouasie Nouvelle Guinée, n’a que six
consonnes, alors que le xhosa, une langue bantoue parlée en Afrique du Sud, en a
presque dix fois plus. Ici, le français se trouve plutôt dans la moyenne, ayant 20
consonnes. En dépit de ces grandes variations, certaines régularités peuvent être
observées concernant la présence des phonèmes à travers les langues. Par exemple,
presque toutes les langues ont au moins les trois voyelles dites cardinales, /i/, /u/ et
/a/. Pareillement, l’écrasante majorité des langues contrastent au moins les
consonnes /p/, /t/, /k/, /m/, et /n/.
Tons
De très nombreuses langues distinguent les mots non seulement par leurs
phonèmes mais également par leurs t o n s . Dans ces langues, une même
séquence de phonèmes, prononcée avec des tons différents, peut avoir des sens
différents. En chinois mandarin, par exemple, la séquence ma signifie ‘mère’
(ton haut), ‘chanvre’ (ton ascendant), ‘cheval’ (ton descendant-ascendant), ou
‘injurier’ (ton descendant). Pareillement, il y a des langues dans lesquelles l’accent tonique est contrastif, et où deux mots différents peuvent se distinguer uniquement en ce qui concerne la position de l’accent tonique. C’est le cas de l’italien, où ´ancora , avec l’accent sur la première syllabe, signifie ‘ancre’, et
an´cora , avec l’accent sur la deuxième syllabe, signifie ‘encore’. Enfin, les
langues peuvent utiliser des différences de longueur de façon contrastive. Ainsi,
4
texte 229
19/03/07
15:17
Page 5
en finnois, puro ‘ruisseau’ et puuro ‘porridge’ se distinguent uniquement en ce
qui concerne la longueur de la première voyelle, tandis que dans les mots italiens, pala ‘pelle’ et palla ‘boule’, la différence porte sur la longueur de la
deuxième consonne. Il est à noter que le français n’utilise ni les tons, ni l’accent, ni la longueur (ensemble on les appelle les s u p rasegments) pour faire des
différences de signification.
S t r u c t u r e sylla b i q u e e t c o n t r a i n t e s p h o n o t a c t i q u e s
Les langues diffèrent aussi en ce qui concerne leur s t ru c t u re syllab i q u e.
En règle générale, une syllabe contient une voyelle et peut contenir une ou plusieurs consonnes. Certaines langues n’ont que des syllabes de type dit CV, comprenant une seule consonne (C) suivie d’une voyelle (V), tandis que d’autres,
dont l’anglais, permettent des structures syllabiques beaucoup plus compliquées, allant jusqu’à CCCVCCC (comme dans le mot strenghts /stɹεŋθs/
‘forces’). A travers les langues, on observe que les répertoires des types de syllabes montrent certaines régularités. Ainsi, les langues qui ont des syllabes complexes ont aussi des syllabes plus simples. Outre des syllabes de type
CCCVCCC – qui sont en fait extrêmement rares – l’anglais a donc aussi des
syllabes de type CV, CVC, CCVC, CVCC, etc. Enfin, les langues posent des
restrictions sur l’agencement des phonèmes dans les mots et les syllabes. Ces
restrictions sont connues sous le nom de c o n t r aintes phonotactiques. En français, par exemple, aucun mot ne commence par /tl/, et la voyelle /ɔ/ (o-ouvert,
comme dans botte) se trouve uniquement dans des syllabes fermées, c’est-à-dire
des syllabes qui se terminent par une consonne. A nouveau, on observe des
régularités à travers les langues. Par exemple, beaucoup de langues posent des
restrictions sur les consonnes qu’on peut trouver en fin de syllabes. Or, c’est
souvent les mêmes consonnes qui sont permises dans cette position, en particulier les nasales.
Phénomène de coarticulation
Toutes les observations ci-dessus concernent des propriétés phonologiques statiques. Or, lorsque les phonèmes sont agencés pour former des syllabes, les syllabes pour former des mots, et les mots pour former des phrases,
des processus phonologiques peuvent intervenir et ainsi changer la structure
sonore. Certains de ces processus agissent sur les phonèmes, d’autres sur les
suprasegments, et d’autres encore sur la structure syllabique. Par exemple, en
français, le phonème /r/ est réalisé de deux façons différentes dans les mots
poudre et poutre. Dans les deux cas, il s’agit d’une fricative uvulaire, mais dans
poudre, elle est sonore, c’est-à-dire qu’elle est produite avec vibrations des
cordes vocales, tandis que dans poutre, elle est sourde, c’est-à-dire produite sans
5
texte 229
19/03/07
15:17
Page 6
vibrations des cordes vocales. Le son sonore, [ʁ], est celui par défaut, et le son
sourd, [χ], se produit uniquement à côté d’une consonne qui est elle-même
sourde, comme le [t] de poutre. [En phonologie, on écrit les phonèmes entres
barres obliques et leurs réalisations phonétiques entre crochets]. On dit que le
phonème /r/ s’assimile en ce qui concerne le voisement à la consonne précédente. Le français a un deuxième processus d’assimilation de voisement qui, lui,
concerne les obstruantes. Celles-ci peuvent être soit sourdes (/p,t,k f,s,ch/) soit
sonores (/b,d,g,v,z,j/). Or, dans les suites d’obstruantes, la première prend le trait
du voisement de la deuxième. Ainsi, une robe sale se prononce typiquement
avec la suite [ps] au lieu de [bs]. A travers les langues, on trouve une grande
variété de processus phonologiques, dont la plupart peuvent cependant être classés d’après seulement quelques principes de base. En particulier, les processus
d’assimilation sont très répandus. Ils sont dus au fait que l’articulation d’un son
tend à se chevaucher partiellement avec celle des sons qui l’entourent, un phénomène appelé la c o a rticula tion. L’assimilation peut de ce fait concerner le
trait du voisement, comme en français, mais aussi d’autres propriétés articulatoires telles que la place d’articulation. Par exemple, en anglais, le mot sweet
peut être prononcé avec un [p] final dans sweet boy ([p] et [b] étant tous les
deux labiaux), et avec un [k] final dans sweet girl ([k] et [g] étant vélaires).
En résumé
Les langues diffèrent considérablement en ce qui concerne leurs répertoires de phonèmes et de suprasegments, leurs structures syllabiques et
contraintes phonotactiques, et leurs processus phonologiques. Toutes ces différences influencent la façon dont les locuteurs natifs de langues différentes perçoivent les sons de la parole. En plus, les locuteurs utilisent leurs connaissances
tacites de la structure sonore de leur langue lors du traitement des mots et des
phrases. C’est ces deux aspects de la perception de la parole que les chercheurs
ont abordé dans des études expérimentales depuis les années soixante-dix.
♦ L a p e rce p t i o n d e l a p a role
F i l t re phonolo gique
Nous avons tous des difficultés à prononcer des mots des langues étrangères qui ont des phonèmes, des suprasegments, ou des agencements de
consonnes que notre langue maternelle n’a pas. Par exemple, les français ont du
mal à apprendre la voyelle du mot anglais ship ‘bateau’ (qui n’est pas la même
que celle dans sheep ‘mouton’), les tons des mots chinois, et certaines suites
consonantiques dans les mots des langues slaves (comme dans le nom de la ville
6
texte 229
19/03/07
15:17
Page 7
polonaise Gdánsk). Autour de 1930, des linguistes de l’Ecole de Prague comme
Polivanov et Troubetzkoy avaient observé que ces problèmes avec les sons
étrangers se manifestent même lorsqu’on écoute une langue étrangère : nous
avons du mal à percevoir correctement les sons et les structures sonores qui
n’apparaissent pas dans notre langue. Pour expliquer ce phénomène, ils introduisaient la notion du fi l t re phonologique. Ce filtre aurait comme effet que
nous percevons tous les sons du langage en termes de sons et de structures
sonores de notre langue maternelle. L’existence d’un tel filtre phonologique a
été confirmée plus récemment dans de nombreuses expériences faites par des
psycholinguistes. Dans ces expériences, les chercheurs utilisent typiquement des
tâches de discrimination pour étudier l’impact de la phonologie de la langue
maternelle sur la perception du langage. Par exemple, on entend deux sons et il
faut dire s’ils sont identiques ou bien différents. Ou encore on entend deux sons
différents, suivis d’un troisième qui est identique soit au premier soit au
deuxième, la tâche étant d’indiquer cette correspondance. Il a ainsi été démontré que les japonais ont beaucoup de mal à distinguer les phonèmes liquides /l/
et /r/ de l’anglais, puisqu’ils les perçoivent tous les deux comme la seule liquide
qui existe en japonais (Goto 1971). Ces difficultés persistent chez les japonais
qui ont appris à parler l’anglais (Takagi & Mann 1995), et même un entraînement intense de plusieurs semaines ne rend pas les performances des japonais
égales à celles des locuteurs anglais natifs (Takagi 2000).
Un cas non moins intéressant est celui étudié par Christophe Pallier et
deux collègues espagnoles. Ils ont démontré que le contraste catalan entre les
voyelles /e/ (e-fermé) et /ε/ (e-ouvert) est très difficile à percevoir pour les locuteurs natifs de l’espagnol ; l’espagnol, en fait, n’a pas la voyelle /ε/ et les espagnols la perçoivent comme leur voyelle /e/ (Pallier, Sebastián-Gallés & Bosch
1997). Ce qui rend cette étude particulièrement intéressante est le fait que les
participants habitaient à Barcelone, ville catalane, et parlaient couramment le
catalan qu’ils avaient appris dès leur entrée à l’école. Ce résultat montre donc à
quel point l’influence de la langue maternelle sur la perception du langage est
persistante, en d’autres termes, à quel point le système phonologique manque de
plasticité. Cependant, il semble que l’on peut intégrer un nouveau système phonologique aussi bien que les locuteurs natifs de cette langue, à condition de ne
plus utiliser sa langue maternelle, voire de l’oublier complètement… Dans une
autre étude, Christophe Pallier et ses collaborateurs ont en effet observé que des
coréens natifs qui ont été adoptés en France pendant leur enfance ne semblent
avoir aucun problème avec les sons français qui n’existent pas en coréen ; en
revanche, ils montrent les mêmes difficultés que les français natifs pour percevoir
des contrastes qui existent en coréen mais pas en français (Pallier et coll., 2003 ;
7
texte 229
19/03/07
15:17
Page 8
Ventureyra, Pallier & Yoo, 2004). La particularité de ces adoptés est qu’ils
avaient totalement oublié le coréen, langue qu’ils n’avaient plus jamais entendue
depuis leur arrivée en France. L’observation qu’ils n’ont aucun problème avec les
sons du français doit encore être vérifiée expérimentalement. Si elle l’est, la
conclusion qui s’impose est que ces adultes adoptés ont bel et bien remplacé leur
langue maternelle, le coréen, par leur deuxième langue, le français.
Enfin, il est à noter que les locuteurs ont également du mal à percevoir la
distinction entre deux sons qui existent dans leur langue mais qui ne sont pas
utilisés de façon contrastive. Par exemple, nous avons vu plus haut que le français a deux sons, [χ] et [ʁ], qui diffèrent uniquement quant au voisement et qui
sont tous les deux des réalisations du phonème /r/. Or, il a été démontré que les
français ont du mal à percevoir la distinction entre ces deux sons (Peperkamp,
Pettinato & Dupoux 2003). Evidemment, ce n’est pas le voisement en soi qui
serait difficile à percevoir, puisque les français n’ont aucun mal à percevoir la
distinction entre, par exemple, les sons [p] et [b], qui eux aussi se distinguent
uniquement quant au voisement. Ce qui explique en revanche la difficulté avec
[χ]-[ʁ] est le fait que, contrairement à [p]-[b], ce contraste ne sert jamais à différencier deux mots du français. C’est-à-dire, il n’y a pas d’équivalent des paires
de mots comme pain et bain, et où la seule différence porterait sur la présence
de [χ] versus [ʁ].
Les problèmes que nous avons avec la perception des langues étrangères
ne se limitent pas aux phonèmes et leurs réalisations. Tous les aspects phonologiques de la langue maternelle sont en fait présents dans le filtre phonologique.
Concernant les suprasegments, il suffit de regarder quelques résultats concernant les français, qui, rappelons-nous, n’en utilisent aucun. Des expériences
récentes par les équipes d’Emmanuel Dupoux et de Pierre Hallé ont montré que
les français ont du mal à percevoir l’accent tonique de l’espagnol (Dupoux et
coll. 1997), les voyelles longues du japonais (Dupoux et coll. 1999), et les tons
du mandarin (Hallé, Chang & Best 2004). Concernant la phonotactique, les
français ont des problèmes à percevoir des mots qui commencent par les suites
/tl/ et /dl/, qu’ils confondent avec /kl/ et /gl/ (Hallé & Best, à paraître). Ce phénomène s’explique par le fait qu’en français, il n’y a pas de mots commençant
par /tl/ et /dl/, tandis que /kl/ et /gl/ sont des débuts possibles (comme dans clé,
glisser). Enfin, l’influence de la structure syllabique peut être illustrée par un
exemple assez spectaculaire, celui des japonais qui entendent des voyelles là où
il n’y en a pas. En japonais, presque toutes les syllabes sont ouvertes, c’est-àdire se terminent par une voyelle, et la voyelle ne peut être précédée que d’une
seule consonne. Lorsqu’un mot d’une autre langue est emprunté, des voyelles
sont insérées afin de le rendre conforme à la structure syllabique du japonais.
8
texte 229
19/03/07
15:17
Page 9
Ainsi, le mot anglais Christmas, qui en anglais est prononcé /krisməs/ et qui a
donc la structure syllabique CCVC.CVC, est devenu kurisumasu en japonais,
avec comme structure syllabique CV.CV.CV.CV.CV. Comme l’ont démontré
Emmanuel Dupoux et ses collaborateurs, les japonais insèrent des voyelles pas
seulement lorsqu’ils prononcent des mots étrangers mais aussi lorsqu’ils les
entendent : le filtre phonologique fait en sorte qu’ils perçoivent des voyelles
illusoires dans les mots qui ne sont pas conformes à la structure syllabique du
japonais (Dupoux et coll. 1999).
Reconnaissance des mots
La présence d’un filtre phonologique qui nous empêche, lors de l’écoute
d’une langue étrangère, de percevoir correctement les sons et les structures
sonores qui ne sont pas utilisés dans notre langue n’est pas la seule manifestation de nos connaissances phonologiques tacites. Les recherches ont également
démontré que nous utilisons ces connaissances lors du traitement de notre
langue maternelle, afin de reconnaître les mots.
Premièrement, la reconnaissance des mots dans les phrases implique un
problème de segmentation : contrairement au langage écrit, où les mots sont
séparés par des blancs, le langage oral ne contient pas de pauses qui sépareraient
les mots les uns des autres. Or, afin de trouver les frontières des mots, les locuteurs utilisent plusieurs stratégies, dont certaines sont spécifiques à la langue
(voir Jusczyk 1999 pour un résumé). Par exemple, puisqu’en français, l’accent
tonique est final, les locuteurs français peuvent postuler des frontières de mot
après les syllabes accentuées. Ou bien, sachant que les mots ne peuvent ni commencer ni finir par /tl/, ils peuvent postuler une frontière de mot à l’intérieur des
suites /tl/, comme dans elle ratte le train. Ou encore, puisque la place d’articulation de /k/, qui normalement est vélaire, devient palatale lorsque cette consonne
est suivie de /i/ à l’intérieur d’un mot, ils peuvent postuler une frontière de mot
à l’intérieur des suites /ki/ si la consonne maintient son articulation vélaire :
comparez maquis ra re, où la suite /ki/ se trouve à l’intérieur d’un mot et la place
d’articulation de /k/ est donc palatale, avec lac iranien, où la même suite chevauche une frontière de mot et l’articulation de /k/ est vélaire.
Deuxièmement, la reconnaissance des mots implique un processus d’activation multiple. Lorsqu’on entend le début d’un mot, tous les mots dans notre
lexique mental qui commencent par ce fragment sont activés, c’est-à-dire prêts à
être reconnus. Au fur et à mesure que le mot se déroule, des candidats qui ne
sont plus en accord avec le son sont désactivés, jusqu’à ce qu’un seul mot reste
activé et soit donc reconnu. Or, lorsqu’un phonème a différentes réalisations en
fonction du contexte, nous utilisons notre connaissance concernant la distribu-
9
texte 229
19/03/07
15:17
Page 10
tion de ces réalisations pour contraindre l’activation des mots dans le lexique
mental. Par exemple, en anglais les voyelles sont nasalisées devant des
consonnes nasales ; la voyelle dans pen est donc différente de celle dans pet. En
entendant juste le fragment [pε̃], avec la voyelle nasale, les locuteurs anglais
devinent que le mot entier peut être pen, penthouse, penny, etc., où la consonne
suivante est nasale, mais pas pet, pepper, Peggy, etc., où elle ne l’est pas (Lahiri
& Marslen-Wilson, 1991). La présence de la voyelle nasale empêche donc l’activation de tous les mots dont la voyelle n’est pas nasalisée.
Troisièmement, les locuteurs compensent pour les processus phonologiques de leur langue afin de reconnaître les mots dans les phrases. Par exemple,
nous avons vu plus haut que dans les suites d’obstruantes, la première s’assimile
à la deuxième quant au voisement. Or, ce processus ne gêne pas la reconnaissance des mots : les locuteurs français reconnaissent correctement le mot robe
dans robe sale lorsque, suivant le processus d’assimilation, il est prononcé avec
un [p] final (Darcy et coll., à paraître). Qui plus est, ils ne reconnaissent pas le
mot robe prononcé avec un [p] final dans robe noire ; cette prononciation n’est
effectivement pas en accord avec l’assimilation de voisement, puisque ce processus ne s’applique pas devant les consonnes nasales telle que /n/. Ces résultats
montrent qu’en perception, les français utilisent leur connaissance tacite que /b/
peut être réalisé comme [p] dans certains contextes. En d’autres mots, ils appliquent l’assimilation de voisement à l’envers afin de récupérer les formes
sonores de base des mots.
Nous avons vu que la perception du langage dépend de la langue maternelle du locuteur, et ce de deux façons. Premièrement, les sons du langage sont
perçus à travers un filtre phonologique qui est spécifique à la langue et qui
déforme les sons et les structures sonores des langues étrangères. Deuxièmement, les locuteurs natifs utilisent leurs connaissances phonologiques tacites
lors du traitement de la langue maternelle afin de reconnaître les mots. Mais
qu’en est-il des nourrissons qui n’ont pas encore acquis la langue de leurs
parents ? Comment perçoivent-ils les sons de la parole ? Et quand et comment
acquièrent-ils la phonologie de leur langue ? Ces questions font l’objet de nombreuses recherches, comme on le verra maintenant.
♦ l’acquisition phonolo gique précoce
Sensibilité aux contrastes phonolo giques
A la naissance, la perception de la parole n’est pas encore déformée par le
filtre phonologique de la langue maternelle et les nourrissons sont sensibles à
10
texte 229
19/03/07
15:17
Page 11
pratiquement tous les contrastes phonémiques qui peuvent exister dans les
langues humaines. Cette sensibilité a été démontrée avec la technique dite de
succion non nutritive : Les nourrissons tètent une tétine, reliée a un petit appareil qui mesure le rythme et l’amplitude de la succion, ainsi qu’à un ordinateur
qui déclenche le son. Chaque fois que les nourrissons tètent, une syllabe est
jouée. Au bout de seulement quelques minutes, les nourrissons se rendent
compte de la relation entre leur succion et le son. Lorsqu’ils se lassent d’entendre toujours la même syllabe, leur succion baisse ; on change alors de syllabe
et on mesure si les nourrissons augmentent leur taux de succion en entendant
cette nouvelle syllabe. Si c’est le cas, c’est qu’ils ont perçu la différence entre
les deux syllabes. De cette façon, il a été démontré qu’à la naissance, les nourrissons perçoivent la différence entre la plupart des sons, qu’ils soient utilisés
dans leur langue maternelle ou pas (voir Jusczyk, 1997, pour un résumé des
résultats).
Dès la première année de vie, cette sensibilité pour les contrastes phonologiques se modifie. Vers l’âge de six mois, les nourrissons commencent à ne
plus percevoir des contrastes vocaliques qui n’existent pas dans leur langue
(Kuhl et coll. 1992 ; Polka & Werker 1994), et quelques mois plus tard il en est
de même pour les contrastes consonantiques (Werker & Tees 1984). Cette perte
de sensibilité est interprétée comme un signe que les nourrissons apprennent les
catégories sonores de leur langue maternelle, en d’autres mots, que le filtre phonologique de la langue maternelle s’installe chez eux. Il est d’ailleurs à noter
que ces résultats ont été obtenus avec d’autres techniques que la succion non
nutritive, qui, elle, est surtout utilisée avec les nourrissons les plus jeunes (voir
De Boisson-Bardies 1996).
Ap p rentissa ges des suprase gments
En ce qui concerne l’apprentissage des suprasegments, les études sont
moins nombreuses, mais il semble que le développement est comparable à celui
des contrastes phonémiques, avec une sensibilité initiale qui baisse pendant la
première année de vie pour les contrastes qui ne sont pas utilisés dans la langue
maternelle. Ainsi, il a été démontré qu’à six mois, les nourrissons américains ne
se distinguent pas des nourrissons chinois concernant la perception des tons du
mandarin : ils n’ont aucune difficulté à discriminer les contrastes tonals. Cependant, à neuf mois, seuls les nourrissons chinois continuent à discriminent ces
contrastes, les nourrissons américains ayant appris que dans leur langue, les tons
ne sont pas utilisés pour différencier les mots (Mattock & Burnham 2006). Vu
ce résultat, on pourrait s’attendre à ce qu’à la naissance, les nourrissons sont
également sensibles aux deux autres suprasegmentaux, la durée et l’accent
11
texte 229
19/03/07
15:17
Page 12
tonique, et qu’au cours de la première année de vie, cette sensibilité baisse chez
les nourrissons exposés à une langue qui ne les utilise pas, telle le français. Une
étude qui vise à tester cette hypothèse pour l’accent tonique est actuellement en
cours. Cette étude compare des nourrissons français à des nourrissons espagnols. On s’attend à ce qu’à l’âge de six mois, les deux groupes montrent la
même sensibilité pour les contrastes accentuels, tandis que seuls chez les espagnols la sensibilité reste stable. En espagnol, en effet, l’accent tonique est
contrastif, comme le montre la paire de mots ´bebe (accentué sur la première
syllabe), qui veut dire il ou elle boit, et be´be (accentuée sur la deuxième syllabe), qui veut dire bébé.
Acquisition des contraintes phonotactiques
Les chercheurs ont également étudié l’acquisition des contraintes phonotactiques. Ils ont démontré que vers l’âge de neuf mois, les nourrissons néerlandais préfèrent écouter les pseudo-mots qui respectent les contraintes phonotactiques du néerlandais, tel que snef, que ceux qui ne les respectent pas tels que
fesn – il n’y a pas de mots néerlandais qui se termine par la suite sn (Friederici
et Wessels, 1993). De la même façon, ils préfèrent écouter des pseudo-mots
bisyllabiques accentués sur la première syllabe que ceux accentués sur la
deuxième syllabe (Jusczyk, Cutler & Redantz 1993). Ce dernier résultat montre
qu’ils connaissent la forme typique des mots de leur langue, puisqu’en anglais,
les mots bisyllabiques avec un accent initial (comme ´baby) sont bien plus nombreux que ceux avec un accent final (comme bal´loon).
C a pacité à se gmenter les mots
Enfin, la segmentation des phrases en mots commence également avant la
fin de la première année de vie. En particulier, il a été démontré qu’à sept mois
et demi, les nourrissons américains qui ont été familiarisés avec des mots monosyllabiques tels que cup et dog écoutent plus longuement des passages courts
qui contiennent ces mots que d’autres passages qui ne les contiennent pas ; ce
résultat suggère qu’ils détectent l’occurrence de ces mots dans la parole continue (Jusczyk & Aslin 1995).
U t i l i s a t i o n d e s i n fo r m a t i o n s d i s t r i b u t i o n n e l l e s d a n s l ’ a c q u i s i t i o n
de la phonologie
L’acquisition de la phonologie est donc bien avancée au moment où les
nourrissons produisent eux-mêmes leurs premiers mots (en général entre 12 et
18 mois) : il est évident qu’ils connaissent les consonnes et les voyelles de leur
langue, et au moins certains suprasegments et contraintes phonotactiques. En
revanche, nous ne savons pas à quel âge les nourrissons apprennent les proces-
12
texte 229
19/03/07
15:17
Page 13
sus phonologiques de leur langue, tels que l’assimilation du voisement en français. Une toute autre question est comment les différents aspects de la phonologie sont-ils acquis. En réponse à cette question, des études récentes ont montré
que les nourrissons peuvent exploiter de l’information distributionnelle contenue dans le signal acoustique.
Considérons par exemple l’acquisition des consonnes. Lorsqu’on enregistre différents exemplaires d’une même consonne on se rend compte qu’ils
sont tous légèrement différents les uns des autres. Les consonnes (tout comme
les voyelles, d’ailleurs) ont en effet des prononciations prototypiques, mais elles
montrent de la variabilité autour des paramètres acoustiques qui les définissent.
Dans une expérience ingénieuse, des chercheurs ont examiné comment les nourrissons pourraient acquérir les consonnes de leur langue en présence de cette
variabilité. Ils ont pour cela synthétisé une série de huit stimuli allant de la syllabe [tɑ] à la syllabe [dɑ]. Les stimuli au milieu de cette série étaient donc parfaitement ambigus entre [tɑ] et [dɑ], tandis que ceux qui s’éloignaient des deux
bords se rapprochaient de plus en plus de [tɑ] et de [dɑ], respectivement. Deux
groupes de nourrissons américains de six mois ont été exposés à ces stimuli.
Pour le premier groupe, les stimuli ambigus du milieu de la série étaient plus
fréquents que ceux vers les bords, suggérant qu’il y avait une seule consonne
dont la prononciation prototypique était ambiguë entre [t] et [d]. Pour le
deuxième groupe, en revanche, les stimuli près des deux bords étaient plus fréquents que ceux du milieu, suggérant qu’il y avait deux consonnes, [t] et [d]
(Maye, Werker & Gerken 2002). Après seulement deux minutes d’écoute, les
nourrissons étaient testés sur leur capacité à discriminer entre les syllabes [tɑ] et
[dɑ]. Le résultat était que les nourrissons du premier groupe avaient plus de mal
avec cette discrimination que ceux du deuxième groupe. Ce résultat montre que
les nourrissons sont sensibles à la distribution des sons autour de paramètres
acoustiques et que l’acquisition des consonnes pourrait se faire sur la base de
cette information (Maye, Werker & Gerken, 2002).
La sensibilité aux informations distributionnelles (et donc l’utilisation
possible de ces informations pendant l’acquisition) a été également démontrée
dans le domaine de la segmentation en mots. La probabilité de transition d’une
syllabe vers une autre est plus haute à l’intérieur d’un mot qu’à travers deux
mots. Par exemple, la probabilité que la syllabe jar soit suivie de din est très élevée, alors que la probabilité que la syllabe grand soit suivie de verre est très
basse. La probabilité de transition entre deux syllabes procure donc de l’information concernant la probabilité que ces syllabes soient séparées par une frontière de mot. Comme l’ont montré Saffran et coll. (1996), les nourrissons de huit
mois sont sensibles à ces probabilités de transition.
13
texte 229
19/03/07
15:17
Page 14
Enfin, les nourrissons pourraient utiliser de l’information distributionnelle
afin d’acquérir les processus phonologiques de leur langue. Rappelons-nous par
exemple que des phonèmes peuvent avoir plusieurs réalisations, en fonction du
contexte. En français, par exemple, /r / se réalise ainsi comme une fricative
sourde à côté des consonnes sourdes et comme une fricative sonore partout
ailleurs ; en d’autres mots, ces deux sons ont des distributions complémentaires. En traçant leurs distributions, on peut donc inférer si deux sons sont des
réalisations différentes d’un seul phonème ou pas. Une expérience récente
montre que les nourrissons sont sensibles à ces informations distributionnelles.
Dans cette expérience, des nourrissons américains de 12 mois étaient exposés à
une langue artificielle où [t] et [d] avaient des distributions complémentaires et
étaient donc des réalisations différentes d’un seul phonème, alors que [s] et [z]
avaient la même distribution et étaient donc des réalisations de deux phonèmes
différents. Après deux minutes d’exposition, les nourrissons écoutaient plus longuement des nouvelles phrases contenant les sons [t] et [d] que celles contenant
[s] et [z]. Ce résultat montre qu’ils avaient observé que les distributions de [t] et
[d] étaient différentes de celles de [s] et [z] (White et coll., soumis).
En résumé, les nourrissons sont sensibles à toute sorte d’information distributionnelle et il est probable qu’ils utilisent ces informations lors de l’acquisition phonologique. Une question qui reste largement ouverte est de savoir si
l’acquisition est contrainte par des connaissances a priori de type linguistique.
Nous avons vu plus haut que les inventaires des voyelles et des consonnes ainsi
que les contraintes phonotactiques et les processus phonologiques ne sont pas
complètement arbitraires mais partagent certaines propriétés à travers les
langues. Il est possible que les nourrissons aient des connaissances innées de ces
propriétés. Les quelques données qui sont disponibles aujourd’hui suggèrent
qu’effectivement, les nourrissons exploitent ce genre de connaissances, au
moins pour l’acquisition des consonnes (Maye & Weiss 2003) et des
contraintes phonotactiques (Saffran & Thiessen 2003). Cependant, d’ultérieures
recherches sont nécessaires afin d’élucider plus précisément le rôle des connaissances linguistiques innées lors de l’acquisition phonologique.
14
texte 229
19/03/07
15:17
Page 15
REFERENCES
BOISSON-BARDIES, B. (1996). Comment la parole vient aux enfants. Paris : Odile Jacob.
DARCY, I., RAMUS, F., CHRISTOPHE, A., KINZLER, K. & DUPOUX, E. (à paraître). Languagespecific effects in compensation for phonological variation. In C. Kügler, R. Fery R. Van de Vijver (Eds). Va riation and Change in Phonetics and Phonology.
DUPOUX, E., PALLIER, C., SEBASTIÁN, N., MEHLER, J. (1997) A destressing "deafness" in French?
Journal of Memory and Language, 36, 406-21.
DUPOUX, E., KAKEHI, Y., HIROSE, C., PALLIER, C., MEHLER, J. (1999) Epenthetic vowels in
Japanese : a perceptual illusion ? Journal of Experimental Psychology : Human Perception and
Performance, 25. 1568-1578.
FRIEDERICI, A., WESSELS, J. (1993). Phonotactic knowledge of word boundaries and its use in infant
speech perception. Perception and psychophysics, 54. 287-295.
GOTO, H. (1971). Auditory perception by normal Japanese adults of the sounds ’r’ and ’l’. Neuropsychologia, 9. 317-23.
HALLÉ, P., BEST, C. (à paraître). Dental-to-velar perceptual assimilation : A cross-linguistic study of the
perception of dental stop+/l/ clusters. Journal of the Acoustical Society of America.
JUSCZYK, P. (1999). How infants begin to extract words from fluent speech. Trends in Cognitive
Sciences, 3. 323-328.
JUSCZYK, P., ASLIN, R. (1995). Infants’ detection of sound patterns of words in fluent speech. Cognitive Psychology, 29. 1–23.
JUSCZYK, P., CUTLER, A., REDANTZ, N. (1993). Infants’ preference for the predominant stress
pattern of English words. Child Development, 64. 675-687.
KUHL, P., WILLIAMS, K., LACERDA, F., STEVENS, K., LINDBLOM, B. (1992). Linguistic experience alters phonetic perception in infants by six months of age. Science, 255. 606-608.
LAHIRI, A. MARSLEN-WILSON, W. (1991). The mental representation of lexical form : a phonological
approach to the recognition lexicon. Cognition, 38. 245-94.
MATTOCK, K., BURNHAM, D. (2006). Chinese and English infants’ tone perception : evidence for
perceptual reorganization. Infancy, 10. 241-265.
MAYE, J., WERKER, J., GERKEN, L. (2002). Infant sensitivity to distributional information can affect
phonetic discrimination. Cognition, 82. B101-B111.
MAYE, J.,WEISS, D. (2003). Statistical cues facilitate infants’ discrimination of difficult phonetic
contrasts. In B. Beachley, A. Brown, F. Conlin (Eds). P roceedings of the 27th Annual Boston
University Conference on Language Development (Vol. Volume 2, pp. 508-518). Sommerville,
MA : Cascadilla Press.
PALLIER, C., BOSCH, L., SEBASTIÁN-GALLÉS, N. (1997). A limit on behavioral plasticity in speech
perception. Cognition, 64. B9-B17.
PALLIER, C. DEHAENE, S. POLINE, J.-B., LEBIHAN, D., ARGENTI, A-M., DUPOUX, E., MEHLER, J. (2003). Brain imaging of language plasticity in adopted adults : can a second language
replace the first ? Cerebral Cortex, 13. 155-161.
PEPERKAMP, S., PETTINATO, M., DUPOUX, E. (2003). Allophonic variation and the acquisition of
phoneme categories. In B. Beachley, A. Brown, F. Conlin (Eds), P roceedings of the 27th Annual
Boston University Conference on Language Development (Vol. Volume 2, pp. 650-661).
Sommerville, MA : Cascadilla Press.
POLKA, L., WERKER, J. (1994). Developmental changes in perception of non-native vowel contrasts.
Journal of Experimental Psychology : Human Perception and Performance, 20. 421-435.
TAKAGI, N. (2002). The limits of training Japanese listeners to identify English /r/ and /l/ : Eight case
studies. Journal of the Acoustical Society of America, 111. 2887-2896.
TAKAGI, N., MANN, V. (1995). The limits of extended naturalistic exposure on the perceptual mastery
of English /r/ and /l/ by adult Japanese learners of English. Applied Psycholinguistics, 16.
379-405.
SAFFRAN, J., THIESSEN, E. (2003) Pattern induction by infant language learners. Developmental
Psychology, 39. 484-494.
15
texte 229
19/03/07
15:17
Page 16
VENTUREYRA, V., PALLIER, C., YOO, H.Y. (2004). The loss of first language phonetic perception in
adopted Koreans. Journal of Neurolinguistics, 17. 79-91.
WERKER, J., TEES, R. (1984). Cross language speech perception : Evidence for perceptual reorganization during the first year of life. Infant Behavior and Development, 7. 49-63.
WHITE, K., PEPERKAMP, S., KIRK, C., MORGAN, J. (soumis). Rapid acquisition of phonological
alternations by infants.
16
texte 229
19/03/07
15:17
Page 17
Phonologie : notions complémentaires pour la
pratique orthophonique
Françoise Coquet
Résumé
Dans une approche modulaire du langage, le niveau phonologique constitue un sous-système qui possède une certaine autonomie de fonctionnement et de développement, que l’on
peut décrire isolément et dont on peut définir les différents composants. Le traitement phonologique s’opère sur le versant « Réception » comme sur le versant « Production ». Le
développement phonologique débute dès la vie foetale et se termine vers 6 ans.
Mots clés : linguistique, parole, enfant (de 0 à 6 ans), phonème, syllabe, prosodie.
Phonology : complementary concepts for speech and language practice
Abstract
Within the framework of a modular approach to language, the phonological level represents
a subsystem whose functioning and development are fairly autonomous: they can be described separately and their various components can be defined. Phonological treatment applies
to both “Receptive” and “Productive” levels. Phonological development starts as early as the
foetal period and ends at the age of 6 years.
Key Words : linguistics, speech, child (0 to 6 years), phoneme, syllable, prosody.
Rééducation Orthophonique - N° 229 - mars 2007
17
texte 229
19/03/07
15:17
Page 18
Françoise COQUET
Orthophoniste
163 rue Saint Albin
59500 Douai
Courriel : [email protected]
L
e jeune enfant développe une compétence langagière et des habiletés
spécifiques pour les différents composants du langage dont le composant
phonologique. Il met en place un processus psycholinguistique dans ce
domaine en réception comme en production pendant les premières années de sa
vie.
La dimension phonologique est au cœur des études actuelles qui considèrent que l’enfant est outillé au niveau génétique pour traiter en temps réel des
stimuli, percevoir des propriétés neurocomputationnelles (segmenter un continuum, déceler des variations, percevoir des séquences), catégoriser des stimuli
et détecter des motifs récurrents, ceci malgré la complexité du signal de parole
qu’il reçoit.
L’hypothèse du bootstrapping prosodique (à travers l’intonation) et celle
du bootstrapping phonologique (à travers le rythme, l’accentuation, la phonétique et la phonotactique) permettent d’expliquer comment l’enfant découvre
grâce à l’intonation les limites des phrases et des mots et peut découper
l’énoncé (continuum sonore) en mots ou en paquets grammaticaux qui se prêtent à une analyse ultérieure (Pinker, 1987). Cette hypothèse d’initialisation
phonologique et prosodique du développement du langage souligne l’importance de la dimension phonologique.
♦ Q u e l q u e s d é fi n i t i o n s
Phonolo gie
La phonologie est « la science qui étudie les sons du langage du point de
vue de leur fonction dans le système de communication linguistique (…) »
[Elle] s’organise elle-même en deux champs d’investigation :
- la phonématique [qui] étudie les unités distinctives minimales ou phonèmes en nombre limité dans chaque langue, les traits distinctifs ou traits pertinents qui opposent entre eux les phonèmes d’une même langue, les règles qui
président à l’agencement des phonèmes dans la chaîne parlée ;
- la prosodie [qui] étudie les traits suprasegmentaux, c'est-à-dire les élé-
18
texte 229
19/03/07
15:17
Page 19
ments phoniques qui accompagnent le message et qui ont aussi une fonction
distinctive : l’accent, le ton, l’intonation. 1
Phonétique
La phonétique concerne l’ « étude de la substance physique et physiologique de l’expression linguistique (…) La phonétique articulatoire étudie les
mouvements des organes phonateurs lors de l’émission d’un message, la phonétique acoustique étudie la transmission du message par l’onde sonore et la façon
dont il vient frapper l’oreille de l’auditeur, la phonétique auditive étudie les
modalités de perception du message linguistique ». 1
Phonème
« Le phonème est l’élément minimal, non segmentable, de la représentation phonologique d’un énoncé, dont la nature est déterminée par un ensemble
de traits distinctifs. Chaque langue présente, dans son code, un nombre limité et
restreint de phonèmes qui se combinent successivement le long de la chaîne parlée, pour constituer les signifiants des messages (sur l’axe syntagmatique) et
s’opposent ponctuellement, en différents points de la chaîne parlée, pour distinguer les messages les uns des autres (sur l’axe paradigmatique) (…). [Le phonème] est souvent défini comme l’unité distinctive minimale ». 1
Pour que deux sons soient considérés comme deux phonèmes différents
(cca tégo risation phonémique) il faut qu’il existe au moins une p a i re minimale
de mots (deux mots de sens différents composés de sons comparables et ne différant que par un seul aspect d’un son) pour cette opposition phonologique.
Sylla b e
La syllabe constitue « la structure fondamentale qui est à la base de tout
regroupement de phonèmes dans la chaîne parlée. Cette structure se fonde sur le
contraste de phonèmes appelés traditionnellement voyelles et consonnes. La
structure phonématique de la syllabe est déterminée par un ensemble de règles
qui varient de langue à langue ». 1
La syllabe est décrite habituellement comme suit :
1. Dubois, J., Giacomo, M., Guespin, L., Marcellesi, C., Marcellesi, J.B., Mével, J.P. (édition 1994). Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage. Paris : Larousse.
19
texte 229
19/03/07
15:17
Page 20
Une syllabe doit avoir un noyau obligatoirement ; elle peut n’être composée que d’un noyau ([ou]). Une syllabe ouverte se compose d’une attaque et
d’un noyau [mi], 80% des syllabes en français sont des syllabes ouvertes. Une
syllabe fermée peut avoir une attaque et/ou un coda ([or] – [mar]. Une attaque
ou un coda peuvent être composés de plusieurs éléments et les syllabes sont
alors dites branchantes ([strict] : attaque complexe [str] et coda complexe [ct]).
Toutes les séquences de phonèmes ne sont pas acceptables dans une langue donnée : des c o n t raintes phonotactiques limitent les combinaisons de phonèmes
et de structures syllabiques.
P r osodie
« Chacun des paramètres physiques, spectre, durée, intensité et fréquence
fondamentale peut être utilisé dans une langue donnée au niveau de la caractérisation des unités minimales de type phonème (…) Ces paramètres acoustiques
servent également à caractériser les p h é n o m è n e s p rosodiques ou intonatifs (au
sens large du terme) : jointures et pauses, accentuation, intonation (au sens
étroit du terme, équivalent à mélodie au plan perceptif). La régularité plus ou
moins grande de leur variation sur l’axe temporel permet de définir au niveau
perceptif la notion de rythme. Le nombre d’unités minimales par secondes (phonèmes ou syllabes) permet de parler de débit ou de tempo, général ou local ». 2
Les phonèmes sont concaténés (s’enchaînent, se suivent et s’ordonnent
sur l’axe temporel) au plan phonémique ou seg m e n t a l pour former les morphèmes et s’intègrent dans un niveau supérieur prosodique ou s u p rasegmental.
Sig na l de pa role
La parole est le vecteur de la communication parlée de l’être humain, elle
véhicule un contenu linguistique (sémantique et morphosyntaxique) tout comme
des aspects liés au locuteur. Elle est d’une grande richesse ce qui entraîne une
grande complexité du signal acoustique (plutôt audiovisuel) qui lui correspond.
Le signal de parole a trois propriétés particulières :
- la directionnalité : le signal de parole reçu et produit est assujetti à une
contrainte temporelle, celui de l’ordre des sons ; de plus il a un début,
un milieu et une fin ;
- la continuité : les mots n’ont pas de frontières marquées de même que
les phonèmes qui les composent (les mouvements de coarticulation se
chevauchent sur l’axe temporel) ;
2. Ducrot, O., Schaeffer, J.M. (1995). Nouveau dictionnaire encyclopédique des sciences du langage. Paris :
Seuil.
20
texte 229
19/03/07
15:17
Page 21
- la variabilité : selon les locuteurs (leur sexe, âge, origine…), les timbres
de voix sont différents, la vitesse d’élocution et les intonations également, les effets de coarticulation sont variables selon l’environnement
phonétique.
La voix forme la trame acoustique (sonorités des voyelles) de la parole
qui y ajoute l’articulation des consonnes (avec leurs différents traits phonétiques). La phonétique articulatoire de chaque phonème se double d’une phonétique combinatoire réglant les mécanismes des combinaisons articulatoires, des
assemblages syllabiques et de l’ordonnancement des mots selon les règles phonologiques communautaires. Les éléments prosodiques propres à chaque locuteur (variations tonales, variations intonatives, accentuation, rythme, débit) viennent en complément.
♦ Ap p roc he psyc h o l i n g u i s t i q u e d u t r aitement phonolo gique
P rocessus de traitement phonolo gique
Le traitement phonologique comprend :
- la reconnaissance des phonèmes et l’élaboration d’un code phonologique susceptible d’être mis en relation avec une ou des représentations
sémantiques ; cette analyse prend en compte des traits acoustiques mais
aussi des traits visuels en lien avec les informations fournies par la lecture labiale ;
- la mémoire opérationnelle phonologique avec les représentations des
informations liées aux structures sonores des stimuli (ces représentations sont abstraites puisqu’elles sont communes à la perception comme
à la production, au mot entendu comme au mot vu) et des règles phonologiques de combinaison ;
- le recodage phonologique comme capacité d’extraire de la mémoire à
long terme les codes associés à des sections de mots ou des mots entiers
et à traduire l’information en un système de sons.
Modélisa t i o n
Le modèle présenté ci-après considère la parole au niveau du mot. Les
différentes unités possèdent une certaine autonomie, le fonctionnement de l’une
ou l’autre peut être déficient indépendamment du reste du système mais a des
répercussions sur les niveaux qui se situent en aval.
21
texte 229
19/03/07
15:17
Page 22
Modèle de perception et de production de la parole intégrant la mémoire de
travail phonologique Bachoud-Lévi, A.C., Darcy, Jacquemot, C., Teichman
Rapport d’activité 2001-2005 LSCP Pa ris
♦ P oints de rep è re de développement
Sur le ve r s a n t r é c e ptif
Après 20 semaines de g esta tion, le système auditif du fœtus est assez
développé pour lui permettre de traiter certains sons qui filtrent à travers le
liquide amniotique. Entre 36 et 40 semaines, le foetus distingue [biba] et [babi]
et des phrases comme « le rat poursuit la souris » et « le chat poursuit la souris » (Lecanuet, in Pouthas et coll., 1993). Pendant les 3 derniers mois de la vie
utérine, le fœtus se familiarise avec les caractéristiques de la voix de sa mère et
avec la langue qu’elle parle, ce qui constitue en une première sensibilisation à la
prosodie et à la structure de la parole.
A la naissance on peut parler de « réflexe anthropologique » de l’être
humain par rapport à la voix (Cabrejo-Pana et coll., 2004). Il montre une très
22
texte 229
19/03/07
15:17
Page 23
grande sensibilité aux variations prosodiques de la parole et s’appuie sur elles
pour reconnaître la voix de la mère et les énoncés de la langue maternelle (Fernald et coll., 1987).
Tout au long de la pr emièr e année, l’enfant va organiser des repères
pour résoudre deux problèmes, la segmentation et la catégorisation des unités ;
on dit de lui qu’il est un « génie phonéticien ».
Il est capable de neutraliser les effets du débit de parole pour maintenir
une constance perceptive propre à un traitement phonétique (Eimas et Miller,
1980). Il traite également les variabilités acoustiques de la voix de l’interlocuteur dans la discrimination de deux mots (Jusczyk et coll., 1992) dès 2 à 3
mois.
L’enfant distingue des nuances prosodiques comme les tons ascendants et
descendants, ce qui lui permet de distinguer les frontières des énoncés (à 8
mois), ou comme la longueur respective des syllabes, les accents et les pauses
et leur distribution dans une langue donnée, ce qui lui permet de distinguer la
frontière des mots (à 11 mois). Ces distinctions jouent le rôle de raccourci en
guidant l’attention sur les unités des différents niveaux d’organisation de la
langue. La phonotactique détermine quelles sont les combinaisons de phonèmes
possibles et impossibles pour une langue donnée ainsi que la récurrence de ces
combinaisons. Pour le bébé, plus les suites de sons sont utilisées fréquemment
(régularités distributionnelles), plus elles ont de chance de constituer un mot.
Certaines combinaisons sonores peuvent se trouver soit au sein d’un mot soit à
ses limites, elles sont cependant réalisées acoustiquement d’une façon subtilement différente, c’est ce qui permet de discerner les frontières de mots.
Très précocement sont différenciées les consonnes ne différant que par
un trait (voisé / non voisé, oral / nasal) et les voyelles cardinales (a / i / u). Plus
tardivement sont opposées les consonnes qui diffèrent par plusieurs traits oppositionnels. J usqu’à 8 mois, l’enfant discrimine des contrastes phonémiques
qu’ils appartiennent ou pas à sa langue maternelle. Selon la langue à laquelle il
est exposé, cette capacité va diminuer rapidement à p a r tir de 8 à 10 mois pour
se spécifier et se réorganiser sur les phonèmes de la langue maternelle.
A la f in de la pr emièr e année, une réorganisation fonctionnelle s’opère,
les processus de perception vont jouer un autre rôle ; d’abord destinés à la perception des sons de parole, ils vont s’axer sur l’apprentissage des mots et leurs
mises en relations avec ce qu’ils nomment (processus de référence).
S u r l e v e r s a n t p ro d u c t i o n
« A la naissance, la parole n’est qu’un potentiel » (Lacert, 2005).
La parole utilise le tractus vocal. A la naissance celui-ci est quasi horizontal en courbe douce de la base de langue au pharynx, ce qui ne permet pas,
23
texte 229
19/03/07
15:17
Page 24
faute de résonateurs, l’émission de parole. D u r ant les 6 pr emier s mois le
conduit aérien bucco-pharyngo-laryngé se remodèle par allongement progressif
du pharynx ce qui a pour effet d’éloigner le voile du palais de l’épiglotte ; il se
verticalise par rapport au larynx, ce qui va rendre possible l’émission de sons de
parole. La maîtrise du flux expiratoire, la coordination ventilatoire, le contrôle
moteur des articulateurs va prendre plusieurs années. Le contrôle fin des dernières réalisations consonantiques (les consonnes [ch] et [j]) n’est maîtrisé que
vers 6 ans.
« L’ontogenèse de la parole est caractérisée par une évolution anatomique, des analyses de l’entendu et des exercices de contrôle moteur » (Lacert,
2005).
De 0 à 2 mois, les premières productions sont de nature réflexe et constituées de bruits végétatifs (toux, raclements, pleurs …) ou de l’ordre de cris qui
se diversifient progressivement.
L’enfant met en place e n t r e 3 et 6 mois la boucle audiophonatoire : il
produit des gazouillis (jasis, lallations, roucoulements, bilabiales roulées, claquements de langue et de lèvres, premiers sons vocaliques), résultats d’une activité sensori-motrice d’exploration des capacités de l’appareil phonatoire ; il fait
varier l’intensité sonore, la durée, la hauteur et la trame prosodique de ses productions vocales (Kail et Fayol, 2000).
A par tir de 6 mois, l’enfant babille. Selon Oller (1986), « le babil se
caractérise par la production de syllabes conformes aux langues naturelles » ;
celui-ci s’enrichit, se précise et s’alimente des réponses et sollicitations de la
mère. L’enfant produit des syllabes composées d’une voyelle neutre et d’une
consonne antérieure occlusive (babillage canonique) ; les syllabes sont le plus
souvent répétées : [mamamaa] [badada], (babillage redupliqué qui « refléterait
la formation de cadres dans lesquels les différents segments phonétiques
seraient insérés au fur et à mesure » (Boisson Bardies, 1996).
Ve r s 9 ou 10 mois, l’enfant passe au babillage diversifié où les séquences
de syllabes comprennent des changements de consonnes ou de voyelles dans
une même séquence ([atita]), introduisent des sons constrictifs et d’autres
voyelles. Les séquences de babillage sont plus longues avec des intonations
mélodiques de phrases. Ce n’est qu’entre 11 et 13 mois que « la totalité des
productions de l’enfant ne reflète que l’ensemble des phonèmes de la langue à
laquelle [l’enfant] est exposé » (Rondal et Séron, 1999).
« [L’enfant] choisit et privilégie certaines routines de production qui lui
serviront quand il s’agira de programmer des mots » (Boisson Bardies, 1996) ;
les patterns sonores de babillage prennent la forme de ceux de la langue apprise.
A la fin de la première année, coexistent des productions de type babillage et les
24
texte 229
19/03/07
15:17
Page 25
premiers mots : les substitutions et omissions sont identiques dans le babillage
et les premiers mots (Oller et coll., 1976) ; le lieu, le mode d’articulation des
consonnes, le nombre de syllabes et les préférences sonores sont identiques
(Blake et coll., 1992).
Ve r s 13 mois, l’enfant produit en situation une suite de sons (souvent bi
syllabique) avec des caractéristiques prosodiques (allongement de la dernière
syllabe) et mélodique (intonation montante ou descendante) qui est interprétée
par l’adulte comme un mot.
Ve r s 18 mois, l’enfant a conquis un certain contrôle du système articulatoire (il commence à maîtriser le paradigme consonantique), et a mis en place
des représentations phonologiques correspondant à des patterns de mots.
« L’évolution dans la production des phonèmes semble suivre la logique de la
complexité acoustique et articulatoire, allant des phonèmes les plus contrastés
aux moins contrastés. Cependant le développement phonologique est aussi fortement influencé par l’environnement – fréquence de certains mots dans la
langue parlée dans l’entourage de l’enfant – et par la structure phonologique de
la langue en cours d’acquisition ». 2
J usqu’à l’âg e de 3 ou 4 ans, les enfants privilégient la communication à
l’aspect formel de la réalisation phonologique et utilisent des processus de simplification pour contourner ou dépasser certaines difficultés articulatoires. Pour
Boysson Bardies (1996), les enfants semblent être sélectifs dans leurs essais de
production de mots en choisissant ceux qui contiennent les phonèmes les plus
simples à prononcer. Les mots sont produits avec des processus de simplifications : substitutions de sons - [tini] pour [fini] -, assimilations de sons - [touto]
ou [kouko] pour [couteau] -, élisions de sons ou ajouts - [ab] pour [arbre],
[lavalbo] pour [lavabo] -, déplacements de sons [prot] pour [porte] ou de syllabes - [masaguin] pour [magasin].
Ve r s 4 / 5 ans, le système phonologique est stabilisé, la différenciation
des phonèmes est achevée.
REFERENCES
BACHOUD-LÉVI, A.C., DARCY, JACQUEMOT, C., TEICHMAN , (2005). Rapport d’activité 20012005. Paris : Laboratoire de Sciences Cognitives et Psycholinguistique (LSCP).
BLAKE, BOISSON-BARDIES, B. (1992). Patterns in babbling. Across linguistic Study. Journal of Child
Language, 19. 51-74.
BOYSSON BARDIES, B. (1999). Comment la parole vient aux enfants. Paris : Odile Jacob.
25
texte 229
19/03/07
15:17
Page 26
CABRÉJO-PARRA, E., SADEK-KALLIL, D., CHALUMEAU, P., DIATKINE, R. (2004). Du jasis à la
parole : acquisition du langage. Actes du Colloque du 6 mars 2004, Centre Alfred Binet.
Montreuil : Éditions du Papyrus.
COLE, R.A., STERN, R.M., LASRY, M.J. (1986). Performing fine phonetic distinctions : Template versus
Features. Inva riance and Va riability in Speech Processes. Hillsdale, NJ, Erbaum,
DUBOIS, J., GIACOMO, M., GUESPIN, L., MARCELLESI, C., MARCELLESI, J.B., MÉVEL, J.P.
(édition 1994). Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage. Paris : Larousse.
DUCROT, O., SCHAEFFER, J.M. (1995). Nouveau dictionnaire encyclopédique des sciences du langage.
Pa ris : Seuil.
ELMAS, P.D., MILLER, J.L. (1980). Contextual effects in infant speech perception. Science, 209. 11401141.
FERNALD, A., KUHL, P. (1987). Acoustic determinants of infant preference for motherese speech. Infant
behaviour and Development. 10. 279-293.
JUSCZIC, P.W., PISONI, D.B., MULLENIX, J. (1992). Some consequence of stimulus variability on
speech processing by two-month-old infants. Cognition, 43. 253-291.
JUSCZIK, P.W. (1997). The discovery of spoken language. Cambridge : MIT Press.
JUSCZIK, P.W. (1998). Dividing and conquering linguistic input. Chicago Linguistic Society, 34 : The
Panels. 293-310
KAIL, M., FAYOL, M. (2000). L’acquisition du langage : Le langage en émergence de la naissance
à 3 ans. Paris : PUF.
LACERT, P. (2005). Parole : approche ontogénétique. Entretiens d’Orthophonie. Paris ESP.
POUTHAS, V., JOUEN, F. (Eds). (1993). Les comportements du bébé : expression de savoir ? Bruxelles :
Mardaga.
MELHER, J., DOMMERGUES, U., FRAUENFELDER, U., SEGUI, J. (1981). The syllabe’s role in
speech segmentation. Journal of Verbal Learning and Verbal Behaviour, 20. 298-305.
OLLER, D.K., WIEMAN, L.A., DOYLE, W.J., ROSS, C. (1976). Infant babbling and speech. Journal of
Child Language, 5. 1-11.
OLLER, D.K. (1986). Metaphonoloy and infant vocalizations. In B. LINDBLOOM, R., ZETTERSTROM
(Eds). P recursors of early speech. Basingstoke : Wenner-Gren.
PINKER, S. (1987). The boostrapping problem in language acquistion. In B. MACWHINNEY (Ed).
Mechanisms of language acquisition. Hillsdale, Laurence Erlbaum Associates.
PLAUT, D.C., KELLO, C.T. (1999). The emergence of phonology from the interplay of speech comprehension and production : a distributed approach. In B. MACWHINEY (Ed), The emergence of
language (pp. 381-417). Londres : Lauwrence Erlbaum.
RONDAL J.A., SÉRON, X. (1999). Troubles du langage. Bases théoriques, diagnostic et rééducation.
Bruxelles : Mardaga.
TROUBETZKOY, N.S. (1939). Grundzüge der Phonologie. Prague. Traduction française : P rincipes de
phonologie. (1949). Paris
26
texte 229
19/03/07
15:17
Page 27
Initialiser l’acquisition du lexique et de la syntaxe
Séverine Millotte, Savita Bernal, Anne Christophe
Résumé
Dans le domaine de l’acquisition du langage, on appelle problème d’initialisation une situation où des connaissances d’un domaine (par exemple, la syntaxe) sont nécessaires pour
acquérir des connaissances dans un autre domaine (par exemple, le sens des mots). L’hypothèse d’initialisation phonologique repose sur l’idée que les nourrissons pourraient démarrer
leur acquisition du langage en exploitant de l’information qui peut être obtenue grâce à une
analyse de surface du signal acoustique (sans avoir besoin de présupposer une connaissance a priori de la langue maternelle, voir Morgan, 1996). Dans ce chapitre, nous examinons le rôle de la prosodie des phrases (l’intonation et la mélodie des phrases), et des mots
grammaticaux (les articles, pronoms, auxiliaires, etc.) lors de l’acquisition précoce du
lexique et de la syntaxe.
Nous présentons brièvement des résultats expérimentaux qui montrent que les groupes
phonologiques, des unités d’intonation de taille intermédiaire, sont utilisés par des adultes
pour contraindre l’analyse syntaxique. De plus, des enfants de 2 ans peuvent exploiter les
mots grammaticaux pour inférer la catégorie syntaxique (nom vs verbe) de mots nouveaux,
et ainsi deviner leur sens probable (objet vs action). Nous terminons en spéculant sur la
manière dont les enfants pourraient construire une structure syntaxique partielle en intégrant les informations d’intonation et de mots grammaticaux, et présentons une étude
adulte qui teste la plausibilité de cette hypothèse.
Mots clés : acquisition du langage, nourrissons, phonologie prosodique, mots grammaticaux.
Rééducation Orthophonique - N° 229 - mars 2007
27
texte 229
19/03/07
15:17
Page 28
Initialization of the acquisition of lexical and syntactic skills
Abstract
In the area of language acquisition, problems of initialization refer to a situation where
knowledge from one field (syntax for instance) is needed for the acquisition of knowledge in
another field (for example the meaning of words). The hypothesis of phonological initialization is based on the notion that newborn babies may start acquiring language by taking
advantage of information which may be obtained through the surface analysis of an acoustic
signal (without having to presuppose an a priori knowledge of one’s maternal language, see
Morgan, 1996). In this article, we examine the role of sentence prosody (the intonation and
rhythm of sentences), and of grammatical words (articles, pronouns, auxiliaries, etc.) during
the early acquisition of lexical and syntactic skills.
We briefly present experimental results showing that phonological groups, units of intonation of intermediary size, are used by adults to force syntactic analysis. Moreover, 2 year-old
children are able to use grammatical words to infer the syntactic category (noun vs verb) of
new words, and therefore to guess their probable meaning (object vs action). We will finally
hypothesize on how children may build a partial syntactic structure through the integration
of information concerning intonation and grammatical words. We present an adult study
which tests the plausibility of this hypothesis.
Key Words : language acquisition, newborn babies, prosodical phonology, grammatical
words.
28
texte 229
19/03/07
15:17
Page 29
Séverine MILLOTTE
Savita BERNAL
Anne CHRISTOPHE
LSCP, ENS
46 rue d’Ulm
75005 Paris
Courriel : [email protected]
L
es enfants qui apprennent leur langue maternelle font face à une tâche
difficile : ils doivent acquérir la phonologie de cette langue, construire
leur lexique, et découvrir les règles syntaxiques qui agencent les mots
dans les phrases. L’apprentissage de chacune de ses composantes pourrait être
facilité si l’on supposait des connaissances préalables au niveau des autres composantes : par exemple, puisque la syntaxe définit les relations entre les mots
dans les phrases, il semble logique de supposer que les enfants devraient avoir
accès aux mots et à leur signification pour pouvoir apprendre la syntaxe de leur
langue maternelle. Réciproquement, découvrir le sens des mots pourrait être
facilité si les enfants avaient accès à certains aspects de la structure syntaxique
des phrases (Gillette, Gleitman, Gleitman, & Lederer, 1999 ; Gleitman, 1990).
Ces circularités, ou problèmes d’initialisa tion, pourraient être en partie résolus
si les enfants pouvaient apprendre certains aspects de la structure de leur langue
maternelle grâce à une analyse de bas niveau du signal de parole auquel ils sont
exposés (hypothèse d’initialisation phonologique, Morgan & Demuth, 1996).
Dans ce chapitre, nous allons nous centrer sur le début de l’acquisition du
langage, et plus spécifiquement sur l’acquisition de la syntaxe et du lexique
{Christophe, sous presse #1600}. Nous examinerons plus particulièrement le
rôle de deux sources d’information qui sont directement accessibles dans le
signal de parole et auxquelles les enfants ont très rapidement accès : la prosodie
des phrases et les mots grammaticaux.
La prosodie peut être définie comme le rythme et la mélodie des phrases.
L’hypothèse d’initialisation prosodique postule que les enfants pourraient utiliser les caractéristiques prosodiques des phrases pour apprendre certains aspects
de leur langue maternelle, et en particulier sa syntaxe (Christophe, Guasti,
Nespor, & van Ooyen, 2003 ; Gleitman & Wanner, 1982 ; Morgan, 1986).
29
texte 229
19/03/07
15:17
Page 30
Figure 1 : Modèle d’acquisition par le nourrisson et du traitement par
le locuteur adulte (premières étapes de la compréhension du langage ;
figure adaptée de Christophe, Millotte, Bernal & Lidz, sous presse).
Nous nous sommes intéressés à des unités prosodiques de taille intermédiaire,
les groupes phonologiques : ce sont des unités qui dépendent fortement de la
structure syntaxique des phrases, et qui contiennent typiquement un ou deux
mots de contenu, plus les mots grammaticaux qui leur sont associés (Nespor &
Vogel, 1986). Les groupes phonologiques sont typiquement marqués par un
allongement final et un renforcement du phonème initial ; on trouve généralement un seul contour intonatif par groupe phonologique, avec une discontinuité
possible de la courbe de fréquence fondamentale à la frontière entre deux unités
(voir Shattuck-Hufnagel & Turk, 1996, pour une revue détaillée).
La seconde source d’informations concerne les mots grammaticaux,
c’est-à-dire les articles, pronoms, auxiliaires… Les enfants pourraient les
découvrir relativement aisément dans le signal de parole, car ce sont des syllabes extrêmement fréquentes qui apparaissent généralement en bordure d’unités prosodiques. Ces mots grammaticaux ont aussi des caractéristiques acoustiques, phonologiques et statistiques qui pourraient être utilisées par les enfants
pour les extraire des phrases et les différencier des mots de contenu (Shi, Morgan, & Allopenna, 1998).
30
texte 229
19/03/07
15:17
Page 31
Ces deux sources d’informations peuvent être intégrées dans un modèle
d’acquisition du langage : la première caractéristique importante de ce modèle
est que les enfants pourraient construire, à partir du signal acoustique, une
représentation prélexicale (sous forme de syllabes par exemple) segmentée en
unités prosodiques {Christophe, 2004 #99 ; Gout, 2004 #1240}. Les frontières
prosodiques pourraient être directement utilisées pour guider l’analyse syntaxique des phrases (nous aborderons cette question dans la première partie de
ce chapitre). Dans cette représentation prélexicale, les syllabes les plus fréquentes situées aux bords des unités prosodiques pourraient être extraites du
signal et intégrées dans un lexique des mots grammaticaux. Ce lexique spécial
pourrait lui aussi informer le traitement syntaxique des phrases (ce que nous
verrons dans la deuxième partie de ce chapitre).
Notre h y p o t h è s e d e rec h e rch e sur l’acquisition de la syntaxe est que
les enfants pourraient construire une première ébauche de la structure syntaxique des phrases qu’ils entendent en utilisant à la fois les indices prosodiques et les mots grammaticaux : les frontières prosodiques seraient utilisées
pour placer les frontières des constituants syntaxiques, tandis que les mots
grammaticaux permettraient d’identifier la nature de ces unités syntaxiques. Si
l’on prend par exemple la phrase « le petit garçon a mangé une pomme »,
l’enfant pourrait élaborer une représentation syntaxique initiale de forme « [le
xxx]GN [a xx]GV [une x]GN, dans laquelle les frontières syntaxiques seraient
données par la prosodie et où la nature des unités syntaxiques (groupe nominal, groupe verbal) serait donnée par les mots grammaticaux situés au début
des unités prosodiques. Cette structure syntaxique initiale pourrait être
construite même sans connaître les mots de contenu qui composent la phrase
(dans notre exemple, les mots sont simplement représentés sous forme de syllabes, représentées par des x). Cette hypothèse sera développée dans la troisième partie de ce chapitre.
♦ L a p r o s o d i e d e s p h r a s e s c o n t r a i n t l ’ a n a l y s e s y n t a x i q u e d e s p h r ases
Les frontières de groupes phonologiques correspondent typiquement à
des frontières de constituants syntaxiques ; il semble donc logique de supposer
qu’elles pourraient être utilisées (par les enfants, mais aussi par les adultes) pour
contraindre l’analyse syntaxique des phrases. Pour tester cette hypothèse, nous
avons créé des phrases françaises temporairement ambiguës, en utilisant des
homophones qui appartenaient à des catégories syntaxiques différentes, comme
dans :
Phrase Adjectif : « [le petit chien mor t] [sera enterré] [demain]… »
Phrase Verbe : « [le petit chien] [mor d la laisse] [qui le retient]… »
31
texte 229
19/03/07
15:17
Page 32
Ces paires de phrases ont d’abord été enregistrées par une locutrice
experte qui essayait de marquer clairement les frontières de groupes phonologiques, puis par des locuteurs naïfs qui n’étaient pas conscients du problème
d’ambiguïté testé. Ces phrases ont ensuite été coupées à la fin du mot ambigu, et
présentées à des adultes français dans une tâche de complétion de phrases (les
sujets entendaient le début des phrases et devaient les compléter à l’écrit). Les
résultats sont indiqués dans la figure suivante :
Figure 2 : résultats d’une tâche de complétion dans laquelle les participants
écoutaient le début de phrases ambiguës, coupées juste après la fin du mot
ambigu. Les sujets ont donné plus d’interprétations adjectif lorsqu’ils écoutaient le début d’une phrase adjective, et plus de réponses verbes pour les
phrases verbes. Les mêmes résultats sont obtenus lorsque les phrases ambiguës
ont été produites par des locuteurs naïfs (barres de droite ; figure adaptée de
Millotte et al., en révision).
Nous avons observé que les participants arrivaient à distinguer le début
de ces paires de phrases qui ne se différenciaient pourtant que par leurs structures prosodique et syntaxique : avant d’avoir accès à l’information lexicale
désambiguïsante, ils ont donné significativement plus de réponses adjectif aux
phrases adjectif qu’aux phrases verbe, et vice-versa pour les réponses verbe. Ce
résultat a été mis en évidence que les locuteurs soient experts et conscients du
32
texte 229
19/03/07
15:17
Page 33
problème d’ambiguïté (partie gauche du graphique) ou complètement naïfs (partie droite du graphique). Ces résultats ont aussi été répliqués dans une tâche de
détection de mot mesurant le traitement syntaxique fait en temps réel (Millotte,
René, Wales, & Christophe, en révision). Ces expériences montrent donc que les
frontières de groupes phonologiques sont produites spontanément, sont interprétées comme des frontières syntaxiques et utilisées pour guider l’analyse syntaxique des phrases.
♦ L e s m o t s g r a m m a t i c a u x i n fo r m e n t s u r l a c a t é g o r i e s y n t a x i q u e d e s
mots suiva n t s
Dans notre modèle d’acquisition syntaxique, la première étape consiste à
identifier les frontières prosodiques et à les interpréter comme des frontières
syntaxiques (hypothèse qui est parfaitement plausible au vu des résultats adultes
obtenus dans les expériences précédentes). Les enfants doivent ensuite trouver
la nature syntaxique de ces unités : pour ce faire, nous faisons l’hypothèse que
les enfants peuvent utiliser la présence et la nature des mots grammaticaux, et
inférer par exemple qu’une unité commençant par un article est un groupe
nominal. Ceci suppose que les enfants doivent avoir identifié une liste des mots
grammaticaux de leur langue (hypothèse soutenue par les résultats de différentes études, telles que Hallé, Durand, & de Boysson-Bardies, submitted ;
Shady, 1996 ; Shafer, Shucard, Shucard, & Gerken, 1998 ; Shi, 2005) ; mais
les enfants doivent aussi avoir appris la corrélation existant entre telle catégorie
de mots grammaticaux et telle catégorie syntaxique (par exemple entre un
article et un nom, et entre un pronom et un verbe). Pour tester cette hypothèse,
nous avons exploité le fait que les noms tendent à représenter des objets, alors
que les verbes tendent à représenter des actions. Nous avons utilisé une tâche
d’apprentissage de nouveaux mots auprès d’enfants de 23 mois : on leur présentait des vidéos mettant en scène un objet (par exemple, une pomme) qui réalisait une action (par exemple, tourner sur soi). Face à cette vidéo, les enfants de
la condition Verbe apprenaient un verbe nouveau en entendant des phrases telles
que « Rega rde, elle dase ! ». Pour tester leur compréhension, on présentait
ensuite aux enfants deux images de l’objet familier (la pomme), une avec l’action présentée en familiarisation (tourner sur soi), l’autre avec une action nouvelle (rebondir). Les enfants devaient pointer vers une image après avoir
entendu la consigne « Montre-moi celle qui dase ! ».
Les résultats indiqués dans la figure 3 montrent que les enfants de 23
mois qui ont appris un nouveau verbe dans la phase de familiarisation, pointent
ensuite plus souvent vers l’image de l’action familière que vers l’image de l’action nouvelle. Pour être sûr que ce comportement reflétait bien une analyse syn-
33
texte 229
19/03/07
15:17
Page 34
taxique des phrases (c’est-à-dire l’utilisation d’un pronom pour inférer que le
mot suivant est un verbe et se rapporte à une action) plutôt qu’une tendance à
choisir l’image familière, nous avons familiarisé un autre groupe d’enfants avec
un nom nouveau (face aux mêmes vidéos) en lui faisant entendre « Rega rde la
dase ! ». Les enfants de la condition Nom entendaient ensuite la consigne
« Montre-moi la dase ! », c’est-à-dire une question idiote puisque les deux
objets présentés en test étaient identiques (même s’ils faisaient une action différente). Dans cette situation, contrairement aux enfants de la condition Verbe, les
enfants ont pointé significativement plus souvent vers l’objet réalisant la nouvelle action (reflétant un effet classique de préférence pour la nouveauté).
Figure 3 : résultats d’une expérience d’apprentissage de mot nouveau avec 32
nourrissons français de 23 mois. Les nourrissons qui ont appris un nouveau
verbe pointent significativement plus souvent vers l’action familière, tandis que
ceux qui ont appris un mot nouveau pointent significativement plus vers l’action
nouvelle (préférence classique pour la nouveauté, en l’absence de contrainte
linguistique ; figure adaptée de Bernal, Lidz, Millotte & Christophe, soumis).
Ces résultats montrent que les enfants français de 23 mois sont donc
capables d’utiliser les mots grammaticaux pour réaliser une analyse syntaxique
de phrases courtes et pour inférer la catégorie syntaxique de mots de contenu
inconnus, ainsi que leur possible signification (objet versus action).
34
texte 229
19/03/07
15:17
Page 35
♦ C o n s t r u i re u n e p re m i è re é b a u c h e d e l a s t r u c t u re s y n t a x i q u e d e s
p h rases avec les indices prosodiques et les mots g r a m m a ticaux
Notre hypothèse de recherche est que les enfants pourraient utiliser
conjointement les mots grammaticaux et les indices prosodiques pour élaborer
une première représentation syntaxique des phrases qu’ils entendent. Pour tester
la plausibilité de cette hypothèse, nous avons réalisé une expérience avec des
adultes français devant analyser syntaxiquement des phrases présentées en
« jabberwocky », dans lesquelles tous les mots de contenu sont remplacés par
des non-mots alors que sont préservés les mots grammaticaux et les informations prosodiques. Les participants devaient identifier la catégorie syntaxique
(nom ou verbe) de certains mots cibles. Nous avons utilisé deux conditions
expérimentales : une dans laquelle le mot cible est immédiatement précédé par
un mot grammatical (noms précédés par un article, verbes précédés par un pronom), et une autre dans laquelle les mots cibles n’étaient pas directement précédés par un mot grammatical, et où une analyse plus complexe mettant en jeu les
informations prosodiques et les mots grammaticaux était nécessaire pour réaliser la tâche. Des exemples de phrases expérimentales sont indiqués ci-dessous
(« bamoule » est le mot cible ; une traduction française possible pour chaque
phrase en jabberwocky est indiquée) :
Condition « mot grammatical adjacent »
Cible Nom : « [une bamoule] [dri se froliter] [dagou] »
(« une expo doit se dérouler demain »)
Cible Verbe : « [tu bamoules] [saman ti] [à mon ada] »
(« tu travailles souvent trop à mon avis »)
Condition « mot grammatical et prosodie »
Cible Nom : « [une cramona bamoule] [camiche dabou]
(« une formidable expo commence demain »)
Cible Verbe : « [une cramona] [bamoule muche] [le mirtou] »
(« une étudiante travaille mieux le matin »)
Des adultes français devaient réaliser une tâche de détection de mot abstrait (cible définie avec sa catégorie syntaxique, comme par exemple détecter
« bamouler » pour le verbe et « une bamoule » pour le nom). A chaque fois
que les participants devaient détecter une cible verbe, ils devaient alors répondre
aux phrases contenant cette cible verbe, et se retenir de répondre pour les
phrases contenant la cible nom (et vice-versa pour la détection d’un nom).
Les résultats présentés dans la figure 4 indiquent que les participants ont
été parfaitement capables d’utiliser la présence d’un mot grammatical pour inférer la catégorie syntaxique du non-mot suivant (condition « mot grammatical
35
texte 229
19/03/07
15:17
Page 36
adjacent ») : dans 90% des cas, un non-mot précédé d’un article a été interprété comme un nom, alors qu’il a été considéré comme un verbe quand il était
précédé par un pronom. L’utilisation conjointe des mots grammaticaux et des
indices prosodiques a également été informative (condition « mot grammatical
+ prosodie ») : quand une frontière de groupe phonologique était placée avant
le non-mot cible (phrases verbe), les participants ont donné 90% de réponses
verbe (ils ont répondu au hasard pour les phrases nom dans lesquelles le nonmot cible n’était pas précédé par une frontière prosodique).
Figure 4 : Résultats d’une tâche de détection de mots abstraits avec des
phrases en jabberwocky : les sujets ont correctement identifié la catégorie syntaxique d’un mot de contenu inconnu qui était immédiatement précédé par un
mot grammatical ; au contraire, lorsqu’il y avait un autre mot de contenu entre
le mot grammatical et le mot-cible, les sujets avaient d’excellentes performances pour les phrases verbes, lorsque le mot-cible était immédiatement précédé par une frontière de groupe phonologique, mais pas pour les phrases nom
(figure adaptée de Millotte, Wales, Dupoux, & Christophe, 2006).
Dans cette expérience, les mots grammaticaux et les frontières de groupe
phonologique ont permis aux auditeurs de construire une ébauche de la structure
syntaxique des phrases qu’ils entendaient, même en l’absence d’informations
sur le sens des mots qu’elles contenaient. Pour interpréter correctement les
phrases verbe comme « [une cramona] [bamoule…] », les participants ont uti-
36
texte 229
19/03/07
15:17
Page 37
lisé les frontières de groupes phonologiques pour délimiter les constituants syntaxiques ; ils ont ensuite utilisé la présence du mot grammatical « une » pour
inférer que le premier constituant était un groupe nominal ; le plus logique était
que ce groupe nominal soit suivi par un groupe verbal, d’où une interprétation
massive du non-mot cible « bamoule » comme un verbe.
♦ C o n c lusion
Pour résumer les données présentées dans ce chapitre, nous avons proposé que les enfants pouvaient commencer à acquérir la syntaxe de leur langue
maternelle en centrant leur attention sur deux sources d’informations qui peuvent être disponibles très précocement, même sans avoir encore beaucoup de
connaissances sur sa langue maternelle : la prosodie des phrases et les mots
grammaticaux. Nous avons montré que les adultes pouvaient exploiter la présence des frontières de groupes phonologiques pour contraindre en temps réel
leur analyse syntaxique des phrases (Millotte et al, en révision). Ces résultats
supportent l’hypothèse que les auditeurs calculent une représentation prélexicale
segmentée en unités prosodiques, et qu’ils utilisent cette représentation pour
l’analyse syntaxique des phrases.
Concernant les mots grammaticaux, plusieurs études ont montré que les
jeunes enfants avaient des connaissances sur les mots grammaticaux de leur
langue maternelle à la fin de leur première année de vie (Hallé et al., submitted ;
Shady, 1996 ; Shafer et al., 1998 ; Shi, 2005), et nous avons montré qu’ils pouvaient les utiliser pour inférer la catégorie syntaxique des mots suivants dans
leur deuxième année de vie (Bernal, Lidz, Millotte, & Christophe, submitted ;
voir aussi Höhle, Weissenborn, Kiefer, Schulz, & Schmitz, 2004).
Finalement, nous avons proposé que les auditeurs (adultes comme
enfants) pouvaient construire une première ébauche de la structure syntaxique
des phrases qu’ils entendent en considérant conjointement les informations
apportées par ces deux indices : les frontières prosodiques donneraient l’emplacement des frontières syntaxiques, et les mots grammaticaux permettraient de
trouver la nature de ces unités syntaxiques. Cette hypothèse est défendue par les
résultats obtenus dans notre dernière expérience.
Les enfants de 18 mois semblent être dans une situation similaire à celle
qu’ont vécue les participants de notre expérience en jabberwocky : ils ont accès
aux mots grammaticaux de leur langue maternelle, et sont sensibles aux indices
prosodiques de groupes phonologiques. Ils devraient dont être capables de réaliser une analyse syntaxique des phrases similaire à celle qu’ont réalisée les
adultes. Bien entendu, cette hypothèse doit maintenant être démontrée expérimentalement, directement auprès de jeunes enfants.
37
texte 229
19/03/07
15:17
Page 38
REFERENCES
BERNAL, S., LIDZ, J., MILLOTTE, S., CHRISTOPHE, A. (submitted). Syntax constrains the acquisition
of verb meaning.
CHRISTOPHE, A., GUASTI, M. T., NESPOR, M., VAN OOYEN, B. (2003). Prosodic structure and syntactic acquisition : the case of the head-complement parameter. Developmental Science, 213-222.
GILLETTE, J., GLEITMAN, H., GLEITMAN, L., LEDERER, A. (1999). Human simulations of vocabulary learning. Cognition, 73. 165-176.
GLEITMAN, L. (1990). The structural sources of verb meanings. Language Acquisition, 1. 3-55.
GLEITMAN, L., WANNER, E. (1982). The state of the state of the art. In E. WANNER, L. GLEITMAN
(Eds.), Language acquisition : The state of the art (pp. 3-48). Cambridge UK : Cambridge University Press.
HALLÉ, P., DURAND, C., DE BOYSSON-BARDIES, B. (submitted). Do 11-month-old French infants
process articles ? Language and Speech.
HÖHLE, B., WEISSENBORN, J., KIEFER, D., SCHULZ, A., SCHMITZ, M. (2004). Functional elements in infants' speech processing : The role of determiners in the syntactic categorization of
lexical elements. Infancy, 5. 341-353.
MILLOTTE, S., RENÉ, A., WALES, R., CHRISTOPHE, A. (in revision). Phonological phrase boundaries constrain on-line syntactic analysis.
MILLOTTE, S., WALES, R., DUPOUX, E., CHRISTOPHE, A. (2006). The role of prosodic cues and
function words in syntactic processing and acquisition. Paper presented at the Infant Conference
on Infant Studies, Kyoto (Japon).
MORGAN, J. L. (1986). From simple input to complex grammar. Cambridge Mass : MIT Press.
MORGAN, J. L., DEMUTH, K. (1996). Signal to Syntax : an overview. In J. L. MORGAN, K. DEMUTH
(Eds.), Signal to Syntax : Bootstrapping from speech to grammar in early acquisition (pp. 1-22).
Mahwah, NJ : Lawrence Erlbaum Associates.
NESPOR, M., VOGEL, I. (1986). P rosodic Phonology. Dordrecht : Foris.
SHADY, M. (1996). Infant's sensitivity to function morphemes. Unpublished PhD Thesis, State University
of New York, Buffalo.
SHAFER, V. L., SHUCARD, D. W., SHUCARD, J. L., GERKEN, L. (1998). An electrophysiological
study of infants' sensitivity to the sound patterns of English speech. Journal of Speech, Language
and Hearing Research, 41. 874-886.
SHATTUCK-HUFNAGEL, S., TURK, A. E. (1996). A prosody tutorial for investigators of auditory sentence processing. Journal of Psycholinguistic Research, 25. 193-247.
SHI, R. (2005). Perception of function words in preverbal infants. Paper presented at the 10th International Congress for the Study of Child Language, Berlin, Germany.
SHI, R., MORGAN, J. L., ALLOPENNA, P. (1998). Phonological and acoustic bases for earliest grammatical category assignment : a cross-linguistic perspective. Journal of Child Language, 25. 169-201.
38
texte 229
19/03/07
15:17
Page 39
Rôle de la syllabe dans la production de la
parole : évidences psycholinguistiques et neurolinguistiques
Marina Laganaro
Résumé
Si la syllabe est une unité phonologique reconnue depuis longtemps, plusieurs aspects
concernant sa représentation psychologique sont encore controversés. Une première question est de savoir si les syllabes sont représentées et accédées comme des unités à partir
d'un stock mental ou si elles sont générées « en ligne » par des processus phonologiques.
La deuxième question, reliée à la première, concerne le niveau dans le processus de production (phonologique ou phonétique) pendant lequel les informations syllabiques sont
accédées ou générées. En strict lien avec ces questions théoriques on peut se demander en
pathologie acquise du langage quelles informations associées à la syllabe sont pertinentes
dans la production d’erreurs phonologiques et phonétiques et dans quel type de tableau
aphasique. Nous présenterons les diverses positions sur la représentation des syllabes dans
la perspective psycholinguistique et illustrerons ces positions ainsi que des controverses à
l'aide des études neurolinguistiques.
Mots clés : production du langage, syllabe, fréquence, aphasie, anarthrie.
Role of the syllable in speech production : psycholinguistic and
neurolinguistic evidence
Abstract
Although the syllable has long bee recognized as a phonological unit, several aspects of its
psychological representation are still subject to controversy. One issue is to determine whether one’s representations of, and access to, syllables are derived as units from a mental
stock, or whether they are generated “online” through phonological processes. The second
issue, which is linked to the first, deals with the level in the process of production (phonological or phonetic), during which syllabic information is accessed or generated. In close association with these theoretical issues, one can ask the question, in the field of language
pathology, of which syllable-linked information is relevant in the production of phonological
and phonetic errors and in which type of aphasic profile. We will present various points of
view on syllable representation from a psycholinguistic perspective and will illustrate these
positions and controversies with neurolinguistic studies.
Key Words : language, production, syllable, frequency, aphasia, anarthria
Remerciements : L’auteur tient à remercier Jocelyne Buttet Sovilla pour sa relecture minutieuse et
ses commentaires
Rééducation Orthophonique - N° 229 - mars 2007
39
texte 229
19/03/07
15:17
Page 40
Marina LAGANARO
Service de Rééducation
Hôpitaux Universitaires de Genève
Av. Beau-Séjour 26
CH-1211 Genève 14
Courriel : [email protected]
L
a syllabe est une notion déjà connue très anciennement qui peut être
appréhendée de manière très intuitive en raison de ses propriétés acoustico-physiologiques (ouverture / fermeture du tractus vocal ; augmentation / diminution de la sonorité) et fonctionnelles (elle représente le domaine
d’application de règles phonologiques en poétique) (Labrune, 2005). La syllabe
est également une unité fondamentale dans plusieurs théories phonologiques,
néanmoins, elle reste une unité controversée dans les modèles de production du
langage. Deux questions retiennent l’intérêt des psycholinguistes de la production du langage autour de la syllabe : la première concerne sa représentation
(est-ce que la syllabe est une unité représentée dans le lexique mental ou est-elle
assemblée en ligne à partir de règles phonologiques), la deuxième concerne le
niveau d’encodage durant lequel les syllabes sont accédées ou assemblées. Nous
allons illustrer ces questions et présenterons en premier les théories et les données psycholinguistiques, pour ensuite détailler les études neurolinguistiques et
les questions qu’elles génèrent.
♦ La sylla be dans les modèles de production du lang a ge
Dans les années 80, l’étude de la production du langage a reçu une impulsion importante à travers l’analyse détaillée des erreurs spontanées (lapsus) produites par le locuteur tout-venant (Garrett, 1975 ; Fromkin, 1980). Ces observations ont permis d’exclure le mot comme unité d’encodage phonologique et/ou
phonétique et ont attribué un rôle fonctionnel à la syllabe, essentiellement en
raison des contraintes syllabiques dans les lapsus phonologiques.
En effet, si l’observation des erreurs phonologiques à l’intérieur des mots
a amené à postuler que ceux-ci sont encodés à partir d’éléments plus petits, un
argument essentiel pour attribuer un rôle fonctionnel à la syllabe a été le fait que
la position syllabique est respectée dans les métathèses - erreurs d’interversion –
comme dans « le déparage » (dérapage), ou dans les anticipations – comme
dans « la polique (police) Turque » (exemples tirés du corpus de Rossi et
40
texte 229
19/03/07
15:17
Page 41
Defare, 1998). La syllabe a ainsi été incluse dans les premiers modèles psycholinguistiques de production du langage (Shattuck-Hufnagel, 1979 ; Levelt,
1989 ; Dell, 1986).
Ce rôle a été ensuite remis en question par les données expérimentales
qui ont suivi cette première phase d’étude des lapsus. Avant de rentrer dans les
détails de ces résultats, il faut différencier deux manières de conceptualiser la
représentation des syllabes : l’une sous la forme de syllabes phonologiques avec
leur information de surface (cch u n k s), l’autre de structures syllabiques abstraites
(sch é m a). Les syllabes /bal/ et /pil/ sont deux syllabes phonologiques différentes dans le sens de chunk, mais une seule représentation syllabique abstraite
(CVC) dans le sens de schéma.
Certains modèles de production du langage incluent des représentations
syllabiques abstraites au niveau phonologique (Dell, 1988 ; Sevald, Dell, &
Cole, 1995). Cette hypothèse est motivée par l’observation des contraintes syllabiques dans les lapsus (Shattuck-Hufnagel, 1979) et par des résultats expérimentaux montrant que la structure syllabique abstraite peut amorcer la production d’un mot (Sevald, et al. 1995 ; Meijer, 1996 ; Costa & Sebastian-Gallés,
1998 ; Ferrand & Segui, 1998 ; Schiller, 1998 ; Schiller, Costa & Colomé,
2002). Le seul modèle qui proposait également une représentation des syllabes
de surface (chunks) récupérées pendant l’encodage phonologique est le premier
modèle de Dell (1986), qui a par la suite été abandonné en raison du fait qu’on
observe très rarement des transformations portant sur toute la syllabe dans les
lapsus phonologiques.
Dans d’autres modèles de production comme celui de Levelt, Roelofs et
Meyer (1999) il n’y a aucune représentation syllabique au niveau phonologique,
mais des syllabes de surface sont représentées au niveau phonétique. Dans ces
modèles donc, la syllabe est représentée sous forme de gestes articulatoires, qui
sont accédés à partir d’un plan phonologique abstrait et syllabifiée à partir de
règles phonologiques. L’argument principal contre une représentation de syllabes phonologiques est le phénomène dit de la resyllabation, c’est-à-dire le fait
que la structure syllabique peut être différente dans la forme de surface en fonction du contexte phonologique (par exemple, le fait que la structure de « cher
ami » - CV.CV.CV - soit différente de celle des mots « cher » - CVC - et « ami »
-V.CV-).
♦ L’effet de fréquence de la sylla be
On admet généralement que toute information enregistrée dans le lexique
est « organisée » selon un principe de fréquence, c’est-à-dire que la récupération
est plus facile ou plus rapide pour les unités qui ont été utilisées plus fréquem-
41
texte 229
19/03/07
15:17
Page 42
ment, soit parce que leur seuil d’activation est plus haut, soit parce que les
connexions sont plus fortes.
L’effet de fréquence est très connu pour ce qui concerne les mots depuis
les travaux d’Oldfield et Wingfield (1965), mais la généralisation de cet effet
aux autres unités représentées est plus controversée. Une autre manière donc
d’aborder la question de la représentation de la syllabe est de rechercher un effet
de fréquence des unités syllabiques. Le raisonnement est le suivant : si les syllabes sont représentées dans un stock (appelé syllabaire mental dans le modèle
de Levelt et al. 1999) et récupérées durant l’encodage, on devrait observer que
les syllabes les plus fréquemment utilisées dans la langue sont récupérées plus
vite (en fait, dans le modèle de Levelt et al. 1999, les syllabes très peu fréquentes ne sont pas représentées, mais elles sont assemblées pendant l’encodage). Cette hypothèse a été étudiée expérimentalement par Levelt et Wheeldon
(1994), qui ont observé un effet de la fréquence des syllabes sur les latences de
production. Les tentatives de réplications de cet effet ont ensuite échoué surtout
lorsque la fréquence de toutes les autres composantes était aussi contrôlée. Ce
n’est que ces dernières années que plusieurs équipes ont confirmé l’effet de la
fréquence des syllabes dans les latences de production avec des paradigmes différents d’abord en espagnol (Perea et Carreiras, 1998 ; Carreiras et Perea,
2004), ensuite en hollandais (Cholin, Levelt, & Schiller, 2006) et en français
(Laganaro et Alario, 2006).
♦ L e s é t u d e s n e u ro l i n g u i s t i q u e s s u r l a f r é q u e n c e d e s s y l l a bes
Des études neurolinguistiques se sont aussi penchées sur la syllabe en
recherchant un effet de fréquence des syllabes dans la production de patients
aphasiques. Après un premier résultat négatif dans une analyse de 3 patients
francophones (Whilshire et Nespoulous, 2002), des études ont rapporté un effet
de fréquence des syllabes sur la production de patients aphasiques ou anarthriques dans plusieurs langues. Pour l’allemand, Aichert et Ziegler (2004) ont
montré que des patients avec apraxie de la parole (ou anarthrie) produisaient
davantage d’erreurs lorsqu’ils devaient répéter des mots composés de syllabes
de basse fréquence. Toujours en allemand, Stenneken et al. (2005) ont analysé la
distribution des syllabes dans la production d’un patient aphasique avec un jargon phonologique et ont observé que les syllabes produites étaient de fréquence
plus élevée par rapport à la distribution normale de fréquence des syllabes. Nous
avons également décrit un effet de fréquence des syllabes dans les erreurs de
substitution de patients aphasiques italophones, hispanophones et francophones
(Laganaro, 2005). Dans cette étude, l’effet de fréquence émergeait dans l’analyse des erreurs, où des syllabes plus fréquentes remplaçaient des syllabes
42
texte 229
19/03/07
15:17
Page 43
moins fréquentes. Si tous ces résultats sur un effet de fréquence corroborent
l’idée d’un rôle fonctionnel de la syllabe dans la production du langage, elles
font ressurgir la problématique du niveau de représentation des syllabes.
En effet, si seules des syllabes phonétiques sont représentées dans le
lexique mental, comme le suggèrent le modèle de Levelt et al. (1999) ainsi
qu’une vérification empirique du niveau d’encodage affecté par la fréquence des
syllabes (Laganaro et Alario, 2006), alors seuls des patients avec un déficit
d’encodage phonétique devraient manifester un tel effet. Étant donné qu’on
associe classiquement une atteinte de l’encodage phonétique avec l’anarthrie
(Code, 1998 ; Darley, Aronson, and Brown, 1975 ; Varley & Whiteside, 2001),
seuls les résultats de Aichert et Ziegler (2004) sont en accord avec une telle
interprétation.
Par contre, l’observation d’un effet de fréquence des syllabes peut difficilement s’expliquer par une atteinte au niveau de l’encodage phonétique dans la
production de patients aphasiques sans troubles arthriques qui présentent une
atteinte préphonétique (essentiellement des aphasiques de conduction dans
Laganaro, 2005 et une aphasie de Wernicke dans Stenneken et al. 2005).
Deux explications sont donc envisageables. La première consiste à reconsidérer la représentation de syllabes aussi au niveau phonologique, comme
c’était le cas dans le premier modèle de Dell (1986) et à expliquer l’effet
observé chez ces patients par une atteinte de ces représentations phonologiques.
La deuxième explication fait l’hypothèse que l’effet émerge car des syllabes de
haute fréquence sont activées par défaut à partir d’un input phonologique
incomplet. Dans cette deuxième interprétation, le niveau d’atteinte est phonologique et les syllabes restent phonétiques.
♦ L e s é t u d e s n e u r o l i n g u i s t i q u e s s u r l a s t r u c t u r e sylla b i q u e
Si l’étude de la représentation de la structure syllabique est dans une
impasse dans les recherches psycholinguistiques en raison probablement de la
difficulté de réplication des résultats d’amorçage par la structure syllabique
(Schiller, 1998 ; Schiller, Costa & Colomé, 2002 ; Perret et al, 2006), une question débattue aussi en neurolinguistique est de savoir si et à quel niveau la structure syllabique joue un rôle dans les erreurs phonologiques et/ou phonétiques.
Plusieurs études ont en particulier essayé de prédire les erreurs phonologiques
par des règles phonologiques agissant sur la structure syllabique abstraite, tels
que la complexité et le principe de sonorité.
La complexité fait référence à la spécification marquée de la syllabe,
c’est-à-dire que les structures syllabiques les plus répandues dans les différentes
langues sont les moins marquées (et aussi les moins complexes).
43
texte 229
19/03/07
15:17
Page 44
La s o n o rité est le principe selon lequel on privilégie dans les différentes
langues les syllabes avec un profil bien marqué de sonorité augmentant-diminuant, ce qui signifie que s’il y a plusieurs consonnes dans une attaque, celles-ci
doivent se suivre selon un ordre de sonorité croissante et inversement pour le
coda.
Plusieurs études portant sur des patients aphasiques ont décrit davantage
d’erreurs phonologiques sur des structures complexes et davantage d’erreurs
dans lesquelles la transformation produite génère une syllabe avec un meilleur
respect du principe de sonorité que la syllabe cible (Valdois, 1990 ; Béland et
Paradis, 1997 ; Kohn, Melvold et Shipper, 1998 ; Romani et Calabrese, 1998).
Le niveau d’atteinte de ces patients n’était pas forcément investigué dans ces
études, il reste donc peu clair à quel niveau d’encodage (phonologique ou phonétique) la structure syllabique joue un rôle.
Cette question a été récemment approfondie par Romani et Galluzzi (2005),
qui ont étudié de manière systématique l’effet des structures syllabiques chez des
patients aphasiques non-fluents et chez des patients aphasiques fluents. Un effet
de la complexité de la structure syllabique et du principe de sonorité a été observé
uniquement chez les patients anarthriques, alors que les erreurs des patients présentant des atteintes préphonétiques n’étaient pas affectées par la structure syllabique ni par le principe de sonorité. Ces caractéristiques de la structure syllabique
affectent donc l’encodage phonétique et reflètent une complexité au niveau articulatoire de la syllabe alors que des patients avec des difficultés d’encodage phonologique ne présentent pas de sensibilité à la complexité de la syllabe.
♦ C o n c lusion
Les études psycholinguistiques et neurolinguistiques montrant que la syllabe est accédée en fonction de la fréquence d’usage offrent des arguments en
faveur de son rôle fonctionnel dans la production du langage, dans le sens que la
syllabe représente une des unités d’encodage. Nous avons vu que, si la structure
syllabique semble affecter les erreurs uniquement chez des patients anarthriques, un effet de la fréquence des syllabes (indépendamment de leur structure) a été observé chez tous les patients.
Si cette observation apparemment contradictoire nécessite des éclaircissements théoriques à travers de nouvelles investigations, elle a néanmoins des
conséquences pour la pratique clinique. Aichert et Ziegler (2005) ont vérifié la
composition du matériel de la tâche de répétition d’une nouvelle batterie allemande d’évaluation de l’aphasie, et ont observé un déséquilibre dans la distribution des fréquences des syllabes entre les différents facteurs testés (mots et nonmots et classes de fréquence des mots).
44
texte 229
19/03/07
15:17
Page 45
Il en est de même si on analyse les items proposés pour la répétition dans
une batterie d’évaluation standard de l’aphasie en français (Montréal-Toulouse
86, Nespoulous et al., 1992), dans laquelle les mots ne sont pas équilibrés par
rapport à la structure syllabique dans les deux classes de fréquence (ni en longueur d’ailleurs) et la fréquence des syllabes est inférieure dans les non-mots
par rapport à celle des mots associés en structure. Il semble donc important de
manipuler et/ou contrôler les deux aspects mentionnés (fréquence et complexité) dans le matériel utilisé dans le futur en évaluation et en rééducation.
REFERENCES
AICHERT, I., ZIEGLER, W. (2004). Syllable frequency and syllable structure in apraxia of speech. Brain
and Languag, 88. 148–159.
AICHERT, I., ZIEGLER, W. (2005). Is there a need to control for sub-lexical frequencies ? Brain and
Language, 95. 170-171.
BÉLAND, R., PARADIS, C. (1997). Principles of syllabic dissolution in a primary progressive aphasia
case. Aphasiology, 11. 1171-1196.
CARREIRAS, M., PEREA, M. (2004). Naming pseudowords in Spanish : Effects of syllable frequency.
Brain and Language, 90. 393-400.
CHOLIN, J., LEVELT, W. J. M., SCHILLER, N. O. (2006). Effects of syllable frequency in speech production. Cognition, 99. 205-235.
CODE, C. (1998). Major review : Models, theories and heuristics in apraxia of speech. Clinical Linguistics and Phonetics, 12. 47–65.
COSTA, A. ET SEBASTIAN-GALLÉS, N. (1998). Abstract phonological structure in language production : evidence from Spanish. Journal of Experimental Psychology : Learning, Memory and
Cognition, 24. 886-903.
DARLEY, F., ARONSON, A. BROWN, J. (1975). Motor speech disorders. Philadelphia : W.B. Saunders.
DELL, G.S. (1986). A spreading-activation theory of retrieval in sentence production. Psychological
review, 9. 283-321.
DELL, G.S. (1988). The retrieval of phonological forms in production : tests of predictions from a
connectionist model. Journal of Memory and Language, 27. 124.142.
FERRAND, L., SEGUI, J. (1998). The syllable’s role in speech production : are syllables chunks schemas
or both ? Psychonomic Bulletin et Review, 5. 253-258.
FROMKIN, V.A. (Ed.) (1980). Errors in linguistic performance. New York : Academic Press. GARRETT,
M.F. (1975). The analysis of sentence production. In G.H. Bower (Ed.), The psychology of learning and motivation, Vol. 9. New York : Academic Press.
KOHN, S.E., MELVOLD, J., SHIPPER, V. (1998). The preservation of sonority in the context of impaired
lexical-phonological output. Aphasiology, 12. 375-398.
LABRUNE, L. (2005). Autour de la syllabe : les constituants prosodiques mineurs en phonologie. In N.
Nguyen, S. Wauquiers, J. Durand (Eds). Phonétique et phonologie, approches contemporaines.
Hermès.
LAGANARO M. (2005). Syllable frequency effect in speech production : evidence from aphasia. Journal
of Neurolinguistics, 18. 221-235.
LAGANARO, M., ALARIO, F.X. (2006). On the locus of syllable frequency effect. Journal of Memory
and Language, 55. 178-196.
45
texte 229
19/03/07
15:17
Page 46
LEVELT, W. (1989). Speaking : from intention to articulation. Cambridge, Mass : MIT Press.
LEVELT, W.J. M., ROELOFS, A., MEYER, A.S. (1999). A theory of lexical access in speech production.
Behavioral and Brain Sciences, 22. 1-75.
LEVELT, W. J. M., WHEELDON, L. (1994). Do speakers have access to mental syllabary ? Cognition,
50. 289-269.
MEIJER, P. (1996). Suprasegmental structure in phonological encoding : the CV structure. Journal of
Memory and Language, 35. 840-853.
NESPOULOUS, J.-L., ROCH LECOURS, A., LAFOND, D., LEMAY, A., PUEL, M., JOANETTE, Y.,
COT, F., RASCAL, A. (1992). P rotocole Montréal-Toulouse d'examen linguistique de l'aphasie.
Paris : Ortho Edition.
OLDFIELD, R. C., WINGFIELD, A. (1965). Response latencies in naming objects. Quarterly Journal of
Experimental Psychology, 17. 273–281.
PEREA, M., CARREIRAS, M. (1998). Effects of syllable frequency and syllable neighbourhood frequency in visual word recognition. Journal of Experimental Psychology : Human Perception and
Performance, 24. 134-144.
PERRET, C., BONIN, P., MÉOT, A. (2006). Syllable priming effects in picture naming in French : lost in
the sea! Experimental Psychology, 53. 95-104.
ROMANI, C., CALABRESE, A. (1998). Syllabic constraints in the phonological errors of an aphasic
patient. Brain and Language, 64. 83-121.
ROMANI, C., GALLUZZI, C. (2005). Effects of syllabic complexity in predicting accuracy of repetition
and direction of errors in patients with articulatory disorders and phonological difficulties. Cognitive Neuropsychology, 27. 817-850.
ROSSI, M., PETER-DEFARE, E. (1998). Les lapsus : ou comment notre fourche a langué. Paris : PUF.
SCHILLER, N. O. (1998). The effect of visually masked syllable primes on the naming latencies of words
and pictures. Journal of Memory and Language, 39. 484-507.
SCHILLER, N. O., COSTA, A., COLOMÉ, A. (2002). Phonological encoding of single words : in search
of the lost syllable. In C. GUSSENHOVEN, N. WARNER (Eds), Laboratory Phonology VII (pp.
35-59). Berlin : Mouton de Gruyter.
SEVALD,C. DELL, G., COLE J. (1995). Syllable structure in speech production : are syllables chunks or
schemas? Journal of Memory and Language, 34. 807-820.
SHATTUCK–HUFNAGEL, S. (1979). Speech errors as evidence for a serial order mechanism in sentence
production. In W.E. COOPER, E.C. WALKER (Eds.), Sentence processing (pp. 295-342). Hillsdale : LEA.
STENNEKEN, P., HOFMAN, M., JACOBS, A.M. (2005). Patterns of phoneme and syllable frequency in
jargon aphasia. Brain and Language, 95. 221-222.
VALDOIS, S. (1990). Internal structure of two consonant clusters. In J.P. NESPOULOUS, P. VILLIARD
(Eds.), Morphology, phonology and aphasia. Springer Verlag.
VARLEY, R., & WHITESIDE, S. (2001). What is the underlying impairment in acquired apraxia of
speech. Aphasiology, 15, 39–49.
WHILSHIRE, C. E., NESPOULOUS, J. L. (2002). Syllables as units in speech production : data from
aphasia. Brain and Language, 84, 424-447.
46
texte 229
19/03/07
15:17
Page 47
Qualité et efficacité de l’audition restituée par
l’implant cochléaire chez des enfants sourds
porteurs d’un implant depuis plus de 10 ans
Martine Sillon, Alain Uziel, Adrienne Vieu
Résumé
Il est présenté l’impact à long terme de l’implant cochléaire sur la qualité de la perception
auditive et de celle de la parole, le degré d’intelligibilité de la parole, l’acquisition du vocabulaire et le développement de la conscience phonologique. L’étude a été menée sur une
population de 82 sujets atteints de surdité congénitale profonde implantés depuis plus de 10
ans. L’importance de différents facteurs (âge d’implantation, présence de handicaps associés, mode de communication) est estimée.
Mots clés : surdité, implant cochléaire, qualité de l’audition, intelligibilité de la parole,
conscience phonologique.
Quality and efficacy of restored hearing through cochlear implants in
deaf children with an implant for over 10 years
Abstract
This article presents the long-term impact of cochlear implantation on the quality of auditory
perception and speech, on the degree of speech intelligibility, on the acquisition of vocabulary skills, and on the development of phonological awareness. The study was conducted in
a population of 82 subjects suffering from profound congenital deafness and implanted for
over 10 years. The impact of several factors was evaluated: age at the time of implantation,
presence of associated impairments, mode of communication.
Key Words : deafness, cochlear implant, quality of auditory skills, speech intelligibility, phonological awareness
Rééducation Orthophonique - N° 229 - mars 2007
47
texte 229
19/03/07
15:17
Page 48
Martine SILLON
Orthophoniste
Alain UZIEL
Adrienne VIEU
Centre d’implantation cochléaire
Institut St Pierre
34250 Palavas les flots
Courriel : [email protected]
D
e nombreuses études se sont intéressées à la perception auditive des
enfants porteurs d’un implant cochléaire mais peu ont porté sur une
population aussi importante et avec autant de recul que celle que nous
allons présenter dans cet article.
Waltzman et coll. en 2002 ont suivi une population sur plus de 5 ans mais
seulement quatre enfants avaient plus de 10 ans d’implantation cochléaire.
Spencer et coll. en 2004 présentent des résultats à long terme sur la première
génération d’enfants implantés. Les 27 enfants observés ont des performances
équivalentes à celles de leurs pairs entendants au niveau de leurs résultats scolaires. L’équipe de Nottinghamen montre dans une étude récente sur une population de 30 enfants avec un recul de 10 à 15 ans que les performances auditives
et l’intelligibilité de ces enfants évoluent encore après 5 ans d’implantation
(Beadle et coll., 2005).
Notre recherche va tenter de donner une image concrète de ce qu’il est
possible d’entendre avec un implant quand les compétences auditives se sont
stabilisées et que leur impact sur la vie de l’enfant peut être évalué.
La population de notre étude est composée de 82 enfants atteints de surdité congénitale profonde, tous implantés et suivis à Montpellier entre janvier
1989 et décembre 1995. Tous ces enfants sont vus régulièrement, un seul est
retourné dans son pays d’origine.
Ils sont tous porteurs d’un implant Nucleus (CI 22M, Cochlear Corp.,
Englewood, CO, USA) en stratégie Speak, excepté 3 jeunes qui à la suite d’une
réimplantation avec un Nucleus CI 24 ont bénéficié d’une stratégie ACE. La
moyenne d’âge à l’implantation est de 4,8 ans (1,9 à 14 ans, médiane : 3,9). La
durée d’implantation moyenne est de 11,7 (10 à 15,8 ans).
Ces enfants ont actuellement de 12 à 20 ans.
Leur scolarisation nous donne une représentation de leur intégration sociale :
32 sont au collège, 14 au lycée, 3 en primaire, 6 dans des écoles spécialisées pour enfants porteurs de handicaps autres que la surdité, 17 suivent une formation professionnelle, 6 sont à l’université et 3 travaillent.
48
texte 229
19/03/07
15:17
Page 49
Tous les jeunes qui sont scolarisés au lycée n’ont pas d’aide spécifique.
Sur les 32 enfants scolarisés au collège, 81% le sont en milieu ordinaire et 8%
sont dans un établissement spécialisé pour enfants sourds (sans handicap), la
moitié bénéficie d’un soutien orthophonique ou scolaire.
L’adéquation scolaire : pour la population du secondaire, 37% sont dans
la classe de leur âge sans retard, 37% ont 1 an de retard, 24% 2 ans et 2% 3ans.
Des résultats en soi très rassurants quant à l’adaptation de ces enfants aux
contraintes sociales.
Après 10 ans d’expérience avec un implant cochléaire, 79 enfants (96%)
le portent toujours et en tirent profit. Trois enfants ne l’utilisent plus : deux
d’entre eux sont devenus sourds à la suite d’une méningite et ont été implantés
tardivement. Une cochlée ossifiée ne leur a pas permis d’avoir de bonnes possibilités auditives. Le troisième suit sa scolarité dans une structure spécialisée où
il communique essentiellement en langue des signes. Il a fait le choix de privilégier la communication gestuelle et juge inutile l’implant qui pourtant lui était
bénéfique.
Le pourcentage d’utilisation de l’implant de 96% peut être considéré
comme excellent et en rapport avec nos études précédentes.
Sur les 82 enfants, 11 ont eu une panne ou des complications nécessitant
une réimplantation : panne du système ou baisse des performances dans 10 cas
et infection dans un cas. Tous ont été réimplantés avec succès.
49
texte 229
19/03/07
15:17
Page 50
♦ L e s p e rceptions auditives a vec l’implant coc h l é a i re
La perception auditive de la parole est évaluée à travers la répétition de
mots en liste ouverte et sans lecture labiale. Les mots utilisés sont des monosyllabiques (50) phonétiquement équilibrés issus d’une adaptation française du test
américain « Phonetically Balanced Kinderga rten » (PBK). Le test est proposé
à l’enfant à 1 mètre de distance, à voix nue (voix féminine) d’une intensité de
65 décibels. Les performances sont comptabilisées en pourcentage de mots
reconnus par l’enfant.
La perception de la parole à travers la reconnaissance de mots montre
après 10 ans d’implantation une moyenne de mots correctement identifiés de
72 % avec un écart de 0 à 100 et une médiane de 82%. 5 enfants dont les trois
qui n’utilisent plus leur implant ont 10% ou moins de reconnaissance.
Analyse phonétique des perce ptions auditives
L’analyse phonétique des perceptions auditives met en évidence une
excellente reconnaissance au niveau des voyelles en position finale (pa, pi..), la
moyenne des scores d’identification est de 92,75% avec un écart type de 7,37.
Les erreurs se situent essentiellement entre « é / è » et « in », « y » et « i »,
« u » et « o », « on » et « o », « oi » et « oin ».
Au niveau des consonnes, en position médiane (« apa », « aba »…), la
moyenne de performances est de 82, 65% d’identification avec un écart type de
15, 35. Malgré une reconnaissance facilitée par les transitions liées à leur position médiane dans le test, des confusions au niveau des consonnes perdurent et
50
texte 229
19/03/07
15:17
Page 51
principalement entre « l » et « n », « m » et « n », « p » et « t » et dans une
moindre mesure entre « f » et « ch », « k » et « t », enfin entre « v » et
« z ».
Vitesse de percep t i o n d e l a p a role
La vitesse de perception de la parole a été abordée par l’utilisation de
l’épreuve de lecture indirecte minutée (LIM). Cette épreuve s’est inspirée du
Connected Discourse Tracking (CDT) (Adaptation du test britannique le CDT :
Connected Discourse Tracking créé en 1978 par De Filipo CL et Scott BL Répétition mot par mot). Il s’agit pour l’enfant de répéter une histoire par fragments (5 à 6 mots) pendant 5 minutes sans lecture labiale. Le texte lui est présenté à voix nue et à proximité (1 m). Les performances sont quantifiées en
nombre de mots reproduits correctement par minute. Les textes sont adaptés au
niveau de langue de l’enfant, à son âge et ne présentent pas de difficultés de
compréhension.
En ce qui concerne cette épreuve, le score moyen est de 55 mots/minute,
allant de 0 à 105 avec une médiane de 58 mots par minute. Ce même test proposé à des entendants montre des performances pour des enfants du même âge
autour de 120 mots/minute (Galas et Lecacheux, 2005).
Cette approche met clairement en évidence la nécessité de ralentir le débit
de parole quand on s’adresse à ces enfants.
Cette même épreuve a été réalisée au téléphone par l’orthophoniste suivant l’enfant avec ou sans haut parleur, l’enfant choisissant la situation la plus
confortable pour lui.
L’audition au téléphone est nettement plus difficile puisque les performances chutent à 33 mots/ minute avec une médiane de 32.
Cette situation, bien que tellement courante dans notre mode de vie, reste
délicate pour les enfants implantés, elle nécessite une attention particulière de
l’interlocuteur qui doit ralentir son débit et ne pas hésiter à reformuler ses
phrases. Néanmoins 79% des sujets peuvent utiliser le téléphone.
Ces résultats sont en accord avec ceux de l’équipe de Nottingham qui
indique que 60% de sa population téléphone (Kait et coll., 2001).
En tout état de cause le nombre de mots correctement compris au téléphone est très faible. Ceci atteste que la conversation téléphonique est une tache
difficile pour les enfants implantés, aussi limitent-ils leurs échanges à des interlocuteurs familiers (famille, amis).
P e rcep t i o n d a n s l e b ru i t
La perception dans le bruit est une situation utile à analyser car elle
conditionne la qualité des acquisitions auditives dans la vie ordinaire. Cette
51
texte 229
19/03/07
15:17
Page 52
observation a été réalisée en demandant à l’enfant de répéter des phrases courantes enregistrées avec un bruit de fond de « cocktail partie » (rapport signal
sur bruit de 10 dB), les deux sources (voix et bruit) étant enregistrées séparément.
Dans le bruit le pourcentage de mots correctement identifiés diminue de
manière conséquente jusqu’à 44,5 % (allant de 0 à 94 avec une médiane de
50%). Malgré cela ce constat ne prétend pas refléter exactement la pénibilité
d’un environnement bruyant qui est souvent beaucoup plus envahissant que la
situation que nous avons créée. La gêne occasionnée par le bruit est donc considérable et doit être prise en compte dans le quotidien de l’enfant.
♦ Comment se f a i t l a p rogr ession des a p t i t u d e s a u d i t ives
a vec l’implant coc h l é a i re ?
L’ a n a l yse de la percep t i o n d e l a p a role à 5 ans d’intervalle prouve
l’évolution de la reconnaissance auditive avec le temps. Entre 5 et 10 ans après
l’implantation, nous notons une augmentation de 7% dans l’identification des
mots et une hausse moyenne de 20 mots/minute pour la lecture indirecte minutée. La différence est hautement significative (p<001) Ceci confirme bien que la
perception auditive continue de se développer après 5 ans d’implantation.
La moyenne de reconnaissance des mots (65%) mesurée 5 ans après
implantation est en accord avec les résultats d’une publication récente (65,4%
dans l’étude de Waltzman et al. 2002.) 49 des 82 enfants (60%) poursuivent leur
évolution après 5 ans d’implantation. De même il y a 61 des 82 enfants (74%)
qui améliorent de façon plus prononcée leur score à la lecture indirecte minutée.
Il est clair cependant que la majorité des acquisitions se fait dans les 5
premières années.
Moyenne des scores pour la lecture
indirecte minutée à 5 ans et à 10 ans
de durée d’implantation.
52
texte 229
19/03/07
15:17
Page 53
♦ C e t t e a u d i t i o n restaurée par l’implant est elle suf fisante
p o u r p e rm e t t re le déve l o p p e m e n t d ’ u n e p a role intelligib le ?
Cette parole a été évaluée à l’aide d’une échelle crée par l’équipe de Nottingham (Allen et coll., 1998, 2001). Celle-ci décrit la qualité de la parole à travers 5 degrés : de totalement inintelligible à intelligible par tous les auditeurs.
La production orale estimée à l’aide de cette échelle (SIR : Speech Intelligibility Rating) montre que 66% des enfants, après 10 ans d’implantation,
développent une parole intelligible par tous les interlocuteurs (catégorie 5 de
l’échelle) ou intelligible par des personnes ayant une petite expérience de la surdité (catégorie 4).
En ce qui concerne la production orale, nos résultats sont comparables à
ceux de Nottingham (Beadle et coll., 2005). Ces derniers indiquent qu’après 10
ans d’implantation, 77% des sujets ont développé une parole intelligible par
tous (catégorie 5) ou par des interlocuteurs ayant une petite expérience des personnes sourdes (catégorie 4). Il est intéressant de constater des résultats très voisins dans deux langues aussi différentes que le français et l’anglais.
Le « feed back » procuré par l’implant apparaît suffisant pour construire
une parole structurée et harmonieuse pour la majorité des enfants. Les enfants
qui ont le plus de difficultés sont ceux qui ont été implantés tardivement ou qui
ont d’autres problèmes associés.
♦ La conscience phonologique peut-elle se déve l o p p e r avec les
possibilités auditives fo u rn i e s p a r l ’ i m p l a n t ?
La conscience phonologique consiste à identifier, isoler et manipuler la
rime, les syllabes, les phonèmes d’une langue. Elle nécessite des processus de
mémorisation efficaces, de bonnes facultés auditives et visuelles.
53
texte 229
19/03/07
15:17
Page 54
Elle se construit avec l’apprentissage de la langue et permet la prise de
conscience de l’organisation temporelle de la parole et de son analyse segmentale.
Elle s’acquiert de façon intuitive entre 2 et 6 ans avec la compréhension
du langage et de façon consciente quand l’enfant apprend à lire et donc à manipuler les phonèmes. Elle conditionne le développement du langage en permettant de stocker les mots dans le lexique mental. Elle est indispensable à l’apprentissage et à la compréhension de la lecture.
Nous avons tenté d’étudier l’impact de l’audition, via l’implant, sur le
développement de la conscience phonologique lors d’une étude antérieure
(Guilmart et Wetzel-Mercier, 2002) dont voici les conclusions.
Nous avons utilisé un test de D. Delpech, F. George et E. Nok étalonné
sur 100 enfants entendants de 7 ans en cours préparatoire. Le test est composé
d’épreuves de conscience phonologique (décomposition de mots, jugement et
manipulation de rimes), d’épreuves de lecture (logatomes, mots et textes) et
d’une évaluation de la mémoire.
Nous avons proposé ce test à une population de 41 enfants atteints de
surdités profondes bilatérales congénitales ou prélinguales et porteurs d’un
implant cochléaire.
Ils sont âgés de 7 ans à 17 ans (âge moyen : 11 ans 5) avec des durées d’implantation dont la moyenne est de 6 ans. L’âge moyen d’implantation est de 5 ans.
Quelles sont les performances de ces enfants par rapport aux enfants
entendants ?
Le graphe suivant comporte en abscisse l’âge chronologique de ces
enfants et en ordonnée les performances au test de conscience phonologique ;
l’encadré montre les résultats des enfants entendants de 7 ans.
Nous observons une grande hétérogénéité des résultats avec 56% des
enfants implantés qui, quel que soit leur âge, ont des réalisations inférieures à
celles des enfants entendants de 7 ans.
54
texte 229
19/03/07
15:17
Page 55
Nous constatons le décalage de compétence entre les enfants sourds et les
enfants entendants. Le retard semble se combler avec le temps.
Peut-on relier les performances auditives dues à l’implant et le développement de la conscience phonologique ? Le graphe qui suit décrit pour chaque
enfant : en abscisse les pourcentages de mots reconnus en audition seule et en
ordonnée les performances au niveau de la conscience phonologique. Il apparaît
clairement que la reconnaissance de mots sans lecture labiale (PBK) est corrélée
avec les représentations phonologiques (coefficient : 0,37) ce qui confirme le
rapport étroit entre l’audition et l’acquisition de la représentation phonologique.
Les enfants pour lesquels les performances sont décalées semblent avoir des difficultés spécifiques au niveau de la lecture ou sont suspectés de dysphasie.
L’implant parait donc restituer une audition suffisante pour le développement de la conscience phonologique, il persiste cependant un décalage évident
avec une population entendante.
Pour ces enfants implantés, notre étude a mis en évidence les facteurs qui
influent sur l’acquisition de la conscience phonologique : l’âge d’implantation
et la durée d’implantation sont peu pertinents, d’autres paramètres comme l’utilisation du Langage Parlé Complété dans la famille et la qualité de la stimulation familiale sont signifiants.
De plus nous avons mis en évidence une forte corrélation entre la
conscience phonologique et l’intelligibilité de la parole de l’enfant implanté
(coefficient de corrélation : 0,79).
Bien sûr, ces premiers résultats méritent d'être confirmés par une
recherche sur une population plus importante et plus homogène.
55
texte 229
19/03/07
15:17
Page 56
La conscience phonologique conditionne le développement du langage en
permettant de stocker les mots dans le lexique mental. Alors qu’en est-il du
lexique chez ces enfants implantés ?
♦ L’aspect le xical du lang a ge a été anal ysé pour la popula tion
d’enf a n t s i m p l a n t é s d e puis plus de 10 ans :
Il a été mesuré avec l’Echelle de vocabulaire en images Peabody (E.V.I.P.),
une adaptation française du « Peabody picture vocabulary test revised » (Dunn et
coll., 1993), test qui évalue le vocabulaire réceptif.
Ce test est structuré de la façon suivante : Il s’agit de désigner un item
cible parmi 4 images. Deux séries de 170 items sont disponibles, chacune des
listes étant classée par ordre croissant de difficulté. Ce test est étalonné sur 2038
enfants de 2,5 à 18 ans. La cotation se fait en percentiles et situe le sujet par rapport à son âge chronologique : niveaux de 1 à 6 (de faible à excellent).
Les résultats après 10 ans d’implantation montrent que 75% des sujets
atteignent des résultats proches de la valeur médiane de leurs pairs entendants
du même âge.
Dans la littérature, Manrique et coll. (2004) montrent que les enfants qui
sont implantés avant l’âge de 2 ans, et au bout de 3 ans d’utilisation de l’implant, ont 1 an de retard dans cette même épreuve par rapport à des enfants
entendants. Les sujets implantés plus tardivement ont une progression plus lente
dans l’acquisition du vocabulaire.
♦ Quels sont les f a c t e u rs p e r m e t t a n t d e p r é voir l’ef ficacité
d e l ’ i m p l a n t c o c h l é a i re ?
Une batterie de tests statistiques (ANOVA, Pearson, analyse de variance)
a été utilisée pour étudier l’impact de différents facteurs (l’âge à l’implantation,
56
texte 229
19/03/07
15:17
Page 57
la présence de handicap associé, le mode de scolarisation, le mode de communication, le nombre d’électrodes actives) sur quatre mesures à plus de 10 ans d’intervalle (PBK, LIM, SIR et EVIP).
Fa c t e u r « Age d ’ i m p l a n t a tion »
Le jeune âge à l’implantation est associé à de meilleures performances
tant au niveau perception et production de la parole qu’au niveau de l’aspect
lexical du langage.
67,4 % des enfants implantés avant l’âge de 4 ans ont des performances
proches de la médiane dans la reconnaissance de mots en liste ouverte (contre
18% pour les enfants implantés après l’âge de 4 ans). Au niveau de la lecture
indirecte minutée, 72% (contre 23,7%), au niveau de l’intelligibilité de la parole
65% (contre 12%), sont voisins de la médiane. Enfin sur le versant réceptif du
vocabulaire 62% (contre 36% implantés après 4 ans) approchent la médiane.
L’analyse statistique multicritères nous a permis de constater que la
variable la plus importante est l’âge d’implantation ; en effet si l’implantation
est tardive, la probabilité que la reconnaissance de mots soit en dessous de la
médiane est multipliée par 9,4. Il en est de même pour la lecture indirecte minutée : en cas d’implantation tardive, la possibilité que la vitesse de réception de
la parole demeure en dessous de la médiane est multipliée par 15,1.
D’autres auteurs vont dans le même sens et soulignent le lien étroit entre
l’âge précoce d’implantation et les performances au niveau de la perception et
de la production de la parole (Maurique et coll., 2004).
Ainsi Nikolopoulos et coll (1999) démontrent que l’âge précoce d’implantation est corrélé positivement aux possibilités auditives et au parler de l’enfant et cela après 2 ans d’utilisation du système.
A contrario d’autres études soulignent que ce facteur d’implantation précoce ne paraît pas jouer un rôle fondamental dans le niveau de perception et de
production de la parole. Ainsi Geers (2004) explique que le fait d’avoir reçu un
implant entre 2 et 4 ans n’est pas étroitement lié avec les compétences dans ces
domaines et dans les aptitudes lexicales quand l’enfant atteint l’âge de 8 ou 9 ans.
Le recul que nous avons dans notre étude nous oriente vers l’idée qu’effectivement une implantation précoce facilite toutes ces acquisitions même si
nous devons rester attentifs au fait qu’une implantation plus tardive peut parfois
être utile et donner de bons résultats.
F a c t e u r « H a n d i c a ps associés »
Les enfants ayant des handicaps associés ont des scores significativement
plus bas au niveau de la vitesse de compréhension de la parole et du développement lexical. Il est évident que des handicaps associés interfèrent sur les perfor-
57
texte 229
19/03/07
15:17
Page 58
mances (Waltzman et coll., 2002, Fukuda et coll., 2003). De nombreux auteurs
retrouvent des possibilités auditives intéressantes chez ces enfants mais avec
une progression beaucoup plus lente (Waltzman et coll, 2000).
Fa c t e u r « N o m b re d’électrodes actives »
Le nombre d’électrodes actives ne semble pas en relation avec la qualité
des performances auditives dans les données que nous avons recueillies.
F a c t e u r « Mode de comm u n i c a tion »
Le mode de communication paraît influer sur les résultats, mais il est
important de rester prudent (Uziel et coll., 1996). En effet il est difficile de
déterminer comment les aides sont employées et à quel rythme. Bien souvent le
mode de communication évolue dans le temps, ce qui est utilisé lorsque l’enfant
est petit ne l’est parfois plus quand l’enfant grandit. Les enfants utilisant la
communication orale dans notre étude paraissent avoir de meilleurs scores au
niveau de la reconnaissance et de la production de la parole que les enfants utilisant une communication signée (français signé ou L.S.F.) à 10 ans d’implantation cochléaire.
En ce qui nous concerne, beaucoup de nos sujets qui ont été exposés au
L.P.C. (30%) semblent avoir de meilleures aptitudes au niveau lexical que les
individus éduqués dans l’oral seul ou avec la L.S.F.
Il convient cependant de rester mesuré car il est difficile d’isoler des paramètres qui sont souvent inter-dépendants.
Cette étude montre clairement que la majeure partie des enfants sourds
congénitaux implantés bénéficie de l’implantation à long terme. De nombreux
facteurs prédictifs ont été analysés d’où il ressort que l’âge d’implantation est la
variable principale parmi d’autres : le handicap associé, le mode de communication, et le mode de scolarisation (pas explicité dans cet article).
D’autres facteurs possibles comme l’âge d’appareillage, la durée d’utilisation de la prothèse et son efficacité n’ont pas été analysés dans cette
recherche. Une analyse préliminaire a montré que l’audition avant l’implantation n’avait pas d’influence sur les résultats en ce qui concerne cette population
d’autant que les sujets sélectionnés avant 1995 ne tiraient aucun bénéfice des
prothèses conventionnelles.
♦ C o n c lusion :
Cette étude à long terme sur 82 sujets, avec 10 ans de recul, montre que
l’implantation cochléaire est une technique fiable et efficace. Elle permet aux
enfants atteints de surdité profonde de développer un niveau fonctionnel d’audition de la parole, de production orale et d’accéder à un niveau de langage appro-
58
texte 229
19/03/07
15:17
Page 59
prié à leur âge. Ce dernier leur permet de suivre une scolarité en intégration
pour la majorité d’entre eux avec des niveaux similaires à ceux des entendants.
Toutes choses qui paraissaient un défi il y a 10 ans. Des résultats aussi satisfaisants ne vont pas sans un suivi régulier permettant de vérifier le bon fonctionnement de l’appareil, l’adéquation du réglage, du soutien familial et scolaire.
Les résultats obtenus par la première génération d’enfants implantés sont
très utiles pour effectuer de bonnes indications et pour expliquer aux familles ce
qu’elles peuvent espérer de l’implantation cochléaire. Il est raisonnable de penser que les nouveaux systèmes plus sophistiqués au niveau des stratégies de traitement de la parole permettront des performances qui dépasseront celles présentées dans cette étude, de même le dépistage et l’implantation précoce sont des
facteurs qui vont largement contribuer à majorer nos conclusions.
REFERENCES
ALLEN, M.C., NIKOLOPOULOS, T.P., O'DONOGHUE, G.M. (1998). Speech intelligibility in children
after cochlear implantation. American Journal of Otology, 19. 742-746.
ALLEN, C., NIKOLOPOULOS, T.P., DYAR, D., O'DONOGHUE, G.MM. (2001). Reliability of a rating
scale for measuring speech intelligibility after pediatric cochlear implantation. Otology and Neurotology, 22(5). 631-633.
BEADLE, E.A., MCKINLEY, D.J., NIKOLOPOULOS, T.P., BROUGH, J., O'DONOGHUE, G.M.,
ARCHBOLD, S.M. (2005). Long-term functional outcomes and academic-occupational status in
implanted children after 10 to 14 years of cochlear implant use. Otology and Neurotology,
26.1152-1160.
DUNN, L.M., THERIAULT-WHALEN, C.M., DUNN, L.M. (1993). Échelle de vocabulaire en images
Peabody. Adaptation française du Peabody Picture Vocabulary test-revised. ATM. Peabody Picture Vocabulary Test-Third Edition 1997 - PPVT-III LLOYD M. DUNN, LEOTA M.DUNN.
American Guidance Service, Inc., Circle Pines, MN.
FUKUDA, S., FUKUSHIMA, K., MAEDA, Y., TSUKAMURA, K., NAGAYASU, R., TOIDA, N.,
KIBAYASHI, N., KASAI, N., SUGATA, A., NISHIZAKI, K. (2003). Language development of
a multiply handicapped child after cochlear implantation. International Journal of Pediatric Otorhinolaryngology, 67(6). 627-633.
GALAS, E., LECACHEUX, E. (2005). Validation du test de la lecture indirecte minutée sur une population d’enfants entendants de 5 à 13 ans et comparaison avec un échantillon d’enfants sourds du
même âge, bénéficiant d’un implant cochléaire. Mémoire d’orthophonie. Faculté de Montpellier.
GEERS, A.E. (2004). Speech, language, and reading skills after early cochlear implantation. Archives of
Otolaryngology, Head and Neck Surgery, 130(5). 634-638.
GUILMART, C., WETZEL-MERCIER, M. (2003). La conscience phonologique chez l’enfant implanté
cochléaire. Mémoire d’orthophonie. Faculté de Montpellier.
HAMZAVI, J., BAUMGARTNER, W.D., EGELIERLER, B., FRANZ, P., SCHENK, B., GSTOETTNER
W. (2000). Follow up of cochlear implanted handicapped children. International Journal of
Pediatric Otorhinolaryngoly. 22,56(3). 169-74.
MANRIQUE, M., CERVERA-PAZ, F.J., HUARTE, A., MOLINA, M. (2004). Advantages of cochlear
implantation in prelingual deaf children before 2 years of age when compared with later implantation. Laryngoscope, 114. 1462-9.
NIKOLOPOULOS, T.P., O'DONOGHUE, G.M., ARCHBOLD, S. (1999). Age at implantation : its
importance in pediatric cochlear implantation. Laryngoscope, 109. 595-9.
59
texte 229
19/03/07
15:17
Page 60
PYMAN, B., BLAMEY, P., LACY, P., CLARK, G., DOWELL, R. (2000). The development of speech
perception in children using cochlear implants : effects of etiologic factors and delayed milestones. American Journal of Otology, 21. 57- 61.
SPENCER, L.J., GANTZ, B.J., KNUTSON, J.F.(2004). Outcomes and achievement of students who grew
up with access to cochlear implants. Laryngoscope, 114. 1576-1581.
TAIT, M., NIKOLOPOULOS, T.P., ARCHBOLD, S., O'DONOGHUE, G.M. (2001). Use of the telephone
in prelingually deaf children with a multichannel cochlear implant. Otology Neurotology, 22.
TOBEY, E., UZIEL, A., PIRON, J.P. (1998). Influence of communication mode on speech intelligibility
and syntactic structure of sentences in profoundly hearing impaired French children implanted between 5 and 9 years of age. International Journal of Pediatric Otorhinolaryngoly, 44(1). 15-22.
UZIEL, A.S., REUILLARD-ARTIERES, F., SILLON, M., VIEU, A., MONDAIN, M., Speech perception
performance in prelingually deafened French children using the nucleus multichanal cochlear
implant. American Journal of Otology, 17. 559-568.
VIEU, A., MONDAIN, M., BLANCHARD, K., SILLON, M., REUILLARD-ARTIERES, F.,
PIRON, J.P., TOBEYE, A. (1996). Speech-perception performance in prelingually deafened French children using the nucleus multichannel cochlear implant. American Journal of Otology, 17. 559-568.
WALTZMAN, S.B., COHEN, N.L., GREEN, J., ROLAND, J.T. (2002). Long-term effects of cochlear
implants in children. Otolaryngology Head and Neck Surgery, 126. 505-511.
WALTZMAN, S.B., ROLAND, J.T. J.R., COHEN, N.L., (2002). Delayed implantation in congenitally
deaf children and adults. Otology and Neurotology, 23. 333-40.
WALTZMANN, S., SCALCHUNES, V., COHEN, N. (2000). Performance of multiply handicapped children using cochlear implants. American Journal of Otology, 18. S157-S159.
60
texte 229
19/03/07
15:17
Page 61
Sensibilité phonologique et apprentissage de
la lecture
Jean Ecalle, Annie Magnan
Résumé
Trois parties jalonnent cet article. Le développement de la sensibilité phonologique est décrit
sur un continuum entre un traitement simple vs plus complexe ou en termes de traitement
épi- vs métalinguistique. Les liens entre sensibilité phonologique et apprentissage de la lecture sont déterminés massivement par une corrélation puissante entre conscience phonémique et performances en lecture. Toutefois, il y a lieu d'étudier ces liens de façon plus
large en examinant ce qui contribue à l'émergence de la conscience phonémique. Enfin, le
problème de l'évaluation des habiletés phonologiques est abordé en terminant sur les
aspects prévention et remédiation aux difficultés.
Mots clés : sensibilité phonologique, apprentissage de la lecture, vocabulaire, diagnostic.
Phonological sensitivity and the acquisition of reading skills
Abstract
This paper is made of three parts. Development of phonological sensitivity is described on a
continuum from simple processing to complex processing. In another model, epilinguistic
processing is distinguished from metalinguistic processing. The links between phonological
sensitivity and learning to read are highly determined by a strong correlation between phonemic awareness and reading skills. However, these links should be studied more broadly
by examining what contributes to the emergence of phonemic awareness. Finally, assessment of phonological skills is examined and some propositions are presented on preventive
intervention with children experiencing difficulties in the acquisition of reading skills.
Key Words : phonological sensitivity, acquisition of reading skills, vocabulary, diagnosis
Rééducation Orthophonique - N° 229 - mars 2007
61
texte 229
19/03/07
15:17
Page 62
Jean ECALLE
Annie MAGNAN
Laboratoire Étude des Mécanismes
Cognitifs / Dynamique du Langage
UMR-CNRS 5596 Université Lyon2
5 avenue Mendes France
69676 Bron Cedex
Courriel : [email protected]
C
et article se propose d'élargir le concept de « conscience phonologique » à celui de sensibilité phonologique pour mieux rendre
compte de la variété comportementale sur cet aspect et déterminer plus
précisément la nature des liens entre différentes capacités à traiter les unités
phonologiques du langage et l'apprentissage de la lecture. Après avoir précisé
comment se développe cette sensibilité puis présenté des travaux sur les liens
classiquement étudiés entre celle-ci et l'apprentissage de la lecture, une troisième partie, plus applicative, se propose de poser le problème de l'évaluation
de la sensibilité phonologique (fournissant un niveau d'habiletés phonologiques)
et de la prévention / remédiation des difficultés d’apprentissage du langage écrit.
♦ Développement de la sensibilité phonolo gique
Il y a, selon nous, nécessité de dépasser l'idée de conscience phonologique
dans le cadre de l'apprentissage de l'écrit. En effet, en examinant de près les travaux sur ce domaine, on observe que sous ce vocable, un grand nombre de tâches
s'y réfèrent. Dès lors, il est reconnu que ce qui relève des habiletés phonologiques
ne constitue pas un bloc homogène (Alegria & Mousty, 1989). C'est d'ailleurs ce
qu'avait bien montré Lecocq (1993) dans une étude très complète utilisant pas
moins de 14 épreuves pour étudier les capacités « d'analyse segmentale de la
parole » chez de jeunes enfants. En conséquence, certains auteurs (Anthony,
Lonigan, Burgess, Driscoll, Philipps, & Cantor, 2002 ; Bowey, 2002) utilisent le
terme de « sensibilité phonologique » préféré à celui de « conscience phonologique » insistant sur l'idée d'un continuum où on pourra distinguer un traitement
simple vers des traitements de plus en plus complexes. Stanovich (1992) évoque
ce continuum allant d'une sensibilité réduite (narrow) sur des unités larges vers un
traitement plus profond (deep) réalisé sur des unités petites.
Des travaux plus récents auprès d’enfants prélecteurs et apprentis lecteurs montrent que l'ordre d'acquisition des habiletés phonologiques dépend
62
texte 229
19/03/07
15:17
Page 63
de deux facteurs (Anthony, Lonigan, Driscoll, Philipps, & Burgess, 20003), la
taille de l’unité traitée et le type de tâche. Dans leur étude, les auteurs ont examiné le niveau de sensibilité phonologique de 947 enfants de 2 à 6 ans à l'aide
de tâches d'association et de suppression. Par exemple, on demandait à l'enfant
de former un mot avec deux mots courts (cow ... boy : ➝ cowboy), avec deux
syllabes (/mã/ ... /to/ ➝ /mãto/ - manteau). Il était également demandé de supprimer une syllabe d'un mot pour retrouver un autre mot (/poto/ ➝ /po/ peau) ou de supprimer un phonème dans un mot pour former un pseudo mot
ou un mot. Le premier facteur rendant compte du développement relève de la
complexité linguistique où on distingue 4 niveaux : l'enfant maîtrise mieux
d'abord le mot, puis la syllabe, puis les unités infra-syllabiques (rime et
attaque) et enfin le phonème. Ces résultats confirment ceux de Goswami et
Bryant (1990) qui suggéraient une progression suivant la structure hiérarchique du mot. Le second facteur concerne la complexité de la tâche où les
auteurs relèvent à nouveau 4 niveaux de difficulté, la détection de l'association, la détection de la suppression, l'association elle-même et la suppression
elle-même. Ils concluent que la progression répond aux contraintes qui pèsent
sur la mémoire de travail, autrement dit qui tiennent compte du coût cognitif
engagé dans l'opération sollicitée.
Finalement, il faut saisir la sensibilité phonologique comme un
« construit unifié » c’est-à-dire une habileté cognitive unique qui se manifeste
sur le plan comportemental dans une grande variété d’exercices (Anthony &
Francis, 2005 ; Anthony & Lonigan, 2004). Cette habileté générale peut s’exercer dans des tâches de reconnaissance, de discrimination et de manipulation plus
ou moins complexes d’unités.
Une autre conception (compatible avec la précédente) se propose de saisir
les différents niveaux de représentation phonologique engagés dans des tâches
phonologiques. Pour cela, Gombert (1992) distingue des processus au statut
cognitif différent selon que les unités traitées sont accessibles ou non à la
conscience. Un traitement de type épiphonologique renvoie au fait que les unités
ne sont pas directement disponibles et manipulables. Martinot et Gombert (1996)
parlent d’un « simple contrôle exercé par l’organisation des connaissances phonologiques en mémoire à long terme sans intentionnalité » (p. 268). L'activité
cognitive est opérée sans contrôle intentionnel des unités. Un traitement métaphonologique renvoie à une prise de conscience explicite des unités traitées
(Gombert & Colé, 2000). Ces unités phonologiques identifiées et extraites sont
l'objet d'un traitement réfléchi, intentionnel. L'apparition des capacités métaphonologiques serait stimulée par l'enseignement formel de la langue écrite ou par
un entraînement spécifique. Ainsi, il a été montré que des enfants de 5-6 ans,
63
texte 229
19/03/07
15:17
Page 64
après une tâche avec feed-back correctif, arrivent à un véritable contrôle métaphonologique (sur des phonèmes) ce qui n'est pas le cas des enfants de 4-5 ans
(Content, Kolinsky, Morais & Bertelson, 1986 ; Martinot & Gombert, 1996). Il
semble donc que le passage d'un niveau épiphonologique à un niveau métaphonologique 1/ peut s'opérer avant l'enseignement de la lecture, sous l'effet d'un
entraînement, 2/ nécessite une organisation relativement structurée de la base de
connaissances phonologiques.
Pour résumer, le traitement épiphonologique ne serait que la traduction
comportementale de l'état du système de connaissances phonologiques alors que
le traitement métaphonologique est réalisé sous le contrôle d'un opérateur qui
déclenche une procédure dont l'objet est d'extraire des unités linguistiques de la
base de connaissances phonologiques pour les manipuler intentionnellement à
partir d'une instruction (Ecalle & Magnan, 2002b).
Dans le cadre de ce modèle, nous avons entrepris deux études longitudinales (Ecalle & Magnan, 2002 a ; in press) où nous montrons que les deux types
de traitement n'offrent pas le même pattern de réponses en fonction des unités
traitées. Dans la tâche de type épiphonologique (trouver deux mots parmi 4 partageant la même unité), les unités larges sont mieux traitées comparativement
aux phonèmes1 avec une progression pour toutes les unités entre la GS et le CP.
Dans la tâche métaphonologique, (extraction d'unités communes), les unités
phonémiques et syllabiques donnent lieu à des performances très proches et
supérieures par rapport aux unités infra-syllabiques, les premières progressant
sous l'effet de l'enseignement ce qui n'était pas le cas pour les secondes. Toujours dans le cadre du modèle proposé par Gombert (1992), Savage, Blair et
Rvachew (2006) examinent également la question des différents niveaux engagés dans deux types de tâches, épi- et métaphonologique : ils mettent à nouveau
en évidence des patterns de réponses différents selon les tâches en fonction des
unités. Chez les apprentis lecteurs, ils retrouvent un avantage pour les unités
larges dans la tâche épiphonologique alors que les unités réduites sont mieux
réussies dans la tâche métaphonologique.
Le modèle de « redescription représentationnelle » (RR) présenté par
Karmiloff-Smith (1992) offre un cadre théorique intéressant pour expliquer le
développement de la sensibilité phonologique dans la mesure où il propose de
rendre compte de la façon dont les représentations enfantines deviennent progressivement manipulables, plus flexibles pour émerger à la conscience (Ecalle
& Magnan, 2003). Le modèle RR postule 4 niveaux auxquels les connaissances
sont représentées et re-représentées.
1. On pourra observer que compte tenu de la nature très abstraite du phonème, cette unité ne pourrait faire
l'objet d'un traitement implicite de type épiphonologique.
64
texte 229
19/03/07
15:17
Page 65
1. Niveau implicite (I) : les représentations sont sous formes de procédures
pour analyser et répondre aux stimuli extérieurs.
2. Niveau explicite (E1) : les représentations sont le résultat d'une redescription mais ne sont pas accessibles à la conscience ni au rapport verbalisé.
3. Niveau explicite (E2) : les représentations sont accessibles à la conscience
mais ne peuvent pas encore faire l'objet d'une explicitation verbalisée.
4. Niveau explicite (E3) : ici la verbalisation est possible, ce qui renvoie au
savoir métacognitif et au processus de prise de conscience.
La perspective développementale proposée par Karmiloff-Smith offre
donc une tentative d'explication du décalage observé sur un plan développemental entre capacités épiphonologique et métaphonologique2. Ce point de
vue est compatible avec le modèle de restructuration lexicale de Metsala et
Walley (1998) qui décrit le rôle du développement du vocabulaire sur celui de
la sensibilité phonologique. En effet, les représentations lexicales chez le
jeune enfant sont d'abord holistiques puis deviennent de plus en plus précises
(Walley, Metsala, & Garlock, 2003). Ce phénomène de restructuration est prolongé sous l'effet de l'accroissement du vocabulaire. Le stockage des mots
ainsi que la spécification de leurs représentations phonologiques dépend de
leur familiarité et de leur voisinage phonologique (Metsala, 1999). Cette
restructuration est un précurseur d'une capacité segmentale explicite
(conscience phonémique) et c'est l'apprentissage du langage écrit qui renforce
cette conscience phonémique. En conclusion, la restructuration lexicale
dépend d'un facteur global, l'accroissement du vocabulaire (plus la taille du
lexique est élevée plus les mots sont stockés de façon précise) et de facteurs
locaux comme la familiarité déterminée par la fréquence, par l'âge d'acquisition des mots et par le voisinage phonologique défini par la densité de mots ne
différant que par un phonème substitué, supprimé ou ajouté (bague, barre,
balle, bol, sol, etc.).
Enfin, signalons que les caractéristiques phonologiques d'une langue rendent compte en partie du développement de la sensibilité phonologique
(Anthony & Lonigan, 2005). Par exemple, la présence de frontières syllabiques
claires (grec, italien, français) contribue à l'émergence d'une conscience syllabique plus précoce. Sur cet aspect, dans une étude inter-langues transversale
auprès d'enfants pré- et apprentis lecteurs français et anglais, il a été montré que
ces derniers avant l'enseignement formel de la lecture ont des performances
2. On peut, par ailleurs, s'interroger sur la pertinence de distinguer des niveaux intermédiaires E1 et E2. En
particulier, pour les connaissances phonologiques, comment détecter ces deux niveaux et quelle est leur réalité
psychologique ?
65
texte 229
19/03/07
15:17
Page 66
dans des tâches de manipulation de syllabes bien inférieures à celles de leurs
homologues français (Duncan, Seymour, Colé, & Magnan, 2006).
♦ L i e n s e n t re sensibilité phonolo gique et a p p rentissa ge de la lecture
Cette question omniprésente dans la littérature a donné lieu à un grand
nombre de travaux et nous en ferons ici une synthèse rapide. Dans une récente
et très documentée revue de questions, Castles et Coltheart (2004) rappellent
que la conscience phonologique (ils utilisent le terme de phonological awa reness) est une habileté spécifique du langage oral qui précède et influence les
processus d’apprentissage de l’écrit. Plus précisément, les études longitudinales
montrent que seule la conscience phonémique par rapport à la conscience des
unités plus larges telles la rime et la syllabe explique le mieux les performances
en lecture-écriture. Ce lien toutefois ne peut être de nature causale, selon les
auteurs. En effet, il pourrait y avoir un troisième facteur, non mesuré, qui rende
compte de la liaison observée.
Par ailleurs, si les études « entraînement » qui consistent à stimuler la
sensibilité phonologique avant l'enseignement de la lecture ont pour objectif
d'étudier la nature causale du lien, on peut également supposer que cet entraînement n'est pas spécifiquement lié aux performances ultérieures en lecture mais
produit un effet sur des capacités plus générales relevant des capacités attentionnelles ou mnésiques (voir à ce sujet la remarquable étude de Lecocq, 1993, en
français). Bref, ce type d'entraînement pourrait aussi stimuler d'autres apprentissages scolaires comme les mathématiques.
Quoiqu'il en soit, l’idée qui prédomine est qu’il existe un lien bidirectionnel entre sensibilité phonologique et apprentissage de l’écrit (Morais,
2003). Dès que l'enfant développe des habiletés en lecture-écriture, il modifie
sa façon de manipuler les unités phonologiques de la langue orale en utilisant
ses compétences orthographiques (Castles, Holmes, Neath, & Kinoshita,
2003). Autrement dit, le degré de sensibilité phonologique pourrait être un
indice d'une habileté orthographique. La conscience phonémique ne pourrait
exister en dehors d'une connaissance des graphèmes. Cette idée renvoie à
l'hypothèse du lien phonologique (phonological linkage hypothesis de Hatcher, Hulme, & Ellis, 1994) ou à celle d'une conscience graphophonémique
(graphophonemic awa reness de Ehri and Soffer, 1999). Finalement, les
connaissances des lettres (relations lettres-sons ou nom des lettres) pourraient
également constituer un bon prédicteur de la réussite en lecture (Ecalle,
Magnan, & Biot-Chevrier, in press ; Foulin, 2005). Il a été défendu l'idée
selon laquelle la connaissance du nom d'une lettre faciliterait l'accès à sa
valeur phonémique (B /bε/ ➝ /b/) (Treiman, Weatherston, & Berch, 1994 ;
66
texte 229
19/03/07
15:17
Page 67
Ecalle, 2004 ; Share, 2004). Finalement, quelle est l'importance de la sensibilité phonologique comme prédicteur dans l'apprentissage de la lecture en
comparaison avec d'autres composantes ? Une étude longitudinale concernant des enfants suivis de la GS au CE2 répond à cette question en révélant
qu'outre la sensibilité phonologique évaluée à travers diverses épreuves
(association d'unités de différentes tailles, suppression d'unités, segmentation
phonémique, etc.), deux autres prédicteurs importants ressortaient, les
connaissances des lettres (nom et valeur phonémique) et la dénomination
rapide (Schatschneider, Fletcher, Francis, Carlson, & Foorman, 2004).
Reste à trouver des prédicteurs au développement de la conscience phonémique, elle-même étroitement liée à la réussite en lecture. Dans le continuum
d'une sensibilité phonologique où deux types de processus peuvent être distingués, nous avons pu mettre en évidence que les performances à une tâche de type
métaphonologique en CP (isoler des phonèmes) était prédite par des performances
à une tâche de type épiphonologique en GS (catégorisation phonologique : trouver
2 mots parmi 4 qui ont la même unité) (Ecalle & Magnan, 2002a).
Globalement, si la sensibilité phonologique constitue un ensemble, sur le
continuum décrit précédemment, certaines tâches proposées précocement pourraient expliquer en partie l'émergence de la conscience phonémique. Un traitement plus complexe sur les phonèmes (de type métaphonologique) s'appuie sur
des capacités de traitement d'unités plus larges (de type épiphonologique), ce
dernier étant dépendant de la qualité des représentations phonologiques, c'est-àdire qualitativement et quantitativement du niveau du vocabulaire.
♦ Éva l u a tion des habiletés phonolo giques et remédia tion
Si on considère que la relation forte existant entre habiletés phonologiques
et lecture repose essentiellement sur le traitement des phonèmes, alors à l'évidence
la conscience phonémique doit faire l'objet d'une attention particulière. Morais
(2003) rappelle qu'elle n'émerge que dans le cadre de l'apprentissage de la lectureécriture et qu'il convient d'opérer trois distinctions. La première concerne l'habileté à discriminer des paires de syllabes différant sur un segment phonémique (les
illettrés sont capables de traiter cette discrimination) et la conscience des phonèmes (ce que ne possèdent pas les illettrés). La seconde distinction se situe entre
conscience phonémique et habileté à manipuler des phonèmes. La reconnaissance
consciente des phonèmes peut s'évaluer dans une tâche telle « est-ce que sable
commence comme soupe ? » alors que la manipulation de phonèmes implique un
plus haut degré de traitement telle l'association « quel mot peut-on faire avec les
sons /m/ + /ε/ + /r/ ? ». Ici, en filigrane apparaît la distinction épi- vs métalinguistique. Enfin il faut distinguer la conscience phonémique rapidement disponible
67
texte 229
19/03/07
15:17
Page 68
d'une conscience phonémique négligée et difficilement mise en œuvre. En effet,
Morais (2003, citant les travaux de Scliar-Cabral, et al, 1997) mentionne que des
adultes avec un faible niveau de lecture étaient incapables de supprimer un phonème en position initiale dans un mot monosyllabique après un seul essai mais
qu'ils auraient pu après entraînement réaliser cette tâche. Cette distinction n'est pas
dichotomique mais plutôt continue.
Une deuxième approche plus large consiste à examiner les liens entre
sensibilité phonologique et lecture. Et dès lors, un ensemble de tâches impliquant différentes opérations et unités pourrait être proposé tout en sachant que
la conscience des phonèmes n'est stimulée qu'avec l'enseignement formel de la
langue écrite. C'est dans cette perspective que nous développons nos recherches
(Ecalle, Magnan, & Bouchafa, 2002).
Plus récemment (Ecalle & Magnan, 2006), dans le cadre d'une étude
longitudinale3, un ensemble d'épreuves a été administré à une centaine d'enfants suivie de la GS maternelle (avril) au CP (début et milieu). Trois tâches
(subdivisées en 7 sub-tests) ont été élaborées pour évaluer différents aspects
de la sensibilité phonologique. Une tâche de catégorisation phonologique où
les enfants doivent indiquer parmi 4 mots (prononcés et présentés sous forme
de dessins) ceux qui « sonnent pareil ». Une tâche de détection où les enfants
doivent indiquer l’unité commune à 2 mots. Dans ces tâches, deux unités sont
manipulées, la syllabe (T1 catégorisation : toupie-bateau-requin-balai ; T6
extraction : bateau-balai) et le phonème (T2 catégorisation : coq-manchepelle-mur ; T7 extraction : manche-mur). Une autre tâche à choix forcé de
suppression phonologique a été également administrée où les enfants doivent
choisir l’item-correct parmi 4 items-tests : pour le mot-cible bœuf, un distracteur phonologique (neuf), un distracteur sémantique (viande) un intrus (stylo)
et l’item correct (œuf) sont proposés. Pour la suppression phonémique, le
matériel est composé de mots monosyllabiques, de structure attaque + rime
vocalique avec ou sans coda où la suppression de l’attaque engendre un mot
(bœuf ➝ œuf). Deux types de suppression phonémique sont présentés, la
consonne initiale d’une attaque simple (/b/ : bœuf ; T4) ou d’un cluster consonantique (/f/ : flûte ; T5). Pour la suppression syllabique (T3), le matériel est
composé de mots polysyllabiques pour lesquels la suppression de la syllabe
engendre un mot (chapeau ➝ pot). Un test d’identification de mots écrits
(Timé2 ; Ecalle, 2003) est proposé lors de la 3ème session.
L’objectif est de déterminer des groupes d’enfants aux profils d’habiletés phonologiques différents dès la GS. Pour cela, on utilise une technique
3. Cette étude a été réalisée par Marion Bouteille et Marie-Hélène Eudes, étudiantes à l'Ecole d'Orthophonie
(Lyon1).
68
texte 229
19/03/07
15:17
Page 69
de classification automatique faisant apparaître cinq groupes qui se distinguent selon leur niveau de connaissances phonologiques (Graphique 1), les
scores globaux déclinant progressivement, groupe A (taux de réussite 69%),
B (48%), C (41%), D (21%) et E (20%). Les groupes A et B présentent des
niveaux phonémiques et syllabiques très bons et bons, le groupe C témoigne
d’un bon niveau syllabique. Le groupe D a des scores faibles mais les
enfants sont engagés dans le traitement phonologique. Le groupe E qui globalement a un taux de réussite proche du groupe D, se distingue dans les
tâches de suppression par le choix du distracteur sémantique et des réponses
au hasard. Ces enfants centrés sur la fonction de communication du langage
ne peuvent effectuer une tâche métalinguistique (Sanchez, Magnan, &
Ecalle, in press). Cette analyse souligne la forte variabilité inter-individuelle
présente dès la GS.
L’hétérogénéité du niveau d’habiletés phonologiques en GS conduit à
s’interroger sur l’évolution de chaque groupe par tâche et sur leurs performances en lecture. Globalement, les résultats montrent une évolution en parallèle des 5 groupes et une hiérarchie des performances en lecture : A > B > C >
D > E (respectivement, 85%, 77%, 71%, 54%, 49%, sur un score composite
mots corrects + homophones au Timé2).
Graphique 1 : Profils d'apprentis lecteurs déterminés en GS aux tâches de
catégorisation phonologique (syllabe T1; phonème T2), suppression d'unités
(syllabe T3, attaque seule T4, cluster consonantique T5) et extraction d'unités
(syllabe T6, phonème T7) en fonction de leur réponses correctes (Rc) et du type
d'erreurs (distracteur phonologique DP, distracteur sémantique DS, intrus, Int)
avec niveau de réponses au hasard (has).
69
texte 229
19/03/07
15:17
Page 70
Enfin, l’analyse de la variabilité intra-individuelle montre certaines trajectoires développementales « cahotiques ». En effet, nous avons relevé la présence de « faux positifs », 3 enfants qui en début de CP faisaient preuve d'un
niveau moyen ou bon d'habiletés phonologiques et dont le score en lecture était
très faible. Un « faux négatif » qui avec un excellent niveau de lecture (note
maximale) avait quasiment échoué au même moment aux épreuves phonologiques. Toutefois, les scores antérieurs sur le même test étaient également très
bons. Ces résultats suggèrent que l'évaluation des habiletés phonologiques ne
permet pas à coup sûr de détecter les enfants à risque d'échec en lecture. D'une
part, il convient de multiplier les épreuves phonologiques, tel est notre objectif
avec le développement d'un test sur ce registre (Ecalle, en préparation). D'autre
part, comme il a été signalé précédemment, d'autres prédicteurs semblent également puissants, notamment la connaissance du nom des lettres.
A l'évidence, une intervention précoce (avant le CP pour les enfants à
risque d'échec en lecture) ou contemporaine à l'apprentissage de la langue écrite
pendant le CP-CE1 pour les enfants qui éprouvent des difficultés est très fortement recommandée. En effet, l'apprentissage des correspondances graphèmesphonèmes nécessite la mise en lien entre des signes visuels (les lettres) et des
unités abstraites de la langue orale. Cet apprentissage étant coûteux cognitivement pour un certain nombre d'enfants, les aider préventivement à réfléchir sur
la langue, à manipuler différentes unités phonologiques contribue à alléger les
ressources attentionnelles mobilisées au moment de l'enseignement du code
(Gombert, 1992).
En revanche, l'aide aux enfants en grandes difficultés de lecture et aux
dyslexiques (voir pour cette distinction, Ecalle & Magnan, in press, b) devrait
plutôt se focaliser sur la construction d'unités ortho-phonologiques et leur récupération automatisée pour faciliter le décodage phonologique et la lecture des
mots (Magnan & Ecalle, 2006 ; Magnan, Ecalle, Veuillet, & Collet, 2004).
70
texte 229
19/03/07
15:17
Page 71
Schéma 1 : Liens entre apprentissage de la lecture-écriture, développement épimétalinguistique et vocabulaire.
Pour résumer (Schéma1), des connaissances antérieures propres au langage oral 4 sont nécessaires pour apprendre à lire-écrire. Elles relèvent du vocabulaire notamment et c'est sur des représentations phonologiques précises que
des capacités de traitement épilinguistique pourront d'autant mieux se développer. Ces dernières pourraient être un précurseur à un niveau de traitement plus
élaboré de type métalinguistique. Enfin, comme il a été rappelé, l'apprentissage
de la langue écrite stimule les capacités de traitement métalinguistique et contribue au développement du vocabulaire. Dès lors des activités de prévention et de
remédiation pourraient être proposées pour 1/ développer le lexique phonologique puisque la quantité de vocabulaire et la qualité des représentations phonologiques jouent un rôle dans l'émergence de la sensibilité phonologique, 2/
mettre en œuvre des activités diversifiées relevant du traitement épilinguistique
et 3/ du traitement métalinguistique, ce dernier en appui des séquences normales
d'enseignement scolaire. Bien sûr, d'autres séquences ne relevant pas du sujet
traité ici peuvent également être proposées (morphologiques, syntaxiques, etc.).
4. D'autres types de connaissances antérieures sont également nécessaires (voir Ecalle & Magnan, 2002).
71
texte 229
19/03/07
15:17
Page 72
REFERENCES
ALEGRIA, J., MORAIS, J. (1989). Analyse segmentale et acquisition de la lecture. In L. RIEBEN, C.
PERFETTI (Eds.). L'apprenti lecteur (pp. 173-196). Neuchâtel et Paris : Delachaux-Niestlé.
ANTHONY, J.L., FRANCIS, D.J. (2005). Development of phonological awareness. Current Directions in
Psychological Science, 14(5). 255-259.
ANTHONY, J.L., LONIGAN, C.J. (2004). The nature of phonological awareness : Converging evidence
from four studies of preschool and early grade school children. Journal of Educational Psychology, 96. 43-55.
ANTHONY, J.L., LONIGAN, C.J., BURGESS, S.R., DRISCOLL, K, PHILLIPS, B.M., CANTOR, B.G.
(2002). Structure of preschool phonological sensitivity : Overlapping sensitivity to rhyme, words,
syllables, and phonemes. Journal of Experimental Child Psychology, 82. 65-92.
ANTHONY, J.L., LONIGAN, C.J., DRISCOLL, K., PHILLIPS, B.M., BURGESS, S.R. (2003). Phonological sensitivity: A quasi-parallel progression of word structure units and cognitive operations.
Reading Research Quarterly, 38. 470-487.
BOWEY, J.A. (2002). Reflections on onset-rime and phoneme sensitivity as predictors of beginning word
reading. Journal of Experimental Child Psychology, 82. 29-40.
CASTLES, A., COLTHEART, M. (2004). Is there a causal link from phonological awareness to success in
learning to read ? Cognition, 91. 77-111.
CASTLES, A., HOLMES, V.M., NEATH, J., KINOSHITA, S. (2003). How does orthographic knowledge
influence performance on phonological awareness task ? Quarterly Journal of Experimental Psychology, 56.,445-467.
CONTENT, A., KOLINSKY, R., MORAIS, J.,BERTELSON, P. (1986). Phonetic segmentation pre readers : Effects of corrective information. Journal of Experimental Child Psychology, 42. 49-72.
DUNCAN, L.G., SEYMOUR, P.H.K., COLÉ, P., MAGNAN, A. (2006). Differing sequences of metaphonological development in French and English. Journal of Child Language, 33. 369-399.
72
texte 229
19/03/07
15:17
Page 73
ECALLE, J. (2003). Timé-2 : Test d'identification de mots écrits pour enfants de 6 à 8 ans. Paris : ECPA.
ECALLE, J. (2004). Les connaissances des lettres et l'écriture du prénom chez l'enfant français avant l'enseignement formel de la lecture-écriture. Psychologie Canadienne, 45(1). 111-118.
ECALLE, J. (en préparation). THaPho : Test des Habiletés Phonologiques (5-8 ans).
ECALLE, J., MAGNAN, A. (2002a). The development of epiphonological and metaphonological processing at the start of reading : A longitudinal study. European Journal of Psychology of Education,
17(1). 47-62.
ECALLE, J., MAGNAN, A. (2002b). L'apprentissage de la lecture. Fonctionnement et développement
cognitifs. Paris : A. Colin.
ECALLE, J., MAGNAN, A. (2003). Traitements épiphonologique et métaphonologique et apprentissage
de la lecture. In M.N. Romdhane, J.-E. Gombert, M. Belajouza (Eds.), L'apprentissage de la lecture. Perspective comparative interlangue (pp 251-265). Rennes : PUR.
ECALLE, J., & MAGNAN, A. (2006). Habiletés phonologiques et lecture : étude de la variabilité inter- et
intra- individuelle. Communication orale aux 17èmes Journées Internationales de Psychologie
Différentielle. Paris-Nanterre, 19-21 Septembre.
ECALLE, J., MAGNAN, A., (in press, a). Development of phonological skills and learning to read in
French. European Journal of Psychology of Education.
ECALLE, J., MAGNAN, A. (in press, b). Des difficultés en lecture à la dyslexie : problèmes d'évaluation
et de diagnostic. Glossa.
ECALLE, J., MAGNAN, A., BIOT-CHEVRIER, C. (in press). Alphabet knowledge and early literacy
skills in French beginning readers. European Journal of Developmental Psychology.
ECALLE, J., MAGNAN, A., BOUCHAFA, H. (2002). Le développement des habiletés phonologiques
avant et au cours de l'apprentissage de la lecture : de l'évaluation à la remédiation. Glossa, 82, 212.
EHRI, L.C., SOFFER, A.G. (1999). Graphophonemic awareness : Development in elementary students.
Scientific Studies of Reading, 3. 1-30.
FOULIN, J.-N., (2005). Why is letter-name knowledge such a good predictor of learning to read ? Reading and Writing, 18. 129-155.
GOMBERT, J. E. (1992). Activités de lecture et activités associées. In M. FAYOL, J.-E. GOMBERT, P.
LECOCQ, L. SPRENGER-CHAROLLES, D. ZAGAR (Eds.), Psychologie cognitive de la lecture (pp. 107-131). Paris : PUF.
GOMBERT, J. E., COLÉ, P., (2000). Activités métalinguistiques, lecture et illettrisme. In M. KAIL, M.
FAYOL (Eds.), L'acquisition du langage. Le langage en développement. Au-delà de trois ans (pp.
117-150). Paris : PUF.
GOSWAMI, U., BRYANT, P. (1990). Phonological skills and learning to read. Hillsdale : Erlbaum.
HATCHER, P., HULME, C., ELLIS, A.W. (1994). Ameliorating reading failure by integrating the teaching of reading and phonological skills. The phonological linkage hypothesis. Child Development, 65, 41-57.
KARMILOFF-SMITH, A. (1992). Beyond the modularity. Cambridge : MIT Press.
LECOCQ, P. (1993). Entraînement à l'analyse segmentale et apprentissage de la lecture. Journal International de Psychologie, 28(5). (549-569).
MAGNAN, A., ECALLE, J. (2006). Audio-visual training in children with reading disabilities. Computers
& Education, 46(4). 407-425.
MAGNAN, A., ECALLE, J., VEUILLET, E., COLLET, L. (2004). The effects of an audio-visual training
program in dyslexic children. Dyslexia, 10(2). 131-140.
MARTINOT, C., GOMBERT, J. E. (1996). Le développement et le contrôle des connaissances phonologiques à l'âge préscolaire. Revue de Neuropsychologie, Vol 6(2). 251-269.
METSALA, J.L., WALLEY A.C., (1998). Spoken vocabulary growth and the segmental restructuring of
lexical representations : Precursors to phonemic awareness and early reading ability. In J.L.
METSALA, L.C. EHRI (Eds.). Word recognition in beginning literacy (pp. 89-120). London :
Erlbaum.
METSALA, J.L. (1999). Young children's phonological awareness and nonword repetition as a function of
vocabulary development. Journal of Educational Psychology, 91(1), 3-19.
73
texte 229
19/03/07
15:17
Page 74
MORAIS, J. (2003). Levels of phonological representation in skilled reading and in learning to read. Reading and Writing, 16. 123-151.
SANCHEZ, M., MAGNAN, A. ECALLE, J. (in press). Habiletés phonologiques chez des enfants dysphasiques de GS et CP : étude comparative avec des enfants au développement langagier normal.
Psychologie Française.
SAVAGE, R., BLAIR, R., & RVACHEW, S. (2006). Rimes are not necessarily favored by pre-readers :
Evidence from meta- and epilinguistic phonological tasks. Journal of Experimental Child Psychology, 94. 183-205.
SCHATSCHNEIDER, C., FLETCHER, J.M., FRANCIS, D.J., CARLSON, C.D., FOORMAN, B.R.
(2004). Kindergarten prediction of reading skills : A longitudinal comparative analysis. Journal
of Educational Psychology, 96(2). 265-282.
SHARE, D.L. (2004). Knowing letters names and learning letter sounds : A causal connection. Journal of
Experimental Child Psychology, 88. 213-233.
STANOVICH, K.E. (1992). Speculations on the causes and consequences of individual differences in
early reading acquisition. In P.B. Gough, L.C. Ehri, R. Treiman (Eds.). Reading acquisition (pp.
307-342). Hillsdale, NJ: Erlbaum.
TREIMAN, R., WEATHERSTON, S., BERCH, D. (1994). The role of letter names in children's learning
of phoneme-grapheme relations. Applied Psycholinguistics, 15. 97-122.
WALLEY, A.C., METSALA, J.L., GARLOCK, V.M. (2003). Spoken vocabulary growth : Its role in the
development of phoneme awareness and early reading ability. Reading and Writing, 10. 5-20.
74
texte 229
19/03/07
15:17
Page 75
Définition, classification et évaluation des
dysarthries
Pascal Auzou
Résumé
La dysarthrie est définie comme un trouble de la parole secondaire à une atteinte du système nerveux central, périphérique ou de ces deux composantes. Les conséquences sur la
motricité impliquée dans la parole concernent la force, la vitesse, le déroulement temporel
et la précision du mouvement. L’altération porte sur la ventilation, la phonation, l’articulation
et la prosodie (de façon isolée ou combinée). Les principaux moyens d’études portent sur
l’intelligibilité, l’analyse perceptive, les troubles phonétiques, la motricité verbale et non verbale.
Mots clés : dysarthrie, troubles moteurs de la parole, évaluation, analyse perceptive, intelligibilité, altérations phonétiques, prosodie, motricité verbale
Definition, classification and evaluation of dysarthrias
Abstract
Dysarthria has been defined as “a collective name for a group of speech disorders resulting
from disturbances in muscular control over the speech mechanism due to damage of the
central or peripheral nervous system.” This movement disorder is due to abnormal neuromuscular performance and may affect the strength, speed, range, timing and accuracy of
speech movement. It can affect respiration, phonation, articulation and prosody, either singly or in combination.
The speech examination can be divided into different parts: (1) assessment of intelligibility,
(2) auditory-perceptual characteristics, (3) phonetic disturbances, (4) examination of the oral
mechanism during speech and non speech activities.
Key Words : dysarthria, motor speech disorders, assessment; auditory-perceptual characteristics, intelligibility, phonetic disturbances, prosody, oral motricity
Rééducation Orthophonique - N° 229 - mars 2007
75
texte 229
19/03/07
15:17
Page 76
Pascal AUZOU
Médecin neurologue
Service d’Explorations Fonctionnelles
Neurologiques
Fondation Hopale.
47 rue du Dr Calot.
62600 Berck sur mer
♦ Définition
L
a dysarthrie est définie comme un trouble de la réalisation motrice de la
parole, secondaire à des lésions du système nerveux central ou périphérique (Darley et al., 1975). Elle se rencontre dans de nombreuses pathologies neurologiques. Les perturbations qui en résultent retentissent sur la respiration, la phonation, l’articulation, la résonance et la prosodie.
Cette définition comprend les atteintes limitées des organes, telles qu’une
atteinte articulatoire isolée par atteinte du nerf hypoglosse ou une dysphonie par
atteinte récurrentielle. Par contre, elle ne concerne que les troubles d’origine
neurogène et ne prend pas en compte les troubles mécaniques (fracture mandibulaire, fente palatine…) retentissant sur la parole. D’autre part, elle considère
habituellement les troubles neurologiques acquis et non les troubles développementaux.
♦ Classifica tion des d y s a rt h r ies
H i s t o r i q u e d e s c lassifi c a t i o n s
Les classifications peuvent a priori reposer sur des considérations neurologiques (étiologiques ou topographiques), sur des considérations physiopathologiques ou sur des considérations cliniques, voire combiner ces différents points
de vue. Il n’existe pas de classification qui repose sur une approche purement
sémiologique, opposant par exemple les dysarthries à débit normal et à débit lent
ou les dysarthries à voix rauque et à voix normale. Les principales classifications
proposées reposent essentiellement sur une approche neurologique. Ainsi les
dysarthries ont été classées selon l’âge de début (congénitales, acquises), selon
l’étiologie (vasculaires, néoplasiques, traumatiques, inflammatoires, toxiques,
métaboliques, dégénératives), selon les structures neuro-anatomiques atteintes
(cérébrale, cérébelleuse, tronc cérébral, moelle ; ou centrale versus périphérique), selon les nerfs crâniens impliqués (V, VII, IX-XI, XII), ou la pathologie
en cause (parkinsonisme, myasthénie, sclérose latérale amyotrophique…).
76
texte 229
19/03/07
15:17
Page 77
La classification la plus répandue actuellement provient des travaux de
Darley et al. (1969a, b ; 1975). Elle est dite physiopathologique. A partir d’une
analyse perceptive, elle propose une description des anomalies selon les différents niveaux physiologiques perturbés (respiration, phonation, résonance, articulation, prosodie).
Classificat i o n d e D a rley, Brown et Aronson
Les travaux sur la classification ont été publiés dans deux articles par
Darley, Aronson et Brown en 1969 (Darley et al., 1969a, b) et repris dans l’ouvrage « Motor Speech Disorders » en 1975. Les auteurs ont étudié 7 groupes
de patients (Tableau 1). Chaque groupe était constitué de 30 patients à l’exception du groupe parkinsonisme qui en comportait 32.
G roupes pathologiques
Types de d y s a r t h rie
Bulbaire
Flasque
Pseudobulbaire
Spastique
Lésions cérébelleuses
Ataxique
Parkinsonisme
Hypokinétique
Dystonie
Hyperkinétique
Choréo-athétose
Hyperkinétique
Sclérose latérale amyotrophique
Mixte
Tableau 1. Groupes de patients étudiés (à gauche) et terminologie de la dysarthrie selon Darley et al. (1975).
Six types de dysarthrie ont été définis :
• la dysarthrie spastique par atteinte bilatérale du motoneurone central. Elle
était représentée par le groupe des atteintes pseudobulbaires. Elle s’observe par exemple dans les accidents vasculaires cérébraux,
• la dysarthrie flasque par atteinte de la voie finale commune qui comprend
les nerfs périphériques, la jonction neuromusculaire et les muscles effecteurs de la parole (exemple : myasthénie, myopathies),
• la dysarthrie ataxique par atteinte du cervelet ou des voies cérébelleuses,
• la dysarthrie hypokinétique par atteinte des noyaux gris centraux avec la
prédominance d’une akinésie, comme dans la maladie de Parkinson,
• la dysarthrie hyperkinétique résultant d’un dysfonctionnement des noyaux
gris centraux avec la prédominance de mouvements anormaux comme
dans les dystonies ou la maladie de Huntington,
77
texte 229
19/03/07
15:17
Page 78
• la dysarthrie mixte comprenant les troubles de la parole par atteinte de plusieurs systèmes neurologiques. Elle était représentée par le groupe de
patients atteints de sclérose latérale amyotrophique. Elle s’observe aussi
dans des pathologies telles que la sclérose en plaques ou les traumatismes
crâniens.
Ultérieurement l’équipe de la Mayo Clinic ajoutera deux catégories supplémentaires (Duffy, 2005) :
• Les dysarthries par atteinte unilatérale du premier neurone moteur,
• Les dysarthries d’étiologie indéterminée.
L e s p rincipales anomalies perce p t ives
Les auteurs ont réalisé pour chacun des patients, l’écoute d’un texte
« Grand father passage » et ont coté 38 paramètres regroupés en 7 catégories :
hauteur, intensité, qualité vocale, respiration, prosodie, articulation et une catégorie globale comprenant les critères intelligibilité et bizarrerie de la parole. La
cotation était effectuée selon une échelle allant de 1 (normal) à 7 (perturbation
maximale). Pour chaque groupe pathologique, les paramètres les plus déviants
étaient rapportés avec les scores moyens obtenus. A titre d’illustration le tableau
2 présente les paramètres ayant obtenu une note moyenne supérieure à 1.5 dans
le groupe hypokinétique.
Dysarthrie hypokinétique
Monotonie
Diminution accentuation
Mono intensité
Imprécision consonnes
Silences inappropriés
Accélérations paroxystiques
Voix rauque
Voix soufflée (continue)
Hauteur
Débit variable
4.64
4.46
4.26
3.59
2.40
2.22
2.08
2.04
1.76
1.74
Tableau 2. Principaux paramètres perturbés dans la dysarthrie hypokinétique. Les notes
moyennes sont indiquées à droites (0 : normale ; 7 : perturbation maximale). Seuls les
paramètres dont le score moyen est supérieur à 1.5 sont rapportés.
La répartition des ces anomalies dans chacun des groupes est à la base de
la description classique des dysarthries. Ainsi la dysarthrie parkinsonienne com-
78
texte 229
19/03/07
15:17
Page 79
porte des troubles prosodiques (monotonie, mono-intensité, diminution de l’accentuation…), des troubles de la voix (rauque, soufflée) et des troubles articulatoires (imprécision des consonnes). De nombreux critères déviants sont communs aux différents groupes.
L’a p p roc h e p hysiopathologique
Une des originalités du travail de Darley et al. (1969b) est d’avoir étudié
les relations entre les critères les plus déviants pour dégager des hypothèses
physiopathologiques. Au sein de chacun des groupes, les auteurs ont étudié les
corrélations entre les critères les plus déviants. Lorsque les scores de deux critères étaient significativement corrélés et que cette liaison paraissait physiologiquement pertinente, les auteurs regroupaient ces critères dans un même
ensemble, nommé « cluster ». Ainsi chaque groupe pathologique se définissait
non seulement par un ensemble de critères mais par un nombre plus restreint de
clusters. Au total 8 clusters différents ont pu être identifiés pour l’ensemble des
groupes (Fig. 1 Annexe p. 80 b). L’exemple du regroupement des critères en clusters pour la dysarthrie hypokinétique est décrit dans la Fig. 2 (Annexe p. 80 b).
♦ Éva l u a tion de la dy s a rt h r ie
L’acte de parole permet le transfert du message d’un locuteur (ici le patient dysarthrique) vers l’auditeur. Après l’élaboration linguistique et la programmation
motrice, les différents effecteurs vont conduire à la mise en vibration de l’air
ambiant. Cette vibration sera perçue et analysée par l’auditeur à plusieurs niveaux
(sémantique, syntaxique, phonétique, prosodique, émotionnel…).
L’évaluation clinique de la dysarthrie comprend six approches distinctes mais
dépendantes les unes des autres :
• L’auditeur perçoit globalement les anomalies de parole du locuteur dysarthrique. La parole peut apparaître trop lente ou trop faible. Repérer de
telles anomalies constitue l’analyse percep t ive de la parole.
• La parole peut être plus ou moins sévèrement perturbée, déviante, comprise par l’auditeur. Cette sévérité du trouble de la parole recouvre plusieurs aspects, dont l’intelligibilité n’est que l’un d’entre eux.
• La plupart des dysarthries entraînent des altérations dans la production des
consonnes (articulation) ou des voyelles (résonance) ; leur description
constitue l’anal yse phonétique.
• La production de la parole nécessite la mise en jeu de différents effecteurs
(étage respiratoire, larynx, langue, lèvres, voile du palais, pharynx, mandibule). L’examen sensori - m o t e u r des effecteurs s’effectue par des outils
cliniques ou instrumentaux.
79
texte 229
19/03/07
15:17
Page 80
• La perception que le patient a de son trouble définit le domaine de l’autoé va l u ation.
• La mise en vibration de l’air situé entre le locuteur et l’auditeur peut faire
l’objet d’une a n a l yse acoustique instrumentale. Longtemps limité au
domaine de la recherche, ce type d’analyse est de plus en plus accessible à
la pratique clinique
Avant la description analytique de la parole dysarthrique, il faut déterminer si le trouble de la communication verbale du patient correspond effectivement à une dysarthrie. Lors de l’analyse du trouble, la multiplication des
approches et des outils ne doit pas faire perdre de vue les 4 questions essentielles auxquelles il faut répondre :
1. Quelle est la sévérité de la dysarthrie ?
2. Quelles sont les principales anomalies perceptives qui permettent de la
décrire (et donc de communiquer entre les différents thérapeutes) ?
3. Quelle est l’altération motrice sous-jacente au trouble observé ?
4. Quelle perception le patient a-t-il de sa parole et quelle est sa plainte ?
A l’issue du bilan une synthèse doit être effectuée qui intègre le contexte
pathologique du patient et détermine la prise en charge. L’objectif du bilan est
de décrire les anomalies et de formuler des hypothèses pour établir le projet thérapeutique. Il doit également fournir des données quantitatives pour le suivi évolutif du malade.
L’ a n a lyse perce p t ive
L’évaluation perceptive représente la méthode de référence (« Gold Standard ») de l’analyse de la dysarthrie, c’est-à-dire l’élément prépondérant du
diagnostic positif. Un patient est dysarthrique parce qu’il est perceptivement
reconnu comme tel. L’évaluation perceptive peut être effectuée de façon globale
ou analytique.
L’analyse globale permet de recueillir des informations perceptives dès le
premier contact avec le patient. Certaines caractéristiques de la parole paraissent
prédominantes. Nous pouvons par exemple être frappés par la raucité d’une
voix, la lenteur d’un débit, ou encore un nasonnement important. Ces impressions, analysées par rapport à une consultation antérieure, peuvent ainsi donner
la sensation que la parole du patient s’est améliorée ou détériorée. L’approche
perceptive globale constitue donc une première démarche dans l’analyse clinique de la dysarthrie et permet d’isoler de façon rapide les caractéristiques
essentielles de la parole.
L’évaluation perceptive peut aussi reposer sur des études plus systématiques, grâce à des grilles d’évaluation standardisées. Ces grilles comportent un
nombre défini de critères et quantifient le degré de perturbation. La plupart des
80
AnnexeAuzou
19/03/07
15:34
Page 1
F i g u re 1
F i g u re 2
Annexe
Page Blanch
19/03/07
16:18
Page 2
texte 229
19/03/07
15:17
Page 81
grilles reprennent l’ensemble des caractéristiques de la parole : hauteur, intensité, respiration, articulation, résonance et prosodie. Elles sont généralement inspirées des travaux de Darley et al. (1969a, b ; 1975). L’analyse perceptive permet de décrire les anomalies par un choix de termes précis, elle permet
également de quantifier la sévérité de la déviance.
La tâche servant de support à l’analyse perceptive varie selon les outils. Il
peut s’agir de phonation soutenue, de répétition rapide de syllabes, d’épreuves
conversationnelles, de discours narratif. Beaucoup d’études utilisent de préférence la lecture ou la parole spontanée (Özsancak et al, 2002). Les échelles de
cotations sont également variables selon les outils. Elles comportent le plus souvent des échelles en 4, 5 ou 7 points.
La sévérité de la dy s a rt h rie
La dysarthrie perturbe la transmission du message oral. Cette perturbation
peut altérer le contenu. On distingue alors l’altération de l’intelligibilité, de la
compréhensibilité et de l’efficacité de la parole. La perturbation peut respecter
les notions précédentes tout en étant responsable d’une parole anormale. Nous
définirons alors la notion de sévérité perceptive.
– L’intelligibilité et la compréhensibilité
L’intelligibilité est définie comme « le degré de précision avec lequel le
message est compris par l’auditeur » (Yorkston et Beukelman, 1980). Elle se
définit en comptant le nombre d’unités de parole reconnu par l’auditeur.
La réduction de l’intelligibilité est un des critères principaux de l’évaluation clinique des dysarthries. Elle représente souvent la plainte essentielle des
patients et de leurs proches. C’est une cause de handicap et elle constitue, à ce
titre, un indice de sévérité qu’il faut quantifier avant toute prise en charge thérapeutique.
L’intelligibilité est un phénomène complexe dont l’altération peut être observée de façon variable sur différents éléments du discours. De nombreuses variables
interviennent dans sa mesure : choix du matériel (mots, phrases, textes), familiarité
de l’auditeur avec le matériel, avec le patient, sévérité de la dysarthrie ...
Pour rendre compte de ces difficultés de mesure, Yorkston et al. (1999)
proposent de distinguer les notions d’intelligibilité et de compréhensibilité.
L’estimation de l’intelligibilité reflète à la fois la réalisation acoustique produite
par un système altéré et les stratégies utilisées par le locuteur pour améliorer sa
production de parole. La compréhensibilité désigne le degré avec lequel un
auditeur comprend la parole à partir du signal acoustique (intelligibilité) et des
autres informations qui contribuent à la compréhension de ce qui vient d’être
produit. Elle intègre donc des données supplémentaires par rapport au signal
acoustique telles que des connaissances sur le sujet traité, le contexte séman-
81
texte 229
19/03/07
15:17
Page 82
tique ou syntaxique, les gestes et d’autres indices. En situation de communication, c’est donc le plus souvent la compréhensibilité qui est appréciée. Le terme
le plus utilisé reste cependant celui d’intelligibilité.
– L’efficacité
L’efficacité désigne la quantité de message intelligible ou compréhensible
transmise par unité de temps. Elle peut donc être dégradée, par exemple, par une
altération de l’intelligibilité ou du débit.
– La sévér i t é p e rcep t ive
Les trois notions précédentes décrivent surtout l’altération du contenu du
message véhiculé. Cependant, il est fréquent qu’une parole soit intelligible,
compréhensible et efficace pour transmettre des informations, mais apparaisse
très déviante pour l’auditeur. Ceci est par exemple le cas lorsque l’atteinte
vocale est prédominante ou qu’il existe un trouble prosodique isolé. La production s’éloigne alors d’une parole normale, naturelle pour paraître bizarre voire
désagréable. Cette déviance peut être source de handicap et mérite d’être décrite
dans le bilan. Bunton et al. (2000) considèrent que la sévérité doit être décrite
selon deux axes : une mesure d’intelligibilité et une mesure du trouble prosodique. Auzou et Rolland-Monnoury (2006) ont proposé un score perceptif qui
intègre 5 critères perceptifs (qualité vocale, réalisation phonétique, prosodie,
intelligibilité, caractère naturel) pour rendre compte de l’ensemble des perturbations de la parole.
L’ a n a lyse phonétique
L’analyse phonétique étudie les conséquences de la dysarthrie sur la production des phonèmes. Elle s’intéresse donc aux troubles portant sur les
voyelles (résonance) et sur les consonnes (articulation). Les perturbations phonétiques sont fréquentes dans tous les types de dysarthries et interviennent pour
une part importante dans la réduction de l’intelligibilité.
Habituellement, les troubles articulatoires se distinguent en deux types :
des distorsions, dans lesquelles le phonème cible est reconnaissable mais
déformé ; des substitutions dans lesquelles un phonème est remplacé par un
autre. Chez les patients dysarthriques, les anomalies sont essentiellement des
distorsions. Dans certains cas le phonème produit peut être identifié. Dans
d’autres, la distorsion peut conduire à une confusion avec un autre phonème.
La transcription des productions peut être phonémique ou phonétique.
Dans le cas d’une transcription phonémique, seuls les symboles de l’alphabet
phonétique international (API) sont utilisés. Cette transcription est alors qualifiée de « large » (« broad transcription »). Son but est d’identifier les phonèmes produits, qu’ils soient distordus ou non. Cette forme de transcription
entraîne une perte de l’information phonétique (Zeplin et Kent, 1996).
82
texte 229
19/03/07
15:17
Page 83
La transcription phonétique utilise non seulement l’API mais aussi son
extension. Elle donne lieu à une transcription dite « étroite » (« narrow transcription ») qui représente « la transformation d’un message acoustique en unités discrètes de parole que sont les caractères phonétiques » (Cucchiarini,
1996). Beaucoup plus précise que la précédente, elle cherche à donner toutes les
caractéristiques articulatoires du phonème produit.
Dans le cas de la dysarthrie, où la majorité des anomalies correspondent à
des distorsions, la transcription phonémique est insuffisante ; il faudrait donc
lui préférer une transcription phonétique. Cependant, son apprentissage ainsi
que son utilisation nécessitent un investissement en temps considérable. Comme
il n’est pas possible de saisir « en direct » toutes les perturbations, la notation
doit se faire à partir d’enregistrements. Elle est, d’autre part, très subjective et sa
fiabilité peut ainsi être contestée (Kent, 1996). La familiarité avec le patient
(Yorkston et al., 1988) ou l’anticipation de la perception (Kent, 1996) peuvent
fausser la transcription du corpus.
Une analyse phonétique partielle des erreurs des patients peut se faire à
partir de tests en choix multiple de mots (Kent et al., 1989 ; Auzou et RollandMonnoury, 2006).
L’éva l u ation de la motricité des effe c t e u rs
L’évaluation de la motricité des effecteurs de la parole fournit une première analyse physiopathologique des dysfonctionnements en cause dans la
dysarthrie. Elle peut se faire avec des outils cliniques ou de façon instrumentale.
Si la conversation avec le patient permet déjà de suspecter des niveaux de dysfonctionnements (raucité de la voix en rapport avec une atteinte laryngée,
trouble de la résonance nasale traduisant un dysfonctionnement vélaire), il est
nécessaire d’évaluer de façon systématique les différents effecteurs impliqués
dans la parole et, si possible, de hiérarchiser les perturbations (par exemple :
atteinte à prédominance respiratoire et phonatoire avec respect des articulateurs). Cette analyse est d’autant plus importante que les effecteurs seront une
des cibles de la rééducation. Les grilles d’évaluation motrice permettent donc de
mettre en évidence les dysfonctionnements des effecteurs mais peuvent également servir à visée comparative après rééducation (Enderby et Crow, 1990 ;
Murdoch et Hudson-Tennent, 1994 ; Ridel et al, 1995 ; Sheard et al., 1991).
Plusieurs grilles d’évaluation sensori-motrice ont été proposées (Enderby,
1983 ; Robertson, 1982 ; Hartelius et al, 1993 ; Bianco-Blache et Robert,
2002 ; Auzou et Rolland-Monnoury, 2006). Elles comportent plusieurs catégories comme les activités réflexes, la respiration, la phonation et l’articulation. Il
s’agit d’une approche analytique quantifiée où chaque épreuve fait l’objet d’un
score. Ces grilles analytiques sont intéressantes à plusieurs titres. Elles permet-
83
texte 229
19/03/07
15:17
Page 84
tent de décrire précisément les dysfonctionnements des effecteurs. Elles permettent également de rechercher des relations entre les anomalies cliniques, par
exemple respiratoires, et des études para-cliniques, acoustiques ou aérodynamiques. Cette approche doit permettre, pour un patient donné, d’aboutir à une
meilleure compréhension physiopathologique de la maladie neurologique sousjacente. Ces grilles analytiques peuvent guider les orthophonistes dans l’établissement de leur projet de rééducation. Elles sont simples mais néanmoins sensibles aux changements, ce qui permet leur usage lors d’un suivi évolutif. Enfin,
elles pourraient mettre en évidence des profils particuliers permettant de différencier les types de dysarthrie entre eux (Auzou et al, 2000).
Les données neurophysiologiques actuelles plaident pour une distinction
entre la motricité oro-faciale selon qu’elle implique le domaine verbal (geste
dans son contexte fonctionnel) et un autre type de motricité (geste analytique
hors fonction de parole) (Ziegler, 2002). Ce point probablement déterminant
pour le choix des exercices à utiliser au cours de la rééducation, justifie la
nécessité de distinguer à l’étape du bilan ces deux types de gestes.
L’autoéva l u ation
L’autoévaluation consiste à recueillir le ressenti du patient par rapport à
son trouble de la communication. Complémentaire des évaluations précédentes,
elle vise donc à évaluer au plus près le handicap et le retentissement sur la qualité de vie. A trouble de sévérité égale, selon les paramètres de mesure objectifs,
le handicap ressenti ne sera pas le même chez une personne ayant une activité
professionnelle au contact des autres (enseignant, guide, vendeur) que chez une
personne retraitée ayant peu d’activité sociale.
Elle se fait le plus souvent de façon informelle pour juger le degré de handicap ressenti par le sujet avant de débuter une prise en charge ou pour quantifier l’amélioration obtenue au terme de cette dernière.
L’autoévaluation peut se concevoir comme un outil de prise en charge
afin de permettre, par le biais des questions posées, la prise de conscience par le
patient de ses difficultés et amorcer la relation thérapeutique entre l’orthophoniste et son patient. La longueur de l’échelle variera en fonction de l’objectif
recherché.
L’efficacité d’une prise en charge évaluée par l’amélioration d’un paramètre objectif ne prend toute sa valeur que si cette efficacité est également ressentie par le patient. L’autoévaluation est donc complémentaire des bilans combinant les éléments cliniques et instrumentaux.
L’autoévaluation de la dysarthrie est un domaine négligé. Les seules données de la littérature concernent la dysarthrie parkinsonienne (Hartelius et
Svensson, 1994 ; Fox et Ramig, 1997 ; Jimenez-Jimenez et al, 1997).
84
texte 229
19/03/07
15:17
Page 85
L’ a n a lyse acoustique
Le transfert de l’information entre le locuteur et l’auditeur passant par le
milieu aérien, l’enregistrement de l’onde transmise fournit un outil privilégié
d’étude de la parole. L’analyse acoustique de la parole normale ou pathologique
a bénéficié de l’apport de la micro-informatique qui la rend techniquement disponible en pratique clinique. Les paramètres recueillis peuvent concerner la
voix (fréquence fondamentale, stabilité), le timbre (formants), les données temporelles (durée de phonèmes, de segments de parole) ou la prosodie (contour
mélodique). Les paramètres disponibles sont donc nombreux. Kent et al. (1989)
proposent des relations entre anomalies phonétiques et acoustiques qui doivent
encore être validées paramètre par paramètre.
La validité des mesures acoustiques en pratique clinique est probable
mais rarement établie de façon définitive.
REFERENCES
AUZOU, P., ÖZSANCAK, C., JAN, M., MÉNARD, J.F., EUSTACHE, F., HANNEQUIN, D. (2000). Intérêt de l’évaluation motrice des organes de la parole dans le diagnostic des dysarthries. Revue
Neurologique, 156. 47-52.
AUZOU, P., ROLLAND-MONNOURY, V. (2006). Batterie D’évaluation Clinique de la Dysarthrie.
Isbergues : Ortho Édition.
BUNTON, K., KEN, R.D., KENT, J.F., ROSENBEK, J.C. (2000). Perceptuo-acoustic assessment of prosodic impairment in dysarthria. Clinical Linguistics and Phonetics, 14 : 13-24.
BIANCO-BLACHE, A., ROBERT, D. (2002). La sclérose latérale amyotrophique. Quelle prise en charge
orthophonique ? Marseille : Solal.
CUCCHIARINI, C. (1996). Assessing transcription agreement : Methodological aspects. Clinical Linguistics and Phonetics 10. 131-155.
DARLEY, F.L., ARONSON A.E., BROWN J.R. (1969a). Differential diagnostic patterns of dysarthria.
Journal of Speech and Hearing Research, 12. 246-69.
DARLEY F.L., ARONSON A.E., BROWN J.R. (1969b). Clusters of deviant speech dimensions in the
dysarthrias. Journal Speech and Hearing Research, 12. 462-96.
DARLEY, F.L., ARONSON, A.E., BROWN, J.R. (1975). Motor speech disorders. WB Saunders & Co.
DUFFY, J.R. (2005). Motor speech disorders : substrates, differential diagnosis and management.
St. Louis : Mosby-Yearbook.
ENDERBY, P., CROW, E. (1990). Long-term recovery patterns of severe dysarthria following head injury.
British Journal of Disordered Communication , 25. 341-54.
ENDERBY, P. (1983). Frenchay Dysarthria Assessment. College Hill Press.
FOX, C.M, RAMIG, L.O. (1997). Vocal sound pressure level and self-perception of speech and voice in
men and women with idiopathic parkinson disease. American Journal of Speech and Language
Pathology, 6. 85-94.
HARTELIUS, L., SVENSSON, P., BUDACH, A. (1993). Clinical assessment of dysarthria : Performance on a dysarthria test by normal adult subjects, and by individuals with Parkinson’s disease
or with multiple sclerosis. Scandinavian Journal of Logopedy and Phoniatry , 18.131-141.
HARTELIUS, L., SVENSSON, P. (1994). Speech and swallowing symptoms associated with Parkinson’s
disease and multiple sclerosis : a survey. Folia Phoniatrica et Logopaedica, 46: 9-17.
85
texte 229
19/03/07
15:17
Page 86
JIMENEZ-JIMENEZ, F.J., GAMBOA, J., NIETO, A., GUERRERO, J., ORTI-PAREJA, M., MOLINA,
J.A., GARCIA-ALBEA, E., COBETA, I. (1997). Acoustic voice analysis in untreated patients
with Parkinson’s disease. Pa rkinsonism and Related Disorders, 3. 111-6.
KEN, R.D., WEISMER, G., KENT, J.F., ROSENBEK, J.C. (1989). Toward phonetic intelligibility testing
in dysarthria. Journal of Speech and Hearing Disorders, 54. 482-499.
KENT, R.D. (1996). Hearing and believing : some limits to the auditory-perceptual assessment of speech
and voice disorders. American Journal of Speech and Language Diorders, 5. 7-23.
MURDOCH, B.E., HUDSON-TENNENT, L.J. (1994). Speech disorders in children treated for posterior
fossa tumours : ataxic and developmental features. European Journal of Disordered Communication, 29. 379-397.
ÖZSANCAK, C., PARAIS, A.M., AUZOU, P. (2002). Évaluation perceptive de la dysarthrie : présentation et validation d’une grille clinique. Étude préliminaire. Revue Neurologique, 158. 431-38.
ROBERTSON, S..J. (1991). Dysathria Profile ; S.J. Robertson Manchester Polytechnic, 1982.
SHEARD C, ADAMS RD, DAVID PJ. (1991). Reliability and agreement of rating of ataxic dysarthric
speech samples with varying intelligibility. Journal of Speech and Hearing Resarch, 34. 285-293.
YORKSTON, K.M., BEUKELMAN, D.R. (1980). A clinician judged technique for quantifying dysarthric
speech based on single-word intelligibility. Journal of Communication Disorders, 13 : 15-31.
YORKSTON, K.M., BEUKELMAN, D.R., TRAYNOR, C.D. (1988). Articulatory adequacy in dysarthric
speakers : a comparison of judging formats. Journal of Communication Disorders, 21. 351-361.
YORKSTON, K.M., BEUKELMAN, D.R., STRAND, E.A., BELL, K.A. (Pro-ed, 1999). Management of
motor speech disorders in children and adults.
ZEPLIN, J., KENT, R.D. (1996). Reliability of auditory-perceptual scaling of dysarthria. In
D.A.ROBINS, K.M., YORKSTON, D.R., BEUKELMAN (Eds). Disorders of motor speech :
assessment, treatment and clinical characterization (pp 145-154). Baltimore : Paul H. Brookes.
ZIEGLER, W. (2002). Task-related factors in oral motor control : speech and oral diadochokinesis in dysarthria and apraxia of speech. Brain and Language, 80. 556-75.
86
texte 229
19/03/07
15:17
Page 87
La prise en charge des dysarthries
Véronique Rolland-Monnoury
Résumé
Les dysarthries constituent un vaste ensemble de troubles hétérogènes s’expliquant par la
variété des pathologies sous-jacentes, par la diversité des déficits et par l’étendue des
degrés de sévérité. Il n’existe pas de prise en charge unique valable pour toutes les dysarthries mais, dans les dernières décennies, de nombreuses études ont permis de décrire et
de comprendre les troubles et ont fait émerger des lignes directrices et de principes de prise
en charge.
Le domaine d’intervention de la prise en charge concernera la parole mais aussi la communication dans tous ses aspects. L’objectif global est l’amélioration de la communication. La
rééducation de la parole s’appuiera sur les principes d’apprentissage moteur et sera intensive, ciblée, progressive.
Le projet thérapeutique sera déterminé selon les troubles, la pathologie concernée et les
données individuelles liées au patient.
Mots clés : dysarthries, troubles moteurs de la parole, rééducation de la parole, communication, apprentissage moteur.
Treating dysarthrias
Abstract
The dysarthrias represent a large group of diverse speech problems. This heterogeneity can
be explained by variations in the underlying pathology, the diverse combinations of speech
impairments and variations in severity. There exists no single treatment approach that is
applicable to all types of dysarthria; however, over the last decades, research studies have
provided details on the presentation and underlying causes of the disorder, from which
general treatment principles and guidelines have emerged.
Intervention in dysarthria concentrates not only on speech, but on all aspects concerned
with communication. Hence, the global objective of treatment is the improvement of communicative effectiveness. In planning treatment, principles of motor learning need to be
considered, and intervention should be intensive, targeted and progressive. Any treatment
plan should be specifically tailored to the clients’ needs according to their symptom complex
and underlying pathology.
Key Words : dysarthria, motor speech disorders, speech management, communication,
motor learning.
Rééducation Orthophonique - N° 229 - mars 2007
87
texte 229
19/03/07
15:17
Page 88
Véronique ROLLAND-MONNOURY
Orthophoniste
Passage du Boulouard
29140 Rosporden
Courriel : [email protected]
D
arley et al. (1975) ont permis une description et une classification des
dysarthries en rapport avec les différents niveaux d’atteinte physiologique. Ils ont été les premiers à énoncer des principes de prise en charge
des dysarthries et leurs travaux ont été à l’origine d’une évolution notable dans
ce domaine. Depuis, de nombreuses études se sont attachées à décrire les différentes dysarthries et à comprendre la physiopathologie sous-jacente.
Décrire et comprendre les troubles ont permis de faire émerger des modes
de prises en charge adaptés. Depuis une dizaine d’années, de nombreuses données existent sur les différentes approches disponibles.
Par la variété des pathologies auxquelles elles sont associées, les dysarthries constituent un ensemble de troubles moteurs de la parole très hétérogènes dans leur forme, leur degré de sévérité, leur évolution. Chaque prise en
charge doit être personnalisée et déterminée à l’issue d’un bilan précis. Les
objectifs et le projet thérapeutique seront déterminés selon les troubles, la
pathologie dans laquelle ils s’inscrivent, et les données individuelles liées à
chaque patient.
♦ Évo l u t i o n d e s p r a t i q u e s
Les études traitant de la prise en charge des dysarthries sont encore peu
nombreuses en comparaison des études descriptives. La dysarthrie parkinsonienne fait exception : sa prise en charge a fait l’objet de plusieurs études. Elle
est celle qui a été la mieux évaluée en terme d’efficacité (Auzou et Özsancak,
2003). La dysarthrie hypokinétique de la maladie de Parkinson est la seule pour
laquelle il existe une méthode de prise en charge dont l’effectivité et l’efficience
ont été reconnues par des études répondant à des critères méthodologiques satisfaisants (LSVT : Lee Silverman Voice Treatment).
Actuellement, l’expérience des cliniciens, l’analyse des données, les rapports des études bien contrôlées montrent qu’il existe suffisamment de preuves
pour affirmer que les difficultés de communication de nombreux patients dysar-
88
texte 229
19/03/07
15:17
Page 89
thriques peuvent bénéficier d’une prise en charge et qu’il existe plusieurs
approches disponibles selon le type de dysarthrie (Duffy, 2005). Des lignes
directrices et des principes peuvent être énoncés pour la prise en charge des dysarthries.
Le défi dans l’avenir, sera de déterminer l’efficacité des différentes techniques, de comparer les modes d’approche, d’évaluer ceux qui sont le mieux
adaptés, de déterminer des protocoles pour chaque pathologie par des études
répondant à des critères méthodologiques rigoureux (Yorkston, 1999).
♦ Les lignes dire c t r ices
L’a p p roc h e p hysiopathologique
La connaissance la plus détaillée possible des déficits physiologiques
sous-jacents permet de comprendre l’altération de la parole et conduit donc à
une prise en charge adaptée. Il existe dans la littérature des données de plus en
plus nombreuses pour confirmer que l’approche physiopathologique dans la
réhabilitation des dysarthries est plus efficace que l’approche perceptive (Theodoros et Thompson-Ward, 1998).
En effet, un trouble identifié lors d’une analyse perceptive peut être relié
à des déficits physiopathologiques sous-jacents différents. Par exemple une altération de l’occlusive bi-labiale /p/ peut être due à un déficit du tonus labial, à un
déficit de la pression intra-orale, elle-même dépendante de la respiration et/ou
du fonctionnement vélaire. Il faut donc déterminer l’origine de cette altération
pour pouvoir entreprendre sa rééducation de façon adaptée et efficace.
Disposer d’un bilan complet
L’approche physiologique ne pourra être privilégiée qu’après un bilan
complet. Celui-ci, à travers ses différentes étapes (voir article précédent de P.
Auzou), permet de recenser les troubles, de les identifier, de les hiérarchiser, de
trouver des liens les explicitant. L’analyse perceptive, l’examen sensori-moteur,
l’épreuve de réalisation phonétique permettent au clinicien de comprendre l’origine des déficits et donc de mettre en place un projet thérapeutique adapté
(Auzou et Rolland-Monnoury, 2006).
L’analyse du bilan fournira la trame de la rééducation. Les données
recueillies serviront de base pour évaluer ultérieurement l’efficacité et l’adéquation de la rééducation.
Quand commencer la rééducation et pour quelle durée ?
La précocité de la rééducation est le plus souvent à privilégier. Néanmoins, il faut parfois la différer, notamment lors de la phase aiguë d’installation
89
texte 229
19/03/07
15:17
Page 90
d’une pathologie. Il conviendra aussi de retarder la mise en place d’une prise en
charge lorsque des troubles associés existeront : aphasie, troubles attentionnels,
troubles comportementaux ou de l’humeur, absence de motivation, déni du
trouble. Dans certaines pathologies (accidents vasculaires cérébraux, traumatismes crâniens…), la rééducation de la dysarthrie ne constitue pas l’objectif
prioritaire de la prise en charge globale du patient.
Néanmoins, dans la plupart des pathologies, une prise en charge précoce permet d’éviter l’installation de compensations délétères qu’il sera difficile de faire disparaître. Dans les pathologies neuro-dégénératives, elle permet
l’instauration de procédures avant l’apparition d’éventuelles difficultés cognitives, assure le maintien le plus longtemps possible des potentialités préservées et ralentit l’évolution péjorative des troubles. La prise en charge doit
commencer avant que les troubles dysarthriques induisent une perte de l’intelligibilité.
Il est impossible de déterminer la d u r é e de la rééducation qui sera dépendante de nombreux éléments : pathologie concernée, sévérité des troubles,
besoins de communication individuels, axe thérapeutique choisi, mode d’approche.
Néanmoins, Duffy (2005) estime qu’aucune prise en charge ne devrait
commencer sans avoir déterminé le moment où elle prendra fin. L’orthophoniste
et le patient doivent s’accorder sur un programme de rééducation pour définir en
commun les objectifs et la durée de la rééducation, en se laissant toutefois la
possibilité de revoir ces éléments.
Il est maintenant reconnu que l’efficacité des prises en charge est plus liée
à la précocité et à l’intensivité de la prise en charge qu’à la durée dans le temps.
Dans les pathologies où une récupération de la parole normale n’est pas
envisageable, il convient de savoir arrêter une prise en charge lorsqu’on arrive à
un plateau dans l’évolution, lorsque le patient en exprime légitimement la
demande. L’arrêt ne sera pas obligatoirement définitif et une évaluation ultérieure et une reprise seront proposées.
Dans les pathologies chroniques, comme la maladie de Parkinson ou la
sclérose en plaques, qui nécessitent un suivi à long terme, la prise en charge
pourra être organisée par périodes de rééducation sur un rythme intensif en
alternance avec des périodes d’interruption. Des évaluations seront effectuées
régulièrement et seront indispensables pour adapter la prise en charge à l’évolution des troubles.
90
texte 229
19/03/07
15:17
Page 91
♦ L e d o m a i n e d ’ i n t e rvention et les gr a n d s a x e s t h é r a peutiques
de la rééducation
Dans la prise en charge des dysarthries, il convient de ne pas restreindre
le domaine d’intervention à la prise en charge de la parole, mais de l’élargir à la
communication. L’objectif primordial d’une prise en charge étant l’optimisation
de la communication (Yorkston, 1999), il faut inclure tous les canaux de communication disponibles, verbaux et non verbaux.
En se situant dans le domaine de la communication, le but ultime de la
prise en charge - qui est de donner les moyens d’exprimer aux autres ses pensées, ses besoins, ses sentiments - prend tout son sens.
L’évaluation de la dysarthrie, son degré de sévérité, la connaissance de la
pathologie concernée, permettront de déterminer pour chaque patient les axes
thérapeutiques.
Ces grands axes thérapeutiques peuvent être résumés par les trois motsclé de Duffy (2005) : restaurer, compenser, adapter.
R e s t a u re r
L’effort vise à réduire, voire à supprimer le trouble. Cet objectif est possible dans certaines pathologies (par exemple dans les cas de dysarthries légères
par atteinte unilatérale du premier motoneurone), envisageable dans d’autres
(par exemple dans le cadre d’une paralysie faciale, d’une atteinte récurrentielle).
Mais dans la plupart des pathologies neurologiques, l’objectif d’une restauration
totale de tous les paramètres de la parole n’est pas un objectif réaliste. Il est
donc essentiel que les cliniciens et les patients prennent conscience des limites
de la prise en charge.
Compenser
Quand la restauration d’une parole normale a peu de chances de survenir, il
faut alors envisager de compenser en utilisant les possibilités restantes. La compensation pourra prendre plusieurs aspects : apprentissage de nouvelles habiletés
(augmenter l’intensité, ralentir le rythme…), utilisation de prothèses (amplificateurs vocaux, pacing-board…), utilisation de moyens de communication alternative (tableau alphabétique, tableau d’indiçage sémantique, ordinateurs…)
A d ap t e r
Dans certains cas de dysarthries très sévères, il s’agira d’adapter les
conditions de communication du patient aux possibilités existantes. La pathologie sous-jacente (chronique ou évolutive), les troubles éventuellement associés
(cognitifs, sensoriels, aphasiques), le pronostic d’évolution feront que ces adaptations seront temporaires ou définitives. La prise en charge sera alors globale et
concernera le patient et son entourage.
91
texte 229
19/03/07
15:17
Page 92
Le tableau 1 résume les domaines d’intervention, les axes thérapeutiques, les
objectifs et les modes d’approche selon la sévérité et l’étiologie des troubles.
♦ Les diff é rentes a p p roc hes de la pr ise en c h a rge de la d y s a r t h r ie
Les approches qui nous intéressent ici concernent plus spécifiquement le
domaine de la rééducation orthophonique. Celle-ci peut prendre plusieurs
aspects : rééducation axée sur la parole, prise en charge de la communication,
mise en place d’une communication augmentée et alternative, approche écologique. Le traitement des dysarthries comporte également d’autres approches que
nous rappellerons.
Ap p roc h e r é é d u c a tive axée sur la parole
Axée sur la parole, la rééducation vise à restaurer une parole normale, à
améliorer l’intelligibilité, l’efficacité et le caractère naturel de la parole. Ces
buts sont atteints en réduisant les troubles par l’amélioration du support physiologique ou en mettant en place des compensations qui utilisent de façon optimale le support physiologique existant (Rosenbek et Lapointe, 1991). Réduction
des troubles et mise en place de compensations demandent effort et apprentissage de nouvelles habiletés ; elles nécessitent un entraînement.
Selon le recensement et l’identification des troubles effectués par le bilan,
la rééducation concernera un ou plusieurs des systèmes concourant à la production de la parole.
– Système respiratoire : adaptation et contrôle du souffle pour la parole.
– L’étage laryngé : qualité vocale.
– Articulateurs : résonance, articulation.
– La prosodie (modulations de hauteur, d’intensité, débit et rythme) qui peut
être reliée à tous les systèmes, devra toujours être travaillée de façon pré-
92
texte 229
19/03/07
15:17
Page 93
coce. Plusieurs études ont montré son impact sur l’intelligibilité de la
parole. Une altération de la prosodie est présente dans la quasi-totalité des
dysarthries. Elle peut être le seul trouble dans les dysarthries légères.
L’approche rééducative axée sur la parole comprend également l’élimination de
compensations mal adaptées -voire délétères- ou devenues inutiles.
Les principes de cette rééducation seront abordés plus loin dans ce chapitre.
Ap p roc h e r é é d u c a tive axée sur la comm u n i c a tion
L’approche rééducative axée sur la communication est mise en place
quand l’approche rééducative axée sur la parole seule n’est pas ou n’est plus
efficace. Elle propose une prise en charge globale du patient en prenant en
considération tous les canaux disponibles pour communiquer. Dans cette
approche, les interlocuteurs ont un rôle important.
Elle englobe des moyens les plus variés et les plus adaptables. Elle comprend des stratégies facilitatrices, des moyens et outils pour augmenter la communication ; les outils de communication alternative et l’approche écologique.
L e s s t r a tég ies f acilita t rices
Elles comprennent l’identification des moyens adaptés pour faire face aux
moments de rupture de la communication ou pour les prévenir. Il pourra s’agir
d’inciter le patient à utiliser des énoncés courts, à épeler le mot qui n’est pas
compris, à ne pas changer de sujet abruptement, à savoir attirer l’attention de
son interlocuteur, etc.
De son côté, l’interlocuteur pourra par exemple reformuler ou répéter les
énoncés pour s’assurer que ce qu’il a compris correspond à ce que le patient
souhaitait dire ; poser des questions fermées ; convenir avec le patient des
aides qu’il souhaite recevoir. Deux règles d’or existent pour un interlocuteur :
ne jamais faire croire qu’il a compris un message si ce n’est pas le cas, signaler
le plus rapidement possible qu’il n’a pas compris.
La communication augmentée
Cette approche permet d’augmenter la compréhensibilité du message et
l’efficacité de la parole. Les outils de la communication augmentée sont utilisés
conjointement à la production orale. Ils comprennent : l’utilisation de
mimiques, de gestes, de codes définis avec l’entourage, etc. Ils incluent également l’utilisation de tableaux alphabétiques, de listes pour un indiçage sémantique et/ou contextuel afin de guider l’interlocuteur sur le sujet évoqué.
L a c o m m u n i c a t i o n a l t e rn ative
Lorsque les troubles de la parole ne permettent pas une communication
efficace, il convient de mettre en place des moyens alternatifs de communica-
93
texte 229
19/03/07
15:17
Page 94
tion. Ceux-ci peuvent être installés en complément de la parole ou pour se substituer à elle, et cela de façon temporaire ou définitive. La mise en place d’une
communication alternative relève à la fois de l’utilisation d’outils et de la prise
en charge rééducative.
Plusieurs moyens et outils sont disponibles, allant du plus simple au plus
sophistiqué. Ils comprennent : le langage écrit ; l’utilisation du clignement des
yeux, l’expression du visage, les gestes de la tête et des mains, la posture ; l’utilisation de symboles, de pictogrammes, de photos, d’images ; l’utilisation de
tableaux alphabétiques, de cahiers de communication personnalisés, de listes
permettant un indiçage sémantique ; l’utilisation d’appareils produisant une
parole synthétique ou d’ordinateurs.
Le développement des moyens de la communication alternative a été
spectaculaire ces dernières années notamment grâce au développement de la
micro-informatique.
Dans les pathologies dégénératives qui induisent des dysarthries
majeures, comme la sclérose latérale amyotrophique ou la paralysie supranucléaire progressive par exemple, il conviendra d’aborder avec le patient la
mise en place d’un mode de communication alternative bien avant la perte totale
de l’intelligibilité.
L’a p p roc he écologique
Dans l’approche écologique, tous les moyens disponibles pour aider le
patient à optimiser les échanges dans sa vie quotidienne doivent être recensés.
Cette approche nécessite de la part du thérapeute un travail proche du patient et
de son entourage pour évaluer les conditions environnementales qui sont des
obstacles à la communication et trouver des solutions dans une démarche pragmatique. Le patient dysarthrique est considéré en fonction de ses besoins de
communication au sein de son environnement et non plus en fonction de ses
troubles de parole.
Elle comprend l’adaptation de nombreux paramètres : réduire la distance
entre le locuteur et l’auditeur ; éviter les échanges dans un endroit sombre ;
réduire les bruits de fond ; fournir au patient un outil lui permettant d’appeler…
L’utilisa t i o n d e p rothèses
De nombreuses prothèses sont disponibles pour améliorer, modifier ou se
substituer à une fonction déficitaire. L’approche prothétique a été largement
définie comme tout moyen qui modifie les propriétés de la production de la
parole (Kearns et Simmons, 1990).
Par exemple, un releveur du voile peut faciliter la fermeture vélo-pharyngée, réduire l’hypernasalité et améliorer la pression intra-orale nécessaire pour
94
texte 229
19/03/07
15:17
Page 95
la production de certains phonèmes consonantiques. Les amplificateurs de voix
vont modifier le signal produit pour en augmenter l’intensité. D’autres moyens
seront utilisés pour faciliter la parole comme le pacing-board, le métronome qui
permettent de réduire les troubles du débit. Certains appareils destinés à apporter un feed-back peuvent également être utilisés comme prothèse.
Il existe ainsi de nombreux outils qui ont fait l’objet de travaux portant
sur un nombre de cas plus ou moins importants. Dans la pratique courante, seuls
les plus simples sont fréquemment utilisés.
L’a p p roc he médicale
Des techniques chirurgicales sont utilisées pour améliorer les troubles
dysarthriques dans certaines pathologies : injections de toxine botulique, injection de téflon, pharyngoplastie, thyroplastie… Elles apportent des bénéfices
importants.
Les approches chirurgicales et les approches utilisant des prothèses sont
habituellement envisagées quand les troubles ne sont pas améliorés par les
seules approches rééducatives (Murdoch, 1998).
Certains traitements médicamenteux peuvent avoir un effet bénéfique sur
la parole en agissant sur la pathologie sous-jacente (comme la dopamine dans la
maladie de Parkinson, la pyridostigmine dans les myasthénies) mais il n’existe
pas de médicaments pour soigner un trouble dysarthrique en soi.
Ces différentes approches ne sont pas exclusives les unes des autres. Elles
sont parfois imbriquées, souvent successives.
Le soutien et l’accompa g n e m e n t
Parallèlement aux différentes approches et outils disponibles, l’orthophoniste doit aussi apporter au patient et à son entourage informations et soutien.
Dans certaines pathologies, la prise en charge ira jusqu’au travail d’accompagnement et le thérapeute ne pourra se cantonner à un rôle de rééducateur-technicien.
Ces responsabilités requièrent de la part du thérapeute connaissances,
confiance, expérience et empathie. L’instauration d’une relation de qualité sera
indispensable pour favoriser le travail rééducatif et/ou pour soutenir le patient et
son entourage. La relation qui s’établit entre le patient et le thérapeute est souvent très privilégiée, ce qui ne doit pas faire oublier qu’elle se situe dans le
cadre d’une relation thérapeutique.
♦ L e s p r i n c i p e s d e l a r é é d u c a t i o n d e l a p a r ole d y s a r t h r i q u e
Les changements dans les mécanismes de la parole sont importants chez
les patients dysarthriques et ceux-ci vont devoir établir un nouveau schéma
moteur. Cette tâche est particulièrement complexe en ce qui concerne la parole
95
texte 229
19/03/07
15:17
Page 96
qui requiert une succession de mouvements précis dans un ordre précis pour une
réponse adaptée (Yorkston, 1999). Plusieurs principes d’apprentissage - et
notamment de l’apprentissage moteur - vont être utilisés dans la rééducation de
la parole.
La rééducation peut s’articuler en trois étapes : apprentissage, entraînement et amélioration des performances, automatisation.
Ap p rentissa ge
La première étape de la rééducation se situe au niveau cognitif : le
patient doit comprendre la nature du problème et ce qu’il faut faire pour le
résoudre. L’orthophoniste doit donc lui fournir des explications précises sur le
fonctionnement normal de la parole, la nature de ses troubles, le but des exercices à effectuer et comment les réaliser.
Cette étape est celle de l’apprentissage de nouvelles habiletés motrices.
Elle demande le recours aux principes de production volontaire de la parole,
d’autocontrôle et d’autocritique. Le patient doit réaliser de façon volontaire ce
qu’il faisait auparavant de façon automatique (Chevrié-Muller et Roubeau,
2001). Ces principes ne concernent que l’étape initiale.
E n t raînement
La deuxième étape est celle de l’entraînement, c’est-à-dire celle de la pratique systématique. Pour réussir, le patient doit s’entraîner de façon intensive
avec des exercices choisis, ciblés, pertinents, progressifs et répétitifs.
Lors de cette étape, le patient améliore ses performances, acquiert des
procédures par essais/erreurs. Il doit bénéficier de nombreux retours sur ses productions pour avoir accès à la connaissance des résultats et à la connaissance
des performances qui favoriseront l’acquisition de nouvelles habiletés et maintiendront sa motivation.
L a r é é d u c a tion se f e r a s u r u n r y t h m e i n t e n s i f
Deux, trois ou quatre séances hebdomadaires pendant quelques mois permettront à la prise en charge d’être efficace. Dans ce domaine de la rééducation, le
rythme d’une séance par semaine ne permet pas d’atteindre les objectifs. En dehors
des séances, l’entraînement devra être réalisé une ou deux fois par jour pendant 10
minutes. Le patient disposera pour cela de fiches de suivi qui lui indiqueront très
précisément les exercices à pratiquer. L’expérience montre que la seule consigne
« N’oubliez pas de faire quelques exercices » n’est jamais suivie d’effet.
L’ e n t r a î n e m e n t d o i t ê t re ciblé
Hiérarchiser les troubles permet d’améliorer l’efficacité de la rééducation
(Duffy, 2005). Parmi les déficits observés, il convient de commencer par le tra-
96
texte 229
19/03/07
15:17
Page 97
vail concernant le sous-système le plus bas dans la production de la parole (1respiration, 2- fonction laryngée, 3- articulateurs et fonction vélo-pharyngée)
pour les répercussions qu’il peut y avoir à tous les niveaux sus-jacents. Par
exemple, l’amélioration du contrôle du souffle peut avoir des incidences sur
l’articulation et sur les éléments prosodiques.
Il convient également de définir la priorité de la rééducation. L’aspect qui
doit être traité en priorité est celui qui apportera le plus grand bénéfice fonctionnel (le plus souvent en améliorant l’intelligibilité), le plus rapidement possible,
ou celui qui sera le meilleur support pour l’amélioration des autres aspects
(Yorkston, 1999).
Enfin, les différentes altérations de la parole devront être abordées séparément par des exercices analytiques.
L’ e n t r a î n e m e n t d o i t ê t re p rogr essif
Le travail analytique suivra une progression dans l’utilisation des différents supports et pourra concerner les phonèmes, les syllabes, les mots mono
puis plurisyllabiques, les locutions, les phrases, les textes et la conversation.
Dans le même esprit, les séances pourront débuter par un travail analytique pour s’orienter ensuite vers un travail plus global. L’orthophoniste
veillera à toujours réserver un temps à la conversation pour assurer le transfert des habiletés acquises dans l’expression spontanée. La conversation est
alors un outil thérapeutique et doit être assortie de commentaires et d’appréciations.
Des tâches de transfert dans la communication quotidienne devront être
programmées pour améliorer la parole fonctionnelle (appels téléphoniques, aller
faire des courses, être attentif à sa parole lors d’une rencontre avec des amis…).
Il faudra inciter le patient à « prendre la parole » le plus souvent possible pour
lutter contre le déficit d’utilisation des échanges verbaux souvent consécutifs
aux dysarthries.
L’ e n t r a î n e m e n t d o i t ê t re p e r t i n e n t
Les tâches demandées doivent être adaptées à la parole. Le but du traitement est l’amélioration de la parole et non pas l’amélioration de la capacité respiratoire ou celle des mouvements oraux-faciaux sans parole. Des études (Ziegler, 2002) ont montré une dissociation entre la motricité oro-faciale sans parole
et la motricité de la parole. Cet élément est déterminant dans le choix des exercices. Si quelques exercices uniquement moteurs sont parfois nécessaires pour
améliorer le support physiologique, ils ne doivent en aucun cas être utilisés de
façon exclusive et il convient de les relier à la parole dès la première séance de
la prise en charge.
97
texte 229
19/03/07
15:17
Page 98
Pour Duffy (2005), la nécessité et l’efficacité des exercices de renforcement musculaire purs, visant à améliorer la force, la puissance et l’endurance
des muscles oro-faciaux, restent controversées dans la rééducation des dysarthries. Ils ne doivent être utilisés qu’en complément des tâches qui se focalisent
sur la parole, lorsque la dysarthrie est due à une faiblesse musculaire et lorsqu’ils ne sont pas contre-indiqués comme dans la sclérose latérale amyotrophique.
I m p o r tance des f eed-bac k
A cette étape de la prise en charge, l’utilisation de feed-back est indispensable. Son intérêt dans la prise en charge des dysarthries a été démontré dans de
nombreuses études. Les outils de feed-back sont nombreux et vont du plus
simple au plus sophistiqué. Il peut s’agir de commentaires de l’orthophoniste
qui doivent être précis. « Je n’ai pas compris parce que vous ne parlez pas assez
fort » sera plus efficace que « je n’ai pas compris » ; de gestes (tendre
l’oreille) ; d’outils simples (miroir).
Les enregistrements audio ou vidéo sont des outils de feed-back performants ainsi que les logiciels permettant de visualiser différents paramètres
(intensité, hauteur, voisement…) comme Speech Viewer III ou Vocalab.
Les outils de feed-back doivent être supprimés au fil de l’évolution afin
de ne pas générer un phénomène de dépendance. Il convient d’expliquer au
patient qu’ils sont destinés à l’aider dans sa rééducation mais ne sont pas des
béquilles permanentes.
L’ a u t o m a tisation
La troisième étape est celle de l’automatisation. Le patient peut reproduire ses performances avec un effort de moins en moins conscient. Il a acquis
de nouveaux schémas moteurs. Contrairement à ce que l’on a longtemps cru, le
cerveau n’est pas un organe statique. La plasticité cérébrale existe et les sollicitations répétées lors d’un apprentissage sont les moyens les plus puissants pour
favoriser la réorganisation corticale.
A cette étape, les bénéfices de la prise en charge sont transférés dans la
communication fonctionnelle. Les remarques positives de l’entourage concernant les modifications de la parole sont les moyens les plus sûrs de vérifier
l’évolution.
♦ Les objectifs de la rééduca tion
Nous l’avons vu : il n’existe pas un seul mode de prise en charge valable
pour toutes les dysarthries. Les objectifs de la rééducation et le projet thérapeutique qui permettra de les atteindre devront être déterminés de façon indivi-
98
texte 229
19/03/07
15:17
Page 99
duelle. Ils tiendront compte des troubles eux-mêmes, de la pathologie et du
patient.
Objectifs selon les tro u bles
Les troubles détermineront le domaine d’intervention, les axes thérapeutiques et les modes d’approche. Ils permettront de déterminer un objectif global,
de fixer l’objectif prioritaire et les objectifs spécifiques, et donc la trame de la
rééducation.
La réponse à des questions simples pourra guider la démarche thérapeutique.
– Quelles sont les altérations de la parole ?
– Comment l’examen sensori-moteur explique-t-il ces altérations ?
– Quels sont les exercices analytiques appropriés pour améliorer le support
physiologique et réduire les troubles ?
– Quel trouble nuit le plus à l’intelligibilité ?
Objectifs selon la patholo gie
La connaissance de la pathologie à l’origine de la dysarthrie est indispensable pour prendre les décisions de la prise en charge. Elle donne des indications générales sur le type de dysarthrie. Elle permet de situer les troubles dans
un axe prospectif : sont-ils stabilisés, évolutifs, susceptibles de récupération
partielle ou totale ?
La connaissance de la pathologie fournit aussi des renseignements sur les
modes de prise en charge disponibles, indiqués ou contre-indiqués. (La prise en
charge d’une dysarthrie dans le cadre d’une SLA n’aura rien en commun avec
celle d’une dysarthrie liée à une paralysie faciale).
Objectifs selon le pa t i e n t
Plusieurs éléments individuels liés à chaque patient sont à considérer pour
organiser une prise en charge.
L’orthophoniste devra évaluer la conscience que le patient a de ses difficultés et sa motivation. L’anosognosie et l’absence de motivation seraient des
freins à l’efficacité de la prise en charge et il convient dans certains cas de faire
un travail préalable pour amener une prise de conscience, lever un déni de la
situation et/ou susciter la motivation.
L’évaluation des besoins communicationnels sera indispensable. Un
trouble même léger pourra constituer dans certains cas un véritable handicap
(par exemple un trouble de la résonance nasale chez un enseignant) alors qu’une
dysarthrie sévère pourra être acceptée dans d’autres situations sans être invalidante (patient âgé vivant seul). Il est donc pertinent de considérer le degré d’incapacité ou de handicap induit par la dysarthrie.
99
texte 229
19/03/07
15:17
Page 100
Il sera opportun également de connaître l’entourage afin de savoir si les
conditions environnementales pourront constituer un soutien à la rééducation.
Enfin, il faudra bien évidemment recenser les troubles associés (linguistiques, cognitifs, sensoriels, comportementaux…) qui pourront influer
sur le déroulement de la rééducation et empêcher la mise en place de certaines stratégies.
♦ C o n c lusion
Les orthophonistes sont de plus en plus souvent sollicités pour la prise en
charge des dysarthries. L’évolution des pratiques a été possible grâce aux études
menées ces dernières années pour décrire les différents types de dysarthries et
comprendre la physiopathologie sous-jacente. Actuellement, des lignes directrices et des principes peuvent être retenus. Ils guident les thérapeutes pour fixer
les objectifs de la rééducation et établir le projet thérapeutique le mieux approprié.
Les dysarthries constituent un vaste ensemble de troubles hétérogènes
s’expliquant par la variété des pathologies sous-jacentes, la diversité des
troubles et l’étendue des degrés de sévérité. Chaque prise en charge sera déterminée à l’issue d’un bilan complet et sera individualisée.
REFERENCES
AUZOU, P., ÖZSANCAK, C. (2003). La dysarthrie Parkinsonienne : une atteinte motrice spécifique.
Neurologies. 6. 354-356.
AUZOU, P., ROLLAND, V. (2004). Rééducation des dysarthries neurologiques. In T. Rousseau, (Ed).
Les approches thérapeutiques en orthophonie. Tome IV (pp 9-33). Isbergues : Ortho Édition.
AUZOU, P., ROLLAND-MONNOURY , V. (2006). Batterie d’Évaluation Clinique de la Dysarthrie.
Isbergues : Ortho Edition.
BRIHAY, S. (1998). L’orthophonie dans la SLA : un accompagnement ? Rééducation orthophonique,
195. 103-108.
CHEVRIÉ-MULLER, C., ROUBEAU, B. (2001). Rééducation et prise en charge des dysarthries. In P.
AUZOU, C. , ÖZSANCAK, V. BRUN (Eds). Les dysarthries. (pp 239-256). Paris : Masson.
100
texte 229
19/03/07
15:17
Page 101
DARLEY, F.L., ARONSON, A.E., BROWN, J.R. (1975). Motor Speech Disorders. Philadelphia : WB
Saunders.
DEANE, K.H.O., WHURR, R., PLAYFORD, E.D., BEN-SHLOMO, Y., CLARKE, C.E. (2003). Speech
and language therapy versus placebo or no intervention for dysarthria in Parkinson’s disease.
Cochrane Review in the Libra ry Cochrane, issue 2. Oxford.
DEANE, K.H.O., WHURR, R., PLAYFORD, E.D., BEN-SHLOMO, Y., CLARKE, C.E. (2002). Speech
and language therapy for dysarthria in Parkinson’s disease : a comparison of techniques.
Cochrane Review In the Libra ry Cochrane, issue 2. Oxford.
DUFFY, J.R. (2005). Motor Speech Disorders : substrates, differential diagnosis and management.
St Louis : Mosby-Yearbook.
JOHNSON, J.A., PRING, T.R. (1990). Speech therapy and Parkinson’s disease : review and further data.
British Journal of Disorders of Communication, 25. 183-1994.
KEARNS, K.P., SIMMONS, N.N. (1990). The efficacy of speech-langage pathology intervention : motor
speech disorders. Seminars in Speech and Language, 11. 273-295.
KENT, R.D. (1994). The clinical science of motor speech disorders : a personal assessment. In J.A., K.M.,
YORKSTON, D.R., BEUKELMAN (Eds.). Motor speech disorders : advances in assessment
and treatment. Paul H Brookes. Baltimore : Paul H Brookes.
ÖZSANCAK, C., AUZOU, P. (2005). La rééducation orthophonique de la dysarthrie parkinsonienne.
Revue de neurologie, 161. 857-861.
ÖZSANCAK, C. (2005). Prise en charge de la dysarthrie parkinsonienne : revue de la littérature. In C ;
ÖZSANCAK, C., P., AUZOU (Eds). Les troubles de la parole et de la déglutition dans la maladie de Pa rkinson (pp 271-283). Marseille : Solal.
PINTO, S., ÖZSANCAK, C., TRIPOLITI, E., THOBOIS, S., LIMOUSIN-DOWSEY, P., AUZOU, P.
(2004). Treatments for dysarthria in Parkinson’s disease. Lancet Neurology, 3. 547-556.
RAMIG, L.O., SAPIR, S., FOX, C., COUNTRYMAN, S. (2001). Changes in vocal loudnes following
intensive voice treatment (LSVT) in individual with Parkinson’s disease : a comparison with
unteated patients and normal aged-matched controls. Movements Disorders, 16. 79-83.
ROBERTSON, S.J., THOMSON, F. (1984). Speech therapy in Parkinson disease : A study of the efficacy
and long term effects of intensive treatment. British Journal of Disorders of Communication, 19.
213-224.
ROBERTSON, S.J., THOMSON, F. (1999). Rééduquer les dysarthries. Isbergues : Ortho Edition.
ROSENBEK, J.C., LA POINTE, L.L. (1985). The dysarthrias : description, diagnosis and treatment. In
D.F., JOHNS (Ed). Clinical management of neurogenic communication disorders. Boston : Little,
Brown & Company.
SCOTT, S., CAIRD, F. (1983). Speech therapy for Parkinson’s disease. Journal of Neurology, Neurosurery and Psychiatry, 46. 140-144.
SCOTT, S., CAIRD, F. (1984). The response of the apparent receptive speech disorder of Parkinson’s
disease to speech therapy. Journal of Neurology, Neurosurgery and Psychiatry, 47, 302-304.
THÉODOROS, D.G., THOMPSON-WARD, E.C. (1998). Treatment of dysarthria. In B.E. MURDOCH
(Ed.) Dysarthria : A pluridisciplinal approach to assessment and treatment (pp130-175).
Cheltenham : Stanley Thomas Ltd.
YORKSTON, K.M., BEUKELMAN, D.R., STRAND, E.A., BELL, K.R. (1999). Management of Motor
Speech Disorders in children and adults. Austin : Pro-Ed.
101
texte 229
19/03/07
15:17
Page 102
texte 229
19/03/07
15:17
Page 103
La dysarthrie de l’enfant avec Paralysie
Cérébrale.
Rééducation - impact des moyens alternatifs
de communication sur la parole naturelle.
Catherine Grosmaître
Résumé
La dysarthrie, trouble de réalisation motrice de la parole, peut être une des atteintes observées dans la Paralysie Cérébrale. La phonation et la réalisation articulatoire sont alors touchées, l’intelligibilité peut être altérée selon un gradient de sévérité variable. Une rééducation orthophonique peut permettre de réduire ce trouble. Dans certains cas, l’efficacité de la
rééducation est insatisfaisante et les progrès observés insuffisants : des troubles massifs de
la parole entravent la communication orale et vont nécessiter l’utilisation de moyens alternatifs de communication. Leur utilisation entraîne des interrogations notamment auprès des
familles : l’enfant cessera-t-il de parler s’il les utilise ?
Il semble, au contraire que l’impact des moyens alternatifs de communication sur la parole
naturelle soit positif et que ceux-ci contribuent à son développement.
Mots clés : dysarthrie, paralysie cérébrale, rééducation orthophonique, moyens alternatifs de
communication.
Rééducation Orthophonique - N° 229 - mars 2007
103
texte 229
19/03/07
15:17
Page 104
Dysarthria of the child with Cerebral Palsy
Speech therapy – The impact of alternative means of communication
on natural speech
Abstract
Dysarthria, a disorder related to speech motor performance, may be one of the direct consequences observed in the case of Cerebral Palsy. Phonation and articulatory performance are
consequently affected. Intelligibility may be more or less altered depending on the level of
severity. Speech therapy will help to reduce the severity of this disorder related to speech
motor performance.
In some cases, the effectiveness of the therapy may not be satisfactory and the observed
improvements insufficient: important language disorders hinder communication through
speech and use of other means of communication becomes necessary. The use of such
methods gives rise to controversy, in particular from the families: If the child uses such
means of communication, will he completely stop talking ?
On the contrary, it would seem that alternative means of communication have a positive
impact on natural speech and that they would contribute to its development.
Key Words : dysarthria, cerebral palsy, speech therapy, augmentative and alternative communication.
104
texte 229
19/03/07
15:17
Page 105
Catherine GROSMAÎTRE
Orthophoniste
Hôpital National Saint Maurice
Service de Pathologies Neurologiques
Congénitales
14 rue du Val d’Osne
94415 Saint Maurice cedex
Courriel :
[email protected]
L
a Paralysie Cérébrale (PC) est un ensemble de déficiences neuromotrices
et/ou neuropsychologiques dues à des lésions cérébrales précoces non
évolutives qui surviennent pendant la période anté ou périnatale (avant la
fin de la deuxième année de vie).
Chaque enfant PC présente une association unique de symptômes réalisant un tableau clinique qui lui est propre.
Une dysarthrie, trouble de la réalisation motrice de la parole, peut alors
être observée. Dans les conditions normales de la parole, les organes articulateurs se mobilisent pour moduler finement les sons. Cette capacité peut être
altérée chez les enfants PC : un trouble de la motilité des organes impliqués
dans la parole peut entraîner une faiblesse, une lenteur ou une incoordination
des mouvements. Ces troubles entravent l’intelligibilité.
Si les enfants PC dysarthriques sont capables d’émettre des sons et parfois de produire quelques mots, leur communication par la parole est altérée.
La conséquence la plus directe de la dysarthrie est la perturbation de la
communication orale qui s’accompagne d’une pauvreté des échanges et d’un
déficit d’interaction quand aucun moyen alternatif de communication n’est mis
en place.
L’objectif de cet article est de décrire les troubles et la rééducation de la
dysarthrie, de présenter les limites de celle-ci et d’exposer les impacts potentiels
de l’utilisation de moyens alternatifs de communication sur la parole naturelle.
♦ Tr o u b les de la réalisat i o n m o t r ice de la parole
Rappelons que la mobilisation fine de nombreux organes est nécessaire à
la production de la parole : ceux responsables de l’expiration (muscles respiratoires), de la sonorisation (larynx, cordes vocales), les cavités de résonances
(pharynx, cavité buccale) et les organes articulateurs (lèvres, langue, voile du
105
texte 229
19/03/07
15:17
Page 106
palais, maxillaire inférieur). La coordination entre ces différentes structures est
nécessaire pour aboutir à une parole normale et intelligible. Le système nerveux
central intervient dans la réalisation motrice de la parole. Le cortex permet la
programmation, l’initiation et l’exécution des gestes articulatoires ; les noyaux
gris centraux et le système cérébelleux jouent un rôle dans l’initiation et le
contrôle du mouvement.
Une des conséquences directes possible de la paralysie cérébrale est la
déficience motrice et notamment celle portant sur la phonation et/ou sur l’articulation. Selon Truscelli (1999), l’altération de la parole touche 20 à 30% des
enfants PC.
L’expression de la dysarthrie dépend du tableau clinique de la Paralysie
Cérébrale. Le réseau SCPE (2002) propose une classification de la PC en cinq
groupes : les formes spastiques (uni et bilatérales), les formes dyskinétiques
(dystoniques et les choréoathétosiques), et enfin, les formes ataxiques.
La spasticité correspond à un trouble du tonus musculaire qui se traduit
cliniquement par une exagération du réflexe myotatique.
La d yskinésie est une anomalie de l'activité musculaire se traduisant par
la survenue de mouvements anormaux et par une gêne dans les mouvements
volontaires.
La ch o r é o athétose est caractérisée par des contractions musculaires irrépressibles présentes au repos et qui perturbent le mouvement volontaire.
L’aa taxie est le trouble de la coordination des muscles synergiques dont
une des conséquences fonctionnelles est la perte du freinage des muscles antagonistes.
Le trouble de la réalisation motrice de la parole est quasi systématique
lorsque l’atteinte motrice est bilatérale et touche les membres supérieurs. La
spasticité, la dyskinésie et l’ataxie induisent des conséquences diverses sur la
réalisation de la parole tant dans sa composante phonique qu’articulatoire.
Tr o u bles port a n t s u r l a p h o n a tion :
• La spasticité a pour effet une voix serrée. La parole est monotone. Le débit
est haché, ralenti sans irrégularité.
• Dans les formes dyskinétiques, les mouvements athétosiques peuvent
entraîner un asynchronisme entre les mouvements respiratoires et laryngés
et ainsi un trouble de la coordination pneumo-phonique. Les dystonies
entraînent un souffle court, un débit ralenti, une hauteur de voix irrégulière.
• Dans les formes hypotoniques, l’hypotonie axiale peut induire une faiblesse dans l’expiration et donc la production de rhèses courtes. L’intensité
106
texte 229
19/03/07
15:17
Page 107
de la voix est souvent faible ou chute rapidement après le début de la
phrase.
Tr o u bles port a n t s u r l a r é a l i s a t i o n a r ticula t o i re :
• Dans les formes où prédomine la spasticité, les occlusives sont difficilement réalisées. On observe un remplacement des nasales par des orales,
trouble dû à la raideur du voile.
• Dans les formes athétosiques : les contractions musculaires irrépressibles
atteignent la production articulatoire. On observe une exagération des
explosives, un assourdissement des occlusives sonores et un remplacement
des fricatives par les occlusives. La dyskinésie entrave l’alternance
voyelles sonores, consonnes sourdes et entraîne une sonorisation des
consonnes. La production des voyelles peut être gênée par une instabilité
de la langue et des lèvres.
• Dans les formes où la composante déficitaire est plus importante, l’articulation est molle et imprécise. On observe une différenciation insuffisante
des consonnes.
• L’hypermétrie dans le syndrome cérébelleux provoque un assourdissement
des consonnes sonores. A l’inverse, une hypotonie entraîne une sonorisation des consonnes sourdes.
Ces différentes formes peuvent être intriquées. L’intensité des troubles
observés est variable. L’intelligibilité est diversement altérée selon la nature et
l’intensité de l’atteinte. Les enfants PC présentant une dysarthrie massive parlent tard (Truscelli, 1999). Ils développent une parole caractérisée par des déformations. Certains enfants avec des dysarthries sévères ne peuvent émettre que
des sons de faible intensité et mal différenciés.
Les troubles dysarthriques s’accompagnent fréquemment d’une atteinte
plus globale de la sphère oro-faciale touchant l’alimentation et pouvant entraîner un bavage.
♦ R é é d u c at i o n d e l a p a role
Un examen de la sphère oro-faciale et de la parole, examen qui s’intègre
dans un bilan complet du langage, permettra d’envisager un projet thérapeutique.
Le p r é a l ab le à la rééducat i o n o rt h o p h o n i q u e est la recherche d’une
posture optimale. Des installations ergonomiques (fauteuil, siège moulé, appuitête) sont indispensables pour compenser la faiblesse de maintien postural de la
tête et du tronc et pour favoriser une meilleure phonation. On tente d’obtenir
107
texte 229
19/03/07
15:17
Page 108
une décontraction de la région haute du tronc, des épaules et du cou pour libérer
la motricité bucco-faciale.
Citons les p r incipaux ax es de rééducation :
- Le souf fle : les exercices visent à amplifier les mouvements de la respiration et à y associer ensuite phonation et articulation.
- Les mouvements bucco-faciaux à l’aide d’exercices volontaires et de
mouvements réflexes (appelés classiquement exercices de praxies buccofaciales par les orthophonistes).
La première étape est de faire prendre conscience à l’enfant des différentes régions de la sphère bucco-faciale, de leur position au repos et des mouvements attendus. L’enfant réalise ensuite le geste montré ou explicité.
- L’ a rticulation : le but est de mettre en place des points d’articulation
plus précis. L’enfant, dans un premier temps, doit comprendre les positions et
mouvements à effectuer puis les reproduire.
- L a p a role : le travail est axé sur l’enchaînement des phonèmes une fois
qu’ils peuvent être réalisés isolément.
La rééducation doit s’adapter à chaque enfant et à ses troubles. Elle s’accompagne de la rééducation de l’alimentation et du bavage, si elle est nécessaire.
♦ Limites de la rééducation ort h o p h o n i q u e
La rééducation des troubles arthriques doit être systématique et a pour but
d’obtenir une qualité de communication indispensable dans la vie sociale et
dans l’équilibre affectif de l’enfant. Cette prise en charge a ses limites dans le
cas de troubles majeurs.
Sellars et coll. (2002) ont effectué une revue de la littérature pour
connaître l’impact de la rééducation de la dysarthrie chez les sujets PC. Ils n’ont
pas retrouvé d’argument mettant en évidence l’efficacité (ou l’inefficacité) de la
rééducation de la dysarthrie dans la PC.
Une étude de Hartley (2003) évalue l’impact de la rééducation de la
parole sur l’intelligibilité d’enfants PC athétosiques dysarthriques. Une moitié
de la population a bénéficié d’une rééducation axée sur la respiration et la
phonation. L’autre moitié a eu une rééducation axée sur l’articulation. La
qualité de la parole était évaluée au moyen du Dysarthria Profile (profil de
dysarthrie), et de la méthode Children’s Speech Intelligibility Measure
(mesure de l’intelligibilité de la parole des enfants). Des auditeurs familiarisés
ou non avec le trouble devaient identifier les mots prononcés à l’aide d’un
questionnaire à choix multiples. Les performances étaient mesurées avant,
pendant et après le traitement.
108
texte 229
19/03/07
15:17
Page 109
Au terme de cette étude, aucun des sujets a montré d’amélioration notable
de son intelligibilité de la parole après rééducation. Quelques améliorations
dans les capacités ciblées de production de la parole sont relevées pendant les
séances de rééducation, sans que celles-ci se généralisent dans la parole spontanée.
Truscelli (1999) a observé dans sa pratique clinique que la rééducation
avait un effet positif sur la phonation mais que le souffle court subsistait. L’articulation reste souvent approximative.
La rééducation, dans le cas des dysarthries massives, permet à l’enfant de
produire quelques sons significatifs à peu près stables lui permettant de communiquer ses besoins élémentaires, de répondre à des questions fermées ou semiouvertes, de se faire comprendre dans un contexte particulier. En revanche, traduire des pensées plus élaborées, parler avec un nouvel interlocuteur restent
problématiques.
La rééducation de la parole des enfants PC avec une dysarthrie massive
est souvent lente, longue, contraignante pour les enfants et les progrès, même
réels, ne suffisent pas pour avoir des échanges élaborés. L’instauration d’une
communication symbolisée et la construction du langage sont primordiales.
L’utilisation d’un moyen alternatif de communication, tel que les codes pictographiques ou les synthèses vocales est indispensable.
Un moyen alternatif de communication entrave-t-il le développement de
la parole comme le craignent les familles et parfois les équipes?
♦ Moye n s a l t e rn atifs de comm u n i c a tion : l e u r i m p a c t s u r l a p a role
n a t u relle
L’utilisation de codes pictographiques et de synthèses vocales avec les
enfants PC leur permet de remplacer ou de soutenir leur parole déficiente pour
communiquer. Ce sont des moyens alternatifs ou augmentatifs de communication. Quel est l’impact de leur utilisation sur la parole naturelle de l’enfant ?
Certaines études se sont intéressées à cet impact potentiel. Millar et coll.
(2000) et Schlosser (2003) ont notamment observé d’une manière globale, après
l’introduction d’un système de communication, « une augmentation de la fréquence de vocalisations, de la fréquence de tentatives de mots, de la proportion
de mots intelligibles, de la complexité de la structure syllabique et/ou phonémique des mots, du nombre de mots produits dans un même énoncé, de la proportion de message par mode oral et de la variété des intentions de communication transmises par le mode oral ».
D’autres auteurs (Dyches, 1998 ; Romski et Sevcik, 1996) ont observé
une amélioration de l’intelligibilité.
109
texte 229
19/03/07
15:17
Page 110
P l u s i e u rs explications ont été proposées :
• Un moyen alternatif de communication permet d’améliorer l’interaction
sociale par le fait de communiquer. Son utilisation permet à l’enfant d’entrer en
relation avec son environnement et de développer des habilités en communiquant. Le fait d’avoir des possibilités plus nombreuses de communiquer pourrait
favoriser l’amélioration de la parole (Zangari, 1994). Blishak (2003), pose l’hypothèse que l’utilisation d’une synthèse vocale augmente la quantité de tours de
parole de l’enfant dans la conversation, ce qui mènerait à un accroissement
d’occasions de communiquer et fournirait un contexte rendant plus intelligibles
ses productions. L’augmentation de la participation de l’enfant à l’interaction
lui permet d’acquérir des habilités pragmatiques et linguistiques et ainsi lui
fournit un contexte propice au développement de la parole.
Ainsi, ce ne serait pas tant la synthèse vocale qui permettrait l’amélioration de la parole mais l’utilisation d’un moyen alternatif de communication
(Marchand, 1998). Le code pictographique papier ou l’utilisation de signes
auraient le même impact.
L’étude de Sigafoos (2003) corrobore cette idée. Il n’existerait pas de différence dans l’amélioration de l’intelligibilité dans le cas de l’utilisation d’un
moyen alternatif de communication avec ou sans synthèse vocale.
• L’autre explication serait, selon Blischak (2003), que la synthèse vocale
fournit un modèle phonologique du mot associé à chaque symbole qui est
constant et plus fréquent que les modèles présentés dans le langage parlé de l’environnement. Le feed-back sonore permet de rétablir la boucle du langage indispensable à l’évolution et à la structuration du langage. Parsons et La Sorte (1993)
retrouvent dans leur étude que l’utilisation d’un moyen alternatif de communication augmente davantage la qualité de la parole qu’un moyen AAC sans synthèse
vocale. L’utilisation de synthèse vocale faciliterait ainsi l’émergence de la parole.
• Blischak (2003) présente un autre avantage de l’utilisation d’une synthèse vocale : elle peut contribuer au développement du système phonologique
interne de l’enfant.
Dans les études citées, les moyens alternatifs de communication permettent d’établir un contexte favorable à l’amélioration de la qualité de la parole.
Aucun élément dans la littérature ne fait état d’une entrave au développement de
la parole du fait de l’utilisation de ces outils.
♦ C o n c lusion
La prise en charge de la dysarthrie dans la Paralysie Cérébrale est multiple et nécessite une approche pluridisciplinaire. Une installation ergonomique
110
texte 229
19/03/07
15:17
Page 111
permet l’obtention d’un état de décontraction. Une rééducation orthophonique
adaptée à chaque enfant et à ses troubles arthriques s’accompagne d’une prise
en charge des troubles de l’alimentation et du bavage. Un traitement médicamenteux per os antispastique peut y être associé ou une action focale par injection intramusculaire de toxine botulique.
Malgré les conduites thérapeutiques et rééducatives entreprises, la dysarthrie peut rester massive et entraver alors la communication orale. Dans ce cas,
l’utilisation de moyens alternatifs de communication est essentielle. Elle nécessite l’adhésion de l’entourage et de l’ensemble des thérapeutes. Néanmoins,
ceux-ci ne permettent pas de pallier tous les déficits de la communication.
REFERENCES
AUZOU P. (2001). Physiologie de la parole. In P. AUZOU, C., OZSANCAK, V., BRUN, (Eds)
Les dysarthries (1-6). Paris : Masson.
BLISHAK D.M., LOMBARDINO L.J., DYSON A.T. (2003). Use of Speech-Generating Devices :
In support of natural speech. Augmentative and Alternative Communication ; 19 (1) : 29-35.
CANS C. (2005). Epidémiologie de la Paralysie Cérébrale (« Cerebral Palsy » ou CP). Motricité cérébrale ; 26(2) : 51-58.
DYCHES, (1998). Effects of Switch Training on the Communication of Children with Autism and Severe
Disabilities. Focus on Autism and Other Developmental Disabilities ; 13 : 141-162.
HARTLEY C, GROVE N., LINDSEY J., PRING T. (2003). La dysarthrie chez l’enfant infirme moteur
cérébral : effets de la rééducation sur la production et l’intelligibilité de la parole. Congrès CPOL.
MAZEAU M. (1999). Dysphasies, troubles mnésiques, syndrome frontal chez l’enfant. Masson.
MARCHAND MH (1998). Bilan de langage et diagnostics chez les enfants infirmes moteurs cérébraux.
Rééducation orthophonique ; 193 : 71-82.
MILLAR D., LIGHT J., SCHLOSSER R. (2000). Tech Impact of AAC on Natural Speech Development :
A Meta-Analysis. In Proceeding of the 9th Biennal Conference of the international Society for
Augmentative and Alternative Communication (ISSAC) : 740-741.
PARSONS C.L., LA SORTE D.(1993). The Effect of Computer with Synthesized Speech and No Speech
on the Spontaneous Communication with Autism. Australian Journal of Human Communication
Disorders ; 21: 12-31.
ROMSKI M.A., SEVCIK (1996). Breaking in Speech Barrier : Language Development trough Augmented
Means. Paul H. Brookes.
111
texte 229
19/03/07
15:17
Page 112
SELLARS C., HUGUES T., LANGHORNE P. (2002). Speech and language therapy for dysarthria due to
non-progressive brain damage. Cochrane Database System Review. 2005 Jul 20 ; (3).
SCHLOSSER R.W. (2003). Effects of AAC on Natural Speech Development. In R.W.
SCLOSSER, (Ed). The Efficacy of Augmentative and Alternative Communication (404-426).
SCHLOSSER RW, SIGAFOOS,J. (2006). Augmentative and alternative communication interventions for
persons with developmental disabilities : narrative review of comparative single-subject experimental studies. Research Deviances Disabilities. Jan-Feb ; 27 (1):1-29.
SIGAFOOS J., DIDDEN R., O’REILLY M. (2003). Effects of Speech Output of Maintenance of
Requesting and Frequency of vocalizations in Three Children with Developmental Disabilities.
Augmentative and Alternative Communication ; 19(1) : 37-47.
Surveillance of Cerebral Palsy in Europe (2002). Prevalence and Characteristics of Children with
Cerebral Palsy in Europe. Developmental Medecine and Child Neurology ; 44(9) : 633-640.
TRUSCELLI D. (1999). Syndromes lésionnels précoces : infirmité motrice cérébrale. Pathologie de la
parole et du langage. In C. CHEVRIE-MULLER, J. NARBONA, (Eds), Le langage de l’enfant,
aspects normaux et pathologiques (2nd édition, pp. 236-255). Masson.
ZANGARI C., LOYD L.L., VICKER B. (1994). Augmentative and Alternative Communication : An Historic Perspective. Augmentaive and Alternative Communication ; 10 (27-59)
112
texte 229
19/03/07
15:17
Page 113
Évaluation du domaine « Phonologie » lors du
bilan de langage oral
Françoise Coquet
Résumé
L’évaluation du domaine « Phonologie » s’articule habituellement autour de tâches de
« Dénomination d’images » et de « Répétition de mots et/ou de logatomes ». L’analyse des
productions de surface recueillies permet de qualifier des processus d’altération dans la
production des mots et de conclure éventuellement à un trouble phonologique du sujet
testé. Différentes hypothèses interprétatives de ce type de trouble sont décrites dans la
littérature.
Un essai de modélisation d’un parcours diagnostique pour ce domaine est présenté à
travers l’exemple de la Batterie Evalo 2-6.
Mots clés : orthophonie, langage oral, parole, évaluation, enfant et adolescent, parcours
diagnostique orthophonique, Batterie Evalo 2-6.
The evaluation of the « Phonological » domain in the oral language
examination
Abstract
The evaluation of phonological functioning generally includes tasks of « picture naming »
and of « word and/or logatome repetition ». An analysis of recorded surface productions
facilitates the identification of altered processes in word production, possibly leading to the
confirmation of a phonological disorder in the tested subject. Various hypotheses attempting
to interpret this type of disorder are described in the literature. An attempt at modelling a
diagnostic process for this field is presented using the example of the Evalo 2-6 Battery.
Key Words : speech and language therapy, oral language, speech, evaluation, child and
adolescent, diagnostic process, Evalo 2-6 Battery.
Rééducation Orthophonique - N° 229 - mars 2007
113
texte 229
19/03/07
15:17
Page 114
Françoise COQUET
Orthophoniste
163 rue Saint Albin
59500 Douai
Courriel : [email protected]
L
’évaluation du domaine « Phonologie » est une des composantes du
bilan du langage oral. Elle doit permettre de recueillir des productions
lors de tâches de « Dénomination » ou de « Répétition de mots ou de
logatomes » qui se prêteront à une analyse qualitative et quantitative permettant
de connaître la performance du sujet testé dans ce domaine ou ses difficultés
spécifiques. Ce diagnostic « phonologique » doit ensuite être repris à un niveau
« transversal » afin de parvenir, si possible, à une interprétation synthétique du
dysfonctionnement dont souffre l’enfant.
Le présent article se propose d’exposer les modalités habituelles d’évaluation pour ce domaine, de décrire les manifestations de surface recueillies et
leur possible interprétation soit pour parvenir à un diagnostic soit en recherche
de facteurs explicatifs. Pour conclure, un essai de modélisation d’un parcours
diagnostique orthophonique pour ce domaine est présenté à travers l’exemple de
la Batterie Evalo 2-6.
♦ Modalités d’éva l u a t i o n
L’évaluation repose essentiellement sur un recueil d’énoncés produits. On
peut distinguer trois contextes de recueil :
• un recueil de p r o d u c t i o n s s p o n t a n é e s lors de temps de jeu ou de
conversation,
• un recueil de productions induites lors d’une t â che de dénomination,
• un recueil de productions contraintes lors de t â ches de répétition.
Les énoncés recueillis sont analysés au niveau du matériel mots.
L’évaluation peut être complétée par d’autres épreuves sur le versant « Réception ».
T â che de dénomination
La tâche de dénomination (d’objets, d’images) demande une activation
explicite de la représentation lexicale. La composition des items proposés (longueur des mots : mots courts versus mots longs, leur fréquence, la complexité
114
texte 229
19/03/07
15:17
Page 115
de leur structure syllabique : mots simples à structure CV versus mots complexes à structure CCV), permet d’observer la sensibilité à ces différentes
variables. La réussite de la dénomination est subordonnée aussi à l’activation de
programmes moteurs de production ou à l’absence d’un trouble d’articulation
périphérique.
Cette tâche peut être comparée à une tâche de décision lexicale mot / non
mot altéré phonologiquement ([saise])) pour déterminer la sensibilité par rapport à des paramètres comme la position dans le mot, la distance phonétique de
la substitution, la nature de la substitution par rapport à la cible (Maillart et coll,
2004).
T â ches de répétition
La répétition de logatomes et la répétition de mots sont deux types de
supports phonologiques différents impliquant pour la première une stratégie
phonologique et pour la seconde une stratégie lexicale. La tâche de répétition de
logatomes serait soumise à un processus développemental d’apprentissage du
code écrit alors que la tâche de répétition de mots reflèterait un processus développemental d’apprentissage du code oral (Rey et coll, 2004).
Répétition de mots
La mémorisation de mots nécessite de les identifier. Cette identification
suppose une activation passive de leur représentation phonologique lexicale qui
fonctionne comme un tout [bateau] – [ba] et [teau] liés par l’item lexical
« bateau ») et de rafraîchir les codes (la récapitulation phonologique porte sur
des représentations phonologiques assemblées et maintenues en mémoire tampon). Elle est sous l’influence de la longueur de ce qui est à rappeler et de la
nature de la représentation phonologique (effet de la rime).
Répétition de loga tomes
Un logatome est un mot sans signification construit sur le pattern syllabique des mots avec signification.
La tâche de répétition de logatomes consiste à convertir un « mot »
entendu en « mot » produit. Elle nécessite une perception correcte de l’item,
implique que la récapitulation phonologique porte sur des représentations phonologiques assemblées et maintenues en mémoire tampon ([panbi] : deux unités phonologiques [pan] et [bi] stockées séparément et récapitulées séparément
parce qu’aucun item préexistant ne les lie. Elle est soumise à l’influence de l’activation de représentations lexicales de mots voisins phonologiques et s’appuie
sur la possibilité de s’appuyer sur des connaissances sous lexicales (comme la
fréquence phonotactique – fréquence de transitions entre segments constitutifs).
115
texte 229
19/03/07
15:17
Page 116
Elle est sous la dépendance de l’empan de mémoire à court terme. Elle peut être
gênée par une difficulté de production.
Il est postulé que cette tâche teste une compétence linguistique phonologique (les fautes prévisibles sont des formes possibles dans la langue maternelle) plutôt qu’une compétence mnésique et ou attentionnelle (si c’était le cas,
les fautes seraient imprévisibles dans la langue) (Rey et coll., 2004).
T â c hes complémentaires sur la modalité perce p t ive
On peut évaluer les capacités de traitement de l’imput phonologique après
avoir vérifié l’audition (audiométrie tonale) et la capacité de discrimination de
séquences de sons non linguistiques avec :
- une tâche de « gating » (Dollagham, 1998) qui consiste en une identification perceptive par fragments de mots de plus en plus longs avec une
recherche de seuil où le mot est reconnu et des capacités de détection d’altérations concernant le changement du nombre de syllabes ou modifications phonétiques en début ou en milieu de mots,
- une tâche de désignation de mots phonétiquement proches sur des supports imagés,
- une tâche de discrimination de paires de mots ou de pseudo mots par
jugement pareil / pas pareil.
♦ D e s c r i p t i o n e t a n a l y s e d e s c o r p u s d e p r o d u c t i o n r ecueillis
Suite à la passation des différentes épreuves, un corpus de production a
été recueilli et se prête à une description en termes de manifestations de surface.
Sont principalement mises en évidence en parole spontanée ou induite
(dénomination) des altérations phonologiques des mots produits. L e s p rocessus
d ’ a l t é r a tions phonolo giques n’ont pas de caractère systématique, ils dépendent
souvent de l’environnement phonétique ou phonologique comme de la complexité et de la longueur du mot.
Ils peuvent être regroupés en plusieurs catégories en fonction de la nature
de l’altération :
- erreurs de segmentation des mots par agglutination ([noiseau] ou déglutination ([la moire]),
- processus qui affectent la structure de la syllabe et/ou du mot par addition
de phonème (prosthèse : [ ciseau], épenthèse : [castrole]), suppression de
syllabe (aphérèse : [ phant], coɑlescence : [dradaire]) ou suppression de
phonème ([apin], [pati], apocope : [cana], syncope [mont-e])
- processus qui substituent une classe de phonèmes à une autre : substitution vocalique ([pupée]), substitution consonantique avec changement de
116
texte 229
19/03/07
15:17
Page 117
mode ([touris]), de voisement ([câteau]), de point d’articulation ([hispoire]),
- processus d’assimilation d’un phonème à un autre : assimilation entre
phonèmes contigus ([krain]), harmonisation consonantique par anticipation ([touteau]) ou par persévération ([coukeau],
- processus de déplacement de syllabes ou de phonèmes (métathèse :
[valabo], [chisp]).
Les a l t é r a t i o n s p rosodiques sont à identifier (modifications de la durée syllabique, de l’accentuation, de la courbe intonative).
♦ A n a l yse des manif e s t a t i o n s d e s u r f ace
Le nombre, la fréquence et la nature des processus jugés inadéquats pour
un âge donné orientent le testeur vers une qualification de la performance du
sujet testé en efficient / non efficient.
Dif f é rentes modalités sont décrites (Rondal et Séron, 1999) :
- persistance de processus de simplification normaux au delà de 4 ou 5 ans ;
jusqu’à 5 ans, la simplification du discours est normale, au delà la simplification apparaît comme une absence d’évolution ;
- maintien de processus de simplification en même temps que des patterns
caractéristiques d’étapes ultérieures du développement phonologique apparaissent (signe d’une discordance chronologique) ;
- présence de processus idiosynchratiques : utilisation de changements atypiques, productions de mots qui n’existent pas (signes d’un problème mental ou psychiatrique) ;
- usage variable des processus : différents types de variations pour une
même cible, erreurs nombreuses, instables, inhabituelles (marqueurs de
déviance des troubles phonologiques des dysphasies),
- préférence sonore : la simplification est telle qu’il n’y a plus que 2 ou 3
phonèmes pour tous les autres ; l’enfant utilise un phonème pour commencer chaque mot qu’il produit indépendamment du phonème cible en
position initiale.
Il faut tenir compte de la sensibilité ou non aux processus d’étayage proposés
par l’adulte et à la présence éventuelle d’une dissociation automatico-volontaire.
♦ Éléments de dia gnostic or t h o p h o n i q u e
L’hypothèse diagnostique orthophonique d’un trouble de la parole doit
être envisagée. Elle ne saurait être posée uniquement sur la base de la descrip-
117
texte 229
19/03/07
15:17
Page 118
tion des processus d’altération phonologique et nécessite la prise en cause d’un
faisceau d’indicateurs et des compléments d’investigation tant sur le versant
« Réception » que sur le versant « Production ».
« Le trouble de la parole se définit comme un trouble phonologique,
classé parmi les troubles expressifs du langage, il affecte la mise en forme sonore
des mots et leur intelligibilité par l'interlocuteur (...) L'éventail des troubles de la
parole s'étend du handicap modéré au trouble sévère qui peut être invalidant,
voire à l'absence de langage oral (apraxie de la parole) » (Coquet, 2004).
Le retard de parole est à différencier du trouble d'articulation et des déficits ou déviances de la production phonologique mis en évidence dans un
contexte de dysphasie phonologique ou de dysphasie de production phonologique syntaxique.
118
texte 229
19/03/07
15:17
Page 119
♦ Rec h e rche d’hypothèses e xplica tives
Ve rsant « Récep t i o n »
Deux hypothèses sont mises en avant :
Un déficit qualitat i f d u t ra i t e m e n t t e m p o rel de l’info rm ation et en
particulier de l’information auditive (Tallal et coll., 1976). Un déficit de traitement des stimuli sonores brefs en succession rapide perturbe le traitement de la
parole en gênant la discrimination et la catégorisation des phonèmes (discrimination sourde / sonore, occlusif / constrictif, reconnaissance que des réalisations
acoustiques différentes correspondent au même phonème), ce qui influence la
qualité de l’encodage des informations nécessaires à la constitution du système
phonologique.
Cette variable est à considérer comme « une variable modératrice, c’est à
dire qu’elle n’est ni nécessaire, ni suffisante pour exercer un effet sur le développement du langage mais, chez des enfants à risque, elle pourrait contribuer à
des difficultés langagières » (Maillart, 2004).
U n e a l t é r a t i o n d e s r e p r é s e n t a t i o n s p h o n o l o g i q u e s a u n i ve a u d u
le xique mental. Il existe des différences interindividuelles en fonction de la
qualité des représentations, de leur accessibilité et de leur utilisation en fonction
des tâches. La sous-spécification des représentations phonologiques résultant
d’un problème perceptif limitant l’accès aux détails phonologiques des mots
entrave le développement lexical (Chiat, 2001).
Si la forme phonologique est sous-spécifiée, isoler un mot dans le flux de
parole, associer le mot à son référent est plus facile dans le cas d’un mot
concret, d’un nom plutôt que d’un verbe (Conti-Ramsem & Jones, 1997). La
sous-spécification des représentations phonologiques a aussi des répercussions
au niveau morphologique quand il y a mise en relation d’un phonème avec une
information sémantique précise (grande, dorment) avec un risque que l’information morphologique ne soit pas traitée (Joanisse et Seidenberg, 1999).
Ve rsant « P roduction »
La production du signal de parole se fait en plusieurs étapes. A chacune
de ces étapes, un dysfonctionnement peut être mis en évidence, nécessitant un
diagnostic différentiel :
• Difficultés d’accès à la rep r é s e n t a tion phonologique le xicale : chez
des sujets porteurs d’une atteinte centrale, l’instabilité des productions se focalise d’avantage sur un groupe de phonèmes (occlusives par exemple) et présente
des similarités avec un trouble en perception ;
• Difficultés de récupéra tion en mémoire de la rep r é s e n t a tion phonologique : chez des sujets porteurs de trouble spécifique du développement de la
119
texte 229
19/03/07
15:17
Page 120
parole et du langage, les représentations phonologiques sont trop lentes et trop
difficiles à activer, la boucle phonologique n’est pas utilisée, l’enregistrement de
l’information résulte d’un seul processus passif ;
• Difficultés de récupéra t i o n d u p rogr a m m e m o t e u r a rticulat o i re corr e s p o n d a n t et de son maintien en mémoire tampon articulatoire : chez les
sujets présentant une dyspraxie verbale, les réalisations sont instables pour un
même mot dans plusieurs tâches, avec une altération plus importante en tâche de
répétition de pseudo mots parce que cela nécessite la création d’un nouveau programme articulatoire ;
• Difficultés au niveau de l’exécution motr ice qui implique la mise en
œuvre coordonnée d’un certain nombre de muscles : chez les sujets présentant
une dysarthrie, l’altération de l’exécution motrice est en lien avec une pathologie neurologique ; chez les enfants présentant une dyslalie, ce peut être en lien
avec une immaturité de la forme et de la position des différents organes impliqués chez l’enfant. (L’examen de la sphère oro-faciale est indispensable).
♦ I l l u s t r a t i o n d ’ u n p a rc o u r s d i a g n o s t i q u e o r t h o p h o n i q u e
pour le domaine « Phonologie » :
P r é s e n t a t i o n d e l a B a t t e r ie d’Év a l u a t i o n d u d é v e l o p p e m e n t
d u L a n g a ge O ral (Evalo 2-6)1
La Batterie Evalo 2-6 est construite sur le principe d’une évaluation par
épreuves regroupées par domaines qui couvrent les différentes composantes du
langage oral (phonologie, lexique, morphosyntaxe, pragmatique, métalinguistique) comme les habiletés spécifiques (fonction visuo spatiale et graphique,
fonction cognitive, attention, mémoire, gnosies, praxies). L’évaluation se complète d’une observation qualitative sur critères des comportements de jeu et de
communication et d’un Compte Rendu Parental pour les enfants les plus jeunes.
Elle cible la tranche d’âge de 2 ans 3 mois à 6 ans 3 mois.
La Batterie propose dans le domaine « Phonologie » deux épreuves
d’évaluation avec une tâche de « Dénomina tion » (prolongée par une « Répétition de mots » en cas de production erronée) et une tâche de « Répétition de
loga tomes » ainsi qu’une épreuve complémentaire d’ « A rticulation ». Suite
à la passation des différentes épreuves sont calculés des scores qui permettent
de situer le sujet par rapport à ses pairs. L’intelligibilité de la parole spontanée
est appréciée de façon transversale tout au long de l’évaluation à l’aide d’une
échelle qualitative.
Coquet, F., Ferrand, P., Roustit, J. (à paraître). Batterie d’Évaluation du développement du Langage Oral.
Isbergues : Ortho Édition
120
texte 229
19/03/07
15:17
Page 121
Cette composante de la batterie a pour objectif spécifique d’identifier et
de caractériser une atteinte des représentations phonologiques ou de leur traitement en la différenciant de dysfonctionnements plus périphériques affectant la
planification et/ou la réalisation (phonétique) des gestes présidant à l’articulation proprement dite.
La Batterie comporte d’autres épreuves évaluant d’autres domaines ou
habiletés auxquelles il est possible d’avoir recours pour construire le diagnostic
orthophonique.
Suite à la passation des épreuves, un corpus de productions recueillies se
prête à une description en termes de manifestations de surface. Le nombre, la
fréquence et la nature des processus jugés inadéquats pour un âge donné comme
les scores obtenus orientent le testeur vers une qualification de la performance
du sujet testé en efficient / non efficient et obligent à s’interroger sur des hypothèses d’interprétation.
E s s a i d e m o d é l i s a t i o n d ’ u n p a rc o u r s d i a g n o s t i q u e o r t h o p h o n i q u e
pour le domaine « Phonologie »
• S i t u a tion initiale
L’évaluation dans le domaine « Phonologie » débute avec l’ « É p reuve
de Dénomina tion ». Le sujet est amené à produire des mots à partir d’images.
Ces mots peuvent être ceux attendus sémantiquement ou pas (aspect lexical –
cette dimension n’est pas traitée dans le présent article -), être réalisés correctement ou pas (aspect phonologique versus phonétique).
Plusieurs données sont à prendre en compte :
- l’âge du sujet testé ;
- les « normes » établies en matière de développement de l’habileté phonologique ;
- le score obtenu par le sujet à cette épreuve et sa confrontation aux données
de l’étalonnage ;
- les erreurs de production qu’il convient de décrire et de qualifier.
Exemple :
Le sujet est âgé de plus de quatre ou cinq ans, âge auquel le développement phonologique doit être terminé.
Parmi d’autres mots mal réalisés, le mot « couteau » est prononcé :
[touteau].
Dans la première syllabe le [k] est remplacé par [t]. Cette substitution peut se
retrouver dans tous les mots comportant ce phonème (dans ce cas elle résulterait
d’un trouble d’articulation par substitution) ou être propre à l’environnement phonétique (dans ce cas elle correspondrait à un processus phonologique d’altération).
121
texte 229
19/03/07
15:17
Page 122
S’il s’agit d’un processus phonologique d’altération, comme le phonème
initial a pris les caractéristiques du phonème de la deuxième syllabe, c’est une
anticipation par harmonisation consonantique (dilation).
Soit « couteau » est toujours prononcé [touteau] quel que soit le
contexte de production (dans ce cas ce serait plutôt un processus de simplification semblable à ceux que l’on rencontre dans les productions du petit enfant)
soit il peut être prononcé indifféremment [koukeau] ou [couteau] ou complexifié
(dans ce cas ce serait plutôt un processus déviant dans un contexte de dysphasie).
• L e s é t a p e s d u p a rc o u r s d i a g n o s t i q u e o r t h o p h o n i q u e
É t ape 1 : qualification des processus d’altéra tion par analyse différentielle
Pour écarter l’hypothèse d’un « Trouble phonétique », il est indispensable de proposer un « Te s t d ’ a rticula tion » avec des répétitions de syllabes
où la consonne est proposée avec un voisinage vocalique neutre.
Il convient également de vérifier l’état buccodentaire pour écarter toute
particularité organique.
É t ape 2 : si qualification comme Processus d’altéra tion phonologique
122
texte 229
19/03/07
15:17
Page 123
L’intelligibilité de la parole du sujet peut être appréciée sur une échelle
qualitative tout au long de l’évaluation, de même que la qualité prosodique de la
production des mots.
Les processus d’altération des mots produits en situation induite de déno-
mination doivent être comparés avec ceux des mots produits en situation de production spontanée ainsi qu’à ceux produits en situation de contrainte de répétition (« É p reuv e d e R é p é t i t i o n d e m o t s »). La comparaison du « score
direct » (mots produits correctement en première intention) avec le « score
aidé » (mots corrects suite à la répétition) permet d’apprécier une sensibilité du
sujet à l’étayage et sa capacité de récupération de représentations phonologiques
disponibles.
L’évaluation peut être complétée par une épreuve de « Répétition de
loga tomes » qui amène à un calcul de score comme à la qualification des processus d’altération (en plus d’un calcul d’empan). Les recherches théoriques
soulignent la fréquence et l’importance des erreurs de type « omission » sur
l’axe syntagmatique et celles de type « substitution » sur l’axe paradigmatique.
123
texte 229
19/03/07
15:17
Page 124
É t ape 3 : Rech e rche d’hypothèses interprétatives
Suite aux trois épreuves proposées, plusieurs hypothèses peuvent être
envisagées amenant à des compléments d’investigation à l’aide d’autres
épreuves de la Batterie. Si l’on envisage un processus de traitement phonologique qui part de la réception du signal de parole à sa production, il est souhaitable de tenter de répondre aux questions suivantes :
- Le sujet entend-il cor r ectement ?
Pour écarter l’hypothèse d’une baisse de l’acuité auditive, on peut proposer un « Dépistage auditif » à l’aide d’une répétition en voix chuchotée sans
et avec lecture labiale ou des activités exigeant une réaction / orientation aux
bruits familiers ou musicaux. En cas de doute, un examen complémentaire est
demandé.
- L e s u j e t c a tég o r ise-t-il cor r e c t e m e n t l e s p h o n è m e s ?
Pour vérifier la composante perceptive, on peut proposer une épreuve de
« Gnosies auditivo-ve r b a l e s » à l’aide d’une désignation d’images de mots
phonétiquement proches ou d’un jugement pareil versus pas pareil sur des
paires de mots ne se différenciant que par un seul phonème. Il est intéressant de
quantifier et qualifier les erreurs (contrastes phonologiques non discriminés :
sonorité / nasalité / point d’articulation…).
- L e s u j e t e s t - i l p é n a l i s é p a r u n e a t t e n t i o n d é fi c i t a i r e ?
Pour vérifier la composante attentionnelle, il est possible d’observer le
comportement attentionnel lors des activités (tendance à l’impulsivité, mobilisation ou non de l’attention, labilité ou dispersion) et de proposer une
« É p reuve d’Attention auditive » au cours de laquelle le sujet doit repérer des
bruits dans une suite sonore ou des mots cibles dans une liste.
- L e s u j e t e s t - i l l i m i t é p a r l a t a i l l e d e c e q u ’ i l p e u t m e t t re e n M é m o i re à
C o u rt Te r me ?
Pour vérifier la composante mnésique, il est intéressant de déterminer la
mesure de l’empan de Mémoire à Court Terme sur du matériel auditivo-verbal
qui n’active pas de représentation sémantique avec une épreuve de « Répétition de chiff re s e n d roit et enve rs ».
- Le sujet est-il perfo rm a n t a u n ive a u p raxique ?
On peut proposer un « Te s t d e P r axies bucco f aciales et linguales » sur
imitation.
124
texte 229
19/03/07
15:17
Page 125
• Éléments de dia gnostic or t h o p h o n i q u e p o u r l e d o m a i n e
L’hypothèse diagnostique d’un « Tr o u b le phonolo gique », pour être
envisagée, ne saurait être posée uniquement sur la base de la description des
processus d’altération phonologique. Elle nécessite la prise en compte d’un faisceau d’indicateurs et des compléments d’investigation tant sur le versant
« Réception » que sur le versant « Production » comme décrit précédemment.
♦ C o n c lusion
L’évaluation menée dans le domaine « Phonologie » (comme dans les
autres domaines) doit être la plus complète possible et ne pas se limiter à un
simple recueil de productions en parole spontanée ou lors de tâches normalisées.
Le parcours diagnostique orthophonique, sous forme d’arbre décisionnel, tel
que le propose la Batterie Evalo 2-6, se construit au fur et à mesure du déroulement de l’investigation et en fonction des éléments recueillis ; il doit envisager
un éventail de possibles. Il peut être nécessaire d’avoir recours à des examens
complémentaires. En filigrane de cette démarche, les hypothèses formulées
quant aux mécanismes sous-jacents bien ou mal mis en œuvre et aux niveaux
éventuellement défectueux du traitement de l’information ou de la production
125
texte 229
19/03/07
15:17
Page 126
en réponse permettent de dégager des axes spécifiques du projet thérapeutique
qu’il faut mettre en œuvre.
REFERENCES
CHIAT, S. (2001). Mapping theories of developmental language impairment : Premises, predictions and
evidence. Language and Cognitive Processes, 16. 113-142.
COQUET, F. (2004). Troubles de la parole. In C., Billard, M., Touzin, (Eds). L’état des connaissances.
Paris : Signes éditions.
COQUET, F., FERRAND, P., ROUSTIT, J. (à paraître). Batterie d’Évaluation du développement du Langage Oral. Isbergues : Ortho Édition.
COLE, R.A., STERN, R.M., LASRY, M.J. (1986). Performing fine phonetic distinctions : Template vs
Features. Inva riance and Va riability in Speech Processes. Hillsdale, NJ, Erbaum.
CONTI-RAMSEN, G. JONES, M. (1997). Verb use in specific language impairment. Journal of Speech
and Hearing Research, 40. 1298-1313.
DE BOYSSON BARDIES, B. (1999). Comment la parole vient aux enfants. Pa ris : Odile Jacob.
DOLLAGHAM, C. (1998). Spoken word recognition in children with and without specific language
impairment. Applied Psycholinguistics, 19. 193 – 207.
ELMAN, J.L., ZIPSER, D. (1988). Learning the Hidden Structure of Speech. Journal of the Acoustical
Society of America, 8 (4). 1615-1626.
JONISSE, M.F., DEIDENBERG, M.S. (1999). Impairments in verb morphology following brain injur ; a
connectionist model. P roceedings of The National Academy Of Sciences Of The United States Of
America, 96. 7592-7597.
JUSCZIK, P.W. (1997). The discovery of spoken language. Cambridge : MIT Press.
JUSCZIK, P.W. (1998). Dividing and conquering linguistic input. Chicago Linguistic Society, 34 : The
Panels. 293-310.
KLATT, D.H. (1979). Speech perception : a model of acoustic-phonetic analysis and lexical access. Journal of Phonetics, 7. 279-312.
LIBERMAN A.L., COOPER, F.S., SHANKWEILER, D.P., STUDDERT-KENNEDY, M. (1967). Perception of the speech code. Psychological review, 74. 431-461.
LIBERMAN, A.L. (1996). Speech : a special code. Cambridge : MIT Press.
LIBERMAN, A.L., MATINGLY, I.G. (1985). The motor theory of speech production revisited. Cognition, 21. 1-36.
MAILLART, C., VAN REYBROECK, M., ALLEGRIA, J. (2006). Représentations phonologiques et
troubles du développement linguistique : théorie et évaluation.
MAILLART, C., SCHELSTRAETE, M.A., HUPET ; M. (2004). Phonological representation in children
with SLI : A study of French. Journal of Speech, Language and Hearing Research. 187-198.
MELHER, J., DOMMERGUES, U., FRAUENFELDER, U., SEGUI, J. (1981). The syllabe’s role in
speech segmentation. Journal of Verbal Learning and Verbal Behaviour, 20. 298-305.
NAKISAA, R.C., PLUNKETT, K. (1998). Evolution of a rapid learned representation for speech. Language and Cognitive Processes, 13 (2/3). 105-127.
PLAUT, D.C., KELLO, C.T. (1999). The emergence of phonology from the interplay of speech comprehension and production : a distributed approach. In B. MACWHINEY (Ed), The emergence of
language (pp. 381-417). Londo : Lauwrence Erlbaum.
REY, V., PROST, V., SABATER, C. (2004), Maniement des logatomes à l’oral : perspectives développementales. Glossa, 88. 4-18.
REY, V., SABATER, C., DE CORMIS, C. (2001). Un déficit de la conscience morphologique comme prédicteur de la dysorthographie chez l’enfant présentant une dyslexie phonologique. Glossa, 78, 4-21.
RONDAL J.A., SÉRON, X. (1999). Troubles du langage. Bases théoriques, diagnostic et rééducation.
Bruxelles : Mardaga.
TALLAL, P. (1976). Rapid auditory processing in normal and disordered language development. Journal
of Speech and Hearing Research, 19. 561-571.
texte 229
19/03/07
15:17
Page 127
Représentations phonologiques et dysphasie
Christelle Maillart
Résumé
Cet article souligne l’importance de l’étude de la qualité des représentations phonologiques
en pathologie développementale du langage. Il s’intéresse particulièrement à l’hypothèse
d’une sous-spécification des représentations phonologiques qui est de plus en plus souvent
évoquée pour rendre compte de certaines difficultés langagières chez les enfants dysphasiques.
Mots clés : phonologie, représentations phonologiques, troubles sévères du développement
du langage, dysphasie.
Phonological representations and dysphasia
Abstract
This paper underlines the importance of the study of phonological representations in language disorders. It specifically deals with the hypothesis of poorly specified phonological
representations which is increasingly used to account for linguistic difficulties in children
with specific language impairment.
Key Words : phonology, phonological representations, specific language impairment, language disorders, dysphasia.
Rééducation Orthophonique - N° 229 - mars 2007
127
texte 229
19/03/07
15:17
Page 128
Christelle MAILLART
Université de Liège, Belgique.
ULg - Département des Sciences Cognitives
Troubles développementaux du langage
Bât. B33, Logopédie
Bd du Rectorat, 3,
B- 4000 Liège (Sart-Tilman)
Courriel : [email protected]
E
n présence de troubles de développement du langage, il est indispensable
de procéder à une évaluation précise des difficultés linguistiques de l’enfant. Pour évaluer le langage oral, le bilan orthophonique proposé doit
cibler différents niveaux : articulatoire, phonologique, lexical, morphosyntaxique et, idéalement, discursif et pragmatique. Dans cet article, nous nous
intéresserons plus particulièrement au niveau phonologique en ciblant particulièrement la question des représentations phonologiques.
Des études récentes en pathologie développementale du langage pointent,
en effet, certaines faiblesses à ce niveau. Ces recherches concernent les enfants
qui présentent des difficultés sévères et persistantes du langage oral en l’absence
de cause apparente (par la suite, enfants dysphasiques). Elles ont, par exemple,
montré que les enfants dysphasiques étaient moins efficaces et plus lents que les
enfants de même niveau linguistique pour reconnaître des mots présentés auditivement et accéder à leur sens. Pour rendre compte de ces différences, les auteurs
ont suggéré que les représentations phonologiques des enfants dysphasiques
pourraient être de moins bonne qualité que celles des enfants contrôles (Criddle
& Durkin, 2001 ; Dollaghan, 1998 ; Edwards & Lahey, 1998 ; Christelle
Maillart, Schelstraete, & Hupet, 2004).
Après avoir défini les représentations phonologiques et leur importance
dans le développement du langage, nous nous attacherons à la façon dont elles
se développent chez l’enfant tout-venant. Ensuite, nous verrons comment la
qualité de ces représentations peut être évaluée et les résultats de ces évaluations
en pathologie développementale.
♦ L e s rep r é s e n t ations phonologiques
Au niveau phonologique, on peut distinguer trois niveaux d’analyse :
1) le versant perceptif qui correspond au traitement du signal de parole
jusqu’à l’élaboration d’une forme phonologique susceptible d’activer la ou les
représentations sémantiques correspondantes ;
128
texte 229
19/03/07
15:17
Page 129
2) les représentations phonologiques abstraites stockées en mémoire à
long terme ;
3) le versant productif qui correspond aux différentes étapes permettant à
une représentation phonologique d’être sélectionnée puis produite oralement.
Deux de ces niveaux sont consacrés au traitement, le dernier est un niveau de
stockage.
Le terme « r ep r é s e n t a tions phonolo giques » fait ainsi référence au
stockage d’informations phonologiques d’un mot en mémoire à long terme. Les
représentations phonologiques sont abstraites. Elles sont communes à la perception et à la production de la parole mais aussi aux mots entendus et lus. En
outre, elles sont insensibles aux variations du signal liées au locuteur et/ou aux
circonstances d’énonciation. L’élaboration d’une représentation phonologique
se fait à partir de l’analyse perceptive réalisée lorsque l’on entend un mot, ce qui
comprend des traitements acoustiques mais aussi visuels puisque les informations fournies par la lecture labiale font partie intégrante, elles aussi, du traitement phonologique. Résumer les représentations phonologiques à la seule
« forme sonore » d’une entrée lexicale ne permet donc pas de tenir compte de
ces informations phonologiques mais aussi visuelles.
Pour que la production et la compréhension de la parole soient efficaces,
ces représentations doivent être aussi bien spécifiées et accessibles que possible.
En effet, la compréhension d'un mot entendu de même que sa production volontaire sollicitent la représentation phonologique qui est connectée aux connaissances sémantiques correspondantes. L'activation de cette représentation phonologique peut être passive (on ne peut pas éviter de comprendre un mot que l'on
entend) ou active (évocation volontaire d'un mot). Dans ce dernier cas, elle peut
être explicite (le mot est effectivement prononcé) ou implicite (parole interne).
L'activation volontaire de la phonologie peut être plus ou moins laborieuse
comme le montre l’expérience désagréable de ne pas parvenir à trouver un mot.
Les représentations phonologiques lexicales activées passivement ou activement
jouent un rôle important dans de très nombreuses activités cognitives et linguistiques notamment par l’intermédiaire de leur implication dans la mémoire de
travail.
♦ Rôles des rep r é s e n t ations phonolo giques
La qualité des représentations phonologiques joue un rôle important dans
l’apprentissage ultérieur du langage écrit. Snowling, van Wagtendonk et Stafford (1988) ont montré que les enfants dyslexiques obtenaient des performances
similaires à celles des enfants sans difficulté de lecture quand ils devaient sélectionner une image parmi d’autres en fonction d’un nom d’objet présenté auditi-
129
texte 229
19/03/07
15:17
Page 130
vement mais qu’ils étaient significativement moins efficaces lorsqu’ils devaient
prononcer le nom de cet objet. Les auteurs pensent que cette différence s’explique par une faiblesse au niveau du stockage et de l’accessibilité des représentations phonologiques. D’autres études (Elbro, Borstrom, & Petersen, 1998 ;
Foy & Mann, 2001) se sont penchées sur le lien entre la qualité des représentations phonologiques et la capacité à réaliser des tâches métaphonologiques dont
on connaît le caractère prédictif pour l’apprentissage du langage écrit. Les
enfants ayant des représentations phonologiques moins distinctes éprouvent
davantage de difficultés à réaliser des tâches qui requièrent des capacités de
manipulation ou de réflexion sur les composantes segmentales de la parole
(Elbro et al., 1998).
Des représentations phonologiques précises facilitent également le développement du langage oral. Ainsi, certains auteurs n’hésitent pas à attribuer les
troubles morphosyntaxiques des enfants dysphasiques à une sous-spécification
de leurs représentations phonologiques (Joanisse, 2000). Pour appuyer cette
hypothèse, Joanisse et Seidenberg (1998) soulignent que les modélisations
connexionnistes ayant simulé, en langue anglaise, un déficit des représentations
phonologiques entraînaient des erreurs morphologiques proches de celles qui
sont observées chez les enfants dysphasiques et que le déficit morphologique
des enfants dysphasiques est comparable à celui de patients présentant une
aphasie de Broca. Or, chez ces derniers, les difficultés morphologiques sont
clairement liées à la qualité de leurs représentations phonologiques.
Un lien entre représentations phonologiques et vocabulaire existe également puisque les représentations phonologiques se préciseraient sous la pression
de l’augmentation du stock réceptif (cf. section suivante). Il est fort probable
que ce lien ne soit pas unidirectionnel : le fait de disposer de représentations
phonologiques précises pourrait, par l’intermédiaire de bonnes capacités en
mémoire phonologique, faciliter l’acquisition ultérieure du vocabulaire. De
nombreuses études ont ainsi souligné le lien entre la connaissance du vocabulaire et la mémoire phonologique chez des enfants normaux (Gathercole, Willis,
Emslie, & Baddeley, 1992) ou des adolescents (Gathercole, Service, Hicht,
Adams, & Martin, 1999).
♦ Le développement des rep r é s e n t a tions phonolo giques
Les principaux modèles développementaux consacrés à l’élaboration
phonologique (ex. WRAPSA Word recognition and Phonetic Structure
Acquisition - Jusczyk, 1993) ont accordé un rôle primordial à la croissance
lexicale. Selon ces différents modèles, l’augmentation du stock lexical réceptif contraint l’enfant à affiner ses représentations phonologiques. En effet, en
130
texte 229
19/03/07
15:17
Page 131
apprenant de nouveaux mots, l’enfant va être confronté fréquemment à des
formes phonologiquement similaires (ex. nain, bain, pin, rein, etc.), ce qui
l’obligera à prendre en considération des distinctions phonétiques de plus en
plus fines. Ce postulat est particulièrement développé dans le modèle de
restructuration lexicale proposé par Metsala et Walley -Lexical Restructuing
Model- (J L Metsala & Walley, 1998) ou dans l’hypothèse de « segmentation » de Fowler (1991).
Fowler (1991) propose ainsi que les représentations phonologiques s’affinent au cours du temps, du début de la vie jusqu’à environ l’âge de 8 ans. Les
premières représentations élaborées dans le courant de la première année seraient
assez holistiques et seraient progressivement segmentées en unités sous lexicales
(syllabes, coda - rimes, voire même phonèmes) sous la pression de l’acquisition
lexicale. Ces hypothèses sont soutenues par certaines données expérimentales par exemple, le lien entre l’augmentation du vocabulaire et les performances réalisées dans des épreuves de conscience phonémique (J. L. Metsala, 1999) ou les
corrélations trouvées entre des tâches ciblées sur les représentations phonologiques et le niveau de vocabulaire réceptif (Sutherland & Gillon, 2005).
♦ Éva l u a tion des rep r é s e n t a tions phonolo giques
Les représentations phonologiques étant abstraites et sous-jacentes aux
différents traitements, elles sont difficiles à évaluer directement, c-à-d. sans faire
intervenir des capacités de production et de perception. L’évaluation devrait renseigner sur la précision de l’information abstraite que l’enfant s’est construite
sur base des multiples perceptions et productions de mots. Lors d’un développement normal ou pathologique, un enfant qui a des représentations phonologiques sous-spécifiées n’aura en mémoire qu’une partie de l’information phonologique du mot, ou aura des informations erronées. Par exemple, pour un mot
long (thermomètre), une information phonologique incomplète (/t/ - /è/ - /R/ /m/ - /è/ - /t/) peut être suffisante pour son identification.
Utilisa t i o n d e t â c h e s i m p l i q u a n t l a p ro d u c t i o n
La dénomination (images, chiffres ou formes) est une tâche fréquemment
utilisée. Cette épreuve demande au sujet d'activer les représentations phonologiques lexicales de manière explicite puisque une production phonologique correcte doit être obtenue à partir de représentations phonologiques sous-jacentes
bien spécifiées (Swan & Goswami, 1997). D’autres variantes aux tâches de
dénomination existent : on peut, par exemple, demander une dénomination
aussi rapide que possible ou identifier un objet d’après sa description verbale
(cf. devinettes).
131
texte 229
19/03/07
15:17
Page 132
Une autre procédure utilisée pour l’évaluation de la qualité des représentations phonologiques est l’analyse qualitative des erreurs produites lors d’une
tâche de répétition de pseudo-mots. Ainsi, Edwards et Lahey (1998) ont considéré que des erreurs pouvaient être révélatrices de la nature des difficultés.
Selon que les erreurs se concentrent principalement sur des phonèmes difficiles
à discriminer (ex. consonnes occlusives) ou à produire (ex. groupe consonantique), ils localisaient les difficultés au niveau de la perception auditive ou de la
production de la parole. Avec le même raisonnement, ils situaient les difficultés
au niveau de la précision des représentations phonologiques lorsque les erreurs
produites ne respectaient pas la structure syllabique ou phonémique des pseudomots cibles. L’utilisation d’une tâche de répétition de pseudo-mots peut néanmoins être discutable : en effet cette procédure est classiquement considérée
comme une des meilleures mesures de la mémoire phonologique. Or, si l’activité de récapitulation en mémoire fonctionne via l'activation de représentations
phonologiques, quand il s'agit de mémoriser des pseudo-mots, il faut admettre
que la récapitulation porte sur des représentations phonologiques assemblées à
ce propos et maintenues dans la mémoire tampon qui constitue l'output phonologique. Il en est probablement de même quand il s'agit de récapituler des séries
de mots bien que dans ce cas les représentations phonologiques lexicales constituent un support supplémentaire qui n'est pas disponible dans le cas de pseudomots. De la même manière, on peut supposer que les activités métaphonologiques ont lieu dans la mémoire phonologique tampon plutôt que directement
dans les représentations phonologiques lexicales puisque ces opérations peuvent
être réalisées aussi bien sur des mots que sur des pseudo-mots.
Il est donc difficile de faire la part des choses entre représentations phonologiques sous-jacentes et output phonologique. Sur le plan théorique, il nous
semble nécessaire de conserver la distinction entre représentations phonologiques lexicales qui ont un caractère abstrait et l'output phonologique proche de
la production explicite de la parole.
Utilisation de tâch e s i m p l i q u a n t l a p e rce p t i o n
Une autre possibilité est d’utiliser des tâches qui impliquent, elles, la perception. Parmi les possibilités, on retrouve le paradigme de décision lexicale
orale : un stimulus est présenté oralement et l’enfant doit juger s’il s’agit d’un
mot ou non. Outre l’aspect perceptif (discrimination phonémique), cette tâche
évalue l’accès aux représentations phonologiques car l’enfant doit s’y référencer
pour pouvoir répondre. La modalité de réponse est binaire (oui – non) et peut
être non verbale (pousser sur les boutons correspondants). La tâche comporte
deux séries d’items appariés au niveau des caractéristiques phonémiques (longueur, structure): les mots et les pseudo mots construits habituellement à partir
132
texte 229
19/03/07
15:17
Page 133
de mots dont un ou plusieurs phonèmes ont été modifiés (ex : crotodile). Le
type de modification peut être manipulé afin d’observer la sensibilité de l’enfant
à différents paramètres tels que la position dans le mot (ex : zardinier, pyzama,
coquillaze), la distance phonétique de la substitution (évaluée en nombre de
traits distinctifs), la nature de la substitution par rapport à la cible (assourdissement, antériorisation, etc). Pour s'assurer que l’évaluation porte sur la qualité
des représentations phonologiques lexicales, il serait nécessaire de réaliser
parallèlement à la tâche de décision lexicale une tâche de perception de paires
minimales.
L’épreuve de jugement phonologique, parfois également appelée dans la
littérature « détection de mauvaise prononciation », est une variante de ce type
de procédure. Cette fois, le sujet voit une image et entend une forme auditive
associée. Il doit alors décider si la forme phonologique entendue correspond
bien à la représentation phonologique qu’il a activé pour ce mot cible (ex :
devant l’image d’un toboggan, l’enfant entend « topogan » ou « toboggan »).
A nouveau, c’est le type de modifications apportées au matériel cible qui permet
de mieux évaluer la qualité des représentations phonologiques sous-jacentes.
Enfin, il est important de vérifier préalablement la connaissance du vocabulaire
utilisé.
♦ L e s rep r é s e n t ations phonologiques des enf a n t s d ysphasiques
L’hypothèse d’une sous-spécification des représentations phonologiques
est fréquemment invoquée pour rendre compte des difficultés linguistiques des
enfants dysphasiques (répétition de pseudo-mots, troubles en morphologie verbale, etc.). Pourtant, peu de recherches se sont directement intéressées à la qualité des représentations phonologiques de ces enfants. Le plus souvent, c’est au
niveau de l’interprétation des données que cette hypothèse apparaît. On rappellera ainsi l’étude d’Edwards et Lahey (1998) qui s’intéressait initialement à
l’origine des difficultés de répétition de pseudo-mots observées chez les enfants
dysphasiques. A cette fin, ils ont proposé à 54 enfants dysphasiques une tâche
de répétition de pseudo-mots, puis ont effectué une analyse qualitative précise
des erreurs récoltées. Comme leurs enfants dysphasiques faisaient autant d’erreurs impliquant des phonèmes difficiles à discriminer (ex. syllabes non accentuées) ou à produire (ex. groupes consonantiques) que les enfants contrôles de
même âge chronologique, ils en déduisirent que les difficultés des enfants dysphasiques ne pouvaient être imputables à des difficultés spécifiques de discrimination ou de production articulatoire. En revanche, les enfants dysphasiques se
distinguaient significativement de leurs contrôles par un grand nombre d’erreurs
pour lesquelles les structures syllabiques ou phonémiques n’étaient pas mainte-
133
texte 229
19/03/07
15:17
Page 134
nues (substitution ou suppression de syllabe/phonème). Une des hypothèses proposées pour rendre compte de cette observation a été de postuler une sous-spécification des représentations phonologiques chez les enfants dysphasiques.
Dollaghan (1998) aboutit à des conclusions assez similaires à l’aide d’un
autre paradigme. Elle utilisa une tâche d’identification perceptive consistant à
présenter des mots par fragments de plus en plus longs (tâche de gating). Par
exemple, on présente dans un premier essai les 30 millisecondes initiales du
mot, puis dans un second essai les 60 millisecondes initiales du mot et ainsi de
suite jusqu’à ce que le sujet reconnaisse le mot cible. Cette procédure permet
ainsi de mesurer la quantité d’information sensorielle nécessaire pour reconnaître un mot. Lorsque le mot cible était peu familier, les enfants dysphasiques
requéraient davantage d’information acoustico-phonétique que les enfants
contrôles pour le reconnaître. En revanche, les deux groupes ne différaient pas
significativement pour les mots familiers. Ces observations ont amené Dollaghan à proposer que le processus de reconnaissance lexicale serait plus vulnérable chez l’enfant dysphasique quand la demande de traitement imposée par la
tâche augmente. Selon l’auteur, cette plus grande sensibilité pourrait refléter le
fait que les enfants dysphasiques représentent moins efficacement l’information
phonologique en mémoire. Par ailleurs, l’information portée par le phonème initial paraissait moins bien traitée chez les enfants dysphasiques que leurs
contrôles, ce qui suggère que le déficit des représentations phonologiques s’accompagne d’un déficit subtil de perception de la parole. Criddle et Durkin
(2001) confirment les observations de Dollaghan en montrant que de jeunes
enfants dysphasiques détectent plus difficilement des variations phonémiques
portées sur un morphème en cours d’apprentissage que les enfants contrôles, et
ce, particulièrement quand les modifications se situent en position initiale. A
nouveau, l’hypothèse d’une sous-spécification des représentations phonologiques est invoquée. Dans une autre étude réalisée par Crosbie, Howard et Dodd
(2004), une tâche de décision lexicale a été proposée à des enfants dysphasiques
ou contrôles appariés sur le niveau linguistique. Les résultats montrent que les
deux groupes ne se différencient pas par les temps de réaction pour réaliser ces
tâches mais bien par leurs performances : les enfants dysphasiques étaient
moins efficaces que les deux autres groupes. Selon les auteurs, ces résultats
montrent que ces enfants disposent de capacités préservées pour le traitement de
la parole mais que ces aptitudes sont utilisées sur des représentations sousjacentes peu précises.
L’hypothèse d’une sous-spécification des représentations phonologiques
chez les enfants dysphasiques est confortée par de nombreuses études. Toutefois, cette hypothèse doit être davantage précisée afin d’identifier plus claire-
134
texte 229
19/03/07
15:17
Page 135
ment la nature des difficultés observées. En particulier, il parait important de
s’interroger sur le rôle de différents facteurs contribuant à la qualité des représentations phonologiques. Il serait intéressant par exemple de vérifier si les
informations suivantes sont correctement représentées : structure syllabique,
nombre de syllabes, nombre de phonèmes, ordre des phonèmes au sein du mot
ainsi que la précision de ces phonèmes en termes de traits distinctifs ou articulatoires.
Une façon de répondre à ces questions consiste à voir jusqu’à quel point
des transformations de l’input auditif gêneraient les enfants dans des tâches de
reconnaissance de mots. Des auteurs (Christelle Maillart et al., 2004) ont comparé les performances d’enfants dysphasiques francophones dans une tâche de
décision lexicale à celles d’enfants contrôles appariés par niveau de vocabulaire
réceptif. Dans cette étude, les enfants dysphasiques détectaient aussi efficacement que les enfants contrôles les modifications apportées à des mots familiers
lorsque ces changements altéraient le nombre de syllabes du mot cible (ex :
« toboggan » devient « boggan »). En revanche, les enfants dysphasiques
obtenaient des performances significativement inférieures à celles des contrôles
quand il s’agissait de détecter des modifications phonémiques en début ou en fin
de mot (ex : « troboggan » ou « ciga rettre »). Ce travail montre que des
modifications phonologiques massives (nombre de syllabes) sont détectées mais
d’autres plus subtiles (modifications phonémiques au sein d’une syllabe) peuvent passer inaperçues. En d’autres termes, les enfants dysphasiques disposeraient de représentations phonologiques qui respectent le nombre de syllabes
mais pas toujours le nombre de phonèmes. Au niveau structurel, les représentations semblent précises, à un phonème près.
Une seconde étude (C Maillart, Schelstraete, & Hupet, in revision) complète la précédente en examinant cette fois la façon dont les enfants réagissent
à des substitutions de phonèmes par un phonème phonétiquement distant
(éloigné de plusieurs traits articulatoires ; ex : « toboggan » devient « tologgan ») ou proche (distant d’un seul trait articulatoire : ex. assourdissement
d’un phonème voisé, ex. « toboggan » devient « topoggan » etc.). A nouveau, les résultats sont clairs : les enfants dysphasiques sont aussi bons que
les enfants contrôles pour détecter les substitutions entre deux phonèmes éloignés mais sont moins bons que les autres enfants quand il s’agit de détecter
les substitutions entre deux phonèmes proches. Ce pattern confirme et affine
l’hypothèse d’une sous-spécification des représentations phonologiques chez
les enfants dysphasiques. On peut ainsi proposer qu’au sein des représentations phonologiques les phonèmes sont correctement représentés, à un trait
articulatoire près.
135
texte 229
19/03/07
15:17
Page 136
♦ C o n c lusion
L’étude de la qualité et la précision des représentations phonologiques
semble être une piste intéressante à suivre pour mieux comprendre les troubles
langagiers des enfants dysphasiques. En effet, dans cette population, de nombreuses études apportent des arguments en faveur d’une sous-spécification de
leurs représentations phonologiques. La nature de cette sous-spécification doit
encore être quantifiée et précisée : certaines informations paraissent être encodées correctement, d’autres plus difficilement. Notons que ce résultat ne signifie
pas que l’origine de la sous-spécification se situe systématiquement au niveau
du stockage ou de la récupération des représentations phonologiques en
mémoire. En effet, un déficit perceptif peut également entraîner de telles observations. Pour faire la part des choses entre ces deux interprétations, il sera
important de tester l’intégrité des capacités de discrimination. Pour conclure, on
peut affirmer que l’étude des représentations phonologiques en pathologie développementale devrait contribuer à l’évaluation voire même à la rééducation des
troubles langagiers en améliorant notre compréhension de la nature des difficultés langagières observables.
REFERENCES
CRIDDLE, M. J., DURKIN, K. (2001). Phonological representation of novel morphemes in children with
SLI and typically developing children. Applied Psycholinguistics, 22, 363-382.
CROSBIE, S. L., HOWARD, D., DODD, B. J. (2004). Auditory lexical decisions in children with specific
language impairment. British Journal of Developmental Psychology, 22, 103-121.
DOLLAGHAN, C. (1998). Spoken word recognition in children with and without specific language
impairment. Applied Psycholinguistics, 19, 193-207.
EDWARDS, J., LAHEY, M. (1998). Non word repetitions of children with specific language impairment :
Exploration of some explanations for their inaccuracies. Applied Psycholinguistics, 19, 279-309.
ELBRO, C., BORSTROM, I., PETERSEN, D. K. (1998). Predicting dyslexia from kindergarten : the
importance of distinctness of phonological representations of lexical items. Reading Research
Quartely, 33, 36-60.
136
texte 229
19/03/07
15:17
Page 137
FOWLER, A. E. (1991). How early phonological development might set the stage for phoneme awareness. In S. A. BRADY , D. P. SHANKWEILER (Eds.), Phonological Processes in Literacy : a tribute to Isabelle Y. Liberman. (pp. 97-117). Hillsdale : NJ : Lawrence Erlbaum.
FOY, J. G., MANN, V. (2001). Does strength of phonological representations predict phonological awareness in preschool children ? Applied Psycholinguistics, 22, 301-325.
GATHERCOLE, S., SERVICE, E., HICHT, G., ADAMS, A. M., MARTIN, A. J. (1999). Phonological
short term memory and vocabulary development : further evidence on the nature of the relationship. Applied Cognitive Psychology, 13, 65-77.
GATHERCOLE, S., WILLIS, C., EMSLIE, H., BADDELEY, A. (1992). Phonological memory and vocabulary development during the early school years : A longitudinal study. Developmental
Psychology, 28, 887-898.
JUSCZYK, P. (1993). From general to language-specific capacities : The WRAPSA model of how speech
perception develops. Journal of Phonetics, 21, 2-28.
MAILLART, C., SCHELSTRAETE, M.-A., HUPET, M. (2004). Phonological representations in children
with SLI : A study of French. Journal of Speech, Language and Hearing Research, 47, 187-198.
MAILLART, C., SCHELSTRAETE, M. A., HUPET, M. (in revision). Phonological representations in
children with SLI : A step further in the study of their underspecification.
METSALA, J. L. (1999). The development of phonemic awareness in reading-disabled children. Applied
Psycholinguistics, 20 (1), 149-158.
METSALA, J. L., & WALLEY, A. C. (1998). Spoken vocabulary growth and the segmental restructuring
of lexical representations : precursors to phonemic awareness and early reading ability. In J. L.
METSALA, L. C. EHRI (Eds.), Word recognition in beginning literacy (pp. 89-120). Mahwah :
Lawrence Erlbaum Associates Publishers.
SNOWLING, M., VAN WAGTENDONK, B., STAFFORD, C. (1988). Object-naming deficits in developmental dyslexia. Journal of Speech and Hearing Disorders, 47, 256-270.
SUTHERLAND, D., & GILLON, G. T. (2005). Assessment of phonological representations in children
with speech impairment. Language speech and Hearing Services in schools., 36 (4), 294-307.
SWAN, D., GOSWAMI, U. (1997). Phonological awareness deficits in developmental dyslexia and the
phonological representations hypothesis. Journal of Experimental Child Psychology, 66, 18-41.
137
texte 229
19/03/07
15:17
Page 138
texte 229
19/03/07
15:17
Page 139
Troubles prosodiques chez les personnes
atteintes d’autisme
Nathalie Courtois
Résumé
Les troubles du langage et de la communication sont caractéristiques du syndrome autistique. Les personnes atteintes d’autisme présentent notamment des difficultés dans les
aspects suprasegmentaux de la parole, appelés aussi prosodie. Ces faits de langage accompagnent les mots et les phrases et créent ce que l’on appelle communément l’enveloppe
musicale de la parole. La prosodie joue un rôle important dans une série de fonctions communicative, affective, pragmatique et syntaxique. Dans cet article, sont présentés quelques
résultats issus d’une revue de la littérature sur les habiletés prosodiques des personnes
avec autisme. Les données linguistiques sont confrontées aux observations cliniques. Un
cas clinique d’un enfant atteint du syndrome d’Asperger montre comment les habiletés prosodiques et pragmatiques peuvent être décrites, évaluées et traitées. Pour ces locuteurs, au
préalable, une évaluation précise des capacités langagières et communicatives est nécessaire à l’élaboration des projets de soins.
Mots clés : autisme, prosodie, syndrome d’Asperger, langage, communication, bilan, rééducation
Disorders of prosody among persons with autism
Abstract
Language and communication disorders are characteristic of autism. Persons with autism
show difficulties in suprasegmental aspects of speech production, or prosody, those aspects
of speech that accompany words and sentences and create what is commonly called “tone
of voice”. Prosody plays an important role in a range of communicative functions, affective,
pragmatic, and syntactic. In this paper, some of the findings from a review of the literature
on prosodic skills in individuals with autism are presented. Data from linguistics literature
are compared with clinical observation. A case study of a child with Asperger Syndrome
shows how his prosodic and pragmatic skills can be described, evaluated and treated. For
these speakers, as a preliminary step, precise evaluation of language and communication
abilities is necessary for the development of therapy programs.
Key Words : autism, prosody, Asperger Syndrome, language, communication, evaluation,
treatment
Rééducation Orthophonique - N° 229 - mars 2007
139
texte 229
19/03/07
15:17
Page 140
Nathalie COURTOIS
Orthophoniste
CAMSP et Centre Ressources Autisme
Service Universitaire de Pédopsychiatrie
CHRU Bretonneau
2 boulevard Tonnelé
37044 Tours Cedex 9
Courriel : [email protected]
D
epuis la description princeps de Kanner (1943, 1946), l’autisme infantile est défini comme une maladie neuro-développementale, toujours
diagnostiquée sur la base de troubles comportementaux. Les troubles du
langage et de la communication et notamment les particularités prosodiques font
partie du trépied diagnostique1. Même si dans les cas cliniques proposés par
Kanner, la pathologie prosodique est peu décrite, certainement en raison du plus
jeune âge de ces patients, Asperger2, lui, nous en a fourni, dès 1944, des descriptions détaillées.
Les troubles prosodiques constituent encore à l’heure actuelle un des
symptômes langagiers des personnes avec autisme qui retient l’attention des
chercheurs comme des cliniciens. Ils participent grandement à l’impression de
bizarreries communicatives, même chez des personnes avec autisme dit de haut
1. Dans les classifications de la nosographie internationale ou française des troubles du développement.
CIM10 et DSMIV : critères diagnostiques de l’autisme infantile : -troubles des interactions sociales -troubles
du langage et de la communication, -comportements ritualisés et compulsifs (la triade), et apparition des
troubles avant l’âge de 3 ans.
CFTMEA : critères diagnostiques de l’autisme infantile : -début dans le cours de la première année avec organisation d’un tableau complet avant l’âge de 3 ans. -présence de l’ensemble des troubles caractéristiques :
retrait autistique majeur, recherche de l’immuabilité, stéréotypies, absence de langage ou troubles spécifiques
du langage, dysharmonie du développement cognitif.
2. Une année seulement après Kanner, en 1944, Hans Asperger, psychiatre autrichien décrit 4 cas de garçons
présentant en commun des troubles du contact et des particularités de comportement, désignés maintenant
comme le Syndrome d’Asperger.
Selon la classification américaine (DSM-IV), il existe 5 catégories de troubles envahissants du
S y n d rome
développement : -Trouble autistique, -Syndrome de Rett, -Trouble désintégratif de l’enfance, -S
d ’ A s p e rge r, -Trouble envahissant du développement non spécifié.
Les caractéristiques essentielles du Syndrome d’Asperger sont une altération sévère et prolongée de l’interaction sociale et le développement de modes de comportements, d’activités et d’intérêts restreints, répétitifs et
stéréotypés. La perturbation doit entraîner une altération cliniquement significative dans le fonctionnement
social, professionnel, ou d’autres domaines importants. A la différence du trouble autistique, il n’existe pas de
retard significatif du langage. De plus, au cours de l’enfance, il n’y a pas eu de retard significatif sur le plan
clinique dans le développement cognitif, ni dans le développement, en fonction de l’âge, des capacités d’autonomie, du comportement adaptatif (sauf dans le domaine de l’interaction sociale) et de la curiosité pour l’environnement.
140
texte 229
19/03/07
15:17
Page 141
niveau ou Asperger (qui présentent des habiletés langagières formelles quasiment préservées), contrastant nettement avec leurs troubles langagiers pragmatiques. On peut même se demander si les singularités prosodiques de ces personnes ne sont pas un des obstacles majeurs à leur intégration sociale.
♦ C a d r e d e r é f é r ence
La prosodie est définie couramment comme l’enveloppe musicale de la
parole. En effet, on désigne ce terme par l’ensemble des faits qui échappent à
l’articulation segmentale : l’intonation, l’accentuation, le rythme, le débit, les
pauses (Arrivé et coll., 1986). La prosodie est la branche de la phonologie qui
décrit l’évolution temporelle de 3 paramètres, -l’intensité des sons (mesurée en
décibel), -la fréquence fondamentale des sons voisés (notés F0 et mesurée en
hertz), encore appelée mélodie de la voix, qui donne la sensation de hauteur de
la voix (grave ou aiguë) -la durée des sons et des silences (mesurée en millisecondes). Il s’agit de variations des valeurs de ces différents indices au cours du
temps et non de leurs valeurs absolues, qui vont permettre à l’auditeur d’effectuer des jugements comparatifs entre 2 segments au moins («« c’est plus
r a pide », « c’est plus fort », « c’est plus aigu », …). Les variations de ces
3 paramètres constituent des indices dits « suprasegmentaux » qui définissent
l’accentuation, l’intonation et le rythme. La prosodie consiste ainsi en la modulation de paramètres suprasegmentaux de la parole afin de transmettre une intention de communication linguistique ou émotionnelle (Joannette, 2004).
L’ a c c e n t u ation est un phénomène provenant de l’augmentation de la durée
syllabique, de l’intensité sonore et de la hauteur mélodique sur certaines syllabes de l’énoncé. En langue française, on distingue 2 types d’accentuation.
• L’accent tonique ou démarcatif consiste en l’allongement de la dernière
syllabe non-muette d’un mot ou d’un groupe de mots. Il sert d’indice au
découpage de la phrase en rhèses.
• L’accent de contraste ou d’emphase a pour fonction de souligner le
contraste du mot accentué avec les autres mais aussi de marquer son
importance dans la hiérarchie énonciative.
L’ i n t o n ation est souvent assimilée à la prosodie. Elle caractérise les variations
de hauteur de la voix à l’intérieur d’un groupe rythmique : on l’appelle aussi
couramment la mélodie. Elle correspond à la combinaison de 2 paramètres physiques : la fréquence et le temps. Les variations d’intensité et de timbre sont
parfois également prises en compte. Elle relève d’un niveau linguistique supérieur, parallèle à la syntaxe et à la pragmatique, dont elle reçoit l’information
141
texte 229
19/03/07
15:17
Page 142
pour se constituer (Rossi, 1999). Même s’il existe une réelle intrication entre
intonation et syntaxe, il peut y avoir opposition entre le thème du message (tel
qu’il est manifesté dans l’ordonnancement grammatical) et le contenu induit par
la prosodie. La fonction de l’intonation est, selon les cas, syntaxique (forme de
la courbe, différence de niveaux / types de phrases), démarcative (liée à l’accent, direction de la courbe) ou expressive.
L e ry t h m e représente la vitesse à laquelle parle le sujet : il correspond à la
répartition des accents, des accélérations ou ralentissements, et des pauses dans
la chaîne parlée.
Les faits de prosodie sont généralement classés à travers les fonctions
qu’ils remplissent dans la langue.
♦ F o n c t i o n s d e l a p r osodie
Dans une perspective de recherche clinique, on définit généralement la
prosodie en ces 3 sous-domaines :
L a p rosodie g r a m m aticale ou linguistique concerne l’accentuation lexicale (toujours sur la dernière syllabe d’un mot en français), et l’intonation qui
permet l’expression des modalités de phrases ou du type de phrases. Par
exemple, elle permet de distinguer une phrase assertive avec intonation descendante, d’une phrase interrogative avec intonation montante.
L a p rosodie pr a g m atique véhicule l’information sociale au-delà de l’aspect
syntaxique ainsi que les intentions des locuteurs (Paul et coll., 2005a). Il s’agit
de l’accentuation emphatique ou contrastive. On accentue le mot que l’on considère comme nouveau, non familier ou inattendu avec une volonté d’attirer l’attention de son interlocuteur et de mettre en lumière le commentaire.
L a p rosodie émotionnelle a trait pour sa part aux variations d’intonation qui
permettent la transmission de sentiments (joie, tristesse, …). Elle permet également d’identifier différents registres de parole en lien avec des fonctions
sociales variées. L’intonation prend des aspects très différents selon le registre :
relativement monotone au registre soutenu, elle se caractérise, au registre familier par la fréquence des changements de ton (Arrivé et coll., 1986).
Léon, (1993), lui, parle d’indices identificatoires dits linguistiques qui
peuvent donner des informations sur l’identité du locuteur (sociale, régionale,
sexe, âge) et d’indices dits sémiotiques traduisant l’état émotionnel du locuteur
et ses intentions communicatives.
142
texte 229
19/03/07
15:17
Page 143
Rappelons brièvement que les habiletés prosodiques se développent précocement chez le jeune enfant (cf. Boysson-Bardies, 1999, Fail & Fayol, 2000)
sans qu’il n’existe apparemment aucun enseignement consciemment appliqué
par l’entourage. Il est suffisant de participer de l’intérieur à un certain nombre
d’interactions sociales naturelles pour en comprendre et en posséder toutes les
subtilités. Dès le début du développement, les enfants montrent une grande sensibilité aux variations prosodiques3 de la parole. Vraisemblablement avec leur
expérience prénatale, les nouveau-nés s’appuient sur des indices prosodiques
pour reconnaître la voix de leur mère, comme les énoncés de leur langue maternelle. Et plus généralement, ils peuvent distinguer des énoncés de langues différentes pour peu qu’elles aient des structures rythmiques différentes.
♦ C a ra c t é r istiques des tro u bles prosodiques c hez les per sonnes avec
autisme
Plusieurs études montrent la présence de troubles prosodiques chez les
personnes atteintes d’autisme tant au niveau réceptif qu’expressif. Nous allons
présenter ici une synthèse bibliographique des principales études utiles à
connaître pour une démarche clinique d’évaluation ou de rééducation.
Dans une conversation, le ton, le rythme et le volume de la voix changent
pour souligner les mots importants ou traduire l’émotion qui s’y rattache. Les
personnes autistes présentent des difficultés à traiter et à utiliser les caractéristiques prosodiques du langage. Elles peinent à saisir les changements de ton,
d’inflexion ou d’accentuation de la voix mis par leur interlocuteur sur certains
mots. Or, ces indices sont importants pour appréhender les différentes significations d’une même phrase (Matthews, 1990).
Plusieurs études ont tenté de décrire leurs patterns d’intonation et la qualité de leur voix, manifestement atypiques, notamment avec des troubles de :
3. Pour rappel :
En réception :
A 6 mois : distinction entre mots de la langue maternelle et mots des langues étrangères
Vers 7-8 mois : Les enfants extraient les patterns d’accentuation les plus typiques des mots de la
langue et s’en servent pour la segmentation de la parole. Ils sont sensibles ensuite aux marques
prosodiques qui signalent les frontières de propositions.
En production :
Dès 8-10 mois, des caractéristiques prosodiques telles que l’allongement des syllabes finales et le
rythme syllabique apparaissent en même temps que des intonations spécifiques à la langue.
Vers 10-12 mois, utilisation de l’intonation de façon grammaticale dans un but de communication.
Son développement se poursuit après 4 ans avec la mise en place des diverses modalités
discursives.
143
texte 229
19/03/07
15:17
Page 144
• L a h a u t e u r d e l a voix : variations subites d’une voix grave à une voix
aiguë / tonalités atypiques et niveaux de fréquences fondamentales élevées
(Pronovost, 1966) ;
• L’intensité : un chuchotement se transforme en cri (excès ou défaut du
volume de la voix) ;
• La voix : comme enrouée ou hypernasale (Schriber et coll., 2001) ;
• L e ry t h m e d u d é b i t : trop rapide ou trop lent ;
• L’ i n t o n ation : une élocution terne, monotone (aplanissement de la courbe
prosodique) pourrait relever de difficultés dans l’expression des émotions
(Lord et Rutter, 1994) ou être discordante avec la situation d’interlocution.
D’autres ont une façon de parler plus chantante et plus mélodieuse (Fay &
Schuler, 1980) mais dépourvue d’émotion et d’intention communicative.
Certains auteurs ont observé des variations fréquentielles moins riches
que les sujets témoins. Ils utiliseraient essentiellement des courbes intonatives
descendantes caractérisant des affirmations (Fosnot & June, 1999).
Lemay (2004,) parle d’intonation particulière située entre le récitatif et
l’informatif. Asperger décrit des fins de phrases comme une psalmodie.
• L’ a c c e n t u a tion peut être absente, exagérée, inappropriée. C’est à dire, placée sur des mots non chargés sémantiquement. L’accent de contraste est
par exemple posé sur des mots grammaticaux (Baltaxe, 1984, Fine, 1991).
Attwood (2003) décrit une diction ultraprécise avec accentuation de
chaque syllabe. De plus, ils présentent rarement l’accent régional de leur
lieu d’habitation.
Nous constatons à travers ce descriptif qu’il n’existe pas de pattern prosodique unique de la personne avec autisme mais des variabilités inter et intraindividuelles. Il est vrai que les enfants autistes avec langage conservent une
grande rigidité dans l’emploi des formes prosodiques notamment dans les premières années de développement morphosyntaxique, rigidité souvent liée à leur
1ère perception de l’énoncé (cf. comportement écholalique, Courtois & Galloux,
2004). Mais, les personnes atteintes de TED 4 ne présentent pas toutes des
troubles prosodiques. On en retrouve dans à peu près la moitié des populations
étudiées, bien que quantitativement plus remarqués dans la pratique clinique,
[57 % d’une petite population d’adolescents chez Simons & Baltaxe (1975),
47 % chez Schriber et coll. (2001), 47% chez Paul et coll. (2004)]. Ces troubles
prosodiques tendent à persister même quand d’autres aspects du langage évoluent.
4. TED : troubles envahissants du développement
144
texte 229
19/03/07
15:17
Page 145
Schriberg et coll. (2001) ne retrouvent pas de différences significatives
quant aux habiletés prosodiques entre des personnes avec autisme de haut niveau
et des personnes atteintes du Syndrome d’Asperger, désormais appelé SDA.
Une étude de Paul et coll. (2005a) proposée dans une population d’adolescents et de jeunes adultes présentant des TED [52% d’autisme de haut niveau
et 37 % de SDA] et dans une population témoin, met l’accent sur les difficultés
spécifiques des personnes avec TED pour percevoir ou produire les caractéristiques accentuelles appropriées, de manière grammaticale (pouvoir différencier
2 unités par l’accentuation to recall / a recall ), et de manière pragmatique (pouvoir juger ou produire l’accentuation d’une phrase par rapport à sa place dans le
discours).
Des effets plafond n’ont pas permis de montrer que les personnes avec
autisme avaient plus de difficultés dans les tâches globales de prosodie pragmatique que dans les tâches de prosodie grammaticale.
Dans cette étude, les personnes avec autisme n’ont pas toujours de faibles
résultats : 5 tâches sur 12 montrent des performances dans les 2 groupes (TED /
témoins) proches de 100 % (perception et production de l’intonation au niveau
grammatical, perception et production de la pause au niveau pragmatique).
Mais, parfois, les personnes avec autisme adoptent des stratégies différentes des
sujets normaux. Par exemple, pour percevoir ou produire des pauses à un niveau
pragmatique et émotionnel, elles se basent uniquement sur la vitesse du débit de
parole (énervé / rapide, calme / lent).
Dans une seconde étude, Paul et coll. (2005b), n’ont pas clairement mis
en évidence que le niveau d’habiletés prosodiques était relatif aux niveaux d’habiletés sociales et communicatives : il n’y a pas de corrélations significatives
entre les scores de l’échelle de comportement adaptatif Vineland et les scores au
Prosody Voice Screening Profile de Schriber et coll. (1990). Les bonnes performances de cette population autistique en langage écrit surévalueraient les scores
de l’échelle de Vineland. Ils n’ont pas retrouvé également de liens étroits entre
quotient intellectuel verbal et niveau d’habiletés prosodiques.
Quant à l’étude de la prosodie émotionnelle, Ricks (1975), Lord et coll.
(1996) ont montré que les parents avaient plus de difficultés à percevoir le
contenu émotionnel du pré-langage de leur enfant avec autisme que les parents
d’enfants retardés ou normaux. Plusieurs études également ont établi que les
enfants avec autisme avaient plus de difficultés à apparier des patterns prosodiques à des expressions faciales ou à des termes émotionnels (Boucher et coll.
1998, Hobson et coll., 1988, 1989, Van Lancker et coll., 1989).
Selon certains auteurs, notamment Scherer (1993, 1996), il existe des
indices vocaux caractéristiques à chaque émotion de base (joie, colère, tristesse,
145
texte 229
19/03/07
15:17
Page 146
surprise, peur, dégoût) dont les paramètres essentiels sont la variation de la
structure du fondamental (élévation progressive de la fréquence) et la confrontation entre le contour final du fondamental (ascendant ou descendant) et le type
d’énoncés linguistiques. C’est ainsi que Gérard & Clément (1998) montrent que
dès 9 ans, tous les enfants reconnaissent la tristesse sur la base de patterns prosodiques alors que l’émotion de joie est moins bien reconnue.
Johnson et coll. 1986 mettent en évidence que la colère et la tristesse sont
quasi-systématiquement reconnues par des adultes. Pour Banziger (2002), les
émotions négatives sont mieux reconnues que les émotions positives dans une
population témoin.
La population avec autisme étudiée par Hobson (1987), n’a pas plus de
difficultés dans l’appariement d’une expression faciale en lien avec un texte lu
avec prosodie émotionnelle que des adolescents retardés. Mais la différence est
presque significative pour les autistes de haut niveau. Cependant, le classement
des différentes émotions reconnues est assez semblable pour les sujets autistes
et les sujets retardés mais ici les émotions négatives sont globalement moins
bien reconnues.
Pereira & Philipbert (2005) ont montré qu’une population de 14 enfants
avec autisme âgés de 6 à 12 ans (niveau de langage supérieur à 4 ans) connaît
plus de difficultés dans les tâches de discrimination émotionnelle (sauf pour la
joie) et dans les tâches d’identification émotionnelle (sauf pour la surprise) que
les enfants normaux. Elles mettent en évidence une hiérarchisation différente
- en discrimination : Autistes : Joie > Tristesse > Surprise > Colère ;
Témoins : Tristesse > Surprise > Colère > Joie ;
- en identification : Autistes : Surprise > Tristesse > Colère > Joie ;
Témoins : Tristesse > Colère > Joie > Surprise.
En conc lusion, la prosodie reste un domaine significativement altéré
chez l’enfant autiste (Tager-Flusberg, 1994). Les enfants autistes et les enfants
à retard mental pourraient modérément percevoir les signaux prosodiques
(accent et hauteur) alors qu’en expression, les enfants autistes présenteraient
spécifiquement un défaut d’utilisation (Frankel et coll. 1987). Des auteurs
pensent à un trouble précoce de l’attention induisant un défaut du traitement
prosodique, lui-même sous-jacent à la réception et à l’expression de mots
(Baltaxe & Simmons, 1985). On tente aussi d’expliquer ces troubles expressifs prosodiques par des troubles perceptifs (traitement primaire, discrimination moindre des variations prosodiques, effacement des contours prosodiques) ou par des troubles du langage oral (Frankel et coll. 1984). Enfin, on
peut aussi relier ces troubles prosodiques aux troubles pragmatiques plutôt
qu’à des troubles expressifs ou réceptifs (Frith, 1989 : Théorie de la perti-
146
texte 229
19/03/07
15:17
Page 147
nence). On peut également les mettre en lien avec un déficit d’habiletés cognitives, notamment des habiletés relatives au traitement de l’information en
général, calcul d’inférences, capacités à intégrer plusieurs sources d’information, capacité à adopter la perspective d’autrui - Théorie de l’esprit, BaronCohen (1998).
Pour illustrer ces études, nous vous proposons maintenant quelques descriptions des troubles prosodiques extraits de divers cas cliniques retrouvés dans
la littérature. Nous en excuserons les termes parfois péjoratifs d’Asperger qui
devront être replacés dans le contexte de l’époque.
Asperger (1944) :
Fritz, « Sa voix fluette et aiguë lui donne l’air de ne pas être là. On l’entend de loin mais la voix est sans mélodie et sans intonation. D’habitude, il
parle très lentement, allonge certains mots, il les module de façon plus
aiguë. Son langage est une mélopée ».
Harro, « sa voix est basse et semble sortir de la profondeur de ses
entrailles. Il parle lentement sans modulation ».
Ernst, « sa voix est haute, nasale et traînante - telle qu’on se représente
l’aristocrate dégénéré. L’impression de drôlerie, de caricature que donne
déjà cette voix est renforcée par sa manière de parler. Ce garçon parle sans
cesse, sans qu’on le sollicite, accompagne d’explications compliquées tout
ce qu’il fait ».
Helmut, « il parle avec dignité. Il parle lentement de manière aisée et
supérieure, imperturbable même devant les enfants ».
Donna Williams (1995) : « Souvent je changeais de ton ou d’accent, tantôt je parlais le langage de la rue, tantôt il était bienséant et raffiné. Le timbre de
ma voix était parfois normal, parfois grave, comme si je faisais une imitation
d’Elvis. Mais quand j’étais surexcitée, on aurait dit la voix plate et haut perchée
de Mickey passant sous un rouleau compresseur ».
♦ P ro p o s i t i o n s p o u r u n e é v a l u a t i o n e n o r t h o p h o n i e
Comme le rappelle Brisot-Dubois (2006), pour les personnes avec
autisme de haut niveau ou Asperger, il est intéressant de proposer certains éléments du bilan vocal classique. On peut également s’inspirer du Protocole
Montréal d’Evaluation de la Communication de Joanette et coll. (2004) conçu
pour les adultes cérébro-lésés droits. Nous l’avons proposée dans le service5 à
5. Centre Ressources Autisme, Tours, dirigé par M. le Dr Lenoir
147
texte 229
19/03/07
15:17
Page 148
des locuteurs autistes d’âge primaire ou à de jeunes adultes autistes. La passation ne pose pas de difficultés car elle est brève et introduite par des consignes
simples :
P ro s o d i e l i n g u i s t i q u e / c o m p r é h e n s i o n
Évalue la capacité à percevoir et à identifier des patrons d’intonation linguistique, plus précisément les intonations affirmative, interrogative, impérative.
P ro s o d i e l i n g u i s t i q u e / r é p é t i t i o n
Évalue la capacité à reproduire des patrons d’intonation linguistique, plus
précisément les intonations affirmatives, interrogatives, impératives.
P ro s o d i e é m o t i o n n e l l e / c o m p r é h e n s i o n
Évalue la capacité à percevoir et à identifier des patrons d’intonation émotionnelle (joie, tristesse, colère).
P rosodie émotionnelle / r é p é t i t i o n
Évalue la capacité à reproduire des patrons d’intonation émotionnelle (joie,
tristesse, colère)
La difficulté est qu’il n’existe pas à notre connaissance de référence normative chez l’enfant. L’analyse qualitative est intéressante et peut donner des
pistes de soins. De toute façon, on privilégiera toujours l’observation clinique
des troubles prosodiques. Même si comme nous l’avons rappelé dans la définition, il s’agit de jugements qui pourront être perçus comme subjectifs, ils permettent une qualification plus riche et plus précise des troubles que les tests à
items fermés. De plus, on s’aidera également des grilles d’analyse des comportements de communication 6 puisqu’en clinique, il serait artificiel de dissocier l’évaluation des habiletés prosodiques des habiletés pragmatiques et communicatives.
♦ P ro p o s i t i o n s p o u r u n e r é é d u c a t i o n
Pour les soins, on pourra débuter un travail de discrimination des différents paramètres sonores de la parole (hauteur, intensité, rythme, ...). Comme les
habiletés accentuelles semblent spécifiquement touchées, on proposera une
approche explicite de l’usage de l’accentuation. Il s’agit de définir la valeur
communicative de l’accentuation, notamment l’accent emphatique. Pour cela,
6. Profil d’habiletés communicatives et sociales, Wetherby & Prutting, 1984
Profil des Troubles Pragmatiques, Montfort et coll., 2005
148
texte 229
19/03/07
15:17
Page 149
on pourra parallèlement proposer des activités métalinguistiques pour aider ces
personnes à identifier les mots importants à souligner dans les phrases. Le
recours à l’écrit, quand cela est possible, peut être utile. On leur permettra d’expérimenter différentes façons de mettre l’accent sur ces mots (feed-back de l’orthophoniste, enregistrement pour un entraînement monogéré, voix parlée, dialogues lus). On travaillera en premier lieu la prosodie grammaticale en les
aidant à identifier et à produire différents types de phrases.
Dans le cadre de groupes d’habiletés sociales et communicatives 7, on
pourra aborder l’identification des émotions en supprimant peu à peu les indices
(contexte, contenu sémantique, expressions faciales) pour ne s’appuyer que sur
la prosodie. Le travail en situation d’expression (théâtre, jeux de rôle, expression musicale) y est très favorable. Pour les personnes dont la voix est particulièrement monocorde ou hypernasale, on s’inspirera des méthodes classiques de
rééducation vocale (exercices gestuo- et chronoverbaux, de modulation de
voyelles, d’accentuation et de rythme, voix chantée).
On peut penser pour les plus jeunes emprunter des techniques issues de la
méthode verbo-tonale 8 qui proposent soit des comptines avec patrons prosodiques variés du français, soit des jeux psychomoteurs facilitant l’articulation et
la prosodie grammaticale. Le graphisme phonétique peut y participer ainsi que
des logiciels de type Speech Viewer. Il est important de ne pas diriger trop étroitement son travail sur une variable prosodique mais de proposer une approche
métalinguistique définissant les fonctions prosodiques et de les intégrer au travail des habiletés sociales et communicatives.
♦ P r é s e n t a tion d’un cas c linique
Romain est âgé de 9 ans lorsque nous le rencontrons suite au déménagement de sa famille. Jusqu’à l’âge de 1 an, c’est un bébé calme et souriant. Il tête
difficilement le sein ou la tétine. Entre 1 et 2 ans, il fait de nombreuses otites qui
conduisent à l’opérer des amygdales et des végétations. Il marche à un an avec
une grande instabilité motrice par la suite. A 2 ans, il reste isolé, maladroit et
s’ajuste peu aux différentes situations sociales. Après les interventions ORL, il
développe plus facilement son langage mais commence à construire de petits
7. Cf. Socio-guide, Programme d’entraînement aux habiletés sociales adapté pour des personnes présentant un
trouble envahissant du développement, Bernier et coll., 2003
L’esprit des autres, Fiches et dessins permettant d’entraîner les habiletés pragmatiques, Monfort et coll., 2001
8. Méthode verbo-tonale proposée par Le Pr Gubérina, utilisée notamment dans la prise en charge des enfants
sourds. Philosophie d’éducation fondée sur l’analyse perceptive des paramètres de la parole qui permet de
rendre compte à ces enfants de différences pour qu’ils puissent mieux différencier les sons et ainsi les produire.
149
texte 229
19/03/07
15:17
Page 150
énoncés uniquement vers 3 ans. Entre 2 et 3 ans, il refuse d’exécuter les
consignes par de petits comportements hétéroagressifs. Il ne réalise pas de jeux
symboliques à 3 ans, mais manifeste de l’intérêt pour les puzzles. A l’école, il
reste très opposant aux consignes et aux apprentissages et s’adapte mal au
groupe. Il sait lire à 5 ans mais conserve une grande maladresse motrice. Le CP
est difficile car il a tendance à subir les moqueries de la part des autres élèves. A
cette période, il bénéficie de psychomotricité. C’est à 7 ans que le diagnostic de
syndrome d’Asperger est porté par une équipe spécialisée de pédopsychiatrie. Il
est alors préconisé un double suivi, psychothérapique et orthophonique (habiletés sociales et de la communication). Plus récemment, le suivi psychomoteur est
repris tant pour la motricité globale que fine.
Actuellement, Romain conserve des difficultés pour nouer des relations
d’amitié. Il reste maladroit pour entretenir une conversation avec les adultes,
encore plus avec ses pairs. Le contact œil à œil est variable. Il parle tout en
dodelinant de la tête et regarde en hauteur lorsqu’il prend la parole. Le contact
visuel et l’interprétation des signaux non-verbaux de communication sont
meilleurs à l’intérieur de la famille. Avec des personnes non familières, les salutations sont toujours accompagnées d’une fuite du regard. Il reconnaît difficilement les personnes quand elles sont habillées différemment, rencontrées dans
une autre situation ou sur des photos. Romain est particulièrement bavard et
monopolise le tour de parole. Il s’énerve, tape des pieds lorsque son interlocuteur s’exprime à son tour ou initie un autre thème de discussion.
Sa prosodie est variablement adaptée, parfois très « vivante » voire théâtrale, parfois monocorde et hachée. Dans ses récits d’expérience personnelle, on
note fréquemment des patrons prosodiques très amples comme s’il narrait systématiquement un conte. La moindre anecdote est transmise avec un pattern prosodique situé entre l’informatif ou le récitatif. Romain abuse de l’accent d’insistance emphatique, notamment sur les mots dont la charge sémantique est déjà
forte (mer’veilleux, for’midable...). Cependant, il peut accompagner son récit de
toute une mimogestualité qui revêt parfois un caractère maladroit et clownesque. Quand il est passionné par un sujet, son débit de parole est alors très
rapide sans qu’il puisse s’adapter aux marques d’incompréhension de son interlocuteur. On retrouve un vocabulaire technique et des tournures syntaxiques
plus livresques qu’orales et de petites expressions en surnombre qui ne sont pas
adaptées au contexte sémantique (« tu devines quoi ? »). Le contact visuel est
d’autant moins bon qu’il parle de ses sujets favoris (Bandes dessinées, inventions scientifiques ou fictives, écologie,…) et ne se préoccupe plus par des
demandes d’acquiescement de la compréhension ou de l’intérêt de son interlocuteur.
150
texte 229
19/03/07
15:17
Page 151
A la maison, il parle beaucoup de ce qu’il a lu ou vu (les événements
pouvant être très anciens) mais a des difficultés pour hiérarchiser les informations pertinentes. De plus, il peine à exprimer ses sentiments et son ressenti. Sa
maman l’aide en nommant les émotions avec une indexation d’intensité. Il comprend au premier degré les plaisanteries de son petit frère, dort avec son portemonnaie de peur qu’il lui vole son argent.
Il présente de petites difficultés dans l’utilisation de la morphosyntaxe
(accords verbaux, déterminants définis vs indéfinis, marques de temps, pronoms
compléments objets, adverbes inutiles ou inadéquats) qui peuvent passer inaperçues auprès d’interlocuteurs non spécialisés. Son niveau de compréhension est
bon relativement aux tests mais les relatives incluses, les implicites via l’ambiguïté coréférentielle du pronom, les pronoms compléments objets ne sont pas
toujours bien saisis. Les expressions idiomatiques ou métaphoriques étaient
comprises au pied de la lettre, mais désormais sont sur-représentées dans son
discours. Par contre, en examen, dans les histoires de F. Happé 8, le « faire-semblant », le mensonge et la persuasion sont identifiés et bien interprétés. En
revanche, l’ironie n’est pas perçue mais comprise comme un manque de politesse. Dans des épreuves de devinettes, il fait preuve de bonnes capacités de
définition verbale mais ne fournit pas toujours l’élément le plus pertinent (pour
téléphone : « c’est un polluant qui sert à parler ») et demeure incapable de
faire deviner uniquement par la mimogestualité.
Récemment, un groupe développant les habiletés sociales et conversationnelles lui est proposé où sont intégrées notamment des séquences axées sur la
perception et la production de patrons prosodiques émotionnels, secteur où
Romain est le plus en difficulté.
♦ C o n c lusion
Même si les études présentées proposent des résultats parfois divergents
dus en partie à la variété possible des tâches prosodiques et à l’hétérogénéité des
populations étudiées, il existe un déficit chez les personnes avec autisme dans la
perception et la production des patterns prosodiques, ainsi que dans leur interprétation en terme d’indicateurs de l’émotion du locuteur, d’autant plus que le
contenu sémantique du message est neutre.
La modalité de traitement des phénomènes prosodiques est complexe :
sous quelle forme doit-on les intégrer au travail de l’orthophoniste ? Doit-on les
8 Test de théorie de l’esprit : compréhension d’histoires de type langage de référence mentale, Happé, 1994
151
texte 229
19/03/07
15:17
Page 152
intégrer précocement ? Plutôt lors du travail de la grammaire ou de la pragmatique ? Il n’y a pas de réponse univoque. Ces questions confirment la difficulté
qu’il y a à abstraire un objet langue de l’ensemble des processus d’énonciation
soumis d’autant plus à la singularité des individus.
Les faits de prosodie paraissent aussi nombreux que les caractères
humains. Il est alors difficile de décrire et donc d’enseigner tout ce qui peut
apparaître de la personnalité du locuteur dans la mélodie, l’intensité et le ton de
la parole. C’est une tâche difficile à comprendre intellectuellement mais que
l’on semble saisir instinctivement. Il est important de modéliser et standardiser
nos grilles d’évaluation et nos « scénarii » d’intervention. Mais il est également
indispensable de laisser place à la conversation naturelle et spontanée, non-qualibrée, source de recueil de singularités, soumise il est vrai à notre subjectivité,
mais fondamentale pour accompagner la personne avec autisme dans cette quête
de communication intentionnelle et authentique.
REFERENCES
ARRIVÉ, M., GADET, F., GALMICHE, M. (1986). La grammaire d’aujourd’hui. Paris : Flammarion.
ATTWOOD, T. (2003). Le Syndrome d’Asperger et l’autisme de haut niveau. Paris : Dunod.
ASPERGER, H. (1998). Les psychopathes autistiques pendant l’enfance : traduit de l’allemand par
WAGNER E, RIVOLLIER N., L’HÔPITAL D. Le Plessis-Robinson : Institut Synthélabo.
BALTAXE, C. (1984). Use of contrastive stress in normal, aphasic and autistic children. Journal of
Speech and Hearing Research, 24, 97-105.
BALTAXE, C., SIMMONS, J.Q. (1985). Prosodic development in normal and autistic children. In E.
SCHOPLER (Ed.). Communication problems in autism (pp. 95-125). New York : Plenum.
BANZIGER, T. (2002), Prosodie de l’émotion : étude de l’encodage et du décodage. Cahiers de Linguistique Française, 23,11-37.
BARON-COHEN S. (1998). La cécité mentale. Un essai sur l’autisme et la théorie de l’esprit. Grenoble :
Presses Universitaires.
BERNIER, S., LAMY, M., MOTTRON, L. (2003) Socio-guide. Programme d’entraînement aux habiletés
sociales adapté pour une clientèle présentant un trouble envahissant du développement. CECOM,
hôpital Rivière-des Prairies, Montréal.
BOYSSON-BARDIES, B. (1999). Comment la parole vient aux enfants. Paris : Odile Jacob.
BRISOT-DUBOIS, J. (2006). Proposition de bilan orthophonique lors d’une suspicion de syndrome d’Asperger. L’Orthophoniste, 260, 10-11.
152
texte 229
19/03/07
15:17
Page 153
COURTOIS-DU PASSAGE, N., GALLOUX, A-S. (2004) Bilan orthophonique chez l’enfant atteint d’autisme : aspects formels et pragmatiques du langage. Neuro-psychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, 52, 478-489.
FAY, W. & SCHULER, L. (1980). Emerging language in autistic children. Baltimore : University Park
Press.
FINE, J. BARTOLUCCI, G., GINSBERG, G., SZATMARI, P. (1991). The use of intonation to communicate in persuasive developmental disorders. Journal of Child Psychology and Psychiatry 32, 771782.
FRANKEL, F., SIMMONS, J. Q, RICHEY, V.E. (1987). Reward Value of Prosodic Features of Language
for Autistic, Mentally Retarded, and Normal Children. Journal of Autism and Developmental
Disorders, 17, N°1
FRITH, U. (1989). Autism : explaining the enigma. Oxford : Basil Blackwell. Traduction française (1996).
L’énigme de l’autisme. Paris : Odile Jacob.
GÉRARD, C., CLÉMENT, J. (1998). The structure and development of french prosodic representation.
Langage and speech, 41 (2), 117-142.
HAPPE, F. (1994). An advanced test of theory of mind : Understanding of story characters' thoughts and
feelings by able autistic, mentally handicapped and normal children and adults. Journal of Autism
and Developmental Disorders, 24, 129-154.
HOBSON, R.P., OUSTON J., LEE, A. (1988) Emotion recognition in autism: coordinating faces and
voices. Psychological medecine, 18, 911-923.
JOANETTE, Y., SKA, B., CÔTÉ, H. (2004) Protocole Montréal d’Evaluation de la Communication.
Isbergues : Ortho Édition.
JOHNSON, W., EMDE, R., SCHERER K., KLINNERT M.D. (1986). Recognition of emotions from
vocal cues. Archives of General Psychiatry, 43, 280-283.
KAIL, M., FAYOL, M. (2000). L’acquisition du langage. Le langage en émergence. De la naissance à 3
ans. Vol 1. Paris : Puf.
KANNER, L. (1943). Autistic disturbances of affective contact. Nervous Child, 2, 217-250.
KANNER, L. (1946). Irrelevant and metaphorical language. American Journal of Psychiatry, 103, 242246.
LEMAY, M. (2004). L’autisme aujourd’hui. Paris : Odile jacob.
LENOIR, P., MALVY, J., BODIER-RETHORÉ, C. (2004). L’autisme et les troubles du développement
psychologique. Paris : Masson.
LÉON P. (1993). Précis de phonostylistique, parole et expressivité. Paris : Nathan.
LORD, C., PICKLES, A. (1996). Language level and nonverbal social-communicative behaviors in autistic and language-delayed children. Journal of the American Academy of Child and Adolescent
Psychiatry, 35, 1542-1550.
LORD, C., RUTTER, M. (1994). Autism and persuasive developmental disorders, in M. RUTTER, L.
HERSON & E. TAYLOR (Eds). Child and Adolescent Psychiatry : Moderns Approaches (pp
569-593), Oxford, England : Blackwell.
MATTHEWS, A. (1990). Making friends: A guide to getting along with people. Singapore : Media masters.
MONFORT, M., MONTFORT I. (2001). L’esprit des autres. Isbergues : Ortho Editions
MONFORT, M., JUAREZ-SANCHEZ, A., MONFORT, I. (2005). Les troubles pragmatiques chez l’enfant. Isbergues : Ortho Edition.
PAUL, R., MCSWEENY, J., CICCHETTI, D., KLIN, A. VOLKMAR, F. (2005). Brief Report : relations
between Prosodic Performance and Communication and Socialization Rating in High Functioning Speakers with Autism Spectrum Disorders. Journal of Autism and Developmental Disorders, 35, 6, 861-869.
PAUL, R., AUGUSTYN, A., KLIN, A. VOLKMAR, F. (2005). Perception and Production of Prosody by
Speakers with Autism Spectrum Disorders. Journal of Autism and Developmental Disorders,35,
2,205-219.
PEPPÉ, S. MC CANN, J., GIBBON, F.,O’HARE A., RUTHERFORD, M. (2006) Assessing prosodic and
pragmatic ability in children with high-functioning autism. Pragma, 2478, sous presse.
153
texte 229
19/03/07
15:17
Page 154
PEREIRA, E., PHILIPBERT, E. (2005). Perception de la prosodie émotionnelle chez les enfants ayant un
trouble envahissant du développement. Montpellier : Mémoire d’orthophonie.
PRONOVOST, W. (1966). A longitudinal study of the speech behaviour and language comprehension of
fourteen children diagnosed atypical of autistic. Exceptional children, 33, 19-26.
RICKS, D.M. & WINGS, L. (1975). Language, communication, and the use of symbols in normal and
autistic children. Journal of Autism and Childhood Schizophrenia, 5, 191-221.
ROSSI, M. (1999). L’intonation, le système du français : description et modélisation. Paris : Ophrys.
SCHERER, K. & RIME, B. (1993). Les émotions. Neuchâtel : Delachaux et Niestlé.
SCHERER, K. & BANSE R. (1996). Acoustic profiles in vocal emotion expression. Journal of Personality and Social Psychology, 70,3, 614-636.
SHRIBERG, L. D., PAUL, R., MCSWEENEY, J., KLIN, A., COHEN, D., VOLKMAR, F. (2001). Speech
and prosody characteristics of adolescents and adults with high functioning autism and Asperger
syndrome. Journal of Speech, Language, Hearing Research, 44,1097-1115.
SHRIBERG, L. D., WIDDER, C. J. (1990). Speech and prosody characteristics of adults with mental
retardation. Journal of Speech and Hearing Research, 33, 627-653.
TAGER-FLUSBERG, H., SULLIVAN, K. (1994). Predicting and explaining behaviour : A comparison of
autistic, mentally retarded and normal children. Journal of Child Psychology and Psychiatry, 35,
1059-1075.
TAGER-FLUSBERG, H. (1999). Autisme infantile. In : J. A. Rondal & X. Séron (Eds), Troubles du langage, (pp. 641-657). Liège : Mardaga.
WETHERBY A.M., PRUTTING, C.A. (1984). Profiles of communication and cognitive social abilities in
autistic children. Journal of Speech and Hearing Research, 27, 364-377.
WILLIAMS, D. (1992). Si on me touche, je n’existe plus. Paris : Robert Laffon.
154
texte 229
19/03/07
15:17
Page 155
Présentation de la Dynamique Naturelle de la
Parole et de son application dans la rééducation des difficultés de parole
Christine Ferté
Résumé
La Dynamique Naturelle de la Parole est une approche polysensorielle qui cherche à développer le langage et la communication sous toutes ses formes dans un souci de respect et
de plaisir en offrant une parole enrichie par le ressenti, la visualisation et l’utilisation du jeu
et de l’art.
Adaptée à la prise en charge des retards de parole, elle vise à remédier aux aspects déficitaires de la parole dans ses composantes métalinguistiques (phonologie par la prise de
conscience des processus sensori-moteurs et du rythme) et dans ses liens avec le lexique
et la morphosyntaxe.
Mots clés : communication, langage oral, parole, rééducation, enfant, polysensorialité, parole
enrichie, compétences métalinguistiques
Presentation of the Natural Dynamics of the Speech Approach and its
application to speech therapy
Abstract
The Natural Dynamics of Speech is a multi-sensory approach which seeks to develop all
forms of language and communication, in a respectful and pleasurable manner, by providing
speech enriched with emotional experiences, visualization and the use of play and art. This
approach is well-adapted to the treatment of speech delays and remedies speech deficits
with regard to their metalinguistic components (phonology through the awareness of sensori-motor processes and of rhythm), and their links with lexical and morphosyntactic skills.
Key Words : communication, oral language, speech, remediation, child, multi-sensoriality,
enriched speech, metalinguistic skills
Rééducation Orthophonique - N° 229 - mars 2007
155
texte 229
19/03/07
15:17
Page 156
Christine FERTÉ
Orthophoniste
Formatrice en DNP
39 rue E. Hautecoeur
80800 Corbie
Courriel : [email protected]
E
n orthophonie, 3 courants ont jeté les bases de la rééducation orthophonique dans le domaine du langage oral avec les travaux de Suzanne
Borel-Maisonny, qui préconise une approche plurimodale et multi sensorielle du trouble, René Diatkine qui prend en compte la vie psychique du sujet et
Denise Sadek qui articule discours, système de la langue et développement de la
pensée.
Si l'on se réfère aux données actuelles de la science et aux différents
modèles sur le développement de la parole et du langage chez l'enfant, 3
niveaux d'organisation sont décrits :
- Entrées : perception (visuelle, auditive, kinesthésique)
- Traitements : fonctions supérieures (sémantique, mémoire, attention,
cognitif)
- Sorties : module de sortie (productions orales, écrites, motrices).
La Dynamique Naturelle de la Parole (DNP), approche développée par
Madeleine Dunoyer de Segonzac, permet un travail sur ces trois niveaux de
fonctionnement des différentes composantes du langage, phonologie, lexique,
morphosyntaxe. Elle propose des médiations pour développer les habiletés pragmatiques nécessaires à une bonne communication. Elle cherche également à
développer les fonctions cognitives transversales et les compétences nécessaires
à l'apprentissage du langage oral et écrit. C'est son utilisation dans le domaine
de la Phonologie qui est développée dans le présent article.
♦ P r é s e n t a t i o n g é n é r ale de la Dynamique Na t u relle de la Pa role
(DNP).
En quelques mots, il s'agit d'une approche polysensorielle qui se pratique
en groupe (pour l'aspect socialisation du langage) ou en individuel (pour un travail plus spécifique et technique), qui cherche à développer le langage et la
communication sous toutes ses formes dans un souci de respect et de plaisir en
156
texte 229
19/03/07
15:17
Page 157
offrant une parole enrichie par le ressenti, la visualisation et l'utilisation du jeu
et de l'art.
Elle s'appuie sur :
• la méthode ve r b o - t o n a l e des professeurs Guberina et Gladic qui propose d'agrandir au corps entier les micromouvements réalisés dans la bouche
pour faciliter les mouvements et le placement des organes phonateurs. Un travail spécifique du rythme sur des comptines rythmées (avec ou sans sens) permet d'appréhender les caractéristiques des éléments prosodiques de la parole et
de faciliter sa fluidité.
• les tr a va u x d e M a rcel Jousse (anthropologue) pour lequel « le langage
est l'expression de l'être tout entier ». Il définit 3 lois pour le style oral :
- le (triple) bilatéralisme (structure bilatérale de l'équilibre humain) :
haut/bas, gauche/droite, avant/arrière ;
- le rythmomimisme : tout est rythme (pas, cœur, respiration) et l'homme
rejoue tout ce qu'il a reçu à son propre rythme ;
- le globalisme : l'individu est un être global et sa parole est l'expression de
son être tout entier.
• les tec h n i q u e s d ' a rt de la fa m i l l e M a rt e n o t : cours d'art visant à l'épanouissement de l'Etre par l'extériorisation et la libération de l'expression artistique après un temps de relaxation, d'imprégnation, de ressenti et d'expression
corporelle.
La DNP peut donc répondre à la prise en charge d'un enfant présentant un
retard ou trouble de la parole ou du langage, ou encore une pathologie du langage écrit.
Après le bilan orthophonique explorant les processus d'entrées, de traitements et de sorties du langage oral, l'orthophoniste peut établir un diagnostic de
retard ou trouble de parole.
Celui-ci est défini comme « un trouble de la deuxième articulation (choix
et agencement dans la syllabe et le mot) » (Ajuriagerra, Borel-Maisonny, Diatkine, 1958) ou encore dans le dictionnaire d'orthophonie (Brin et coll., 1997)
comme « Toute altération de la chaîne parlée constatée dans les productions verbales de l'enfant à partir de 4 ans. Peut se manifester par des simplifications de
mots semblables à celles qui se rencontrent dans les productions orales du petit
enfant qui commence à parler ».
Outre la stimulation praxique pour renforcer la coordination des différents organes phonatoires, l'orthophoniste va alors mettre en place différents
axes de rééducation pour remédier aux aspects déficitaires de la parole, dans un
souci de prise en charge pragmatique visant à améliorer la communication de
l'enfant, ainsi que ses capacités métalinguistiques.
157
texte 229
19/03/07
15:17
Page 158
♦ Remédiation des aspects déficitaires de la parole au plan phonémique
A n a l y s e e t t r a i t e m e n t d e s p rocessus sensor i - m o t e u r s p a r l e c a n a l d u
r essenti corp o rel
Selon Madeleine DUNOYER (1991), il est attaché la plus grande importance aux mouvements générateurs réels de la parole qui, étant amplifiés au
corps entier, aident la perception, entraînent l'émission et favorisent considérablement la mémorisation.
• Dans un premier temps, le ressenti corporel se fera par I m p r é g n ation
passive
- des voyelles :
Elles sont tracées dans le dos par un trajet de la main comme les rayons
d'un soleil, de la plus grave [ou] en bas, à la plus aiguë [i], qui s'étire vers le
haut, en passant par le [a ], voyelle médiane située de chaque côté du corps, avec
un accompagnement parlé ou chanté.
- des consonnes :
En fonction de leurs caractéristiques phonétiques, elles sont imprimées
sur le corps de l'enfant comme des massages : le [t] qui tape, le [r ] qui gratte, le
[s] qui exerce une pression ondulante...
• Puis lorsque l'enfant se sera imprégné de ce ressenti corporel, il va pouvoir lui-même le rejouer dans l'espace par imitation de l'adulte par I m p r ég n a tion active
- des voyelles :
Un soleil des voyelles est réalisé avec des mouvements corporels bilatéraux qui marquent une ouverture plus ou moins grande des bras (correspondant
à celle de la bouche), placés plus ou moins haut dans l'espace en fonction de la
hauteur de la voyelle (vo i r a n n e xe 1 : soleil des voyelles dans l'espace)
- des consonnes :
De grands mouvements dans l'espace sont réalisés en tenant compte du
« mode articulatoire (occlusif : mouvement rapide et bref de fermeture/ouverture, constrictif : mouvement fluide sur le souffle), de la sonorisation (sourde :
mouvement plus tendu, sonore : mouvement plus relâché) » (Coquet, 2004).
Ces grands mouvements générateurs de la parole sont accompagnés par
l'émission des syllabes et sont accentués au niveau de la mimique faciale. Ils
peuvent aussi être reproduits sur des ballons, des cerceaux, voire dans la terre, le
sable, la semoule, etc. « En imitant, en refaisant le mouvement, l'enfant s'en
imprègne, le corporalise et cela contribue à la mémorisation du son et de la suite
des sons. Plus tard, un mouvement réduit exécuté avec les mains en favorisera
l'évocation » (Ferté et Tiberghien, 1995).
158
texte 229
19/03/07
15:17
Page 159
A n a l y s e e t t r a i t e m e n t d e s p rocessus sensor i - m o t e u r s p a r l e c a n a l
visuel
Des traces de peinture aux doigts (traces du grand mouvement réalisé
dans l'espace) permettent de visualiser la parole, en favorisent l'émission et la
mémorisation.
• Visualisation des voyelles
Avec « le soleil des voyelles » (voir annexe 2 : soleil des voyelles en couleurs) :
[i] vert foncé
[é] vert moyen
[è] vert clair
[a ] rouge
[o ouvert] ocre
[o fermé] marron
[u] bleu
[ou] jaune
A chaque voyelle est attribuée une couleur et son ouverture/fermeture est symbolisée par un tracé qui s'inscrit dans le soleil des voyelles de la plus grave en
bas, à la plus aiguë en haut. Nous pouvons fabriquer des petits coussins aux
couleurs des voyelles (éventuellement de textures différentes) avec lesquels l'enfant joue en émettant diverses voyelles, signifiantes en fonction de l'intonation
qu'on leur donne et des mimiques du visage qu'on y associe. Celles-ci peuvent
être ensuite réintroduites dans des sketches ou mimes.
L'enfant prend ainsi conscience que le moindre son peut être chargé de sens.
• v i s u a l i s a t i o n d e s s y l l a bes
Les grands mouvements des consonnes sont projetés sur une feuille avec
les 2 mains, pour laisser une trace teintée de la couleur de la voyelle. Le sujet,
les doigts enduits de la couleur de la voyelle, produit la trace en même temps
qu'il énonce la syllabe. Il peut relire la trace en repassant avec les doigts sur les
traces sèches. Cette reviviscence des traces se fait du centre vers l'extérieur et de
haut en bas.
Utilisat i o n p a r l ' e n fa n t d a n s l a c o n s t r uction des ses rep r é s e n t a tions
phonolo giques
Ce ressenti corporel par les massages et les grands mouvements dans
l'espace, ainsi que la visualisation par les traces de peinture permettent à
l'enfant de :
➝ dif f é re nc ier d es p hon èmes pho né tiq ue men t proches qu'il pourra apprendre
à reconnaître en fonction du mouvement propre à chaque phonème ou à sa
représentation par les traces de peinture :
Vo i r a n n e xe 3 : « pa » qui explose avec tous les doigts enduits de peinture / « ta » qui tape avec la pulpe du pouce - « bou » qui tombe sur la feuille
avec les index relâchés / « dou » qui rebondit avec la tranche des mains) ;
➝ c o m p re n d re l e m é c a n i s m e d e f u s i o n p h o n é m i q u e
159
texte 229
19/03/07
15:17
Page 160
Vo i r a n n e xe 4 : « mi » ➝ caresse des index en vert foncé pour le [i] « mé » ➝ caresse des index en vert moyen pour le [é] - « mu » ➝ caresse des
index en bleu pour le [u] ;
➝ diff é rencier des sylla b e s p roches
Vo i r a n n e xe 5 : « sou » ➝ pression ondulante du [s] avec les index colorés en jaune pour le [ou] / « chou » ➝ air filtré avec la pulpe des index et des
majeurs colorée en jaune) ;
➝ diff é rencier des mots de str u c t u re s p roches ou inve rsées
Vo i r a n n e xe 6 : « bijou / bougie » : visualisation du mouvement des
consonnes qui est le même mais coloré différemment puisque la voyelle change
de place ;
➝ p re n d re c o n s c i e n c e d e l a s u c c e s s i o n t e m p o re l l e d e s p h o n è m e s p o u r a b o r der les sylla bes complexes en « r/l » et pallier aux prob lèmes d'inve rsions
Voir annexe 7 : « bour » qui s'étale dans l'espace avec le [r ] qui se vide de
sa substance / « brou » qui se groupe avec le [r ] prégnant au centre de la
syllabe - « cal » qui s'étale dans l'espace avec le [l] qui se vide de sa substance /
« cla » qui se groupe avec le [l] prégnant au centre de la syllabe ;
➝ p re n d re conscience de la sylla b e m u e t t e
Vo i r a n n e xe 8 : « mousse » qui représente une seule syllabe avec le [s] en
finale qui se vide de sa substance / « mousseux » qui représente 2 syllabes avec
un [eu] fermé coloré en gris foncé.
Cette médiation peut ensuite s'adapter à tous les autres exercices pratiqués en rééducation orthophonique comme les jeux d'assonances et de rimes, de
paires minimales etc., en renforçant l'entrée auditive, souvent défaillante, par le
canal kinesthésique et visuel.
♦ R e m é d i ation des aspects défi c i t a i res de la parole par le tr a vail
r ythmique
Dans les retards de parole, la seule prise de conscience du point d'articulation des différents phonèmes n'est pas suffisante pour aider à une émission correcte. La composante rythmique de la phrase revêt toute son importance. En effet,
« toute parole est musique, la mise en comptine d'une syllabe, d'un mot, d'une
phrase et la symbolisation du rythme permet de faciliter leur production et leur
mémorisation. Elle développe la boucle audiophonatoire » (Coquet 2004). « ...De
plus, elle plaît et est la motivation à une écoute attentive » (Besche, 1971).
Il conviendra donc de travailler les différents paramètres du rythme
(timbres, durées, hauteurs et intensités) et d'exercer les rythmes structuraux de
160
texte 229
19/03/07
15:17
Page 161
la parole qui peuvent servir de « moules » autour desquels l'enfant va organiser
sa parole.
Comme pour les voyelles et les consonnes, nous favoriserons cette prise
de conscience du rythme, par les canaux auditif, kinesthésique et visuel.
P ar le biais de l'écoute
Cette écoute est favorisée par un temps de relaxation, suivie de l'écoute
du rythme (frappé ou joué avec des instruments, ou encore chanté sur le soleil
des voyelles, associées chacune à une consonne).
P a r l e b i a i s d u ressenti corp o rel
En imprégnation, les différentes notions de durée sont rendues par des
massages corporels (sons brefs : tapés sur l'épaule - durée moyenne : glissé des
2 mains dans le dos de chaque côté de la colonne vertébrale jusqu'à l'omoplate durée plus longue : glissé des 2 mains dans le dos de chaque côté de la colonne
vertébrale jusqu'au bas du dos).
Puis, quand l'enfant est familiarisé au rythme par l'approche du massage,
on peut lui proposer de se l'approprier en le marchant (pas plus ou moins longs
en fonction de la durée), en le tapant dans les mains (tape dans la paume pour
les sons brefs - glissé le long de l'avant-bras pour les durées moyennes - glissé
jusqu'à l'épaule pour les sons plus longs, dans les formes d'insistance par
exemple) ou en le tapotant au bout des doigts en opposition au pouce avec une
tenue de cette « pince » plus ou moins longue en fonction de la durée.
Ces 3 rythmes de base se combinent à l'infini et peuvent illustrer toutes
m e nu s d u j o u r) rencontrées en français ; ils se
les séquences rythmiques (m
caractérisent par autant de frappes que de syllabes, avec une durée brève pour
les 1ères syllabes et une durée plus longue pour la finale (soit semi-brève, soit
longue en fonction du sens que l'on cherche à donner à la phrase, notamment
l'emphase).
Sur ces menus du jour, on peut chanter sur la gamme, le soleil des
voyelles, associé à la consonne [l] (ex : lou lou lou__, lu lu lu__, lo lo lo__ ,
etc..) ou réaliser dans l'espace les grands mouvements des consonnes en les
vocalisant selon le rythme travaillé (chorégraphies phonétiques rythmées), ou
encore marcher et frapper ce rythme sur les mains ou les doigts en disant « vite
vite marche__ ».
Exemple : séquences de 3 syllabes amenant la prise de conscience de la
structure rythmique d'un nom de 2 syllabes précédé d'un article :
la la lo__ cha cha cho__
pa pa po__
le chapeau__
la la lo__ cha cha cho__
ma ma mo__
le chameau__
la la lo__ cha cha cho__
ta ta to__
le château__
161
texte 229
19/03/07
15:17
Page 162
P ar le biais de la symbolisa t i o n d e s r y t h m e s
Avec les pièces de bois du jeu de rythme Zic et Zac, chaque paramètre du
rythme est visualisé :
t i m b re par une forme et une couleur (en rapport avec le soleil des voyelles)
[i] triangle vert foncé
[a ] carré rouge
[o] rond ocre
[ou] demi-lune jaune ;
[u] rectangle bleu
d u r é e par la taille des jetons
brève = petite surface
semi-brève = moyenne surface
longue = grande surface ;
intensité par la présence ou non d'un point noir sur la pièce de bois qui
indique l'accentuation ;
h a u t e u r par la disposition des pièces plus ou moins haute sur une ligne de base.
Ces rythmes ainsi visualisés peuvent être relus en les soulignant de l'index et en les associant à des comptines informelles qui vont amener l'émission
d'un mot signifiant.
Cette visualisation pourra être le prétexte à la recherche d'autres mots de
même structure rythmique, d'autres petites phrases ou dialogues.
Exemple : soit pour la structure de base : « vite vite marche__ », on peut
par exemple, énoncer des mots de 2 syllabes précédés de leur déterminant
Vo i r a n n e xe 9 : visualisation du rythme.
Sur ce rythme, nous pouvons aussi verbaliser des phrases ou dialogues,
comme « Tu vas bien ? Oui ça va ! Il fait chaud ! Moi j'ai soif ! Qu'est-ce qu'on
boit ? »
Toutes ces façons d'aborder le rythme permettent :
➝ l a c o o r d i n a tion de la g e s t u e l l e e t d e l a p h o n a t i o n ;
➝ d e s ' a p p ro p rier la séquence ry t h m i q u e t r availlée ;
➝ d e m a î t r i s e r l e d é n o m b re m e n t s y l l a b i q u e ;
➝ d e t ra va i l l e r l a m o t ricité fine des doigts en vue du gr a phisme ;
➝ de réaliser des tâches d'écoute passive et active.
♦ R e m é d i a tion des aspects défi c i t a i res de la paro l e p a r u n t r a vail à
p a r t i r d u l e xique
Habituellement, l'étude du lexique à proprement parler est réservée à la
prise en charge des retards de langage. Mais étant donné la spécificité de son
approche par le biais de la DNP, il apporte des éléments pertinents quant au travail de la phonologie, du rythme et de la morphosyntaxe.
162
texte 229
19/03/07
15:17
Page 163
Mise en rela tion signifiant / signifié
Nous cherchons à favoriser « la rencontre de la pensée, de la parole et des
actes dans un même lieu et un même temps. Nous faisons prendre conscience de
la structure sonore du mot et de son appartenance au lexique de la langue en
associant la reconnaissance et la mémorisation du schéma phonétique et la
représentation du référent signifié par ce schéma phonétique. Nous développons
le lexique expressif et donnons vie à un lexique réceptif ou interne » (Prado,
1999).
Ainsi que pour le travail de la phonologie, nous aborderons ce lexique par
les 3 canaux : auditif, kinesthésique et visuel.
S u r l e p l a n c o r p o re l e t a u d i t i f
L'articulation des mots est préparée par des chorégraphies phonétiques
qui prennent en compte toutes les difficultés articulatoires des mots, en enchaînant les syllabes composant le mot avec chaque mouvement. Puis sur un tempo
normal et sur son intonation juste, il faut le dire à nouveau en le représentant par
un geste ou corporellement, ou encore en le mimant.
Sur le plan visuel
Des albums à thèmes lexicaux sont constitués avec les traces d'articulation, illustrés de photos représentant le mot signifié, dans ses différents sens ou
ses diverses acceptations, ou des albums phonémiques.
Vo i r a n n e xe 10 : « chapeau / château / chameau » pour lesquels l'enfant
prend conscience des similitudes phonologiques des 3 mots sur le plan auditif,
kinesthésique et visuel mais où l'on distingue l'explosion labiale pour le [p] de
« chapeau », l'appui apico-dental avec les pouces qui tapent [ to ] pour
« château », et la fermeture labiale avec le glissé des index pour le [m] de « chameau »).
Des jeux de loto construits avec l'enfant lui sont proposés où il doit, après
reviviscence d'une trace, retrouver l'image correspondante.
Pour introduire le rythme du mot étudié, il faut tracer une suite de syllabes représentant les différentes combinaisons syllabiques avec la consonne de
la 1ère syllabe, puis de la 2e, etc.
Voir annexe 11 : pour le mot « bateau », on trace « ba bo__ » avec un
mouvement relâché des index teintés de la couleur des voyelles [a / o] rouge et
marron, suivi de « tato__ » avec un mouvement des pouces qui tapent, teintés aux
couleurs des voyelles, puis le mot « bateau » en traces ; celui-ci peut aussi être
illustré en image pulsée : un mouvement relâché des 2 index qui tombent en
disant « ba », pour la coque, suivi de la tranche d'une main qui tape en « to » pour
le mât, illustré de photos représentant les diverses acceptations de « bateau »).
163
texte 229
19/03/07
15:17
Page 164
Ceci donne lieu à des jeux de fusion syllabique où l'enfant doit retrouver
le signifiant correspondant au signifié.
Ensuite on peut passer de ces traces d'articulation à la représentation de
l'objet par ce que nous appelons « les images pulsées ». Sont réalisées « des
images imbibées des pulsions phonétiques en utilisant les couleurs les plus courantes des objets ou personnes représentés, dans leur vraie forme, en reprenant
les pulsions phonétiques guidées par les mouvement des consonnes » (Dunoyer,
1991) ;
Vo i r a n n e xe 12 : l'image « chaussure » est réalisée avec les pulsions phonétiques des consonnes composant ce mot, c'est-à-dire l'air filtré du [ch] qui
illustre le corps et la tige de la chaussure - la pression ondulante du [s] qui dessine la semelle - la vibration laryngée du [r ] pour le lacet ; plusieurs représentations du mot chaussure sont illustrées pour que l'enfant généralise le concept de
« chaussure »).
A partir de toute cette démarche autour du lexique, l'enfant a la possibilité de
➝ fa i re le lien entre la fo rme sonore du mot et son conten u s é m a n t i q u e en
prenant conscience qu'à une émission sonore correspond une image, ce qui
développe ses facultés de représentation mentale et donc son abstraction ;
➝ t ra vailler sur la fusion syllabique et la mémorisation de celle-ci ;
➝ t ra vailler la fl u e n c e p a r l ' extension du lexique au travers d'imagiers à
« revivre » et à dire selon un classement sémantique ou phonémique, (voir
a n n e xe 13 : jeu d'intrus phonémique : « pantalon / chemise / chaussette /
chaussure / chapeau » réalisés en images pulsées. A la reviviscence de ces dessins (relecture avec les doigts), l'enfant va prendre conscience, du bout des
doigts que le mot « pantalon », qui appartient au même champ lexical que les
autres, ne contient pas le phonème [ch]) ;
➝ t ra vailler sur la mise en réseaux du lexique.
♦ Ap p roch e t r ansve rs a l e à p a r t i r d e l a remédia tion dans le domaine
phonolo gique
La rééducation par la médiation de la Dynamique Naturelle de la Parole
dépasse le cadre de la simple remédiation des déficits dans un domaine pour
développer les fonctions cognitives transversales et les compétences nécessaires
à l'apprentissage du langage oral et écrit. Ce que l'on nomme aussi parfois pré
requis aux apprentissages de l'oral et de l'écrit peuvent être définis comme suit :
- maîtrise du schéma corporel,
- repères spatio-temporels,
164
texte 229
19/03/07
15:17
Page 165
- capacité d'analyse et de mémoire auditive,
- capacité d'analyse et de mémoire visuelle,
- développement de la motricité fine de la main et des doigts pour l'acquisition du geste graphique,
- maturité psychoaffective,
- désir d'apprendre.
M a î t rise du sc h é m a c o rp o rel
La DNP favorise le développement et la maîtrise du schéma corporel par
les massages phonétiques ou rythmiques, le soleil des voyelles réalisé dans l'espace, les chorégraphies phonétiques, les jeux de marche, les comptines gestuées,
les jeux de mimiques, mimes et sketches. Cette approche du schéma corporel est
à la fois :
- ressentie (par les massages réalisés sur le corps de l'enfant), ce qui favorise
l'imprégnation
- vécue dans l'espace par l'enfant comme un rejeu, ce qui permet son intégration.
Une étude longitudinale, réalisée de 1989 à 1992 par une psychologue
scolaire S. Bataille, sur un groupe d'enfants âgés de 2 ans (au début de l'expérimentation) à 6 ans, scolarisés de la petite section de maternelle à la grande section, a montré que les enfants du groupe ayant travaillé avec la DNP au cours de
ces 4 années, avaient amélioré leurs performances par rapport au schéma corporel (S. Bataille, 1992).
Re p è res spa t i o - t e m p o rels
Ces 2 notions très abstraites sont très intriquées, elles se superposent l'une
à l'autre sans pouvoir être dissociées. On peut cependant dire que l'espace est lié
au sens visuel et le temps au sens auditif. La perception de l'espace est aussi
intimement liée au mouvement, lequel se déroule aussi dans le temps.
Par les trois portes d'entrée utilisées en DNP (kinesthésique, visuelle et
auditive), nous renforçons cette intrication, nous ne pouvons isoler un sens par
rapport à l'autre, l'un vient toujours soutenir, compléter, accentuer ou renforcer
l'autre. Par exemple, la reviviscence (= relecture avec les mouvements des
doigts ou des mains) des traces d'articulation est comme une photo, un arrêt sur
image de ce lien.
C ap a c i t é d ' a n a lyse et de mémor isa t i o n a u d i t ivo-visuelles
L'approche plurisensorielle (visuelle, auditive et kinesthésique - mouvements ressentis ou exécutés) de la phonologie de la parole (dans ses composantes sensori-motrices et rythmiques), du lexique et de la morphosyntaxe, par
165
texte 229
19/03/07
15:17
Page 166
la médiation des jeux de société, d'imitation, du mime et du sketch, des comptines, du conte ou des histoires, rend toutes ces notions plus accessibles à l'enfant. Elles se différencient ou se superposent les unes aux autres, s'enrichissent
mutuellement, ce qui favorise la mise en place de liens entre les différentes
acquisitions de l'enfant et leur mémorisation.
Développement de la motricité fine de la main et des doigts pour l'a p p rentissa ge du g r a phisme
Par l'utilisation de la DNP, l'enfant a moult occasions de travailler sa
motricité fine de la main et des doigts :
- par les traces d'articulation et les images pulsées, toujours réalisées en bilatéralisme, où l'index, le pouce, le bout des doigts, la tranche de la main, la
pulpe des doigts sont mis à contribution (Vo i r a n n e xe 14) ;
- dans le travail du rythme où le pouce est opposé à chaque doigt pour le
dénombrement des syllabes, ainsi que dans les tapotis de mimogrammes
où tous les doigts sont sollicités, (même le passage du pouce sous le
majeur pour les rhèses de plus de 5 syllabes).
Pour qu'un graphisme soit harmonieux, il ne suffit pas de travailler le
délié des doigts et de la main ; les différents segments du bras ainsi que l'ensemble du corps doivent avoir un tonus adéquat. C'est au travers des exercices
de relaxation et lors des chorégraphies phonétiques que l'enfant peut explorer
ces variations de tonus et trouver ensuite le juste milieu qui convient à son
écriture.
Ceci a été confirmé par l'étude de S. Bataille où « les enfants stimulés par
la DNP ne rencontraient pas d'échec et obtenaient un niveau moyen bon, supérieur à celui du groupe témoin en fin d'expérimentation ».
D é s i r d ' a p p re n d re
Par toutes les médiations qu'elle propose, la DNP offre une variété tellement importante dans son approche de la langue orale qu'il est extrêmement rare
de ne pas pouvoir capter l'attention de l'enfant et son intérêt. Ainsi « accroché »,
l'enfant va pouvoir développer son désir d'apprendre.
De plus, au-delà de l'outil, c'est une manière d'Etre face à l'enfant en
offrant une parole enrichie (par le ressenti, la visualisation et l'utilisation du jeu
et de l'art) dans un souci de respect, de plaisir et de gratuité (sans recherche de
résultats immédiats) en favorisant une imprégnation des différentes composantes de la parole.
166
texte 229
19/03/07
15:17
Page 167
♦ C o n c lusion
La Dynamique Naturelle de la Parole constitue une médiation intéressante dans la prise en charge du retard de parole car elle offre une parole enrichie sur le plan visuel, kinesthésique et auditif dans tous les aspects déficitaires
de la parole.
De plus, elle permet de développer les habiletés pragmatiques nécessaires
à la communication de l'enfant par l'utilisation :
- de jeux psychomoteurs,
- de jeux de société,
- de jeux de mimiques et de prosodie,
- de mimes et de sketches,
- de comptines et de contes,
- du jeu et de l'art.
Elle favorise le développement des fonctions cognitives transversales
(schéma corporel, repères spatio-temporels, capacités d'analyse et de mémorisation auditivo-visuelles, développement de la motricité fine de la main et du désir
d'apprendre) et des compétences métalinguistiques comme la conscience phonologique, métalexicale et métasyntaxique.
Elle est construite de façon à ce que toutes les notions abordées se superposent les unes aux autres, s'imbriquent entre elles, s'enrichissent les unes les
autres. Elles permettent ainsi l'établissement de liens entre les différentes acquisitions de l'enfant et facilitent leur mémorisation.
Au-delà de l'approche technique qu'elle représente, la DNP est une
démarche originale car elle est aussi chargée d'un esprit, d'une manière d'être
face à l'enfant, dans un souci d'imprégnation gratuite sans recherche de résultats
immédiats ; elle va plutôt dans le sens d'une maturation des habiletés cognitives
et d'un enrichissement de la personnalité de l'enfant, qui devient alors Sujet de
sa parole.
REFERENCES
BATAILLE, S. (1991). Projet pour l'observation longitudinale d'un groupe d'enfants de milieu défavorisé
et de son groupe témoin milieu tout venant. In M. DUNOYER de SEGONZAC. Pour que vibre la
Dynamique Naturelle de la Pa role. Lyon : Éditions Robert.
COQUET, F. (2004). La Dynamique Naturelle de la Parole (DNP) de Madeleine Dunoyer de Segonzac.
In F. COQUET. Troubles du langage oral chez l'enfant et l'adolescent (pp108-114, 168-170, 207212, 235-237, 254-255). Isbergues : Ortho Édition.
167
texte 229
19/03/07
15:17
Page 168
COQUET, F. (2004). Rééducation des retards de parole, des retards de langage oral. In T. ROUSSEAU
(Ed). Les approches thérapeutiques en orthophonie - Tome 1. Isbergues : Ortho Édition.
FERTÉ, C. (2003). Libération de la parole par une libération du geste : une technique à adapter à l'enfant
dysphasique. In collectif d'auteurs. Les troubles spécifiques du langage. CD-Rom. Suresnes : Éditions du CNEFEI (Centre National d'Études et de Formation pour l'Enfance Inadaptée).
FERTÉ, C., TIBERGHIEN, C. (1995). « Dynamique Naturelle de la Parole », appliquée aux enfants dysphasiques. L'écho des mots, 35, 53-57.
GUBERINA, P. (1972). The teaching of the phonetic system through body movement. In Case studies.
Zagreb : Editions Institute of Phonetics, Faculty of Arts.
JOUSSE, M. (1974). L'anthropologie du geste. Paris : Gallimard.
JOUSSE, M. (1990). Le style oral : rythmique et mnémotechnique chez les verbomoteurs. Éditions Gabriel
Baron.
MARTENOT, M. (1977). Se relaxer, pourquoi, comment. Paris : Albin Michel.
PRADO, D. (1999). Pratique de la DNP et développement de la conscience phonologique. Rééducation
Orthophonique : la conscience phonologique, n°197, 125-138.
168
AnnexeFerte
19/03/07
15:36
Page 1
Annexe 1 : Soleil des voyelles dans l’espace
Anne xe 2 : soleil des voyelles en couleur s
AnnexeFerte
19/03/07
15:36
Page 2
Anne xe 3 : phonèmes phonétiquement proches bou / dou – pa / ta
Anne xe 4 : mécanisme de fusion
phonémique mi / mé / m u
Anne xe 5 : sylla b e s p roc hes sou / c h o u
AnnexeFerte
19/03/07
15:36
Page 3
Anne xe 6 : mots de str u c t u re s p roc hes ou inve r sées
Anne xe 7 : syllabes comple xes bour / brou – cal / c la
AnnexeFerte
19/03/07
15:36
Page 4
Anne xe 8 : pr ise de conscience de la sylla be m uette mousse / mousseux
Anne xe 9 : visualisa t i o n d u r y t h m e
la
cha
pa
le
la
cha
pa
cha
lo__
cho__
po__
peau__
AnnexeFerte
19/03/07
15:36
Page 5
Anne xe 10 : album phonémique c h a peau / c h â t e a u / c h a m e a u
Anne xe 11 : visualisa tion des dif f é rentes combinaisons
sylla b i q u e s e t r y t h m i q u e s d ’ u n m o t
AnnexeFerte
19/03/07
15:36
Page 6
Anne xe 12 : c h a u s s u re en ima ge pulsée
AnnexeFerte
19/03/07
15:36
Page 7
Anne xe 13 : jeu d’intr us p h on ém i q ue
Anne xe 14 : paysa ge réalisé en tr a c e s d ’ a r ticula tion
AnnexeFerte
19/03/07
15:36
Page 8
texte 229
19/03/07
15:17
Page 169
La rééducation de la conscience phonologique
Guillemette Bertin-Stremsdoerfer
Résumé
Cet article a pour but de définir la conscience phonologique et les capacités connexes
qu’elle implique, cerner quelle population bénéficie en rééducation d’un travail de
conscience phonologique et dans quel but ce type de rééducation peut être bénéfique pour
cette population. Il se propose également de présenter un travail en rééducation suivant la
genèse dans le développement normal, avec des tâches de difficultés croissantes et de
détailler quels canaux perceptifs peuvent être utilisés en complément du canal auditif.
Mots clés : langage oral, conscience phonologique, développement, rééducation, supports.
Remediation of phonological awareness
Abstract
The purpose of this paper is to give a definition of phonological awareness, and describe the
related abilities that this awareness requires, and to target the population that can take
advantage of remediation concerning phonological awareness. Guidelines are suggested for
remediation, following the unfolding of normal development with tasks of growing difficulty,
and for the description of perceptive channels that can be used to complement the auditory
channel.
Key Words : oral language, phonological awareness, development, remediation, tools.
Rééducation Orthophonique - N° 229 - mars 2007
169
texte 229
19/03/07
15:17
Page 170
Guillemette BERTIN-STREMSDOERFER
Orthophoniste
36 rue du Petit Pont
59500 Douai
Courriel : [email protected]
D
évelopper la conscience phonologique en rééducation est un travail très
formel, aussi ludique que soit le jeu employé, puisque cette conscience
n’aide en rien à la communication verbale. L’enfant n’a donc pas d’intérêt a priori à développer ces capacités si ce n’est la curiosité autour de la
langue, ou en l’occurrence l’attrait pour le jeu. La motiva tion sera donc à faire
naître ou à entretenir pour obtenir la participation active du sujet, condition sine
qua non à ce type de rééducation.
Après quelques définitions et considérations autour de l’évaluation de la
conscience phonologique et de capacités connexes, cet article tentera de préciser
dans quels cas la rééducation de la conscience phonologique paraît utile et en
quoi elle consiste.
♦ Définitions et éva l u ations
La conscience phonolo gique se définit comme « la capacité à identifier
les composants phonologiques des unités linguistiques et de les manipuler de
façon délibérée » (Gombert, 1990). Elle recouvre les capacités à repérer et
manipuler les unités sonores du langage, que ce soit la rime, la syllabe ou le
phonème, on parle alors pour ce dernier de conscience phonémique.
Il s’agit donc bien pour le sujet d’effectuer un traitement sur du matériel
entendu. Les consignes doivent donc être suffisamment claires et précises et ne
pas inciter à une représentation mentale écrite (par exemple, dans un exercice de
fusion, la consigne doit être : « tu mets [p] devant [apa] » et non : « tu mets
[pe] devant [apa] »).
La définition ci-dessus sous-entend qu’un travail de conscience phonologique implique obligatoirement :
- des capacités de discrimination auditive suffisantes.
Il s’agit bien de discriminer des sons sans avoir forcément conscience de
leur différence phonologique. Nous ne disposons malheureusement que de peu
d’outils d’évaluation standardisée de cette capacité (on peut citer l’EDP 4/8 de
Deltour qui n’est plus édité…).
170
texte 229
19/03/07
15:17
Page 171
- des capacités en mémoire de travail.
On dispose ici de davantage d’outils d’évaluation standardisée, qui ne
font pas forcément partie des batteries d’orthophonie mais plutôt des examens
psychologiques. Pour les orthophonistes des outils existent pour les enfants à
partir de 7 ans essentiellement (BELEC, L2MA, Exalang).
L’évaluation de la conscience phonologique reste encore assez difficile,
en raison du manque d’outils, ce qui est paradoxal face au développement
important des matériels de rééducation. Quelques outils existent cependant (La
conscience phonologique, BELEC, N-EEL, Exalang 5-8).
Au cours de la passation des tests, et suivant l’âge de l’enfant on tentera
d’observer si le sujet se sert d’une représentation mentale écrite. Par exemple
dans une tâche d’acronyme : « cachot ourson » : le sujet répond [ko] au lieu
de [kou]. Cette représentation est normale et attendue, chez l’enfant à partir du
CE2 / CM1, si l’écrit se développe bien. Mais elle doit céder grâce à l’entraînement du test, ou de nouvelles explications. Si ce n’est pas le cas, et chez l’enfant
de début primaire, ce comportement signe des difficultés de conscience phonologique, la représentation orthographique venant aider à la réalisation de la
tâche.
♦ A q u i s ’ a d resse un tra vail de conscience phonolo gique et quel est
s o n bu t ?
L’utilité du travail de conscience phonologique est reconnue pour la prévention et le traitement des difficultés d’apprentissage du langage écrit. On peut
étendre ce travail aux enfants présentant un retard de parole, dans une visée préventive par rapport à l’apprentissage du langage écrit, mais également pour
approfondir le travail sur la parole.
♦ C o n t e nu d u t ra vail en rééduca tion
Q u e l q u e s é l é m e n t s c o n c e rn a n t l e d é veloppement de la conscience
phonolo gique
Il est intéressant de suivre une certaine progression dans le travail, en
débutant là où en est l’enfant. Les données issues de l’observation du développement normal donnent quelques étapes clefs.
Les comportements épiphonologiques (vers 3 ans)
Apparaissant avant trois ans, ces comportements recouvrent tous les jeux
vocaux, les productions de rimes, les capacités à distinguer les sons de la langue
maternelle des autres sons linguistiques, les premières conduites de segmenta-
171
texte 229
19/03/07
15:17
Page 172
tion. On peut citer l’exemple d’un enfant de trois ans qui ajoute des [k] en fin de
mots pour créer des mots nouveaux : [gatok] pour gâteau, [batok] pour bateau.
« L’habileté épiphonologique serait le prérequis de la mise en place
d’une capacité métaphonologique. Ces conduites précoces ne semblent exiger
de l’enfant ni une attitude réflexive sur la composante phonologique du langage
ni la conscience de manipuler les éléments constitutifs de segments signifiants
de la chaîne parlée. Nous considérons que ce sont là des manifestations d’ordre
épiphonologique plus fondées sur des intuitions que sur une quelconque
réflexion » (Gombert, 1990). Il ne s’agit donc pas à proprement parler de
conscience phonologique, mais d’une étape permettant son développement.
En rééducation, nous pouvons donc solliciter l’enfant si besoin, pour
assurer la sensibilité à ces jeux fondamentaux, en utilisant des comptines comportant des rimes, des allitérations, jeux de segmentation …(on compte alors les
syllabes oralisées et non les syllabes écrites ! par exemple : « crocodile »
comporte 3 syllabes).
Les manipula tions de r imes (habituellement considérées comme possibles vers 4 ans)
On peut proposer des tâches de jugement, d’élimination d’intrus. Par
exemple dans la liste suivante, « quel est l’intrus ? : lapin / sapin / poupée /
copain ».
Dans ce domaine, il existe de nombreux outils pour la rééducation. A ce
niveau il s’agit de travailler sur des rimes syllabiques, et non sur les assonances
plus tardivement maîtrisées comme dans « poupée / bouée ».
La conscience syllabique qui permet la manipulation de syllabes (vers 5
ans), mais l’âge d’acquisition varie beaucoup en fonction du degré de difficultés
de la tâche à effectuer. De nombreux outils sont disponibles.
La conscience de l’intra-sylla be (vers 5 / 6 ans)
L’enfant est alors capable d’identifier plusieurs morceaux au sein de la
syllabe, mais sans pouvoir tout identifier pour autant. Il pourra identifier des
phonèmes essentiellement vocaliques, et peut être plus facilement après un
groupe consonantique qu’après une consonne seule, mais il ne sera pas encore
capable de scinder tous les phonèmes dans des syllabes de type CV et encore
moins CCV. Par exemple, il pourra scinder le mot « gros » en [gr ]/[o], mais
pas encore en [g]/[r ]/[o].
Cette étape très intéressante permet souvent l’accès à l’étape suivante de
conscience des phonèmes. En proposant à l’enfant de scinder les syllabes CCV
en CC/V pour identifier les phonèmes finaux, il accède à une conscience phoné-
172
texte 229
19/03/07
15:17
Page 173
mique des voyelles. Une fois l’identification réalisée, on peut alors réaliser la
transcription avec les graphèmes les plus courants et les repérer dans les mots.
Il n’existe pas de matériel spécifique pour cette étape, mais il est possible
de proposer la plupart des tâches employées pour les niveaux syllabiques ou
phonémiques. Par exemple :
- segmentation : « quels morceaux de mots, ou sons tu entends dans le mot
‘gros’ » ?
- inversion : « qu’entends-tu à la fin du mot ‘gros’ ? Mets ce son en premier,
qu’obtiens-tu ? » (tâche davantage réalisable à l’aide d’un support visuel)
- comparaison : « qu’entends-tu de pareil entre ces deux mots : ‘gros’ et
‘gras’ » ?
La conscience phonémique qui permet la manipulation des phonèmes
(qui se développe avec l’apprentissage du langage écrit).
Pour aider au passage de l’étape précédente à celle-ci, on peut proposer
des mots monosyllabiques à l’enfant pour l’obliger à préciser encore son analyse. Par exemple : « qu’entend-on dans chat ? : [ch]/[a] ». De nombreux
outils sont utilisables. Pour les enfants présentant un retard de parole, les premières étapes jusqu’à la manipulation syllabique suffisent.
En revanche pour les enfants présentant des difficultés d’acquisition du
langage écrit, il convient d’aller jusqu’aux manipulations phonémiques dans la
mesure du possible. On se centrera alors sur les tâches de segmentation, d’élision et de fusion phonémique qui seraient les principaux entraînements permettant d’améliorer les performances en lecture (Varin, 2005).
É t a b l i r l e l i e n e n t re l ’ o r a l e t l ’ é c r i t
Pour un travail visant l’amélioration de l’écrit, il faudra établir dès que possible le lien entre les unités sonores identifiées et les graphèmes correspondants,
qu’il s’agisse de syllabes ou de phonèmes. Ce lien peut être établi en voyant les
graphies correspondant aux sons identifiés (c'est-à-dire en « lecture » de syllabes
ou sons) et en écrivant également dès que possible par le biais du geste graphique.
En effet, les modèles génétiques de la lecture/écriture comme celui développé par
Uta Frith nous ont bien démontré les rythmes différents du développement de la
lecture et de l’écriture, l’un nourrissant l’autre et chacun à tour de rôle. Pour
la rééducation, nous pouvons donc passer par la lecture et aussi l’écriture.
Pour ce qui est d’établir les premiers liens entre le langage oral et écrit,
Monique Touzin propose un exercice intéressant, qui permet à l’enfant de comprendre que le langage écrit consiste en partie à écrire ce que l’on entend. Il
s’agit de mots écrits de longueurs variées que l’enfant ne sait pas lire et qu’il
doit associer au dessin.
173
texte 229
19/03/07
15:17
Page 174
Par exemple : « c rocodile » : le mot et l’animal sont longs ;
« escargot », « loup » : les mots ne sont plus en relation avec la taille de l’animal mais avec la longueur phonétique du mot entendu.
Ce type d’exercice permet à l’enfant de prendre du recul sur la langue et
d’amener à un travail de conscience phonologique concernant la longueur du mot.
Illustration 1 : longueur de mots
H i é r a rchiser les difficultés des opér a tions demandées
La nature des opérations de manipulation syllabique ou phonémique suit
également un gradient de difficultés qui serait dans l’ordre du plus simple au
complexe :
- reconnaissance d’un son cible : « est-ce que l’on entend [o] dans bateau /
joue ?... » ;
- catégorisation (rassembler selon un critère) : « mets ensemble tous les
mots qui commencent pareil : bateau / ballon / poupée » ;
- segmentation (découper en unités plus petite un matériel verbal) : « chat »
= [ch] / [a ] ;
- soustraction (identifier la place de l’élément à extraire, le supprimer pour
ne répéter que le reste de l’énoncé). Suivant la place de l’élément à ôter, la
difficulté de la tâche est différente. Il sera beaucoup plus facile de soustraire un élément final, qu’un élément débutant, le plus difficile étant de
manipuler l’élément central : « crocodile » : [kroko], [kodil], [krodil].
174
texte 229
19/03/07
15:17
Page 175
Selon Lecocq (1992) la suppression d’une syllabe initiale ou finale serait
réalisable par des enfants de 6 ans, alors que la suppression de la syllabe
médiane reste encore problématique jusqu’à 12 ans… La suppression phonémique en position finale et initiale serait possible vers 7 ans, mais plus tardivement en position médiane (un quart des enfants de 9 ans y parviendrait).
- fusion (unir des éléments distincts en une seule production) : [ch] / [a ] =
« chat »
S u p p o rts, aides à la rep r é s e n t a t i o n a u d i t ive
Les enfants qui n’ont pu développer par le seul canal auditif leur compétence en conscience phonologique profiteront des différents supports que l’on
pourra proposer, sous forme visuelle ou kinesthésique à chaque étape du développement de la conscience phonologique.
On peut utiliser facilement le canal visuel que ce soit pour représenter les
mots par des images, ou pour représenter les unités sonores à travailler.
• P our les syllabes on peut envisager de travailler avec des jetons d’une
taille et d’une forme bien précise et toujours identique, mais de couleurs différentes.
- Par exemple, « moto » peut être « écrit » avec un jeton rectangulaire bleu et
un autre rouge.
Illustration 2 : dénombrement syllabique
- Pour aider l’enfant à comparer les mots entendus, on peut garder dans certains
exercices les mêmes couleurs pour les syllabes identiques. Par exemple,
« entends-tu des morceaux de mots pareil : « taureau » / « moto » ? ». On aide
l’enfant à segmenter et à coder en même couleur les syllabes qu’il aura peut être
pu reconnaître.
Illustration 3 : syllabes identiques
175
texte 229
19/03/07
15:17
Page 176
- Les couleurs différentes permettent aussi de se repérer plus facilement
dans les tâches d’inversion. Par exemple : « je mets un jeton rouge et un jeton
vert pour le mot [pocha], si je mets vert / rouge quel mot j’obtiens ? ».
• P our le niveau de l’intra-syllabe, le groupe consonantique sera représenté par un jeton différent de la syllabe et du phonème.
Par exemple : « gros » peut être écrit avec un jeton carré vert pour [gr ]
et un jeton rond rouge pour [o].
Illustration 4 : mise en évidence du groupe consonantique
• Au nive a u p h o n é m i q u e, les gestes de Borel sont d’une aide précieuse.
Ils aident l’enfant notamment dans la saisie de l’ordre des sons.
Le réel travail de conversion graphème / phonème commencera à ce
niveau là. Par exemple le mot [churo] pourra être « écrit » avec quatre jetons
ronds de couleurs différentes, l’enfant pourra écrire en dessous de chaque rond
tous les graphèmes possibles correspondants au son identifié (« ch », « u »,
« r », « o » / « au » / « eau »).
ch
u
r
o
au
eau
Illustration 5 : conversion phonèmes / graphèmes
A l’oral, les tâches de fusion de sons et de segmentation seront importantes à entraîner puisqu’à l’écrit la tâche est plus ardue, l’évocation des graphies en orthographe se surajoutant.
176
texte 229
19/03/07
15:17
Page 177
♦ I m p o rtance de la média tion phonolo gique
De nombreux sujets présentant des difficultés d’acquisition du langage
écrit ont du mal à développer des mécanismes précis et fiables d’identification de
mots écrits. La médiation phonologique qui implique des capacités métaphonologiques, est une procédure souvent déficitaire chez ces sujets. L’impact de ces difficultés est double puisqu’elles pénalisent le sujet tant dans son « déchiffrage »
que dans la constitution de son lexique orthographique. En effet, la médiation
phonologique permet une autonomie puisque le sujet qui l’utilise avec efficacité
peut lire seul. Les confrontations avec l’écrit peuvent alors être nombreuses, les
erreurs de lecture pour des mots peu consistants sont corrigées par la compréhension du texte pour les sujets qui le peuvent, ce qui nourrit le lexique orthographique. Son importance est donc conséquente dans l’apprentissage. Le développement de cette procédure constitue souvent un objectif de rééducation. Mais
celui-ci ne peut être atteint sans un travail de conscience phonologique.
♦ Exemple d’une séance de rééduca t i o n p o u r u n e n f a n t a yant des dif ficultés d’accès à la conscience phonémique , et à la conve r sion g r a p h è m e / phonème.
• Se g m e n t ation syllab i q u e :
Combien de morceaux de mots entends-tu dans [picruta] ? trois.
Est-ce que tu entends des morceaux de mots pareils ? non
Alors place trois jetons rectangulaires de couleurs différentes.
• Élisions sylla b i q u e s
J’enlève le dernier jeton, quel mot reste-t-il ? [picru]
J’enlève le premier jeton, quel mot reste-t-il ? [cruta]
J’enlève le jeton du milieu, quel mot reste-t-il ? [pita]
Le travail avec les jetons de couleurs aide l’enfant à se repérer et à effectuer ces
manipulations de syllabes. On pourra également entraîner l’enfant ensuite, sans
ce support de jetons.
• I nve r sions sylla biq ue s
Pour des enfants jeunes ou en difficultés, on effectuera plutôt ces inversions
avec des mots bisyllabiques. Il sera beaucoup plus motivant et amusant pour
l’enfant de trouver un vrai mot après avoir effectué son inversion.
Je ga rde le mot [pita]. Tu l’as écrit avec un jeton rouge et un jeton vert.
Comment s’appelle le jeton rouge ? [pi]
Comment s’appelle le jeton vert ? [ta]
Si je les mets dans cet ordre le jeton vert d’abord, puis le jeton rouge, quel mot
obtient on ? [tapi].
177
texte 229
19/03/07
15:17
Page 178
• A n a l yse en semi-sylla b e s o u e n p h o n è m e s
Suivant les difficultés de l’enfant à analyser les groupes consonantiques on peut
passer par cette phase intermédiaire qui consiste à séparer le groupe consonantique et la voyelle suivante.
Reprenons le mot de départ, tu t’en souviens ? [picruta].
Tu as mis un jeton rouge d’abord, comment s’appelle t’il ? [pi]
Dans ce morceau de mot quels sons entends-tu ? [p], [i]
Mets des jetons ronds en dessous du rectangle rouge, un pour [p] et un pour [i]
Comment peut on écrire le son [p] ? et le son [i] ? Existe-t-il plusieurs lettres
qui fassent ce bruit ?
Comment s’appelle le morceau de mot suivant ? [cru]
Qu’est ce que tu entends dans cru ? [cr], [u]
D’accord, place un carré et un rond sous le rectangle
p
i
y
c
k
q
r
u
t
a
Illustration 6 : analyse en composants phonémiques
C’est à cette étape que l’on abordera la conversion graphème / phonème,
en proposant à l’enfant d’écrire en dessous de chaque jeton rond, tous les graphèmes possibles correspondants aux sons. Si l’enfant ne peut arriver à ce degré
d’analyse, on pourra tout de même lui proposer la correspondance avec les syllabes ou semi-syllabes écrites.
Ce travail permet également de parler de la fréquence d’emploi des graphies (le « q » ne s’emploie pas en français avant un « r », on écrira plus souvent [kr] « cr ».
178
texte 229
19/03/07
15:17
Page 179
On peut également envisager de commencer tout de suite la segmentation
en phonèmes pour les enfants qui le peuvent, mais il est souvent intéressant de
repasser par l’étape de la syllabe souvent assez accessible. Elle aide à la mémorisation du mot, et à circonscrire la difficulté notamment pour les mots comportant des groupes consonantiques
Par exemple quand le mot « carton » est transcrit « catron ».
Combien de morceaux de mots entends-tu dans le mot carton ? deux
Mets deux jetons. Comment s’appelle le premier ? [car]
Quels sons entends-tu dans « car » ?
♦ C o n c lusion
Pour plus d’efficacité dans la rééducation de la conscience phonologique,
il est souhaitable de bien cerner le niveau de l’enfant, en acceptant de ne pas travailler d’emblée au niveau phonémique. Le simple travail de manipulation syllabique aide déjà les enfants à mieux se repérer et à établir des liens avec l’écrit.
Rien ne sert de proposer un travail sur la conversion graphème / phonème si
l’enfant ne peut analyser en sons les mots qu’il entend. Les nombreux matériels
ludiques qui existent serviront souvent après une phase d’analyse et de manipulation avec un support comme celui des jetons. La durée et la fréquence de ce
type de travail dépendent bien sûr de l’enfant, mais souvent il dure une dizaine
de minutes, et doit être répété fréquemment (une fois par séance hebdomadaire
étant sans doute le minimum).
REFERENCES
BERTIN, G., RETAILLEAU, I. (1997). Lien dyslexie-dysphasie. Approche rééducative de la conscience
phonologique auprès d’une enfant dysphasique. Mémoire d’orthophonie. Lyon. Collectif d’auteurs sous la direction de M. TOUZIN. (1999). La conscience phonologique. Rééducation orthophonique, 197.
GOMBERT, J.E. (1990). Le développement métalinguistique. Paris : PUF.
LECOCQ, P. (1992). Lecture, apprentissage, troubles. Lille. PUL
SPRENGER-CHAROLLES, L., BECHENNE, D., LACERT, P. (1998). Place et rôle de la médiation
phonologique dans l’acquisition de la lecture/écriture en français. Revue française de pédagogie,
122. 51-67.
TOUZIN. (Eds). L’état des connaissances - Livret 4 : Langage écrit. Paris : Signes Éditions.
VARIN, C. (2005). La rééducation de la conscience phonologique. In C. BILLARD, M.
179
texte 229
19/03/07
15:17
Page 180
R É F É R E N C E S P O U R L E M AT É R I E L E T L E S T E S T S
BELEC : MOUSTY P. and coll. (1994) Laboratoire de Psychologie Expérimentale. Université Libre de
Bruxelles.
Exalang 5-8 : THIBAULT M.P., HELLOIN M.C., CROTEAU B. Motus
La conscience phonologique : test, éducation et rééducation : DELPECH D., GEORGE F., NOK E.
(2001). Solal
L2MA : CHEVRIE-MULLER C, SIMON A.M., FOURNIER S. (1997). ECPA
N-EEL : CHEVRIE-MULLER C., PLAZA M. (2001). ECPA
Gerip : 3 rue Emile 42100 Saint Etienne
Librairie Mot à Mot : 5 rue Dugommier 75012 Paris
Ortho Édition : 76-78 rue Jean Jaurès 62330 Isbergues
180
texte 229
19/03/07
15:17
Page 181
L'étude comparative de la perception de la
parole : nouveaux développements 1
Franck Ramus
Résumé
Le langage est le propre de l'homme. Cela implique-t-il que l'ensemble des capacités langagières ont évolué spécifiquement pour le langage et uniquement chez l'être humain ? Ou
se pourrait-il qu'une partie de ces capacités soient plus générales et communes à d'autres
espèces ? Nous présentons des travaux abordant ces questions à propos des premières
étapes de la perception de la parole. Des expériences ont été menées en parallèle sur des
nouveau-nés humains et sur des singes tamarins pour évaluer et comparer leur aptitude à
distinguer des langues. À l'aide d'une procédure d'habituation, nous montrons que les deux
populations sont capables de distinguer le néerlandais du japonais, sans exposition préalable. De plus, cette capacité est affectée lorsque la parole est jouée à l'envers, aussi bien
chez le tamarin que chez le nouveau-né. Ces résultats suggèrent qu'au moins certains
aspects de la perception de la parole ne sont pas nécessairement spécifiques à la parole et
à l'humain, mais découlent de propriétés plus générales du système auditif des primates.
Mots clés : parole, langage, prosodie, perception auditive, évolution, nouveau-nés, primates.
A comparative study of speech perception: recent developments
Abstract
Language is unique to man. Does it mean that language skills specifically evolved for language and exclusively in human beings? Or is it possible that some of these skills are more
general and shared by other species? This article presents work dealing with these issues,
as applied to the first stages of speech perception. Experiments were conducted on human
newborn babies and on tamarind monkeys, in order to assess and compare their ability to
distinguish languages. Using a procedure of habituation, we demonstrate that both populations are able to distinguish Dutch and Japanese languages, with no prior exposure. Moreover, this ability is altered when speech is played backwards, in both tamarind monkeys and
newborn babies. These results suggest that at least some aspects of speech perception are
not necessarily specific to speech and to human beings, but derive from more general properties of the primate auditory system.
Key Words : speech, language, prosody, auditory perception, evolution, newborn babies,
primates
1. Cet article est une version adaptée et mise à jour de Ramus, F. (2000). L'étude comparative de la perception
de la parole : développements récents. P rimatologie, 3, 421-444.
Rééducation Orthophonique - N° 229 - mars 2007
181
texte 229
19/03/07
15:17
Page 182
Franck RAMUS
Laboratoire de Sciences Cognitives
et Psycholinguistique
(EHESS/CNRS/DEC-ENS)
LSCP, ENS
46 rue d’Ulm
75005 Paris
Courriel : [email protected]
L
'étude de l'apprentissage du langage par l'enfant nécessite, entre autres,
de spécifier comment se forment les représentations linguistiques. Sur la
base d'un nombre croissant de résultats, il est généralement admis qu'à la
naissance l'enfant dispose de représentations linguistiques universelles, qui se
spécialisent progressivement pour les sons de sa langue maternelle (Werker &
Tees, 2005). L'étude de la perception de la parole chez le nouveau-né montre
que les représentations linguistiques initiales, si elles ne sont pas spécifiques à
une langue particulière, sont néanmoins remarquablement bien adaptées aux
propriétés de la parole (2). Leur extrême précocité rend de plus très probable
qu'elles soient innées. Une question subsidiaire à celle de l'innéité est celle de la
spécificité au langage : les capacités perceptives du nouveau-né sont-elles dues à
l'évolution particulière de l'espèce humaine, qui les auraient sélectionnées spécialement pour analyser la parole, ou s'agit-il de capacités générales du cerveau,
et notamment du système auditif, exploitées entre autres dans la perception de la
parole ?
Pour répondre à cette question, Patricia Kuhl a proposé une démarche originale, consistant à tester ces mêmes capacités de perception de la parole sur des
animaux :
« Lorsque les humains perçoivent la parole, nous pensons qu'ils utilisent
les niveaux de traitement à la fois auditif et phonétique. Cependant, il est difficile de distinguer les deux niveaux, à la fois sur le plan théorique et sur le plan
expérimental. Nous ne savons pas quels effets attribuer au niveau auditif et lesquels attribuer au niveau phonétique. Un modèle animal est utile parce qu'il
résout ce problème. Si l'espèce animale est choisie convenablement (Kuhl,
1979a), elle peut fournir un bon modèle du niveau de traitement auditif de
l'homme, en l'absence de tout traitement de haut niveau (phonétique). L'avan2. Par exemple, les nouveau-nés semblent percevoir les syllabes comme des unités pertinentes, par rapport à
d'autres séquences de phonèmes (Bertoncini, Floccia, Nazzi, & Mehler, 1995; Bertoncini & Mehler, 1981;
Bijeljac-Babic, Bertoncini, & Mehler, 1993
182
texte 229
19/03/07
15:17
Page 183
tage est assez évident : l'animal reflète ce qui est naturel pour le système de traitement auditif, lorsque les influences du niveau phonétique sont éliminées et
que seules restent les influences du niveau auditif » (Kuhl, 1979a, p. 360, traduction libre).
Cette démarche a engendré un vaste champ de recherches qui a permis
d'éclairer la perception phonétique sous un jour nouveau. Nous allons tout
d'abord en rappeler les principaux résultats, puis nous présenterons de nouvelles
expériences élargissant cette approche à de nouveaux aspects de la perception
de la parole.
♦ É t u d e s c o m p a ra tives de la perce p t i o n p h o n é t i q u e
Dans les tous débuts de la recherche sur la perception de la parole, a été mis
en évidence un phénomène remarquable : la perception catégorielle (Liberman,
1957). On observe typiquement ce phénomène dans le protocole suivant. Deux
syllabes sont choisies, ne différant que par un trait phonétique (par exemple [da]
et [ta], qui ne diffèrent que par leur VOT 3), et une série de syllabes intermédiaires
sont synthétisées en faisant varier régulièrement les paramètres physiques responsables de la différence (ici, le VOT). À l'écoute des syllabes intermédiaires entre
[da] et [ta], les sujets ont tendance à les assimiler à l'une ou à l'autre, comme s'il
existait une frontière phonétique au passage de laquelle la perception change de
manière radicale et non linéaire. De plus, dans les tâches de discrimination, les
sujets discriminent beaucoup moins bien les syllabes situées du même côté de la
frontière que celles situées de part et d'autre, à distance acoustique égale. Ainsi,
contrairement à d'autres domaines de la perception auditive, la perception phonétique n'est pas linéaire et continue, mais « catégorielle ». Cette découverte a
conduit à supposer que la parole était « spéciale » (Liberman, 1982), et par conséquent nécessitait des mécanismes de traitement spécifiques. Cette supposition a
été renforcée par la découverte de la perception catégorielle chez des nourrissons
d'un mois, ce qui a de plus suggéré que cette capacité spécifique à la parole était
innée (Eimas, Siqueland, Jusczyk, & Vigorito, 1971).
Pour tester si la perception catégorielle requiert réellement des mécanismes de traitement spécifiques à la parole, Kuhl & Miller (1975) ont testé des
chinchillas 4. Ils ont entraîné les chinchillas à reconnaître deux exemplaires
extrêmes de [da] et [ta] (de VOT respectivement 0 et 80 ms), en utilisant une
procédure de conditionnement : lorsque les animaux entendaient l'une des deux
syllabes, ils devaient changer de côté dans la cage, sinon ils recevaient un léger
3. Voice-Ouest Time : le temps entre l’explosion de la consonne et le début du voisement.
4. Le chinchilla est un rongeur vivant en Amérique du Sud.
183
texte 229
19/03/07
15:17
Page 184
choc électrique. Lorsqu'ils entendaient l'autre syllabe, ils devaient rester sur
place, et étaient alors récompensés par un peu d'eau à boire. Après plusieurs
mois d'entraînement, ils sont arrivés à des performances de discrimination supérieures à 96%. Ils ont alors été testés sur les syllabes de VOT intermédiaires
entre [da] et [ta]. Il est apparu que leurs scores d'identification de ces syllabes
intermédiaires étaient les mêmes que ceux de sujets humains. Ainsi, non seulement les chinchillas ont exhibé de la perception catégorielle sur le continuum
[da]-[ta], mais celle-ci est organisée autour de la même frontière phonétique que
les humains (un VOT d'environ 35 ms). 5
D'autres expériences ont généralisé ces résultats à d'autres contrastes phonétiques, et ont pris en compte d'autres phénomènes. Notamment, la frontière
phonétique correspondant au voisement n'est pas toujours au même endroit
selon le lieu d'articulation : ainsi, la frontière entre [ba] et [pa] correspond à un
VOT de 25 ms, alors que celle entre [ga ] et [ka] correspond plutôt à 45 ms. En
employant la même méthode que ci-dessus, Kuhl & Miller (1978) ont montré
que les chinchillas percevaient les continuums [ba]-[pa] et [ga ]-[ka] de la même
manière que les humains, avec la frontière phonétique au même endroit. Ainsi,
la frontière phonétique correspondant au voisement se déplace selon le contexte,
de la même manière que chez l'humain.
Kuhl (1981) s'est également intéressée à la discrimination par les chinchillas de paires de syllabes sur le continuum [da]-[ta]. Elle a trouvé que
comme chez l'humain, la discrimination était maximale de part et d'autre de la
frontière phonétique, et beaucoup plus difficile au sein des catégories phonétiques. De tels résultats ont été répliqués chez le macaque, à la fois pour des
contrastes de voisement (Kuhl & Padden, 1982) et pour des contrastes de lieu
d'articulation (Kuhl & Padden, 1983).
Ces expériences ont engendré un domaine de recherches devenu trop
vaste pour être traité ici exhaustivement. Notons simplement que des résultats
tout aussi intéressants ont également été obtenus sur des animaux plus éloignés
sur le plan phylogénétique, comme la caille (Kluender, Diehl, & Killeen, 1987)
ou la perruche (Dent, Brittan-Powell, Dooling, & Pierce, 1997).
De manière générale, ces expériences ont montré qu'il n'est pas nécessaire
de postuler des mécanismes qui auraient évolué spécifiquement pour le langage
pour expliquer les principaux aspects de la perception phonétique. Il s'agit bien
sûr de la toute première étape du traitement de la parole, et il reste probable qu'à
un certain niveau de traitement plus élaboré, des mécanismes spécifiques sont
bel et bien nécessaires (cf. par exemple l'effet d'« aimant perceptif », Kuhl,
5. Voir également Morse & Snowdon (Morse & Snowdon, 1975) pour un résultat comparable sur des macaques.
184
texte 229
19/03/07
15:17
Page 185
1991). Le tout est de savoir à quel niveau précisément les mécanismes spécifiques entrent en jeu. C'est dans ce but qu'a été réalisée la série d'expériences
que nous présentons maintenant.
♦ P e rce p t i o n p rosodique par le nouve a u - n é h u m a i n
Si la perception phonétique est naturellement considérée comme la première étape de traitement de la parole, dans la mesure où elle concerne les unités élémentaires de parole, une autre étape de traitement tout aussi primitive et
fondamentale est la perception prosodique. Le terme prosodie englobe l'ensemble des aspects suprasegmentaux de la parole, c'est-à-dire la syllabe, l'accent
tonique, les tons, le rythme et l'intonation. Tout comme la phonétique, la prosodie fournit de l'information utile aux étapes ultérieures de traitement, notamment la reconnaissance des mots et l'analyse syntaxique de la phrase. Les différents modèles de l'acquisition du langage reposent de plus sur la prosodie pour
initialiser l'apprentissage des mots et de la syntaxe. Cette hypothèse est compatible avec de nombreuses expériences qui ont montré une grande sensibilité des
nourrissons à la prosodie.
Cette sensibilité se manifeste notamment dans des tâches de discrimination de langues. Il a en effet été montré que le nouveau-né, dès les premiers
jours de vie, est capable de distinguer par exemple le français du russe, l'anglais
de l'italien (Mehler et al., 1988), l'anglais de l'espagnol (Moon, Cooper, &
Fifer, 1993), l'anglais du japonais (Nazzi, Bertoncini, & Mehler, 1998) ou
encore le néerlandais du japonais (Ramus, Hauser, Miller, Morris, & Mehler,
2000), sans être nécessairement familier avec aucune de ces langues. Néanmoins, certaines langues sont trop proches pour être discriminées, comme l'anglais et le néerlandais (Nazzi et al., 1998). Dans quel sens sont-elles plus
proches que les paires de langues précédemment citées ? Il semble qu'il s'agisse
de leurs propriétés rythmiques. Les linguistes ont en effet classifié les langues
en trois classes selon leur propriétés rythmiques : les langues accentuelles,
parmi lesquelles le russe, l'anglais et le néerlandais, les langues syllabiques,
parmi lesquelles le français, l'italien et l'espagnol, et les langues moraïques,
parmi lesquelles le japonais. Ainsi, les expériences menées sur le nouveau-né
peuvent être interprétées comme montrant que celui-ci discrimine les langues si
elles appartiennent à des classes rythmiques différentes, mais pas si elles appartiennent à la même classe (comme l'anglais et le néerlandais) 6.
Si l'hypothèse de la discrimination par le rythme est compatible avec les
résultats obtenus, elle n'est cependant pas la seule possible. En effet, de nom6. Nous disposons également de résultats non publiés montrant que les nouveau-nés ne discriminent pas l'espagnol du catalan, ces langues étant toutes deux syllabiques.
185
texte 229
19/03/07
15:17
Page 186
breux indices acoustiques et linguistiques sont présents dans la parole, et d'autres
indices que le rythme pourraient également rendre compte des données empiriques connues. Ce problème a été abordé par le passé en filtrant la parole (passebas, seuil à 400 Hz). Supprimer les fréquences élevées du signal de parole a pour
effet d'éliminer l'information phonétique et par conséquent de bloquer l'accès au
lexique et à la syntaxe. La prosodie, cependant, est largement préservée par le filtrage. Certaines des expériences rapportées ci-dessus ont en fait été réalisées avec
des phrases filtrées (Mehler et al., 1988 ; Nazzi et al., 1998), réduisant ainsi
l'éventail des interprétations possibles : l'information prosodique est suffisante
pour que le nouveau-né discrimine les langues. Récemment, nous avons essayé
de déterminer le rôle respectif des deux composantes principales de la prosodie,
le rythme et l'intonation. Nous avons notamment montré que lorsque des phrases
néerlandaises et japonaises sont resynthétisées de manière à préserver leurs propriétés rythmiques, mais pas leur intonation, les nouveau-nés sont encore
capables de distinguer les deux langues (Ramus, 2002). L'hypothèse de la discrimination par le rythme s'en trouve donc renforcée.
Tout comme la perception catégorielle des phonèmes, la perception de la
prosodie, et notamment du rythme, fait donc probablement partie des capacités
innées de base de l'être humain qui se manifestent dès la naissance. Il est dès
lors légitime de se poser à propos de la perception prosodique une question
identique à celle que Patricia Kuhl s'est posée à propos de la perception phonétique. S'agit-il d'une capacité qui a évolué spécifiquement pour les besoins de la
perception de la parole et de l'acquisition du langage, ou s'agit-il d'une capacité
plus générale du système auditif ?
Une manière d'aborder la question consiste à se demander si la perception
prosodique est généralisable à des sons différents de la parole. C'est ce qu'ont
fait Mehler et coll. (1988), en retestant la discrimination français / russe sur le
nouveau-né en jouant les phrases à l'envers : ils ont trouvé que la discrimination
n'était plus possible dans ces conditions. La parole jouée à l'envers a bien
entendu des propriétés spectrales et temporelles très proches de la parole normale, mais certains sons de la parole ont un profil énergétique asymétrique par
rapport au temps. Il semble donc que la perception prosodique soit sensible à
ces aspects particuliers de la parole 8.
Nous avons répliqué ce résultat sur deux nouvelles langues, le néerlandais
et le japonais. Les phrases ont été resynthétisées en subissant une transformation
particulière appelée saltanaj (Ramus & Mehler, 1999) : le répertoire de pho8. D'autres expériences ont par ailleurs montré que la parole à l'envers n'active pas les mêmes zones du cerveau que la parole à l'endroit, même si cette dernière est dans une langue inconnue (Neville & Mills, 1997;
Perani et al., 1996).
186
texte 229
19/03/07
15:17
Page 187
nèmes est appauvri, les fricatives étant remplacées par /s/, les voyelles par /a/,
les liquides par /l/, les occlusives par /t/, les nasales par /n/ et les semi-voyelles
par /j/. Cependant, les durées des phonèmes, ainsi que l'intonation de chaque
phrase sont fidèlement reproduites, préservant ainsi leurs propriétés
prosodiques 9. Ces phrases ont été présentées à des nouveau-nés français suivant
la procédure d'habituation : pendant une première phase les bébés entendent les
phrases prononcées par 2 locutrices de l'une des langues puis, lorsque leur intérêt pour les stimuli commence à faiblir, ils passent à des phrases prononcées par
2 nouvelles locutrices, soit dans la même langue (groupe contrôle), soit dans
l'autre langue (groupe expérimental). La réaction des bébés face aux stimuli est
mesurée par leur nombre de succions par minute sur une tétine fermée, chaque
succion de grande amplitude déclenchant une phrase. Consécutivement au changement, une augmentation significative des succions pour les bébés du groupe
expérimental par rapport à ceux du groupe contrôle indique que les premiers ont
discriminé les deux langues, indépendamment des différences entre locutrices 10.
Trente-deux nouveau-nés âgés de deux à cinq jours ont été exposés aux phrases
jouées à l'endroit, et ont effectivement discriminé les deux langues. Trente-deux
autres nouveau-nés ont été testés sur les mêmes phrases jouées à l'envers, et
n'ont montré aucune réaction au changement de langue (Ramus et al., 2000).
Les raisons pour lesquelles le nouveau-né humain ne traite pas la parole à
l'envers de la même manière que la parole à l'endroit ne sont pas encore élucidées. Plusieurs hypothèses sont envisageables. Une première hypothèse est que
l'être humain possède, dès la naissance, un filtre dans les entrées auditives qui
aiguille les sons de parole vers les étapes supérieures du traitement linguistique,
ce qui éviterait d'inonder les processus linguistiques d'une multitude de bruits
non pertinents. Ce filtre devrait opérer sur la base de propriétés spectrales et/ou
temporelles caractéristiques de la parole. Une autre hypothèse fait l'économie
d'un filtre, mais suppose que c'est l'extraction du rythme de la parole qui repose
sur certaines propriétés spécifiques. Par exemple, un modèle de l'extraction du
rythme repose sur la segmentation de la parole en consonnes et voyelles
(Ramus, Nespor, & Mehler, 1999) ; cette segmentation pourrait être altérée si
certaines consonnes ne sont pas reconnues comme telles lorsque la parole est
jouée à l'envers. Un autre modèle de la perception du rythme repose explicitement sur les profils d'énergie acoustique des syllabes (Howell, 1988 ; Morton,
Marcus, & Frankish, 1976), et ceux-ci sont susceptibles d'être altérés lorsque la
9. Des exemples de stimuli sont disponibles à l'adresse Internet suivante :
http://www.lscp.net/persons/ramus/resynth/ecoute.htm
10. L'utilisation de plusieurs locutrices par langue et la comparaison avec le groupe contrôle permet donc de
montrer que la discrimination de langues ne se réduit pas à une discrimination de voix.
187
texte 229
19/03/07
15:17
Page 188
parole est jouée à l'envers. Le point commun de ces deux hypothèses est qu'elles
supposent que le nouveau-né exploite des propriétés du signal spécifiques à la
parole humaine, et que ces propriétés sont altérées lorsque la parole est jouée à
l'envers. Le traitement différentiel par le nouveau-né de la parole normale et de
la parole à l'envers constitue donc un argument en faveur de la spécificité, suggérant que l'appareil perceptif du nourrisson est finement adapté aux propriétés
de la parole, du moins en ce qui concerne la perception prosodique.
Les autres espèces animales n'ont, bien sûr, aucune raison d'avoir des capacités perceptives spécifiques aux propriétés de la parole humaine. Elles ont, en
revanche, des capacités auditives qui peuvent être remarquables, et qui sont éventuellement adaptées à leurs propres vocalisations (Ghazanfar & Hauser, 1999). En
l'absence de données sur la perception prosodique par d'autres espèces, les prédictions restent ouvertes. On pourrait prédire que d'autres espèces seraient incapables
de discriminer le néerlandais du japonais, mais on pourrait tout aussi bien prédire
le contraire : certaines espèces pourraient tout à fait être sensibles aux aspects
rythmiques et/ou mélodiques des signaux sonores. Dans ce cas, on pourrait de
plus prédire que, pour des organismes qui ne sont pas spécifiquement adaptés à la
parole, la discrimination devrait être aussi facile à l'envers qu'à l'endroit. Les expériences qui suivent visent à tester ces prédictions.
♦ D i s c r i m i n a t i o n d e l a n g u e s p a r d e s t a m a r ins
Nos expériences sur les singes ont été planifiées simultanément avec les
expériences correspondantes chez le nouveau-né, l'idée étant de comparer directement le comportement des nouveau-nés et des singes dans des expériences
similaires et sur des stimuli identiques. Les expériences décrites ci-dessous ont
été réalisées avec la collaboration de Marc Hauser, Cory Miller et Dylan Morris,
au Primate Cognitive Neuroscience Laboratory, Harvard University (Ramus et
al., 2000).
Discr i m i n a t i o n n é e rlandais / ja p o n a i s , à l ' e n d roit et à l'enve r s
Avant d'utiliser la parole resynthétisée, nous avons préféré faire une première série d'expériences avec de la parole naturelle, préservant ainsi le maximum d'indices pour la discrimination. Nous avons donc utilisé les mêmes
phrases que celles utilisées avec les nouveau-nés, dans leur version originale,
puis jouées à l'envers. Les sujets étaient 13 tamarins « cotton-top » (saguinus
oedipus oedipus), adultes, nés en captivité, et résidant au Primate Cognitive
Neuroscience Laboratory.
• Stim uli
Les phrases ont été extraites du corpus multilingue du LSCP (Nazzi,
1997 ; Nazzi et al., 1998). Elles ont été lues par quatre locutrices natives du
188
texte 229
19/03/07
15:17
Page 189
néerlandais, et quatre du japonais. Cinq phrases par locutrices ont été choisies,
constituant un total de vingt phrases par langues. Les phrases choisies étaient
appariées en nombre de syllabes et en durée.
• Méthode
Nous avons utilisé une procédure d'habituation / déshabituation similaire
dans son principe à celle utilisée sur les nouveau-nés, mais en prenant comme
mesure expérimentale l'orientation du regard plutôt que la succion.
Huit conditions ont été obtenues par le croisement des facteurs groupe
(contrôle / expérimental), stimuli (endroit / envers) et langue d'habituation
(néerlandais / japonais). Dû au faible nombre de sujets, chacun a participé à 4
conditions différentes (groupe x stimuli), et ils ont été répartis en deux groupes
pour contrebalancer la langue d'habituation. L'ordre de passage des conditions a
été contrebalancé à travers les sujets.
Le test se déroule dans une cabine isolée du reste de la colonie. Le tamarin est installé dans une cage au-dessus de laquelle, dans un coin, se trouve un
haut-parleur dissimulé. Le test est filmé par une caméra vidéo qui englobe toute
la cage dans son champ. Deux expérimentateurs suivent le déroulement du test
sur un moniteur situé à l'extérieur de la cabine.
Le principe est qu'à la diffusion d'une phrase par le haut-parleur, le
tamarin se retourne et regarde dans cette direction. Puis, rien de nouveau ne se
passant, il reprend son activité (qui consiste à explorer la cage). À force de
diffuser des phrases, le tamarin s'habitue, et ne se retourne plus vers le hautparleur. Si on diffuse alors une phrase dans une nouvelle langue, va-t-il se
déshabituer et se retourner à nouveau ? Si c'est le cas, on aura une bonne indication que le tamarin a décelé une différence entre cette langue et celle à
laquelle il s'était habitué.
Un essai est lancé par l'expérimentateur à un moment où le tamarin
regarde vers le bas et n'est pas face au haut-parleur. L'essai consiste en la diffusion d'une phrase. Une réponse positive de la part du singe consiste à s'orienter
vers le haut-parleur avant la fin de la diffusion de la phrase (environ 3
secondes). Le début et la fin de l'orientation vers le haut-parleur sont codés en
temps réel par l'expérimentateur. Si le tamarin ne s'oriente pas vers le haut-parleur, ou s'oriente après la fin de la phrase, la réponse est codée comme négative.
Lorsqu'une orientation est ambiguë, il n'est pas tenu compte de l'essai pour le
critère d'habituation.
Pendant la phase d'habituation, les phrases correspondant à la condition
sont diffusées dans un ordre aléatoire, comme pour les bébés. Le critère d'habituation est atteint lorsque le singe ne s'oriente pas vers le haut-parleur lors de
deux essais consécutifs. Il est alors « habitué » aux stimuli. Deux phrases d'ha-
189
texte 229
19/03/07
15:17
Page 190
bituation au minimum doivent également avoir été entendues (et suivies d'une
orientation vers le haut-parleur) pour que le critère soit atteint.
La phase de test consiste en deux essais, diffusant chacun une phrase de
test. Seul le premier essai de test est pris en compte pour déterminer si le singe
s'est déshabitué ou pas. Dans l'éventualité où le singe ne réagit pas au cours du
premier essai de test, un essai de post-test est lancé : il consiste en la diffusion
d'un cri long de tamarin 11. Le post-test sert à vérifier si le tamarin ne s'est pas
habitué, non seulement aux stimuli d'habituation, mais à toute la session expérimentale. S'il ne réagit pas au post-test, on considère donc qu'il n'était pas en état
de réagir aux stimuli de test, et les résultats de cette session sont rejetés.
Lorsque l'orientation vers le haut-parleur est ambiguë pour l'une des deux
phrases de test ou pour le post-test, les résultats sont également rejetés. Après la
session, les essais de test sont recodés par deux observateurs d'après la bande
vidéo, sans connaître la condition expérimentale.
• Résulta ts
La Figure 1 donne le nombre de sujets ayant répondu positivement et
négativement au premier essai de test, en fonction du type de stimuli (à l'endroit
ou à l'envers), et du type de changement (de langue ou de locutrices).
Figure 1 : Discrimination néerlandais / japonais par les tamarins, en parole
naturelle à l'endroit et à l'envers. Adapté de Ramus et al. (2000).
11. Il s'agit d'un cri servant à établir le contact entre les individus.
190
texte 229
19/03/07
15:17
Page 191
Dans la condition changement de langue à l'endroit, 10 tamarins sur 13 se
sont déshabitués, ce qui est significativement différent du hasard (p<0.05 par un
test binomial). Mais comme pour les nouveau-nés, cela ne signifie rien si l'on ne
prend pas en compte le groupe contrôle, qui ne changeait que de locutrices.
Dans ce groupe, une majorité de tamarins ne s'est pas déshabituée. La différence
entre les deux groupes est significative (χ2=3.94, p < 0.05), montrant que les
tamarins se sont plus déshabitués au changement de langues qu'au changement
de locutrices. On peut donc en conclure que les tamarins ont discriminé le néerlandais du japonais.
En revanche, dans les conditions où les phrases étaient jouées à l'envers,
la situation est tout à fait différente : une majorité de tamarins ne s'est pas
déshabituée au changement de langue, mais s'est déshabituée au changement de
voix, sans que la tendance soit significative. De plus il n'y a pas de différence
entre le changement de langue et le changement de voix (χ2=1.38, p > 0.25). Les
tamarins n'ont donc pas discriminé les deux langues lorsque les phrases étaient
jouées à l'envers.
• Discussion
L'expérience ci-dessus nous apporté deux résultats remarquables. Le premier, c'est que des animaux ayant un système auditif comparable au nôtre, les
tamarins, peuvent discriminer deux langues comme le néerlandais et le japonais.
Ceci suggère que l'aptitude du nouveau-né à distinguer les langues pourrait
reposer sur des capacités auditives générales, non spécifiques au langage.
Le deuxième résultat remarquable, c'est que cette capacité des tamarins à
discriminer les langues ne se maintient pas lorsque les phrases sont jouées à
l'envers. Ceci suggère que nous devons expliquer le même comportement chez
le nouveau-né sans postuler un traitement spécifique à la parole.
Bien entendu, on aimerait pouvoir préciser comment le tamarin est parvenu à distinguer le japonais du néerlandais. Peut-être y parvient-il par des
moyens très différents de ceux du nouveau-né, auquel cas il y aurait peu de
conclusions à en tirer en ce qui concerne la capacité du nouveau-né. Une expérience supplémentaire a été conduite avec de la parole resynthétisée comme
pour le nouveau-né, mais n’a pas abouti à des résultats concluants. Nous avons
donc été conduits à revenir à la parole naturelle et à élargir plutôt l’éventail des
langues considérées.
Discrimination polonais / japonais et anglais / néerlandais, à
l ’ e n d roit et à l’enve rs
Compte tenu de petit nombre de sujets testés dans les expériences ci-dessus, il était légitime de s’interroger sur la fiabilité des résultats, et donc de tenter
de les répliquer. C’est ce qui a été fait lors d’une nouvelle étude sur 17 tamarins
191
texte 229
19/03/07
15:17
Page 192
(Tincoff et al., 2005). Cette fois deux nouvelles paires de langues ont été testées
: deux langues de classes rythmiques différentes (Polonais/Japonais), et deux
langues de même classe rythmique (Anglais/Néerlandais). Lors de différentes
sessions, elles ont été jouées à nouveau soit à l’endroit, soit à l’envers. Les
phrases étaient sous leur forme naturelle, prononcées par 4 locutrices par
langue. Les résultats sont présentés Figure 2. On peut voir que les tamarins ont
distingué le polonais du japonais, lorsque ces langues étaient jouées à l’endroit,
mais pas à l’envers. Ceci confirme les résultats précédemment obtenus, avec une
nouvelle langue, le polonais. De plus, les tamarins n’ont pas distingué l’anglais
du néerlandais, bien qu’ils soient très familiers avec l’anglais (ils sont exposés
quotidiennement).
Ainsi, l’ensemble de ces données suggère que les tamarins sont bien
capables de distinguer des langues humaines, au moins lorsque celles-ci appartiennent à des classes rythmiques différentes. De plus, leur absence de réaction
aux différences entre anglais et néerlandais (qui possèdent des différences phonétiques, mais pas rythmiques), renforce l’hypothèse selon laquelle les tamarins,
comme les nouveau-nés humains, seraient sensibles au rythme de la parole.
Figure 2 : Discrimination polonais / japonais et anglais / néerlandais
par les tamarins, à l’endroit ou à l’envers. Adapté de Tincoff et coll. (2005).
192
texte 229
19/03/07
15:17
Page 193
♦ Discussion génér ale
Ces expériences apportent selon nous un certain nombre d'avancées significatives par rapport aux précédentes études comparatives de la perception de la
parole :
D'un point de vue méthodologique, l'utilisation de la procédure d'habituation / déshabituation présente plusieurs avantages. Rappelons en effet que la
procédure de conditionnement utilisée par Kuhl demandait aux chinchillas et
aux macaques plusieurs mois d'entraînement à la tâche sur les exemplaires
extrêmes du continuum phonétique. Sans parler du coût et de la lourdeur de
telles expériences, on peut se demander à quel point cette exposition permanente et prolongée aux phonèmes n'a pas sensibilisé le système auditif de ces
animaux. La procédure d'habituation / déshabituation, elle, ne requiert aucune
exposition préalable, et teste directement les réactions spontanées des singes
face aux stimuli. Les conclusions que l'on peut en tirer ont donc d'autant plus de
portée. Le fait que cette procédure soit la même (sur le principe) que celle utilisée sur les nouveau-nés facilite également la comparaison directe entre les deux
populations. En revanche, elle limite le nombre de mesures que l'on peut obtenir
par sujets, ce qui explique sans doute qu'elle ait été moins utilisée par le passé
(mais voir Morse & Snowdon, 1975).
Les études comparatives de la perception de la parole se sont jusqu'à présent limitées à la perception de sons et de syllabes isolées. En étudiant la perception de phrases entières, nos expériences s'adressent à une classe plus étendue et plus générale de processus perceptifs.
Enfin, Kuhl (1987) a suggéré que l'une des caractéristiques du traitement
de la parole par l'humain qui était susceptible de ne pas être retrouvée chez le
singe était la « perception de classes d'équivalence auditives ». Elle faisait référence à la capacité du nourrisson (et de l'adulte) à considérer comme équivalentes des formes acoustiques différentes du même phonème, à savoir le même
phonème prononcé par plusieurs locuteurs (Kuhl, 1979b, 1983). Ici, nous avons
montré que les singes discriminaient le néerlandais du japonais à travers les voix
de plusieurs locutrices, et réagissaient plus au changement de langue qu'au
changement de voix. Il s'agit donc d'une toute première indication de la perception de classes d'équivalence auditives par le singe.
Partant de l'observation que l'être humain possède, dès la naissance, une
sensibilité innée pour le rythme de la parole, nous nous sommes posé la question de savoir si cette sensibilité était une fonction cognitive ayant évolué spécifiquement pour le langage, ou si elle découlait des propriétés générales de notre
système auditif. L'incapacité du nouveau-né à discriminer les langues lorsque
les phrases sont jouées à l'envers semblait être un bon argument en faveur de la
193
texte 229
19/03/07
15:17
Page 194
spécificité. Ayant découvert qu'il en est de même chez le tamarin, nous sommes
amenés à reconsidérer cet argument.
Les deux types d'hypothèses que nous avons retenues à la Section 2 pour
expliquer le comportement du nouveau-né faisaient appel à des processus spécifiques à la parole. Il est néanmoins possible de reformuler ces hypothèses d'une
manière plus générale et plus pertinente dans le cas du tamarin. On peut en effet
imaginer que tout organisme doué d'un système auditif doit faire le tri entre les
sons qui sont pertinents pour lui et tous les bruits qui ne le sont pas ; ou plus
généralement, que les procédures de traitement auditif doivent être particulièrement adaptées aux propriétés spécifiques de ces « sons pertinents » pour l'organisme. Ces sons étant principalement ceux émis par ses congénères, ses proies
et ses prédateurs, il est probable que les sons pertinents pour un grand nombre
d'espèces aient en commun un certain nombre de propriétés acoustiques caractéristiques (périodicité, harmonicité, répartition de l'énergie spectrale en formants...). On pourrait ainsi postuler que tous les primates (et peut-être tous les
mammifères) ont une capacité innée à reconnaître les sons émis par les autres
animaux (ou au moins leurs vocalisations), et une capacité de traitement accrue
pour ceux-ci (Seyfarth & Cheney, 1997). La parole à l'envers pourrait ne pas
respecter certaines propriétés typiques de ces sons, et être ainsi rejetée par le
système auditif d'animaux non humains. Cette hypothèse, qui mériterait d'être
testée plus en détail, et sur un large éventail d'espèces, ouvre la porte à des
considérations nouvelles sur l'évolution du langage.
L'apparition du langage au sein de l'espèce humaine est un sujet hautement épineux et controversé. La raison principale en est certainement l'absence
quasi-totale de données empiriques. Contrairement aux organes biologiques, les
capacités cognitives ne laissent pas de traces dans les fossiles 12; et contrairement
à d'autres capacités cognitives, le langage humain n'a pas d'équivalent ni de
proche précurseur parmi les autres espèces 13. Aussi peu contraints par les données, les spéculations et scénarios hypothétiques de l'évolution du langage vont
bon train. Un certain nombre de ces scénarios se concentrent sur un sous-problème de l'évolution du langage, celui de l'émergence de la parole 14 (MacNeilage, 1998 ; Rizzolatti & Arbib, 1998). Il s'agit de comprendre comment le tract
12. Mis à part la taille et la configuration de la boîte crânienne.
13. Par exemple, l'assemblage productif de mots en phrases selon des règles syntaxiques abstraites est absent
de tous les autres systèmes de communication animale.
14. Il s'agit d'un sous-problème dans la mesure où une explication de l'évolution de la parole ne suffirait pas à
expliquer celle par exemple de la syntaxe.
194
texte 229
19/03/07
15:17
Page 195
vocal de nos ancêtres a évolué de manière à produire la grande variété de sons
qui caractérise la parole humaine. Néanmoins, il est tout aussi important de
comprendre comment notre appareil perceptif peut sembler aussi finement spécialisé pour traiter et catégoriser les sons de parole. Dans les scénarios sus-cités,
cet aspect est souvent implicitement considéré comme secondaire à l'émergence
des capacités de production. Nos travaux, comme ceux de Kuhl, tendent à montrer que certaines de ces capacités perceptives existaient préalablement à l'évolution du tract vocal humain. Ceci suggère que, au moins pour un certain nombre
d'aspects de la parole, c'est l'appareil de production qui a du s'adapter aux
domaines de sensibilité de notre appareil perceptif, plutôt que le contraire (voir
également Kluender, 1994 ; Kuhl, 1988 ; Stevens, 1989). De nombreux aspects
de la perception de la parole n'ayant pas encore été explorés de manière comparative, il va de soi que cette conclusion n'est pas immédiatement généralisable.
Jusqu'où peut-on aller dans l'homologie entre perception de la parole et
perception auditive chez les primates non humains ? De ce point de vue, les
études purement comportementales sont intrinsèquement limitées : la similarité
de comportements entre deux espèces n'implique pas nécessairement que ces
comportements sont engendrés par des fonctions cognitives identiques. Nous
avons déjà mentionné qu'il n'est pas certain que les tamarins discriminent les
langues sur la base des mêmes indices que les nouveau-nés humains. En ce qui
concerne les difficultés similaires qu'ont les deux populations avec la parole à
l'envers, on pourrait également imaginer que les tamarins rejettent celle-ci pour
d'autres raisons que les nouveau-nés. Cette hypothèse est parfaitement testable :
il est en effet possible de resynthétiser les phrases néerlandaises et japonaises en
isolant ou en supprimant les propriétés acoustiques de la parole à l'envers dont
on pense qu'elles posent problème, et d'observer dans quelles conditions la discrimination est ou non possible pour chacune des deux espèces. Dans l'hypothèse ou les deux espèces manifestent le même comportement dans les différentes conditions, l'homologie sera probable. Même dans ce cas, des études
neurophysiologiques seraient bienvenues pour confirmer que des structures neuronales similaires sont à la base des comportements homologues.
C’est en fait l’objet d’une nouvelle collaboration internationale récemment financée par la Commission Européenne, le projet Neurocom (http://neurocomm.free.fr/). Il s’agit notamment de conduire un certain nombre d’études
d’imageries cérébrales à la fois sur des adultes, des nourrissons et des singes
(des macaques). Au cours de ces expériences, les sujets sont exposés à du langage humain (des phrases de leur langue maternelle ou d’une langue étrangère),
à des cris humains émotionnels sans langage, à des vocalisations de macaques, à
des chants d’oiseaux et à des stimuli contrôles. La principale question qui est
195
texte 229
19/03/07
15:17
Page 196
posée dans ce projet est celle des origines évolutives des aires cérébrales spécialisées pour le langage chez l’humain. Une hypothèse est qu’elles sont
construites principalement sur la base des aires spécialisées pour la perception
des vocalisations chez le singe. Evidemment, au niveau des aires auditives les
plus primaires des recouvrements sont attendus. Mais au-delà, une hypothèse
alternative serait que les vocalisations des singes ne constitueraient pas un véritable précurseur du langage, mais seraient plutôt les ancêtres des vocalisations
émotionnelles (non linguistiques) humaines. Une autre hypothèse est celle selon
laquelle le langage humain tirerait ses principales propriétés du système moteur
plutôt qu’auditif, et notamment de « neurones miroirs » spécialisés dans l’imitation vocale (Rizzolatti & Arbib, 1998). Une exploration électrophysiologique
des neurones miroirs potentiellement reliés à la perception et à la production des
vocalisations chez le macaque est justement incluse dans le projet Neurocom.
Enfin, il reste bien sûr la possibilité selon laquelle les principales caractéristiques du système cérébral pour le langage ne sont directement héritées ni du
système auditif, ni du système moteur des primates, et résulteraient de spécialisations cérébrales encore distinctes.
Quelle que soit l’hypothèse, il reste clair qu’il existe des niveaux de traitement linguistique spécifiquement humains, que l'on ne retrouvera pas chez le
singe. Même s'il apparaît que la totalité des aspects universels de la perception
de la parole sont partagés avec les singes, il n'en restera pas moins que l'usage
que font les deux espèces de ce traitement auditif sera fondamentalement différent. Les tamarins et les nouveau-nés humains peuvent bien avoir les mêmes
capacités perceptives, seuls ces derniers s'en serviront pour apprendre la phonologie, la syntaxe et le lexique de leur langue maternelle.
REFERENCES
BERTONCINI, J., FLOCCIA, C., NAZZI, T., & MEHLER, J. (1995). Morae and syllables : Rhythmical
basis of speech representations in neonates. Language and Speech, 38, 311-329.
BERTONCINI, J., & MEHLER, J. (1981). Syllables as units in infant perception. Infant Behavior and
Development, 4, 247-260.
BIJELJAC-BABIC, R., BERTONCINI, J., & MEHLER, J.,(1993). How do four-day-old infants categorize
multisyllabic utterances? Developmental Psychology, 29, 711-721.
196
texte 229
19/03/07
15:17
Page 197
DENT, M. L., BRITTAN-POWELL, E. F., DOOLING, R. J., & PIERCE, A., (1997). Perception of synthetic /ba/-/wa/ speech continuum by budgerigars (Melopsittacus undulatus). Journal of the
Acoustical Society of America, 102(3), 1891-1897.
EIMAS, P. D., SIQUELAND, E. R., JUSCZYK, P. W., & VIGORITO, J. (1971). Speech perception in
infants. Science, 171, 303-306.
GHAZANFAR, A. A., HAUSER, M. D. (1999). The neuroethology of primate vocal communication :
substrates for the evolution of speech. Trends Cogn Sci, 3(10), 377-384.
HOWELL, P. (1988). Prediction of P-center location from the distribution of energy in the amplitude
envelope : II. Perception & Psychophysics, 43, 99.
KLUENDER, K. R. (1994). Speech perception as a tractable problem in cognitive science. In M. A.
GERNSBACHER (Ed.), Handbook of psycholinguistics (pp. 173-217). San Diego : Academic
Press.
KLUENDER, K. R., DIEHL, R. L., KILLEEN, P. R. (1987). Japanese quail can learn phonetic categories.
Science, 237, 1195-1197.
KUHL, P. K. (1979a). Models and mechanisms in speech perception : Species comparison provide further
contributions. Brain, behavior and evolution, 16, 374-408.
KUHL, P. K. (1979b). Speech perception in early infancy : Perceptual constancy for spectrally dissimilar
vowel categories. Journal of the Acoustical Society of America, 66, 1668-1679.
KUHL, P. K. (1981). Discrimination of speech by nonhuman animals : Basic auditory sensitivities conducive to the perception of speech-sound categories. Journal of the Acoustical Society of America,
70, 340-349.
KUHL, P. K. (1983). Perception of auditory equivalence classes for speech in early infancy. Infant Behavior and Development, 6, 263-285.
KUHL, P. K. (1988). Auditory perception and the evolution of speech. Human Evolution, 3, 19-43.
KUHL, P. K. (1991). Human adults and human infants show a "perceptual magnet effect" for the prototypes of speech categories, monkeys do not. Percept Psychophys, 50 (2), 93-107.
KUHL, P. K., MILLER, J. D. (1975). Speech perception by the chinchilla : Voiced-voiceless distinction
in alveolar plosive consonants. Science, 190, 69-72.
KUHL, P. K., MILLER, J. D. (1978). Speech perception by the chinchilla : Identification functions for
synthetic VOT stimuli. Journal of the Acoustical Society of America, 63, 905-917.
KUHL, P. K., PADDEN, D. M. (1982). Enhanced discriminability at the phonetic boundaries for the voicing feature in macaques. Perception & Psychophysics, 32, 542-550.
KUHL, P. K., PADDEN, D. M. (1983). Enhanced discriminability at the phonetic boundaries for the place
feature in macaques. Journal of the Acoustical Society of America, 73, 1003-1010.
LIBERMAN, A. M. (1957). Some results of research on speech perception. Journal of the Acoustical
Society of America, 29, 117-123.
LIBERMAN, A. M. (1982). On finding that speech is special. American Psychologist, 37, 148-167.
MACNEILAGE, P. F. (1998). The frame/content theory of evolution of speech production. Behav Brain
Sci, 21(4), 499-511; discussion 511-546.
MEHLER, J., JUSCZYK, P., LAMBERTZ, G., HALSTED, N., BERTONCINI, J., AMIEL-TISON, C.
(1988). A precursor of language acquisition in young infants. Cognition, 29, 143-178.
MOON, C., COOPER, R. P., FIFER, W. P. (1993). Two-day-olds prefer their native language. Infant
Behavior and Development, 16, 495-500.
MORSE, P. A., SNOWDON, C. T. (1975). An investigation of categorical speech discrimination by rhesus
monkeys. Perception & Psychophysics, 17, 9-16.
MORTON, J., MARCUS, S., FRANKISH, C. (1976). Perceptual centers (P-centers). Psychological
Review, 83(5), 405-408.
NAZZI, T. (1997). Du rythme dans l'acquisition et le traitement de la parole. Unpublished doctoral dissertation, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris.
NAZZI, T., BERTONCINI, J., MEHLER, J. (1998). Language discrimination by newborns : towards an
understanding of the role of rhythm. Journal of Experimental Psychology : Human Perception
and Performance, 24(3), 756-766.
197
texte 229
19/03/07
15:17
Page 198
NEVILLE, H. J., & MILLS, D. L. (1997). Epigenesis of language. Mental retardation and developmental
disabilities research reviews, 3, 282-292.
PERANI, D., DEHAENE, S., GRASSI, F., COHEN, L., CAPPA, S., DUPOUX, E., et al. (1996). Brain
processing of native and foreign languages. NeuroReport, 7, 2439-2444.
RAMUS, F. (2002). Acoustic correlates of linguistic rhythm : Perspectives. In B. BEL & I. MARLIEN
(Eds.), 1st International Conference on Speech Prosody (pp. 115-120). Aix-en-Provence.
RAMUS, F., HAUSER, M. D., MILLER, C., MORRIS, D., MEHLER, J. (2000). Language discrimination by human newborns and by cotton-top tamarin monkeys. Science, 288(5464), 349-351.
RAMUS, F., MEHLER, J., (1999). Language identification with suprasegmental cues : A study based on
speech resynthesis. Journal of the Acoustical Society of America, 105(1), 512-521.
RAMUS, F., NESPOR, M., MEHLER, J., (1999). Correlates of linguistic rhythm in the speech signal.
Cognition, 73(3), 265-292.
RIZZOLATTI, G., ARBIB, M. A., (1998). Language within our grasp. Trends Neurosci, 21(5), 188-194.
SEYFARTH, R. M., & CHENEY, D. L. (1997). Some general features of vocal development in nonhuman
primates. In C. T. SNOWDON, M. HAUSBERGER (Eds.), Social influences on vocal development (pp. 249-273). Cambridge : Cambridge University Press.
STEVENS, K. N. (1989). On the quantal nature of speech. Journal of Phonetics, 17, 3-45.
TINCOFF, R., HAUSER, M., TSAO, F., SPAEPEN, G., RAMUS, F., MEHLER, J. (2005). The role of
speech rhythm in language discrimination : Further tests with a nonhuman primate. Developmental Science, 8(1), 26-35.
WERKER, J. F., TEES, R. C. (2005). Speech perception as a window for understanding plasticity and
commitment in language systems of the brain. Development Psychobiologic, 46(3), 233-251.
198
texte 229
19/03/07
15:17
Page 199
Production et jugement des liaisons obligatoires chez des enfants tout-venant et des
enfants atteints de troubles du langage :
décalages développementaux et différences
interindividuelles
Jean-Pierre Chevrot, Aurélie Nardy, Stéphanie Barbu, Michel Fayol
Résumé
A partir d’un modèle développemental d’acquisition de la liaison obligatoire s’appuyant sur
les théories basées sur l’usage, nous présentons les résultats d’une expérimentation dans
laquelle nous observons, qu’à 56 mois, âge de développement langagier, les enfants atteints
de troubles du langage produisent moins de liaisons justes que les enfants tout-venants
alors que les deux groupes présentent des scores semblables en jugement. Une seconde
expérimentation, impliquant deux groupes d’enfants tout-venants issus de milieux contrastés, montre que les différences sociales en production et en jugement s’estompent à 5-6
ans. Tous milieux confondus, nous notons également que les progrès en production se
manifestent avant ceux observés en jugement. Enfin, les profils des différents groupes sont
comparés avec celui d’apprenants adultes non francophones. La comparaison montre que
les enfants atteints de troubles, comme les adultes étrangers, construisent leur connaissance linguistique sur la base d’informations explicites.
Mots clés : production, jugement, décalage développemental, liaison, environnement
langagier
Rééducation Orthophonique - N° 229 - mars 2007
199
texte 229
19/03/07
15:17
Page 200
Production and judgment of obligatory liaisons among normal children
and among children with language disorders: developmental and individual differences
Abstract
From a developmental model of obligatory liaison acquisition employing usage-based
theory, we will present results from an experiment which shows that at 56 months, the age
of language development, SLI children produce fewer correct obligatory liaisons than normal
children, whereas the two groups of children have the same scores in judgment. In another
experiment concerning two groups of normal children born from different backgrounds, we
observe that differences between social groups in production and judgment become less
marked at 5-6 years of age. We also see that progress in production appears before that
observed in judgment. Finally, profiles of the different groups are compared with those of
adult learners who are non native French speakers. The comparison shows that SLI children,
like foreign adults, build their linguistic knowledge on the basis of explicit information.
Key Words : production, judgment, developmental discrepancy, liaison, linguistic environment.
200
texte 229
19/03/07
15:17
Page 201
Jean-Pierre CHEVROT
Laboratoire de Linguistique
et Didactique des Langues Etrangères et
Maternelles
Université Grenoble 3 - BP 25
38040 Grenoble Cedex
Courriel :
[email protected]
Aurélie NARDY
LIDILEM, Université Grenoble 3
Stéphanie BARBU
EVE, Université Rennes 1 & CNRS
Michel FAYOL
LAPSCO, Université Blaise Pascal &
CNRS
Clermont-Ferrand
D
ans certains types de dysphasie, notamment les troubles phonologiquessyntaxiques, les capacités perceptives semblent moins altérées que les
capacités productives (Van Hout, 2000), même si ce décalage est affaire
de degré et varie selon l'âge (Bishop, 1997) et même si la préservation relative
des capacités perceptives dépend de la longueur, de la complexité, du degré de
décontextualisation et de la rapidité d'émission des énoncés entendus (Piérart,
2004). Par exemple, dans le domaine francophone, Comblain (2004) utilise le
test ISADYLE pour évaluer la capacité à produire et comprendre des structures
morphosyntaxiques chez 13 enfants, présentant une dysphasie phonologiquesyntaxique, appariés à 13 enfants tout-venant sur la base de l'âge chronologique
et du sexe. Ses résultats confirment les tendances observées dans la littérature :
les performances des dysphasiques sont inférieures à celles des tout-venant et
inférieures en production par rapport à la compréhension. Ce décalage peut
atteindre des valeurs extrêmes. Par exemple, les dysphasiques réussissent 96.15
% des items concernant les pronoms personnels en réception, contre seulement
16.67 % en production.
En bref, la distance qui sépare enfants tout-venant et enfants dysphasiques est plus grande dans les tâches productives que dans les tâches qui impliquent une composante réceptive. Le but de cet article est de mieux comprendre
ce phénomène en le comparant à des décalages analogues survenant au cours du
développement normal. Dans cette optique, nous observerons la capacité à produire et à juger les liaisons obligatoires chez des enfants atteints de troubles du
langage et chez des enfants tout-venant issus de milieux sociaux contrastés. Le
201
texte 229
19/03/07
15:17
Page 202
recours à de jeunes locuteurs grandissant dans des environnements sociaux
diversifiés permettra de montrer que les différences qui les distinguent précocement en production ou en réception se comblent vers l'âge de 5-6 ans. A partir
de ce constat, nous formulerons des hypothèses sur les raisons pour lesquelles
les écarts entre enfants dysphasiques et enfants tout-venant persistent au cours
du développement à des degrés divers selon qu'il s'agit de production ou de
jugement.
Les tâches de production et de jugement proposées aux différents groupes
de jeunes locuteurs concernent un objet linguistique particulier : la liaison obligatoire. Cette alternance phonologique du français possède plusieurs traits qui
rendent son utilisation pertinente dans le cadre de cette étude. Premièrement,
Chevrot, Fayol & Laks (2005) soulignent que la liaison est un point d'émergence où interagissent les différents niveaux de la structure linguistique - phonologie, lexique, morphologie, syntaxe et orthographe. A ce titre, elle est particulièrement propice à mettre en évidence les interactions entre différents aspects
de l'acquisition du langage (Dugua, 2006). Deuxièmement, la complexité linguistique de la liaison rend sa maîtrise difficile, comme l'attestent les nombreuses erreurs qui ponctuent tardivement la parole enfantine (le petit nescargot,
des noeufs) et dont certaines persistent à l'âge adulte (Desrochers, 1994). Troisièmement, le processus d'acquisition des liaisons et ses interactions avec la
segmentation des mots et la morphosyntaxe précoce ont fait l'objet d'études
empiriques récentes qui ont abouti à la formulation de scénarios développementaux cohérents (Chabanal, 2003 ; Chevrot & Fayol, 2001 ; Chevrot, Dugua &
Fayol, 2005 ; Chevrot, Chabanal & Dugua, à paraître ; Côté, 2005 ; Dugua,
2002, 2005, 2006 ; Dugua, Chevrot & Fayol, 2006 ; Morin, 2003 [1998] ;
Nardy, 2003 ; Nardy & Barbu, 2006 ; Wauquier-Gravelines, 2005 ; WauquierGravelines & Braud, 2005). C'est à partir d'un modèle développemental formulé
dans le cadre des théories dites basées sur l'usage que seront interprétés les
résultats présentés ici. Les sections suivantes sont consacrées à préciser le fonctionnement linguistique de la liaison, à tracer rapidement le cadre théorique et à
expliciter ce scénario développemental.
♦ F o n c t i o n n e m e n t l i n g u i s t i q u e d e l a l i a i s o n e t c o n s é q u e n c e s d é v elop pementales
Dans la parole adulte, la liaison se manifeste par l'apparition d'une
consonne entre deux mots (dorénavant : mot1 et mot2). Une condition nécessaire à son apparition est que le mot2 commence par une voyelle lorsqu'il est
prononcé isolément. En revanche, cette consonne n'est jamais présente à la
finale du mot1 lorsqu'il est situé à la fin d'un énoncé, ni à l'initiale du mot2 lors-
202
texte 229
19/03/07
15:17
Page 203
qu'il occupe la première position d'un énoncé. Lorsque cette consonne de liaison
est produite, elle forme généralement une syllabe avec la voyelle qui suit. Par
exemple, un /z/ est prononcé entre les mots les et écureuil dans la séquence les
écureuils, avec une syllabisation [le.ze.ky.rj]. Mais, chez l'adulte, ce /z/ n'est
prononcé ni dans les veaux ([levo]), ni dans Rega rde les ! ([rəardəle]), ni à
l'initiale de l'apostrophe Ecureuil ! ([ekyrj]).
Toutes les consonnes ne peuvent pas jouer le rôle de liaison. Une étude de
Boë & Tubach (1992) sur 20 heures de parole adulte montre que /n/, /z/ et /t/
représentent 99.7 % des liaisons réalisées. La possibilité de produire une liaison
ainsi que sa nature phonétique dépendent du mot1. Par exemple, les mots1 un
ou aucun requièrent une liaison en /n/, les mots1 petit ou grand une liaison en
/t/, les mots1 gros ou deux une liaison en /z/, alors que les mots1 joli ou beau au
singulier n'en requièrent aucune.
Enfin, les auteurs classent généralement les contextes de liaison en deux
catégories, définies à partir de critères morphosyntaxiques ou lexicaux : les
contextes où la liaison est obligatoire et ceux où elle est facultative. Selon la
répartition de Booij & De Jong (1987), fondée sur l'observation des usages réels
des locuteurs, il n'existe que quatre contextes dans lesquels les adultes réalisent
la liaison dans 100 % des cas : après un déterminant (un enfant, les arbres),
après un pronom préverbal (ils arrivent, on aime), entre un verbe et le pronom
qu'il régit (prenez-en !) ainsi que dans certaines expressions figées (tout à coup).
Dans les autres contextes (c'est ici, hommes heureux, etc.), la liaison est facultative et sa réalisation dépend de facteurs verbaux - longueur, catégorie et fréquence lexicale du mot1, débit - et de facteurs sociolinguistiques. Notamment,
les locuteurs adultes de milieu dit favorisé réalisent davantage de liaisons facultatives (Ashby, 1981 ; Booij & De Jong, 1987 ; De Jong, 1994 ; Delattre, 1966 ;
Malécot, 1975). Les enfants issus de milieux sociaux différents sont donc exposés à des taux distincts de liaisons facultatives, mais à des taux identiques
(100 %) de liaisons obligatoires.
Ce portrait de la liaison fait apparaître deux particularités qui compliquent singulièrement la tâche du jeune enfant qui, pour construire son lexique et
sa morphosyntaxe, doit récupérer la forme, le sens et la fonction des unités linguistiques (mots, morphèmes) dans la parole environnante. Premièrement, la
consonne de liaison formant une syllabe Consonne-Voyelle (CV) avec l'initiale
du mot suivant (les arbres est syllabé [le.zarbr]), la frontière syllabique (située
avant le /z/ dans [lezarbr]) se trouve disjointe de la frontière lexicale (située
après le /z/). Puisque les processus précoces de traitement du lexique exploitent
la correspondance probable entre frontière de syllabes et frontière de mots (Mattys & Jusczyk, 2001), l'enfant placera la frontière lexicale avant la consonne de
203
texte 229
19/03/07
15:17
Page 204
liaison. De ce fait, cette consonne sera rattachée à l'initiale de la représentation
lexicale du mot qui suit. Il est donc attendu que l'enfant récupère la forme lexicale /zarbr/ à partir de l'audition d'une séquence comme les arbres. Deuxièmement, la nature phonétique de la consonne de liaison étant déterminée par le
mot1 « comme si elle lui appartenait » (Tranel, 2000: 49), l'enfant rencontre
nécessairement chaque mot1 suivi d'une consonne de liaison spécifique. Ainsi,
dans l'environnement langagier enfantin, un ne sera suivi que de la liaison /n/,
des ne sera suivi que de /z/, etc. Cette seconde caractéristique inclinera l'enfant à
établir un lien entre la nature phonétique de la liaison et le mot1.
Deux contraintes tirent donc l'attachement lexical de la consonne de liaison dans des directions opposées : les contingences entre le mot1 et la nature
phonétique de la liaison l'attirent vers la gauche tandis que la syllabisation la
pousse vers la droite. A partir de ces ingrédients initiaux, Dugua (2006) et Chevrot, Dugua & Fayol (2005) ont proposé un scénario développemental qui rend
compte des relations entre acquisition des liaisons obligatoires, segmentation
des mots et émergence des schémas syntaxiques. Ce scénario est élaboré dans le
cadre des théories du langage dites basées sur l'usage.
♦ L e s t h é o r ies basées sur l'usa ge
Conçu comme une alternative générale à l'innéisme, ces théories postulent que l'usage du langage est la clé pour comprendre son organisation, son
développement, son évolution et ses origines dans l'espèce humaine (pour une
synthèse, voir Kemmer & Barlow, 2000).
Un postulat de base est que les évènements d'usage (c'est-à-dire les énoncés particuliers que le locuteur produit et reçoit) constituent l'expérience à partir
de laquelle le système linguistique se forme et évolue durant toute la vie. Ces
évènements d'usage sont concrets et spécifiques par nature, au sens où ils sont
constitués d'unités lexicales dotées d'un contenu phonologique. Sur le plan
développemental, les généralisations formulées par l'enfant proviennent donc de
l'accumulation et de la réorganisation progressive d'un matériel linguistique
concret mémorisé précocement (mots et séquences de mots reliés à un sens et à
des conditions d'usage). La mise en relation de ces séquences concrètes sur la
base de leurs ressemblances phonologiques, sémantiques, pragmatiques et distributionnelles aboutit à la formation progressive de schémas productifs, permettant à l'enfant de créer des énoncés qu'il n'a jamais entendus.
De ce postulat de base découlent deux autres propositions. La formation et
le fonctionnement du système linguistique étant pilotés par l'expérience, la fréquence des évènements d'usage devient un facteur déterminant. Plus une unité,
une séquence ou un patron est fréquent dans l'environnement langagier, plus son
204
texte 229
19/03/07
15:17
Page 205
fonctionnement cognitif est routinisé. De ce fait, une unité ou une séquence fréquente sera plus disponible pour la production et la réception. En outre, l'importance accordée à l'expérience souligne le rôle, dans l'acquisition du langage, de
modes d'apprentissage non spécifiques au langage, tel l'alignement analogique de
structures partageant un élément ou une configuration d'éléments (Tomasello,
2003 : 163-169). L'hypothèse est que le processus qui consiste à abstraire les parties similaires dans des expériences récurrentes n'est pas différent pour le langage
et pour d'autres types d'activités (perception, motricité, etc.).
Puisque la connaissance linguistique résulte de l'organisation des traces
mnésiques laissées par les opérations de production et de réception, les phonèmes, les morphèmes et les structures morphosyntaxiques sont conçus comme
des propriétés émergeant des patrons de connectivité établis entre ces traces.
Ainsi, les schémas qui manifestent ces patrons de connectivité n'ont pas d'existence indépendante des traces mnésiques qui les sous-tendent. Les unités de
base de la connaissance linguistique ne sont donc plus les phonèmes, les morphèmes ou les structures morphosyntaxiques mais des constructions, c'est-à-dire
des appariements conventionnalisés entre forme et sens qui peuvent inclure des
éléments lexicaux concrets ou des emplacements ouverts correspondant à des
catégories abstraites (OBJET, AGENT, etc.). Les constructions peuvent être de
simples séquences d'éléments lexicaux souvent entendus ensemble et mémorisées telles quelles (Petit Ours Brun), des structures formées de catégories abstraites (SUJET-VERBE-OBJET) ou des configurations composites formées
d'éléments lexicaux et de catégories abstraites (il y a + GN).
Dans cette approche, l'acquisition du langage n'est pas conçue comme la
résultante de deux processus séparés consistant d'une part, à découvrir des unités lexicales et d'autre part, à les agencer pour former des énoncés. On suppose
que l'enfant réorganise progressivement des séquences mémorisées en y aménageant des emplacements susceptibles d'accueillir des unités nouvelles (Lieven,
Behrens, Speares & Tomasello, 2003). Par exemple, à partir de la mise en relation des séquences c'est ici, c'est à moi, c'est papa, etc., l'enfant élaborerait une
construction présentative illustrée par le schéma c'est + X, où X figure une place
libre pouvant accueillir un élément. De ce fait, l'acquisition lexicale et l'acquisition morphosyntaxique sont considérées comme deux faces d'un même processus développemental (Bates & Goodman, 1997).
♦ Acquisition de la liaison, se g m e n t a tion des mots et sc h é m a s s y n t a x i q u e s : u n s c é n a r io dév e l o p p e m e n t a l
Le cadre général que nous venons d'exposer est particulièrement apte à
rendre compte des interactions entre phonologie, lexique et morphosyntaxe
205
texte 229
19/03/07
15:17
Page 206
mises en évidence par l'acquisition de la liaison. Le scénario développemental
forgé dans ce cadre 1 est soutenu par des données issues d'expérimentations ou
de recueils en situation naturelle, dont on trouvera les détails dans Dugua (2006)
et Chevrot, Chabanal & Dugua (à paraître).
Le très jeune enfant confronté à la langue française est susceptible de
mémoriser des séquences mot1-mot2 telles un-arbre ou un-garçon dont certaines contiennent une consonne de liaison. A partir de ces séquences, il devra
extraire un déterminant et un nom réutilisables dans d'autres énoncés (Wauquier-Gravelines & Braud, 2005). Lors d'une première étape, la disjonction
entre frontière lexicale et frontière syllabique induite par la liaison le conduirait
à segmenter et à mémoriser précocement plusieurs variantes lexicales de chaque
mot2. En effet, l'enfant rencontre chaque mot2 précédé de différentes consonnes
de liaison. Par exemple, il rencontre arbre précédé de /n/ dans un arbre, de /z/
dans les arbres, de /t/ dans petit arbre. S'il maintient une segmentation syllabique de ces différentes occurrences (
˜. narbr, le zarbr, pti. tarbr), il finira
par mémoriser plusieurs variantes de chaque unité lexicale (/harbr/, /zarbr/,
/tarbr/ dans le cas du mot arbre).
Cette segmentation des mots2 est corrélative de la formation de schémas
basés sur les mots1. En mettant en relation les séquences mémorisées un-arbre,
un-œuf, un-garçon, etc., les enfants seraient amenés à abstraire des schémas
généraux de type un + X (ou les + X, deux + X, etc.). Puisqu'ils offrent un
emplacement où insérer les variantes segmentées des mots2, ces schémas manifestent la capacité nouvelle à créer des suites déterminant-nom jamais entendues. Ils préfigurent ainsi la structure interne du groupe nominal et appartiennent à la classe générale des constructions basées sur des éléments lexicaux,
caractéristique du développement précoce (Tomasello, 2000). A ce stade, les
schémas disponibles ne contiennent aucune information sur la liaison.
L'enfant apprendrait ensuite les relations entre un mot1 particulier et la
variante adéquate d'un mot2. Il apprendrait par exemple que /narbr/ doit être
inséré au schéma un + X, que /zarbr/ doit s'insérer au schéma les + X, etc. La
source de cet apprentissage serait la perception des séquences mot1-mot2 bien
formées dans l'environnement langagier. Nous avons déjà fait l'hypothèse que de
telles séquences étaient mémorisées très précocement. Nous supposons maintenant que cette mémorisation continue lorsque l'environnement de l'enfant évolue, alors même que le processus de segmentation a déjà commencé. A travers
1 Ce scénario est inspiré par les positions prises par Morin (2003 [1998]) à l'occasion d'une réflexion sur la
liaison prénominale. Par ailleurs, on trouvera une critique des conceptions basées sur l'usage et des propositions alternatives plus abstraites dans Wauquier-Gravelines & Braud (2005) et dans Wauquier-Gravelines
(2005).
206
texte 229
19/03/07
15:17
Page 207
l'usage du langage en réception, l'enfant structurerait donc progressivement un
réseau d'associations décrivant les relations standard entre des mots1 particuliers
et des variantes de mots2.
L'étape suivante serait caractérisée par l'émergence d'une structure plus
abstraite généralisant le lien entre les mots1 et les variantes adéquates du mot2.
En mettant en relation les séquences des-ours, des-ânes, des-amis, l'enfant élaborerait un schéma de type des + /zX/, qui lie le déterminant indéfini pluriel à la
classe des variantes commençant par /z/. Ce schéma lui permettrait de produire
des liaisons correctes après des sans devoir mémoriser toutes les combinaisons
possibles entre ce déterminant et l'ensemble des variantes en /z/ des mots2.
Si on admet que ces constructions, porteuses de liaisons, restent en compétition avec les schémas précoces plus généraux de type des + /X/ ou les + /X/,
ce modèle rend compte de l'ensemble des erreurs produites par les enfants. L'insertion de l'exemplaire /arbr/ dans le schéma des + /X/ aboutit à la classique
erreur de substitution [denabr] (des arbres avec /n/ au lieu du /z/ attendu). L'insertion de l'exemplaire /arbr/, à voyelle initiale, dans le schéma des + /X/ produit
une erreur d'omission de liaison : [dearbr] (des arbres prononcé sans liaison).
Enfin, les erreurs de remplacement d'un /n/ ou d'un /z/ à l'initiale par une
consonne compatible avec le mot1 - des nombrils prononcé [dezɔ̃bril] avec /z/
au lieu de /n/ - résultent de l'insertion de nombril au schéma des + /zX/. Il a été
montré que ce dernier type d'erreurs présentait un profil développemental
typique des surgénéralisations : leur fréquence augmente entre 4 et 5 ans puis
diminue entre 5 et 6 ans (Dugua, 2006). Ce résultat conforte l'existence de schémas porteurs de liaison et atteste de leur productivité. Grâce à ces schémas, un
enfant qui n'aurait pas mémorisé l'exemplaire /zarbr/ à défaut d'avoir rencontré
assez souvent le mot arbre précédé de la liaison /z/, pourra produire correctement la séquence des arbres. A partir des variantes dont il dispose - /narbr/,
/zami/, /zan/, etc. - il créerait une variante /zarbr/ compatible avec le schéma des
+ /zX/. Lorsqu'il applique à tort ce processus de création analogique à la
séquence des nombrils, il aboutit à l'erreur [dezɔ̃bril].
C'est dans le cadre de ce scénario développemental que nous interpréterons les décalages entre production et jugement des liaisons, observés d'abord
chez des enfants dysphasiques appariés à des enfants tout-venant, puis chez des
enfants tout-venant de milieux sociaux contrastés.
E x p é rience 1 : production et jugement des liaisons ob lig a t o i res c hez
15 enfa n t s at t e i n t s d e t ro u b les du lang a ge et 15 enf a n t s t o u t - ve n a n t
Nous détaillerons d'abord la méthodologie utilisée pour solliciter la production et le jugement des liaisons. Nous présenterons ensuite les résultats des
deux tâches en parallèle.
207
texte 229
19/03/07
15:17
Page 208
P a r ticipants
Trente sujets ont participé à deux tâches expérimentales : une tâche de
production et une tâche de jugement. Parmi eux, 15 enfants tout-venant, âgés de
36 à 86 mois (M = 58.5 mois), et 15 enfants atteints de troubles du langage,
âgés de 89 à 142 mois (M = 116 mois). Pour onze de ces derniers, un diagnostic
de dysphasie phonologique-syntaxique était noté dans le dossier médical à la
suite d'une série d'examens. Pour les quatre autres, un doute subsistait quant à la
typicité du trouble. On sait toutefois que la présence de profils non typiques est
une constante de la population de dysphasiques, dans laquelle les « cas purs »
ne sont pas représentatifs (Bishop, 1997). Soulignons que la conception du protocole, l'ensemble des passations et un premier traitement des données ont été
réalisés par Isabelle Blanc et Laureline Vuillaume dans le cadre de leur mémoire
de fin d'études en orthophonie (Blanc & Vuillaume, 2002).
Les deux groupes d'enfants étaient appariés sur la base du sexe et de l'âge
de développement linguistique établi par le Test de Closure Grammaticale (Deltour, 1991). Le choix d'un test morphosyntaxique découle du scénario développemental, dont le mécanisme de base impliqué concerne moins le traitement des
unités phonologiques que celui des séquences d'unités lexicales. L'âge de développement langagier était le même pour les enfants atteints de troubles (M =
56.2 mois) et pour les tout-venant (M = 56 mois).
T â c h e d e p r o d u c t i o n : m a t é r iel et pr o c é d u r e
La tâche consistait à produire 32 séquences mot1-mot2, où le mot2 était
un nom et le mot1 le déterminant un (qui induit la liaison /n/) ou le déterminant
deux (qui induit la liaison /z/). La production était sollicitée par la dénomination
de 16 images, dont 8 représentaient les huit mots2 dessinés en un seul exemplaire et les 8 autres les mêmes mots2 dessinés en deux exemplaires. Parmi ces
mots2, quatre commençaient par une voyelle et activaient donc les liaisons
(ours, arbre, écureuil, éléphant) et les quatre autres débutaient par une consonne
et inhibaient donc les liaisons (singe, cochon, balai, ballon). Chaque enfant produisait deux fois chaque combinaison des deux mots1 avec chacun des huit
mots2 (un ours, deux ballons, deux arbres, etc.). Au total, tous les sujets produisaient 32 séquences déterminant-nom : 16 contenant un nom commençant par
une consonne (un cochon, deux balais) et 16 contenant un nom commençant par
une voyelle (un ours, deux arbres). Seules ces seize dernières séquences, qui
requièrent une consonne de liaison, ont donné lieu à un traitement statistique.
Puisque les mots2 à initiale consonantique alternaient avec les mots2 à initiale
vocalique, les enfants ne produisaient jamais successivement deux contextes de
liaison. Toutefois, l'ordre de présentation de chacune de ces catégories d'items
était aléatoire pour chaque enfant.
208
texte 229
19/03/07
15:17
Page 209
Les passations se sont déroulées individuellement sur le lieu de scolarisation : des écoles ordinaires ou des écoles spécialisées pour les troubles du langage.
T â c h e d e j u g e m e n t : m a t é r iel et pr o c é d u r e
Le matériel verbal à juger comportait 6 séquences mot1-mot2, où le mot1
était un ou deux et le mot2 avion, arrosoir ou ordinateur. Chaque séquence
mot1-mot2 entendue par les enfants apparaissait sous deux conditions. La première opposait une liaison juste à une erreur par substitution de /z/ à /n/ ou de
/n/ à /z/ ([
˜navjɔ̃] avec liaison correcte /n/ opposé à [
˜zavjɔ̃] avec /z/ au lieu
du /n/ attendu). La seconde opposait une liaison juste à une omission de liaison
([
˜navjɔ̃] avec /n/ opposé à [
˜avjɔ̃] sans liaison). Dans chaque condition,
chaque séquence était entendue deux fois par l'enfant, une fois dans l'ordre
juste-erreur et une fois dans l'ordre inverse. Les séquences juste et fausse étaient
prononcées successivement par deux marionnettes animées par l'expérimentateur. Après avoir entendu les deux séquences, l'enfant désignait celle qui selon
lui avait « parlé correctement ». Au total, chaque enfant jugeait 24 séquences, la
moitié opposant une liaison juste à une erreur par substitution et l'autre moitié
une liaison juste à une erreur par omission. Soulignons que ces deux types d'erreurs sont largement attestés chez l'enfant entre 2 et 6 ans (Dugua, 2006).
R é s u l t a t s e t d i s c u s s i o n p o u r l e s t â c h e s d e p r oduction et de jug ement
Nous avons mené deux analyses distinctes pour les tâches de production
et de jugement. Pour faciliter la comparaison des résultats, nous avons réuni les
moyennes et les écarts-types dans le tableau 1.
P ro d u c t i o n
(max = 16)
Enfants atteints de
troubles du langage
Enfants tout-venant
9.8
(4.8)
14.3
(2.8)
Modalités de juge m e n t
(max = 12)
juste vs substitution
juste vs omission
[
˜navjɔ̃] / [
˜zavjɔ̃] [
˜navjɔ̃]/ [˜avjɔ̃]
9.9
6.5
(2.4)
(3.2)
9.5
6.5
(3.1)
(2.5)
Tableau 1 - Production et jugement : moyenne (écart-type) des scores de
réponses conformes à la cible adulte
S'agissant des scores de production, l'analyse de variance opposait simplement les deux groupes d'enfants. Il s'avère que la moyenne des productions
justes des enfants tout-venant (14.3) est significativement supérieure à celles des
enfants atteints de troubles du langage (9.8) (F1,28 = 9.624, p = 0.0044).
209
texte 229
19/03/07
15:17
Page 210
S'agissant des jugements, l'analyse de variance concerne les réponses
conformes à la cible adulte (désigner la marionnette qui a prononcé la liaison
correcte) et implique un premier facteur opposant les deux groupes d'enfants et
un second contrastant les deux modalités de jugement (juste vs substitution /
juste vs omission). Les moyennes des enfants tout-venant et des enfants atteints
de troubles ne sont pas significativement différentes (p = 0.80). L'effet de la
modalité de jugement est cependant significatif (F1,28 = 31.528, p < 0.0001),
les jugements étant mieux réussis si on oppose une liaison juste à une liaison
fausse et moins réussis si on oppose une liaison juste à une absence de liaison.
L'interaction n'est pas significative (F < 1, p = 0.77).
Comme il est classiquement observé dans les comparaisons entre enfants
tout-venant et enfants atteints de troubles du langage, les différences sont plus
marquées dans une tâche de production de liaisons obligatoires que dans une
tâche impliquant une composante perceptive, tel le jugement. Plus précisément,
les performances en jugement des enfants avec troubles ne diffèrent pas de
celles d'enfants du même âge développemental, alors que leurs performances en
production sont inférieures. Ainsi, à l'aune de l'âge développemental, les jugements des enfants atteints de troubles du langage sont en avance sur leurs productions 2.
E x p é rience 2 : production et jugement des liaisons ob lig a t o i res c hez
des enf a n t s t o u t - v e n a n t i s s u s d e m i l i e u x s o c i a u x c o n t r a s t é s
La seconde démarche empirique concerne la production et le jugement
des liaisons obligatoires chez 188 enfants tout-venant âgés de 2 à 6 ans, issus de
milieux sociaux contrastés. Deux questions sous-tendent cette étude : 1/ Est-ce
que des décalages entre jugement et production apparaissent dans le cours du
développement normal et dans quel sens se manifestent-ils ? 2/ Des différences
développementales, opposant des enfants participant à des environnements langagiers différents, apparaissent-elles dans le cours du développement et quelle
est leur évolution ?
P a r ticipants
L'échantillon est composé de 188 enfants âgés de 2 à 6 ans scolarisés en
classe de maternelle. Ils ont été choisis a priori en fonction de la profession de
leurs parents (obtenue grâce aux fiches de rentrée scolaire remplies par les
parents). Pour établir deux groupes sociaux contrastés, nous nous sommes basés
2 Il est important de souligner qu'aucune comparaison directe de la production et du jugement n'est possible,
même si on ramène les scores à la même métrique (par exemple, par des pourcentages). Sauter un mètre en
hauteur à un âge donné n'équivaut pas à sauter un mètre en longueur.
210
texte 229
19/03/07
15:17
Page 211
sur la nomenclature INSEE (Desrosières & Thévenot, 1988). Les parents dont la
profession appartenait au groupe 3 de la nomenclature (cadres de la fonction
publique, professeurs et professions scientifiques, cadres administratifs et techniques, ingénieurs, etc.) ont été considérés comme représentatifs du groupe
« parents cadres ». Les parents dont la profession appartenait au groupe 6 (tous
les types d'ouvriers et les chauffeurs) ont été classés dans la catégorie « parents
ouvriers ». Afin d'augmenter le contraste entre les environnements sociaux,
nous avons choisi seulement les enfants dont les deux parents exerçaient une
profession typique du même groupe ainsi que les enfants dont l'un des deux
parents exerçait une profession typique et l'autre était sans profession.
Nous avons également réparti les enfants en 4 groupes d'âges. Le tableau
2 montre la répartition des sujets en fonction de l'âge et du milieu social.
Groupe d'âge
2-3 ans
3-4 ans
4-5 ans
5-6 ans
Milieu social
N
parents cadres
parents ouvriers
parents cadres
parents ouvriers
parents cadres
parents ouvriers
parents cadres
parents ouvriers
22
19
25
20
27
27
25
23
Moyenne
(en mois)
35.1
33.9
43.1
43.6
54.4
54
66.7
65.9
Écart-type
2.7
3
2.6
2.8
3.5
3.1
3.5
3.2
Tableau 2 - Répartition des enfants en fonction du groupe d'âge et du milieu
social
T â c h e d e p r o d u c t i o n : m a t é r iel et pr o c é d u r e
Comme dans l'expérience précédente (cf. expérience 1), la tâche de production était basée sur la dénomination d'images représentant des objets ou des
animaux dessinés en un ou deux exemplaires. Les enfants produisaient donc des
contextes de liaison obligatoire composés d'un déterminant (un ou deux) et d'un
nom à initiale vocalique (ours, arbre, avion, éléphant, escargot et ordinateur).
Entre les images-cibles était présentée une image-distracteur induisant la production de séquences sans liaison ; ces dernières étaient constituées des mêmes
déterminants et d'un nom à initiale consonantique (ballon, lit, cochon, singe,
camion, balai). Les images-cibles d'une part, et les distracteurs d'autre part,
étaient présentés dans un ordre aléatoire. Finalement, cette tâche permettait de
recueillir 12 occurrences de séquences mot1 + mot2 en contexte de liaison obligatoire.
211
texte 229
19/03/07
15:17
Page 212
T â c h e d e j u g e m e n t d ' a c c e p t a b i l i t é : m a t é r iel et pr o c é d u r e
Comme dans l'expérience précédente (cf. expérience 1), les enfants
étaient amenés à déterminer laquelle des deux séquences entendues contenait
une liaison correcte. A l'aide de deux peluches qu'il faisait parler, l'expérimentateur produisait les séquences qu'il soumettait au jugement de l'enfant. L'une
d'elles comportait la consonne de liaison correcte et l'autre une erreur de substitution (un suivi de la liaison /z/ ou deux suivi de la liaison /n/, exemple :
[dønurs]). Les noms et les déterminants étaient les mêmes que ceux utilisés
dans la tâche de production. Ainsi, 12 paires de séquences "liaison juste" versus
"liaison fausse" ont été évaluées par chacun des enfants.
R é s u l t a t s e t d i s c u s s i o n p o u r l e s t â c h e s d e p r oduction et de jug ement
Nous rapportons et discutons d'abord les pourcentages évaluant la production de liaisons obligatoires réalisées justes (cf. figure 1). Puisque leur fonction est d'estimer la capacité enfantine à produire des liaisons conformes à la
cible adulte, seules les réalisations avec la consonne adéquate ont été considérées dans le calcul. Une analyse de variance à deux facteurs (groupe d'âge et
milieu social) fait apparaître un effet significatif de l'âge (F3,179 = 6.098, p
< 0.001), un effet significatif du milieu social (F1,179 = 35.364, p < 0.001) ainsi
qu'une interaction significative entre ces deux facteurs (F3,179 = 3.848, p =
0.011). L'effet du milieu social est significatif à 2-3 ans (Bonferroni 3, p <
0.001), tendanciel à 3-4 ans (p = 0.056) et significatif à 4-5 ans (p = 0.008).
Dans ces trois tranches d'âge, les enfants de parents cadres réalisent davantage
de liaisons justes que les enfants de parents ouvriers. A 5-6 ans, la différence
entre les deux groupes sociaux n'est plus significative.
Figure 1 - Pourcentages de productions de liaisons obligatoires justes
3. Le test post-hoc de Bonferroni a été utilisé pour chacune des comparaisons inter-groupes.
212
texte 229
19/03/07
15:17
Page 213
Une seconde analyse a été consacrée aux pourcentages de jugements
conformes à la cible adulte (estimer que la marionnette qui a parlé correctement
est celle qui dit [
˜ narbr] et pas celle qui a dit [
˜ zarbr]). Les moyennes par
groupe social et tranche d'âge sont représentées dans la figure 2. L'analyse de
variance fait apparaître un effet significatif de l'âge (F3,179 = 30.819, p < 0.001)
et du milieu social (F1,179 = 6.397, p = 0.012). Si on compare deux à deux les
moyennes des groupes sociaux dans chaque tranche d'âge, on constate qu'ils se
distinguent significativement à 4-5 ans seulement (Bonferroni, p < 0.001). De
façon transitoire, les enfants de parents cadres émettent des jugements plus
conformes à la cible adulte que les enfants de parents ouvriers.
Figure 2 - Pourcentages de jugements en faveur des liaisons obligatoires justes
Il existe donc des différences entre enfants issus de groupes sociaux
contrastés quand on les compare sur des tâches de production et de jugement
des liaisons obligatoires alors que ce type de liaison est réalisé à 100 % par tous
les adultes qui participent à leur environnement langagier. Lorsque ces différences apparaissent, les réponses conformes à la cible adulte sont toujours plus
nombreuses chez les enfants de cadres que chez les enfants d'ouvriers. Toutefois, ces différences sont toujours transitoires, dans le sens où elles se résorbent
à 5-6 ans. Cette convergence tardive préfigure d'ailleurs l'unicité du traitement
de la liaison obligatoire chez l'adulte.
Pour observer les décalages développementaux entre production et jugement dans la fourchette d'âges considérée, nous avons décrit plus précisément
l'avancée des progrès dans les deux tâches séparément, en regroupant les
milieux sociaux (cf. tableau 3).
213
texte 229
19/03/07
15:17
Groupe d'âge
Production
Jugement
Page 214
2-3 ans
3-4 ans
4-5 ans
5-6 ans
46.3 %
(33.7)
53.1 %
(16.0)
67.1 %
(28.0)
55.3 %
(18.0)
74.1 %
(27.4)
71.8 %
(22.8)
91.1 %
(13.9)
87.1 %
(20.4)
Tableau 3 - Progression entre les tranches d'âges en production et en jugement
(moyenne et écart-type)
En ce qui concerne la production, on enregistre un progrès significatif
entre 2-3 et 3-4 ans (Bonferroni, p < 0.001), une absence de différence significative entre 3-4 et 4-5 ans (p = 0.897) et à nouveau un saut significatif entre 4-5 et
5-6 ans (p = 0.003). Pour les jugements, aucun progrès significatif n'est constaté
entre 2-3 et 3-4 ans (p ≈ 1). Les progrès débutent entre 3-4 et 4-5 ans (p <
0.001) et se poursuivent entre 4-5 et 5-6 ans (p < 0.001). Ainsi, les progrès en
production commencent dès la transition entre la première tranche d'âge et la
seconde, alors que les jugements stagnent pendant les deux premières tranches
et progressent plus tardivement. Nous en concluons qu'il existe, entre 2 et 4 ans
chez les enfants tout-venant, une dynamique plus marquée dans le développement de la production que celui du jugement.
Discussion et conc l u s i o n
Les deux expériences présentées établissent trois résultats.
Premièrement, comme pour d'autres aspects du langage, 15 enfants atteints
de troubles (âgés de 89 à 142 mois, niveaux TCG de 39 à 75 mois) ont une
meilleure performance dans la tâche de jugement des liaisons entre déterminant
et nom que dans celle de production. Alors que les jugements des enfants atteints
de troubles sont équivalents à ceux d'enfants tout-venant appariés selon l'âge
développemental et le sexe, leur performance en production est moindre. Deuxièmement, entre 2 et 6 ans, des différences transitoires concernant la production et
le jugement de ces mêmes liaisons distinguent 99 enfants de parents cadres et 89
enfants de parents ouvriers. Dès 2-3 ans, les enfants de cadres produisent mieux
les liaisons obligatoires que les enfants d'ouvriers. Cette différence disparaît
cependant à 5-6 ans. Les jugements des deux milieux sont identiques entre 2 et 4
ans, puis ceux des cadres sont plus conformes à la cible adulte à 4-5 ans et cette
différence s'annule à 5-6 ans. Troisièmement, la comparaison des courbes d'acquisition en production et en jugement chez les 188 enfants tout-venant suggère
que la production s'améliore avant le jugement. L'amélioration la plus précoce en
214
texte 229
19/03/07
15:17
Page 215
matière de production se situe en effet entre 2-3 ans et 3-4 ans, alors qu'elle intervient entre 3-4 ans et 4-5 ans en jugement. En utilisant le scénario basé sur
l'usage présenté en introduction, nous proposerons une interprétation des résultats des enfants tout-venant. Nous verrons ensuite quelles sont les limites de son
extension à des enfants atteints de troubles du langage.
Les liaisons obligatoires, contrairement aux facultatives, sont invariablement réalisées par les adultes francophones, quel que soit leur statut social. L'apparition de différences transitoires entre des enfants tout-venant de milieux
sociaux distincts demande à être éclaircie. Dans le modèle développemental proposé, la mémorisation de séquences mot1-mot2 constitue la base de données à
partir de laquelle l'enfant produit les groupes nominaux et généralise leur
construction. Plus un enfant entend de séquences mot1-mot2 contenant une liaison, plus il accumule le matériel verbal nécessaire à la généralisation de schémas
productifs de type un + /nX/ ou des + /zX/. Or, on sait que les enfants de parents
à statut social élevé entendent davantage de discours adulte (Hoff-Ginsberg,
1994 ; Hoff, Laursen & Tardif, 2002 ; Hoff, 2003). Davantage de discours adulte,
c'est davantage d'occasions de rencontrer des séquences mot1-mot2 bien formées. Le modèle basé sur l'usage prédit donc un apprentissage de la production
des liaisons obligatoires plus rapide chez les enfants de familles à statut social
élevé, alors même qu'aucune différence sociolinguistique n'oppose les adultes
quant à la réalisation de ce type de liaisons. Une interprétation analogue rend
compte des différences entre milieux sociaux en jugement. La capacité à distinguer les séquences liaisonnées correctes ([
˜navjɔ̃]) des séquences erronées
([
˜zavjɔ̃]) est fondée sur la référence à des groupes nominaux mémorisés ou sur
la mobilisation de schémas de type un + /nX/ ou des + /zX/. Puisque la généralisation aboutissant aux schémas nécessite la mémorisation d'une quantité suffisante de séquences mot1-mot2, il est attendu que les jugements soient sensibles à
la quantité de discours entendu. En outre, la tâche de jugement peut également
impliquer la capacité métaphonologique, dont le développement chez des enfants
tout-venant de grande section de maternelle dépend du niveau d'étude de la mère
(Zorman, 1999). Ce facteur pourrait converger avec l'influence fréquentielle pour
aboutir aux différences sociales constatées vers 4-5 ans.
Le même processus de généralisation de schémas à partir de séquences
mémorisées rend compte de la disparition des différences sociales en production
et en jugement à 5-6 ans. En effet, la mémorisation étant cumulative, les enfants
des deux milieux enregistrent finalement, mais à des âges différents, un nombre
de séquences mot1-mot2 suffisant à la généralisation des schémas. Une fois ces
schémas disponibles, ils sont mobilisés lors du jugement et de la production
dont les performances deviennent alors indépendantes du nombre de séquences
215
texte 229
19/03/07
15:17
Page 216
bien formées mémorisées. Tous les enfants tout-venant finissent donc par
construire de tels schémas et par se dégager des différences fréquentielles liées à
leur milieu d'origine.
Finalement, le décalage entre production et jugement chez les enfants
tout-venant découlerait du retard des capacités métaphonologiques sur l'habileté
à produire le langage (Gombert, 1990), si on admet toutefois qu'une tâche de
jugement implique une composante métaphonologique. Dans ce cas, les
connaissances linguistiques - c'est-à-dire les schémas et les séquences mémorisées qui les sous-tendent - seraient d'abord opérationnelles pour une tâche de
production et leur mise en œuvre dans une tâche de jugement d'acceptabilité
serait plus tardive.
Chez les 15 enfants atteints de troubles du langage impliqués dans la première expérience, ce décalage est inversé : leur capacité de jugement des liaisons obligatoires devance leur capacité de production. Ils ont donc une difficulté
à utiliser en production la totalité des connaissances linguistiques qu'ils manifestent à travers le jugement. De façon inattendue, on observe le même décalage
chez des adultes non-francophones apprenant le français en milieu scolaire. Delpiano-Harnois (2006) a suivi, pendant 18 mois, 16 étudiants coréens âgés de 19
à 25 ans au début de l'étude. Tous les 6 mois, ils produisaient et jugeaient des
liaisons obligatoires et facultatives puis prononçaient en isolation et écrivaient
les mots1 impliqués dans ces tâches. La comparaison avec des enfants natifs
participant aux mêmes tâches (Dugua, 2006 ; Nardy, 2003) montre que la performance en jugement de liaisons obligatoires des adultes coréens équivaut à
une performance native de 5-6 ans alors que leur production ne dépasse pas la
performance des 3-4 ans. Comparés à de jeunes natifs, les apprenants coréens
du français sont donc meilleurs en jugement qu'en production, comme les
enfants souffrant de troubles du langage.
Outre ce décalage, une autre ressemblance rapproche les deux populations. Chez les apprenants coréens, les erreurs en production de liaisons obliga˜ avjɔ̃] sans liaitoires sont majoritairement des omissions (un avion prononcé [
son). Les substitutions ([
˜ zavjɔ̃] avec [z] au lieu de [n]) sont quasiment
inexistantes (moins de 2 %) alors qu'elles sont les erreurs les plus représentées
chez les enfants natifs entre 2-3 ans (43.7 %) et 4-5 ans (17.3 %) (Dugua, 2006).
On retrouve la même tendance chez les enfants de l'expérience 1. Les 15 sujets
atteints de troubles du langage font davantage d'omissions (en moyenne 29 %)
que de substitutions (12 %) (t14 = 2.19, p = 0.046). Chez les 15 tout-venant
appariés selon le sexe et le niveau de développement, les occurrences des deux
types d'erreurs sont très basses (< 7 %) et la différence entre elles non significative (t14 < 1, p = 0.70).
216
texte 229
19/03/07
15:17
Page 217
La proximité entre le profil des adultes non francophones et celui des
enfants atteints de troubles suggère qu'ils partagent certains modes d'acquisition
des liaisons fondamentalement différents de ceux des enfants natifs tout-venant.
Contrairement aux jeunes natifs indemnes de troubles, les adultes qui apprennent le français en milieu scolaire n'acquièrent pas la totalité des liaisons en
généralisant des schémas à partir de séquences mémorisés composées d'un
déterminant et d'un nom. Selon Delpiano-Harnois (2006), ils fondent aussi leur
connaissance de ce phénomène sur l'explicitation qui en est donnée en cours de
français et sur une référence aux graphies des mots1, dont la lettre muette finale
correspond à la consonne de liaison (n à la fin de un, x ou s à la fin de deux et
des, etc.). Cette référence délibérée à la graphie ou à des connaissances explicites conduirait à des progrès rapides en jugement, mais elle serait plus difficile
à mettre en œuvre en temps réel lors de la production. Elle se manifesterait par
une prononciation orthographique du mot1 (petit est prononcé avec un [t] final
même en isolation) ou par l'insertion optionnelle d'une consonne de liaison entre
le déterminant et le nom activés et produits séquentiellement. Cette production
basée sur l'écrit et le découpage graphique des mots n'aboutit évidemment ni à
la segmentation de variantes à consonnes initiales (/narbr/, /zarbr/ pour arbre)
ni aux erreurs de substitution qui découlent de ces variantes chez les enfants
natifs.
Une raison de ces différences entre enfants natifs tout-venant et apprenants adultes non natifs pourrait résider dans la rareté de l'input inhérente à l'apprentissage scolaire d'une langue. Il est impensable que les cours de français et
les rencontres occasionnelles avec cette langue permettent aux non natifs d'entendre les 7000 énoncés perçus quotidiennement par un enfant dans son environnement familial (Cameron-Faulkner, Lieven & Tomasello, 2003). Les
enfants atteints de troubles du langage, impliqués dans l'expérience 1, reçoivent
sans doute un input oral quantitativement comparable à celui d'enfants toutvenant, mais leurs difficultés limitent leur capacité à extraire de cet input des
connaissances linguistiques implicites exploitables par les processus de production du langage. Il est donc attendu qu'ils cherchent à pallier ce manque par un
recours à leurs connaissances explicites sur la liaison plus faciles à mobiliser
lors d'une tâche de jugement que dans le temps réel de la production orale. Ces
enfants, âgés de 7 à 11 ans, bénéficient d'un enseignement de l'écrit et d'une
rééducation sur le long cours qui peut inclure une information sur la liaison. Les
sources d'informations exploitables dont ils disposent sont donc potentiellement
similaires à celles d'adultes apprenant le français en milieu scolaire.
Comme l'a montré Hirschman (2000), en enseignant explicitement des
phrases complexes à des enfants dysphasiques, il existerait un « pont métalin-
217
texte 229
19/03/07
15:17
Page 218
guistique » qui permet aux enfants atteints de troubles de réinvestir au moins
partiellement leurs connaissances linguistiques explicites dans les processus en
temps réel de la production orale. S'agissant de la liaison obligatoire, ce pont
serait également exploité par les adultes non francophones apprenant le français
en contexte scolaire.
REFERENCES
ASHBY, W. (1981). French Liaison as a Sociolinguistic Phenomenon. In W.W., CRESSEY, D. J.,
NAPOLI, D. (Eds.), Linguistics Symposium on Romance Languages (9th) (pp.46-57). Washington, DC : Georgetown University Press.
BATES, E. GOODMAN, J. C. (1997). On the inseparability of grammar and the lexicon : evidence from
acquisition. Language and Cognitive Processes, 12, 507-584.
BISHOP, D. V. M. (1997). Uncommon understanding : development and disorders of language comprehension in children. Hove : Psychology Press.
BLANC, I., VUILLAUME, L. (2002). Évaluation de l'acquisition de la liaison chez les enfants dysphasiques comparée à celle d'enfants tout-venant. Mémoire de quatrième année, École d'Orthophonie, Lyon.
BOË, L.-J., TUBACH, J.-P. (1992). "De A à Zut", Dictionnaire phonétique du français parlé. Grenoble :
Ellug.
BOOIJ, G., DE JONG, D. (1987). The domain of liaison : theories and data. Linguistics, 25, (5), 10051025.
CAMERON-FAULKNER, T., LIEVEN, E. TOMASELLO, M. (2003). A construction based analysis of
child directed speech. Cognitive Science, 27, 843-873.
CHABANAL, D. (2003). Un aspect de l'acquisition du français oral : la va riation socio-phonétique chez
l'enfant francophone. Thèse de doctorat, Université Paul Valéry, Montpellier.
CHEVROT, J.-P., FAYOL, M. (2001). Acquisition of French liaison and related child errors. In M., ALMGREN, A. BARRENA, M.J., EZEIZABARRENA, I. IDIAZABAL, B. MACWHINNEY
(Eds.), Research on Child Language Acquisition : Proceedings of the 8th Conference of the International Association for the Study of Child Language (pp.760-774).
CHEVROT, J.-P., DUGUA, C., FAYOL, M. (2005). Liaison et formation des mots en français : un scénario développemental. Langages, 158, 38-52.
CHEVROT, J.-P., FAYOL, M., LAKS, B. (2005). La liaison : de la phonologie à la cognition. Langages,
158, 3-7.
CHEVROT, J.-P., CHABANAL, D., DUGUA, C. (à paraître). Pour un modèle de l'acquisition des liaisons
basé sur l'usage : trois études de cas. Journal of French Language Studies.
COMBLAIN, A. (2004). La composante morphosyntaxique du langage dans les dysphasies : données
d'observation francophones. Enfance, 1, 36-45.
CÔTÉ, M.-H. (2005). Le statut lexical des consonnes de liaison. Langages, 158, 66-78.
DE JONG, D. (1994). La sociophonologie de la liaison orléanaise. In Lyche, C. (Eds.), French Generative
Phonology : retrospective and perspectives (pp.95-130). Salford : Association for French Language Studies in association with the European Studies Research Institute.
DELATTRE, P. (1966). Studies in French and comparative phonetics : selected papers in French and
English. The Hague, London, Paris : Mouton.
218
texte 229
19/03/07
15:17
Page 219
DELPIANO-HARNOIS, M. (2006). Étude longitudinale de l'acquisition des liaisons chez l'apprenant
coréen de Français Langue Étrangère : comparaison avec un modèle développemantal attesté
chez des enfants francophones natifs. Mémoire de DSR 2, Université Stendhal, Grenoble.
DELTOUR, J. J. (1991). Test de Closure Grammaticale. Braine-Le-Château : L'Application des Techniques modernes SPRL.
DESROCHERS, R. (1994). Les liaisons dangereuses : le statut équivoque des erreurs de liaison. Linguisticae Investicationes, XVIII : 2, 243-284.
DESROSIÈRES, A., THÉVENOT, L. (1988). Les catégories socioprofessionnelles. Paris : La Découverte.
DUGUA, C. (2002). Liaison et segmentation du lexique en français : vers un scénario développemental.
Mémoire de Diplôme d'Études Approfondies, Université Stendhal, Grenoble.
DUGUA, C. (2005). De la liaison à la formation du lexique chez les jeunes enfants francophones. Le langage et l'homme, 40, (2), 163-182.
DUGUA, C. (2006). Liaison, segmentation lexicale et schémas syntaxiques : un modèle développemental
basé sur l'usage. Thèse de doctorat, Université Stendhal, Grenoble.
DUGUA, C., CHEVROT, J.-P., FAYOL, M. (2006). Liaison, segmentation des mots et schémas syntaxiques entre 2 et 6 ans : un scénario développemental. In Entretiens de Bichat : Orthophonie
(pp.230-244). Paris : Expansion, formation et éditions.
GOMBERT, J.-E. (1990). Le développement métalinguistique. Paris : Presses Universitaires de France.
HIRSCHMAN, M. (2000). Language repair via metalinguistic means. International Journal of Language
and Communication Disorders, 35, (2), 251-268.
HOFF-GINSBERG, E. (1994). Influences of mother and child on maternal talkativeness. Discourse Processes, 18, 105-117.
HOFF, E., LAURSEN, B., TARDIF, T. (2002). Socioeconomic status and parenting. In M. H. BORNSTEIN (Eds.), Handbook of parenting (pp.231-252.). Mahwah : Lawrence Erlbaum.
HOFF, E. (2003). The specificity of environmental influence : socioeconomic status affects early vocabulary development via maternal speech. Child Development, 74, (5), 1368-1378.
KEMMER, S., BARLOW, M. (2000). Introduction : A usage-based conception of language. In Barlow, M.
& Kemmer, S. (Eds.), Usage-based models of language use (pp.VII-XXVIII). Stanford, Californie : CSLI Publications.
LIEVEN, E., BEHRENS, H., SPEARES, J., TOMASELLO, M. (2003). Early syntactic creativity : a
usage-based approach. Journal of Child Language, 30, 333-370.
MALÉCOT, A. (1975). French liaison as a function of grammatical, phonetic and paralinguistic variables.
Phonetica, 32, 161-179.
MATTYS, S. L., JUSCZYK, P. W. (2001). Do infants segment words or recurring continuous patterns ?
Journal of Experimental Psychology : Human Perception and Performance, 27, 644-655.
MORIN, Y.-C. (2003 [1998]). Remarks on prenominal liaison consonant in French. In S. PLOCH, (Eds.),
Living on the Edge - 28 Papers in Honour of Jonathan Kaye (pp.385-400). Berlin : Mouton de
Gruyter.
NARDY, A. (2003). P roduction et jugement d'acceptabilité entre 2 et 6 ans : aspects psycholinguistiques
et sociolinguistiques de l'acquisition de la liaison. Mémoire de Diplôme d'Études Approfondies,
Université Stendhal, Grenoble.
NARDY, A. & BARBU, S. (2006). Production and judgment in childhood : The case of liaisons in French.
In Hinskens, F. (Eds.), Language Va riation - European Perspectives. Selected papers from the
Third International Conference on Language Va riation in Europe (ICLaVE 3) (pp.143-152).
Amsterdam : John Benjamins Publishing Company.
PIÉRART, B. (2004). Les dysphasies chez l'enfant : un développement en délai ou une construction langagière différente? Enfance, 1, 5-19.
TOMASELLO, M. (2000). The item-based nature of children's early syntactic development. Trends in
Cognitive Sciences, 4, 156-163.
TOMASELLO, M. (2003). Constructing a language : a usage-based theory of language acquisition.
Cambridge : Harvard University Press.
TRANEL, B. (2000). Aspects de la phonologie du français et la théorie de l'optimalité. Langue Française,
126, 39-72.
219
texte 229
19/03/07
15:17
Page 220
VAN HOUT, A. (2000). Les pathologies de l'oral. In Kail, M. & Fayol, M. (Eds.), L'acquisition du langage : Le langage en émergence, de la naissance à 3 ans (pp.267-293). Paris : Presses Universitaires de France.
WAUQUIER-GRAVELINES, S. (2005). Statut des représentations phonologiques en acquisition, traitement de la parole continue et dysphasie développementale. Dossier présenté en vue de l'Habilitation à Diriger des Recherches, Université de Nantes, Nantes.
WAUQUIER-GRAVELINES, S., BRAUD, V. (2005). Proto-déterminant et acquisition de la liaison obligatoire en français. Langages, 158, 53-65.
ZORMAN, M. (1999). Evaluation de la conscience phonologique et entraînement des capacités phonologiques en grande section de maternelle. Réeducation Orthophonique, 197, 139-157.
220
texte 229
19/03/07
15:17
Page 221
♦ LABORAT O I R E S D E P H O N O L O G I E
Toutes les Universités de Lettres ou de Sciences Humaines disposent d’un
Laboratoire de Linguistique ou des Sciences du Langage ou des Sciences
Cognitives avec un département de Phonétique ou de Phonologie et développent
des recherches dans ce domaine. Certaines Universités de Médecine ou Centres
Hospitaliers disposent d’un Laboratoire d’Audiophonologie.
Parmi ceux-ci on peut citer :
• LSCP : Laboratoire de Sciences Cognitives et Psycholinguistique
EHESS-ENS-CNRS
46 Rue d’Ulm
75005 Paris
• Laboratoire Étude des Mécanismes Cognitifs / Laboratoire Dynamique du
Langage
UMR – CNRS
Université de Lyon 2
5 avenue Mendes France
69676 Bron Cedex
• Laboratoire Jacques Lordat
Université Toulouse Le Mirail
Pavillon Recherche
5 allée Machado
31058 Toulouse Cedex
• Laboratoire d’Audiophonologie Expérimentale et Clinique
Faculté de Médecine Aix Marseille
Fédération ORL CHU La Timone
13385 Marseille
Laboratoire Parole et Langage
CNRS
Université Aix Marseille
• Laboratoire de Phonétique et de Phonologie
UFR - Institut de Linguistique et Phonétique générale et appliquée
Université Sorbonne Nouvelle
19 Rue des Bernardins
75000 Paris Cedex
221
texte 229
19/03/07
15:17
Page 222
• Laboratoire Phonétique et Phonologie
CNRS
Université Paris 3
Hôpital Européen Georges Pompidou
20 rue Leblanc
75015 Paris
• Laboratoire Lidilem
Université de Grenoble
BP25 38040 Grenoble cedex
• Mo Dy Co : Laboratoire Modèle Dynamique Corpus
Université Paris 10
200 avenue de la République
92001 Nanterre Cedex
• Laboratoire de Phonétique et Phonologie
Département langues, linguistique et traduction
Faculté de Lettres
Université de Laval
Sainte Foy - Québec - GIK 7P4 Canada
• Laboratoire de Phonologie
Université Libre de Bruxelles
50 avenue F D Roosevelt
Bruxelles - Belgique
• Laboratoire des Sciences de la Parole
Académie de Wallonie
Bruxelles - Belgique
• Département des Sciences Cognitives
Troubles développementaux du langage
Bât. B33, Logopédie
3 Boulevard du Rectorat
Liège (Sart-Tilman) - Belgique
222
texte 229
19/03/07
15:17
Page 223
♦ ART I C L E S D E R E V U E S
Pour une revue de littérature, consulter entre autres :
• Fonds de Phonologie : Articles et revues
CNRS
Bibliothèque ILPGA ou
Laboratoire de Phonétique
Université Paris 3
Hôpital Européen Georges Pompidou
20 rue Leblanc
75015 Paris
• Édition électronique scientifique
[email protected]
• Revue électronique Marges Linguistiques
www.marges-linguistiques.com
• Revue Parole
Université de Mons Hainaut
20 Place du Parc
7000 Mons - Belgique
223
texte 229
19/03/07
15:17
Page 224
Aucun article ou résumé publié dans cette revue ne peut être reproduit sous forme d’imprimé, photocopie,
microfilm ou par tout autre procédé sans l’autorisation expresse des auteurs et de l’éditeur.
224