Sujet 5 - Gaël Giraud

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Sujet 5 - Gaël Giraud
ECOLE NORMALE SUPERIEURE
CONCOURS B/L 2013
Epreuve orale commune d’Economie
Jury : Nicolas Dromel et Gaël Giraud
Sujet : L’arbitrage inflation-chômage
Dossier documentaire (8 pages)
DOCUMENT 1 : Inflation aux Etats-Unis et en France
DOCUMENT 2 : Inflation et chômage aux Etats-Unis et en France
DOCUMENT 3 : Histoire macroéconomique des Etats-Unis depuis 1960
DOCUMENT 4 : La théorie avant les faits
DOCUMENT 5 : Les analyses des prix Nobel concernant l’inflation et le chômage
DOCUMENT 6 : Quelle est la précision des estimations du taux de chômage naturel ?
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DOCUMENT 1 : Inflation aux Etats-Unis et en France
Graphiques extraits p.215 de Macroéconomie, Olivier Blanchard et Daniel Cohen, 5e édition, De
Boeck, 2010.
Etats-Unis, 1900-2010
Source : base de données des Perspectives Economiques de l’OCDE, octobre 2009.
France, 1891-2010
Source : base de données des Perspectives Economiques de l’OCDE, octobre 2009.
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DOCUMENT 2 : Inflation et chômage aux Etats-Unis et en France
Graphiques extraits pp.212-213 de Macroéconomie, Olivier Blanchard et Daniel Cohen, 5e édition,
De Boeck, 2010.
Etats-Unis, 1948-1969
Les années 1961 à 1969 sont représentées par des losanges noirs.
France, 1948-1969
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Etats-Unis, 1970-2008
Source : base de données des Perspectives Economiques de l’OCDE, octobre 2009.
France, 1970-2008
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DOCUMENT 3 : Histoire macroéconomique des Etats-Unis depuis 1960
Extrait p.492 de Macroéconomie, Gregory N. Mankiw, 5e édition, De Boeck, 2010, traduction de la 7e
édition américaine par Jihad C. El Naboulsi.
Au cours des années 1960, les politiques expansionnistes ont réduit le chômage et accru le
taux d’inflation. La réduction fiscale de 1964, jointe à une politique monétaire expansionniste,
a ramené le taux de chômage en dessous de 5%. L’expansion continue de l’économie
américaine au cours des dernières années 1960 s’explique essentiellement par les dépenses
publiques au titre de la guerre du Vietnam. Cependant, le chômage a atteint un niveau
inférieur et l’inflation un niveau supérieur à ce que les décideurs politiques souhaitaient.
Les années 1970 étaient une période de turbulences économiques. Aussi, dès le début des
années 1970, s’efforça-t-on de réduire l’inflation héritée des années 1960. Les contrôles
temporaires des prix et des salaires imposés par le président Nixon et sa politique monétaire
restrictive élaborée et mise en œuvre par la Fed [Réserve Fédérale des Etats-Unis] ne
parvinrent qu’à peser très légèrement sur le taux d’inflation. En effet, les effets des contrôles
disparurent dès que ceux-ci furent levés et la récession avait une ampleur insuffisante pour
compenser l’impact inflationniste du boom qui l’avait précédée. En 1972, le taux de chômage
était identique à ce qu’il était dix ans auparavant, mais l’inflation était supérieure de 3% à son
niveau de la même période.
S’ajoutèrent à cela, en 1973, les importants chocs d’offre provoqués par l’Organisation des
Pays Producteurs de Pétrole (OPEP). A cette époque, en effet, l’OPEP augmenta le prix des
produits pétroliers, ce qui poussa le taux d’inflation jusqu’à quelque 10%. Le choc d’offre et
une politique monétaire restrictive temporaire sont à l’origine de la récession en 1975. Celleci atténua quelque peu le taux d’inflation, mais les hausses substantielles des prix pétroliers la
ramenèrent à son niveau élevé dès la fin des années 1970.
Les années 1980 débutèrent donc avec un taux d’inflation effectif et anticipé élevé. Sous la
présidence de Paul Volcker, la banque centrale américaine s’obstina à mener des politiques
monétaires visant à réduire l’inflation. En conséquence, en 1982 et 1983, le taux de chômage
atteignit son niveau le plus élevé des quarante dernières années. Pourtant, le taux de chômage
croissant, joint à la baisse des produits pétroliers de 1986, ramena le taux d’inflation de
quelques 10% à environ 3%. Dès 1987, le taux de chômage d’environ 6% était proche de la
plupart des estimations de son taux naturel. Il ne s’arrêta pas là, cependant, et baissa jusqu’au
minimum de 5,2% en 1989, année où commença un nouveau cycle d’inflation induite par la
demande.
Comparées aux trente dernières années, les années 1990 et le début des années 2000 étaient
relativement calmes. Les années 1990 commencèrent par une récession, induite par divers
chocs récessifs sur la demande agrégée : une politique monétaire restrictive, une crise sur les
prêts et l’épargne, et une baisse de la confiance des consommateurs qui a coïncidé avec la
Guerre du Golfe. Le taux de chômage passa à 7,3% dès 1992. L’inflation baissa, mais
légèrement seulement. Au contraire de ce qui s’était passé au cours de la récession antérieure
de 1982, au cours des années 1990, le chômage ne s’écarta jamais beaucoup de son taux
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naturel, ce qui en explique le faible impact sur l’inflation. De même, une récession en 2001
[…] a fait augmenter le chômage, mais une fois de plus, l’impact sur l’inflation de la baisse
du chômage était minime. Une grave récession a commencé en 2008 […] et semble avoir des
effets déflationnistes importants. […]
Ce survol rapide de l’histoire macroéconomique des Etats-Unis met en avant deux causes de
l’inflation […]. Les années 1960 et 1980 montrent les impacts de l’inflation induite par la
demande : au cours des années 1960, c’est la faiblesse du chômage qui est à l’origine de
l’inflation élevée, alors que dans les années 1980, le chômage élevé entraîna une réduction
substantielle de l’inflation. Quant aux années 1970, elles nous montrent les impacts de
l’inflation induite par les coûts (la crise pétrolière).
DOCUMENT 4 : La théorie avant les faits
Extrait p.218 de Macroéconomie, Olivier Blanchard et Daniel Cohen, 5e édition, De Boeck, 2010.
Voici quelques citations de Friedman à propos de la courbe de Phillips (tirées de l’article
« The role of Monetary Policy » [le rôle de la politique monétaire], mars 1968, American
Economic Review, 58-1, 1-17) :
« Implicitement, Phillips parle d’un monde dans lequel chacun anticipe que les prix nominaux
seront stables, et dans lequel cette anticipation reste invariable et immuable quelle que soit
l’évolution des prix et des salaires réels. Supposons, en revanche, que chacun anticipe une
hausse des prix de plus de 75% par an – comme par exemple au Brésil lors de la crise de la
dette. Dans ce cas, les salaires nominaux doivent croître au même taux pour simplement
maintenir les salaires réels. Un excès d’offre de travail se reflètera alors par une hausse des
salaires nominaux moins rapide que la hausse des prix anticipés, et non par une baisse absolue
des salaires nominaux. »
« Il y a toujours un arbitrage temporel entre inflation et chômage ; il n’y a pas d’arbitrage
permanent. L’arbitrage temporaire ne vient pas de l’inflation elle-même, mais d’un taux
croissant d’inflation. […] Mais, me demanderez-vous, combien de temps dure le
« temporaire » ? Je ne peux que vous donner mon propre avis, fondé sur l’examen des faits
passés : l’impact initial d’un taux d’inflation plus élevé et non anticipé semble durer entre
deux et cinq ans, puis commencer à diminuer. L’ajustement complet au nouveau taux
d’inflation nécessite environ, pour l’emploi comme pour le taux d’intérêt, deux décennies. »
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DOCUMENT 5 : Les analyses des prix Nobel concernant l’inflation et le chômage
Extrait p.745 de Principes d’Economie Moderne, Joseph E. Stiglitz et Carl E. Walsh, 2e édition, De
Boeck, 2004, traduction de la 3e édition américaine par Florence Mayer, révision scientifique de JeanDominique Lafay.
Pendant les années 1960, beaucoup d’économistes croyaient que la courbe de Phillips était
stable et que, de ce fait, il était possible de faire baisser le taux de chômage moyen sous
réserve d’accepter un taux d’inflation en permanence plus élevé (mais stable). Friedman a
avancé l’argument qu’un tel arbitrage ne pouvait pas durer éternellement. Faire croître
l’économie pour abaisser le chômage allait provoquer une augmentation des salaires
nominaux, au fur et à mesure que les entreprises essayeraient d’attirer des salariés
supplémentaires. Les entreprises acceptent de payer des salaires nominaux plus forts si elles
anticipent que les prix de leurs produits seront plus élevés dans le futur du fait de l’expansion
économique. Les salariés se rendent compte de l’accroissement de l’inflation et, pour cette
raison, réclament des hausses de salaires plus rapides. L’inflation ne se stabilisera donc pas à
un niveau élevé. Elle connaîtra des augmentations continuelles et ne redeviendra stable qu’à
partir du moment où l’économie sera revenue à son taux de chômage naturel.
La plupart des économistes ont suivi Friedman et accepté l’idée qu’il n’y avait pas d’arbitrage
possible à long terme permettant d’échanger de façon permanente un chômage plus faible
contre une inflation plus forte. Ce consensus résulte en partie des contributions de Lucas.
Celui-ci s’est attaché à montrer les conséquences étonnantes de l’hypothèse d’anticipations
rationnelles. Il a insisté sur le fait que les anticipations étaient « tournées vers le futur » […].
L’anticipation d’une expansion économique risque d’avoir pour effet d’augmenter
immédiatement les anticipations d’inflation, et donc de déplacer la courbe de Phillips vers le
haut. Selon Lucas, tant les salariés (quand il s’agit de négocier les salaires) que les entreprises
(quand elles décident de fixer leurs prix) ont des chances d’être orientées vers le futur : quand
ils anticipent une inflation, ils peuvent provoquer des déplacements à court-terme de la courbe
de Phillips avant même que cette inflation ne soit effective. Si, par exemple, le gouvernement
annonce qu’il va changer sa cible d’inflation, de nombreuses personnes vont ajuster leurs
anticipations concernant la croissance des prix.
Les déplacements provoqués par les anticipations constituent à la fois une bonne et une
mauvaise nouvelle. D’un côté, l’inflation peut s’accroître rapidement. A la limite, l’économie
peut même avoir un taux de chômage supérieur au NAIRU et, malgré tout, anticiper une
inflation plus forte dans le futur. Dans ces conditions, la hausse des prix peut s’accélérer
immédiatement. D’un autre côté, et c’est la bonne nouvelle, l’inflation peut aussi se ralentir
très rapidement, ce qui permet d’éviter une période de chômage difficile à supporter. Le
Brésil, Israël et le Ghana sont des exemples de pays qui sont parvenus à faire baisser
l’inflation de cette manière.
Selon Friedman, l’accumulation des données empiriques montrant que la courbe de Phillips
des années 1960 était instable a joué un rôle décisif dans la façon dont les économistes ont
modifié leur manière de voir.
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DOCUMENT 6 : Quelle est la précision des estimations du taux de chômage naturel ?
Extrait p.496 de Macroéconomie, Gregory N. Mankiw, 5e édition, De Boeck, 2010, traduction de la 7e
édition américaine par Jihad C. El Naboulsi.
Si vous demandez à un astronome quelle est la distance entre la terre et le soleil, il vous
donnera un chiffre, mais celui-ci ne sera pas précis. La capacité de l’homme à mesurer les
distances astronomiques reste limitée, la marge d’erreur pouvant aller du simple au double,
dans les deux sens.
Il en va de même de la mesure du taux de chômage naturel, ou NAIRU. L’un des problèmes
vient des chocs d’offre. Les chocs sur les fournitures de pétrole, les récoltes ou le progrès
technologique peuvent entraîner des variations de l’inflation dans le court terme.
L’accélération de l’inflation ne peut donc être interprétée avec certitude comme le résultat
d’un taux de chômage inférieur au taux naturel ou comme la conséquence d’un choc négatif
sur l’économie.
La variation dans le temps du taux naturel crée un deuxième problème. Les évolutions
démographiques (telles que le vieillissement des générations du baby-boom), les
modifications des politiques (telles que l’introduction d’une législation sur le salaire
minimum) et les changements institutionnels (tels que la perte d’influence des syndicats) sont
autant d’éléments qui influencent le niveau de chômage « normal » d’une économie.
L’estimation du taux de chômage naturel ressemble donc fort à un tir sur une cible mouvante.
Les économistes traitent ce genre de problème en faisant appel à des techniques statistiques
qui donnent la « meilleure estimation » du chômage naturel, assortie de la marge d’incertitude
qui l’entoure. Dans une étude de ce type, Douglas Staiger, James Stock et Mark Watson ont
estimé le taux de chômage naturel aux Etats-Unis à 6,2% en 1990, avec un intervalle de
confiance à 95% allant de 5,1% à 7,7%. Un intervalle de confiance au seuil de 95% donne
95% de probabilité que la valeur réelle soit située dans l’intervalle. Le degré d’imprécision
des estimations du taux de chômage naturel ressort clairement de l’intervalle de 2,6 points de
pourcentage qui résulte de cette étude.
Cette conclusion a des implications lourdes de conséquences : les responsables politiques qui
souhaitent maintenir le chômage à un niveau proche de son taux naturel se heurtent à
l’incapacité des économistes à leur dire exactement quel est ce taux naturel 1.
1
Douglas Stainer, James H. Stock, et Mark W. Watson, « How Precise Are Estimates of the Natural
Rate of Unemployment,” [Quelle est la precision des estimations du taux de chômage naturel] in
Christina D. Romer et David H. Romer, Eds., Reducing inflation: Motivation and Strategy [Réduire
l’inflation : motivation et stratégie] Chicago: University of Chicago Press, 1997.
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