1 Recueil Dalloz 2006 p. 2774 Réticence, obligation d`information et

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1 Recueil Dalloz 2006 p. 2774 Réticence, obligation d`information et
Recueil Dalloz 2006 p. 2774
Réticence, obligation d'information et volonté de tromper
Patrick Chauvel, Professeur agrégé des Facultés de droit
1 - Cette décision est importante (V. égal. les obs. de S. Amrani Mekki, D. 2005, Pan. p.
2836, spéc. p. 2838). Statuant sur les rapports entre le manquement à une obligation
précontractuelle d'information et le dol par réticence, la Chambre commerciale de la Cour de
cassation affirme, en la forme d'un principe bien assis, que ce dernier ne peut être constitué
que si le manquement reproché était intentionnel et avait été à l'origine d'une erreur
déterminante.
2 - Dans les faits de l'espèce, un cadre dirigeant (ancien élève de l'ENA et ancien inspecteur
des finances) s'était vu offrir des bons de souscription lui permettant d'acquérir des actions de
la société au sein de laquelle il travaillait. Pour ce faire, il avait, solidairement avec son
épouse, contracté un emprunt auprès d'une banque et, à titre personnel, conclu avec celle-ci
un « contrat d'option sur actions cotées », de nature manifestement spéculative. Garanti
contre une trop importante chute du cours de l'action lors de l'exercice de l'option (prévu pour
le début de l'année 2000), le souscripteur, en cas de hausse, conserverait la plus value
réalisée, étant stipulé qu'il abandonnerait à la banque celle qui serait supérieure à un certain
montant. En d'autres termes, il écartait un risque mais, en contrepartie, voyait ses gains
éventuels plafonnés.
Emportée par l'euphorie boursière de l'extrême fin du XXe siècle, l'action en cause (Cap
Gemini) vit son cours s'envoler et monter presque « jusqu'au ciel ». L'opération se révéla des
plus lucratives pour la banque, beaucoup plus, à l'évidence que pour le souscripteur (on
signalera simplement que l'action est, depuis, revenue à un cours raisonnable).
3 - Frustré d'un gain qu'il n'avait, on l'imagine, jamais osé espérer, le souscripteur demanda
alors, notamment, la nullité du contrat pour réticence dolosive, reprochant à la banque
certains manquements à son « obligation précontractuelle d'information ». Etaient
essentiellement en cause, les risques encourus dans les opérations spéculatives (!) et
l'existence d'autres techniques de couverture des risques de variation de cours. On connaît la
réponse de la Cour de cassation : supposé même que ces manquements soient établis, il ne
saurait y avoir de dol par réticence sans que soit constatée une intention de tromper, de
provoquer une erreur déterminante. En réaffirmant la nécessité de cet élément intentionnel, la
présente décision s'inscrit dans une tradition bien établie qui fonde le dol sur une atteinte
délibérée à la bonne foi précontractuelle.
4 - D'une façon générale, le dol est inséparable de son élément intentionnel. L'article 1116 du
code civil semble impliquer l'existence d'une volonté tendue vers un but illégitime et l'on ne
saurait guère voir autre chose dans une « manoeuvre » qu'une intention de nuire
s'extériorisant en un acte. Elémentaire dans son évidence, la nécessité de l'intention n'a
jamais suscité de véritable commentaire de la part de la doctrine. En jurisprudence, la
question n'est guère évoquée, simplement parce qu'elle se trouve rarement posée. La volonté
de l'auteur des artifices coupables s'induit de son comportement. Le dol n'est illicite que s'il
est volontaire mais, au besoin, le juge présumera l'intention à travers l'illicéité du moyen et
du résultat dès lors qu'il existera entre eux une relation de causalité suffisante (V. par ex.,
Cass. com. 3 juin 1998, n° 95-20.850, Dr. et patrimoine, oct. 1998, p. 92, obs. P. Chauvel).
En l'absence d'intention, la solution est certaine : la bonne foi d'une partie est exclusive du dol
qu'on chercherait à lui imputer. Il se peut, en effet, qu'une partie induise son cocontractant en
erreur parce qu'elle se trompe elle-même sur la réalité de ce qu'elle avance. Nous avons tous
en mémoire l'affaire Naundorf (CA Paris, 20 déc. 1934, Gaz. Pal 1935, 1, 316 ; S. 1935, 2,
1
590 ; V. égal. Cass. 3e civ., 6 mars 1969, Bull. civ. III, n° 198 ; RTD civ. 1967, p. 763, obs.
Y. Loussouarn ; Cass. com., 21 mars 2000, n° 97-11.177, Dr. et patrimoine, oct. 2000, p.
103, obs. P. Chauvel).
5 - Il se pourra que, parfois, la mise en évidence de l'intention de tromper soit problématique.
Dans le doute, le juge se demandera si le comportement de l'auteur du dol a été comparable
à celui qui eût été adopté par un contractant honnête face à une victime de la même
catégorie. Ainsi, est-ce parce qu'il apparaîtra infiniment probable qu'un individu honnête, du
même type, aurait eu conscience de ce qu'il induisait en erreur par les artifices reprochés, que
sa mauvaise foi et, subséquemment, son intention dolosive, seront établies (V. Cass. 1re civ.,
26 nov. 1968, Bull. civ. I, n° 297 ; CA Rouen, 21 mai 1965, Gaz. Pal., tables 1961-1965, v°
Obligations, n° 29). L'appréciation de l'intention est inséparable de la considération de la
catégorie à laquelle appartient la victime, de sa « qualité ». Il s'agit là d'une question de pur
bon sens ; tandis que l'on doit penser que si des faits de dol sont relevés à l'encontre d'un
profane, l'intention d'abuser de sa crédulité est très probable, cette idée est beaucoup moins
assurée s'il s'agit d'une personne avertie, ou, surtout, d'un professionnel. Les mêmes faits,
d'ailleurs, verront alors, également, leur caractère fautif s'atténuer (Cass. com., 17 avr. 1972,
Bull. civ. IV, n° 108 ; Cass. 3e civ., 24 oct. 1972, Bull. civ. III, n° 543 ; TGI Avesnes, 5 févr.
1964, D. 1964, Somm. p. 94). On rappellera que c'est précisément par l'absence d'intention
véritable de tromper que l'on explique, parfois, la tolérance (rare aujourd'hui) du dolus bonus.
6 - De même que pour les manoeuvres, et cela nous ramène à notre arrêt, la nécessité du
caractère intentionnel de la réticence dolosive paraît une règle d'évidence. Notion dérivée du
dol, elle ne pouvait que lui emprunter son caractère délictuel : le particularisme réside dans le
fait qu'il s'agit alors d'un délit d'omission. Aussi bien, « retenir » une information déterminante
suppose la connaissance d'un fait, d'une circonstance, et la volonté de les dissimuler : la
réticence est intentionnelle, par définition, et c'est précisément ce qui la distingue de l' «
erreur commune ». En jurisprudence, la solution est certaine, quoique la question soit
rarement posée à l'état pur. Un arrêt a été cassé pour défaut de base légale parce que la cour
d'appel, qui avait prononcé la nullité, n'avait pas fait « apparaître le caractère intentionnel de
la réticence » imputée à l'un des contractants (Cass. 1re civ., 7 mars 1979, Bull. civ. I, n°
84). Plus récemment, la cassation est intervenue au motif qu'il appartenait à la cour d'appel,
pour caractériser la réticence du vendeur, de rechercher si le défaut de communication
d'informations relatives à des réparations (concernant un véhicule) avait été fait
intentionnellement pour tromper le contractant et le déterminer à conclure la vente (Cass. 1re
civ., 12 nov. 1987, Bull. civ. I, n° 293 ; D. 1987, IR p. 236 ; RTD civ. 1988, p. 339, obs. J.
Mestre ; de même, pour un véhicule accidenté, V. CA Versailles, 22 oct. 1999, D. 1999, IR p.
282). De toute évidence, l'arrêt commenté s'inscrit dans cette série.
7 - Dans la quasi totalité des espèces publiées, les magistrats relèvent, sous des vocables
divers, généralement fort elliptiques, que la réticence avait été volontaire ; l'intention de
profiter de l'ignorance dans laquelle se trouve l'autre partie est alors évidente. Dans l'arrêt de
la première Chambre civile du 13 mai 2003 (n° 01-11.511, Bull. civ. I, n° 114 ; D. 2003, AJ p.
2308, obs. V. Avena-Robardet, ; D. 2004, Jur. p. 262, note E. Mazuyer , RTD civ. 2003, p.
700, obs. J. Mestre et B. Fages ; JCP G 2003, I, 170 n° 1, obs. G. Loiseau ; Dr. et patrimoine,
févr. 2004, p. 125, obs. P. Chauvel) qui fut parfois interprété comme amorçant une évolution
par un abandon de cet élément intentionnel (G. Loiseau, obs. préc.), la cour d'appel avait
relevé que les cautions n'avaient pu prendre conscience de leur engagement dans la mesure
où la situation (catastrophique) de la société débitrice leur avait été volontairement cachée et
qu'elles n'en soupçonnaient pas la gravité. La question de l'intention est, comme souvent en
matière de dol proprement dit, résolue d'un mot, d'un trait de plume. Dans le fond, ce
problème ne se présente pas dans des termes différents selon que le dol a été actif
(assertions fausses) ou passif (réticence). L'appréciation du juge obéira, s'il est besoin, à la
même règle de la plus grande probabilité. Sans doute « le dol ne se présume(-t-il) point »,
mais s'il subsiste quelque doute, si l'intention dolosive n'est pas manifeste, elle pourra être
établie par simple présomption dès l'instant que le caractère déterminant sera avéré. Les
juges devront, pour échapper à la censure, « faire apparaître le caractère intentionnel de la
réticence » (Cass. 1re civ., 7 mars 1979, préc.).
8 - Naturellement, comme pour les manoeuvres proprement dites, l'ignorance de celui à qui
2
l'on reproche son silence est exclusive de la qualification (Cass. 3e civ., 12 mars 2003, n°
02-10.372, Dr. et patrimoine, oct. 2003, p. 79, obs. P. Chauvel ; CA Chambéry, 8 oct. 1994,
Gaz. Pal. 1996, 1, somm. p. 148, obs. H. Vray ; CA Paris, 27 févr. 1980, Gaz. Pal. 1980, 1,
somm. p. 192). Ainsi, par exemple, dans le cas particulier du cautionnement, le créancier,
même s'il est banquier, peut ignorer la véritable situation du débiteur principal, ou croire de
bonne foi qu'elle se redressera (V. Cass. 1re civ., 10 juin 1987, D. 1987, Somm. p. 445, obs.
L. Aynès ; 13 févr. 1996, n° 94-10.908, Bull. civ. I, n° 78 ; D. 1996, Somm. p. 265, obs. L.
Aynès ; RTD civ. 1996, p. 430, obs. M. Bandrac ; P. Chauvel, Cautionnement et réticence du
banquier, Mélanges Jean Stoufflet, LGDJ, 2000, p. 33 s.). On accordera de même qu'il n'y a
nulle volonté de tromper à ne pas fournir une information qui était, ou aurait dû, être à la
connaissance du cocontractant. Il semble bien acquis aujourd'hui qu'il n'y a de réticence
coupable qu'autant que celui qui s'en prétend la victime était dans l'impossibilité de s'informer
lui-même (Cass. soc., 1er avr. 1954, JCP G 1954, II, 8384, note P. Lacoste ; Cass. com., 26
mai 1956, Bull. civ. III, n° 154).
9 - Cette dernière proposition est essentielle. On sait, en effet, que le fondement
généralement assigné à la sanction de la réticence dolosive est la violation d'une obligation
précontractuelle de renseignement ou d'information. Si l'on réserve les cas d'une disposition
particulière de la loi (de plus en plus nombreux, au demeurant), la question de savoir quand
une telle obligation existe est souvent problématique et le principe se trouve d'une mise en
oeuvre difficile, notamment parce que l'on pourra souvent reprocher au cocontractant de ne
pas s'être lui-même informé. Dans la présente affaire, le banquier avait-il un « devoir
d'information » à l'égard de son client ? Dans l'abstrait, on ne doute évidemment pas qu'une
telle obligation existe à la charge du professionnel dans ses relations avec un profane, mais en
la circonstance la « qualité » dudit client autorisait une certaine sévérité à son égard. Doit-on
expliquer, dans le détail, à un ancien élève de l'ENA, ancien inspecteur des finances, cadre
dirigeant d'une grande entreprise, le mécanisme d'une opération à terme, somme toute
élémentaire ? La cour d'appel ne s'y était pas trompée, relevant qu'il « ne pouvait
raisonnablement soutenir qu'il n'avait pas compris ce qu'il signait » et que « même s'il n'avait
pas de connaissances a priori des mécanismes utilisés, sa formation lui permettait de les
appréhender rapidement ». Autant dire qu'en l'espèce, l'obligation d'information
précontractuelle du banquier était des plus limitées et qu'on ne pouvait guère lui reprocher
une quelconque déloyauté.
10 - La présente décision n'en prend que plus de valeur. La Cour de cassation a saisi
l'occasion pour restaurer l'exigence de l'élément volontaire du dol par réticence. Ce faisant,
notre Haute juridiction reporte, pour ainsi dire, sur le côté, l'obligation d'information, ou de
renseignement. Le manquement à une telle obligation ne pourra plus, en lui-même, être
assigné comme fondement à la sanction de la réticence dolosive. Encore faudra-t-il ajouter
que le manquement reproché devra avoir été volontaire, destiné à tromper (ou, du moins, à
ne pas détromper) la victime sur un point déterminant de sa volonté. Cette position doit être
approuvée, doublement. D'une part, parce que, d'une manière générale, il est permis de
penser qu'il y a toujours eu un certain artifice à vouloir expliquer toute faute, fût-elle
d'abstention, « par l'idée d'une obligation ou d'un devoir préexistant dont elle constituerait la
violation (Aubry et Rau, t. 6, par A. Ponsard et N. Dejean de la Bâtie, § 344 bis, note 6 p.
519). D'autre part, et c'est le présent propos, parce que cette explication avait pour défaut de
rétrograder au second plan le rôle de la volonté, alors que le caractère intentionnel de la faute
est un élément essentiel du dol (sur ce risque, V. not. Cass. 3e civ., 3 févr. 1981, Bull. civ. III,
n° 18 ; D. 1984, Jur. p. 457, note J. Ghestin). Voilà donc du bon droit.
11 - Puisque l'obligation d'information s'estompe, nous devons rechercher la justification de la
sanction de la réticence dans l'idée d'un manquement, d'une atteinte à la bonne foi sur
laquelle le cocontractant est en droit de compter. Sans doute, les termes de l'article 1134,
alinéa 3, du code civil ne font-ils référence qu'à la seule exécution du contrat mais la
jurisprudence, on le sait, s'évade parfois de la lettre du texte et retient, sporadiquement,
l'existence d'une obligation de contracter de bonne foi (V. par ex., Cass. 3e civ., 27 mars
1991, n° 89-16.975, Bull. civ. III, n° 108 ; D. 1992, Somm. p. 196, obs. G. Paisant ; RTD civ.
1992, p. 81, obs. J. Mestre ; Contrats, conc., consom. 1991, comm. 133, obs. L. Leveneur et
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très net, en matière de cautionnement, Cass. 1re civ., 13 mai 2003, préc.). C'est là une des
idées force des projets contemporains de réforme du droit des obligations.
Le critère du caractère dolosif de la réticence doit être circonscrit à son aspect reprochable,
blâmable. Dans cette mesure, la réticence peut être qualifiée de faute délictuelle,
précontractuelle, par omission. Fondée sur la bonne foi que l'on est en droit d'attendre,
objectivée, la qualification est, on l'imagine bien, indissociable de la considération des parties
en présence, de leur qualité, appréciée en fonction de la catégorie à laquelle elles
appartiennent respectivement. On retrouve ici la démarche précédemment exposée lorsque
nous évoquions les manoeuvres dolosives. Ainsi, telle rétention d'information qui pourra être
considérée comme fautive, constitutive d'une réticence dolosive à l'égard de l'un ne le sera
pas nécessairement à l'égard de l'autre, qui pouvait ou devait savoir.
Bien sûr, la qualité de celui à qui l'on reproche son silence est essentielle : le silence est plus
éloquent s'il est observé par celui qui est supposé savoir et à qui l'on a fait confiance. Ce sera
notamment le cas du contractant professionnel. Mais, d'un autre côté, la qualité de celui qui
se prétend victime est loin d'être indifférente. La notion de faute est, en la matière, relative.
On doit considérer qu'il n'y a nulle volonté de tromper, nulle atteinte à la bonne foi, à ne pas
informer un cocontractant qui, de par sa profession, ou sa formation - c'était le cas de
l'espèce - doit être normalement apte à s'informer lui-même s'il éprouve un doute.
Mots clés :
CONTRAT ET OBLIGATIONS * Vice du consentement * Dol * Réticence dolosive * Obligation
précontractuelle * Obligation d'information
Recueil Dalloz © Editions Dalloz 2011
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