Impact des allégations santé dans les messages publicitaires

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Impact des allégations santé dans les messages publicitaires
Impact des allégations santé dans les
messages publicitaires télévisés
sur les pratiques alimentaires des enfants
Kafia AYADI * & Pascale EZAN **
* IAE de Rouen (ATER) et IAE de Caen (Doctorante) - NIMEC
3 avenue Pasteur – 76186 Rouen Cedex
Groupe ESC Rouen
** IUT d’Evreux (Université de Rouen) - NIMEC
55 rue Saint Germain - 27000 Evreux
Groupe ESC Rouen
[email protected] ; [email protected]
Sections de rattachement : 06
Secteur : Tertiaire
RÉSUMÉ. : Depuis février 2007, la France a pris des mesures obligeant les industries
agroalimentaires à insérer des messages sanitaires dans les annonces publicitaires et
promotionnels de certains aliments et boissons ; ceci afin de prévenir l’obésité chez les enfants.
Cette mesure est basée sur un paradoxe : la promotion d’un produit alimentaire est suivie d’un
message contradictoire sur les risques d’une mauvaise alimentation pour la santé. L’objectif de
cet article est d’étudier l’impact de ces allégations publicitaires sur les pratiques alimentaires des
enfants. Vingt enfants ont été interrogés à propos de leur perception des messages sanitaires à la
télévision, leur niveau d’adhésion à ces messages et l’impact de ces annonces sur leurs pratiques
alimentaires.
MOTS-CLÉS : Enfant – obésité – allégation santé – pratiques alimentaires – publicité télévisée.
Introduction
L’excès de poids chez l’enfant et l’obésité préoccupent aujourd’hui les pouvoirs
publics. Le surpoids est un phénomène observé au départ aux Etats-Unis. La plupart des
pays occidentaux ont été touchés par cette épidémie vers les années 1990. La situation
est devenue alarmante à partir de 1997 à tel point que le surpoids et l’obésité ont été
reconnus à cette date comme une véritable pandémie qui frappe l’ensemble des pays
1
développés ainsi que certains pays en voie de développement. Depuis lors,
l’Organisation Mondiale de la Santé alerte régulièrement les nations du monde entier
sur ce qu’elle nomme « l’épidémie du vingt-et-unième siècle ».
La France n’est pas épargnée par ce phénomène. Alors que ce fléau n’atteignait que
3 % de la population en 1965, il touchait 10 à 12,5 % des enfants en 2006 avec un pic
de 19 % pour les enfants de 8 ans. Les professionnels de santé publique considèrent que
si cette progression évolue au rythme actuel, elle laisse présager une prévalence de près
de 25 % aux alentours de 2020. Outre les problèmes psychologiques, l’obésité induit
des maladies graves qui compromettent la durée de vie des enfants et mettent en péril
les équilibres macro-économiques de la nation.
Cette prise de conscience a d’abord agi comme un catalyseur pour détecter les
raisons de cette épidémie. Dans cette perspective, le rôle du marketing est fortement
évoqué. On dénonce notamment le lobbying des industries agroalimentaires qui
commercialisent des produits gras et sucrés à faible teneur nutritionnelle dont elles
assurent la promotion au travers des spots publicitaires particulièrement attractifs
destinés à capter l’attention des jeunes consommateurs. La publicité est donc fortement
décriée en étant considérée comme une des causes majeures de la prise des poids des
enfants.
A cet effet, l’objectif de cet article est d’étudier l’impact des allégations santé
télévisées sur les pratiques alimentaires des enfants. Dans une première partie, nous
exposons les mesures mises en place et les controverses que celles-ci suscitent. La
deuxième partie est consacrée à l’influence de la publicité sur la consommation des
enfants. Après avoir exposé notre méthodologie, nous présentons nos résultats dans une
dernière partie.
1.
La réglementation en vigueur : état des lieux et polémiques
Les enfants sont de plus en plus souvent destinataires des publicités télévisées. Les
écrans destinés aux enfants comptent pour 11 % des spots diffusés à la télévision et
représentent 3,5 % des recettes des chaînes. 35 % des spots concernent l’alimentation
au sens large et 14 % d’entre eux sont diffusés lors des émissions jeunesse. Parmi ces
publicités, 55 % portent sur des sucreries et des céréales contre 38 % pour des produits
laitiers.
1.1. Des mesures plus ou moins drastiques en Europe
Le rôle de la publicité télévisée dans la montée de l’obésité est donc un sujet
polémique. Depuis plusieurs années, des associations de consommateurs demandent que
l’on interdise, en France, la publicité télévisée ciblant les enfants. Néanmoins, les
2
répercussions de cette réglementation sur la baisse de l’obésité chez l’enfant ne sont pas
forcément probantes si l’on se tourne vers les quatre pays (la Suède, la Norvège, la
Danemark et la communauté flamande de Belgique) qui ont pris des mesures drastiques
en interdisant la publicité télévisée dans les émissions jeunesse. Parmi ces pays, seule la
Suède a réussi à endiguer la montée de l’obésité infantile. De même, au Royaume-Uni,
l’interdiction depuis 2006 des publicités télévisées concernant les aliments les moins
diététiques dans les programmes télévisés destinés aux enfants de moins de 16 ans n’a
pas été accompagnée d’une réduction du surpoids dans cette tranche d’âge.
Dans cette mouvance, certains groupes internationaux comme Coca-Cola ou Kraft
Food ont annoncé qu’ils ne communiqueraient plus auprès des enfants de moins de
douze ans par le biais de la télévision. L’impact éthique de ces choix stratégiques doit
cependant être nuancé dans la mesure où les jeunes téléspectateurs ne regardent pas
uniquement les programmes qui les concernent.
Interdire la publicité télévisée se heurte par ailleurs aux groupes de pression des
industriels agro-alimentaires qui avancent des arguments économiques. En effet, la
publicité télévisée est un secteur porteur qui génère de la croissance et par conséquent,
l’interdiction de la publicité alimentaire priverait les chaînes jeunesse d’un financement
propre. Les recettes provenant des annonceurs sont, en effet, réinvesties à 95 % dans les
programmes destinés aux jeunes.
Ainsi, la France est la troisième industrie mondiale de l’animation. Sans ces
investissements générés par la publicité, les émissions jeunesse ne pourraient pas
survivre ou du moins il faudrait songer à des systèmes d’abonnement auxquels une
grande majorité d’enfants n’auraient pas accès.
1.2. Les mesures prises par la France
La France a tranché envers une position intermédiaire visant à prendre en compte les
considérations des différentes parties prenantes. Une réglementation stricte garantissant
une protection de l’enfant et permettant aux annonceurs de promouvoir leurs marques
alimentaires a ainsi été mise en place, suivant les recommandations du premier
Programme National Nutrition Santé mis en place dès 2001. D’ici le mois d’avril 2008,
on s’orienterait cependant vers un encadrement très strict voire une interdiction des
publicités télévisées dans les programmes jeunesse.
Pour le moment, une directive européenne de février 2007, contraint les annonceurs
à l’ajout de messages sanitaires dans les publicités alimentaires télévisées (ou à financer
des programmes de lutte contre l’obésité). L’objectif de l’insertion de messages
sanitaires dans les publicités est de sensibiliser le grand public et notamment les enfants
aux risques d’une mauvaise alimentation sur la santé. Cette mesure concerne la
télévision, Internet, la radio, l’affichage, la presse écrite, les téléphones mobiles et les
prospectus publicitaires ou promotionnels (source : décret n° 2007-263 du 27 février
2007). En outre, l’Arrêté du 27 février 2007 fixe les conditions relatives aux
3
informations à caractère sanitaire à insérer dans les messages publicitaires ou
promotionnels en faveur de certains aliments et boissons.
Beaucoup de professionnels appartenant aux secteurs alimentaires et publicitaires
observent que cet arrêté est mauvais car il repose sur le paradoxe suivant « quelle est la
pertinence d’associer un film efficace et bien fait et un bandeau déroulant
contradictoire » ? De même, on entend ça et là des propos émanant des consommateurs
dévoilant que ces messages sanitaires ne servent à rien.
La mise en place récente de cette mesure ne permet pas encore de disposer d’assez
de recul pour savoir si elle aura des répercussions positives sur le taux d’obésité des
enfants. On dispose cependant d’une première évaluation émanant de l’INPES. Selon
l’enquête menée par cet organisme de santé publique, 87 % des Français approuvent
l’application de cette mesure, 70 % d’entre eux affirment avoir mémorisé le message et
79 % considèrent que c’est un bon moyen de sensibilisation à l’importance d’une
alimentation équilibrée. Enfin, 21 % des 15 ans et plus déclarent avoir modifié leurs
habitudes alimentaires et 17 % ont changé leurs comportements d’achat de produits
alimentaires et de boissons.
Cette étude porte principalement sur la population adulte, il nous a semblé
intéressant alors, d’apprécier la façon dont cette disposition a été reçue par le jeune
téléspectateur. Comment la juge-t-il ? Quelle est sa perception quant à l’utilité de cette
nouvelle réglementation ? Prend-il conscience des enjeux de l’équilibre nutritionnel sur
sa santé ? Comment ressent-il cette ambiguïté du discours valorisant d’une part, les
bénéfices d’une marque alimentaire et les messages de prévention du grignotage d’autre
part ? Dans ce dernier cas, il est possible d’imaginer que les enfants développent une
attitude négative envers la marque promue. En effet, comme l’a montré, Brée (2005),
les publicités peuvent être perçues par les jeunes consommateurs comme trompeuses
dès lors que le scénario n’est pas en adéquation avec le discours publicitaire.
2.
La publicité télévisée comme facteur d’aggravation de l’obésité chez
l’enfant
La publicité destinée aux enfants se distingue de celle de l’adulte en ce qu’elle
constitue « un message relatif à un produit ou un service, dont les enfants de moins de
treize ans sont les seuls utilisateurs ou représentent un élément considérable du marché
en tant qu’utilisateur, et dont la présentation est faite pour attirer avant tout les
enfants1 ». Son objectif est donc d’informer, de persuader et de faire agir en vue de
vendre le produit.
1
In « Publicité destinée aux enfants, attestation à des fins publicitaires », rapport du comité de la
politique à l’égard des consommateurs (OCDE), 1992.
4
Dans cette perspective, notons que la publicité a fait l'objet du plus grand nombre de
recherches en marketing sur l’enfant. C'est en effet, le média privilégié des jeunes
consommateurs jusqu’à 12 ans2. Il constituerait même pour l’enfant, selon certains
chercheurs3 « le moyen de la réalisation de soi dans la consommation ».
On évalue à 145 mn par jour la durée moyenne d’exposition des enfants à la
télévision (Dagnaud, 2003). L’enquête de l’association de défense des consommateurs
UFC-Que Choisir réalisée en 2006 révèle que 60 % des enfants regardent la télévision
en rentrant de l’école. Plus d’un tiers d’entre eux ont un téléviseur dans leur chambre.
70 % des enfants interrogés sont capables de citer les publicités des marques Lion et
Danette et 46 % se souviennent de Chupa Chups. 71 % des parents considèrent,
d’ailleurs, que les publicités influencent les choix alimentaires de leurs enfants. 40 %
d’entre eux déclarent qu’il est très difficile de résister aux sollicitations enfantines et 80
% avouent qu’ils cèdent à leurs demandes.
De nombreuses recherches ont souligné l’impact de la publicité télévisée dans
l’augmentation du poids des enfants (Pécheux et al., 2006). Il convient néanmoins, de
nuancer la portée de ces travaux. Ceux-ci sont relativement anciens et ont été menés
dans les années 70/80 à une période où l’obésité n’était pas encore devenue un problème
alarmant notamment en France. Par ailleurs, il s’agit essentiellement d’études réalisées
Outre-Atlantique dans un contexte qui est différent de ce qu’on peut connaître en
Europe. Enfin, la diversité des méthodologies utilisées (questionnaires soutenant des
objectifs divers, expérimentations de nature différente) ne permet pas d’obtenir un
corpus scientifique suffisamment solide pour confirmer que la publicité aurait un impact
négatif sur l’équilibre nutritionnel (Masserot, 2007). Tout au moins ces recherches
permettent de retirer les enseignements suivants :
- Les enfants passent un temps très important devant leur poste de télévision.
- Ils sont exposés à de nombreux messages publicitaires jouant sur des éléments
affectifs auxquels les enfants sont réceptifs.
Si l’efficacité de la publicité est reconnue dès lors qu’il s’agit de promouvoir des
produits peu diététiques, on peut également s’en servir à des fins plus positives en
diffusant des messages de santé publique.
2
Tarrit J. M., (1987) « La médiatique : le traitement publicitaire des médias », Chotard et associés
éditeurs.
3
Dagnaud M., (2003), « Enfants, consommation et publicité télévisée », éd. La documentation
Française, n° 5166, Janvier 2003.
5
3.
La publicité télévisée comme vecteur de messages d’équilibre nutritionnel
En 2006, le PNNS (Programme National Nutrition Santé) a lancé une vaste
campagne publicitaire pour promouvoir une alimentation équilibrée. Faisant, en quelque
sorte, suite à ces spots, les messages de santé publique diffusés en bandeaux depuis
février 2007, recommandent aux téléspectateurs de faire attention à leur alimentation
pour préserver leur santé. Ainsi, quatre types d’allégations sont insérés dans les spots
promouvant des produits alimentaires :
- « Pour votre santé, mangez au moins cinq fruits et légumes par jour » ;
- « Pour votre santé, évitez de manger trop gras, trop salé, trop sucré » ;
- « Pour votre santé, évitez de grignoter entre les repas » ;
- « Pour votre santé, pratiquez une activité physique régulière ».
Par ailleurs, il est précisé que les messages de recommandations sanitaires devront
« être présentés de manière aisément lisible et clairement distinguable du message
publicitaire» et doivent occuper au minimum 7% de l’espace publicitaire. Par ailleurs,
des bandeaux plus spécifiquement dédiés aux enfants sont diffusés lors des émissions de
jeunesse. Le tutoiement peut être utilisé et l’accroche « pour votre santé » peut être
remplacée par « Pour bien grandir ».
Suite à tous ces constats, il nous a semblé intéressant de connaître la réaction des
enfants envers ces messages compte tenu du rôle de plus en plus influent qu’ils ont au
sein de leur famille, notamment dans le domaine alimentaire.
4.
Méthodologie mise en œuvre
Pour mener cette recherche, une démarche qualitative a été privilégiée. Vingt enfants
de 8 à 12 ans habitant en Haute-Normandie ont été recrutés. Ce segment d’âge a été
choisi car il nous semblait nécessaire que l’enfant puisse lire pour comprendre le
bandeau diffusé en bas des spots télévisés. De façon à accroître la validité interne de
notre étude, nous avons fait varier les catégories sociales (CSP des parents), l’âge et le
sexe des enfants.
Des entretiens semi-directifs en présence de leur père, de leur mère ou de leurs deux
parents ont été mis en place. Ils ont duré en moyenne trente minutes.
Six étudiantes de l’IUT d’Evreux menant un projet tutoré portant sur le programme
EPODE (Ensemble Prévenons l’Obésité des Enfants) (Ezan et Ayadi, 2006) nous ont
aidées à mener ces entretiens qui ont été structurés à partir de trois types de
questionnements :
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- Perception des messages sanitaires par les enfants. Nous avons cherché à apprécier
si les enfants faisaient le lien entre la catégorie de produits et le message diffusé
(reconnaissance de la marque, reconnaissance du lien entre diffusion du message et
produits alimentaires de type sucreries, céréales, produits laitiers…). Par ailleurs, nous
avons voulu savoir si les enfants avaient perçu les différents types de messages et s’ils
en avaient mémorisé certains.
- Degré d’adhésion de l’enfant envers ces messages sanitaires. Les questions posées
aux enfants ont visé également à apprécier quel était leur niveau d’agrément par rapport
à ces allégations. Est-ce qu’ils trouvaient que ces messages étaient nécessaires ? Est-ce
qu’ils pensaient que cela ne servait pas à grand-chose ?
- Impact de ces messages sur leurs pratiques alimentaires. Il s’agissait ici de mettre
en évidence les modifications ou non de comportements induites par ces petites
phrases en termes de prescription enfantine : l’enfant donne-t-il davantage de conseils
alimentaires à ses parents (il faut manger des fruits ou des légumes tous les jours, par
exemple). Par ailleurs, l’enfant a-t-il pris conscience de l’importance d’équilibrer son
alimentation et cela se traduit-il notamment par l’arrêt du grignotage entre les repas ?
Enfin, nous avons voulu savoir si ces messages sanitaires avaient suscité une curiosité
des enfants au niveau de l’information recherchée. Ont-ils par exemple visité le site
www.mangerbouger.com ?
Ces messages ont été enregistrés puis retranscrits. Ils ont fait l’objet d’une analyse
de contenu thématique. Les propos ont été répartis selon trois catégories d’analyse
relatives à la théorie de la hiérarchie des effets montrant les différentes étapes selon
lesquelles s’opèrent les mécanismes de persuasion publicitaire :
Phase cognitive : L’enfant perçoit-il les messages ?
Phase affective : L’enfant est-il sensible aux messages ?
Phase conative : Quelles réponses comportementales, les enfants donnent-ils à ces
messages ?
5.
Résultats
5.1. La perception des messages sanitaires par les enfants
Les enfants interrogés connaissent tous ces bandeaux publicitaires : « Oui, si vous
avez mangé trop et tout ça là ? Oui je les regarde souvent ces pubs : il faut manger 5
fruits et légumes par jour. » (J. 10 ans). « Ah oui, c’est comme la « fresh attitude » :
c’est une nouvelle pub. C’est qu’on mange que des fruits, légumes et un tout petit peu
de viande. C’est une pub pour qu’on mange que des fruits et des légumes c’est tout (M.
11ans).
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Ils ont été capables d’en mémoriser quelques-uns : Voici des exemples de verbatim
lorsque nous leur avons demandé de nous citer le message : « ne pas manger ni trop
gras, ni trop … je ne me rappelle plus », « pas grignoter entre les repas », « il faut se
dépenser », « manger bouger ».
Les enfants les plus âgés connaissent les objectifs de ces messages sanitaires :
« C’est pour la santé des enfants », « ça nous aide à comprendre qu’il ne faut pas trop
manger n’importe quoi », « C’est pour ne pas devenir gros », « C’est fait pour mieux
manger, et faire attention. », « c’est pour faire attention de ne pas grossir et pour
donner envie de manger des légumes », « pour éviter l’obésité ».
Néanmoins, pour les plus jeunes d’entre eux, le message n’est parfois pas assimilé et
il semble exister un écart entre le message voulu par l’annonceur et celui effectivement
perçu par l’enfant : « Je me dis 5 fruits et légumes par jour... C’est ce que je me dis,
mais imaginons : par exemple, nous dans notre coupelle, on a cinq ananas seulement,
on ne va pas manger 5 ananas pour une journée ! Et aussi, dans nos coupelles, c’est
que des légumes, euh on a cinq gros légumes, cinq gros choux, on ne va pas manger
cinq gros choux en une journée ! » (C. 9 ans). Un autre exemple : « Bah, c’est pour que
comme ça on va jouer à la dînette avec Marie et pour qu’on cuisine des gâteaux avec
tout plein de chocolat ! » (E. 8 ans).
A notre surprise, les enfants n’ont pas évoqué le paradoxe entre le fait que les
images montrent des bonnes choses à manger et les messages leur disant de faire
attention à ne pas consommer des produits trop gras ou trop sucrés.
5.2. Degré d’adhésion de l’enfant envers ces messages sanitaires
Quelques enfants trouvent les messages agaçants : « C’est énervant à force », « Je
n’aime pas parce que ma maman me fait plus de légumes et je n’aime pas ! », « j’aime
pas quand ils en parlent, ça m’énerve ! », « Je trouve ça nul : c’est à moitié végétarien !
C’est Auchan qui fait cette pub. C’est pour manger plus de fruits, les légumes et pour
éviter de grossir. De toute façon, en ce moment, les pubs, c’est que pour ça, pour ne pas
grossir » (M. 11ans).
Inversement, la grande majorité des enfants considère que la répétition des messages
permet de prendre conscience de l’importance de l’équilibre nutritionnel. D’autres y
adhèrent : « Des fois c’est utile, comme pour les enfants qui sont un peu gros… »,
« c’est bien car il y en a qui font pas attention à eux ». Deux enfants se posent la
question de la légitimité de ces messages publicitaires à la télévision : « Non, passer ça
à la télé, non. Quand c’est sur des pages de livre pour publicité encore, ça peut aller
mais en plein dans la télé, ça coûte cher pour dix secondes » (C, 9 ans). On note que la
plupart d’entre eux n’apprécient pas que ces messages soient diffusés en même temps
que la publicité. Ainsi, nous avons relevé à plusieurs reprises des jugements
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défavorables quant aux bandeaux publicitaires qui « gâchent » la publicité : « c’était
mieux avant quand il n’y avait rien marqué en bas ».
Impact des messages sanitaires sur les pratiques alimentaires des enfants
Il s’avère que les enfants se considèrent comme les principaux destinataires de ces
messages qui ont pourtant une visée plus familiale. Ceci montre que les jeunes
téléspectateurs ont bien compris l’enjeu de l’équilibre alimentaire sur leur santé.
Néanmoins, les discours recueillis indiquent que les messages sanitaires n’ont pas
vraiment incité les enfants à persuader leurs parents de « mieux manger ». Leur rôle de
prescripteur qui est souligné dans le domaine de la consommation ne semble pas
vraiment opérer ici. On note, à ce propos, que les spots provoquent peu de discussions
entre les enfants et leur famille.
Cela invite à se demander si cette mesure est réellement efficace pour engendrer une
modification des comportements alimentaires à court terme. Ajoutons pour souligner
cette interrogation qu’un seul enfant parmi nos jeunes informants a visité par curiosité le
site www.manger.bouger.com.
Conclusion
Il apparaît que les bandeaux publicitaires sont très éloignés de ce que les enfants
apprécient dans les spots à la télévision. Ils rejettent, en grande majorité, ces messages
qui supposent un effort de lecture et donc un « travail ». Or pour eux, la publicité est
d’abord envisagée comme un spectacle, quelque chose d’agréable à regarder. Ceci
rejoint les travaux de Derbaix (1982) validés ensuite par de nombreuses autres études
qui ont montré que les enfants réagissent à une publicité tout d’abord sur un mode
affectif. Cette affectivité les rend plus perméables aux messages qui sont conçus comme
des divertissements. Ainsi plusieurs recherches ont montré que les enfants étaient
davantage sensibles aux éléments d’exécution des publicités (personnages, musique,
couleurs) plutôt qu’aux arguments incitatifs. Ensuite, il semblerait que ces messages
n’aient pas atteint leur objectif. En effet, si en terme cognitif, les messages sont retenus,
ils ne sont pas appréciés et ils n’ont pas entraîné de modifications notables de
comportements dans les pratiques alimentaires.
Notre recherche présente, cependant, un certain nombre de faiblesses. Tout d’abord,
le nombre d’enfants interrogés est limité pour prétendre à toute généralisation des
résultats. Tout au plus avons-nous pu mettre en relief un certain nombre de thèmes
récurrents. De plus, la présence des parents lors des entretiens, a pu biaiser les résultats.
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Par ailleurs, nous nous sommes limitées à la région de la Normandie pour des raisons de
facilité d’accès au terrain, ce qui ne permet pas d’être suffisamment exhaustif.
Néanmoins, ce travail à caractère exploratoire constitue une des premières études
qui s’inscrit dans un programme de recherche plus vaste baptisé MARCO (Marketing to
Children and Obesity) financé par l’ANR. Ce programme vise à mieux cerner l’impact
du marketing dans la montée de l’obésité des enfants et à proposer des solutions à partir
d’une approche systémique pour tenir compte des causes multifactorielles du
phénomène (Ayadi et Young., 2006).
Bibliographie
Ayadi K. et Young B., “Community partnerships: preventing childhood obesity” Young
Consumers: Insight and Ideas for Responsible Marketers, Volume 7, Number 4, 2006 , p. 35-40
(6).
Brée J., Marketing, enfants et obésité, Enfances et Psy, Dossier Trop de poids, trop de quoi ? Sous
la direction de Huerre et Daviaud, Editions Erès, 2005, p.27-36.
Dagnaud M., Enfants, consommation et publicité télévisée, Paris, La Documentation Française,
2003.
Derbaix C., « L’enfant, la consommation publicitaire et la hiérarchie des effets », Revue Française
du Marketing, cahier 58, septembre-octobre, 1982, p.7-26.
Ezan P. et Ayadi K., « Lorsque le marketing participe à la réduction de la prévalence de l’obésité
chez l’enfant : le Cas Epode », Actes du 12ème Colloque National de la Recherche en IUT, Brest,
1-2 juin 2006.
Masserot C., « Publicité télévisée et obésité infantile : l’ambiguïté d’une relation », Actes des
6èmes journées de Recherche sur la Consommation, Sociétés et Consommations, 19-20 mars
2007, Rouen.
OCDE, « Publicité destinée aux enfants, attestation à des fins publicitaires », rapport du comité de
la politique à l’égard des consommateurs (OCDE), 1992.
Pécheux C., Derbaix C., Charry K., « Enfants, Alimentation et obésité : quels rôles pour la
publicité ? », Actes du XXIIème Congrès de l’Association Française du Marketing, 11 et 12 mai
2006, Nantes.
Tarrit J. M., La médiatique : le traitement publicitaire des médias, Chotard et associés éditeurs,
1987.
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