Accompagnement des enfants porteurs de désordre du
Transcription
Accompagnement des enfants porteurs de désordre du
Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence (2016) 64, 515—521 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com MISE AU POINT Accompagnement des enfants porteurs de désordre du développement sexuel et de leurs familles, un exercice multidisciplinaire Accompanying children with disorder of sexual development and their families, a multidisciplinary process F. Medjkane ∗, G. Kechid , N. Caré , C. Frochisse Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, CHU de Lille, 59000 Lille, France MOTS CLÉS Désordre du développement sexuel ; Ambiguïté génitale ; Parentalité ; Dispositif de pédopsychiatrie de liaison ; Travail multidisciplinaire ; ∗ Résumé À partir de notre expérience de pédopsychiatres et de psychologues intervenant au sein d’une équipe pluridisciplinaire dédiée à la prise en charge d’enfants et d’adolescents porteurs de désordre du développement sexuel (DDS), il nous apparaît que la confrontation, pour les parents et les soignants, avec des situations marquées par une situation d’ambiguïté génitale pouvait susciter de vives et intenses réactions affectives et émotionnelles du registre psychotraumatique. Au travers des différentes étapes de la prise en charge proposée, allant de l’annonce diagnostique à la prise en charge thérapeutique médicale et chirurgicale, nous avons souhaité témoigner des différents aménagements possibles que nous avons eu l’occasion de rencontrer autour de ces situations. La conviction des parents que leur enfant soit assigné dans un genre ou dans un autre nous apparaît comme le sous bassement indispensable au meilleur investissement possible de l’enfant. Le travail psy* proposé dans le cadre de cette équipe Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (F. Medjkane). http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2016.06.006 0222-9617/© 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. 516 F. Medjkane et al. Annonce diagnostique ; Psychotraumatisme ; Représentations inconscientes ; Mise en place de la relation parent/enfant multidisciplinaire autour d’un investissement affectif et relationnel le plus tempéré possible nous semble la meilleure garantie pour l’enfant de se développer le plus harmonieusement possible, au contact de son histoire, aussi singulière soit t-elle. © 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Summary From our experience as child psychiatrists and psychologists working into a multidisciplinary team dedicated to the care of children and adolescents suffering from disorder of sexual development (DSD), it reveals that the interaction, for parents and care people, with some situations characterized by genital ambiguity should present strong and intense affective and emotional reactions of psychotraumatic feelings. During all medical and surgical stages, we would describe all the ways for parents and children to adjust one to each other. Conviction parent’s have of their child’s gender is the basement of parent/child relationship. The psychological ‘‘work’’ proposed by this multidisciplinary staff, around a relationship and an affective investment as tempered as possible seems to us the best way for a child smoothly development. © 2016 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Disorder of sexual development; Genital ambiguity; Parenthood development; Multidisciplinary exercise in pediatry; Diagnostic announcement; Psychotraumatism; Unconscious representation; Interaction development « Lorsque l’enfant paraît, deux questions inéluctables se posent : fille ou garçon ? Comment s’appelle-t-il (ou elle) ? Question double dans sa forme, mais unique dans sa visée car de la réponse donnée dépend notre identité. » JB Pontalis. L’insaisissable entre-deux. Dispositif et organisation des soins Le dispositif de pédopsychiatrie de liaison et de psychologie hospitalière auprès de l’Hôpital pédiatrique de l’hôpital Jeanne de Flandre du Centre hospitalier régional et universitaire de Lille porte comme projet médical et thérapeutique de prévenir, dépister, orienter, accompagner et traiter les enfants présentant des troubles psychoaffectifs et leurs famille pris en charge au sein des services de pédiatrie. Dans ce cadre, l’unité fonctionnelle de pédopsychiatrie de liaison du service de pédopsychiatrie participe à l’activité de l’équipe multidisciplinaire dédiée aux enfants porteurs de désordre du développement sexuel (DDS) suivis au Centre hospitalier régional et universitaire de Lille. Cette équipe a pour fonctions la prévention, le dépistage, le diagnostic et le traitement d’enfants et d’adolescents porteurs de désordres du développement sexuel (DDS). Avec ses homologues parisiens et lyonnais, l’équipe lilloise se propose comme une unité de recours privilégiée pour les enfants, les adolescents et leurs familles. Elle est organisée autour d’une équipe multidisciplinaire composée de pédiatres, endocrino-pédiatres, chirurgiens pédiatriques, généticiens, anatomopathologistes, radiologues, échographistes, gynécologues obstétriciens, psychologues et pédopsychiatres. Les pathologies rencontrées sont diverses et interrogent différemment l’assignation de sexe des enfants. Pour un petit nombre des enfants pris en charge, se pose la question à la naissance de leur assignation dans un sexe ou dans un autre. En appui sur le projet général de pédopsychiatrie de liaison, les interventions de l’équipe de pédopsychiatrie et de psychologie s’organisent autour d’interventions de première ligne : la rencontre des enfants et familles à la demande de l’équipe multidisciplinaire ou de manière systématique dans les situations d’accueil de nouveau-né et d’interventions de seconde ligne : la participation aux réunions de l’équipe multidisciplinaire et les différentes actions de prévention, information et enseignement réalisées par l’équipe. L’accueil à la naissance d’un enfant porteur de DDS et de sa famille L’ambiguïté génitale d’un enfant est souvent repérée très tôt, soit au cours de la grossesse lors des échographies de deuxième et troisième trimestre, soit en salle de naissance lors des premiers instants de vie du nouveau-né. Il s’agit alors pour le professionnel médical échographe, sage-femme ou obstétricien de pouvoir nommer l’existence même de l’ambiguïté génitale faute de pouvoir nommer le sexe de l’enfant. Or l’enjeu est de taille car à ce moment crucial de la rencontre première entre les parents Enfants porteurs de désordre du développement sexuel et de leurs famille et l’enfant né ou à naître, l’annonce du désordre de la différenciation sexuelle et de l’impossibilité de le situer dans un sexe ou dans un autre peut s’avérer particulièrement effractante et sidérante. Selon l’étiologie à l’origine de l’ambiguïté génitale, l’équipe médicale et soignante peut être amenée à répondre à une nécessaire urgence médicale, et doit rapidement et impérativement procéder à un certain nombre de bilans étiologiques. Durant ce temps médical, il est également conseillé aux parents d’attendre la poursuite des investigations avant de procéder à la déclaration de naissance auprès de l’état civil. Autrement dit, l’enfant n’a pas de genre désigné et pas de prénom attribué à ce moment. Ces annonces et démarches nécessaires peuvent rapidement désorganiser et déstabiliser une équipe de maternité peu avertie. Or, parents et enfants ont particulièrement besoin d’être soutenus et accompagnés dans la mise en place des premières interactions sous peine de « délaissement voire d’abandon psychique » nous dit Anne Marie Rajon [1], d’une difficulté dans la mise en place de l’investissement du bébé par ses parents. L’annonce médicale peut même parfois susciter une « interruption de naissance. Ces enfants sont paradoxalement considérés comme non nés ». Cette naissance, bien souvent, ne peut être annoncée à l’entourage, isolant alors davantage les parents. Si son état de santé le permet, l’enfant et ses parents sont transférés dans les 24 à 48 premières heures au CHRU de Lille. Alors que les investigations médicales se poursuivent, parents et bébé rencontrent les différents professionnels de l’équipe multidisciplinaire du centre de compétence. Il s’engage alors un travail de l’urgence dans une coordination minutieuse et ajustée entre les membres de l’équipe. Car si la mention du sexe peut être reportée de deux semaines voire de plusieurs mois à l’état civil, ce n’est pas le cas du prénom qui doit être choisi et inscrit dans les trois jours. Le choix d’un prénom mixte est peu conseillé par l’équipe du centre de compétence car porteur d’une trace indélébile de l’ambiguïté génitale à la naissance. Si l’ensemble des investigations médicales n’a pas pu permettre de déterminer avec certitude le genre de l’enfant dans les 3 jours, le choix des parents devra se faire en fonction du genre le plus probable dans l’attente de l’assignation. Vécus autour de l’annonce diagnostique de DDS pour l’enfant et ses parents Autour de l’annonce diagnostique et des premiers temps d’accueil des enfants et des parents, les réactions affectives et émotionnelles apparaissent souvent très vives et parfois violentes. Au cours d’une consultation d’accueil psy* au sein du dispositif multidisciplinaire, la mère d’un bébé pas encore assigné dans un sexe ou dans un autre évoque toute sa difficulté à investir son enfant depuis sa naissance. Elle fait part de son sentiment de tension interne intense se traduisant en particulier par un sentiment d’hypervigilance et une hyperactivité neurovégétative tout en évoquant de manière répétitive les premiers mots qu’elle a entendu du pédiatre concernant son bébé : « On ne peut pas dire le sexe de l’enfant ». Elle fait part de son impossibilité à prendre son enfant dans les bras et d’assurer les soins de 517 nursing dont il a besoin. Progressivement, elle pourra évoquer la fonction d’évitement que revêt cette attitude. Cette mère décrit, de manière assez typique, ce qui pourrait être rassemblé sous le diagnostic de syndrome de stress aigu. Notons que ces éléments anxieux s’organisent d’emblée sous la forme d’une réaction dite post-traumatique dont la triade : hypervigilance-hyperactivité neurovégétative, reviviscences et évitement est classique. D’un même pas, la mère de cet enfant, tout en exprimant sa souffrance dans le registre post-traumatique, fait état de son impossibilité à investir son bébé. L’investissement de l’enfant est comme suspendu à l’impossibilité d’assignation dans un sexe ou dans l’autre. La parole prononcée à la naissance semble représenter un point de fixation traumatique autour duquel le déroulé du temps se suspend. Le risque pour le nouveau-né nous paraît bien souvent de ne pouvoir être investi de manière continue et adaptée par les adultes qui l’entourent. Le risque d’une rencontre traumatique Les éléments cliniques rapportés de cette rencontre illustrent, comme le soulignent d’autres auteurs, le caractère bien souvent traumatique des premiers échanges entre parents et enfant autour des pathologies ayant trait aux ambiguïtés génitales. Michel et al., dans leur article « L’annonce de l’intersexualité, enjeux psychiques » [2], reprennent cette observation : le moment de la rencontre entre parents et enfant « intersexué », sans genre défini, est marqué par d’importantes réactions traumatiques et d’intenses manifestations cliniques à type de sidération anxieuse. La rencontre avec un enfant porteur d’une ambiguïté génitale semble confronter les parents et les adultes entourant l’enfant à une véritable « figure de l’impensable ». Cette confrontation avec une représentation non inscrite dans le champ de la conscience représente, en soi, un premier facteur traumatique. M.C. Pouchelle place la figure de l’hermaphrodite dans un lieu du non-représentable, ou tout au moins se situant en dehors des représentations conscientes [3]. Confrontés à une situation de l’ordre de l’irreprésentable, nous pouvons entendre que les réactions suscitées autour de ces situations soient particulièrement intenses sur le registre du vécu émotionnel. On peut rendre compte de la violence du vécu émotionnel à travers un mécanisme traumatique. Cependant, l’hypothèse du seul traumatisme externe ne semble pas répondre de l’ensemble des données observées. En nous interpellant en dedans de notre appareil psychique, le premier temps traumatique se double d’un écho intrapsychique. Si cette situation fait trauma c’est probablement que l’impact traumatique du dehors vers le dedans de l’appareil psychique entre en résonance avec un deuxième mouvement, le deuxième temps traumatique, qui se dirige lui du dedans vers le dehors, de l’intrapsychique inconscient à la scène de la réalité psychique consciente. Castagnet, dans son article « Les intersexuels avec ambiguïté sexuelle externe » [4], et Rajon dans son article « Ce que nous apprennent les parents d’enfants porteurs d’ambiguïté génitale » [1], illustrent toutes deux ce mouvement psychique du dedans des représentations inconscientes au dehors de la réalité du champ de conscience. Elles 518 F. Medjkane et al. présentent différentes observations cliniques qui illustrent que les premiers temps de rencontre avec l’enfant peuvent se situer dans le registre du fantasme qui prend corps. La rencontre réelle et directe avec l’intersexualité réactive les figures fantasmatiques à référence anatomique avec un vécu « d’inquiétante étrangeté » et de confusion. Cette confusion peut apparaître comme le symptôme d’une confusion des différents plans de la réalité, de l’imaginaire et du symbolique. La figure de l’hermaphrodite ou de l’enfant sans genre encore défini, rencontrée dans le champ de la réalité externe, réactive des éléments fantasmatiques inconscients présents en chacun des parents et en chacun de nous. En se répondant du champ de la réalité externe au champ des fantasmes inconscients, la figure de l’hermaphrodite rend perméable les différentes délimitations élaborées tout au long du développement psychoaffectif. La sidération anxieuse et le sentiment de confusion peuvent alors rendre compte en partie de l’effet effractant de la figure de l’hermaphrodite pour l’appareil psychique. anxieuses pouvant naître au sein des équipes soignantes, particulièrement fragilisées par les situations de désordre de la différenciation sexuelle. Enfin, dans le groupe de travail multidisciplinaire du centre de compétence des DDS, il participe au travail d’élaboration qui aboutira à l’assignation du genre du nouveau-né. Cette assignation sera déterminée selon des arguments médico-chirurgicaux, génétiques mais tiendra également compte de la conviction inébranlable des parents recueillie par le pédopsychiatre. Investissement de l’enfant et conviction parentale Après le temps d’accueil et d’assignation de l’enfant porteur de DDS, il peut se poser la question d’un temps de prise en charge chirurgical. Dans le cadre de notre exercice multidisciplinaire, le temps de prise en charge chirurgical s’inscrit dans le cadre de la prise en charge globale proposée. Chaque proposition d’intervention est soumise aux parents et l’accord de l’enfant est systématiquement requis, en fonction de son âge mais aussi de ses compétences développementales. L’accompagnement psy* initié dès la naissance peut se poursuivre en parallèle des autres prises en charge proposées. Au vu des éléments cliniques recueillis, le temps chirurgical nous semble pouvoir porter un effet rassérénant pour les parents. La chirurgie peut être vécue comme une réparation physique mais aussi psychique. Elle peut permettre parfois de réparer « symboliquement » les failles narcissiques des parents. Une maman avait exprimé au cours d’un entretien, l’idée que la chirurgie avait permis de « terminer ce qu’elle n’avait pas su finir au cours de sa grossesse ». Le temps chirurgical, dont nous pouvons parfois avoir la représentation a priori qu’il scande le parcours de l’enfant autour d’un avant et d’un après peut aussi s’intégrer dans une continuité de penser. La « réparation » physiologique, visible, peut être un élément tangible autour duquel un processus de relance et de poursuite élaborative s’étaye et permet de penser l’avenir, dans l’après du traumatisme de l’annonce. Le temps chirurgical peut donc fréquemment s’entendre comme pouvant permettre une remise en continuité de l’investissement de l’enfant par ses parents au-delà de l’effraction traumatique possible autour de la naissance. En ce que la chirurgie « corrige » l’impossible à penser, elle permet souvent de soutenir l’investissement porté par les parents vis-à-vis de leur enfant. La prise en charge psy* menée d’un même pas à ces profonds changements nous semble représenter une proposition de travail et d’accompagnement autour de ces modifications possibles d’investissement de l’enfant. Consécutivement à ce nouvel investissement de l’avenir, la tentation est grande de dénier alors la période préopératoire, vécue douloureusement. Au travers de la phrase rapportée de cette maman autour de son sentiment d’avoir « terminer ce qu’elle n’avait pas su finir au cours de La découverte du désordre de la différentiation sexuelle interroge très brusquement voire violemment les représentations parentales fantasmatiques de leur enfant et réactualise de la même manière leurs vécus antérieurs. Bien que confrontés à l’ambiguïté génitale de leur enfant, ils ressentent et expriment une conviction que leur enfant appartient inévitablement à un genre plus qu’à un autre. Consciente ou inconsciente, cette conviction apparaît avant tout comme une matrice défensive. « Construction défensive, la conviction est dans le même temps une construction organisatrice ». Selon Michel et al., elle est « étroitement liée aux positionnements parentaux vis-à-vis de la castration et de la bisexualité psychique » [2]. Elle variera selon leur propre histoire. « Organisation défensive fragile, elle devra néanmoins être intégrée dans le travail d’élaboration multidisciplinaire qui aboutira à l’assignation de genre ». Elle participe à la constitution et la structuration du Moi de l’enfant. Anne Marie Rajon ajoute que « sa stabilité sera nécessaire à la cohérence identitaire de l’enfant. Le principe actuel du traitement de ces enfants est de les assigner le plus tôt possible avant leur troisième année de vie dans le sexe d’attribution le plus plausible en fonction des données anatomiques et endocriniennes, tout en travaillant avec la conviction des parents. » [1]. Fonctions et place du psy* autour de l’accueil de l’enfant porteur de DDS Dans cette dimension temporelle particulière, le travail du psy* apparaît primordiale. Au sein de l’équipe pluridisciplinaire, il propose un travail trans-disciplinaire. Auprès des parents et du nouveau-né, il repère les éléments psychotraumatiques pouvant fragiliser la qualité des premières interactions, tout en étant particulièrement attentif aux représentations fantasmatiques émergeant autour de ce bébé sans genre et sans prénom. Le psy* tient également une place institutionnelle auprès des équipes paramédicales qui accompagnent l’enfant et ses parents dans les soins directs. Véritable pare-excitant, il contient les projections Le projet thérapeutique médico-chirurgical et remaniements possibles Le temps chirurgical, une fonction de pivot entre relance des investissements et risque d’organisation du déni de l’ambiguïté génitale Enfants porteurs de désordre du développement sexuel et de leurs famille sa grossesse », la question de passer à une autre étape peut s’entendre aussi comme d’« en avoir terminé » avec la période pré opératoire. Nous pouvons tout aussi bien l’entendre dans une fin de conception physiologique de grossesse que dans une fin de penser l’ambiguïté psychiquement, comme ce qui pourrait organiser un déni de l’ambiguïté génitale que portait son enfant à la naissance. Si l’équipe pluridisciplinaire et en particulier le psychologue ou psychiatre, ne sont pas attentifs et à l’écoute des mouvements psychiques à ce moment-là, nous pouvons parfois constater que l’histoire des premières interactions et des premiers moments de vie pourraient se trouver comme déniée dans l’histoire de l’enfant, comme reléguée en dehors du transmissible et s’organiser sous la forme de secrets, de non-dits. Nous avons pris en charge une jeune adolescente de 12 ans, qui, au décours d’une consultation chirurgicale de suivi, ne semble pas avoir connaissance de son histoire médico-chirurgicale. Les parents « font de gros yeux », et font comprendre au chirurgien qu’il y a un secret. La jeune ressent ce malaise en consultation, le chirurgien reprend une partie de son histoire médicale et un temps de rencontre psy* est alors proposé. Nous constatons que l’adolescente ne sait pas pourquoi elle a été opérée, les parents ne souhaitaient pas reparler de ce traumatisme et voulaient protéger leur fille en ne disant rien. L’impact de la non-mise en mots dans l’après coup du traumatisme de l’annonce et au décours d’une chirurgie proposée dans le cadre d’une anomalie au niveau ovarien est présent au moment de la période adolescente. Le travail psychothérapeutique proposé s’avère essentiel au niveau de la réappropriation du parcours du patient et de sa famille. Le travail pluridisciplinaire prend alors tout son sens par le fait que « l’identité » a une multiplicité de définitions et versants à prendre en compte et prendre en charge. Ainsi, le temps chirurgical nous semble tenir une place centrale dans le parcours des enfants et familles rencontrées. Le temps chirurgical représente véritablement un pivot autour duquel l’investissement et la projection dans un avenir vont pouvoir se relancer. Néanmoins, dans le même temps, la « réparation » proposée peut aussi être entendue comme une porte qui se ferme pour l’enfant vis-à-vis de sa propre histoire. Le traitement de l’histoire précoce de l’enfant sous l’aune du secret et du non-dit nous apparaît un risque important quant au bon développement de l’enfant mais aussi à sa propre construction interpersonnelle et intrapsychique. L’endroit du déni : le déni de l’ambiguïté à la naissance comme le déni de l’histoire précoce de l’enfant Parallèlement à la prise en charge chirurgicale initiale, l’épreuve douloureuse des premières rencontres et de l’annonce diagnostique peut être vécue comme réparée et, parfois, il est plus facile d’oublier ce vécu traumatique, de le nier. Pourtant, les soins doivent continuer, le traitement endocrinien ne s’arrête pas suite à la chirurgie. Il se peut, d’ailleurs, qu’une autre chirurgie à l’adolescence soit préconisée par les soignants. Les investigations génétiques peuvent également se poursuivre. Mais pour l’heure, 519 certains parents font table rase de ce vécu et du futur à vivre. Ils dénient l’ambiguïté génitale, l’impensable, au profit du pensable, de la netteté génitale tout en déniant le vécu subjectif de leur enfant. « Notre fille s’est faite opérée à 4 mois, donc bon. . . elle ne peut s’en souvenir » sont des paroles que nous pouvons entendre régulièrement dans l’après coup de la chirurgie. Il est donc primordial que cette réparation nécessaire du corps vienne s’étayer avec le vécu traumatique. C’est comme si pour certains, il y avait une seconde naissance, ce qui existait avant n’est plus. Or pour l’enfant, le vécu traumatique est toujours présent, il l’a vécu d’une part, par son corps et d’autre part, dans sa relation à l’autre. « L’union de l’âme et du corps ne s’accomplit pas par un décret extérieur, l’un objet et l’autre sujet, mais s’accomplit à chaque instant dans le mouvement de l’existence » [5]. Ainsi, l’enfant a, de par son histoire, ce vécu, cette expérience de vie qui, comme tout à chacun, le rend singulier. Dénier l’ambiguïté sexuelle revient donc à dénier une partie de l’existence de son enfant et parfois, il nous le fait bien savoir. . . Maya est envoyée par le médecin endocrinologue à la demande de ses parents. Elle a, en effet, développé un symptôme qui les inquiètent depuis quelques temps. Elle présente de grandes montées d’angoisses lorsqu’elle rencontre quelqu’un de masqué. Elle a 3 ans au moment de cette rencontre. C’est une petite fille discrète et souriante, elle décide de jouer sur la table d’enfant mais à une oreille attentive à ce qu’il peut se dire, en témoigne les retournements de tête à chaque parole cruciale de l’entretien. Au premier entretien familial, l’étayage habituel autour de la grossesse, de l’accouchement et des premières acquisitions viennent mettre en exergue l’ambiguïté génitale. Mais les parents l’expriment à demi-mot, avec beaucoup de retenues et de sous-entendus. Ce malaise, Maya l’entend, se tourne vers nous mais ne peut évidemment pas mettre en mot ce qui n’est pas dit. Une résistance se lève « Mais nous venons pour cette peur que Maya a, celle des personnes masquées et qu’elle disparaisse. . . Pourquoi parler de ce passé, c’est fini maintenant. . . D’ailleurs nous n’y pensons plus jamais ». Le questionnement qui suit, en rapport avec les visites régulières chez l’endocrinologue pointe l’ambiguïté génitale. Le mot est lâché « Nous venons évidemment pour le traitement, pour l’hyperplasie congénitale des surrénales ». Est-ce donc réellement fini ? Fini pour qui ? Maya n’est-elle pas en train de vivre quelque chose qu’elle ne peut comprendre ? Maya n’a-t-elle pas vécu quelque chose de par son corps qu’elle ne peut mettre en mot ? Interrogations qui ont étaient amenées au fur et à mesure des rencontres. Les parents ont pu élaborer, auprès de Maya, des difficultés rencontrées à sa naissance. La réparation chirurgicale avait fait de ce cauchemar un mauvais rêve. . . Maya a pu entendre son histoire de vie, les parents ont pu assouplir leurs résistances et le déni de l’ambiguïté génitale s’est de plus en plus amoindri, tout comme les symptômes de Maya. Nous voyons bien, comment mettre en mot, parler vrai pour certains parents ne va pas toujours de soi. Pourtant certains enfants ont besoin que nous nous adressions à eux par ce parler vrai et les fameuses paroles habitées. C’est à partir de ce type de situation que le travail du pédopsychiatre ou psychologue clinicien prend tout son sens, particulièrement lors de situation pouvant s’entendre comme de l’ordre de 520 l’impensable ; comme c’est le cas avec les situations à type d’ambiguïtés génitales. L’envers du déni : l’hyperinvestissement et la rigidité des processus identificatoires pour les parents et pour l’enfant et sa fratrie Lorsque nous sommes confrontés à l’ambiguïté, quelle qu’elle soit, nous pouvons observer des mouvements défensifs assez rigides afin de remplir la fonction de nous sécuriser davantage dans quelque chose qui nous est plus familier, plus rassurant. Lorsque nous travaillons auprès d’enfants porteurs de DDS et auprès de leurs familles, nous pouvons remarquer certains de ces mouvements. L’identification et l’affiliation semblent parfois très difficiles pour l’entourage, que ce soit pour les parents mais aussi pour l’ensemble de la famille. En effet, lors de la venue au monde d’un enfant, nous avons des représentations identificatoires, des rêveries, des fantasmes tels que : ce sera un garçon qui jouera au football comme son papa, ou encore : elle aura la souplesse de sa maman pour la danse, ou encore : il aimera cuisiner comme sa maman. Dans le cadre des DDS il semblerait que la continuité psychique entre la grossesse et l’accueil de l’enfant soit parfois marquée par une interruption traumatique : celui de l’annonce diagnostic. Ce traumatisme pouvant amener une discontinuité des liens identificatoires au sein de la dyade parents/bébé : psychiquement, l’affiliation et l’identification à son enfant ne deviennent plus si évidentes. Beaucoup de questions, de doutes s’instaurent dans les familles et face à cela plusieurs modes de fonctionnement psychiques peuvent se mettre en place. Une famille nommait les choses de cette manière : « nous sommes complètement perdus, nous ne savons plus comment nous comporter vis-à-vis de notre enfant, nous n’osons plus lui parler. ». Alors qu’une autre famille nommait son vécu de cette manière : « de toutes façons c’est ta fille, c’est de votre côté de la famille si elle est comme ça ». Dans la première situation le « nous » parental est très présent, la demande de compréhension est interrogative, nous remarquons que les parents, face à ce bouleversement psychique, mettent en œuvre des moyens psychiques pour retrouver ensemble une lecture de leur histoire familiale commune. Dans la seconde situation nous remarquons que les défenses psychiques mises en place peuvent tendre vers des processus identificatoires plus rigides. Dans cette situation une adolescente vit des changements corporels très importants et le diagnostic d’ambiguïté sexuelle est amené par le corps et le médical. Des positions très franches se prennent d’un point de vue familial : un parent peut projeter sur l’autre parent toute la « responsabilité » de ce vécu insupportable. Dans le cas présent, nous observons que la mère et les sœurs de l’adolescente se mettent à distance face à l’impensable. Les défenses psychiques mises en œuvre sont assez rigides : un excès de féminité se développe pour les autres femmes de la famille avec une mise à distance du père et de l’adolescente. L’affiliation ne peut donc se faire que du côté paternel à ce moment de vie. Père et fille se retrouvent très complices car rejetés et mis à l’écart F. Medjkane et al. ensemble. Toute la construction identitaire est alors bouleversée, la personnalité de l’adolescente se reconstruit sur cette nouvelle base paternelle : « même tempérament que papa », « on est pareil » etc. Nous pensons alors au complexe d’Œdipe : celui du désir inconscient de garder un rapport sexuel avec le parent du sexe opposé et celui d’éliminer le parent rival du même sexe. Dans cette situation le complexe d’Œdipe semble se réactiver de manière très franche. Alors que le déni de l’histoire précoce de l’enfant pour lui-même peut parfois rendre compte d’émergences symptomatiques venant comme signifier un éprouvé précoce non parlé, non mis en mot, la confrontation à l’inconnu peut parfois s’inverser en son contraire sous la forme non plus d’un défaut d’histoire mais d’un « trop plein » de mise en sens. Dans le cadre de ce « trop plein » de mise en sens, la position de l’enfant et de l’adolescent face à cette histoire sans négociation possible nous semble le conduire à un vécu identificatoire plein et massif, sans possibilité parfois de nuance et d’entre deux. Le mouvement nuancé et dans l’entre deux entre les positions œdipiennes classique et inversées ne semblent plus possible. La rigidification du courant identificatoire plein et entier apparaît alors à la hauteur de l’intensité du mécanisme de déni qui le sous-tend. Ainsi, la remise en continuité et en nuance de l’histoire de l’enfant au travers de ces étapes cruciales que sont l’annonce diagnostique, le temps chirurgical initial mais aussi le suivi médical et pluridisciplinaire nécessaire nous apparaît comme le fondement même de nos interventions psy* auprès des enfants porteurs de DDS et de leurs familles. Cette remise en continuité dans le cadre d’une temporalité discursive nous apparaît aujourd’hui comme le meilleur garant du meilleur développement psychoaffectif possible pour les enfants et adolescents concernés. Conclusion Très tôt l’enfant a « besoin d’être entendu, reconnu, et attend réponse. Il a besoin que l’on s’adresse alors à lui, par ce parler vrai et ces « paroles habitées » tant abordées par F. Dolto ». [6] Ainsi, d’entendre ce qu’il lui arrive reste pour l’enfant l’ancrage nécessaire à sa construction psychique. Or, parfois, dans les suites de l’annonce du diagnostic, nous pouvons rencontrer ces parents d’enfant porteur d’une ambiguïté génitale, qui, dans l’impensable, ne peuvent se réorganiser psychiquement et, parler vrai à l’infans, dans ce moment de sidération, d’incertitude sexuée, ne va pas de soi. La pédiatre et psychanalyste Anne Marie Rajon, lors d’une étude longitudinale en 1993, a pu observer que, parmi les diverses malformations rencontrées chez le nourrisson, l’ambiguïté sexuelle reste la plus difficilement concevable pour ces parents. Ses travaux montrent l’importance pour les parents d’avoir un enfant reconnu sur le plan sexué. En effet, selon cet auteur, la reconnaissance du genre sera le premier maillage, première fondation sur laquelle se tissera l’ensemble des processus d’identification, constituant les bases de l’organisation psychique de l’enfant [7]. Privé d’un étayage par le fait de cette malformation, les parents sont donc dans l’incapacité d’entrer en relation avec leur enfant, ce qu’Anne Marie Rajon nomme comme « l’interruption de naissance » [1]. L’assise psychique, reposée sur la différence Enfants porteurs de désordre du développement sexuel et de leurs famille des sexes, sur les théories sexuelles infantiles, s’effondre. La bisexualité ne peut donc s’inscrire dans la réorganisation psychique puisque trop apparente, trop visible sur ce corps, destituant ce fantasme à une réalité. Cependant, l’expérience montre que, malgré tout, certains parents investissent leur enfant comme un petit garçon ou une petite fille très rapidement alors que les investigations médicales n’ont pas encore abouti. Il n’est pas rare de rencontrer dans nos consultations des parents qui nous disent combien il est compliqué pour eux de voir leur enfant comme un petit garçon ou une petite fille alors que le diagnostic médical est tombé. En effet, la relation parent enfant ne débute jamais dès lors que ce dernier vient au monde. Le tissage relationnel s’inscrit dès la vie intrautérine, même parfois, bien en amont, dans un contexte transgénérationnel ; l’arbre de vie cher à Serge Lebovici [8]. En ce sens, faire l’économie des investissements parentaux au profit des investigations médicales nous semble périlleux quant à la qualité des interactions futures. Un premier travail d’accompagnement doit donc se faire dès cette annonce de diagnostic. S’il semble essentiel d’offrir une anatomie « pensable » pour les parents, nous ne pouvons faire l’économie de cette rencontre avec l’enfant et donc, ne penser la sexuation que sur un plan chirurgical, génétique et endocrinien. L’enjeu principal de l’assignation nous semble donc d’offrir aux parents, à la famille, aux soignants un support sur lequel le jeu des identifications devient possible, un support identificatoire suffisamment stable mais aussi nuancé sur lequel l’enfant va pouvoir s’appuyer pour se développer de la manière la plus harmonieuse possible. Le dispositif de liaison, tel que nous le proposons dans le cadre de ce travail partagé avec l’équipe pluridisciplinaire dédiée, nous apparaît comme le dispositif le plus efficient pour ce travail. En effet, le fait de pouvoir contenir ensemble des réalités différentes de la clinique des enfants, nous apparaît comme une garanti de pouvoir respecter les différents facteurs concourant à l’identité sexuée pour l’enfant. Dans ce dispositif où chacun se situe de manière différenciée mais aussi articulé, le contenant proposé aux enfants et à leurs familles permet de porter les différents facteurs tels que les facteurs génétiques, biologiques et endocriniens mais aussi morphologiques et en termes d’investissement psychique qui concourent ensemble à une proposition faite aux enfants et aux parents de l’assignation proposée aux enfants pris en charge. À ce titre, l’accueil et la prise en compte de l’avis de l’enfant nous apparaît particulièrement crucial. En appui des motions éthiques et déontologiques, nous sommes en effet particulièrement attentifs à l’avis de l’enfant dans la réalisation des différents temps de prise en charge, que ce soit sur le versant du traitement endocrinien que sur le versant des indications chirurgicales. Eu égard aux capacités d’expression en lien avec les capacités développementales des nourrissons, le recueil de leur avis est rendu particulièrement délicat en période périnatale. Cet état de fait conduit ce jour l’ensemble des acteurs du champs sanitaire mais aussi associatif et du registre législatif à entamer un dialogue appuyé sur les conditions 521 d’assignation à la naissance des enfants porteurs de DDS dans le respect de chaque personne et en tenant compte des différents facteurs pronostics décrits sur les différents registres de la prise en charge médico-chirurgicale et du devenir psychoaffectif et relationnel. Sur le plan psychoaffectif, la conviction pour les parents que leur enfant soit assigné dans un sexe ou dans un autre, dans un genre ou dans un autre, de manière stable et néanmoins discursive, nous semble être un facteur crucial du bon développement psychoaffectif et relationnel des enfants et adolescents rencontrés dans le cadre des situations de DDS. En effet, le socle d’investissement et le support identificatoire proposé par les adultes entourant l’enfant nous semble être un point d’appui incontournable de son meilleur développement psychoaffectif possible. Si la question de l’assignation des enfants présentant un DDS dans un sexe ou dans un autre, ou plus précisément, dans le genre féminin ou masculin, s’inscrit dans le cadre de nos référentiels socioculturels actuels, nous sommes très sensibles aux modifications qui se font jour actuellement. En effet, les revendications portées par les milieux associatifs intersexes et les modifications que nous observons en termes de droit européen et français tout comme les modifications socioculturelles qui vont dans le sens d’une meilleure acceptation sociale de positions genrées neutres, nous conduisent à poursuivre notre réflexion quant aux différentes possibilités offertes concernant l’assignation des enfants DDS à la naissance. En dehors des considérations morphologiques, génétiques et endocriniennes et sans pour autant les écarter, la question de l’assignation d’un enfant dans un genre ou dans un autre porte bien sûr à conséquence sur l’intégration sociale dans la culture de son époque et de la société dans laquelle il évolue et évoluera. Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. Références [1] Rajon AM. Ce que nous apprennent les parents d’enfants porteurs d’ambiguïté génitale. Neuropsychiatr Enfance Adolesc 2008;56:370—6. [2] Michel A, Wagner C, Jeoude C. L’annonce de l’intersexualité : psychiques. Neuropsychiatr Enfance Adolesc enjeux 2008;56:365—9. [3] Pouchelle MC. L’hybride. In bisexualité et différence des sexes. Nouvelle Rev Psychanal 1973;7:49—52. [4] Castagnet F. Les intersexuels avec ambiguïté génitale externe. Nouveau traité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. PUF; 1995. p. 645—63. [5] Merleau-Ponty M. Phénoménologie de la perception. Gallimard; 1945. [6] Ben Soussan P. 2007 et après. Ce qui ne cessera de fonder un enfant. Spirale 2007;41:165—74. [7] Rajon AM. La naissance de l’identité dans le cas des ambiguïtés sexuelles. Psychiatr Enfant 1998;41:5—36. [8] Lebovici S. L’arbre de vie : éléments de la psychopathologie du bébé. Eres; 1998.