Le verre finlandais

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Le verre finlandais
Le verre finlandais
Exposition
« D… comme design finlandais »
Commissariat dʼexposition : Uta Lauren
Sous la direction de Heikki Matiskainen, directeur du Musée du verre de Finlande
La Finlande, pays de 5,5 millions dʼhabitants situé au nord-ouest de lʼEurope, a une histoire
de la verrerie relativement récente comparée à celle de lʼEurope continentale. La première
Verrerie fut créée en 1681 et la seconde en 1748, elles furent longtemps marquées par
lʼemprunte du verre vénitien, allemand et français, il faudra attendre le XX° siècle pour
assister à une réelle émancipation stylistique du verre finlandais.
La nature, reste au fil du temps, au cœur des préoccupations du design finlandais de part
lʼattention apportée à lʼétude des proportions et des principes de la géométrie élémentaire1,
tantôt sobre, tantôt fougueux, le verre made in Finlande continu dʼécrire son histoire.
Depuis 2005, la Finlande recense 35 entreprises fabriquant du verre dont la plupart sont
composées de petits ateliers. Cette notion dʼéchelle modeste par la taille fait que lʼune des
caractéristiques du verre finlandais est lʼassociation quasi systématique dans un même lieu
de la production utilitaire et artistique, renforçant de fait le dialogue entre production,
tradition, création et innovation.
Le fait quʼau XXI° siècle la dimension de lʼexpérience humaine soit, en Finlande,
prépondérante dans la façon dʼappréhender le travail du médium verre, constitue une
spécificité et à bien des égards un atout.
Lʼaccueil en 2013 dʼune rétrospective des créations produites entre 2005 et 2010 par le
Finnish Glass Museum de Riihimäki au Musée/Centre dʼart du verre de Carmaux,
principalement dans le domaine du design, confère à cette exposition une dimension
européenne après avoir été préalablement présentée en Slovénie et en Slovaquie.
Au-delà de la nature et de la qualité des objets et sculptures sélectionnés, cette exposition
itinérante présente lʼavantage dʼouvrir un espace de dialogue interculturel reprenant par
essence le caractère
migratoire de la production verrière, cher aux souffleurs de verre depuis des siècles.
Laurent SUBRA
Directeur du Musée/Centre dʼart du verre
Carmaux
Histoire du verre finlandais
Par Kaisa Koivisto
Alvar Aalto, Timo Sarpaneva et Tapio Wirkkala comptent parmi les grands noms, mais
comparée à celle de lʼEurope continentale, lʼhistoire de la verrerie finlandaise est bien courte
et bien modeste. La première verrerie fut créée en 1681 et la seconde en 1748. Au XVIIIe
siècle, la Finlande faisait partie du royaume de Suède, producteur majeur de fer et de cuivre
à lʼéchelle mondiale. Le fait que lʼindustrie minière ait exigé dʼimportantes ressources de bois
est, dans une certaine mesure, la raison pour laquelle lʼindustrie verrière a été implantée du
côté finlandais. Au tournant du XVIIIe et XIXe siècle, environ la moitié de la production
nationale des produits du verre, principalement des bouteilles et du verre plat pour le marché
suédois, venait de Finlande. Lorsquʼen 1809 la Finlande devint une province autonome du
Grand-Duché de Russie, lʼindustrie finlandaise du verre perdit son principal marché.
La Finlande a commencé à sʼindustrialiser au milieu du XIXe siècle avec lʼapparition de
scieries et dʼusines à papier. La majeure partie des Finlandais vivaient encore dans les
zones rurales. Avec la vente du bois et les laiteries, la campagne a été aspirée par le cercle
dʼinfluence de lʼéconomie monétaire et les produits industriels ont commencé à connaître une
demande croissante. La verrerie de Nuutajärvi, fondée en 1793, a été entièrement rénovée
1
Heikki Matiskainen, directeur du Finnish Glass Museum of Riihimäki
dans les années 1850. Son nouveau propriétaire, Adolf Törngren, décida de mettre sa
manufacture au niveau des verreries européennes. Lors de ses voyages dʼétudes en France,
en Allemagne et en Belgique, il embaucha des professionnels pour les ramener à Nuutajärvi.
Lʼune des modernisations notables fut le démarrage de la fabrication du verre moulé, pour la
première fois en Finlande en 1851. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, on fabriquait
même à Nuutajärvi le verre le plus à la mode de lʼépoque, du verre filigrané de type vénitien.
Cʼest le français Charles Bredgem (1828-1903), employé à Nuutajärvi de 1857 à 1859, qui
soufflait ce verre. Il a transmis son savoir-faire à deux souffleurs allemands qui travaillaient
également à Nuutajärvi. Le verre gravé et poli faisait également partie des innovations
dʼAdolf Törngren. Même sʼil fut nécessaire dʼabandonner certaines de ces innovations, les
autres verreries se mirent également à améliorer leur production et les nouvelles
manufactures, notamment Iittala fondée en 1881, Karhula fondée en 1889 et Riihimäki
fondée en 1910 devinrent rapidement des établissements industriels modernes.
Lʼintégration des designers professionnels au service de lʼindustrie du verre a été très lente.
Les premiers exemples de production en série de modèles réalisés par les designers
professionnels remontent au début du XXe siècle, mais même longtemps après cela, il était
de tradition dʼadapter les modèles européens presque tels quels à la production finlandaise.
Dans les années 1920, le verre suédois devint un idéal du design et le verre fabriqué en
Finlande, aussi bien à usage domestique quʼartistique, était marqué par lʼinfluence suédoise.
Les premiers designers professionnels embauchés par lʼindustrie du verre furent Göran
Hongell (Karhula 1932) et Erkki Vesanto (Iittala 1936). La Finlande participa à de
nombreuses expositions internationales dans les années 1920 et 1930, avec pour objectif de
faire connaître la Finlande comme une nation moderne. Les objets en verre réalisés pour les
expositions assuraient la même fonction, il sʼagissait principalement dʼobjets remarquables et
uniques. Cʼest pour une exposition également quʼa été créé lʼobjet de verrerie finlandais
peut-être le plus célèbre, le vase Aalto conçu par Alvar Aalto en 1937. La série fut présentée
pour la première fois lors de lʼExposition universelle de Paris de 1937 dans le pavillon conçu
par Alvar Aalto lui-même.
La guerre interrompit brutalement le développement si prometteur du design. À la fin de la
guerre, la Finlande fut contrainte de payer des réparations de guerre à lʼUnion Soviétique.
Toutes les ressources disponibles furent utilisées à ces fins et lʼindustrie du verre,
dépendante de lʼimportation, connut donc une pénurie de matières premières jusquʼau début
des années 1950. À partir de la fin des années 1940, le verre finlandais devint un élément du
concept Scandinavian Design. La Finlande put ainsi prouver quʼelle était un pays occidental,
fabriquant des produits industriels de haute qualité. À la fin des années 1940, les designers
se trouvaient dans une situation unique, ils pouvaient concevoir des objets dʼart en verre
sans presque aucune limitation. Nombre de ceux-ci étaient produits en série, même si de
nombreux objets dʼart nʼétaient fabriqués quʼen petite quantité. Grâce à ces objets, le design
du verre finlandais obtint une reconnaissance internationale. En 1951, lors de la Triennale de
Milan, Tapio Wirkkala fut très remarqué, non seulement pour lʼarchitecture de son exposition,
mais également pour ses objets en verre et ses sculptures de contreplaqué. La réussite du
design finlandais se répéta lors des triennales de 1954 et 1957. Lʼexposition itinérante,
Design in Scandinavia, qui a tourné de 1954 à 1957 aux États-Unis et au Canada, fut
rassemblée sur la base de la triennale de 1954. Lʼexposition Formes Scandinaves,
largement plébiscitée en France, fut organisée en 1958.
Lʼidée, liée au fonctionnalisme, dʼustensiles quotidiens agréables à lʼœil ne fut réellement
mise en application que dans les années 1950. À la fin des années 1940, on discutait déjà
beaucoup de lʼamélioration des objets utilitaires, mais en période de rationnement et de
manque, tous les produits disparaissaient de toute manière des rayons et ce nʼest quʼau
début des années 1950 que lʼon commença à prêter attention à la conception du verre
ménager. La beauté des objets était basée sur leur simplicité et leur aspect pratique. La
verrerie de Nuutajärvi changea de propriétaire au début des années 1950 et toute la gamme
de verre ménager connut un nouvel élan sous la direction de Kaj Franck. La réussite du verre
artistique finlandais à la triennale de Milan entraîna une demande pour des objets utilitaires
conçus par des designers de renommée internationale. Au milieu du XXe siècle la
compétition était rude sur le plan national et les designers dʼIitala et de Riihimäki se
concentrèrent sur le design du verre utilitaire. La production fut améliorée dans les années
1950, les mesures prises furent notamment lʼacquisition de nouvelles machines de verre
moulé, lʼintroduction du découpage à chaud dans la fabrication du verre pour les restaurants
et la simplification des formes des objets à fabriquer. Le design devint définitivement un
élément central de lʼindustrie verrière finlandaise.
Les années 1950 sont lʼâge dʼor du design finlandais, parmi les noms les plus célèbres citons
Kaj Franck, Timo Sarpaneva, Nanny Still, Helena Tynell et Tapio Wirkkala. Aucun dʼentre
dʼeux nʼavait de formation en verrerie. Les premiers designers verriers Finlandais étaient
architectes où avaient fait lʼÉcole des Arts et Métiers, qui a précédé lʼactuelle Université des
Arts et du Design de Helsinki. Kaj Franck et Gunnel Nyman dessinaient des meubles,Tapio
Wirkkala était sculpteur ornemental, Helena Tynell céramiste, Timo Sarpaneva graphiste et
Nanny Still avait une formation en arts et métaux. Jusquʼaux années 1960, les seuls contacts
avec le design de la verrerie étaient les visites dans les manufactures de verre. Étant donné
que Kaj Franck fut longtemps enseignant à lʼÉcole des Arts et Métiers, les étudiants en
céramique prirent lʼhabitude de se rendre à la verrerie de Nuutajärvi. Cʼest là quʼOiva Toikka,
Heikki Orvola et Kerttu Nurminen, entre autres, ont pris un premier contact avec le verre.
La concurrence entre les manufactures finlandaises se fit plus rude au début des années
1960. En 1961, la Finlande a adhéré à lʼassociation de libre-échange européenne EFTA
comme membre externe. Lʼexportation du verre a augmenté et lʼon a commencé à importer
du verre fabriqué de manière entièrement automatisée. Lʼindustrie du verre a connu de
nombreuses améliorations. Le soufflage fixe au moule, qui convient bien à un style plus
ornemental, de même que le moulage centrifuge, furent introduit à Iittala en 1968. La verrerie
de Nuutajärvi automatisa également sa production de verre moulé en 1968. Ces mesures
dʼamélioration ont rendu le verre finlandais concurrentiel sur les marchés internationaux.
Suite à leur réussite dans lʼarène internationale, les designers finlandais sont devenus des
artistes et des personnes publiques. La plupart des designers ont la possibilité de réaliser
des objets uniques et des prototypes en étroite collaboration avec les ouvriers des verreries.
Cette possibilité de collaboration avec les souffleurs, les paracheveurs et les graveurs est
justement un trait caractéristique, souvent mis en relief lorsque lʼon parle du verre nordique.
Le point de départ du mouvement international des ateliers indépendants a été la possibilité
pour lʼartiste dʼexprimer ses propres sentiments et expériences et de fabriquer lui-même ses
pièces. Ce mouvement a démarré au début des années 1960 aux États-Unis où, dans de
nombreuses manufactures de verre, le concept de liberté dʼexpression artistique du designer
était totalement inconnu. Ornamo, lʼAssociation Finlandaise des designers, a organisé un
séminaire sur le verre avec lʼÉcole des Arts et Métiers en 1970. Le formateur était lʼun des
pionniers du mouvement international des ateliers indépendants, Marvin Lipofsky. Après sa
participation au séminaire, Heikki Kallio sʼest construit un four et est devenu un artiste dans
la lignée de cet idéal. Il a commencé à organiser des formations dʼatelier indépendant à
lʼÉcole des Arts et Métiers dès la fin des années 1970 et, depuis les années 1980, il est
également possible dʼétudier la verrerie comme matière principale. Le mouvement des
ateliers indépendants a également eu une grande influence sur les pièces uniques
fabriquées dans les cercles industriels.
On peut considérer lʼannée 1973 comme un véritable tournant dans lʼindustrie finlandaise de
la verrerie. La crise de lʼénergie a soudainement fait augmenter les coûts et, dans le même
temps, le traité de commerce conclu avec la CEE a apporté encore plus de verre étranger
sur le marché finlandais. Vu la dépendance de la Finlande vis-à-vis de lʼimportation des
matières premières et le niveau élevé des coûts salariaux, lʼimportance du design comme
partie intégrante de la compétitivité sʼen est trouvée encore renforcée. Les verreries,
confrontées à cette nouvelle situation, ont adopté des stratégies très différentes. Riihimäen
Lasi Oy a totalement arrêté la fabrication du verre à la main en 1976. La verrerie de
Nuutajärvi a encore renforcé sa production de verre moulé, mais a également mis en valeur
lʼimportance du travail manuel. Lʼaccent de la production sʼest déplacé des objets utilitaires
vers les objets dʼart. La verrerie dʼIittala a automatisé sa production avec pour ambition
dʼarrêter le soufflage à la bouche, leur production est effectivement plus efficace, mais il nʼen
reste pas moins quʼune importante partie du travail est toujours faite à la main. Il nʼest
probablement pas exagéré de dire que lʼindustrie finlandaise de la verrerie ne sʼest jamais
remise des conséquences de la crise énergétique.
Iittala-Nuutajärvi était une entreprise indépendante de 1988 à 1990, elle a été rachetée par
Hackman en 1990. Sous la direction dʼHackman, les marques de produits et les stratégies
ont connu une rotation importante. Pour tout ce qui concerne les arts de la table et la
décoration, on trouve, entre autres, les gammes Iittala, Nuutajärvi, Arabia et Rörstrand.
Lʼindustrie de la verrerie utilise de plus en plus de designers en freelance. Dans son
ensemble, le design finlandais sʼest internationalisé. De nombreux produits sont fabriqués à
lʼétranger et les designers peuvent aussi bien être de nationalité finlandaise quʼétrangère. En
2003, les produits pour la cuisine et les arts de la table, fabriqués à partir de divers matériaux
par Iittala, Nuutajärvi et Arabia notamment, ont tous été commercialisés à lʼexportation sous
le label dʼIittala. Au niveau du marketing, on insiste encore sur lʼimportance de la tradition du
design dans les pays nordiques. Les Finlandais furent très choqués à lʼannonce de la vente
dʼIittala aux Italiens car ils sont très attachés au concept de design national. Finalement, la
société hollandaise de financement, actuelle propriétaire, avec ses investisseurs finlandais,
est perçue comme un moindre mal.
Lʼaugmentation de la formation en verrerie a contribué à apporter plus dʼacteurs dans la
branche et a amélioré le niveau technique. Dans le même temps, les possibilités
dʼembauche par lʼindustrie du verre se sont réduites comme peau de chagrin, quʼil soit
question de designer, de souffleur ou dʼautres professions du verre, donc dʼune manière ou
dʼune autre, la plupart des gens doivent sʼefforcer de travailler à leur compte. Au quotidien, le
verre finlandais est déjà remplacé depuis des décennies par le verre dʼimportation fabriqué
de manière totalement automatique. Dʼun autre côté, les produits individuels sont de plus en
plus appréciés et les Finlandais achètent toujours du verre finlandais pour les grandes
occasions, comme cadeau de mariage par exemple. Les petits ateliers peuvent proposer des
solutions totalement individualisées. Pekka Paunila souffle des verres à schnaps et des
flûtes de champagne de forme traditionnelle, mais les modèles peuvent être obtenus dans
plusieurs dizaines de teintes différentes. Les verres à vin uniques de Camilla Moberg
conviennent à des occasions exceptionnelles. Les plats, les assiettes et les luminaires dʼAnu
Penttinen sʼapparentent peut-être plus à du graphisme quʼà des objets utilitaires. Les
designers ont besoin de réseaux de collaboration pour pouvoir faire fabriquer leurs objets.
Quelques souffleurs de verre de talent se sont spécialisés dans la sous-traitance, aussi bien
pour les marques connues que pour des designers ou des artistes. Fondée en 2004,
Nuutajärven lasitaitajat (les experts du verre de Nuutajärvi) sʼefforcent dʼoffrir des possibilités
diverses de fabrication du verre, aussi bien à leurs membres quʼà tous ceux qui sont
intéressés.
La verrerie finlandaise étant toute particulièrement renommée pour son design de haute
qualité, la relation avec lʼart est devenue problématique. On sʼattend à ce que les objets
artistiques aient également une fonction utilitaire. La pensée du mouvement des ateliers
indépendants en tant que média de lʼart nʼa cependant pas été oubliée. Même si rares sont
ceux qui peuvent se consacrer uniquement à lʼart, lʼart est cependant une ressource
spirituelle pour la plupart des verriers, porteuse dʼune nouvelle pensée pour le concept de «
verrerie finlandaise » toujours empreint de formes plus élaborées.
Le verre finlandais naît de différentes techniques
Par Hannele Viilomaa
En 2005, sur 35 entreprises fabriquant du verre ménager et de la verrerie dʼart en Finlande,
33 sont de petits ateliers indépendants dʼune ou deux personnes. Muurla Finland Oy est le
seul représentant dʼune petite manufacture de verre employant 12 professionnels. La plus
grande verrerie de Finlande est Iittala oy ab qui regroupe les manufactures dʼIittala,
Nuutajärvi et Humppila. Ces trois verreries emploient environ 300 personnes. Ce
regroupement de la production est dû à la forte concurrence régnant depuis une vingtaine
dʼannées dans lʼindustrie verrière. Parallèlement, lʼexpansion de la formation en verrerie a
été un facteur déterminant dans la création de petits ateliers indépendants. Ces
changements structuraux ont eu un impact sur les techniques utilisées dans la fabrication du
verre. Les méthodes de fabrication se sont diversifiées. Même si le soufflage du verre reste
la principale technique, dʼautres techniques de fabrication sont apparues, particulièrement
adaptées pour les petits ateliers, et de nombreuses techniques anciennes ont été
développées pour mieux répondre aux besoins actuels.
Malgré des perspectives dʼavenir incertaines, lʼéventail des formations en verrerie a continué
à augmenter dans les années 1990. Aujourdʼhui, des formations diplômantes sont
organisées dans le second degré, dans les écoles supérieures professionnelles et dans les
établissements dʼenseignement supérieur. Lʼintérêt général pour les arts décoratifs et les
travaux manuels a renforcé la confiance des Finlandais, ils sont persuadés de lʼavenir du
verre, malgré une rude concurrence aussi bien en Finlande quʼà lʼétranger. Ces dernières
années, des dizaines de professionnels de la verrerie sont sortis des écoles. Très peu
dʼentre eux ont obtenu un poste dans une verrerie, la plupart ont donc courageusement
ouvert leur propre atelier. Cʼest la concrétisation de lʼidée du mouvement des ateliers
indépendants, ils fabriquent et vendent eux-mêmes leurs produits.
Dans les années 2000 à 2004, il y avait 120 verriers ou artistes-verriers professionnels en
activité sur le marché finlandais de travail. Cette abondance et cette variété de ressources
ont été un apport considérable pour le design finlandais du verre utilitaire et artistique, elles
contribuent également à une grande diversité dans les modes de fabrication. Ces éléments,
alliés à lʼassurance donnée par une solide formation, ont permis lʼémergence dʼune toute
nouvelle créativité, que ce soit au niveau des idées ou de la réalisation. Les techniques ne
limitent plus la fabrication du verre, elles sont devenues parties intégrantes du processus
créatif.
Le soufflage
Le soufflage à la bouche est encore la principale technique de fabrication du verre en
Finlande. Chez Iiitala oy ab, les coûts à imputer au soufflage à la bouche pour le verre
ménager et artistique représentent plus de la moitié des dépenses de production. Il va donc
sans dire que les souffleurs de verre représentent aujourdʼhui encore une profession
particulièrement importante pour la verrerie. La canne est également toujours lʼoutil principal
du souffleur, celui qui lui permet de modeler lʼobjet à partir du verre fondu, soit à main levée,
soit en soufflant au moule. La technique de soufflage est restée inchangée pendant deux
mille ans, mais lʼinfluence actuelle est perceptible dans le design du verre et dans sa
réalisation technique.
Les techniques de soufflage italiennes, comme le filigrane, lʼincalmo et le pezzato sont
populaires en Finlande depuis la fin des années 1990. Ces techniques, délicates et
spectaculaires, ont été enseignées dans des groupes dʼétudes, aussi bien en Finlande quʼà
lʼétranger. Lʼun des virtuoses est le maître-souffleur de verre Jaakko Liikanen. Dans son petit
atelier de Riihimäki , il travaille sur commande, mais fabrique aussi des objets pour dʼautres
artistes et il possède également sa propre production. Entre ses mains sûres naissent des
plats rayés et colorés traités à lʼincalmo et des vases pezzato rappelant un patchwork. Dans
la jeune génération, Jari-Matti Solin est un magicien de la technique du filigrane. Sur les
grands plats soufflés de son atelier Hippoglass sʼentrecroisent des rayures filigranées,
colorées, en des toiles aux fils plus ou moins fins. Oiva Toikka dessine des oiseaux depuis
plus de 30 ans déjà pour la verrerie de Nuutajärvi et cʼest en utilisant des techniques
particulières quʼil fait ressortir les traits caractéristiques des oiseaux. Avec lʼutilisation des
techniques italiennes, on assiste à lʼapparition dʼun verre finlandais coloré et porteur dʼune
joie juvénile.
Pendant le soufflage, le verre peut être décoré de nombreuses manières. Lʼutilisation de
ballotes, de pigments en grains et en poudre sʼest généralisée. La technique, plus élaborée,
de verre multicouche est également devenue populaire. Les couches de verre coloré sont
séparées par une couche de verre transparent, ce qui laisse clairement apparaître une
tranche multicolore dans la coupe transversale. Le fait que les écoles soient bien aménagées
a permis aux élèves de procéder à des expériences et de développer de nouvelles
applications et de nouvelles idées. Ainsi, lʼartisane verrière Anne Aalto utilise dans ses
travaux les techniques du Graal et de Ravenna, mais elle a également développé une
nouvelle technique, appelée Crack, pour laquelle elle a déposé une demande de brevet.
Cette technique lui permet de peindre, entre les couches de verre, des images dont la
surface sʼécaille et se fissure pour donner un aspect lithographique. Le verre est maintenant
associé sans préjugés aux autres matériaux. Ninna Kjällman-Kukla, qui a fait ses études de
verrerie en République Tchèque, pose un filet métallique entre les couches de verre soufflé.
À lʼintérieur du verre brûlant le métal se met à bouillir et produit des bulles dʼair que le
spectateur peut interpréter à sa manière.
Les méthodes de décoration du verre après le soufflage sont, entre autres, la gravure, le
polissage et le sablage. Dans les plats et les vases ornementaux de Kerttu Nurminen,
fabriqués à Nuutajärvi, les délicates images gravées et sablées rompent les couches de
verre de différentes couleurs pour laisser une impression dʼesquisse. Les objets uniques
bicolores dʼAnu Penttinen ne prennent leur apparence finale quʼaprès un traitement ultérieur.
Lʼartiste polit et grave des motifs géométriques nets sur la surface du verre pour faire
ressortir les couches de verre inférieures, ce qui fait de ses objets un ensemble abstrait et
intéressant par sa forme, sa couleur et la structure de sa surface.
Ces dernières années, le verre a également trouvé sa place en tant que matériau dʼart libre.
Nombre dʼartistes se sont tournés vers ce mode dʼexpression. Les sculptures en verre
soufflé associées au métal de Hans-Christian Berg, par exemple, nous interpellent aussi bien
sur le plan émotionnel que physique. Il crée des espaces dʼinteraction entre lʼartiste, lʼœuvre
et le spectateur. Il en va de même pour les œuvres en verre transparent ou à surface en
miroir soufflées par Kazushi Nakada, à lʼaide desquelles il sʼefforce dʼétudier la lumière et la
réalité. Lʼentretien dʼun atelier de soufflage est onéreux, cʼest pourquoi les artistes et les
verriers ont récemment renforcé leur coopération, notamment en fondant un atelier de
soufflage à Nuutajärvi et en offrant la possibilité de louer un emplacement de travail. La
collaboration permet un accès à un plus grand nombre et, parallèlement, contribue au
développement du talent finlandais.
En Finlande, seule la verrerie Iitala utilise le soufflage mécanisé. Dès la fin des années 1950,
on a commencé à y développer une machine de soufflage à cannes rotatives. Dans les plus
anciennes machines, le souffleur préparait le verre, de la même manière que pour le
soufflage à la bouche, mais cʼest la machine qui achevait lʼobjet. En 1968, lʼusine développa
également une machine pour former la paraison, ce qui a considérablement accéléré la
fabrication des objets. Lʼarrivée des technologies numériques dans les années 1980 a facilité
les réglages en fonction des produits. Lʼéquipement actuellement utilisé en production est
une machine de pressage-moulage Olivotto italienne, entièrement automatisée, acquise en
2001. Elle permet notamment de fabriquer les verres à boire Ultima Thule, conçus en 1968
par Tapio Wirkkala et toujours populaires, mais elle est cependant peu utilisée.
Le moulage
La fabrication du verre par moulage convient pour les objets que lʼon veut fabriquer en
grandes séries, rapidement et à moindre coût. Le moule garantit que la forme restera
toujours identique et les principaux produits concernés par cette technique sont le verre
ménager et dʼemballage. À Nuutajärvi, Humppila et Muurla, le verre moulé est fabriqué avec
des machines manuelles, mais à Iitala, il est également fabriqué en production totalement
automatisée. La machine dose la paraison dans les moules et le piston compresse le verre
fondu dans le moule à la forme désirée. Ensuite, la machine transporte lʼobjet au polissage à
la flamme, ce qui homogénéise la surface si nécessaire. Après recuisson, lʼobjet est contrôlé,
emballé et vendu. Dans le processus de moulage du verre à la main, les étapes de travail
sont les mêmes, mais elles sont réalisées par une personne.
À la verrerie dʼIitala on fabrique notamment les verres Kartio de Kaj Franck et les verres
Verna de Kerttu Nurminen avec une machine de moulage automatique. La presse Tolvanen
de verre moulé à 12 moules permet également dʼintroduire une coloration au niveau du «
feeder »,il est donc également possible de sortir du verre bleu, vert ou gris. Le robot de
démarrage de la presse Kolori dʼIitala sort par exemple les bougeoirs Kivi, de Heikki Orvala,
avec de belles couleurs dans la masse. La nouvelle acquisition de la manufacture, la presse
Puseri, peut, si nécessaire, être transformée en machine de moulage centrifuge qui a
dʼailleurs quelque peu remplacé la technique du moulage classique.
Le moulage centrifuge
Le moulage centrifuge est également une technique importante pour la fabrication dʼobjets
en série. Il sʼest généralisé en Finlande dans les années 1970. On utilise actuellement aussi
bien des machines à moulage centrifuge automatisées que manuelles. La technique de base
est restée la même, peu importe que les étapes du travail soient réalisées par un homme ou
une machine. La verrerie Muurla Finland Oy, connue pour ses produits fabriqués par
moulage centrifuge, dispose actuellement dʼune machine manuelle à 8 moules. Le cueilleur
sort le verre fondu du four et lʼamène au mouleur qui coupe le volume de verre nécessaire
dans le moule. Un cueilleur expérimenté sait évaluer à lʼœil lorsque la masse de verre est
suffisante dans le moule. Ensuite, on démarre la rotation, la masse de verre fondu est alors
projetée contre les parois du moule par la force centrifuge. Le mouleur détermine la vitesse
et la durée de rotation du moule, qui varie selon les produits. Après la rotation, le produit est
retiré du moule et transporté vers le four de recuisson.
Les changements intervenus dans la technologie des moules ont permis une diversification
de la production par moulage centrifuge. Les moules sont maintenant fabriqués en fonte, en
acier et en graphite. Auparavant les moules étaient fabriqués en une seule pièce et les
parois de lʼobjet infléchissaient toujours vers lʼextérieur. Les moules actuels peuvent être
composés de 5 pièces et permettent la fabrication de différents modèles, voire de produits
anguleux. Si on le souhaite, les moules actuels permettent dʼobtenir une surface du verre
remarquablement lisse, presque identique à celle dʼun verre soufflé. Le moulage centrifuge a
remplacé le pressage, car les rebords des objets obtenus par moulage centrifuge sont plus
résistants que ceux des objets pressés moulés. Pour prendre un exemple, Iitala oy ab
fabrique actuellement par moulage centrifuge les assiettes et les vases conçus par Aino
Aalto en 1932 et faisant partie dʼune série en pressé moulé.
Techniques de verre à froid
Lʼutilisation des techniques de verre à froid sʼest considérablement généralisée en Finlande
durant les cinq dernières années. La matière première est toujours un verre existant, soit une
plaque de verre ordinaire, soit des débris de verre compatible qui vont, grâce à la chaleur,
être transformés en de nouveaux objets. Au niveau des équipements, on utilise des fours à
verre ou à céramique, électriques ou au gaz. La température de fabrication des objets varie
entre 500 et 1000 degrés. Les techniques de verre à froid comportent, entre autres, le fusing,
le thermoformage, le coulage, le vitrail et la pâte de verre. En 2005, environ une dizaine de
petits ateliers utilisaient principalement ces techniques. Pour de nombreux verriers sortant
tout juste de lʼécole, lʼinvestissement est nettement plus abordable comparé à celui des fours
et des équipements nécessaires à la fabrication du verre soufflé. Les techniques de verre à
froid sont une alternative intéressante et pleine de nouveaux défis par rapport au soufflage
traditionnel du verre.
Les techniques de verre à froid sont basées sur le changement de la consistance du verre au
contact de la chaleur. Avec lʼélévation de la température, le verre commence à se ramollir,
devient plus souple et finit par se liquéfier. À température moindre, le verre est déformé et
modelé, à des températures plus élevées il est fondu et même coulé pour devenir un nouvel
objet. Le résultat final dépend toujours de la forme originale du verre, de la température du
four, du moule et de lʼemplacement du verre dans le four ou le moule.
La technique de verre à froid la plus utilisée est le fusing, cela consiste à assembler des
morceaux de verres compatibles de différentes tailles et différentes couleurs. La plaque
obtenue peut être ensuite thermoformée par moulage selon la forme souhaitée. Une solide
formation et une relative facilité dʼobtention des matières premières ont été les outils qui ont
permis dʼatteindre un bon niveau de technicité et de produire des objets de qualité. Une
excellente représentation de cette technique se retrouve notamment dans les délicates
coupes bicolores à fleurs de Pirjo Kivimäki-Krouvila. Lʼentreprise de Sara Ilveskorvi et Juha
Kortevuori, Lasikuu, propose des objets ornementaux et utilitaires obtenus par fusing et
thermoformage mais aussi par coulage.
Une autre technique de verre à froid très populaire est la pâte de verre. Du verre concassé
plus ou moins fin (la fritte) est fondu dans un moule en plâtre réfractaire à une température
inférieure à celle du point de fusion. On obtient au final un verre qui laisse passer la lumière,
mais qui nʼest pas toujours transparent, car il emprisonne parfois des bulles dʼair entre les
fragments. Cette technique permet de fabriquer des objets de formes multiples, aux parois
délicates ou en masse. Päivi Kekäläinen, Liisa Ikävalo et Markku Salo sont, entre autres, des
artisans-verriers spécialisés dans cette technique.
Les produits réalisés avec les techniques de verre à froid exigent généralement beaucoup de
finitions (le parachèvement), ce qui augmente le prix du produit. Cette technique convient
donc mieux à des pièces dʼart ou décoratives uniques ou pour la production de petites séries.
Autres techniques
La pensée écologique de préservation de la nature et le recyclage sont des modèles
fonctionnels importants à lʼheure actuelle. Cʼest dans cette optique que Jukka Isotalo
fabrique des objets dʼart et utilitaires, à partir de verre recyclé, en utilisant une méthode de
travail à froid. Il transforme des bouteilles en de nouveaux objets en les coupant, les
ponçant, les polissant et en les sablant. Ce qui économise les ressources énergétiques et
préserve la nature. Jan Torstensson utilise également des bouteilles recyclées en les
chauffant et leur donnant une nouvelle forme pour en faire des verres et des vases. La
fabrication de perles et de bijoux par la technique du chalumeau sʼest également généralisée
en Finlande ces dernières années.
Les nouveaux artisans et les verriers ont apporté un nouvel élan à la verrerie finlandaise. On
ne sʼappuie plus uniquement sur les modèles des années 1950, même sʼils restent lʼun des
piliers fondamentaux. Le design fait désormais partie intégrante de la verrerie finlandaise,
quelle que soit la technique utilisée. Un nombre surprenant dʼartisans du verre et de verriers
finlandais ont survécu à la rude concurrence économique de ces dernières années. La
verrerie finlandaise est bien vivante !
Bibliographie
- Päivi Kekäläinen, Pâte de verre, Thèse de maîtrise en arts et design, Université des Arts et
du Design de Helsinki, 1991Kaisa
- Koivisto, Hannele Viilomaa, (sous la direction de), Suomen lasi elää (La verrerie
finlandaise est bien vivante) 5, Musée finlandais du verre, Riihimäki 2005.
- Raija Siikamäki, Uutta potkua lasialalle (nouvel élan pour la verrerie), Helsinki 2003.
- Venini Venezia, Musée du verre de Finlande, Riihimäki 1998.
- Hannele Viilomaa, (sous la direction de), Suomen lasi elää (La verrerie finlandaise est bien
vivante) 4, Musée finlandais du verre, Riihimäki 2000.
Informations orales obtenues auprès de :
Matti Heikkilä, responsable de la protection et de lʼenvironnement, Iittala oy ab 25.10.2005.
Kirsti Jaakkola, assistante, Iittala oy ab 27.10.2005.

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