UNIVERSITY OF CINCINNATI
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UNIVERSITY OF CINCINNATI Date: November 17, 2005 I, _____ ANDREW PETER REIMER ___________________, hereby submit this work as part of the requirements for the degree of: Master of Arts in: French Literature It is entitled: Le je(u) de La mémoire tatouée This work and its defense approved by: Chair: _Dr. Michèle Vialet____________ _Dr. Sanford Ames______________ _______________________________ _______________________________ _______________________________ Le je(u) de La mémoire tatouée Submitted by : Andrew P. Reimer, BA (McGill), Magistère (Paris IV-Sorbonne Nouvelle) As one of the requirements for the degree of Master of Arts in French Literature Department of Romance Languages and Literatures McMicken College of Arts and Sciences University of Cincinnati November 17th, 2005 Committee Chair : Dr. Michèle Vialet Abstract : In his 1971 novel La mémoire tatouée, Moroccan author Abdelkébir Khatibi examines the role of language and memory in the process of decolonization. The complexity of the relationships between memory, language and culture in Morocco is examined through an analysis of the narrative structure of the novel. Khatibi uses the techniques of parabola and parable as well as spatialization and dialogue in order to recreate the process of decolonization that he underwent. Derridian linguistic theory and performativity are key to understanding this novel and help the reader to locate the author’s own voice or subjectivity in the polyphony of the text. It is in the acts of writing and reading that decolonization is performed. Remerciements : Je voudrais d’abord remercier Madame la professeure Michèle Vialet, car c’était dans sa classe que j’ai découvert l’œuvre passionnant de Khatibi. Ce travail est en large partie une réaction aux idées qu’elle a si bien présentées dans son cours sur la littérature maghrébine. Il m’incombe aussi de la remercier pour son aide, sa patience, et ses suggestions lors de l’écriture de ce mémoire. Je voudrais également remercier Monsieur le professeur Sanford Ames, qui a lu et approuvé ce mémoire, et qui a une passion pour la littérature française qui m’inspire. Reimer 1 Table : I. Introduction 2 II. Théorie 10 III. Structure narrative 17 IV. Analyse de textes 26 V. Conclusions 38 Bibliographie 41 Appendice A 43 Appendice B 45 Reimer 2 I. Introduction et contexte. Pourquoi entreprendre l’analyse d’un roman maghrébin écrit en français dans le lieu et le temps où je me retrouve ? Où est l’intérêt, l’importance ? Voilà la question principale à laquelle je tâcherai de répondre au cours de cette introduction. Je crois fermement que l’acte d’interroger se justifie lui-même en tant qu’exercice intellectuel, mais cela n’est pas une réponse suffisante ; je sais que comme lecteur critique je ne l’accepterais pas. Mais il est tout à fait raisonnable de prendre une œuvre écrite dans un contexte historique bien spécifique et de l’analyser en espérant que les conclusions que l’on en retire soient valables dans d’autres contextes. Nous espérons que nos conclusions auront au moins une application littéraire Nous présenterons quelques-unes des structures significatives de La mémoire tatouée (LMT) d’Abdelkébir Khatibi, ce roman hautement poétique qui semble résister de manière presque consciente à une lecture simple ou linéaire. Je tiens à démontrer que l’importance des structures que je relèverai dépasse le fonctionnement de cette œuvre. Mais pour ne pas mettre la charrue devant les bœufs, esquissons d’abord à grands traits le contexte dans lequel cette œuvre a été écrite. Par « contexte » je veux dire le rapport compliqué entre le colonisé et le colonisateur en général ainsi que celui entre Khatibi et sa propre expérience coloniale. J’avance la proposition suivante comme entrée dans le sujet : Khatibi soulèvent de nombreuses questions concernant la formation d’une identité « postcoloniale. » Commençons en interrogeant cette déclaration que je viens de faire. Peut-on véritablement parler d’une identité « post-coloniale » ou même d’une postcolonialité quelconque dans cette œuvre ? Je ne sais, et répondre à cette question Reimer 3 exigera tout d’abord une définition du terme « postcolonial, » ce qui prendrait des centaines de pages si l’on voulait englober tout ce qui a été écrit dans ce domaine archifertile de la critique littéraire. Un tel parcours n’est pas mon but ultime ici. Ce qui m’intéresse c’est de démontrer la nature fondamentalement ambivalente de la colonisation comme elle est représentée dans une œuvre littéraire. Mais pour faire avancer la chose un peu, définissons « postcolonial » comme « propre aux pays colonisateurs et colonisés juste après la fin de la domination coloniale militaire et politique explicite. » Cela est une définition axée sur la temporalité de l’histoire politique qui s’inspire en large partie de la définition du post-colonialisme dans le Columbia Dictionary of Modern Literary and Cultural Criticism (Childers et Hentzi 234). Mais cette définition que je viens d’avancer ne tient pas compte de la complexité et du caractère durable de la colonisation des esprits, et notamment la tendance de ce genre de colonisation à être perpétué non seulement par les colonisateurs eux-mêmes, mais aussi par les colonisés, car la mère bien colonisée, c'est-à-dire la mère qui a intériorisé les leçons de la supériorité des colonisateurs, (re)colonisera ses propres enfants bien longtemps après la fin de la colonisation au sens politique du terme. Voilà un des problèmes de contextualisation auxquels nous faisons face. Quoique Khatibi écrivît LMT après la fin de la colonisation explicite du Maghreb, c'est-à-dire dans la période postcoloniale comme l’ont définie Childers et Hentzi, son roman tire néanmoins son sens d’une réflexion sur les structures coloniales. Autrement dit, LMT doit sa genèse à la colonisation, et sa forme est dictée, encore que peut-être de manière négative, par l’existence et la persistance de la colonisation. Khatibi réagit aux structures coloniales et colonisatrices, et il est bien clair que pour le narrateur de son roman, ce ne Reimer 4 sont pas des choses propres à un passé distant ou fermé. Une fois qu’elles sont installées, ces structures demeureront, et leur influence sur la société et l’individu continuera, surtout dans et à travers le langage. Voilà pourquoi Khatibi tâche d’accomplir sa propre décolonisation avec une réflexion sur le langage. Cette volonté décolonisatrice s’exprime souvent dans les termes de la déconstruction, comme on peut le constater dans la déclaration suivant tirée de La langue de l’autre : « J’ai toujours pensé que ce qui porte le nom de ‘déconstruction’ est une forme radicale de ‘décolonisation’ de la pensée dite occidentale » (24). Cette formulation rappelle celle de Robert J. C. Young dans Postcolonialism : A Historical Introduction : « deconstruction has itself been a form of cultural and intellectual decolonization, exposing the double intention separating rational method from truth » (421). Pourrait-on donc vraiment dire que ce roman s’opère dans un domaine postcolonial, c'est-à-dire dans un lieu caractérisé d’abord par l’absence de la colonisation, quand ses préoccupations centrales sont reliées si intimement à la colonisation ? Il me semble que même à ce niveau, le lecteur fait face à un paradoxe important, à savoir que l’antériorité de la colonisation au sens politique du terme n’entraîne pas nécessairement l’absence « réelle » des structures psychologiques ou langagières de la colonisation dans le/un présent. Pour aller plus loin : le décolonisé, bien qu’il habite dans une période postcoloniale, vit toujours sous l’influence de la colonisation, ou sous l’influence de son rejet conscient de la colonisation, et il n’est donc pas complètement décolonisé, ce qui fait qu’il n’habite pas dans une période tout à fait « post » coloniale. C’est en partie de cette position paradoxale que découle le dédoublement et la rupture dont Khatibi traite longuement dans LMT. La volonté ou le besoin de se décoloniser Reimer 5 dans une période dite postcoloniale remet en question, à mes yeux, la primauté de la politique dans la définition de la postcolonialité, au moins dans le contexte de notre analyse. Cette œuvre khatibienne souligne la nécessité de compliquer notre conceptualisation du sens de la phrase « la présence coloniale » afin d’inclure la présence des séquelles psychologiques du colonialisme. Attribuer une temporalité simple ou linéaire, soit à l’œuvre de notre auteur, soit à l’Histoire de la colonisation française de l’Afrique du Nord serait fondamentalement trompeur. Ce que j’essayerai de faire dans ce mémoire sera d’expliquer comment fonctionnent quelques-unes des structures colonisatrices présentes dans LMT. Une analyse du système d’acculturation comme il est représenté par Khatibi nous permettra d’entrer dans les détails de la décolonisation personnelle du narrateur. L’école coloniale est un des outils principaux de l’acculturation dont Khatibi s’occupe dans LMT. L’effet (re)colonisateur de l’école coloniale ne cesse pas au moment précis du départ des colons, en partie parce qu’elle fonctionne selon un principe que Ngũgĩ wa Thiong’o appelle « the racism of cultural diplomacy—a diplomacy of unequal exchange—between generous donors and grateful receipients » (Writers in Politics 11). Cet « échange inégal » entre colonisateur et colonisé, effectué en large partie à l’école, aboutit à l’instauration d’un état d’esprit double et fracturé. Frantz Fanon, par exemple, considère tout peuple colonisé comme ayant un complexe d’infériorité (Peau noir, masques blancs 14). Prenons comme exemple de l’effet psychologique déstabilisateur de l’école coloniale le texte suivant de L’Amour, la fantasia d’Assia Djebar : J’écris et je parle français au-dehors : mes mots ne se chargent pas de réalité charnelle. J’apprends des noms d’oiseaux que je n’ai jamais vus, des noms Reimer 6 d’arbres que je mettrai dix ans ou davantage à identifier ensuite, des glossaires de fleurs et de plantes que je ne humerai jamais avant de voyager au nord de la Méditerranée. En ce sens, tout vocabulaire me devient absence, exotisme sans mystère, avec comme une mortification de l’œil qu’il ne sied pas d’avouer…Les scènes des livres d’enfant, leurs situations me sont purs scénarios ; dans la famille française, la mère vient chercher sa fille ou son fils à l’école ; dans la rue française, les parents marchent tout naturellement côte à côte…Ainsi, le monde de l’école est expurgé du quotidien de ma ville natale tout comme celui de ma famille. À ce dernier est dénié tout rôle référentiel. (261) Comme le démontre bien ce texte l’école coloniale perpétue la colonisation après le départ du colonisateurs : l’enfant qui s’est bien « tricoloré » (LMT 54) à l’école pendant la période coloniale deviendra adulte et (r)enseignera (consciemment ou inconsciemment) certaines des leçons qu’il a apprises à l’école coloniale à ses propres enfants. Essentiel parmi ces leçons sera ce sentiment d’extranéité et d’altérité dans son propre pays, sa propre peau et sa propre langue, sentiment crée par l’enseignement implicite et explicite des spécificités de la culture française présentées comme s’il s’agissait de vérités universelles. La dissonance cognitive qui découle du fait d’apprendre de telles leçons dans une région où leur fausseté devrait être profondément apparente formera l’enfant colonisé et, paradoxalement peut-être, lui fournira les armes nécessaires pour opérer une critique de la société coloniale. C’est cet état d’être à la fois chez soi et pas chez soi dans la langue du maître qui rend possible la critique des mœurs coloniales dans un projet comme La mémoire tatouée ou L’Amour, la fantasia. Reimer 7 Il faut reconnaître que cette discussion de l’école ne peut être séparée de la question de l’acculturation dans et à travers la langue coloniale. Celle-ci est peut-être la structure idéologique de la colonisation la moins évidente de par sa nature non matérielle, mais malgré ou plutôt à cause de cette non matérialité, la langue coloniale demeure une force idéologique bien longtemps après le départ physique des colonisateurs. Or c’est avant tout sur le langage que Khatibi se focalise dans LMT. Cette focalisation n’est pas unique à cette œuvre ; sa préoccupation avec le rôle du langage dans la production de l’identité est évidente dans ses écrits critiques ainsi que dans ses autres textes romanesques : « N’avais-je pas grandi, dans ma langue maternelle, comme un enfant adoptif ? D’adoption en adoption, je croyais naître de la langue même » (Amour Bilingue 11). Qui plus est, la position de Khatibi par rapport au langage est compliquée par le fait que, comme enfant, il apprenait quasiment simultanément à parler en arabe et à écrire en français (La langue de l’autre 30, 37). De cette position ambivalente découle l’importance que Khatibi accorde au langage comme une force identitaire. Ce dédoublement, cette déchirure dans le langage rappelle au lecteur quelques-uns des propos de Jacques Derrida. L’amitié entre Khatibi et Derrida est bien connue, et n’est nulle part plus évidente que dans l’échange qu’a suscité Le monolinguisme de l’autre de Derrida. Dans ce roman, Derrida dialogue avec son ami et collègue Khatibi, et Khatibi, lui, reprend ce dialogue textuel plus tard dans son recueil de textes critiques intitulés La langue de l’autre. Vu l’expérience qu’a eue Khatibi avec le langage dans son enfance, c'est-à-dire avec les langues de son enfance, il est parfaitement compréhensible que les deux propositions centrales et antagonistes du Monolinguisme de l’autre aient suscité une réaction en lui : « 1. On ne parle jamais Reimer 8 qu’une seule langue. 2. On ne parle jamais une seule langue » (Monolinguisme 21). Au niveau le plus banal, en dehors de la signification double que Derrida bâtit sur ce paradoxe, une telle proposition contradictoire reflète parfaitement la position ambivalente de Khatibi envers le langage. Achevons cette mise en scène rapide du contexte colonial que nous avons entamée. Les leçons du système éducatif colonial sont produites dans le langage, le sine qua non de l’existence sociale. Et le langage, pour notre auteur, n’est pas une chose monolithique, mais plutôt un réseau de rapports entre et à l’intérieur de plusieurs langues. Vu la complexité fondamentale du langage, je suis bien conscient que la définition que j’ai avancée du terme « postcolonial » est trop large (tout ce qui suit l’ère coloniale !) et trop imprécise (peut-on réellement fixer la fin définitive de la colonisation au niveau psychologique/langagier ?). Fanon écrit dans Peau noire, masques blancs que « parler…c’est surtout assumer une culture, supporter le poids d’une civilisation » (13). Nous pouvons peut-être rajouter que ce n’est pas non plus un fardeau qui peut facilement être posé à terre et oublié une fois pris en charge. C’est justement sur cette difficulté de définition de termes dans un contexte où le moyen de communication même est porteur d’une idéologie que je me focalise ici. Je me permets donc de passer à un autre problème taxonomique en guise de clarification. Encore une fois il s’agit d’interroger le rapport entre deux termes qui tirent leur sens l’un de l’autre dans un cercle sémantique qui semble quasiment hermétique. Cette question sémantique démontrera encore plus clairement la difficulté de définition des termes mutuellement dépendants. Mais explorer ce rapport entre les termes « colonisé » et « décolonisé » nous permettra d’entreprendre Reimer 9 une discussion du projet autobiographique de LMT et de commencer à déchiffrer un peu les structures et techniques qui font fonctionner cette œuvre. Reimer 10 II. Théorie Ce livre a pour sous-titre « Autobiographie d’un décolonisé, » ce qui semble indiquer non seulement que Khatibi veuille (se) décoloniser dans ce texte, mais aussi qu’il ait réussi à le faire, puisqu’il crée un substantif à partir du participe passé « décolonisé, » qui est formé à partir du verbe « décoloniser, » indiquant une personne ayant accompli une action dans le passé, et donc une action finie. Dans l’occurrence, l’action accomplie dans le passé est le passage de l’état d’être colonisé à l’état d’être décolonisé. Or, ma propre lecture de LMT me mène à proposer qu’un autre sous-titre possible serait « comment se décoloniser, » car j’ai l’impression forte que ce n’est qu’en écrivant que l’auteur parvient à accomplir cet acte autobiographique de décolonisation. Considérons le texte suivant de Telling Stories : A Theoretical Analysis of Narrative Fiction de Steven Cohan et Linda Shires : …The pronoun I…does not refer to an individual speaker so much as it points elsewhere in the utterance for an antecedent. In doing that, the subject of speech I makes the speaker subject to speech, to the cultural meanings encoded in the signs comprising the utterance, so the signifier of identity which the speaker finds in his or her own discourse is also an ideological representation of subjectivity. Bespoken by discourse, subjectivity occurs as the result of this process of self-recognition, which is repeatedly activated every time a speaker uses language. (138) C’est de cette manière que Khatibi entreprend de (ré)créer son identité et de se décoloniser: par la répétition d’un acte discursif qui exige la présence d’une subjectivité Reimer 11 pour être compréhensible. Comme le notent Cohan et Shires, le je qu’emploie Khatibi n’est pas une chose stable et bien définie, mais plutôt une indication d’un antécédent ailleurs dans son texte. J’essayerai de mieux expliquer ce rapport dans ma discussion de la technique de dialogue dans LMT, et notamment dans une appréciation de ce que j’appellerai l’autodialogue. Khatibi lui-même confirme la nature autoréférentielle de l’autobiographie dans La langue de l’autre : « L’autobiographie, sous ses différentes formes, est un geste, une calligraphie plus qu’une genre littéraire, une possibilité d’être reçu comme invité dans la langue de l’autre. Cette sortie de soi préfigure une mémoire en devenir, qui s’enrichirait de son humanité la plus indestructible, de sa mort dérobée aux vivants » (29, c’est moi qui souligne). Ce que j’entends par là est que cette œuvre s’opère dans le présent, ou dans un présent de l’écriture et que c’est dans ce présent que l’auteur tente de se décoloniser. Ceci dit, c’est cette « sortie de soi » de l’autobiographie qui permet à l’auteur de postuler un antécédent à lui-même. En faisant cela, il entre en dialogue avec lui-même ou bien avec un double de lui-même qui, paradoxalement, existe seulement dans le passé mais est ressuscité dans le présent de l’auteur à travers la narration. Je comprends LMT plus comme un acte de décolonisation continu (en devenir) et même peut-être inachevé que comme la preuve d’une action accomplie dans le/un passé : Khatibi écrit que « l’exercice de témoignage conduit à honorer le passé. Activement » (La langue de l’autre 24). Le sous-titre « Autobiographie d’un décolonisé, » apposé à LMT, est donc trompeur dans la mesure où il ne révèle pas la complexité de la position de l’auteur et le narrateur par rapport à cet état de décolonisation. Ceci dit, le fait même d’apposer ce sous-titre à son livre constitue un acte performatif de décolonisation. Je tiens à interroger les Reimer 12 implications du caractère performatif de l’écriture chez Khatibi dans ma discussion de la technique rhétorique du dialogue. C’est dans ce dessein que je soumets le texte suivant, tiré de la préface à l’édition de 1999 de Gender Trouble de Judith Butler, comme définition de la performativité : I originally took my clue on how to read the performativity of gender from Jacques Derrida’s reading of Kafka’s « Before the Law. » There the one who waits for the law, sits before the door of the law, attributes a certain force to the law for which one waits. The anticipation of an authoritative disclosure of meaning is the means by which that authority is attributed and installed : the anticipation conjures its object…Secondly, performativity is not a singular act, but a repetition and a ritual, which achieves its effects through its naturalization in the context of a body, understood, in part, as a culturally sustained temporal duration. (xiv-xv) Étant donné le sous-titre « Autobiographie d’un décolonisé, » il semble tout à fait raisonnable que le lecteur s’attende à ce que l’auteur dévoile comment il a réussi à se décoloniser. L’autorité de l’auteur-scripteur, en l’occurrence Khatibi, est créée par le lecteur, qui attend ce dévoilement du sens ultime de son livre mais qui finalement ne le trouve que dans le mouvement continu d’un récit performatif. Le fait que ce dévoilement d’un sens ultime n’arrive jamais ne change en rien l’existence de cette attente de la part du lecteur, et donc son acceptation de l’autorité présumée de Khatibi comme auteurscripteur ou détenteur du sens ultime. Sur le plan structurel, LMT reflète le processus complexe et continuel de (dé)colonisation dans une polyphonie énonciative, tissant ensemble plusieurs voix et récréant l’expérience langagière plurielle du jeune Khatibi au Reimer 13 sein de la langue du conquérant. En réitérant son je, Khatibi fait appel à un antécédent autre part dans le texte, et puisqu’il s’agit dans LMT d’une autobiographie, Khatibi l’auteur invoque lui-même, c'est-à-dire une version plus ou moins fictive de lui-même afin de pouvoir bâtir sa subjectivité. Autrement dit, il se ritualise dans son propre récit; cette sortie de soi que j’ai mentionnée plus tôt est la création performative d’un antécédent à l’auteur. C’est la (re)création d’une subjectivité qui peut répondre au je(u) de l’autobiographe. Voilà l’essentiel du concept de l’autodialogue que je présenterai plus en détail dans la section suivante. Comme le dit Butler, la performativité s’opère au sein d’un corps, qui est une durée temporelle soutenue culturellement : pour Khatibi, comme pour tout autobiographe peut-être, la durée temporelle de son corps est soutenue surtout dans l’écriture ou, plus spécifiquement, dans le récit. La focalisation de l’autobiographie sur un individu, sur un je qui semble être dans ce cas plus ou moins Khatibi lui-même souligne l’aspect corporel de la performativité mentionné ci-dessus, car c’est le corps du narrateur qui est souvent au centre de ce roman. Le rite de la circoncision et les multiples aventures sexuelles du narrateur ont également quelque chose de cette « mise à nu, déployée dans la langue de l’ancien conquérant » dont parle Djebar dans L’amour, la fantasia (224). Je reviendrai à cette idée de la performativité dans le contexte du corps du narrateur, mais avant de passer à une appréciation de la structure narrative de ce livre, j’aimerais présenter peut-être l’aspect textuel le plus important de LMT : la spatialité. La compartimentation physique de la société coloniale et la répartition inégale des biens et des terres, ce que Frantz Fanon considère comme étant le signe physique le plus évident de l’assujettissement créé par la colonisation, ne disparaissent pas au lendemain Reimer 14 de la libération. Fanon affirme qu’il existe dans les sociétés colonisés, en particulier celles qu’il connaît (les Antilles et l’Afrique du nord), une zone d’exclusion, legs de l’organisation politique, économique et spatiale de l’ère coloniale. Il serait donc nécessaire de tout défaire avant de pouvoir bâtir une nouvelle société : « …Détruire le monde colonial c’est ni plus ni moins abolir une zone, l’enfouir au plus profond du sol ou l’expulser du territoire » (Les damnés de la terre 41-44). Au niveau matériel, la colonisation laisse des séquelles physiques et spatiales. Pour un marxiste comme Fanon, l’anéantissement de ces zones d’exclusion est fondamental à la décolonisation. Khatibi reconnaît aussi l’existence de ces zones : On connaît l’imagination coloniale : juxtaposer, compartimenter, militariser, découper la ville en zones ethniques, ensabler la culture du peuple dominé. En découvrant son dépaysement, ce peuple errera, hagard, dans l’espace brisé de son histoire. Et il n’y a de plus atroce que la déchirure de la mémoire. Mais déchirure commune au colonisé et au colonial, puisque la médina résistait par son dédale. (LMT 44) Quoique ce texte affirme de manière très claire l’idée fanonienne de l’existence d’une spatialité coloniale qui instaure et maintient des divisions, il faut également noter que Khatibi va plus loin dans sa conceptualisation du problème. L’aspect le plus important pour Khatibi n’est pas la division matérielle de la ville coloniale ou colonisée : cet aspect, bien qu’il soit important, est présenté comme des signes d’une déchirure même plus importante, à savoir la déchirure de la mémoire. En outre, dans le texte de Khatibi le colonial et le colonisé sont tous les deux assujettis à cette déchirure, position impossible dans l’analyse marxiste des classes sociales de Fanon. Nous constatons donc Reimer 15 au préalable qu’une analyse strictement marxiste ne suffirait pas à cerner l’œuvre khatibienne. De plus, nous nous heurtons à l’idée de la spatialité de la mémoire colonisée. La tendance de Khatibi à spatialiser la mémoire se voit surtout dans ses descriptions méticuleuses des différentes villes qui entourent le narrateur à un moment donné. Le fait même que l’on constate une spatialité de la mémoire dans LMT semble dès l’abord être une confluence entre les propos de Fanon et ceux de Khatibi, car il s’agit là aussi d’une manifestation matérielle et physique de la colonisation des esprits. Cependant, il y a aussi une divergence assez nette entre l’œuvre khatibienne et la position marxiste de Fanon. Khatibi ne se préoccupe pas du récit de l’Histoire dans la mesure où cela croise le récit du protagoniste—par exemple les actions théâtrales du protagoniste pendant la révolution. Bien entendu, je n’affirme pas que Khatibi est ignorant des réalités historiques et politiques de son propre pays, ou qu’il ne s’en soucie pas, mais simplement que son dessein dans LMT est d’abord de brosser le portrait psychologique d’un individu (en l’occurrence, lui-même ou au moins quelqu’un qui lui ressemble d’assez près) qui vécut et qui vit sous l’influence de la colonisation. Je ne nie pas non plus que LMT pourrait avoir des implications politiques pour les Magrébins issus de la période coloniale ; j’affirme simplement que Khatibi opère sa critique de la société coloniale à partir de et par rapport à un individu, et qu’il garde cet individu comme un point de repère constant, tandis que Fanon opère sa critique à partir des classes sociales. Une des façons dont Khatibi parvient à relier son protagoniste au contexte historique est en tissant toute une problématique de la spatialité instaurée par le colonialisme, ce qui rapproche son livre du pragmatisme marxiste de Fanon en quelque sort, mais ce rapprochement est à mes yeux Reimer 16 un effet secondaire. Tandis que Fanon affirme la nécessité d’anéantir ces « zones d’exclusion » coloniales, la conceptualisation spatiale khatibienne reconnaît l’influence coloniale en même temps qu’elle indique la possibilité d’une révolution sémantique à l’intérieur d’une spatialité linguistique. La spatialité narrativisée khatibienne a comme fonction le fondement de l’individu dans la matérialité du monde qui doit nécessairement l’entourer. Et pour conclure cette section, la raison principale pour laquelle je considère que LMT est plus directement significatif pour l’individu que pour une collectivité quelconque est justement la présence d’éléments autobiographiques. Je reprendrai ces question plus loin dans ma discussion de la structure narrative. Reimer 17 III. Structure narrative Avant d’entamer une analyse textuelle de LMT, il m’incombe de signaler quelques aspects structurels/structurants de ce roman : cela nous fournira une base textuelle concrète à laquelle nous pourrons rattacher les propos théoriques que nous avons esquissés ci-dessus. Je propose d’examiner deux structures narratives. La première est la parabole, mot qui a deux sens apparemment distincts en français. La première définition que donne Le Petit Robert : « récit allégorique des livres saints, sous lequel se cache un enseignement. Les paraboles de Salomon. Les paraboles de l’Évangile. Par ext. Récit allégorique, à valeur morale--allégorie, apologue, fable. Vieilli parler par paraboles, d’une manière détournée, obscure. » Ce mot vient du grec ancien parabolê via le latin ecclésiastique et il signifiat dans la langue hellénique ancienne comparaison : dans cet emploi il corresponde au mot anglais parable. Mais il y a aussi une autre signification du mot parabole, qui retrouve son équivalent dans le mot anglais parabola : « ligne courbe dont chacun des points est situé à égale distance d’un point fixe (foyer) et d’une droite fixe (directrice). » Cela a des implications dans les mathématiques abstraites, et dans la physique où le mot signifie : « courbe décrite par un projectile (trajectoire). » Il est intéressant de noter que ces deux sens du mot parabole ne sont séparés dans la langue française ni par des diacritiques, ni par le genre, quoique cela ne soit pas nécessairement significatif en soi. Toutefois, je suis persuadé que cela est une métaphore apte à expliquer le fonctionnement du texte. Le mot parabole apparaît à maintes reprises dans ce roman (cf. par exemple 28, 31, 34, 41, 65, 69, 155, 165, 169, 178, 184). Parfois, il doit être compris Reimer 18 comme ayant le sens d’un « récit allégorique à valeur morale, » mais dans d’autres cas, il faut comprendre ce mot plutôt comme ayant le sens de parabola. Et, pour compliquer la chose encore plus, je crois que parfois ce mot a les deux sens en même temps—on a affaire à un dédoublement au sein d’un seul mot ! Je dis cela parce que je doute que Khatibi aurait manqué de jouer sur un tel double sens étant donné sa préoccupation avec le dédoublement et la déchirure dans le langage. Afin de pouvoir distinguer aisément entre ces deux sens du mot, nous mettrons la lettre a pour indiquer quand nous entendons le mot parabole dans le sens d’un « récit à valeur allégorique » et la lettre b pour indiquer quand nous faisons référence à la courbe décrite par un trajectoire (ou par une partie d’un récit, en l’occurrence). Le lecteur ne devrait pas s’attendre à ce que ces deux sens ne se mélangent jamais ; bien au contraire, car dès la première page de ce roman, le lecteur à affaire à « la déchirure nominale » incarnée dans le corps et le nom du narrateur (8). De là semble découler le dédoublement de la psyché du narrateur et la polyphonie énonciative, représentés tour à tour, parmi d’autres strophes et métaphores, par les quartiers de sa ville natale, ses premières rencontres sexuelles, la fête de circoncision, et son départ pour le collège, d’où le narrateur parle de mener une double vie à cause de son enfouissement dans le monde affectif de la poésie juxtaposé avec la nécessité de « se tricolorer » (54) dans le système éducatif français. Mais comme nous l’avons souligné plus haut, tout ceci s’accomplit dans et à travers le langage : notre but en apposant ces lettres au mot parabole est de rendre plus li/visible les dédoublements et convergences au niveau du langage et même au niveau d’un seul mot. Malgré toutes ces complexités stylistiques, l’on peut néanmoins décerner un trajet chronologique dans le récit de LMT. On commence avec la naissance, on traverse Reimer 19 l’enfance et on arrive à la maturité : ensuite il y a le retour au pays natal ; ce n’est qu’un simple Bildungsroman après tout ! Ce sont les élans poétique dans l’espace de la mémoire du narrateur qui rendent cet abrégé si pitoyablement insuffisant à expliquer LMT. Abdallah Memmes conçoit ainsi la structure narrative dans son livre Abdelkébir Khatibi : l’écriture de la dualité : Mais en dépit de cet ordre chronologique globalement cohérent et de l’organisation des données autobiographiques en grands tableaux, il est facile de constater qu’une subtile déchronologisation déstabilise le contenu de ces derniers, aboutissant ainsi, soit à un éclatement de la thématique et à son éparpillement à travers des séquences qui se chevauchent, soit à une absence quasi-totale d’indications temporelles susceptibles de hiérarchiser les événements et de rattacher, de façon explicite, chacun d’eux à une phrase bien déterminée de la vie de l’auteur. (23-24) Toutes les dérives, tous les dérivés et toutes les dérivées présents dans le texte ont pour effet de brouiller la linéarité chronologique qu’on attend d’un texte romanesque : Khatibi parle par paraboles (ab) afin de lutter contre cette linéarité tyrannique de l’écriture à la française qui l’a formé et contre laquelle il réagit. Cependant, il faut bien sûr qu’il y ait un élément linéaire dans la structure de son roman, comme dans tout écrit. Je propose donc d’examiner cette structure parabolique (b) du récit, c'est-à-dire d’essayer de préciser comment le récit linéaire et le récit parabolique (b) s’entrecroisent, et d’en préciser l’implication. Je propose de dire que ce livre est une sorte de parabole (a) ayant une forme parabolique (b). Une autre manière possible de classer ces deux formes de récits est selon la formulation récit syntagmatique (ce qui renfermera l’idée du récit Reimer 20 linéaire comme je l’ai défini ci-dessus) et le récit paradigmatique (ou grosso modo le récit parabolique). Ces termes sont proposés par Steven Cohan et Linda Shires dans leur livre Telling Stories, et j’examinerai leur utilité dans le cadre de notre analyse dans le but de tester notre hypothèse de l’existence de deux types de récit distincts (i.e. linéaire/parabolique). La deuxième structure que je veux dégager est celle du dialogisme. Le Vocabulaire de l’analyse littéraire le définit comme un « procédé consistant à introduire un dialogue fictif dans un monologue ou dans un discours, » et note plus loin que « ce procédé est fondé sur la polyphonie énonciative » (64). La raison la plus saillante de parler du dialogisme ici est sans doute le dialogue qui clôt le roman, mais je voudrais aller plus loin en proposant qu’il y a des structures dialogiques tout au long de l’œuvre et que ce dialogue final n’est que la culmination d’un dialogisme assidûment travaillé et subversif sous-jacent au roman dans son intégralité. Afin de prouver cela, je tâcherai de montrer et de démêler les différentes voix narratives présentes dans le récit et de commenter un peu leur signification. Quand je parle du dialogue dans le contexte de ce livre, je veux dire plus spécifiquement une structure dialogique, c'est-à-dire deux voix qui se parlent, et qui se répondent au sein d’un seul texte. Précisons les formes de dialogue dans cette œuvre: d’abord, et pour revenir à un élément textuel que nous avons reconnu plus haut, ce roman est caractérisé par le dédoublement et la déchirure/la rupture. Il me semble que c’est justement là où se trouve la semence du dialogue final, car il faut qu’il y ait deux voix pour qu’il y ait un dialogue. Une des figures rhétoriques associées au dialogisme (au sens bakhtinien du terme, c'est-àdire relié à la polyphonie énonciative) est l’apostrophe, figure que l’on constate à Reimer 21 maintes reprises dans cette œuvre khatibienne. La présence des apostrophes lancé à un « tu » ambigu est frappante non seulement à cause de sa fréquence (cf. 45, 47-9, 50, 54, 59, 66, 74-5, 87-9 pour des exemples) mais aussi à cause de sa signification narratologique et de son utilité potentielle pour déterminer la signification du dialogue terminal. Nous examinerons l’utilisation de la technique de l’apostrophe dans le but d’expliquer un aspect de ce roman que nous dénommerons l’autodialogue. Avant d’aller plus loin, il sied de clarifier un peu notre nomenclature. Justement à cause de la polyphonie énonciative de ce roman, il faut que nous nous astreignions à une terminologie consistante lorsque nous parlons des différentes voix qui apparaissent dans ce roman. Nous parlerons donc de l’auteur pour dénoter le personnage social Abdelkébir Khatibi, du locuteur ou du narrateur pour indiquer le narrateur principal de LMT, et de l’interlocuteur pour signifier ce « tu » qu’interpelle le locuteur, et qui l’interpelle, à de nombreuses reprises. Lors de notre discussion du dialogue explicite, nous ferons référence aux voix A et B, et comme nous l’avons signalé plus haut, nous tenons à rattacher au mot parabole soit la lettre a, soit la lettre b afin de rendre plus li/visible le jeu de division et de convergence langagier que ce mot symbolise. J’affirme qu’il y a deux types de récits à l’œuvre dans ce roman : le récit linéaire, et le récit parabolique. Nous avançons que dans le récit linéaire, le narrateur raconte les événements matériels de sa vie, c'est-à-dire son enfance avec sa famille à El Jadida, ses années au collège à Marrakech et ses expériences à l’université à Paris. Dans le second type de récit, le narrateur réfléchit à la signification de tous les stades de sa vie et les décrit pendant qu’il les reconstruit dans le récit, c'est-à-dire pendant qu’il les narre. Le modèle que nous proposons pour décrire cette structure est celui d’une ligne droite (le Reimer 22 récit linéaire) à laquelle se rattache une parabole. Nous sommes d’avis que le récit du roman dans son intégralité est fondé sur une répétition de cette structure, c’est-à-dire celle d’un récit linéaire dont les événements matériels permettent une réflexion poétique, déchronologisante, et parabolique (ab). Nous avons déjà affirmé que le dialogue est un élément central dans cette œuvre. En faisant référence à des propos de Derrida et Khatibi, nous analyserons cette technique en nous servant de quelques idées qui appartiennent à la déconstruction derridienne. J’ai proposé que l’on peut tracer le dédoublement au sein d’un seul mot dans le roman (parabole) et que cela a des conséquences pour la structure globale du récit. Je propose comme corollaire que la technique de dialogue mérite d’être examinée de plus près aussi car elle est en quelque sorte le moyen qui rend possible ce double récit. Je tenterai de prouver cette déclaration au cours de mes remarques sur la structure narrative. Précisons d’abord ce que nous entendons par le mot dialogue. Ce mot a de nombreuses connotations, et notamment fait penser au concept bakhtinien du dialogisme. Nous allons commencer en identifiant les trois types de dialogue que nous voyons dans LMT. Le premier est l’apostrophe, c'est-à-dire le dialogue du narrateur avec une figure autre que lui-même qu’il appelle « tu, » « enfant » ou « adolescent. » Cette figure semble être le narrateur lui-même à un autre stade de sa vie. Nous approfondirons nos remarques sur cette figure plus tard, car son statut paradoxal doit être expliqué. Le deuxième type de dialogue est l’autodialogue explicite et ne se trouve qu’à la fin du livre dans la section intitulée « Double contre double. » Nous apporterons nos idées quant à la signification de cette section et son rapport avec le reste de l’œuvre lors de nos conclusions. Nous appellerons le troisième type de dialogue l’autodialogue implicite. Ce troisième type Reimer 23 nous semble être à la fois la forme la plus importante de dialogue et la forme le plus diffuse (à vrai dire, nous suggérons qu’il est la forme la plus importante justement car il est la forme la plus diffuse). La division en trois parties de la technique du dialogue pourrait frapper le lecteur comme étant artificielle et même trompeuse. Je suis bien conscient que c’est une division artificielle, et je tiens à signaler que j’opère cette répartition seulement afin de pouvoir examiner comment ces formes de dialogue fonctionnent ensemble. Car je considère qu’elles fonctionnent comme un ensemble, et qu’il sera nécessaire d’expliquer chacune des formes par rapport aux autres. Il sied de commencer par l’apostrophe, car c’est la forme le plus évidente du dialogue ainsi que la première figure que le lecteur aborde dans LMT. Je cite comme définition d’apostrophe la suivante : « Allocution, placée au début ou à l’intérieur d’un discours ou d’un récit à l’adresse d’une personne » (Vocabulaire de l’analyse littéraire 27). Le narrateur apostrophe à tour de rôle l’Occident, le lecteur et un enfant qui semble être le narrateur lui-même à une certaine époque de sa vie. Cet enfant est appelé successivement « enfant, » « adolescent, » et simplement « tu. » Selon la Vocabulaire de l’analyse littéraire, « l’apostrophe, qui se caractérise par un détournement de l’énonciation, doit créer en principe un effet inattendu dans le discours ou le récit » (29, c’est moi qui souligne). Comment fonctionne ce détournement ? Celui qui est apostrophé par le narrateur est invité à un dialogue, même s’il se décide de rester muet. Il s’agit donc d’un dialogue monologique ou d’un dialogue impossible : la personne ou la figure à qui le narrateur s’adresse ne peut répondre, au moins pas directement ou sur-le-champ, mais le fait même qu’elle soit interpellée sans répondre crée une rupture dans le texte, un nouveau site d’énonciation possible. L’effet Reimer 24 inattendu de ces instances d’apostrophe est justement un détournement du récit, car au lieu de faire uniquement attention à la voix narrative « principale, » le lecteur se demande : qui est exactement cette figure qui participe silencieusement au récit ? À qui s’adresse le narrateur ? Ce je de l’auteur prend le forme du narrateur, celui que l’auteur a ressuscité pour parler à sa place. Et le tu du narrateur, c'est-à-dire son interlocuteur, est le double du narrateur à un autre stade de sa vie. Ce tu est donc séparé de l’auteur par deux degrés. Nous affirmons que le dialogue qui aura lieu entre le narrateur et son interlocuteur, et dans ce livre à travers la technique de l’autodialogue implicite, et dans le dialogue explicite dans la section finale intitulée « Double contre double, » sera donc un dialogue dont l’auteur est en quelque sorte absent. Afin de mieux comprendre la signification et le fonctionnement de cette figure absente évoquée par l’apostrophe, reprenons le concept derridien de la force de rupture du signe écrit. Considérons le texte suivant de « Signature Événement Contexte, » qui se trouve également dans une forme plus complète dans l’Appendice A : « Il appartient au signe d’être en droit lisible même si le moment de sa production est irrémédiablement perdu et même si je ne sais pas ce que son prétendu auteur-scripteur a voulu dire en conscience et en intention au moment où il l’a écrit, c'est-à-dire abandonné à sa dérive essentielle » (Limited Inc. 30). Le signe écrit demeure ; il persiste même dans l’absence de son scripteur. Il s’en suit que la figure qui s’est inscrite dans ces signes graphiques demeure aussi. Mais que veut dire cela dans le contexte d’une autobiographie décolonisatrice ? Dans son article « Re-Membering the Body as Historical Text » Mae G. Henderson, en analysant Beloved de Toni Morrison, avance que la « narrativization enables Sethe [la protagoniste de Reimer 25 Beloved] to construct a meaningful life story from a cluster of images, to transform separate and disparate events into a coherent story » (327). Nous soutenons l’argument selon lequel un processus semblable est à l’œuvre dans LMT, proposition qui sans doute ne se revêtira pas d’une grande polémique, mais qui nous aidera néanmoins à déchiffrer le jeu de doubles qui parcourt ce roman. En rassemblant les images de sa vie dans un ordre qui lui est cohérent, Khatibi retourne les armes des conquérants (l’école, la langue française, l’ordre spatial) contre ses anciens maîtres et réécrit sa vie de sa propre façon. Reprenons ces trois catégories d’auteur, locuteur et interlocuteur que nous élaborées hâtivement plus haut pour illustrer comment fonctionne l’apostrophe dans quelques textes de LMT. Cela nous permettra de tester notre hypothèse selon laquelle la technique de dialogue sous-tend le fonctionnement de cette œuvre et présage son évolution vers un dialogue final. Reimer 26 IV. Analyse de textes On observe deux types d’apostrophes dans LMT ; des apostrophes du lecteur, et des apostrophes d’une autre figure qui semble être le narrateur lui-même à un autre stade de sa vie. Problématiquement, toutes les deux sont marqués par le pronom personnel de la deuxième personne, mais il est toutefois possible de distinguer entre les deux. La première occurrence d’une apostrophe se trouve à la page 18, dans la section consacrée à la description des obsèques du père du narrateur : « On distribua aux pauvres des figues sèches, je n’avais pas le temps de souhaiter la mort du père, même a posteriori. Vous avez une mère, me diriez-vous. Bonheur ! mais une mère ne remplace pas l’absence du père, dont j’étais complice » (18). Aussi brève soit-elle, cette apostrophe implique de manière directe le lecteur dans le texte pour la première fois. Cet appel direct au lecteur nous fournit l’occasion de préciser un aspect du fonctionnement du texte. En parlant des récits à la deuxième personne, Cohan et Shires écrivent ceci : « You » are obviously not the narrating agency responsible for the text : you are a reader not the narrator. But where is that narrator ? Your presence in the text as the pronominal subject of action indirectly calls attention to the fact that you effaces all signs of the agency responsible for the narration, and yet, at the same time, you implies the presence of some agency other than yourself as the origin of the text adressing and narrating « you. » (92) L’effet des instances de récit à la deuxième personne est donc convenablement double : elles dissimulent temporairement la présence de l’autorité responsable de la narration du texte. Cette présence est une condition de tout texte écrit ; bien qu’il s’agisse Reimer 27 d’une présence retardée de l’auteur, il est présent dans son absence même, c'est-à-dire de par le fait que son texte soit là, il est là, réduit à des signes écrits et assujetti aux lois de l’écriture. La signification de tel ou tel texte de LMT se produit en (re)traçant la chaîne de l’autorité narrative. Nous pourrions peut-être la représenter ainsi : auteur-narrateurinterlocuteur-lecteur. Cette chaîne reflète les lois derridiennes de l’écriture selon lesquelles la présence de l’auteur dans le texte ne peut être qu’une présence retardée ; il s’agit dans LMT d’une application de certaines des lois derridiennes de l’écriture dans l’espace esthétique d’une œuvre littéraire. Nous constatons donc un rapprochement entre les propos de Derrida sur l’écriture dans « Signature Événement Contexte » et la structure narrative de LMT. Les instances du récit à la deuxième personne (e.g. 59-62, 74-76) dans lesquelles le narrateur interpelle « l’Enfant » souligne la présence problématique de l’auteur dans son propre texte. Puisqu’il s’adresse à cet enfant au présent, avec des impératifs, et fait des prédictions au futur simple, il semble que dans ces sections du livre l’autorité narrative se situe dans le même moment que l’enfant auquel il adresse. Cela devrait être impossible, car il s’agit d’une autobiographie, c'est-à-dire de l’histoire de ce que l’auteur a vécue. En se remettant dans le même temps que son jeune double et en s’adressant à lui comme s’il était réellement là pour le guider, Khatibi entre en dialogue avec lui-même, mais c’est un dialogue dans lequel son interlocuteur ne peut répondre qu’à travers ses actions déjà prises. Voilà donc un dialogue impossible qui a néanmoins lieu et qui renforce la saillance des ces épisodes de la vie de l’auteur, qui les rend immédiats—cela est une autre manière dont fonctionne la déchronologisation dans ce texte. Reimer 28 L’irruption de ce vous dans le passage à la page 18 de LMT cité ci-dessus rend v/lisible un jeu de définition mutuelle entre les signifiants je et vous/tu. Pour reprendre la formulation de Foucault dans Histoire de la folie à l’âge classique, « chacune est mesure de l’autre, et dans un mouvement de référence réciproque, elles se récusent toutes deux, mais se fondent l’une par l’autre » (49). Mais est-ce que la signification du récit à la deuxième personne devient plus complexe lorsqu’il s’agit de plus longs passages ? Comme le dit Cohan et Shires, je et vous/tu sont des « empty signifiers which become full only in discourse, [and] are reversible as well as differential linguistic categories » (105). Cela implique un certain engagement et de l’auteur, et du lecteur dans un exercice textuel chaque fois que le pronom de la deuxième personne n’apparaît. Prenons comme exemple le récit à la deuxième personne qui se trouve aux pages 26-27 de LMT, dans la description de la fête de circoncision du narrateur. Puisqu’il s’agit d’un long texte extrêmement important pour mon analyse, je l’ai inclus dans son intégralité dans l’Appendice B. Nous avons sélectionné ce long texte car il illustre bien la difficulté de trancher sur la question de qui s’identifie à ce tu. Nous comptons essayer de démêler les voix présentes dans cette section, ce qui nous permettra d’avancer une hypothèse quant à l’importance de la technique du dialogue dans l’ensemble de LMT. Prenons la toute première phrase de ce texte : « Regarde les fleurs au plafond ; je regardai et mon prépuce tomba » (26). Qui est le je et qui est le tu derrière l’impératif dans cette phrase ? Il semble raisonnable de dire que le je est le jeune double du narrateur, c'est-à-dire, une incarnation plus jeune de l’autorité narrative de cette section que cette autorité a décidé de faire réapparaître dans le texte. Première complication : le je du narrateur représente une figure en évolution constante. Le je d’un texte n’est pas Reimer 29 exactement celui d’un autre puisqu’il ne représente pas un état stable mais plutôt une stade spécifique dans la progression de la vie du protagoniste. L’utilisation du pronom je a pour effet d’indiquer son antécédent ambigu (l’auteur/un autre je) autre part dans le livre ; elle est la preuve d’une tentative vouée à l’échec d’épingler une figure narrative floue. La typographie ne nous aide guère à résoudre ces questions, car il n’y a ni tirets ni guillemets pour marquer qu’il s’agit de dialogue rapporté par le narrateur. Il y a plusieurs impératifs à la deuxième personne à la page 26, qui semblent être destinés au double du narrateur, ainsi qu’une apostrophe du père du narrateur (« quel trophée récoltes-tu, père, en te réduisant à une fuite ? »). Vers la fin de notre texte, en bas de la page 27, il y a toute une série d’impératifs à la deuxième personne, entremêlés de questions. Voilà donc à quoi on a affaire lorsqu’il s’agit de démêler les voix narratives dans LMT. Hormis cette adresse au père, l’on peut soutenir l’argument selon lequel le je est le destinataire de celui qui lui donne des ordres, car les interpellations dans cette section semblent être des exhortations à assumer la destinée propre à l’enfant masculin musulman : « Épouse une deux, trois, quatre femmes, et passe ! Hérite, enfant, hérite de ton père, de ton père, la fêlure n’est pas mortelle » (27). Et comme le notent Cohan et Shires, cette adresse à la deuxième personne implique le lecteur dans le texte en même temps qu’elle indique la présence extratextuelle d’une autorité narrative. Mais tout ceci ne nous révèle pas qui est le émetteur de ces mots. Nous admettons deux possibilités. Il se peut que ce soit la voix de l’auteur qui parle à sa plus jeune incarnation ici et qui, non sans un brin d’ironie, se conseille de supporter la douleur de la circoncision afin de pouvoir d’assumer le poids de sa culture. Autrement, il faut postuler que c’est la voix de la culture même, c'est-à-dire la Reimer 30 personnification ou plus spécifiquement la verbalisation d’une sorte de mémoire collective tribale qui parle au jeune double représenté par le je. Stricto sensu, rien ne nous empêche non plus d’affirmer que ce soient les deux en même temps, mais il n’y a rien au niveau textuel qui nous permettrait de trancher sur la question de qui exactement parle à travers cette voix qui fait du jeune garçon un tu. Ce qui est mis en relief ici est justement la nature déstabilisante de ce tu qui implique le lecteur dans le récit en même temps qu’il signale la présence retardée d’une autorité narrative. Ce tu crée une rupture dans le texte dans la mesure où elle introduit cette ambivalence quant à la figure qu’il représente. Cette ambivalence est une forme de résistance à la linéarité et une ouverture à des lectures multiples de ce passage. C’est ce genre de résistance intertextuelle qui permet la décolonisation de l’auteur; elle le rend imperméable à des tentatives de définition définitives. De par sa nature même, le signe écrit peut être reproduit/relu/réinscrit dans l’absence de son auteur-scripteur original. À la limite, l’auteur ne peut prétendre contrôler ou détenir le « sens » de son texte plus qu’un autre, quoique selon le contexte de lecture ou bien du lecteur, le sens de certains textes puisse demeurer assez clair. Prenons comme exemple la description du parc Spiney. Cette section du livre mérite d’être examinée pour deux raisons distinctes mais complémentaires ; d’abord parce qu’elle introduit l’acculturation du protagoniste à l’école française, mais aussi parce qu’il y a dans cette section un rapprochement assez extraordinaire entre l’organisation spatiale et la langue française elle-même. Arrivé au début du chapitre intitulé Ainsi tourne la culture, qui commence à la page 50, le lecteur aurait probablement déjà constaté une tendance de la part de l’auteur, ou bien du narrateur à représenter la vie de son jeune Reimer 31 double en termes spatiaux ou par rapport à des repères concrets et spatiaux. L’exemple par excellence de cette tendance se trouve à la page 30, où le narrateur fait cette action : « Je traverse mon enfance dans ces petites rues tourbillonnantes, maisons de hauteur inégale, et labyrinthe qui se brise au coin d’un quelconque présage…je traverse mon enfance, au-dessus de ces tombeaux » (30). Il y a également un autre exemple à la page 19 où, juste après la mort de son père dans le récit chronologique (ou linéaire), le narrateur déclare : « Je me rappelle la rue, plus que mon père, plus que ma mère, plus que tout au monde » (18). Finalement, il y a la question de la plage, lieu frontalier entre mer (non matérialité) et terre (matérialité), une sorte de barre oblique qui sépare tout en reliant, et motif du « seul rêve de mon enfance dont je n’oublie pas la précision » (20). Nous n’avons pas le temps d’analyser en profondeur ce rêve ; nous nous contentons donc de signaler qu’il s’agit là encore d’un spatialité, car les souvenirs du narrateur sont dans cette section du livre sont racontés par rapport à la plage, endroit qui à cause de sa nature frontalière entre mer et terre met l’accent sur son placement dans l’espace. Poursuivant cette technique de retracer son enfance à travers les rues d’El Jadida, l’auteur écrit qu’« on pouvait de ma maison rejoindre rapidement le parc Spiney, arrangé –m’a-t-on dit – selon la phrase cartésienne, claire comme la clarté et pure comme la pureté, balancé selon la métrique de l’ordre militaire, de l’agréable excitant, du Beau, du Vrai et peut-être même d’autres choses » (42). Outre le présage évident des troubles du protagoniste avec le langage et son idéologie à l’école, ce texte démontre le lien entre la parole et la spatialité. Je ne pense pas que cette assertion de base, à savoir que l’organisation spatiale d’une ville a des causes et des effets idéologiques soit polémique du tout. Mais il y a ici Reimer 32 un rapprochement ou au moins une juxtaposition de « la phrase cartésienne » avec l’organisation matérielle d’un lieu physique et réel, en l’occurrence le parc. Bien sûr, nous pourrions comprendre « la phrase cartésienne » comme une synecdoque pour la culture française dans son intégralité ; dans ce cas, il n’y aura rien de remarquable dans ce texte, à part un exemple d’une des diverses techniques de colonisation et d’acculturation. Mais étant donné ce qui suit, c'est-à-dire l’expérience du protagoniste à l’école, et la préoccupation de l’auteur avec le langage, je crois qu’il sied d’interroger la possibilité que ce soit réellement la phrase cartésienne qui ordonne et qui organise ici. Si nous considérons ce parc comme étant un texte, c'est-à-dire un ensemble de signes, lisibles, capable d’être itérés, même dans l’absence de son destinateur et son destinataire originel, nous constatons deux choses. La première est que l’aspect matériel du signe ou de la trace est mis en évidence, car le texte est un lieu, c'est-à-dire un endroit physique et réel. La seconde, qui découle de la première et la contredit, est que cette matérialité (du parc, qui est conçu en termes d’écriture) n’existe, du moins pour le lecteur que je suis, que dans le récit. L’implication est que cette matérialité potentielle de la langue écrite demeure quelque part à l’intérieur de la langue même. L’acte d’écrire est donc un acte de matérialisation et de création, et donc porteur d’un certain pouvoir. C’est cette potentielle matérialité à l’intérieur de la langue incorporelle qui fournit la possibilité d’une révolution sémantique. Voilà pourquoi, peut-être, Khatibi écrit que « tout texte digne de son éthique est dissident…c’est là une belle dissidence, puisque son désir est de consolider la force de vie en tant qu’œuvre d’art, d’explorer l’inconnu du langage et de libérer la pensée de l’imaginaire et l’inverse : l’imaginaire de la pensée » (Figures de l’étranger 211). On constate ici une double volonté chez Khatibi : d’une part, libérer la Reimer 33 pensée de l’imaginaire, c'est-à-dire la matérialiser, la transcrire, la griffer sur la page et ainsi la fixer en la transformant en signe écrit, dont le sens sera mutable selon les lois de l’écriture que propose Derrida, mais qui sera également indéniable, persistant et insistant de par son existence continue ; et d’autre part, paradoxalement, de faire persister justement cette qualité de l’imaginaire, de l’insolite, de l’impossible dans le domaine du signe écrit, domaine plus traditionnellement associé dans la culture française au cheminement sec et implacable de la logique. Mais pour ne pas trop nous fourvoyer, reprenons des exemples textuels, et passons aux premières expériences du protagoniste de LMT à l’école. Cette section, qui suit immédiatement la description du parc, s’ouvre ainsi : « Fiche une école au fond d’une rue longue et droite, elle se tiendra à distance, la porte en fer au-dessus de ton enfance » (50). C’est donc la position qu’occupe le bâtiment dans l’espace qui est d’abord mis en évidence, ce qui renvoie à notre discussion antérieure sur la spatialisation de l’écriture et la matérialisation de l’imaginaire. Le placement de l’école au fond de cette rue « longue et droite » est donc fort révélateur ; qu’il s’agisse d’une spatialité imaginaire (c'est-à-dire, une présage de l’inflexibilité idéologique que représente cette école pour l’auteur/le narrateur) ou réelle (il se peut que cette école se trouvât et se trouve au fond d’une longue rue droite, qu’en savons-nous ?), le jeune double du narrateur, cette figure reconstituée dans le récit, est contraint à suivre le chemin droit pour l’atteindre. Pourtant, bien que le jeune double du narrateur soit dans le droit chemin, la tâche qui l’attend à l’école ne sera pas facile : Reimer 34 Élève médiocre d’abord, je gribouillais la lettre impossible et tarabiscotée. J’avais, en plus, la manie persistante de rater la ligne droite. Il sera dit que la lettre grimpera, tortueuse, se fracassant sur la marge, crise subtile dont je mesure la réponse au silence, à l’échec ; écraser l’alphabet comme ça, contre le vol d’une hirondelle, ainsi tourne la culture, on parle et on parle et le sable continue. (52-53) Il y a dans ce texte plusieurs éléments significatifs pour notre analyse. Les deux premières phrases représentent d’emblée le rapport troublé qu’entretient le narrateur (et l’auteur, d’ailleurs) avec le langage et plus spécifiquement la langue française. Ce sont les caractères romains que le jeune double du narrateur apprend à tracer ici, caractères que le narrateur qualifie comme « impossible[s] » et « tarabiscoté[s]. » Ce rapport est déterminé, comme nous en avons discuté ci-dessus, par la situation particulière de l’auteur lui-même vis-à-vis les multiples langues de son enfance et par les positions de ses langues (le français, l’arabe et le dialecte local) dans un réseau de valeur langagier lui-même conditionné par la spécificité linguistique et politique d’un Maroc colonisé. La deuxième phrase reprend également cette question de spatialité à laquelle nous avons fait référence plus haut. Nous nous retrouvons ici de nouveau face à une spatialisation du langage, ou plus spécifiquement de l’écriture. Or, quoique l’agencement horizontal des mots dans une phrase soit déterminant pour le sens de la phrase, il y a aussi un axe d’organisation verticale dans tout énoncé : « Whereas paradigms organize the vertical relations of similarity between one sign and others at the systemic level of language competence, syntagms organize the horizontal relations of contiguity between one sign and others at the discursive level of language performance » (Telling Stories 14). Cette Reimer 35 proposition, inspirée bien sûr des théories saussuriennes sur le langage est importante ici car elle nous offre une conceptualisation spatiale de l’organisation linguistique (horizontal versus vertical). J’affirme que cette même conceptualisation du langage est à l’œuvre dans le texte de LMT que j’ai citée plus haut. Cette « manie » de « rater la ligne droite » dont parle le narrateur a au moins deux sens. Au niveau le plus banal, cette phrase n’est qu’une description de l’écriture d’un jeune élève qui, comme beaucoup d’enfants, a du mal à écrire en suivant les lignes tracées sur la page. Mais il y a également une signification plus large. Dans la conceptualisation saussurienne du langage que reprennent Cohan et Shires, l’organisation paradigmatique ou verticale est celle qui structure les rapports des signes l’un à l’autre dans un système de similarité. Le jeune narrateur qui ne réussit à écrire à l’horizontal comme il faut et qui a tendance a faire monter ses lettres et ses mots sur l’axe verticale manifeste déjà un vouloir ou même un besoin de compliquer ces rapports de similarité/différence entre les signes, encore que ce besoin semble être, pour l’instant du moins, une « manie » inconsciente. Les mots « il sera dit que la lettre grimpera… » marquent le basculement d’une description des troubles du jeune protagoniste à l’école (le récit linéaire) à une réflexion par le narrateur sur la signification plus large de cet événement de son enfance (le récit parabolique (b)). Ce sont les mots « il sera dit » qui marquent le glissement d’une description typique d’une autobiographie à un envol dans un espace poétique et « déchronologisé. » Le lecteur ne croit pas que ces mots représentent les sentiments de la jeune incarnation du narrateur : ces mots constituent plutôt une prédiction par le narrateur, homme mûr, sur le caractère indomptable de la lettre (i.e. l’écriture, la marque graphique) et sa tendance à s’élever vers l’ambiguïté tandis que les conventions de Reimer 36 l’écriture la force à suivre la ligne droite. La description de la lettre qui « se fracasse » sur la marge est également un commentaire sur les limites structurelles de l’écriture ainsi que sur les limites imposées à l’imagination et la libre expression par l’idéologie coloniale exprimée à travers le langage : « écraser l’alphabet comme ça, contre le vol d’une hirondelle, ainsi tourne la culture… » Le champs sémantique « se fracasser, écraser, etc. » indique également une mesure de violence. L’opposition de l’alphabet (lettre, écriture, logique, culture) et l’hirondelle (nature, liberté, essor) et la violence des verbes « écraser » et « se fracasser » fonctionne de la même façon et constituent un exemple de la microstructure répétée du récit parabolique (b). Dans ma conceptualisation de la structure narrative, ce texte dans son intégralité constitue un exemple de récit parabolique (b). Il faut qu’il y ait un récit linéaire, chronologique, une ligne droite, une directrice ; ici, on a les informations que le narrateur a eu du mal à apprendre à écrire et qu’il était d’abord un élève médiocre à l’école. Ensuite, il faut un envol dans l’espace poétique, une réflexion sur la signification plus large de ces informations, une appréciation détournée ou déchronologisée de ce que ces éléments narratifs veulent dire ; dans ce cas, on a les deux dernières phrases du texte. Qui plus est, cette structure parabolique (b) est mise en évidence par l’image de l’essor d’un oiseau qui est « écrasé, » ou arrêté par force, et qui donc tombera à terre brusquement. Cette image est l’image même de la parabole (b), avec un point de départ de la ligne droite, un sommet, et un point où elle rejoint la ligne droite (la terre). De plus, les mots écrits par le jeune double du narrateur, qui montent sur l’axe vertical avant d’être forcés à retrouver la ligne droite sont un autre exemple d’une parabole (b). Mais cette section est également une parabole (a) à cause des réflexions du narrateur omniscient qui, Reimer 37 en commentant sur le fonctionnement de la culture, tâche d’établir la morale de l’histoire. Reimer 38 V. Conclusions. J’aimerais encadrer mes conclusions par une discussion du dialogue final de LMT. Cela semblerait peut-être normal, mais il s’agit d’une inversion méthodologique de ma part, car c’était la présence de ce dialogue intitulé Double contre double qui m’a au tout début indiqué la piste d’analyse que j’ai poursuivie dans ce mémoire. J’espère que ce dernier artifice démontrera que le processus de signification de LMT ne va pas dans un sens unique. J’ai déjà expliqué un peu les deux techniques de dialogue que j’ai appelées apostrophe et autodialogue implicite, mais une appréciation de ce dialogue explicite reste à faire. Trancher sur cette section du livre n’est guère plus facile à faire que de trancher sur la signification du reste de LMT, mais cette difficulté même illustre bien l’essentiel de ce que j’ai retiré de mon travail. L’analyse de ce texte doit nécessairement être contrainte par sa structure narrative. Mais cette contrainte est en même temps une ouverture, car l’agencement de LMT est essentiellement modulaire à cause de la répétition des structures de la parabole et du dialogue. Autrement dit, ce livre constitue une tentative de résistance à la linéarité de l’écriture. Stricto sensu, c’est une tentative vouée à l’échec dès le début, car il n’existe aucune façon d’écrire d’une manière complètement non linéaire, mais Khatibi réussit à tester les limites de la linéarité en créant une œuvre constellée de textes qui brouillent la chaîne de signification entre l’auteur, le narrateur, et le lecteur. De plus, comme nous avons essayé de le démontrer lors de notre appréciation de la structure narrative parabolique (ab), Khatibi organise son livre de manière à ce qu’il y ait une tension constante entre le récit linéaire et le récit parabolique (ab). C’est cette Reimer 39 tension entre deux récits antagonistes mais mutuellement dépendants qui représente le sentiment de dédoublement au niveau narratif. C’est dans le dialogue final que cette tension atteint son acmé. Nous nous contenterons ici de démêler les deux voix—A et B—qui parlent dans cette section, car même dans cette théâtralisation terminale du dédoublement, il n’est pas tout à fait clair qui parle à un moment donné. Cependant, un bref résumé de l’action dans cette section finale révèle beaucoup quant au fonctionnement de cette œuvre. D’abord, la présence des directions théâtrales met l’accent sur la spatialité. Grosso modo, la voix A semble être la voix de Khatibi l’auteur, tandis que la voix B est son repoussoir. Le parallèle avec Le Neveu de Rameau de Diderot dans cette section finale semble assez évident. Tout comme dans cette œuvre du siècle des Lumières, la division en deux voix apparemment distinctes est trompeuse dans la mesure où elle implique que le « sens » du texte réside dans une des deux voix. Pourtant, comme c’est le cas avec Le Neveu de Rameau, le « sens » de ce dialogue khatibien se localise dans l’intersection des deux voix. C’est le manque d’une voix narrative centralisatrice qui permet cette ambivalence, et cela renvoie le lecteur à chercher à localiser le sens du texte dans le va-et-vient d’un dialogue. Une autre complication dans cette section finale de LMT est le fait que la voix B disparaît avant la fin, cédant la parole à la voix A, qui termine par une longue tirade. Cette dernière exposition de la voix A semble être une déclaration que ce que l’on viens de lire constitue une mise en scène du processus d’articulation et d’accommodation qu’opère tout être pris entre deux pôles d’identité. Dans ce contexte, les mots « nous sommes notre propre direction, nous sommes notre propre mouvement » apparaissent comme une déclaration de l’indépendance performative. Tandis que l’identité de Khatibi Reimer 40 se trace et se retrace dans les signes écrits de La mémoire tatouée, ce va-et-vient entre des voix et des figures qui le (re)présentent saura résister à une définition nette. En se racontant dans ce livre, Khatibi emploie de nombreuses techniques qui rendent floue la connexion exacte entre lui-même comme personnage réel et corporel et les figures dans lesquelles il choisit de se (re)présenter dans son récit. En faisant cela, il ne peut être épinglé par un lecteur quiconque. Les mots finals de cette œuvre, qui sont écrits en italiques et qui semble être ceux de Khatibi lui-même sont les suivants : « En vérité, nous avons assez dit. Peut-être nous sera-t-il fait miséricorde pour tout ce parchemin. Cette pirouette finale anticipe les objections à son livre et s’en accommode. En usurpant les protestations possibles à sa propre œuvre, Khatibi les incorpore dans la mer de signifiants que constitue La mémoire tatouée et les rend siennes. La question omniprésente que pose le lecteur en lisant ce livre est « Qui parle ? » La réponse est que c’est toujours Khatibi qui parle, mais il parle de toutes ses voix et en évitant une recréation monophonique. Celui qui veut le définir à travers ce texte est obligé de parcourir son univers polyphonique. Dans l’analyse finale, c’est cela qui rend possible la décolonisation performative : le lecteur en quête d’un auteur décolonisé le construit lui-même en tâchant de déchiffrer ses traces plurielles. Reimer 41 Bibliographie : Bergez, Daniel, Violaine Géraud et Jean-Jacques Robrieux. Vocabulaire de l’analyse littéraire. Sous la direction de Daniel Bergez. Paris : Dunod, 1994. Butler, Judith. Gender Trouble. New York : Routledge, 1999. Cohan, Steven et Linda M. Shires. Telling Stories : A Theoretical Analysis of Narrative Fiction. New York : Routledge, 1988. Derrida, Jacques. Le monolinguisme de l’autre. Paris : Galilée, 1996. ---. « Signature Événement Contexte » in Limited Inc. Paris : Éditions Galilée, 1990. 17-51. Djebar, Assia. L’Amour, la fantasia. Paris : Éditions de Poche, 1995 Fanon, Frantz. Les damnés de la terre. Paris : La Découverte, 2002. ---. Peau noire, masques blancs. Paris : Éditions du Seuil, 1971. Foucault, Michel. Histoire de la folie à l’âge classique. Paris : Gallimard, 1972. Henderson, Mae G. « Re-Membering the Body as Historical Text » in Discourses of Sexuality : From Aristotle to AIDS, Ed. Donna C. Stanton. Ann Arbor : U of Michigan P, 1995. 312-42. Khatibi, Abdelkébir. Amour Bilingue. Casablanca : Éditions Eddif, 1992. ---. « Nationalisme et internationalisme littéraires » in Figures de l’étranger dans la littérature française. Paris : Éditions Denoël, 1987. 203-13. ---. La langue de l’autre. New York : Les mains secrètes, 1999. ---. La mémoire tatouée. Paris : Éditions Denoël, 1971. Reimer 42 Memmes, Abdallah. Abdelkébir Khatibi : l’écriture de la dualité. Paris : Éditions L’Harmattan, 1994. Ngũgĩ wa Thiong’o. Writers in Politics. Oxford : James Currey, 1997. Young, Robert J. C. Postcolonialism : An Historical Introduction. Oxford : Blackwell Publishers, 2001. Reimer 43 Appendice A : 1. Un signe écrit, au sens courant de ce mot, c’est donc une marque qui reste, qui ne s’épuise pas dans le présent de son inscription et qui peut donner lieu à une itération en l’absence et au-delà de la présence du sujet empiriquement déterminé qui l’a, dans un contexte donné, émise ou produite. C’est par là que, traditionnellement du moins, on distingue la « communication écrite » de la « communication parlée. » 2. Du même coup, un signe écrit comporte une force de rupture avec son contexte, c'est-à-dire l’ensemble des présences qui organisent le moment de son inscription. Cette force de rupture n’est pas un prédicat accidentel, mais la structure même de l’écrit. S’il s’agit du contexte dit « réel, » ce que je viens d’avancer est trop évident. Font partie de ce prétendu contexte réel un certain « présent » de l’inscription, la présence du scripteur à ce qu’il écrit, tout l’environnement et l’horizon de son expérience et surtout l’intention, le vouloir-dire, qui animerait à un moment donné son inscription. Il appartient au signe d’être en droit lisible même si le moment de sa production est irrémédiablement perdu et même si je ne sais pas ce que son prétendu auteur-scripteur a voulu dire en conscience et en intention au moment où il l’a écrit, c'est-à-dire abandonné à sa dérive essentielle. S’agissant maintenant du contexte sémiotique et interne, la force de rupture n’est pas moindre : en raison de son itérabilité essentielle, on peut toujours prélever un syntagme écrit hors de l’enchaînement dans lequel il est pris ou donné, sans lui faire perdre toute possibilité de fonctionnement, sinon toute possibilité de « communication, » précisément. On peut éventuellement lui en reconnaître d’autres en l’inscrivant ou en le greffant dans d’autres chaînes. Aucun contexte ne peut se clore sur Reimer 44 lui. Ni aucun code, le code étant ici à la fois la possibilité et l’impossibilité de l’écriture, de son itérabilité essentielle (répétition/altérité). 3. Cette force de rupture tient à l’espacement qui constitue le signe écrit : espacement qui le sépare des autres éléments de la chaîne contextuelle interne (possibilité toujours ouverte de son prélèvement et de sa greffe), mais aussi de toutes les formes de référent présent (passé ou à venir dans la forme modifiée du présent passé ou à venir), objectif ou subjectif. Cet espacement n’est pas la simple négativité d’une lacune, mais le surgissement de la marque. Il ne reste pourtant pas, comme travail du négatif au service du sens, du concept vivant, du télos, relevable et réductible dans l’Aufhebung d’une dialectique. Jacques Derrida. « Signature Événement Contexte. » Limited Inc. Ed. Elisabeth Weber. Paris : Éditons Galilée, 1990. 30-31. Reimer 45 Appendice B : Regarde les fleurs au plafond ; je regardai et mon prépuce tomba. La fête de la circoncision commençait, nous passâmes par les ciseaux, mes frères et moi. Ouwah ! Ouwah ! Peut-être nous sera-t-il fait miséricorde pour ces fleurs d’oranger, sur ces myrtes et cet encens. Prie ton Seigneur ! Au plus pur, au plus droit. Prie ton Seigneur ! Il reviendra contre nous, le jour du Très Grand Égarement. Salez le prépuce et jetez ! Hé quoi ? Brûle-t-elle, la tribu de femmes ? Elles te portent maintenant sur un drap blanc, que ne troquent-elles leurs signes contre ma blessure ? Se sépare le monde en deux, je flotte, immémorial cri, bien au-delà de l’arrachement, cri indéfini qui fera crouler ma dernière cruauté ; je flotte, bien que je me soutienne au plaisir du poulet chaud entre les dents, je flotte dans la fugue des épices, pas seul, avec trois frères, trois prépuces tombés ; de même l’expulsion analogique, pendue à tout, voir quoi quand apparaît la paire de ciseaux, crier dans le vide et de loin en loin, le regard inscrit à tout jamais dans les fleurs artificielles ; mon père se cachant dans la chambre, il ne pouvait me voir ; je gesticule à la place de tout le monde, quel trophée récoltes-tu, père, en te réduisant à une fuite ? Tu pleures peut-être dans un coin alors que je hurle dans le souffle de mon père. Dis : Allah est grand. Dis : nous ferons des ablutions de sang et d’amour. Puis la transposition de l’épice à la couleur, c’est là qu’accrocha le souvenir, comme jamais évanescence ne frappe mon corps; peut-être mangent-ils mieux après m’avoir offert aux femmes ; je dois à tous cette blessure. Je discerne une vague conspiration pour que je me mette à genoux ; entre-temps, on me fait descendre l’escalier, où je rebondis tout seul depuis la naissance. On me suspend à une Reimer 46 multitude de bras en fête, et l’on crie victoire. Je m’évanouis une première fois. Le cri de ma mère me réveille. Elle fait semblant de m’accoucher une deuxième fois et elle pleure ; je bifurque vers l’énigme des femmes : sur les convives l’eau de rose à disperser, un fragment de vision, je mords de l’œil, tout s’éteint. Non point la mort du petit juste ! Ne crois-tu pas qu’on t’a élevé à la dignité du patriarche ? Sois digne de ton sang, sois patriarche ! Épouse une, deux, trois, quatre femmes et passe ! Hérite enfant, hérite de ton père, de ton père, la fêlure n’est pas mortelle. Ceux qui s’érigent, le sexe non circoncis, ne connaîtront que tourment et déplaisir ! Ceux du Très Grand Égarement ! Sache, enfant propice, sache ! Peut-être pourras-tu te mettre en parabole. Eh quoi ! Souffle contre la douleur ! Sépare-toi, et passe ! Marche ensuite, les genoux écartés, ne frotte pas le pénis contre la blancheur du vêtement, sois vigilant ! Alors, pour toute mobilité, l’éclosion d’une fleur de sang, tatouée entre les cuisses. La mémoire tatouée, 26-27.