Pétrus vs Lenovo - Cabinet CUIF Avocats

Transcription

Pétrus vs Lenovo - Cabinet CUIF Avocats
Pétrus vs Lenovo : la fourniture de logiciels
non demandés est une pratique commerciale
déloyale
Sommaire
1. Rappel des prétentions.
2. Motifs de la décision.
2.1. Le matériel et les logiciels sont des produits distincts.
2.2. Sur les pratiques commerciales déloyales de la société LENOVO
2.3. Sur les demandes financières.
3. Quelle conclusion pour cette affaire ?
Notes
Le 15 novembre 2010, la Cour de
cassation rendait l’arrêt le plus intéressant en matière de pratiques commerciales des
fabricants de matériel informatique.
La Cour Suprême retenait que la vente subordonnée de l’article L. 122-1 du Code de la
consommation était prohibée si les circonstances qui l’entouraient constituaient une
pratique commerciale déloyale au regard des critères clairement posés par la directive
2005/29 du 11 mai 2005.
Elle censurait totalement la décision du juge de proximité de Tarascon et renvoyait
l’examen de l’affaire vers la juridiction de proximité d’Aix-en-Provence qui a rendu son
délibéré le 9 janvier 2012. Quel est-il ?
Commentaire par Maître PROVOST, avocate, et conclusion par Maître CUIF, avocat.
Pour un historique judiciaire détaillé dans l’affaire opposant Monsieur Pétrus à la société LENOVO,
il est renvoyé au commentaire sur l’arrêt du 15 novembre 2010.
Après avoir fait un bref rappel des faits et du jugement de la juridiction de proximité de Tarascon du
20 novembre 2008, le juge de proximité rappelle l’objet de sa saisine sur renvoi et la question à
laquelle il doit répondre :
« Ayant formé un pourvoi contre ce jugement, la Cour de cassation par arrêt du 15
Novembre 2010 […] renvoya l’affaire devant notre juridiction estimant qu’il n’avait pas
été recherché si la pratique commerciale dénoncée entrait dans les dispositions de la
directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales. »
1. Rappel des prétentions.
Monsieur Pétrus avait d’abord fait valoir à titre principal que le fabricant s’était livré à une pratique
commerciale de fourniture de produits non demandés, en l’espèce des logiciels préchargés, dont il
avait exigé le paiement de sa part et qu’elle constituait une pratique commerciale déloyale « en
toutes circonstances » interdite tant par la directive 2005/29/CE que par le Code de la
consommation.
Subsidiairement, pour le cas où la pratique commerciale de vente forcée ne serait pas retenue par le
juge, Monsieur Pétrus soutenait que cette pratique du fabricant, telle qu’elle était pratiquée en
l’espèce, constituait une pratique commerciale de subordination de vente déloyale et totalement
interdite.
Les arguments de la société LENOVO s’articulaient principalement autour du consentement de
Monsieur Pétrus qu’elle estimait éclairé et non vicié, puisque selon elle, il avait choisi un modèle
prééquipé de logiciels en connaissance de cause, qui était de surcroît destiné aux entreprises et non
aux particuliers. Elle prétendait donc que Monsieur Pétrus faisait une « confusion entre la vente liée
de produits distincts et séparés et la vente de produits complexes composés d’un ensemble de
composants indispensables à la définition du produit telle que voulue par le constructeur ».
Elle ajoutait et qu’en toute hypothèse, à l’instar d’une voiture avec ses pneus ou sa climatisation, le
matériel ne pouvait pas fonctionner sans les logiciels et que la demande de Monsieur Pétrus tendant
à se faire rembourser la somme de 404,81 € était excessive puisqu’elle revenait à se faire
rembourser la plus grande partie du prix d’acquisition de la machine qui avait coûté 597 €.
Enfin, Lenovo a rappelé que selon elle, il n’appartenait pas au juge de réglementer la vie
économique et que le problème incombait au législateur qui avait refusé de voter dans le sens
indiqué par le demandeur le 6 juillet 2011.
2. Motifs de la décision.
Le juge a d’abord rappelé les circonstances de l’achat de l’ordinateur : Monsieur Pétrus avait
demandé à faire l’acquisition du seul matériel, ce qui s’était révélé impossible parce que les logiciels
étaient préinstallés, et que lors de la mise en marche du matériel, il n’avait pas eu d’autre choix que
d’accepter l’installation du système d’exploitation ou se faire rembourser l’intégralité de son achat
par LENOVO.
De ces circonstances de la vente, la décision du juge s’articule autour de deux points : la distinction
matériel logiciels et les pratiques commerciales déloyales qui en découlent.
2.1. Le matériel et les logiciels sont des produits distincts.
Il s’agit d’une solution éprouvée et jugée à de nombreuses reprises, tant par la Cour de cassation
que par de nombreuses juridictions du fond. Le juge de proximité d’Aix-en-Provence s’était d’ailleurs
prononcé récemment en faveur de cette solution dans une affaire similaire opposant un
consommateur au fabricant ACER [1], tout comme d’autres juridictions après lui [2].
Le matériel fait l’objet d’un contrat de vente qui confère à son propriétaire un droit absolu sur la
chose dès qu’il en a payé le prix, alors que la fourniture d’un logiciel est une prestation de services
qui ne confère qu’un droit d’usage sur le logiciel, ce que rappelle du reste clairement le contrat de
licence du logiciel système d’exploitation.
S’il paraît presque invraisemblable de rappeler cette solution, tant la différence saute aux yeux, il
s’agit néanmoins de l’argument principal soulevé par les constructeurs qui cherchent à faire juger
que le matériel et les logiciels forment un « ensemble indissociable », un « produit unique »,
« technologique » encore une « offre commerciale globale ». LENOVO avait soutenu qu’il s’agissait
d’un « ensemble de composants indispensables à la définition du produit ». Et le fait est que
l’argument a pu séduire par le passé quelques juridictions, sans doute par méconnaissance de
l’informatique, qui ont estimé du coup que les consommateurs ne pouvaient pas solliciter le
remboursement des seuls logiciels.
Mais malgré la résistance des fabricants dans les procès, cette question n’est aujourd’hui plus
sérieusement contestable. Et quoi qu’il en soit, le caractère sophistiqué d’un lot de produits
n’autorise pas le professionnel à s’affranchir des dispositions précises de la directive du 11 mai 2005
ou du Code de la consommation relatives à l’information sur les caractéristiques essentielles des
produits et leurs prix, ou de la réglementation spécifique en matière d’affichage du prix des produits
vendus par lots.
Avec humour et répondant en cela à l’argumentation de la société LENOVO qui avait soutenu que les
logiciels étaient aussi peu dissociables de l’ordinateur que les pneus ou la climatisation d’une
voiture, le juge de proximité précise que l’analogie n’est pas exacte et reviendrait en réalité à fournir
un chauffeur lors de l’achat de la voiture…
2.2. Sur les pratiques commerciales déloyales de la société LENOVO
Le juge retient :
« Attendu certes que l’appareil objet du litige sur lequel étaient installés un système
d’exploitation et des logiciels de la société Microsoft, pouvait intéresser une clientèle
particulière mais qu’aucune caractéristique technique ne s’opposait à ce que d’autres y
soient implantés et notamment ceux que souhaitait le requérant.
Attendu donc qu’il ne pouvait lui être imposé d’adjoindre obligatoirement Windows Vista
à un type d’ordinateur dont les spécifications propres mais uniquement matérielles
avaient dicté son choix ;
Attendu en définitive qu’il est ainsi constaté que la Sas LENOVO a contrevenu
aux dispositions de l’article L122-1 du code de la consommation qui en l’espèce
satisfait aux prescriptions de la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005,
notamment à l’article 29 de son annexe 1, relative aux pratiques commerciales
déloyales »
Le juge déduit des circonstances de la vente que la société LENOVO s’est bien livrée à une pratique
commerciale de subordination de vente déloyale au sens de la directive du 11 mai 2005 notamment
en ce qu’elle s’apparente à une vente forcée au sens du paragraphe 29 de son annexe 1.
Il faut avouer que si cette motivation n’est pas claire, bien trop laconique et que le juge de proximité
a omis de statuer sur un bon nombre de demandes présentées par Monsieur Pétrus à l’issue des
débats, il demeure que le principe est acquis : imposer aux consommateurs de payer des logiciels
qu’ils n’ont pas choisis ni demandés, au seul prétexte qu’ils sont préchargés par le fabricant,
constitue une pratique commerciale de vente forcée déloyale en toutes circonstances au sens du
paragraphe 29 de l’annexe 1 de la directive (qui fait partie de la liste « noire » des pratiques
commerciales) et une vente subordonnée également contraire à la directive.
Le juge de proximité fait donc droit à la demande de remboursement de Monsieur Pétrus, ce qui est
tout à fait légitime et parfaitement conforme aux dispositions du Code de la consommation
invoquées au cours des débats. Il est regrettable que le juge ait fait droit à la demande sans détailler
ce point et son fondement textuel.
2.3. Sur les demandes financières.
Monsieur Pétrus avait demandé la condamnation de LENOVO à lui payer une somme de 404,81 € en
2008 devant la juridiction de proximité de Tarascon. Cette somme n’a pas été actualisée devant la
juridiction d’Aix-en-Provence, mais elle a été étayée et qualifiée. En effet, Monsieur Pétrus
demandait que lui soit indiqué le prix des logiciels pour pouvoir en solliciter le remboursement. À
défaut, il demandait la condamnation de LENOVO à lui payer une indemnité forfaitaire dont le
quantum était susceptible de correspondre au prix des logiciels par comparaison avec les prix
publics habituellement pratiqués en la matière.
Sans tenir compte du fait que le prix des logiciels n’avait pas été indiqué par LENOVO, le juge a
estimé que la somme sollicitée était trop importante. Alors que Monsieur Pétrus avait établi que le
prix des logiciels pouvait représenter plus de 30 % du produit global, il s’est calé sur une fourchette
plus basse, notamment celle qui a été prise en compte par la Cour d’appel de Versailles dans son
arrêt du 5 mai 2011, soit entre 10 et 25 % du prix global [3].
LENOVO est donc condamné à payer à Monsieur Pétrus une somme de 120 €.
Le juge de proximité a aussi condamné la société LENOVO à lui payer une somme de 800 € à titre de
dommages et intérêts. Ces condamnations à des dommages et intérêts sont de plus en plus
fréquentes, principalement parce que les fabricants s’obstinent à refuser de procéder à un véritable
remboursement des logiciels préchargés et que les consommateurs n’ont aujourd’hui qu’une seule
possibilité pour faire valoir leurs droits : faire un procès !
Enfin, au titre des frais de procédure, le juge de proximité accorde à Monsieur Pétrus une somme de
1.000 €.
3. Quelle conclusion pour cette affaire ?
Il s’agit d’une décision qui va dans le bon sens, celui des consommateurs.
Cependant, la motivation adoptée est décevante et bien trop laconique pour le professionnel que je
suis. Le jugement est aussi atteint de plusieurs omissions de statuer au regard des demandes qui ont
été présentées. Il est regrettable que le juge de proximité n’ait pas fait l’effort de motiver solidement
sa décision, surtout qu’il s’agissait d’un renvoi de cassation et qu’il avait été averti de l’importance
du sujet et du fait que sa décision était très attendue.
J’ajoute, s’agissant de la distinction entre le matériel et les logiciels, que la réglementation sur les
ventes par lots ne concerne plus seulement les yaourts ou les lots de casseroles, n’en déplaise à
certains membres du ministère de l’économie des finances et de l’industrie avec qui je suis en
discussion sur ces questions, et que les logiciels ont bien unprix public identifié totalement
dissimulé par le fabricant après avoir été préchargés dans le matériel, puisqu’ils sont l’un des
éléments dissociables d’un lot de produits distincts. Prétendre en plus que la DGCCRF contesterait
ce point revient à avouer qu’il y a un refus du ministère de prendre parti sur cette question…
L’illustration est de Michel Cadiou, il l’a appelée « La justice sur le fil » Merci beaucoup Michel !
Notes
[1] Jur. prox. Aix-en-Provence, 17 fév. 2011 : Perrono ¢ Acer
[2] cf. notamment CA Versailles, 3e ch., 5 mai 2011 : UFC-Que Choisir ¢ SAS Hewlett Packard
France & association de droit du marketing ; Jur. prox. Toulouse, 20 mai 2011 : aff. Vermel ¢ S.A
Dell
[3] CA Versailles, 3e ch., 5 mai 2011, préc.