SERMON DU DIMANCHE DE LA RESURRECTION DU SEIGNEUR

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SERMON DU DIMANCHE DE LA RESURRECTION DU SEIGNEUR
SERMON DU DIMANCHE DE LA RESURRECTION DU SEIGNEUR
TRADUCTION
1. Lève-toi, Seigneur, sauve-moi parce que tu as frappé tous ceux qui étaient contre
moi sans cause1.
[PROTHEME] Seigneur Dieu, je t'en prie, sois favorable, qui rétablira2 Jacob parce qu'il est
petit3 ? Le verset qui nous est proposé en second lieu, 5 se lit en Amos ; dans ce verset, est
montrée avec pertinence l'immense noblesse du Christ ressuscité en ce qui concerne la
hauteur suprême de son être. Tandis que, en raison de l'élévation de son être, d'une certaine
façon, il meurt dans notre esprit 10; en raison de la réalité certaine de son être, ce que nous
savons de lui est une erreur de notre connaissance ; en raison de la grandeur de son être, il est
rabaissé quand nous le rabaissons à notre échelle. C'est parce qu'il meurt dans notre esprit, 10
par rapport à la hauteur de son être, qu'Amos demande avec inquiétude qui rétablira Jacob ?
Jacob qui est mort dans notre esprit. En raison de la réalité certaine de son être, notre
connaissance se trompe, c'est pourquoi est cité le nom de Jacob. Le nom de Jacob, se traduit
par celui qui fait trébucher4 ; en effet, au sujet de la réalité certaine de son être, notre
connaissance trébuche, tandis qu'elle fait effort pour comprendre la hauteur suprême selon ce
que 15 dit le Psaume : L'homme pénètrera au fond de son cœur et Dieu sera exalté5. C'est
parce que, quand nous le ramenons à notre échelle, il est rabaissé par rapport à la grandeur de
son être, qu'Amos ajoute : parce qu'il est petit. En effet bien que le soleil soit huit fois plus
grand que la terre si on le considère du point de vue de la terre, il paraît plus petit qu'elle, alors
qu'il est plus grand. Or, voulant ôter ces erreurs de l’esprit des fidèles, Amos invoque : 20
premièrement le pouvoir qu’a le Père pour ressusciter un mort, en disant : Seigneur, c'est-àdire : toi qui peux ressusciter celui qui est mort dans nos représentations mentales ;
deuxièmement la vérité éternelle pour révéler ce qui nous est inconnu, quand il ajoute : Dieu,
c'est-à-dire : toi qui peux révéler à notre connaissance ce qui nous est inconnu ; troisièmement
l’amour du Père 25 pour exalter le Christ, en ajoutant : Sois favorable, je t’en conjure, pour
que l’on doive l’exalter à notre échelle. Donc, comme nous désirons présenter quelques
considérations sur l’immensité de la résurrection du Christ, invoquons, à l’exemple d’Amos,
premièrement l’autorité du Père, pour qu’il ressuscite celui qui était mort dans notre esprit ;
deuxièmement la vérité éternelle 30, pour qu’elle révèle à notre connaissance ce qui lui était
inconnu ; troisièmement l’amour du Père, pour qu’il exalte le Christ à notre échelle. Enfin,
comme est ressuscité en nous celui qui donne la vie à tout, comme est manifesté en nous celui
qui éclaire tout, comme est exalté en nous celui qui surpasse tout, puissions-nous, par son
intermédiaire, moi prononcer et vous entendre 35 des propos aptes à glorifier et honorer le
ressuscité ainsi qu’à consoler les âmes. Amen.
1
Ps 3, 7 non timebo milia populi circumdantis me exsurge Domine salvum me fac Deus meus 8 quoniam tu
percussisti omnes adversantes mihi sine causa dentes peccatorum contrivisti.
2
Il faut remarquer que la citation est choisie à cause de ce verbe, en concordance avec la résurrection. En effet,
le verbe suscitare (lever, faire se lever, ranimer…) a pour dérivé le verbe resuscitare. Il s’agit donc ici d’un
choix de citation par concordance lexicale.
3
Am 7, 2 et factum est cum consummasset comedere herbam terrae et dixi Domine Deus propitius esto obsecro
quis suscitabit Iacob quia parvulus est ?
4
Mot à mot : celui qui fait un croc-en-jambe (supplantator).
5
Ps 63, 7 scrutati sunt iniquitates defecerunt scrutantes scrutinio accedet homo ad cor altum 8 et exaltabitur
Deus sagittae parvulorum factae sunt plagae eorum.
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[SERMON]
2. Lève-toi, Seigneur, sauve-moi, parce que tu as frappé tous ceux qui
s'opposaient à moi sans raison6. Aujourd'hui a brillé pour nous ce jour de fête d'exaltation et
de joie. Elle est arrivée la joie de Pâques, dans une immense allégresse 40, car nous sommes
invités aux noces de l'Agneau ressuscité et de son épouse, notre mère l'Eglise. C'est pourquoi,
très chers, réjouissons-nous dans notre âme, exultons dans notre comportement, glorifions
Dieu dans nos paroles7, pour rendre au Christ notre rédempteur et à son épouse une louange
joyeuse et belle8. Réjouissons, dis-je, de l'accroissement de notre joie, 45 exultons à cause du
fruit de notre confiance, glorifions au Seigneur la gloire dûe pour l'accroissement de notre
victoire et disons au Christ triomphant avec la joie de notre cœur9 : Tu es l'espoir de notre
combat, tu es la gloire de notre race, parce que tu as vaincu tous tes adversaires. En effet, en
naissant il a partagé le sort de notre nature, en souffrant sa passion [il a apporté] le bénéfice 50
de la grâce, mais en ressuscitant il a réalisé l'accomplissement de la gloire. Le prophète David
désirait que cette joie pascale et le bienfait infini de cette gloire arrive de son temps, il
s'exclamait, mu par de très ardents10 désirs, en disant : Lève-toi, Seigneur, sauve-moi. Ces
mots expriment trois choses dans un ordre tout à fait juste : l'appel affectueux à la 55
résurrection du Seigneur, la parfaite libération de l'homme captif et la juste extermination du
pouvoir diabolique. En effet, aujourd'hui, Notre Seigneur Jésus Christ est ressuscité par sa
propre force, il a libéré l'homme captif du pouvoir diabolique et il a renversé le diable avec
son armée dans les profondeurs de la mer infernale11. Ainsi en premier lieu, 60 est noté l'appel
affectueux à la résurrection du Seigneur lorsqu'il dit : Lève-toi, Seigneur, c'est-à-dire d'entre
les morts ; en second lieu, la parfaite libération de l'homme captif, lorsqu'il ajoute : sauve-moi
; en troisième lieu, l'extermination de la puissance diabolique, lorsqu'il termine : parce que tu
as frappé tous ceux qui s'opposaient à moi sans raison. Il est dit sans raison, en ce qu'il
convient que l'homme soit 65 détenu justement, mais le diable le détenait injustement, c'est
pourquoi la destruction de son pouvoir fut juste.
3. Il dit donc : Lève-toi, Seigneur où est notée l'exclamation12 affectueuse de la
résurrection du Seigneur. Cette résurrection devait être vraiment désirée affectueusement de
toutes les fibres du cœur, 70 elle devait être invoquée par les mots mélodieux d'une parole
libérée à cause des trois privilèges spirituels que le Christ a détenus lors de sa résurrection et
qui nous sont utiles plus que tout. Le premier privilège fut la primauté de la nouveauté
inhabituelle. Le second privilège fut la force de son propre pouvoir. Le troisième privilège fut
l'exemplarité de notre destin, c'est-à-dire la résurrection. 75
6
Ps 3, 7 non timebo milia populi circumdantis me exsurge Domine salvum me fac Deus meus 8 quoniam tu
percussisti omnes adversantes mihi sine causa dentes peccatorum contrivisti.
7
Il y a une réelle difficulté à traduire ces trois plans de réalité. Cela pourrait correspondre à ceci : la joie est dans
l’âme (in animo) ; l’exultation se manifeste par des signes extérieurs (in signo) ; la glorification se fait par la
parole (in verbo).
8
Ps 146, 1 alleluia Aggei et Zacchariae laudate Dominum quoniam bonum psalmus Deo nostro sit iucunda
decoraque laudatio.
9
Le groupe ternaire des l. 42-43 est repris aux l. 44-46 avec l'ajout d'un quatrième verbe : "disons" ("dicamus").
10
Au lieu de lire : "très odorants" ("fragrantissimis") comme l'indique l'éd. Bougerol (21SDM, p. 281, §2, l. 52),
il vaut mieux lire : "très ardents" ("flagrantissimis") avec l'éd. Quaracchi (9, p. 272b).
11
Ex 14, 28 reversaeque sunt aquae et operuerunt currus et equites cuncti exercitus Pharaonis qui sequentes
ingressi fuerant mare ne unus quidem superfuit ex eis.
12
Remarques sur la traduction de ce membre de phrase : dominicae resurrectionis affectuosa exclamatio,
"l’appel affectueux à la résurrection du Seigneur". Dans cette citation, qui commente le début du Psaume 3, 7 :
Exsurge Domine, exclamatio n'est pas repris littéralement, car une telle traduction : "l’exclamation de la
résurrection" ne paraît pas, en soi, très compréhensible. Traduire par "proclamation" ne semble pas non plus
heureuse car S. Bonaventure, se conformant à la tradition, attribue ce Psaume à David en tant que prophète :
propheta David (l. 52). Il peut prophétiser, annoncer la résurrection du Christ, mais pas la proclamer, puisqu’elle
n’est pas réalisée. Il énonce surtout un appel, appel prophétique certes, à l’accomplissement de la résurrection,
comme le montre l’emploi de l’impératif : Lève-toi, Seigneur.
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4. Premièrement le Christ acquit la primauté de la nouveauté inhabituelle dans sa
résurrection. Il n'existait en effet personne qui ait survécu à la mort de sa misérable vieillesse
pour ressusciter d'entre les morts en inaugurant la joie inestimable d'une vie nouvelle, car c'est
de cette façon que le Seigneur, Jésus Christ, fut le premier né d'entre les morts13 qui, après
avoir vaincu le pouvoir de la mort, fut couronné du 80 diadème14 d'une incorruptibilité
nouvelle. Qui donc dut vaincre le premier la tristesse de la mort installée (dans le monde) et
inaugurer la joie de notre immortalité, sinon celui qui possédait la clé pour ouvrir l'entrée de
l'éternité ? C'est lui en effet, lui, qui avait l'autorité suffisante, pouvait ordonner aux anges :
Levez vos portes, princes, élevez-vous portes éternelles15. En effet 85 par mon sang, la
concordance universelle a été restaurée et remise la sentence judiciaire. Car maintenant que
l'épée de feu de la porte du paradis16 a été écartée je veux que se rouvre la porte du ciel, parce
que je suis le Seigneur des armées qui, avec son propre sang, après avoir vaincu le diable, a
conquis le royaume céleste. Et c'est pourquoi, non pas en tant que Dieu, 90 mais en tant
qu'homme, c'est lui le roi de gloire17. C'est de cette nouveauté dont parle la première aux
Corinthiens : Le Christ est ressuscité d'entre les morts, prémisses de ceux qui se sont
endormis parce que la mort étant venue par un homme, c'est par un homme que vient la
résurrection des morts18. Et comme en Adam tous sont morts… L'Apôtre, à la fois prudent et
discret, en exprimant les prémisses 95 de la nouveauté, celles que le Christ a acquises en
ressuscitant, premièrement afin que la consolation ne soit pas dissoute dans la joie, présente la
misère de la mort qui est la matière de la désolation, quand il dit : la mort étant venue par un
homme ; deuxièmement, afin que la désolation ne se transforme pas en tristesse, il ajoute le
remède de la résurrection qui est la matière de la consolation avec ces mots : c'est par un
homme, 100 le Christ, que vient la résurrection des morts. Donc, pour que la consolation et la
désolation s'adoucissent l'une l'autre, comme la mort, bien qu'elle tire son origine
occasionnelle de la tromperie de l'ennemi, trouve cependant sa cause, ou origine immédiate,
dans l'arrogance de l'esprit et son accomplissement dans la concupiscence de la chair, l'Apôtre
dit : comme tous meurent en Adam, pour prix de sa prévarication ; mais parce que le remède à
la mort 105 passe par la miséricorde divine, pour prix de la passion du Seigneur, il ajoute :
dans le Christ tous sont vivifiés, pour prix de sa passion. Donc la cause première et immédiate
de la mort n'est pas Dieu, puisqu'il est l'être suprême et indéfectible et la mort est la plus
grande de toutes les privations produite par la punition, mais la cause première est bien la
volonté s'éloignant de la rectitude et de la justice 110 perpétuelle, comme il est dit en Sagesse :
Ce n'est pas Dieu qui a fait la mort et il ne se réjouit pas de la perte de ceux qui meurent19. La
justice est stable et immortelle20. Le salaire de l'injustice, c'est la mort.
13
Ap 1, 5 et ab Iesu Christo qui est testis fidelis primogenitus mortuorum et princeps regum terrae qui dilexit
nos et lavit nos a peccatis nostris in sanguine suo.
14
Il faut se souvenir ici que le thème du Sermon dimanche des Rameaux a porté sur le parallèle de couronnement
entre Salomon et Jésus. Voir le Sermon de ce dimanche, éd. Bougerol (21SDM p. 272-279) qui prend pour verset
thématique Ct 3, 11.
15
Ps 23, 9 adtollite portas principes vestras et elevamini portae aeternales et introibit rex gloriae.
16
Gn 3, 24 eiecitque Adam et conlocavit ante paradisum voluptatis cherubin et flammeum gladium atque
versatilem ad custodiendam viam ligni vitae.
17
Ps 23, 10 quis est iste rex gloriae Dominus virtutum ipse est rex gloriae diapsalma.
18
1 Co 15, 20 nunc autem Christus resurrexit a mortuis primitiae dormientium 21 quoniam enim per hominem
mors et per hominem resurrectio mortuorum 22 et sicut in Adam omnes moriuntur ita et in Christo omnes
vivificabuntur.
19
Au lieu de vivants (vivorum) dans la Vulgate, S. Bonaventure a écrit ceux qui meurent (morientium).
20
Sg 1, 13 quoniam Deus mortem non fecit nec laetatur in perditione vivorum 15 iustitia enim inmortalis est. S.
Bonaventure a ajouté au texte biblique l'adjectif "perpetua".
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5. Deuxièmement le Christ en sa résurrection a montré la force de son propre pouvoir. En
effet, il n'eut pas besoin de l'aide d'une prière 115 dévote ni du secours de l'aide angélique,
bien qu'il ait fait usage de l'obéissance de la milice céleste. Le Psaume dit à ce propos : A
cause de la misère des faibles et du gémissement des pauvres maintenant je me lèverai dit le
Seigneur21. Les pauvres et les faibles étaient les saints pères vivant dans les limbes comme
dans une prison très affreuse n'ayant aucun moyen de s'en libérer. Ainsi, très malheureux, 120
ils poussaient des gémissements, désirant de tout leur cœur que survienne plus vite le bien de
la résurrection ; exauçant leurs vœux le Seigneur dit maintenant je me lèverai. Il parle à la
première personne comme celui qui a le pouvoir de donner son âme dans la passion et celui
de la reprendre22 dans la résurrection. Mais le philosophe de la nature objectera peut être :
"Comment 125 cela a-t-il pu se faire qu'un corps animal composé d'éléments contraires soit
indissoluble et demeure perpétuellement23 ?" A quoi le théologien répond : "Si tu veux, afin
que ton argument tienne sur l'ensemble du sujet, je te démontrerai de nombreuses
incongruités. En effet, d'abord tu veux que Dieu ne puisse pas [faire] plus que la nature et
l'artisan plus que l'ouvrage, que cela soit illogique, nul n'en doute. 130 Le philosophe donne
aussi cet argument : cela est impossible selon la nature, donc c'est tout simplement
impossible. Je réponds : certainement pas. Le second illogisme est que tu veux que la nature
possède des pouvoirs occultes, comme l'aiguille aimantée attire le fer et comme la salamandre
qui survit au feu et bien d'autres choses. Mais tu veux que Dieu n'ait de pouvoir que celui que
tu 135 peux voir avec tes yeux. C'est là le maximum de l'illogisme qui constate que nous ne
voyons qu'un petit nombre des œuvres de Dieu et beaucoup des plus grandes nous sont
cachées comme le dit Ben Sirac24. Le troisième c'est que tu veux que Dieu ait promis
obéissance à la nature, si cela fût vrai, alors il n'aurait pas rendu la vue à l'aveugle, il n'aurait
pas guéri le lépreux, 140 il n'aurait pas ressuscité un mort. Quatrièmement tu supposes à tort :
tu avances par illogismes en disant que le corps animal est composé de contraires : parce qu'il
ne s'agit pas de l'animal mais du corps spirituel et celui-ci est élevé et situé au-dessus de tout
contraire grâce à la disposition acquise de la gloire et par l'âme il peut être conservé en vie
pour l'éternité. Et on peut conclure à ces paroles en 145 citant celles d'Augustin dans sa lettre à
Consentius25, où il dit ceci :
"C'est d'après les œuvres de ce monde dont elle a l'expérience que la faiblesse humaine
mesure les œuvres divines dont elle n'a aucune expérience, et elle se répand en bavardages
subtils : s'il y a la chair, il y a aussi le sang ; s'il y a le sang, il y a aussi les autres humeurs;
s'il y a les autres humeurs, il y a donc aussi la corruption. On pourrait dire de la même
façon : s'il y a une flamme, elle est ardente ; si elle est ardente, elle brûle ; si elle brûle,
elle a donc 150 brûlé les corps des trois hommes jetés dans la fournaise par un roi impie26.
Si tu crois à la réalité de ce miracle, pourquoi ces controverses sur des choses
miraculeuses ? Si tu n'y crois pas, ta cécité sera plus grande que celle des juifs. La
puissance divine a donc le pouvoir d'enlever de la nature corporelle, les qualités qu'elle
veut, tout en en conservant certaines ; elle a ainsi le pouvoir de 155 maintenir vigoureux
des membres mortels en écartant d'eux l'action de la mort. Elle a le pouvoir de faire que
l'image soit vraie, sans aucune corruption ; que le mouvement soit vrai, sans aucune
fatigue ; que la faculté de manger soit vraie sans être poussée par la faim."
21
Ps 11, 6 propter miseriam inopum et gemitum pauperum nunc exsurgam dicit Dominus ponam in salutari
fiducialiter agam in eo.
22
Jn 10, 18 nemo tollit eam a me sed ego pono eam a me ipso potestatem habeo ponendi eam et potestatem
habeo iterum sumendi eam hoc mandatum accepi a Patre meo.
23
Aristote, De iuvent. et senect. C. 3 (469b, 21-27).
24
Si 43, 36 multa abscondita sunt maiora horum pauca enim vidimus operum eius.
25
S. Augustin, Epist. 205 ad Consentium, c. 1, n. 4 (PL 33, 943 ; CSEL 37, 325-327).
26
Cf. Dn 3, 13-30.
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6. Troisièmement, on devait désirer cette résurrection parce qu'elle est l'archétype27 de
notre résurrection, c'est-à-dire de notre destin. Le Christ, tête 160 et archétype, a ressuscité
pour nous nous assurer, nous qui sommes ses membres, de notre résurrection ; sinon il serait
monstrueux que la tête ressuscite sans les membres. Et sur ce point l'Apôtre argumentait très
bien et très efficacement contre ceux qui niaient la résurrection en disant dans la première aux
Corinthiens : Si les morts ne ressuscitent 165 pas Christ non plus n'est pas ressuscité28. Si
donc il est nécessaire que le Christ ait ressuscité, que ce qui produisit alors ne se produise pas
; il est donc nécessaire que les morts ressuscitent. D'où ce qui suit aussitôt : Il faut en effet que
le corruptible revête l'incorruptibilité et le mortel revête l'immortalité29. C'est pourquoi pour
insérer dans le cœur des fidèles la foi en la 170 résurrection et enlever l'incertitude30 que créent
le manque de foi et le désespoir, il dit dans la première aux Thessaloniciens : Si nous croyons
que Jésus est mort et qu'il est ressuscité, de même ceux qui se sont endormis en Jésus, Dieu
les emmènera avec celui-ci [Jésus]31. Partageant donc la fermeté de la foi avec le bienheureux
Job32, nous ne devons pas nous attrister de la mort d'un quelconque bon chrétien, 175 comme
les autres qui n'ont pas d'espérance33.
7. En second lieu vient la libération parfaite de l'homme captif, quand le Psaume ajoute :
sauve-moi. En effet le Christ a parfaitement libéré, ou même sauvé, l'homme de sa misère, en
ce que premièrement, il l'a sauvé des atteintes de la faute totale par l'infusion de la grâce
justifiante ; deuxièmement, 180 il l'a sauvé de la peine liée à l'imputation du péché en endurant
la mort qui obtient réparation34 ; troisièmement, dans la résurrection générale, il l'a libéré
complètement de la calamité de la misère corporelle par le don de la gloire qui restaure l'être.
8. Premièrement il l'a sauvé des atteintes de la faute par 185 l'infusion de la grâce
justifiante. L'épître aux Ephésiens dit à ce propos : Mais Dieu qui est riche en miséricorde, à
cause de l'amour extrême dont Il nous a aimés, alors que nous étions morts du fait du péché,
Il nous a faits revivre en Christ, dont la grâce vous a sauvés35. Dieu le Père fut vraiment riche
et surabondant en miséricorde, quand, pour montrer l'immense charité 190 et l'amour qu'il
avait à notre égard, il a voulu que nous, qui étions morts du fait de nos péchés, il a voulu nous
27
S. Bonaventure emploie le mot "exemplaritas". En effet, "l’exemplarisme" est la base de sa théologie. Mais en
français courant le mot "exemplaire" a pris un sens plus restreint. Voir à ce sujet, "Exemplar" dans le Lexique
Saint Bonaventure, p. 61b-65b.
28
1Co 15, 16 nam si mortui non resurgunt neque Christus resurrexit.
29
1Co 15, 53 oportet enim corruptibile hoc induere incorruptelam et mortale hoc induere inmortalitatem. S.
Bonaventure a remplacé l'adjectif biblique incorruptible (incorruptelam) par le substantif incorruption
(incorruptionem) sans doute pour donner plus de poids à son argumentation et pour équilibrer avec immortalité
(immortalitatem).
30
Ce mot traduit "ambiguitas". On ne voit pas autrement en quoi consisterait l’"ambiguïté" dans le contexte.
31
1Th 4, 14 si enim credimus quod Iesus mortuus est et resurrexit ita et Deus eos qui dormierunt per Iesum
adducet cum eo.
32
Cf. Jb 19, 25 scio enim quod redemptor meus vivat et in novissimo de terra surrecturus sim.
33
1Th 4, 12 nolumus autem vos ignorare fratres de dormientibus ut non contristemini sicut et ceteri qui spem
non habent.
34
Le vocabulaire théologique qu'utilise S. Bonaventure est difficile à traduire parce qu'aujourd'hui il n'est guère
plus utilisé. C'est la raison pour laquelle nous avons recours à des périphrases, ainsi : "satisfactoria" est traduit
par "qui obtient réparation (du péché)" à la l. 181 et "reformans" par "qui restaure l’être" à la l. 182.
35
Ep 2, 4 Deus autem qui dives est in misericordia propter nimiam caritatem suam qua dilexit nos 5 et cum
essemus mortui peccatis convivificavit nos Christo gratia estis salvati. S. Bonaventure a écrit le péché (peccato)
alors que la Vulgate a lu le pluriel les péchés (peccatis), sans doute par référence au péché d'origine bien présent
dans son sermon.
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donner la vie et nous sauver de la mort résultant de tout péché, en infusant36 en nous la vie de
la grâce, par le mérite de la passion de son Fils unique. Certainement, si le torrent d'une si
grande douceur atteint les âmes chrétiennes, il n'y a pas lieu d'être ingrat. Bien au contraire,
pour répondre au dévouement extrême de son amour, il faut nous répandre 195
continuellement en actions de grâces. Pareillement à ce propos, l'ange a dit à la Vierge Marie :
C'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés37.
9. Deuxièmement il l'a sauvé de la peine liée à l'imputation du péché en endurant la mort
qui en obtient réparation, comme il est dit en Isaïe : Quel 200 est celui qui vient d'Edom, de
Bosra avec ses vêtements teints ? Il est beau dans sa robe et il s'avance avec une force toute
puissante. Je suis celui qui parle la justice et je viens pour défendre et pour sauver. Pourquoi
donc ton vêtement est-il rouge ? et pourquoi ton habit38 est-il rouge et tes vêtements sont-ils
comme de ceux qui foulent au pressoir ? J'ai été seul à fouler au pressoir et nul homme
d'entre les peuples n'était avec moi39. Ainsi, les esprits angéliques 205 voyant le Christ, beau
dans sa robe, s'avancer avec une force toute puissante, en raison de leur admiration extrême,
font retentir ces paroles : Quel est celui qui vient d'Edom ? En effet Edom veut dire
sanguinolent ; avec ses vêtements teints, à cause d'une abondante aspersion de son propre
sang, qui a coulé de ses mains et de ses pieds au moment 210 de la crucifixion, de sa tête lors
du couronnement d'épines, de tout le corps à la flagellation et de son cœur par l'ouverture du
côté. De plus : Quel est celui qui vient de Bosra, c'est-à-dire du lieu de la tribulation et de
l'angoisse ? En effet, Bosra signifie angoisse. Jésus leur répond : Je suis celui qui parle la
justice, en l'annonçant en paroles et en l'accomplissant en actes. En effet, j'ai accepté 215 la
mort à cause de l'inflexible rigueur de la justice divine qui punit en raison de la première
prévarication ; et je viens pour défendre et pour sauver vos pères des limbes infernales à
cause d'un décret immuable et d'une promesse faite sous serment ; serment que Dieu le Père a
juré à Abraham promettant qu'il me donnerait à lui comme prix de la libération, pour que,
sans crainte, mon peuple libéré de la main 220 des démons, puisse librement servir Dieu40.
C'est pourquoi l'habit de mon corps est rouge et sanguinolent ; et mes vêtements, c'est-à-dire
mes membres sont écrasés comme les grappes par ceux qui foulent dans le pressoir, car le
pressoir est le récipient qui convient pour écraser les grappes de la mort et de l'angoisse. J'ai
été seul à fouler pour qu'avec mon sang, exprimé de tout mon 225 corps, l'homme si misérable
soit libéré de la peine qu'il devait subir. D'où le Psaume : Il a libéré le pauvre du puissant et
l'indigent qui n'avait personne pour le secourir. Il aura compassion du pauvre et de l'indigent
36
Nous gardons ce verbe même si dans la pensée moderne il peut faire penser à autre chose qu'une réalité
théologique. Infusion : "Le mot est d'abord un terme de théologie, signifiant 'pénétration dans l'âme de grâces
surnaturelles ou de certaines facultés." Le Robert, Dictionnaire historique de la langue française, 1, p. 1025b. Le
Dictionnaire des mots de la foi chrétienne (col. 372) donne cette définition : "Acte par lequel (ou état résultant
de cet acte) Dieu communique librement sa grâce à l'homme. Cet acte accompagne l'envoi de l'Esprit-Saint : il en
est comme l'expression même."
37
Mt 1, 21 pariet autem filium et vocabis nomen eius Iesum ipse enim salvum faciet populum suum a peccatis
eorum.
38
Ce mot traduit "indumentum" pour le distinguer de "vêtements" ("vestimenta") qui vient tout de suite après ;
C. Fillion a traduit par robe, dans Isaïe, p. 500.
39
Is 63, 1 quis est iste qui venit de Edom tinctis vestibus de Bosra iste formonsus in stola sua gradiens in
multitudine fortitudinis suae ego qui loquor iustitiam et propugnator sum ad salvandum 2 quare ergo rubrum est
indumentum tuum et vestimenta tua sicut calcantium in torculari 3 torcular calcavi solus et de gentibus non est
vir mecum calcavi eos in furore meo et conculcavi eos in ira mea et aspersus est sanguis eorum super vestimenta
mea et omnia indumenta mea inquinavi.
40
Lc 1, 73 iusiurandum quod iuravit ad Abraham patrem nostrum 74 daturum se nobis ut sine timore de manu
inimicorum nostrorum liberati serviamus illi.
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et il sauvera les âmes des pauvres41. Le Christ notre roi dès avant les siècles a apporté le
salut au milieu de la terre42.
10. Troisièmement dans la résurrection générale, il sauvera l'homme de 230 la calamité de
la misère corporelle par le don de la gloire qui restaure l'être. De cela l'épître aux Philippiens
dit : Nous attendons comme Sauveur Notre Seigneur Jésus Christ, qui transformera notre
corps d'humiliation pour le conformer à son corps de gloire43. En effet qui veut que son corps
soit, dans la patrie, conformé au corps glorieux du Christ, doit, au préalable, 235 tant qu'il est
en chemin, à l'exemple du Christ, mortifier son corps dans le jeûne, l'humilier dans les
afflictions et aussi le soumettre à d'humbles services ; car il ressuscitera dans la gloire en étant
d'autant plus conforme à la splendeur du Christ, qu'il se sera fait humble, par amour du Christ
en cette vie.
11. En troisième lieu est notée, dans le verset cité, la juste extermination 240 du pouvoir
diabolique lorsqu'il termine : parce que tu as frappé tous ceux qui s'opposaient à moi sans
raison. L'extermination du diable est dite juste pour une triple raison ; premièrement, à cause
de la ruse de sa tromperie quand, par usurpation, il a exercé sa domination sur le premier
homme ; deuxièmement, à cause de la malignité de son audace et de son injustice quand il a
suggéré 245 de mettre à mort le Christ innocent ; troisièmement, à cause de la rectitude de
l'équité et de la justice, en ne tolérant pas que soit perturbé l'ordre universel. C'est ainsi qu'il
fut juste que le pouvoir diabolique soit éliminé, tant parce que il a usurpé trompeusement et
frauduleusement le pouvoir sur le premier homme, tant parce qu'il a persuadé, de façon
inique et mauvaise de faire mourir le Christ innocent, 250 tant parce que l'équité de la justice
divine ne devait pas souffrir le désordre de tout l'univers.
12. Premièrement l'extermination du pouvoir diabolique fut juste, à cause de la ruse de sa
tromperie quand, par usurpation, il a exercé sa domination sur le premier homme. On peut
exposer cela à partir des Nombres 255 : Une étoile se lèvera de Jacob, un sceptre surgira
d'Israël, il frappa les chefs de Moab et il dévastera tous les fils de Seth. Et Edom sera son
bien44. Cette étoile est la Vierge Marie, reflet des vertus et des grâces ; d'autre part, le sceptre
qui détient une force virile appropriée aux combats, afin de venir en aide aux malheureux,
c'est notre Seigneur. Par la force de son propre sang 260 il a abattu les chefs infernaux de
l'orgueilleux Moab et, déjouant, par l'habileté de sa sagesse multiforme, la tromperie et la
traîtrise du diable qui avait introduit la mort, pour le faire venir à lui, il arracha à sa captivité
l'homme, qui était la possession du diable et il tira le remède du salut de l'endroit même où
l'ennemi l'avait fait souffrir en usant de tromperie, c'est-à-dire du bois45 de la croix. De cela il
est pareillement dit dans le thème annoncé : Lève-toi, 265 Seigneur, sauve-moi, parce que tu
as frappé tous ceux qui s'opposaient à moi sans raison.
41
Ps 71, 12 quia liberavit pauperem a potente et pauperem cui non erat adiutor 13 parcet pauperi et inopi et
animas pauperum salvas faciet.
42
Ps 73, 12 Deus autem rex noster ante saeculum operatus est salutes in medio terrae. S. Bonaventure a
remplacé Deus par Christus, mis les siècles (saecula) au lieu du singulier.
43
Ph 3, 20 nostra autem conversatio in caelis est unde etiam salvatorem expectamus Dominum Iesum Christum
21 qui reformabit corpus humilitatis nostrae configuratum corpori claritatis suae secundum operationem qua
possit etiam subicere sibi omnia.
44
Nb 24, 17 videbo eum sed non modo intuebor illum sed non prope orietur stella ex Iacob et consurget virga de
Israhel et percutiet duces Moab vastabitque omnes filios Seth 18 et erit Idumea possessio eius hereditas Seir
cedet inimicis suis Israhel vero fortiter aget.
45
Cette métonymie n'est pas surprenante chez S. Bonaventure qui l'emploira comme titre de son célèbre
opuscule de 1260 : Lignum Vitae. Elle fait écho à l'autre bois (lignum) de la faute des premiers parents.
26/06/14
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13. Deuxièmement l'extermination du pouvoir diabolique fut juste à cause de la malignité
de son audace et de son injustice quand il a persuadé46 de mettre à mort le Christ innocent.
D'où Habacuc dit 270 : Tu as frappé le faîte de la maison de l'impie, tu l'as ruinée de fond en
comble ; tu as maudit son sceptre et le chef de ses guerriers qui venaient comme un tourbillon
pour me disperser47. Le diable de manière présomptueuse et injuste a mis la main sur le
Christ, sur lequel il n'avait aucun droit, il a persuadé ses compagnons infernaux de venir
comme un tourbillon pour disperser 275 l'innocent et le crucifier ; c'est pourquoi il fut juste
que le diable lui-même, chef de la maison infernale fût frappé et qu'il fût ruiné et privé du
pouvoir et de la domination sur son esclave.
14. Troisièmement l'extermination du pouvoir diabolique fut juste à cause de la rectitude
de l'équité et de la justice, en ne tolérant pas que soit perturbé 280 l'ordre universel. D'où
l'Exode dit : Ta droite, Seigneur a frappé l'ennemi et par la grandeur de ta gloire, tu as
renversé tes adversaires. Tu as envoyé ta colère qui les a dévorés comme chaume48. En effet,
l'équité de la justice divine "exige que l'ordre du monde soit conservé et interdit qu'il soit
bouleversé49." Ainsi, afin que le diable ne tirât pas avantage de sa malice et du péché 285 qui
en étaient venus à perturber tout l'univers, il mérita bien d'être frappé, privé et puni. Et à ce
propos, Isaïe dit : Assour, frappé par le sceptre, tremblera50. Assour signifie le diable qui
tremble51, lorsqu'il est frappé du sceptre de l'équité divine. Prions etc.
Traduit du latin par le fr Michel Caille, francisain.
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46
Dans son plan annoncé aux l. 244-245, S. Bonaventure avait employé le verbe "a suggéré" ("in suggerendo").
Ha 3, 13 egressus es in salutem populi tui in salutem cum christo tuo percussisti caput de domo impii
denudasti fundamentum usque ad collum sempre 14 maledixisti sceptris eius capiti bellatorum eius venientibus
ut turbo ad dispergendum me exultatio eorum sicut eius qui devorat pauperem in abscondito.
48
Ex 15, 6 dextera tua Domine magnifice in fortitudine dextera tua Domine percussit inimicum 7 et in
multitudine gloriae tuae deposuisti adversarios meos misisti iram tuam quae devoravit eos ut stipulam.
49
Boèce, Consolation de la Philosophie, prose 2 (PL 63, 795A). Faute de références plus précises nous n'avons
pas réussi à trouver l'équivalence dans la traduction de C. Lazam, Rivages philosophiques, 58.
50
Is 30, 31 a voce enim Domini pavebit Assur virga percussus.
51
"pavescit" pour faire écho à pavebit d'Is 30, 31.
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