La punissabilité des personnes morales NEWSLETTER

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La punissabilité des personnes morales NEWSLETTER
NEWSLETTER
N ove m b re 2 0 0 3
La punissabilité des personnes morales
Jusqu’à présent, seules les personnes physiques étaient
pénalement punissables en Suisse. À partir du 1er
octobre 2003, les entreprises pourront également être
punies et condamnées à payer des amendes pouvant
aller jusqu'à 5 millions de francs.
la norme procédurale correspondante à l’art. 100quinquies.
La présente Newsletter donne un aperçu du contenu
essentiel du nouveau règlement.
Selon la nouvelle disposition pénale, une entreprise est
punissable si une personne en son sein commet un
crime ou un délit et si cette personne ne peut être
identifiée. La punissabilité de l'entreprise nécessite
cependant que l'impossibilité d'identifier l'auteur de
l'acte soit le résultat d’un défaut d'organisation dans
l'entreprise. Néanmoins, dans certains cas, lors de la
commission de crimes ou de délits importants, l'entreprise peut être condamnée même lorsque l'auteurpersonne physique est connu. Une telle responsabilité
aggravée existe pour les infractions suivantes : la participation à une organisation criminelle, le blanchiment
d'argent, la corruption d’agents publics, l'octroi d'un
avantage à un agent public et le financement du
terrorisme. Si l’une de ces infractions est commise au
sein de l'entreprise, avec ou sans connaissance du
management, l’entreprise est punissable si elle n'a pas
mis en place les mesures nécessaires afin de prévenir
cette infraction.
Jusqu’à récemment, l’opinion presque unanime en
Suisse était que, pour des considérations de principe,
une responsabilité de l’entreprise en matière pénale ne
se justifiait pas. En effet, on considérait que la notion de
culpabilité ne pouvait pas être rattachée à l'entreprise
en raison de sa structure légale. Contrairement aux
personnes physiques, la personne morale n'ayant pas
de conscience, l'infliction d'une punition paraissait
non fondée.
Avec la punissabilté de l’entreprise, les autorités de
poursuite et les tribunaux bénéficient d’un nouvel
instrument de répression. Il faut partir du principe
qu'ils en feront volontiers usage, puisque cela leur permet de désigner un responsable même dans les cas où
l'auteur effectif ne peut pas être identifié. La nouvelle
disposition sur la punissabilité de l'entreprise a été
introduite dans le Code pénal suisse à l’art. 100quater, et
A. Historique de la nouvelle disposition pénale
Toutefois, dans le courant des dernières années, la
nécessité d'une base légale pour instaurer la punissabilité des entreprises est devenue plus forte. Dans le
cadre des structures modernes de management où le
traditionnel pouvoir de décision hiérarchique du
président au niveau opérationnel faisait défaut, il est
devenu de plus en plus difficile pour les autorités
d'identifier l'organe responsable de la prise de décision.
Cependant la nécessité de pouvoir rendre quelqu'un
responsable pour des infractions commises au sein de
l'entreprise demeure intacte; c’est pourquoi l'idée a pu
s’imposer finalement de rendre pénalement responsable
l'entreprise en tant que telle. Cette idée correspond à
une évolution qui se traduit également sur le plan
international puisque à l'étranger, la responsabilité
pénale de l’entreprise s'est déjà largement imposée
dans de nombreux pays.
b) Punissabilité cumulative de l’entreprise
La nouvelle disposition pénale énonce ce qui suit:
Le législateur a introduit une responsabilité aggravée
pour un nombre limité d’infractions significatives.
L'alinéa 2 de l'article 100quater CPS prévoit que
l'entreprise peut être tenue responsable, sans égard et
indépendamment de la punissabilité d'une personne
physique, pour les infractions de participation à une
organisation criminelle, blanchiment d'argent, corruption, octroi d’un avantage et financement du
terrorisme, à condition que l'entreprise n'ait pas pris
toutes les mesures organisationnelles nécessaires et
raisonnables en vue de prévenir la commission d'une
telle infraction. Ceci signifie que l'entreprise et la
personne physique, auteur de l’infraction, peuvent être
poursuivies pénalement, ce qui entraîne une responsabilité pénale cumulative de l'entreprise. Ainsi, même
si la personne physique peut être identifiée comme
auteur de l'infraction, l'entreprise ne sera pas exonérée
de sa responsabilité pénale.
Art.100quater du Code pénal suisse - Punissabilité
1
Un crime ou un délit qui est commis au sein d'une entreprise dans l'exercice d'activités commerciales
conformes à ses buts est imputé à l'entreprise s'il ne peut
pas être imputé à aucune personne physique déterminée
en raison du manque d'organisation de l'entreprise.
Dans ce cas, l'entreprise est punie d'une amende de
cinq millions de francs au plus.
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En cas d'infraction prévue aux art. 260ter, 260quinquies,
305bis, 322ter, 322quinquies ou 322septies, l'entreprise est
punie indépendamment de la punissabilité des personnes
physiques s'il doit lui être reproché de ne pas avoir pris
toutes les mesures d'organisation raisonnables et
nécessaires pour empêcher une telle infraction.
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Le juge fixe l'amende en particulier d'après la gravité
de l'infraction, du manque d'organisation et du
dommage causé, et d'après la capacité économique de
l'entreprise.
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Sont des entreprises au sens du présent titre :
a) les personnes morales de droit privé;
b) les personnes morales de droit public,
à l'exception des corporations territoriales;
c) les sociétés;
d) les entreprises en raison individuelle.
a) Règle générale : Subsidiarité de
la punissabilité de l’entreprise
De manière générale, le législateur a décidé de limiter
la punissabilité de l'entreprise à ce que l’on nomme une
responsabilité subsidiaire. La disposition pénale n’est
appliquée que si une infraction commise au sein de
l'entreprise ne peut être imputée à aucun individu
spécifique en raison de l'organisation déficiente de
l'entreprise. Une responsabilité pénale de l'entreprise
n'existe ainsi que si l'autorité de poursuite pénale n'a
pas réussi à identifier la personne physique qui a
commis l’infraction. Cette responsabilité subsidiaire
est prévue par l’art. 100quater al. 1 du Code pénal
suisse ("CPS").
c) Présence d'un défaut d'organisation
La présence d'un défaut d'organisation est une
condition essentielle pour la punissabilité de
l'entreprise. La nouvelle disposition pénale elle-même
ne contient aucune définition de ce que constitue un
défaut d'organisation au sens de l’art. 100quater CPS.
Alors que la notion d'organisation structurelle déficiente de l'alinéa 1 se réfère au fait que l'infraction ne peut
pas être attribuée à un individu particulier, l'alinéa 2 se
réfère au manquement de n'avoir pas pris toutes "les
mesures d'organisation raisonnables et nécessaires"
pour empêcher la commission d’une telle infraction. Il
sera intéressant d’observer le degré d’exigence qui sera
posé par la jurisprudence à l'égard de l'organisation
d'une entreprise prévu par l’alinéa 2. En tout état de
cause, l’interprétation faite ne devra pas avoir pour
conséquence qu’un défaut d'organisation soit inféré du
seul fait qu'une infraction ait été commise au sein de
l'entreprise. Ceci entraînerait une responsabilité causale
de l'entreprise pour toutes les infractions commises en
son sein, ce qui n'était pas l'intention du législateur.
d) Limitation aux infractions commises "dans l’exercice
d'activités commerciales conforme à ses buts"
La disposition légale limite la punissabilité de
l'entreprise aux infractions commises "dans l’exercice
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SCHELLENBERG WITTMER NEWSLETTER NOVEMBRE 2003
B. Contenu de la disposition pénale
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d'activités commerciales conforme à ses buts". Il
appartiendra à la jurisprudence de développer les
critères permettant de déterminer quels sont les actes
punissables qui entrent dans cette définition. A teneur
du texte légal, de la doctrine et la jurisprudence
relatives à la responsabilité civile des personnes morales
pour des actes de négligence commis par leurs organes,
la responsabilité pénale devrait au moins être exclue
dans les situations où l'acte incriminé n'a pas été
commis « dans l'exercice », mais « à l'occasion » de
l'activité de l'entreprise et lorsque, par sa nature, l'acte
en question n'a aucune relation avec l'activité
commerciale de l'entreprise.
Il est encore trop tôt pour dire dans quelle mesure le
critère de « l’exercice d’activités commerciales » rend
les associations sportives, les entreprises culturelles, les
médias, les organisations caritatives et les associations
similaires sujets à la nouvelle disposition pénale. Pour
autant que l’on considère que "fournir un support" ou
une "contribution culturelle" s’apparente à l'activité
commerciale de ces organisations et de leurs
employeurs salariés, beaucoup de ces organisations
pourraient être incluses dans le champ d’application de
la norme pénale.
e) Sanctions
Seule une amende peut être infligée à l'entreprise.
L’amende ne peut pas dépasser cinq millions de francs
et est déterminée en fonction de la gravité de
l'infraction, du manque d'organisation et du dommage
causé, ainsi que de la capacité économique de l'entreprise.
C. Importance pratique de la nouvelle
disposition pénale
On peut s'attendre à ce que la nouvelle disposition
pénale ait un impact significatif en pratique et aura des
conséquences importantes pour les entreprises concernées. Plusieurs éléments indiquent que la responsabilité
cumulative de l’entreprise pourrait bientôt se transformer
en une responsabilité primaire en raison des intérêts
variés à sanctionner pénalement les entreprises.
rapport à la responsabilité pénale des individus. Il y a
lieu de considérer en premier lieu les employés d'une
entreprise, qui courent le risque de répondre
personnellement d’une infraction commise au sein de
l'entreprise. De tels employés pourraient être tentés de
diminuer le risque de leur responsabilité pénale propre,
en diluant ou en supprimant à l'avance les structures
internes permettant d’attribuer les décisions à leurs
auteurs. En cas de succès, cela se fera au détriment de
l'entreprise, puisqu’elle répondra de l’impossibilité de
poursuivre l'auteur sur la base de l’art. 100quater al. 1 CPS.
Après l’ouverture d’une information pénale, les
employés responsables pourraient chercher à détourner
l’enquête de leur propre responsabilité en blâmant
l'organisation fautive, ce qui aurait pour conséquence
d’initier la punissabilité de l'entreprise selon l’art.
100quater al. 2 CPS.
Les personnes lésées montreront également souvent un
intérêt plus grand pour la condamnation d'une
entreprise en lieu et place d'une personne physique. En
général, l'entreprise détient des avoirs supérieurs à ceux
d'un individu faisant d'elle une cible plus attractive
pour réclamer des dommages-intérêts. Lors d'une
poursuite pénale à l’encontre d’une personne physique,
les actions en responsabilité civile contre l'entreprise
doivent être introduites dans un procès civil distinct. Il
n'existe pas de possibilité d'introduire celles-ci
directement dans le procès pénal. Un procès distinct est
toutefois coûteux en temps et en argent. C'est pourquoi
le lésé préférera en général poursuivre pénalement
l’entreprise dès le début. L'influence des lésés sur
l’ouverture d’une information pénale et la conduite de
l’enquête ne doit à cet égard pas être sous-estimée.
Enfin, la poursuite pénale de l'entreprise offre aussi
certains avantages à l'État. Elle permet aux autorités de
poursuite pénale de désigner un responsable même
lorsque l'auteur ne peut pas être identifié. À cela
s'ajoute qu'une entreprise condamnée pénalement ne
contribue pas à l’augmentation de la surpopulation
carcérale. Au contraire, l'amende tendra à renflouer les
caisses de l'Etat.
b) Conséquences pour les entreprises concernées
a) L'attractivité de la responsabilité pénale des entreprises
La nouvelle possibilité de rendre les entreprises
pénalement responsables fournit divers avantages par
Même si l’amende est modérée ou si l’enquête se
termine par un acquittement, une poursuite pénale peut
avoir des implications sérieuses pour une entreprise.
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SCHELLENBERG WITTMER NEWSLETTER NOVEMBRE 2003
Conformément aux principes comptables standards
admis en Suisse, les amendes potentielles doivent être
reflétées dans les comptes de la société sous forme de
provision dès le début de l'enquête. Un tel poste de
dommages potentiels peut endommager non seulement
la confiance des actionnaires, mais aussi celle des
créanciers. Cet impact négatif sera accru par la publicité
des médias. Il a déjà été démontré que des poursuites
contre l'un des organes d'une société à un impact
négatif sur la réputation de l’entreprise. La poursuite
étant dorénavant dirigée directement contre l'entreprise
en tant que telle, le dommage en sera d'autant plus élevé.
I À Zurich:
ALEXANDER JOLLES
[email protected]
PETER BURCKHARDT
[email protected]
D. Nos recommandations
A la lumière des significations pratiques de la nouvelle
norme pénale, il est fortement conseillé aux entreprises
de repenser leur structure organisationnelle. Au regard
de l'article 100quater alinéa 1 CPS, l'entreprise devrait
introduire des structures qui, idéalement, permettent
d'attribuer chaque secteur d'activité à un employé
déterminé au sein de l'entreprise. L’alinéa 2 de l'article
100quater CPS exige des entreprises qu'elles adoptent un
mécanisme de contrôle suffisant permettant de prévenir
la commission d'activités criminelles. Pour débuter,
beaucoup d'entreprises devraient se tourner vers les
modèles existants de compliance et de gouvernance
d'entreprise. Ces modèles requièrent néanmoins
l'adaptation aux caractéristiques spécifiques de chaque
entreprise dans la mesure où le degré de structure
organisationnelle nécessaire est déterminé essentiellement par la taille de l'entreprise, le domaine d'activité
géographique, les partenaires en affaires, etc.
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veuillez contacter nos spécialistes dans nos bureaux de
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I À Genève:
PAUL GULLY-HART
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