Medical Licensing and the Disciplinary Process, R. Horowitz
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Medical Licensing and the Disciplinary Process, R. Horowitz
Comptes rendus / Sociologie du travail 57 (2015) 126–149 139 Référence Masclet, C., 2015 [à paraître]. Les militantes de la deuxième vague. Incidences biographiques et transmission familiale d’un engagement féministe. Thèse de doctorat, Université de Lausanne. Pagis, J., 2014. Mai 68, un pavé dans leur histoire. Événements et socialisation politique. Presses de Sciences Po, Paris. Cécile Péchu Institut d’Études Politiques et Internationales, Université de Lausanne, Geopolis, 1015 Lausanne, Suisse Adresse e-mail : [email protected] Disponible sur Internet le 21 janvier 2015 http://dx.doi.org/10.1016/j.soctra.2014.12.014 In the Public Interest: Medical Licensing and the Disciplinary Process, R. Horowitz. Rutgers University Press, New Brunswick, NJ (2013). 268 p. Depuis plus de quinze ans, Ruth Horowitz, professeur de sociologie à la New York University, participe, en tant que « membre civil » (public member), au travail de medical boards, ces conseils chargés par les différents États américains de délivrer les licences donnant aux médecins le droit d’exercer, mais surtout d’évaluer et de sanctionner leurs comportements fautifs dans l’exercice de leur profession : incompétence, consommation de drogue, comportement sexuel inapproprié, etc. S’appuyant sur cette longue expérience, mais aussi sur de nombreux documents et des observations menées dans deux autres conseils médicaux, elle conduit dans cet ouvrage une analyse fine de l’histoire et des modes de délibération de ces institutions, peu étudiées malgré leur rôle central dans la profession médicale. Un questionnement sert plus spécifiquement de fil rouge à sa réflexion : comment les patients ont-ils obtenu le droit d’être représentés dans ces conseils initialement réservés aux médecins et, étant donné la forte légitimité du savoir médical, de quelle manière les membres civils — qui, dans la plupart des comités, représentent le quart des membres — peuvent-ils effectivement peser sur les décisions prises ? En étudiant la brèche qui a été ouverte dans l’auto-régulation traditionnelle du corps médical, il s’agit bien pour l’auteur de réfléchir aux conditions dans lesquelles peuvent être élaborés, dans de nombreux espaces sociaux, des modes de gouvernance inspirés des théories de la démocratie délibérative, qui sont selon elle les mieux à même de défendre l’intérêt public. L’ouvrage débute par un récit réflexif des deux expériences contrastées de R. Horowitz en tant que « membre civil ». Il plonge le lecteur dans la vie concrète des conseils et laisse apparaître des enjeux qui seront approfondis par la suite, notamment l’impact des conditions organisationnelles et matérielles sur la capacité des membres civils à défendre un point de vue autre que celui du corps médical, et les équilibres différents résultant de la confrontation de trois types de discours : médical, juridique, civil. L’ouvrage se découpe ensuite en deux grandes parties. La première (chapitres 2, 3 et 4) porte sur l’histoire de la régulation médicale aux États-Unis. Elle met en lumière les mouvements interconnectés d’amélioration et de standardisation de la formation médicale, d’une part, et de clôture de la profession, d’autre part, qui aboutirent à la fin du XIXe siècle au remplacement du simple jeu du marché par une auto-régulation professionnelle, incarnée par la licence et les conseils médicaux. Si, dans ce processus, les médecins usèrent de 140 Comptes rendus / Sociologie du travail 57 (2015) 126–149 la rhétorique du bien commun, « la volonté d’améliorer la formation médicale et d’instaurer des autorisations d’exercice est souvent apparue plus liée à la recherche de bénéfices économiques et d’un statut de la profession qu’à la poursuite du bien public » (p. 46, nous traduisons). Cette autonomie professionnelle fut remise en cause, d’abord au cours des années 1970, avec l’inclusion de membres civils dans la plupart des conseils (sous l’impulsion d’un gouvernement fédéral désireux d’ouvrir le marché du travail médical), puis au cours des années 1980 et 1990, par une implication croissante des gouvernements locaux dans l’activité des conseils (à la suite de révélations des médias sur leur manque de sévérité). L’analyse de R. Horowitz est particulièrement riche et convaincante. On pourra simplement regretter qu’il ne soit pas accordé plus de place à la construction — et à l’évolution — des types de comportements susceptibles de faire l’objet de poursuites. La seconde partie du livre (chapitres 5, 6 et 7) est consacrée aux débats des conseils, des phases d’investigation sur les faits incriminés à la fixation des sanctions. Elle décrit l’opposition et l’articulation de trois domaines discursifs : le discours médical, fortement structuré par la culture du peer review et la volonté de réhabilitation des médecins fautifs, le discours juridique, visant le respect des procédures et l’établissement de faits, et le discours civil qui, « par contraste, relève moins d’une “habitude” pour la plupart des participants, a des frontières floues, et nécessite des efforts pour déchiffrer la façon dont un “public” pourrait penser » (p. 99, nous traduisons). R. Horowitz souligne cependant les possibilités qu’ont les membres civils de peser sur les débats, parfois par de simples questions comme « adresseriez-vous votre enfant à ce médecin ? ». Elle montre aussi que les investigations structurées par le discours juridique (et non le discours médical), qui se concentrent sur les faits plutôt que sur la personnalité du médecin ou sur les raisons qui ont pu le conduire à faire une erreur, sont plus favorables à la participation des membres civils. De très nombreux exemples sont mobilisés dans cette partie pour illustrer les différents types d’argumentation et d’enjeux identifiés — comme l’effet du public sur les débats. Cette richesse rend le livre passionnant, mais elle a pour contrepartie une évocation souvent rapide de chacune des procédures. Il aurait été intéressant de suivre aussi une affaire de manière plus approfondie et d’avoir ainsi l’opportunité de saisir avec davantage de finesse l’articulation des différentes dimensions étudiées. Dans un chapitre conclusif l’auteur, discutant les thèses d’Eliot Freidson, promeut face aux modes de régulation consumériste et bureaucratique « un modèle d’autorégulation professionnelle fondé sur la démocratie délibérative » (p. 169, nous traduisons). S’inscrivant dans les perspectives de John Dewey et de George Herbert Mead, elle indique que la présence de membres civils dans les comités médicaux, mais aussi l’implication croissante de juristes, ont permis de contrer l’isolement inhérent à une régulation purement professionnelle, qui conduit à une assimilation forcément contestée des intérêts professionnels à l’intérêt public. Elles ont ainsi ouvert un espace délibératif, dans lequel chacune des différentes parties prenantes a appris à se mettre à la place des autres. Elle reconnaît cependant qu’assurer une participation égalitaire du public et des professionnels comme la représentation du public dans sa diversité reste difficile. La connaissance intime qu’a R. Horowitz du fonctionnement des comités, combinée à son ambition théorique et à sa posture de « sociologue publique » (public sociologist) — qui la conduit, par exemple, à proposer à la fin du livre une série de recommandations sur la sélection et la formation des membres civils, la transparence ou le renforcement du cadre légal — font de cet ouvrage un travail remarquable. Il intéressera tous les chercheurs travaillant sur la santé et les professions, mais aussi ceux réfléchissant à l’articulation entre expertise et intérêt public. Comptes rendus / Sociologie du travail 57 (2015) 126–149 141 Boris Hauray Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (IRIS), UMR CNRS, INSERM, EHESS et Université Paris-13, 190-198 avenue de France, 75013 Paris, France Adresse e-mail : [email protected] Disponible sur Internet le 20 janvier 2015 http://dx.doi.org/10.1016/j.soctra.2014.12.011 Righteous Dopefiend, P. Bourgois, J. Schonberg. University of California Press, Berkeley (2009). 360 p. De novembre 1994 à décembre 2006, Philippe Bourgois, anthropologue à l’Université de Pennsylvanie, et Jeff Schonberg, photographe et diplômé d’anthropologie médicale, ont partagé le quotidien d’un campement de sans-abri de San Francisco, héroïnomanes et fumeurs de crack. Righteous Dopefiend est le résultat de cette enquête financée par une agence gouvernementale, les National Institutes of Health, pour la prévention contre le VIH. Le travail est original à plus d’un titre. Tout d’abord, sa durée — 12 ans — a permis aux deux anthropologues de suivre les trajectoires biographiques de dix hommes et de deux femmes. Leurs analyses éclairent les dynamiques longues qui conduisent et maintiennent dans la rue. L’observation fine des pratiques intimes révèle aussi la cadence quotidienne dans laquelle les toxicomanes sont enfermés : chaque jour, ils doivent se procurer assez d’argent pour satisfaire leur addiction. Sur plusieurs mois, incarcérations, hospitalisations, cures et rechutes alternent. La seconde originalité de cette enquête est son caractère collaboratif : en tout, neuf personnes de disciplines différentes ont collaboré aux cotés de P. Bourgois et J. Schonberg, constituant une « équipe ethnographique ». Les multiples affinités qui ont émergé au cours des douze années d’observation ont permis de collecter plus de matériaux et de les analyser avec des regards complémentaires. La présence d’un médecin dans l’équipe a, par exemple, aidé à comprendre les situations sanitaires des sans-abri toxicomanes et les relations chaotiques qu’ils entretiennent avec les institutions de santé. Righteous Dopefiend rassemble toutefois essentiellement les notes de terrain des deux anthropologues, des extraits des transcriptions de leurs entretiens, et soixante-treize photographies prises par J. Schonberg. Aussi les auteurs présentent-ils leur démarche comme une enquête photo-ethnographique, troisième originalité de ce travail. Le livre se compose de neuf chapitres qui abordent différents aspects de la vie au campement : les hiérarchies sociales, les relations d’amour et d’amitié, les liens familiaux, l’argent, l’addiction et les soins, entre autres. Ce cheminement thématique éclaire la manière dont la violence se déploie à travers les institutions, les relations individuelles, jusque dans les traitements que les individus infligent à leurs corps. Trois notions sont mobilisées pour comprendre cette propagation fractale de la violence, question au cœur des recherches de P. Bourgois. La notion de biopouvoir est utilisée pour expliquer la manière dont la police, la justice et les institutions de protection sociale exercent une action de contrôle des corps particulièrement punitive envers les populations marginalisées par le système de production capitaliste. Dans le chapitre 3 (A Community of Addicted Bodies), la description des soins prodigués aux sans-abri par les institutions de santé illustre bien le principe du biopouvoir énoncé par Michel Foucault : « faire vivre, laisser mourir ». Les sans-abri doivent d’abord s’assurer qu’ils seront bien hospitalisés et que la longue attente aux urgences ne les laissera pas sans ressources à la fin de la journée ; ils attendent donc pour s’y rendre que leur état de santé soit extrêmement grave. Une fois hospitalisés