C`est léger et c`est bon : le règne de la frugalité délicieuse

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C`est léger et c`est bon : le règne de la frugalité délicieuse
FAUT-IL MAIGRIR?
C'est léger et c'est bon : le règne de la frugalité délicieuse
La vie en light
Faux sucres, fausses
crèmes, faux fromages,
couscous « allégé » et
spaghetti à 0 %... Le
déferlement de la
nouvelle diététique
ls rongeaient leur frein, leurs recettes
prêtes. Ils n'avaient plus qu'à lancer leur
pub et leurs lignes de fabrication. Enfin le
11 mars les édulcorants ont eu feu vert.
Banzaï ! Tous les Coca-Cola, Orangina,
Yoplait, Lenzbourg se sont mis à édulcorer in petto. Après les sans sel, les sans matières
grasses, voici les sans sucre au goût sucré.
Silhouette et Sveltesse « light », yaourt maigre
aux fruits, Coke « light » moins d'une calorie
par verre, et bientôt yaourt à boire « light »,
confiture « light »... le grand déballage quoi !
Le dernier-né des édulcorants, l'aspartam fils
de la firme Searle, est le favori de ragro-alimentaire.
Observez le panier de la ménagère toquée
d'allégé : rien n'y manque. Les produits de
consommation courante ont tous leur équivalent hypocalorique. On y trouve au hasard le
faux beurre à 41 % de matière grasse au lieu de
82 %, le fromage blanc battu à 0 °/0, la confiture-compote tombée de 65 % de teneur en
sucre à45 °h, du pâté, des rillettes de régime, du
jambon découenné et dégraissé, des soupes
instantanées moitié moins riches un Tartare à
151 cal/100 g au lieu de 380 intéressée
(l'
connaît les chiffres par coeur), quelques plats
cuisinés minceur, de la mayonnaise à l'eau et de
l'édulcorant, désormais en grandes surfaces,
pour sucrer ses fraises. L'allégé est devenu
quasiment un réflexe, pour le grand bonheur
des industriels. Si les allégés ne représentent
encore que 23 millions de francs sur les
712 millions de francs du marché alimentaire
français, leur taux de croissance est deux fois
plus fort. Depuis 1984, par exemple, les pâtes à
tartiner ont crû de 25 % par an.
C'est bien normal. La nutrition est un genre
• en vogue. Les diététiciens, relayés par les
médias, nous ont seriné qu'on mangeait trop de
graisses et de sucres simples. Que notre alimentation riche en sauce et en viande n'était plus
adaptée à notre vie sédentaire. Le fait est acquis.
On monte sur sa balance tous les matins. Etre
en forme, manger léger, atteindre son poids
idéal sont devenus des préoccupations quotidiennes. La communication sur les produits
allégés insiste d'ailleurs sur être « bien dans son
corps, active...
I
116 LE NOUVEL OBSERVATEUR /NOTRE ÉPOQUE
Après les sans sel, les sans matières grasses, voici les sans sucre au goût sucré
...etgourmande ». L'allégé, c'est nouveau, se
pose comme délicieux. « Le consommateur ne
veut plus se sentir frustré. fine veut plus souf
frir. La tendance est au retour du plaisir », dit
Chantal Bréjot, chargée de la publicité de
Cuisine légère chez Findus. Le produit se positionne « forme » et non plus « régime ». Meilleur pour la santé, certes, mais pas punitif. Exit
la diététique hystérique frénétique et triste,
bonjour l'allégé gai, ludique et savoureux. On
veut tout. Le plaisir et la silhouette. Le yaourt
0 % a connu une évolution exemplaire de la
saveur. Il commence par être maigre, amer,
austère. On le mange par devoir. Ensuite il est
brassé, plus onctueux. Puis brassé aux fruits et
sucré, ce qui remonte d'ailleurs l'apport calorique. Enfin voici le même édulcoré, en toute
gourmandise, et le péché en moins.
Manger allégé s'enrichit de nouvelles connotations, avec les plats cuisinés minceur. Findus
le précurseur apparaît en 1984, avec Cuisine
légère. Suivent les autres marques avec leurs
gammes Ligne légère, Fine Recette, Menus
légers, voire Menu tout court, Recette légère.
Cette cuisine individuelle se réclame d'une
nouvelle hygiène alimentaire. Plus de protides,
plus de glucides lents, moins de lipides. « Des
plats complets et savoureux, avec juste ce qu'il
faut de viande ou de poisson pour les protides,
des pommes de terre ou des céréales pour les
glucides complexes, des sauces sans lipides
superflus. Tous les ingrédients sont dosés de
façon à apporter moins de 300 calories par
plat», écrit Paule Neyret, diététicienne chez
Findus.
Pour nous aider, les chercheurs au-dessus de
leurs cornues travaillent à fabriquer le bon
autrement. On invente le gras sans gras, à base
de tapioca, d'amidon, d'algue ou de protéines
du lait et du soja. Matières sensées restituer sa
texture onctueuse, ce qu'on appelle la « tardnabilité » du pâté. Mais pas son goût, qu'il faut
remplacer par des aromates (1). On peut fabriquer la charcuterie avec plus deviande et moins
de gras. C'est cher. Ou plus de légumes. Vive la
terrine de poisson et le pâté de volaille. Evidemment, ils tiennent moins au corps, mais
c'est aussi ce qu'on recherche.
Ces nouveaux concoctages créent des bâtards, qui ne répondent plus aux appellations
familières. N' estpas glace, beurre ouyaourt qui
veut ! Des réglementations strictes définissent
les compositions des produits. Il faut être
conforme, ou n'être pas. Impossible donc aux
Saint-Hubert 41 et consorts de s'appeler
beurre allégé. II leur faut se contenter d'une
pataude périphrase « pâte à tartiner » oupour
Bridélice et Co, non pas crème allégée, mais
« spécialité laitière préparée avec de la crème
fraîche ». Dans la foulée, les derniers-nés de
Yoplait et Chambourcy n'ont pas le droit de
s'appeler yaourt parce qu'ils incorporent un
édulcorant. Le terme allégé se distribue avec
autant de circonspection. Le « Bulletin officiel
de la concurrence et de la consommation » daté
du 6 novembre 1987 explique qu'on est l'allégé
d'un produit de référence ; que l'allègement ne
doit pas changer la nature du produit, mais
seulement en abaisser sa valeur énergétique.
Faute de quoi on est seulement « léger».
Aussi stricte soit-elle, la réglementation
n' empêche ni les abus ni les entourloupes. Pour