Pascal PHILIPPART - Institut Universitaire de Technologie d`Avignon

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Pascal PHILIPPART - Institut Universitaire de Technologie d`Avignon
1ERE JOURNEE DE RECHERCHE RELATIONS ENTRE
INDUSTRIE ET GRANDE DISTRIBUTION ALIMENTAIRE
JEUDI 29 MARS 2007, AVIGNON
LE CADRE REGLEMENTAIRE DE LA GRANDE DISTRIBUTION : UNE
INTERROGATION SUR SON EFFECTIVITE ANALYSE DU CAS FRANÇAIS
Pascal PHILIPPART
Maître de conférences
IAE - Université de Lille 1
GREMCO– LEM
[email protected]
Résumé
Depuis plus de trente ans, la grande distribution fait l’objet d’une réglementation importante,
dont l’objectif porte sur la correction de certaines dérives, en ce qui concerne la concurrence
entre distributeurs, et quant au pouvoir de négociation entre fournisseurs et distributeurs.
Cependant, de nombreux observateurs dressent le constat d’une grande distribution qui n’a
jamais été aussi puissante en France. Cette remarque amène à s’interroger sur l’effectivité des
dispositifs juridiques en cause. Car que l’on se place dans une logique d’intégration du droit
dans la gestion des entreprises ou dans une logique citoyenne de critique de notre système
juridique, une telle question présente des répercussions politiques et économiques.
Nous établirons d’abord un cadre d’analyse précisant les différentes dimensions de la notion
d’effectivité juridique, puis exposerons les dispositifs concernés, afin d’étudier leur effectivité
réelle.
Actes de la 1ère Journée ComIndus - 29 mars 2007 - Avignon
La liberté du commerce et de l’industrie est affirmée par la loi Le Chapelier du 14 juin 1791.
Or, depuis plus de trente ans, la grande distribution fait l’objet d’une réglementation
importante. Cette réglementation a pour objectif la correction de certaines dérives, afin que la
liberté des uns ne restreigne pas, voire n’annihile pas, celle des autres. Ces corrections ont
d’abord porté sur la concurrence entre distributeurs, puis sur le pouvoir de négociation entre
fournisseurs et distributeurs. Ce double dessein ne semble pas avoir été atteint. De nombreux
observateurs dressent un constat sans ambiguïté : la grande distribution n’a jamais été aussi
dominante.
Pour Jacquiau (2002, 4&5), « la France bat tous les records de densité en Europe : en moins
de trente ans, le parc [de supermarchés et d’hypermarchés] passe de 200 supermarchés à plus
de 5 000 et d’un seul hypermarché à plus de 1 2001 ». Dans le même temps, le secteur s’est
concentré : « Leclerc s’est ainsi rapproché de Système U, Casino de Cora, Auchan a pris le
contrôle de Docks de France, Carrefour a avalé successivement Montlaur, Euromarché et les
Comptoirs modernes, avant de fusionner avec Promodès. Alors que l’on comptait 50 chaînes
de supermarché en 1986, cinq enseignes détiennent aujourd’hui près de 90% du nombre
d’hypermarchés, et deux enseignes, la moitié des supermarchés » (Chevallier, 2002). La
concentration est encore plus forte au niveau des centrales d’achat : « cinq groupes
d’acheteurs se sont formés dans des “supercentrales d’achat“ : Carrefour/Promodès,
Leclerc/Système U (Lucie), Auchan, Cora/Casino (Opera), Intermarché. Le nouveau groupe
Carrefour/Promodès dépasse 33 % des parts de marché dans 48 villes françaises de plus de
40.000 habitants. De ce fait, les rapports entre les producteurs de biens de consommation
(70.000 entreprises, 400.000 agriculteurs) et les 60 millions de consommateurs sont analogues
au passage dans le goulot d’étranglement d’un sablier. Au point d’étranglement du sablier,
cinq groupements de distributeurs contrôlent la vente de plus de 90 % des produits de grande
consommation » (Le Déaut, 2000). En corollaire, le petit commerce a disparu : selon
l’INSEE2, de 1966 à 1998, les boulangeries sont passées de 40 200 à 22 400, les boucheries
de 50 500 à 14 700, les épiceries de 87 600 à 13 800, les commerces de vêtements de 47 900 à
27 500, les stations-service de 46 400 à 16 200… Quant aux relations de la grande distribution
avec ses fournisseurs, la première semble imposer aux seconds sa puissance de négociation :
« les députés français ont identifié plus de 500 motifs invoqués par les centrales d’achat pour
exiger ainsi des avantages supplémentaires de leurs fournisseurs » (Jacquiau, 2002, 4&5).
Pourtant, dès 1973, la loi vient réglementer l’ouverture ou l’agrandissement des grandes
surfaces. Elle est complétée à maintes reprises : en 1990, 1993, 1996 et 2000. Pourtant, dès
1986, les tensions entre fournisseurs et distributeurs sont appréhendées et re-encadrées ensuite
plusieurs fois : en 1996, 2001 et 2005.
Filser (1989) soulignait dès la fin des années quatre-vingt le rôle structurant joué par les
pouvoirs publics dans l’organisation du secteur de la grande distribution. Mais force est de
noter un étrange parallèle entre le développement de la réglementation et l’essor considérable
de la grande distribution. Cette remarque amène alors à s’interroger sur l’effectivité des
dispositifs juridiques en cause.
Le concept d’effectivité renvoie à l’idée selon laquelle, dans l’analyse d’une norme juridique,
sont indissociablement liés son contenu et son application (Moor, 2005). Nous entendrons
donc la notion d’effectivité dans son acception classique, celle du respect de la loi par ses
destinataires (Mincke, 1998)3. Un tel questionnement présente un intérêt essentiel, que l’on se
1
1 372 hypermarchés fin 2005 pour 5 573 supermarchés et 3 744 hard discounts (source : Guide Panorama de la
Distribution, Insee).
2
Source Insee Première, n°831, février 2002.
3
Contrairement à cet auteur, nous ne retiendrons pas une définition plus large qui énoncerait que l’effectivité est
« l’utilisation du droit de manière conforme à la volonté du législateur » (ibidem, 130), parce qu’il conviendrait
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Actes de la 1ère Journée ComIndus - 29 mars 2007 - Avignon
place dans une logique d’intégration du droit dans la gestion des entreprises (cf. Philippart,
2004) ou dans une logique citoyenne de critique de notre système juridique, car il interpelle
l’utilité du droit, sa fonction, et comprend donc des enjeux politiques et économiques. Il offre
en outre une possible compréhension du lien entre les stratégies des distributeurs et
l’ensemble réglementaire dans lequel ils évoluent, lien trop peu étudié (Le Goff, 1996).
Notre travail essaiera dans un premier temps de bâtir un cadre d’analyse précisant les
différentes dimensions de l’effectivité juridique (1). Ce cadre articulera des dimensions
relatives aux parties prenantes de la normalisation et aux caractéristiques de la norme.
L’analyse des dispositifs codifiant la grande distribution permettra d’expliquer les raisons de
leur relative ineffectivité et de s’interroger sur la réalité des changements annoncés depuis
2005 (2).
1. L’effectivité juridique ?
Traiter de l’effectivité juridique revient à s’interroger sur l’application et le respect des
normes juridiques qui sont édictées. L’effectivité est ici comprise dans un sens qui va au delà
de la simple impérativité. Elle renvoie à l’idée que pour comprendre une norme comme
juridique, il convient aussi bien d’examiner la règle qu’elle énonce que son application,
puisque « la règle et son application sont les deux moments par lesquels seuls arrive à
l’existence une norme juridique … » (Moor, 2005, 15&16).
Cette interrogation comprend plusieurs niveaux. Elle exprime une approche utilitariste
simple : à quoi servent ces normes si elles ne sont pas appliquées ? L’approche peut être plus
pragmatique encore et renvoyer à la double demande suivante : comment (mieux) les
appliquer ? Enfin, cette approche peut être plus critique dans la mesure où elle amène à
questionner notre système juridique actuel.
Nous étudierons la notion d’effectivité en nous centrant d’abord sur la nature de la norme ellemême (1.1), puis en intégrant le rôle des acteurs dans le processus de normalisation (1.2).
1.1. De l’effectivité : une analyse de la nature de la norme
La notion d’effectivité ne peut être entendue de façon univoque en arguant qu’une règle est
édictée et que l’on doit donc la respecter. Cinq caractéristiques normatives sont ici
considérées : la nature de l’effectivité, la densité normative, l’intensité normative, la
multiplicité normative et la prouvabilité.
À l’instar de l’analyse effectuée par Delmas-Marty (2004) pour le droit international, il est
possible de distinguer une effectivité instrumentale et une effectivité symbolique. La première
concerne une norme qui est l’instrument pragmatique d’une volonté politique concrète, la
seconde envisage une norme qui affirme un principe ; elle s’appuie davantage sur l’effet
déclaratoire, l’annonce de ce principe (e.g., celui des droits de l’Homme) qu’elle n’exprime
concrètement les moyens de son obligatoriété (i.e., les moyens de contrainte). Ainsi, selon
qu’il s’agit d’une effectivité instrumentale ou d’une effectivité symbolique, la force
obligatoire et contraignante du droit (Kelsen, 1934) n’est pas la même. Une norme dont
l’effectivité est symbolique est certes obligatoire, mais pas contraignante, dans la mesure où
elle ne précise pas les modalités de son application : ceci signifie qu’elle n’en possède pas ou
que ces modalités seront peut-être déterminées dans d’autres dispositifs qui s’en inspireront.
par conséquent d’identifier cette volonté, alors que nous verrons dans la suite de nos développements qu’une
telle volonté n’est pas simple à appréhender…
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Actes de la 1ère Journée ComIndus - 29 mars 2007 - Avignon
Alors que si son effectivité est instrumentale, elle est à la fois obligatoire et contraignante en
elle-même.
Aussi, le degré d’impérativité d’une norme juridique ou sa densité normative (Moor, 2005)
varie selon la finalité normative poursuivie. La précision des notions employées dépend de
cette plus ou moins grande densité. Plus une norme est générale, plus elle affirme des
principes, plus sa densité est faible, plus les termes qui la composent sont indéfinis. On ne
peut donc comprendre la notion d’effectivité et essayer de la mesurer sans considérer la nature
de la norme concernée.
Par ailleurs, l’obligatoriété (ou intensité normative, cf. Delmas-Marty, 2004) de la norme ne
va pas de soi. L’impérativité dépendrait de son contenu : prescriptif ou propositionnel. Mais la
norme n’est pas forcément toujours qu’une prescription ou qu’une proposition. L’obligatoriété
peut comprendre divers degrés. Par exemple, le cadre juridique de la propriété industrielle
n’impose pas la protection par le brevet, il la propose. Cependant, accepter une proposition
peut amener à respecter ensuite ce qu’elle prescrit : demander un brevet impose de respecter
une procédure de recherche d’antériorité, de payer annuellement une redevance, de bénéficier
d’un monopole d’exploitation limité dans le temps, etc… L’obligatoriété ne découle donc pas
forcément de la norme en soi, mais du choix qui est fait de s’en servir. La norme peut même
proposer des options secondaires : toujours en matière de propriété industrielle, l’alternative
de protection de l’invention par le brevet ou par le certificat d’utilité…
Le questionnement sur la nature de la norme renvoie, par ailleurs, à l’une de ses
caractéristiques contemporaines majeures : sa multiplicité. C’est une constatation récurrente
que la dénonciation de la prolifération réglementaire. Ainsi, sous la plume de Carbonnier
(1979), de Cannac (1984), de Benhamou (1996), de Moor (2005) et aussi, notamment, par le
Conseil d’État (2005). En 1979, Carbonnier écrit : « [l’année 1978] s’achève sur un bilan de
1250 lois et de 1308 décrets » (67) … « Et comme de surcroît, la production législative d’une
année s’ajoute à toutes celles des années précédentes depuis 1884 environ, sans en abroger
plus qu’une fraction, c’est au bas mot une centaine de milliers d’impératifs variés qui planent
au-dessus de nos têtes » (272). Le Conseil d’État note dans son rapport annuel d’activité
publié en 2005 au sujet de l’année 2004 que « d’une manière générale, [il a veillé] à ce que
l’entreprise de simplification du droit ne soit pas, dans le même temps, contrecarrée par une
tendance persistante à multiplier les textes [et qu’] il a par ailleurs été amené à rappeler à
différentes reprises que la simplification recherchée ne pouvait procéder d’un simple
toilettage des textes mais nécessitait une réflexion plus globale sur la pertinence même des
procédures » (46). Cette inflation n’est pas le propre du droit français. Farnsworth (1983)
effectue le même constat pour le droit américain. Le mouvement d’expansion du droit ou
juridicisation vaut donc aussi bien dans les pays de droit écrit comme la France que dans les
systèmes de common law (Chevallier, 2004).
Un tel mouvement présente plusieurs inconvénients en termes d’insécurité juridique (i.e.,
quelle règle appliquer, comment l’appliquer ?) et d’identification de l’obligatoriété juridique.
Moore (2005, 30) souligne : « devenu innombrable, le droit semble perdre sa qualité
essentielle : les obligations qu’il prescrit ne sont plus évidentes, au contraire, elles sont
changeantes et toujours changeables, et, par conséquent, elles pourraient tout aussi être autres
– donc toujours contestables dans leur contenu ».
Enfin, la question de l’effectivité renvoie à un problème juridique majeur que connaissent
bien les praticiens, celui de la preuve. En effet, l’auto-neutralisation du droit, pour reprendre
une expression de Carbonnier (1995, 28), exprime notamment l’idée que tout ce qui ne peut
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Actes de la 1ère Journée ComIndus - 29 mars 2007 - Avignon
être prouvé échappe à la norme juridique dans la mesure où son inapplication ne peut être
sanctionnée. Ainsi, l’application d’une norme, son respect dépendent de la faculté d’établir
qu’elle a été enfreinte. Sans cette preuve, la contrainte juridique s’estompe, parfois jusqu’à
disparaître.
La question de l’(in)effectivité est d’autant plus significative que notre société baignerait
davantage que par le passé dans un bain de régulation, jouvence de relations sociales
multiples et difficiles. Le cadre juridique, moins caractérisé par la « dura lex » et plus par la
« soft law » (Supiot, 2005, 271), n’aurait plus de vocation transcendantale, mais affirmerait
une finalité socio-économique et serait au “service“ d’une action politique. Cette logique
« post-moderne » (Chevallier, 2004) amène à s’interroger non plus sur la norme, mais sur les
parties prenantes de la normalisation, c’est-à-dire à la fois des processus de construction et
d’application de la norme juridique.
1.2. De l’effectivité et du rôle des acteurs
Notre droit « post-moderne » n’est plus un droit qui s’adresse seulement à ses sujets (au sens
d’assujettis), mais un droit par objectifs (Chevallier, 2004), puisqu’il est l’instrument politique
par excellence. Il tire sa légitimité d’un processus reposant sur la participation d’un certain
nombre d’acteurs à son élaboration. Cette légitimité procédurale caractérise un droit dit
“négocié“ dans le sens où il n’est plus le produit d’une raison supérieure, mais la réponse à
une demande, en fait à une pluralité de demandes, ce qui impose d’essayer de réduire
l’insatisfaction des uns et des autres, au moins par l’adoption de jeux de consultations : on
comprend par conséquent que toute règle juridique génère en elle-même sa propre critique
(puisque ne pouvant pas satisfaire tout le monde). On comprend aussi la tendance intrinsèque
du système juridique à enfler sous la pression de la demande. Ainsi, pour Yonnet (2006), la
prolifération du droit est une caractéristique de nos sociétés qui sont animées par une logique
d’individualisation4. Ce mouvement de fond conduirait les individus à réclamer toujours plus
de droit. Peut-être parce que le droit est le dernier lien social (Petev, 1989)5. À cette demande,
répond une offre dont le caractère pléthorique attesterait la diligence du politique à satisfaire
celle-ci et sa stratégie de visibilité dans la mesure où la multiplication des textes démontrerait
son dynamisme : la quantité réglementaire permettrait de l’évaluer… favorablement. Le jeu
entre l’offre et la demande conduirait donc à une augmentation des besoins et des réponses
juridiques dans une logique perverse, puisque cette accumulation génère elle-même la critique
de son efficacité : trop de loi tue la loi…
Notre droit est le fruit d’acteurs multiples (Bourcier, 2001), et la norme juridique est alors
regardée comme du lien social, ce qui fait dire à certains que « le droit n’est pas fait pour être
appliqué mais pour orienter les comportements » (Lascoumes et Le Bourhis, 1996, 52), au
risque de ne plus considérer « le droit en juriste, mais seulement en sociologue » (Stamatis,
1998, 207).
Cette approche présente néanmoins le mérite de regarder la norme non en elle-même, comme
si elle était déconnectée de ses conditions de production et d’application, mais dans ses
rapports avec “ses“ parties prenantes. Mais quelles sont-elles ? Il est possible d’en distinguer
plusieurs : l’appareil législatif politique, les groupes de pression, les agents de la loi et les
4
Pour illustrer cette analyse, on peut citer l’utilisation métaphorique de l’acronyme PC par Supiot (2005,
192&193) : du Parti Communiste au Personal Computer…
5
« Les sociétés modernes, qui se caractérisent par des structures différenciées et les intérêts contraires des
groupes sociaux, manquent d’ordres normatifs (moraux, religieux, coutumiers) partagés par tous les sujets. Seul
le droit, qui y constitue l’ordre normatif général, nécessaire à chaque société, déploie des effets valables pour
tous et possède de ce fait une force d’intégration et d’organisation sociale » (Petev, 1989, 71).
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Actes de la 1ère Journée ComIndus - 29 mars 2007 - Avignon
sujets du droit. Le processus de normalisation comprend deux phases en interrelations :
l’élaboration et l’application. Les deux premiers groupes d’acteurs ont surtout un rôle dans
l’élaboration de la norme, les deux derniers concourent plutôt à son application.
On vient de voir que l’appareil législatif est inscrit dans une logique dialectique à la recherche
d’un consensus. Mais comme l’affirme Chevallier (2004, 125) : « la crise de la modernité
juridique implique que le droit ne bénéficie plus d’une légitimité ab initio… », qu’il doive
« apporter la démonstration concrète de son bien-fondé… ». L’obtention de cette légitimité a
pour écho un amoindrissement de la qualité de ce qui est produit. La détérioration qualitative
de la norme se traduit notamment par une rédaction hâtive (Sauvadet, 1995) ou inadaptée
(Conseil d’État, 20056), l’utilisation d’un langage technocratique, souffrant d’un manque de
rigueur dans l’emploi de la terminologie (Gras, 1997) : le Conseil d’État souligne que lui
« sont soumis des textes dans lesquels les questions juridiques sont souvent dissimulées
derrière des considérations techniques et un vocabulaire ésotérique » (2005, 46). La pratique
des lois fourre-tout (Chevallier, 2004)7 est, elle aussi, dénoncée… Ce souci qualitatif est
même à l’origine d’une discipline appelée légistique, dont l’objectif est d’analyser les modes
de production des normes juridiques afin d’en faire ressortir les techniques les plus adaptées
(Bankowski, 1969). Le but est ici de contrôler au mieux l’interprétation qui peut être donnée
par le destinataire de la norme pour que celle-ci ne s’écarte pas (ou peu) de la signification
donnée par le destinateur (Timsit, 1997). Mais « les techniques d’encodage et de contrôle du
décodage ne sont jamais d’une rigueur telle qu’elles évitent absolument que le destinataire de
la norme puisse user des “blancs“ ou des “indéterminations“ du texte pour y loger au moins
partiellement sa propre interprétation » (Timsit, 1997, 6). Cette détérioration qualitative a
évidemment des répercussions sur l’applicabilité : sont ainsi dénoncées l’insuffisance des
moyens pour son application, la publication tardive des décrets d’application, voire leur non
publication.
Il faut cependant reconnaître que le flou juridique, le manque de qualité, s’ils posent problème
en matière d’applicabilité, permettent, dans la logique procédurale, l’ajustement des uns et des
autres et l’obtention d’une forme de consensus.
Dans ce dialogue légitimant, l’appareil législatif doit naturellement avoir des interlocuteurs :
soit ils sont sollicités (e.g., les partenaires sociaux), soit ils s’invitent dans le jeu (e.g., les
lobbies – cf. Debouzy, Clemons et Butt Philip, 2003). Ces interlocuteurs officient comme des
groupes de pression puisque leur finalité est la défense d’intérêts collectifs (professionnels,
sectoriels, catégoriels, …). Et ces groupes de pression ne représentent pas des intérêts
identiques, alors que la norme juridique doit exprimer plus une concourance qu’une
concurrence (du moins en apparence). Des arbitrages, implicites ou explicites, sont alors à
réaliser. La norme doit donc comprendre des signes qui répondent aux attentes des uns et des
6
« La transposition de directives communautaires, qui porte souvent sur des sujets très techniques, continue
d’être un exercice difficile et souvent peu satisfaisant au regard de l’exigence de qualité de la réglementation. Le
Conseil d’État est fréquemment conduit à déplorer que l’administration se contente de copier ou paraphraser le
texte communautaire sans l’adapter au langage, aux catégories et aux logiques juridiques du droit national »
(Conseil d’État, 2005, 47).
7
Frison-Roche (2001, 610) au sujet de la loi NRE (Nouvelles Régulations Économiques) du 15 mai 2001
dénonce « la misère d’un fourre-tout » dans la mesure où ce texte traite aussi bien de la régulation financière au
travers du déroulement des OPA et OPE, de dispositions relatives aux établissements de crédit et de
l’amélioration de la lutte contre le blanchiment d’argent, que de la régulation de la concurrence par la
moralisation des pratiques commerciales, la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles et les concentrations, et
que de la régulation de l’entreprise en donnant notamment au comité d’entreprise des prérogatives en matière de
tenue des assemblées d’actionnaires et la possibilité de scinder les fonctions de Président du conseil
d’administration et celle de Directeur général.
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Actes de la 1ère Journée ComIndus - 29 mars 2007 - Avignon
autres. La multiplicité de ces signes, voire leur duplicité, ne facilite pas bien sûr l’applicabilité
de la norme.
Quant à l’application de la norme, deux types d’acteurs, qui relèvent plutôt de profils
individuels qu’ils ne sont des représentants d’intérêts collectifs, jouent un rôle non négligeable
en matière d’effectivité normative.
Les premiers pourraient être appelés les agents de la loi. Mais loin de ne les considérer que
comme de simples exécutants, des rouages exécutifs (comme le laisserait penser a priori le
terme “agent8“), il faut les regarder avec « [leurs] intérêts, [leurs] profits, [leur] situation »
(Lascoumes et Le Bourhis, 1996, 56). Bourdieu (1990) a démontré dans son article « Droit et
passe-droit » que « l’application, au sens de mise en œuvre, peut être une non application du
droit, une abstention volontaire, une autorisation de transgression, une acceptation tacite d’un
écart à la règle » (Lascoumes et Le Bourhis, 1996, 57). L’agent de la loi doit donc être
considéré comme un acteur important de l’effectivité normative. Mais il n’est pas le seul.
Ainsi que le font remarquer Lascoumes et Le Bourhis (1996) dans leur analyse critique de
« Droit et passe-droit » de Bourdieu, « l’administré est le plus souvent l’objet de la régulation
juridique, mais il apparaît incapable de s’en saisir et d’en jouer » (66). Or, les sujets du droit,
ceux qui sont assujettis à la norme, ne sont pas des agents passifs, acceptant ou subissant le
contenu normatif sans libre-arbitre, sans marge de manœuvre… La première de ces marges, et
la plus évidente à saisir, consiste à enfreindre la règle. Ainsi, plusieurs études se sont
intéressées aux comportements délinquants des firmes (e.g., Baucus et Near, 1991 ;
McKendall et Wagner, 1997). Loin de ne le considérer que comme une victime ignorante, le
sujet du droit peut opérer des calculs de risque et estimer que son occurrence est faible ou ses
effets négligeables, et donc choisir l’infraction (Philippart, 2000).
Ces analyses permettent de comprendre (entre autres) que l’impératif juridique puisse
s’effacer devant l’impératif économique, que la rationalité économique ne coïncide pas
naturellement avec la “raison“ juridique. Et que le délinquant est une figure “habituelle“ du
droit, comme le juriste… Cependant, concevoir la marge dans cette dualité licite – illicite est
réducteur. Le jeu avec la norme est plus subtil. Toutes les stratégies d’optimisation fiscale
attestent bien la complexité des rapports à la norme et donc la richesse des actions possibles,
sans pour autant tomber dans le gouffre (ou le fossé) de l’illégalité (Couret, 1997). Le sujet du
droit est donc un acteur de l’application normative, qu’il se subit pas nécessairement et qu’il
adapte à ses intérêts.
Le rapport à la norme est très complexe, et aborder l’effectivité du droit au travers de
l’ineffectivité ne consiste pas seulement à donner à cette dernière notion le “statut“ de
symptôme pathognomonique du dysfonctionnement du système de régulation sociétale.
L’ineffectivité doit être vue aussi comme la caractéristique d’un droit moins impératif, plus
négocié et discuté, au carrefour d’intérêts collectifs et individuels, de jeux d’acteurs qui ne
sont pas nécessairement convergents et ne favorisent donc pas une lecture stricte du concept
d’application normative.
La figure 1 illustre la problématique de l’effectivité juridique selon les différentes dimensions
identifiées dans la littérature analysée.
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En fait, le mot “agent“ a pour origine le verbe “agere“ qui signifie agir, faire.
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Actes de la 1ère Journée ComIndus - 29 mars 2007 - Avignon
Parties prenantes
de la normalisation
Caractéristiques
de la norme
Nature de son effectivité :
symbolique ou
instrumentale
Appareil législatif
Densité :
degré de précision
élaboration
Groupes de pression
NORME
JURIDIQUE
Intensité :
degré d’obligatoriété
Multiplicité :
inflation normative
Agents de la loi
application
Prouvabilité :
capacité à prouver
l’infraction à la norme
Sujets du droit
Figure 1 : Les différentes dimensions de l’effectivité juridique
Ce cadre d’analyse sera appliqué à l’étude des dispositifs juridiques se rapportant à la grande
distribution.
Ces dispositifs seront étudiés en eux-mêmes, c’est-à-dire en cherchant à comprendre leurs
apports réglementaires, et aussi les uns par rapport aux autres, afin d’en faire ressortir les
évolutions. Cet ensemble de réglementations sera confronté à des données économiques
issues de témoignages, d’enquêtes et de rapports.
Notre recherche s’appuie donc à la fois sur une analyse de textes, particuliers car juridiques,
sources documentaires primaires, et de données secondaires qui, malgré les biais qu’elles
comportent (Turgeon et Bernatchez, 2003), permettent de placer en perspective, et de façon
critique, les dynamiques normatives à l’œuvre dans le secteur de la grande distribution.
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Actes de la 1ère Journée ComIndus - 29 mars 2007 - Avignon
2. Le cadre réglementaire de la grande distribution : analyse de son effectivité
De nombreux dispositifs juridiques9 encadrent la grande distribution. Ils sont anciens et ont
été régulièrement modifiés.
Si cet ensemble puise ses racines dans un passé assez lointain (1963 pour la revente à perte,
1973 pour l’autorisation d’ouverture), il faut cependant remarquer que pendant une vingtaine
d’années, aucune réforme n’a été opérée, alors qu’à partir du début des années quatre-vingtdix, des changements ont été effectués tous les trois à cinq ans (1990, 1993, 1996, 2001,
2005). Le tableau 1 illustre cette chronologie juridique et en donne les principaux éléments
réglementaires (pour plus de détails, cf. l’annexe).
Loi du 2 juillet 1963
Interdiction de la revente à perte
Création des Comités Départementaux d’Urbanisme Commercial qui
Loi du 31 décembre 1969
deviendront ensuite des Commissions (CDUC) qui n’ont qu’un rôle
consultatif
Autorisation de la CDUC pour la création ou l’extension d’une grande
Loi “Royer“ du 27 décembre 1973
surface
Ordonnance du 1er décembre 1986 Redéfinition de la revente à perte ; interdiction des pratiques abusives
Intégration des lotissements commerciaux dans le dispositif d’autorisation
Loi “Doubin“ du 31 décembre 1990
de la loi “Royer“
Réforme de la CDUC devenue Commission Départementale de
Loi “Sapin“ du 29 janvier 1993
l’Equipement Commercial
Décret du 16 novembre 1993
Obligation de produire une étude d’impact
Loi “Galland“ du 1er juillet 1996 Redéfinition de la revente à perte ; précisions sur les pratiques abusives
Loi “Raffarin“ du 5 juillet 1996
Durcissement des conditions d’ouverture et d’extension
Ajout de critères en matière de transports et de logistique pour l’examen
Loi “SRU“ du 13 décembre 2000
des projets d’équipement commercial
Loi NRE du 15 mai 2001
Précisions sur les pratiques abusives et les délais de paiement
Loi en faveur des PME du 3 août Redéfinition de la revente à perte, encadrement de la coopération
2005
commerciale et réglementation des enchères électroniques inversées
Tableau 1 : Chronologie du cadre réglementaire de la grande distribution
Pourtant, l’analyse du développement de la grande distribution au travers du nombre de
mètres carrés demandés et accordés depuis 1974 est assez étrange. Allain et Chambolle (2002,
20) notent qu’entre « 1974 et 1992, les interdictions de création portent sur 23 millions de m2
de surface commerciale, alors que 16 millions de m2 sont acceptés », soit une moyenne
annuelle de près de 900 000 m2 accordés. Les données de la DCASPL10 soulignent que le
nombre de mètres carrés demandés est passé de 1,7 million en 1997 à plus de 4 millions en
2004, et le nombre de mètres carrés accordés de 1 million en 1997 à 3 millions en 2004. Cette
progression accélérée amène à s’interroger sur l’effectivité de la réglementation en la matière
(2.1).
Par ailleurs, l’importance économique prise par la grande distribution a fini par avoir des
répercussions le long de la chaîne de valeur et, notamment à l’encontre des fournisseurs (on
laissera de côté ici, bien qu’il y ait sans doute beaucoup à comprendre, les impacts sur le
consommateur final). La problématique du rapport de force entre la grande distribution et ses
fournisseurs conduira à questionner l’effectivité du cadre réglementaire amorcé en 1986 et
consolidé ensuite à plusieurs reprises (2.2).
9
Nous n’envisagerons que les principaux. Ainsi, la réglementation relative à la publicité télévisée pour la grande
distribution, interdite par le décret du 27 mars 1992 et autorisée graduellement depuis par le décret du 7 octobre
2003 (totalement à partir du 1er janvier 2007), ne sera pas examinée.
10
Direction du Commerce, de l’Artisanat, des Services et des Professions Libérales du Ministère de l’économie,
des finances et de l’industrie.
8
Actes de la 1ère Journée ComIndus - 29 mars 2007 - Avignon
2.1. La grande distribution et la concurrence
Les objectifs affichés à l’origine sont clairs : la protection du petit commerce et, partant de là,
d’une certaine concurrence. La loi “Royer“ porte en effet sur « l’orientation du commerce et
de l’artisanat ». Cette réglementation voit le jour dès le début de la phase d’extension de la
grande distribution. Elle n’est donc pas en retard : cette synchronicité donne à penser que
l’appareil législatif et politique comprend dès les années soixante-dix la nécessité d’encadrer
un tel essor. Cependant, elle n’a pas freiné son expansion et par contrecoup la forte
décroissance du petit commerce. Pourquoi ?
Les jeux entre acteurs sont assez éclairants sur ce point. La composition de la CDUC, ainsi
que l’atteste la réforme de la loi “Sapin“, est au centre de la réponse. La loi “Royer“ reprend
la CDUC telle qu’elle avait été instaurée par la loi de 1969, alors que, sous l’empire de celleci, elle n’avait qu’un rôle consultatif. La CDUC a dorénavant un pouvoir décisionnaire
important et, en son sein, siègent des élus locaux en grand nombre (neuf sur vingt).
La réforme imposée par la loi “Sapin“ qui a pour objet la lutte contre la corruption tente de
résoudre le problème d’indépendance de certains membres. Mais, hormis la procédure du vote
à main levée et le double contrôle administratif mis en place, sa composition laisse encore la
part belle aux élus locaux (trois sur six) : elle réduit peut-être les risques de prévarication à
due proportion mais sans les empêcher totalement. De nombreux articles de presse, quelques
livres (cf. Jacquiau, 2000), notamment celui d’un acteur important du secteur, M-É Leclerc
(1994), se sont fait l’écho de corruption, de monnayage des autorisations. Jacquiau (2002,
4&5) écrit : « le “péage“ obligatoire, de 1 million d’euros minimum pour un hypermarché, est
né à la fin des années 1970. Avec les “années Mitterrand“, les enchères montent et les
enveloppes se font plus épaisses : on passe à 1,5 puis 2, puis 3 millions d’euros ». Leclerc
(1994) admet que près de la moitié des grands ensembles commerciaux a été soumis à un tel
trafic. On a ici l’illustration forte de jeux entre des sujets du droit qui n’entendent pas se plier
à l’impérativité d’un cadre normatif et les agents de la loi qui succombent à la tentation de
poursuivre d’autres objectifs… Si l’obligatoriété des textes est apparemment évidente, leur
mise en œuvre laisse un pouvoir important et incontrôlé, si ce n’est a posteriori et donc trop
tard, à des acteurs dont le manque de neutralité et d’objectivité était plausible. C’était en
quelque sorte leur donner le pouvoir de patente… Et certains en ont usé. Au delà des dérives
dénoncées, on doit souligner l’attrait exercé par l’installation de grandes surfaces à la
périphérie d’agglomérations peuplées pour les petites communes environnantes. Quel élu
local peut ignorer que l’implantation d’une zone commerciale sur son territoire communal
équivaut à un accroissement de ses recettes fiscales11 et donc de ses moyens de
fonctionnement ?
Est-ce à dire qu’une composition radicalement différente des commissions concernées aurait
produit un tout autre effet ? La réponse à cette question se trouve dans une autre question :
peut-on être juge et partie ? C’est d’ailleurs au regard d’une telle considération, mais pour une
autre composante des CDEC, que la Commission européenne a demandé à la France de mettre
en conformité son dispositif avec l’article 81 du Traité instituant la Communauté Européenne
(TCE) portant sur la libre concurrence : il lui est reproché la présence des représentants des
chambres du commerce et de l’industrie et des métiers. Cette présence est clairement
condamnée par l’article 14-6 de la directive « Services » du 12 décembre 200612.
11
Via la taxe professionnelle.
Directive 2006/123/CE relative aux services dans le marché intérieur, 12 décembre 2006, JOUE n L376, 27
décembre.
12
9
Actes de la 1ère Journée ComIndus - 29 mars 2007 - Avignon
De plus, le cadre normatif présente une densité relativement déficiente, si l’on excepte
quelques précisions périmétriques. En effet, la notion de surface de vente n’étant pas définie
avec suffisamment de justesse, une partie du jeu des sujets du droit a consisté à la comprendre
dans un sens restrictif, afin de ne pas atteindre les seuils critiques. Le Conseil d’État, à
plusieurs reprises, a dû redéfinir la notion et une réforme, en 1990, inclut les lotissements
dans le champ d’application de la loi “Royer“, lotissements utilisés pour découper la surface
de vente en périmètres inférieurs au seuil légal. Une telle densité ne peut que diminuer
l’obligatoriété supposée.
Un autre exemple illustre cette logique de faible intensité : contenue dans la loi “Sapin“ et
explicitée par le décret du 16 novembre 1993, puis étendue par la loi “Raffarin“, il s’agit de
l’étude d’impact. Dans un premier temps, elle ne vise apparemment qu’à évaluer les effets de
l’implantation d’une grande surface sur le tissu commercial local. Dans un second temps, elle
doit comprendre une étude des effets sur l’emploi salarié. Mais à chaque fois, elle est
présentée par l’auteur de la demande d’autorisation. Elle est “auto-rédigée“. Une telle
contrainte repose sur une belle hypocrisie. Comment imaginer alors que ces études puissent
aboutir à identifier des effets négatifs ? Leur obligatoriété est par conséquent insignifiante, de
pure forme… parce que leur densité normative est faible. Mais cette insignifiance n’est pas
dénuée de signification. Les études d’impact sont la réponse politique aux inquiétudes des
petits commerçants, puis de ceux qui conjecturaient que les pertes d’emplois consécutives aux
nombreuses fermetures de petits commerces n’étaient pas compensées par les emplois créés
par la grande distribution.
Il faut également remarquer que la dernière réforme de 1996 présente vraisemblablement une
densité et une intensité normatives élevées, puisque les seuils d’ouverture ou d’extension
nécessitant une autorisation sont plus bas, puisque des techniques de contournement de la
procédure, comme la réutilisation d’une surface de vente libérée, la réouverture d’un local
fermé, le changement de secteur d’activité d’une surface de vente sont dorénavant de façon
explicite soumis à autorisation. Néanmoins, ce durcissement a été analysé comme étant trop
tardif, au regard d’une densité commerciale importante, sauf à freiner le développement sur le
marché français des hard discounts étrangers, et ainsi protéger le pré carré des distributeurs
français, mieux à même de se déployer à l’international. Ces barrières à l’entrée
restreindraient la concurrence13 et renforceraient la puissance des distributeurs français ; ainsi,
cet effet a été immédiatement perçu par le marché boursier, « puisqu’à l’annonce de la loi, les
cours des actions des grands distributeurs cotés en bourse ont connu une nette augmentation »
(Allain et Chambolle, 2002, 21). Ces mêmes auteurs soulignent que « l’un des défauts majeurs
du nouveau texte est qu’il confond puissance d’achat et taille des magasins » (ibidem, 15). La
loi “Raffarin“ est donc regardée dès son entrée en vigueur comme un instrument favorisant la
grande distribution et non l’inverse, ainsi qu’aurait pu le laisser supposer sa densité et son
intensité normatives. Parce qu’elle fige plus l’existant qu’elle n’interdit certaines dérives…
Cependant, cette analyse est à relativiser a posteriori. En effet, la loi “Raffarin“ n’a pas figé le
parc d’hypermarchés et de supermarchés. Les données du ministère de l’économie le montrent
bien, de 1997 à 2005, le nombre de m2 autorisés a été triplé. Aussi, le haut niveau apparent de
densité et d’intensité normatives n’a pas contribué à enrayer la progression de la grande
distribution.
13
La Commission européenne estime à cet égard que la réglementation française n’est pas conforme à l’article
43 du TCE relatif à la liberté d’établissement, notamment en obligeant à fournir lors de la demande
d’autorisation des informations économiques et concurrentielles (étude d’impact)… L’article 14-5 de la directive
« Services » condamne toute procédure d’analyse des besoins du marché. Depuis 2001, la Commission
européenne demande à la France de revoir sa réglementation relative à l’équipement commercial (Nguyen,
2007).
10
Actes de la 1ère Journée ComIndus - 29 mars 2007 - Avignon
Si la perplexité sur l’effectivité des dispositifs ne peut être imputée au début à un mauvais
timing, la loi “Royer“ intervenant en 1973 à une époque où seuls 1 500 supermarchés
(Chevallier, 2002) pour près de 9 000 en 2005 (en additionnant les catégories “supermarchés“
et “hard discount“) sont recensés (cf. supra), par contre, les textes ultérieurs semblent
apparaître en décalage, arrivant trop tard pour corriger une situation déjà fortement installée.
Il aura fallu vingt ans pour opérer une réforme imparfaite de la procédure d’autorisation.
Pourtant, l’appareil politique donne l’impression d’être sensible au problème de l’expansion
de la grande distribution, notamment en suspendant provisoirement les autorisations
d’ouverture en 1993 et 1996, dans l’attente d’une rénovation de fond. À chaque fois, une
réforme des dispositifs réglementaires viendra clore cette suspension. Mais à chaque fois,
avec des effets contraires à ceux affichés.
On peut même remarquer, si l’on s’en tient aux seuls chiffres et que l’on succombe à la
tentation de la corrélation, que les différentes réformes ne font qu’aggraver cette situation
pour le petit commerce. Au vu des “résultats“ atteints, il est possible de parler ici d’une
effectivité symbolique et non instrumentale. La sauvegarde du petit commerce a été affichée
et répétée ensuite (avec un certain retard). Mais la sauvegarde d’intérêts catégoriels ne
constitue pas en elle-même un sujet d’intérêt général et se heurte forcément à d’autres intérêts
catégoriels, plus puissants peut-être, faisant davantage pression sur l’appareil politique et
législatif, plus convaincants aux yeux de certains agents de la loi.
Il faut enfin prendre en considération le fait que l’essor de la grande distribution, comme cela
a été noté dans l’introduction, accompagné d’un mouvement de concentration très fort, relève
d’une dynamique économique, inéluctable ( ?), connue dans plusieurs pays développés. Le
rapport déposé à l’Assemblée Nationale (2000, 42) souligne que « la constitution de grands
groupes de distribution n’est pas un phénomène spécifiquement français. Une étude
d’ACNielsen de la distribution alimentaire en Europe en 1999 montre que la concentration en
France est dans la moyenne européenne »… Cette étude indique que les cinq premiers
distributeurs possèdent les parts de marché suivantes dans leur pays : 93,8% en Finlande, 80%
en Autriche, 75,2% en Allemagne, 72,8% en France, 67% en Grande-Bretagne, 51,6% en
Belgique, 38,9% en Espagne, etc… La France n’est donc pas un cas à part. Une différence
peut cependant être trouvée quant à l’impact d’un équipement commercial concentré en
périphérie et drainant vers celle-ci les clients du centre des agglomérations. Le dossier remis à
la Commission sur la modernisation de l’urbanisme commercial, le 25 octobre 2006, offre un
élément intéressant de compréhension et permet d’émettre une hypothèse. Il présente une
étude comparative des législations européennes qui nous apprend, hormis la diversité des
approches réglementaires dont on pouvait se douter, que dans la majorité des pays du nord de
l’Europe, le droit applicable à l’équipement commercial vise pour l’essentiel à contenir le
développement des commerces de périphérie et la dévitalisation des centres-villes (ainsi, en
Allemagne, des zones spécifiques ont été prévues pour les implantations commerciales).
L’objectif d’aménagement du territoire, comme le relève ce dossier, « s’est traduit par un
moindre développement des très grandes surfaces et des centres commerciaux en périphérie
des villes en Europe du nord, surtout en Allemagne et au Danemark… » (fiche 6).
Le cadre juridique mis en place en France souffrirait donc non pas d’une effectivité
faussement instrumentale (avec les problèmes de densité normative faible, de jeux d’acteurs
poursuivant des intérêts contraires au principe affiché), mais en réalité d’une effectivité
symbolique inadéquate : en posant comme principe évident la protection du petit commerce,
le résultat a été sa quasi-disparition. N’aurait-il pas fallu plutôt afficher la recherche d’un
équilibre certain dans l’aménagement du territoire pour (tenter14 de) sauver le petit
commerce ? Vouloir non pas protéger une catégorie d’agents économiques, mais une certaine
14
L’exemple de l’Allemagne tend malheureusement à démontrer le contraire au vu de la concentration du
secteur.
11
Actes de la 1ère Journée ComIndus - 29 mars 2007 - Avignon
idée de la vie dans la cité ? Rechercher donc une effectivité symbolique, mais portant sur un
principe supérieur commun ?
Par ailleurs, le rapport remis à l’Assemblée Nationale (2000) souligne aussi que le
mouvement de concentration15 des centrales d’achat en France a été beaucoup plus fort que
dans les autres pays européens16. Ceci pose évidemment la question des relations entre la
grande distribution (via ses centrales) et ses fournisseurs.
2.2. La grande distribution et ses fournisseurs
Les dispositifs réglementaires spécifiques à la relation verticale distributeur – fournisseur sont
plus récents que ceux régissant l’implantation commerciale. L’ordonnance de 1986, qui plus
est, est peu contraignante, puisqu’elle a surtout pour finalité l’affirmation du principe de
liberté des prix. Elle ne comprend d’éléments contraignants que pour garantir une certaine
loyauté dans l’expression de la concurrence. Il faut attendre 1996 et la loi “Galland“ pour
constater un durcissement normatif. Ce qui est logique, puisque ce n’est qu’à partir des années
quatre-vingt-dix que la grande distribution atteint un poids économique (et politique)
important, permettant un changement dans le rapport de force avec les industriels. Ce nouveau
rapport de forces traduit le déplacement du cœur de la chaîne de valeur vers la distribution,
puisque la consommation est créatrice de valeur, et explique les problématiques de
gouvernance des canaux de distribution (Filser, 2000).
Le durcissement de la réglementation a été reformulé en 2005. Pourtant l’effectivité du cadre
juridique laisse songeur…
Si l’on regarde la réglementation relative à la revente à perte, la notion de prix d’achat
effectif, auquel le prix de revente ne peut être inférieur, a été recalculée, toujours dans un sens
plus sévère jusqu’à la loi “Galland“, puis avec une tolérance plus importante mais strictement
encadrée avec la loi de 2005 afin d’intégrer une partie des marges arrières.
Le seuil de revente à perte, en dessous duquel le délit est constitué, a été rehaussé en 1996
avec la détermination du prix d’achat effectif comme étant simplement celui figurant sur la
facture. Ce mode de calcul a été dénoncé par certains acteurs de la grande distribution. Il
aurait interdit de déduire les ristournes annuelles ou les participations financières. Ceci
provoquait mécaniquement un alignement de tous les distributeurs en matière de prix et
empêchait de déduire les marges arrières de ce prix d’achat (Colla, 2005). Par conséquent, les
consommateurs étaient pénalisés, car dans l’impossibilité de bénéficier de prix bas à la
mesure du pouvoir de négociation de chaque distributeur. Le rapport Canivet (2004) sur les
relations entre industrie et commerce souligne que la loi de 1996 présente le mérite de
clarifier la notion de revente à perte, mais qu’elle a eu pour effet de renforcer dans la
négociation commerciale entre les uns et les autres l’importance des ristournes liées à des
conditions non remplies au jour de la vente. « Cette taxation, [selon Jacquiau (2002, 4&5)],
constituée essentiellement de prestations fictives ou survalorisées, est passée de 10% il y a
une décennie à 35%, puis 40% et 45%, pour dépasser largement la barre des 50% du prix du
produit et, dans les cas extrêmes, atteindre le taux de 60% au début de l’année 2002 ». La
réforme de 1996 a été présentée comme l’expression de la volonté du législateur d’intervenir
en faveur des producteurs (Allain et Chambolle, 2002). Pourtant, le mécanisme choisi (le prix
15
Le rapport précise qu’ « en 1992, un fournisseur de produits de grande consommation pouvait s’adresser, en
France, à 18 grands acheteurs » (42), alors qu’ils ne sont plus aujourd’hui que cinq.
16
Selon l’Ilec (Institut de liaisons et d’études des industries de consommation), les parts de marché pour les six
premières centrales d’achats dans la distribution de produits alimentaires sont : près de 94% en France, 81% aux
Pays-Bas, 72,5% en Grande-Bretagne, 70% en Allemagne, …
12
Actes de la 1ère Journée ComIndus - 29 mars 2007 - Avignon
indiqué sur la facture) ne permet pas de rééquilibrer le rapport de force entre fournisseur et
distributeur. On peut même remarquer que, comme ces marges arrières ne pouvaient pas être
déduites du prix d’achat pour proposer quelques produits à des prix de vente attractif, certains
opérateurs de la distribution n’ont eu de cesse de presser leurs fournisseurs pour engranger un
maximum d’avantages financiers. L’appât du gain semble avoir été aiguisé. Mais l’argument
selon lequel ces ristournes ne pouvaient être déduites du prix d’achat ne tient pas non plus. Il
était en effet envisageable d’intégrer en amont, par anticipation en quelque sorte, ces
avantages financiers sur les factures des produits, du moins en partie, et ainsi faire baisser le
seuil. Allain et Chambolle (2002, 15) ont souligné aussi cette possibilité en indiquant même
que certains distributeurs « parviennent à négocier l’intégration progressive des remises de fin
d’année dans les factures en cours d’année ». Ces marges arrières pouvaient donc être
répercutées sur les prix de vente aux consommateurs, quoique certains en disent. D’autant
plus vraisemblablement que le pouvoir de négociation de la grande distribution n’était pas
virtuel…, puisque selon le rapport Canivet lui-même (ibidem), la loi “Raffarin“ avait amplifié
la concentration du secteur. Or, il n’en a rien été : les effets constatés après l’entrée en vigueur
de la loi “Galland“, selon ce même rapport, sont une hausse des prix des produits de grande
consommation. La cause de cette hausse est pour certains, de façon simpliste, la loi ellemême. En interdisant l’abaissement du seuil du prix d’achat par la déduction de ces marges
arrières, la loi a fait augmenter les prix ! Ce raisonnement spécieux est tenu notamment par
Leclerc qui a engagé début 2004 une campagne d’affichage pour faire pression sur le pouvoir
politique afin de réformer le texte. En plein questionnement sur les responsables de la « vie
chère », certains distributeurs chargent la loi de cette responsabilité17. Des articles de presse se
font l’écho d’une telle complainte et expliquent que la loi est à l’origine de l’augmentation des
marges arrières et des prix aussi ! (cf. Seithumer, La Tribune.fr, 24/10/05). En fait, la hausse
des prix n’est pas due directement à la loi elle-même, mais aux répercussions par les
fournisseurs sur le prix de leurs produits du coût des marges arrières consentis à la grande
distribution. Comme le souligne le rapport Le Déaut (2000, 136), la loi “Galland“ a mis un
terme au « principal dysfonctionnement observé dans les relations entre fournisseurs et
revendeurs et entre les distributeurs eux-mêmes [qui] tenait aux prix de revente en magasin
(…) en mettant fin aux abus dénaturant la réalité économique des prix de revente aux
consommateurs, mais au prix d’un déchaînement, au sens premier du terme, des forces de
vente ou d’achat sur les marges arrières dont la réglementation n’avait pas été modifiée ». Les
sujets du droit dans le secteur de la distribution ont donc exploité un nouveau filon en sachant
adapter les obligations juridiques à leur profit… (rapport Canivet, 2004).
La loi de 2005 vient corriger cette lacune en permettant de déduire une partie des marges
arrières. Elle ne les interdit donc pas et se contente de réglementer la coopération
commerciale dans le cadre de laquelle ces marges trouvent leur fondement apparent… Est-ce
suffisant ?
Cette dérive sur les marges arrières a éclairé d’une lumière plus crue les rapports fournisseurs
– distributeurs.
Le contrôle de la puissance d’achat par le droit des pratiques anticoncurrentielles
(concentration, entente, abus de domination) a depuis toujours posé un problème d’effectivité
(Behar-Touchais et Virassamy, 1999). L’ordonnance de 198618 repose notamment sur
l’interdiction de l’exploitation abusive d’un état de dépendance économique. Le principal
écueil auquel se heurte le fournisseur victime d’un abus de dépendance économique est la
preuve de celui-ci. D’autant plus que cet abus doit porter atteinte au jeu de la concurrence sur
17
La campagne d’affichage de Leclerc annonce : « les Français ont perdu 1% de pouvoir d’achat en 2003,
pourtant la loi continue de nous interdire de vendre encore moins cher, jusqu’à quand ? ».
18
En Allemagne, dès 1957, une réglementation interdit les pratiques discriminatoires.
13
Actes de la 1ère Journée ComIndus - 29 mars 2007 - Avignon
le marché concerné19 (article 7 de l’ordonnance de 1986). Cette condition « rédhibitoire » (Le
Déaut, 2000, 151) a empêché le Conseil de la concurrence de sanctionner l’existence d’abus
en raison de l’absence d’atteinte au jeu de la concurrence sur le marché en question (Cons.
conc., décision n° 93-D-21 du 8 juin 199320). La loi “Galland“ n’a pas modifié cette faille.
Elle affirme certes qu’elle vise à restaurer « la loyauté et l’équilibre des relations
commerciales », mais se contente d’interdire les prix abusivement bas, d’autoriser le refus de
vente au profit du fournisseur, de prohiber les primes de référencement sans contrepartie et le
déréférencement abusif. Or, rien n’explique ce qu’est un prix abusivement bas, aucune
information sur le volume d’achat garanti en contrepartie d’une prime de référencement, rien
sur les moyens de prouver une menace abusive de déréférencement… Ce qui fait dire à Allain
et Chambolle (ibidem, 14) que « la plupart des nouvelles règles peuvent être contournées par
les firmes ».
L’ambiguïté des termes de la norme et la difficile prouvabilité de son infraction concourent
donc à son ineffectivité.
Cette problématique de la prouvabilité se retrouve dans la loi NRE de 2001. Celle-ci permet
au président du Conseil de la concurrence, au Parquet, au Ministre de l’économie d’agir à la
place des victimes. Cette possibilité confirme indirectement la “loi“ du silence (judiciaire) qui
prévaut en l’espèce. Le législateur, en instaurant un tel dispositif, a cherché à rendre plus
efficace son intervention régulatrice. Ainsi, plusieurs condamnations ont-elles été prononcées
par les juges saisis par le Ministre de l’économie. En 2005, la société Leclerc a été condamnée
à une amende de 23,3 millions d’euros par le tribunal de commerce de Nanterre (15 novembre
2005) pour des contrats de coopération commerciale à effet rétroactif. De même, Système U a
été condamné à rembourser 76,8 millions d’euros à quatre de ses fournisseurs pour fausse
coopération commerciale par une décision du tribunal de commerce de Créteil le 24 octobre
2006.
La problématique de la prouvabilité se rencontre aussi au sujet des produits de marque
distributeur. À l’observation, il est aisé de constater leurs étranges ressemblances avec les
produits de grande marque. Pourtant, aucun procès en contrefaçon n’a été intenté, ces
“grandes marques“ préférant répliquer indirectement en soulignant par des campagnes de
publicité la qualité des produits de marque ou en organisant des opérations de promotion afin
de se faire reconnaître par le consommateur. Le Conseil de la concurrence constate lui-même :
« le faible nombre de plainte et de sanction démontre l’existence d’une forte puissance
d’achat des distributeurs (…) » (Cons. conc., avis n° 04-A-18 du 18 octobre 2004).
La loi NRE présente une autre avancée : elle déconnecte l’abus de dépendance économique de
l’exigence d’une atteinte au jeu de la concurrence sur le marché. Cependant, ce dispositif, en
abordant la question des délais de paiement (autre souci pour les fournisseurs), donne une
réponse vidée de tout effet : le délai de 30 jours n’est que supplétif, rien n’interdit à l’acheteur
d’imposer contractuellement un délai plus long. Une faiblesse de même nature peut encore
être soulignée : la loi fait référence aux produits de consommation courante auxquels elle
limite son champ d’application. Mais quels sont ces produits ? Qu’est-ce que la
consommation courante ? Elle ne le dit pas. Elle énonce en outre que, lorsque l’acheteur fixe
un délai de paiement supérieur à 45 jours, il doit donner une garantie à son fournisseur sous la
forme d’une lettre de change d’un montant égal. Or, la lettre de change n’est jamais rédigée
par le débiteur, mais uniquement par le créancier…
La réforme de 2005 est-elle plus pertinente dans la régulation des relations entre industrie et
commerce ? Elle traite avant tout de la coopération commerciale (i.e. des services propres à
19
Comment l’abus de dépendance d’une PME pourrait-il affecter le jeu de la concurrence sur le marché où elle
intervient avec de multiples autres opérateurs ?
20
Il s’agissait de la demande de corbeille de la mariée, pratique du cadeau “offert“ par un fournisseur en cas de
mariage, i.e. de rachat de société ou de fusion, au profit du groupe Cora.
14
Actes de la 1ère Journée ComIndus - 29 mars 2007 - Avignon
favoriser la revente des produits du fournisseur, tels que les têtes de gondole, les publicités
dans les catalogues des distributeurs, …), ainsi que des enchères inversées, et non de
l’ensemble des rapports entre fournisseurs et distributeurs. Elle est donc plutôt lacunaire, au
vu des problèmes relevés dans ce type de rapports… Certes, elle précise que les services
vendus au fournisseur dans le cadre d’une coopération commerciale ou en dehors de celui-ci
doivent faire l’objet d’un contrat écrit avant la fourniture des services en question, à défaut
une sanction pourra être infligée. La principale avancée réside surtout dans le fait que le
distributeur devra justifier en cas de procès qu’il a effectivement fourni les services facturés.
Mais qui envisagera le procès (et donc pourra bénéficier du renversement de la preuve) ne
devra-t-il pas admettre qu’il ne traitera plus jamais avec la centrale d’achat en cause ? Les
services eux-mêmes ne sont pas réglementés, leur coût non plus. On peut même affirmer
qu’avec cette loi, ils sont légalisés. L’obligation imposée est donc purement formelle : fournir
un contrat. Les abus se heurteront toujours à la loi du silence “judiciaire“ des “victimes“, sauf
à donner les moyens aux agents de l’administration de contrôler ces relations commerciales.
Dès 2000, le rapport Le Déaut (137) notait « une véritable dérive tacitement acceptée par les
services du ministère de l’économie. Cette dérive a porté aussi bien sur le contenu (ou
absence de contenu) de la coopération commerciale que sur le montant de la rémunération des
services de coopération commerciale ». La loi de 2005 corrige cette dérive en obligeant à
donner un contenu à la coopération commerciale. Elle dénote surtout d’une volonté politique
(cf. supra) de clarifier certains comportements commerciaux. Le bilan, en date du 25
septembre 2006, présenté à la Commission d’Examen des Pratiques Commerciales (créée par
la loi NRE) par la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la
Répression des Fraudes (DGCCRF) atteste une augmentation des contrôles. Néanmoins, ce
même bilan relève un accroissement des prestations de services distincts qui sont devenues les
premières en valeur. Ces prestations, « catégorie sans définition, semblent abriter des
prestations dont l’intitulé et le contenu apparaissent extrêmement imprécis. Pour beaucoup
d’entres-elles, ces prestations existaient déjà avant les changements législatifs récents mais
ont été requalifiées par le distributeur en prestations de services distincts alors qu’elles
relevaient de la coopération commerciale » (7). L’opacité des relations commerciales, a priori
éliminée, pourrait réapparaître avec ces prestations qui échappent à la réglementation sur la
coopération commerciale.
Enfin, la dernière loi réglemente les enchères inversées qui offrent à l’acheteur le bénéfice
d’un prix le plus bas possible, dont Filser (2002) avait souligné les impacts éventuels (positifs
ou négatifs) sur les relations commerciales. Mais elle laisse sans réponse des questions
juridiques comme la précision du moment de conclusion du contrat et la possibilité pour
l’acheteur de revenir sur sa décision ; les réponses à ces questions sont importantes, car il
s’agit de savoir à partir de quand le contrat est conclu définitivement, à partir de quand les
parties à l’enchère sont engagées…
L’effectivité instrumentale de la loi de 2005 semble plus réelle. Son intensité, même si elle
n’est pas parfaite, paraît reposer sur une densité plus grande et sur une prouvabilité meilleure,
dans la mesure où les services du ministère de l’économie peuvent faire appliquer des textes
… applicables. Ce basculement d’une effectivité jusqu’alors plutôt symbolique vers une
effectivité instrumentale devra être confirmé ou infirmé avec le temps…
15
Actes de la 1ère Journée ComIndus - 29 mars 2007 - Avignon
Conclusion
L’effectivité des normes juridiques se rapportant à la grande distribution était donc jusqu’à
2005 purement symbolique. La multiplicité des textes traduit non pas une surcharge
réglementaire, mais des tentatives répétées et inabouties de réguler un secteur économique
important. Bien sûr, les acteurs de la grande distribution ont joué (jouent encore) un rôle
primordiale dans l’ineffectivité normative de la réglementation les concernant.
Comme le soulignent Lascoumes et Le Bourhis (1996, 70), « tous les acteurs sociaux n’ont
pas un accès équivalent à ces ressources. Les compétences juridiques générales sont en
théorie un savoir à la disposition de tous, mais c’est en fonction de son pouvoir social, de sa
connaissance directe ou indirecte du droit et de sa capacité à influencer que chaque acteur sera
capable de produire des performances plus ou moins complexes dans ce jeu ». Il faut alors
reconnaître que les acteurs de la grande distribution ont réussi à produire des performances
assez remarquables.
Certes, on ne peut ici montrer du doigt la grande distribution comme étant la seule
responsable de cette ineffectivité juridique. Les acteurs de la grande distribution ne sont que
des sujets du droit qui déploient des stratégies afin d’atteindre leurs objectifs. Stratégies qui
rencontrent dans une certaine convergence d’intérêt d’autres stratégies déployées par d’autres
opérateurs économiques puissants, trouvant avantage à l’instauration d’un rapport de force
musclé, afin d’« éliminer leurs concurrents fournisseurs par une surenchère des offres et des
remise arrières ou conditionnelles » (Le Déaut, 2000, 88). Même si ces sujets du droit
unissent leurs forces pour faire pression sur l’appareil politique, rien n’oblige celui-ci à
succomber. Il faut donc reconnaître que « les pouvoirs publics ont une grande part de
responsabilité dans l’exacerbation du rapport de force » [dans la mesure où la grande
distribution a toujours été considérée comme un] « soutien pour assurer une maîtrise de la
hausse des prix sur les produits de grande consommation, (…) » (Le Déaut, ibidem). Le rôle
des pouvoirs publics, du système politique et législatif, est bien sûr au cœur de l’ineffectivité
juridique analysée ici. Jusqu’en 2005, la plupart des dispositifs brillent par leur défaut de
densité. Ces pouvoirs publics sont incapables de réguler des relations économiques qui
mettent en présence des opérateurs puissants. Le fait que les moyens ne furent pas à la hauteur
des objectifs assignés revient subséquemment à se poser la question de la réalité de ces
objectifs21. D’autant plus que ces dispositifs s’affichaient apparemment avec une effectivité
instrumentale, alors qu’en vérité ils relevaient d’une effectivité symbolique, réduisant le
support juridique à un vecteur de communication, selon la célèbre formule du « je vous ai
compris », qui dégénère en fait en quiproquo… La norme juridique en était donc réduite à être
l’instrument plus d’une communication que d’une action, remettant en cause « l’obligariété du
droit [qui] est (…) la réponse adéquate aux besoins fonctionnels des sociétés complexes de
structures hétérogènes » (Petev, 1989, 72). Des lois vidées de leur effectivité instrumentale en
raison de la faiblesse de leur densité normative et, par conséquent, de leur manque d’intensité,
sont, pour paraphraser Bourdieu (1991, 99), « les gardiens de l’hypocrisie collective, c’est-àdire du respect de l’universel ».
Un renversement de tendance semble s’amorcer à partir de 2005. La loi en faveur des PME
repose sur une effectivité davantage instrumentale, même si elle est imparfaite. Les actions
judiciaires intentées à l’instigation du Ministre de l’économie confirment un changement dans
l’approche. L’avenir viendra corroborer ou non cette évolution. Mais si les relations entre la
grande distribution et ses fournisseurs peuvent s’inscrire dans une perspective de meilleure
régulation, la restauration d’une concurrence plus équitable entre la première et le “petit
21
« Nous comptons sur les pouvoirs publics pour faire respecter le droit, ce qui n’est pas le cas actuellement »,
propos de Dominique de Gramont, délégué général de l’Ilec, rapportés dans « Insatisfactions après la réforme de
la loi Galland », La Tribune.fr, 11 juillet 2005.
16
Actes de la 1ère Journée ComIndus - 29 mars 2007 - Avignon
commerce“ paraît utopique. La Commission sur la modernisation de l’urbanisme commercial
a davantage pour mission de mettre en conformité la législation française avec les impératifs
européens que de protéger une espèce en voie d’extinction. Son intitulé lui-même renseigne
sur l’objectif assigné : l’urbanisme commercial. Il s’agit de rééquilibrer les flux commerciaux
vers le centre des villes, et non de donner au petit commerce les moyens de sa survie
économique.
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18
Actes de la 1ère Journée ComIndus - 29 mars 2007 - Avignon
Annexe
Le cadre réglementaire de la grande distribution
De nombreux dispositifs juridiques22 encadrent la grande distribution. Ils sont anciens et ont été régulièrement
modifiés. Il est possible de les regrouper en deux ensembles, selon qu’ils portent sur les relations
concurrentielles (2.1), ou sur les relations verticales entre fabricant – fournisseur et distributeur (2.2).
1. La réglementation des relations concurrentielles
Cette réglementation traite de la notion de surface de vente et vise à protéger le petit commerce. Elle a été
déclinée depuis 1969 en six textes d’inégale importance…
1.1. La loi du 31 décembre 1969
Elle institue une procédure d’examen préalable à la délivrance du permis de construire pour les commerces de
plus de 3 000 m2. Des comités départementaux d’urbanisme commercial (CDUC) sont créés. Ils n’ont qu’un
pouvoir consultatif.
1.2. La loi “Royer”
L’objectif de la loi “Royer“ du 27 décembre 1973 est clairement de protéger les petits commerces. Le
développement de la grande distribution en France est à ses débuts. Certes, le mouvement a été amorcé à partir
des années 1960. Mais les ouvertures de grandes surfaces prennent réellement leur envol à partir des années
1970. Le dispositif juridique central sur lequel repose la loi est l’obligation d’obtenir (avant l’octroi du permis de
construire) l’autorisation de la CDUC (qui possède dorénavant un pouvoir de décision). Cette autorisation vaut
aussi bien pour toute création23 que toute extension24.
La notion de surface de vente est la pierre angulaire du dispositif. Elle fait l’objet d’une définition qui a été
(re)précisée à plusieurs reprises. On entend par surface de vente, tous les locaux dans lesquels la marchandise est
exposée et où la clientèle est autorisée à accéder : allées internes de circulation, surface au sol des vitrines, zone
située entre les caisses et les portes de sortie, zone affectée à la vente de carburant, espace extérieur sous auvents
(CE, 25 avril 1980, Rec. Lebon, p195). Dans le même ordre d’idée, est soumise à autorisation toute installation
prolongée ou répétitive de comptoirs mobiles, sous chapiteau ou non, sur les aires de stationnement (JOAN, 8
décembre 1980, p5115 ; CE, 7 juin 1985, AJDA 1985-631).
1.3. La loi du 31 décembre 1990
Ce texte (appelé loi “Doubin“) vise les lotissements commerciaux, c’est-à-dire les magasins de commerce de
détail qui font partie ou sont destinés à faire partie d'un même ensemble commercial, appelé encore parfois
“centre commercial”, bénéficiant, par exemple, d'aménagements communs tels que des parkings, voies d'accès...
Ce mode de distribution “découpée“ aurait jusqu’alors permis à près d’un tiers des grandes surfaces d’échapper à
l’autorisation instaurée par la loi “Royer“, car d’une surface individuelle inférieure au seuil légal.
1.4. La loi du 29 janvier 1993
La loi du 29 janvier 1993 (dite loi “Sapin“) relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie
économique et des procédures publiques modifie la composition des commissions départementales d’urbanisme
commercial et augmente la transparence de la procédure (votes nominatifs publics à main levée, communication
au préfet et à la chambre régionale des comptes de l'ensemble des contrats concernant la réalisation du projet).
La commission départementale se compose alors25 de six membres : le maire de la commune d’implantation, le
président de la communauté de communes (ou le conseiller général du canton), le maire de la commune la plus
peuplée de l’arrondissement, le président de la Chambre de commerce et d’industrie, le président de la Chambre
des métiers, un représentant des associations de consommateurs du département. En outre, assistent aux réunions
22
Nous n’envisagerons que les principaux. Ainsi, la réglementation relative à la publicité télévisée pour la
grande distribution, interdite par le décret du 27 mars 1992 et autorisée graduellement depuis par le décret du 7
octobre 2003 (totalement à partir du 1er janvier 2007), ne sera pas examinée.
23
d’une surface de plancher hors œuvre dont la construction ou la transformation dépasse, dans les communes
de 40 000 h et plus, 3 000m2 ou d’une surface de vente supérieure à 1 500m2; dans les communes de moins de 40
000 h, les seuils sont ramenés respectivement à 2 000m2 et 1 000m2.
24
… de plus de 200 m2 d'un magasin de détail dont la surface de vente dépasse les seuils précités.
25
Elle était composée jusqu’alors de neuf élus locaux, de neuf représentants des activités commerciales et
artisanales et de deux représentants des associations de consommation, et présidée par le Préfet (décret du 28
janvier 1974).
19
Actes de la 1ère Journée ComIndus - 29 mars 2007 - Avignon
le directeur départemental de l'équipement et le directeur départemental de la CCRF (Répression des Fraudes).
Le décret du 16 novembre 1993 vient ajouter à la demande d’autorisation, la nécessité de produire une étude
d’impact, destinée à permettre à la commission d’apprécier les effets possibles du projet sur le petit commerce
environnant.
1.5. La loi du 5 juillet 1996
Ce nouveau texte législatif (la loi “Raffarin“) apporte des précisions sur les critères légaux permettant à la CDEC
(commission départementale de l’équipement commercial, nouvelle appellation de la CDUC) d’apprécier la
demande d’ouverture ou d’agrandissement d’une grande surface. Il multiplie aussi les cas où une autorisation est
nécessaire. Il renforce enfin la procédure pour la création de grandes surfaces d’une taille importante.
À l’appui de la demande d’ouverture ou d’agrandissement, il faut fournir des informations relatives notamment à
l’impact éventuel du projet en termes d’emplois salariés et non-salariés, ainsi qu’aux conditions d’exercice de la
concurrence au sein du commerce et de l’artisanat.
Sont dorénavant soumises à une autorisation d’exploitation commerciale toute création ou extension,
réutilisation, réouverture de surface de vente supérieure à 300 m2.
Enfin, les demandes de création d’un magasin de commerce de détail ou d’un ensemble commercial d’une
surface de vente supérieure à 6 000 m2 sont accompagnées des conclusions d’une enquête publique portant sur
les aspects économiques, sociaux et d’aménagement du territoire du projet.
1.6. La loi du 13 décembre 2000
Cette loi “SRU“, relative à la solidarité et au renouvellement urbains, ajoute trois nouveaux critères à l’examen
des projets d’équipement commercial quant à leur impact sur les flux de véhicules, la qualité des dessertes en
transports publics et les capacités d’accueil en matière de chargement et déchargement.
Les relations concurrentielles ne sont pas les seules à être encadrées par un ensemble de dispositifs juridiques.
Les relations verticales le sont aussi.
2. La réglementation des relations verticales fabricants - fournisseurs et (certains) distributeurs
La réglementation, ébauchée en 1963, complétée en 1986, a été successivement durcie par la loi “Galland“ du 1er
juillet 1996, puis par la loi NRE du 15 mai 2001 et enfin la loi en faveur des PME du 3 août 2005. Nous
présenterons ces textes au travers des pratiques suivantes : la revente à perte, les pratiques abusives, les délais de
paiement, la coopération commerciale et les enchères inversées.
2.1. La revente à perte
La revente à perte est prohibée depuis 1963 (loi de finance du 2 juillet 1963). Elle a été redéfinie par
l’ordonnance du 1er décembre 1986 (art. 33). Cette interdiction26 vise la revente d’un produit en l’état à un prix
inférieur à son prix d’achat effectif. La revente à perte est une technique qui permet bien sûr d’afficher des prix
très bas. Plus le seuil de prix d’achat, en deçà duquel le prix de revente ne peut descendre, est bas, plus le prix
proposé est attractif. Deux objectifs peuvent ainsi être poursuivis (de façon concomitante, d’ailleurs…) :
asphyxier la concurrence et/ou attirer la clientèle pour l’inciter à l’achat d’autres produits. Il est bien évident que
cette technique ne peut, pour des raisons économiques élémentaires, ni perdurer, ni concerner un grand nombre
de produits à la vente.
La définition de la revente à perte a fait l’objet de plusieurs ajustements. Avant la loi “Galland“, le seuil de
revente à perte s’entendait du prix d’achat unitaire, déduction faite de toutes les remises et contributions
financières (des fournisseurs) afférentes aux produits considérés. La plupart de ces remises et participations
financières faisaient l’objet de factures d’avoir au bénéfice du distributeur (de sa centrale d’achat). L’ampleur et
la diversité de ses “participations“ ont conduit le gouvernement Juppé à faire voter une loi plus stricte.
Avec la loi “Galland“, miracle légistique, la nouvelle donne est simple : seules sont prises en compte les remises
figurant sur la facture du produit. Mécaniquement le seuil remonte.
Depuis le 1er janvier 2006 (date de l’entrée en vigueur de la loi du 3 août 2005), le seuil de revente à perte est
constitué du prix unitaire net figurant sur la facture d’achat, majoré de certaines taxes et minoré du montant de
l’ensemble des autres avantages financiers consentis par le vendeur (les marges arrières)27. Le distributeur peut
donc déduire du prix d’achat figurant sur la facture le “pourcentage“ de marge arrière dépassant ce seuil.
26
Il existe plusieurs exceptions : e.g., produits saisonniers en fin de saison, produits obsolètes, alignement sur un
concurrent de la zone de chalandise, …
27
exprimés en pourcentage du prix unitaire net du produit et excédant un certain seuil (20% en 2006 et 15% en
2007).
20
Actes de la 1ère Journée ComIndus - 29 mars 2007 - Avignon
2.2. L’interdiction des pratiques abusives
L’ordonnance du 1er décembre 1986, dans son article 8, alinéa 2, prohibe l’abus de dépendance économique,
situation dans laquelle une entreprise peut, en raison de son pouvoir de marché, imposer des conditions
commerciales éventuellement anticoncurrentielles. La loi “Galland“ complète ce dispositif en interdisant, d’une
part, les primes de référencement versées sans contreparties réelles et, d’autre part, tout déréférencement abusif,
défini comme la rupture brutale, même partielle, d’« une relation commerciale établie, sans préavis tenant
compte des relations commerciales antérieures ou des usages reconnus par des accords interprofessionnels » ou
toute menace de déréférencement dans le but d’obtenir des conditions commerciales « manifestement
dérogatoires aux conditions générales de vente ».
La loi NRE du 15 mai 2001 précise davantage encore les cas de pratiques abusives. Pratiques consistant en
l’obtention d’un avantage préalable à la passation de commandes, sans l’assortir d’un engagement écrit sur un
volume d’achat en rapport, en l’obtention, sous la menace d’une rupture brutale des relations commerciales, des
prix, des délais, des modalités de vente ou des conditions de coopération commerciale manifestement
dérogatoires, en la rupture brutale, même partielle, d’une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant
compte des relations commerciales antérieures ou des usages reconnus (préavis doublé pour les produits
revendus sous marque distributeur), en l’obtention d’un avantage quelconque28 ne correspondant à aucun service
commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné, en des conditions de paiement
manifestement abusives, compte tenu des bonnes pratiques et usages commerciaux.
Pour que de telles pratiques, simples délits civils, ne restent impunies en raison de la réticence des victimes à les
dénoncer, le président du Conseil de la concurrence, le Parquet et le Ministre de l’économie ont la possibilité de
demander l’application de toutes les mesures qu’aurait pu demander la victime elle-même, i.e. la cessation des
pratiques en cause, la nullité des clauses ou contrats illicites, la répétition de l’indu, la réparation des préjudices
subis et (seulement en cas d’action du parquet ou du ministre) une amende civile d’un montant maximum de 2
millions .
En outre, sont frappés de nullité de plein droit, d’une part, le bénéfice rétroactif de remises, de ristournes ou
d’accords de coopération commerciale, d’autre part, le paiement d’un droit d’accès au référencement
préalablement à la passation de toute commande, et, enfin, les clauses faisant échec au droit de céder les
créances.
Par ailleurs, la loi du 3 août 2005 réglemente les enchères électroniques inversées. Celles-ci permettent à
l’acheteur (e.g., une centrale d’achats) de mettre en concurrence en temps réel des fournisseurs qui enchérissent à
la baisse pour obtenir un marché. La loi impose plus de transparence afin de lutter contre toute pratique
discriminatoire.
2.3. Les délais de paiement
L’article 35 de l’ordonnance de 1986, complété par la loi du 1er juillet 1996, impose des délais impératifs de
règlement pour l’achat de certains produits, et notamment un délai maximum de 30 jours pour les produits
alimentaires périssables, ainsi que pour les viandes congelées ou surgelées et les poissons surgelés.
En outre, la loi du 15 mai 2001 indique qu’en l’absence de stipulation contraire des parties, le délai de paiement
de 30 jours s’applique. Et quand le délai fixé pour le paiement de produits ou services destinés à la
consommation courante des ménages est supérieur à 45 jours, l’acheteur doit consentir une garantie de paiement
à son fournisseur, i.e. fournir à ses frais une lettre de change ou un effet de commerce d’un montant égal à la
somme due.
2.4. La coopération commerciale
La loi du 3 août 2005 définit dorénavant la coopération commerciale, comme une convention par laquelle un
distributeur ou un prestataire de services s’oblige envers un fournisseur à lui rendre, à l’occasion de la revente de
ses produits ou services aux consommateurs, des services propres à favoriser leur commercialisation qui ne
relèvent pas des obligations d’achat et de vente. Il s’agit surtout des services publi-promotionnels comme les
têtes de gondole, les publicités dans le catalogue du distributeur, etc.
Cet accord de coopération doit être rédigé afin d’y faire apparaître clairement le contenu des services, la date à
laquelle ils sont rendus, leur durée, les produits sur lesquels ils portent et leur rémunération. Cette rémunération
doit être exprimée en pourcentage du prix unitaire net du produit auquel il se rapporte. Ce contrat doit être signé
avant la fourniture des services.
Pour les services distincts de ceux figurant dans le contrat de coopération commerciale, la loi impose la rédaction
d’un autre contrat.
28
Le financement, par exemple, d’une opération d’animation commerciale, d’une acquisition ou d’un
investissement, en particulier dans le cadre de la rénovation de magasins ou encore du rapprochement
d’enseignes ou de centrales de référencement ou d’achat.
21
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2.5. Les enchères inversées
La loi de 2005 impose l’identification de l’acheteur et de la personne qui organise l’enchère. Elle oblige à
informer sur les produits ou prestations demandées, à notifier les critères de sélection et les règles de l’enchère.
Un enregistrement de l’enchère est conservé pendant un an. La loi interdit aussi la pratique du “lièvre“ qui
consiste à faire baisser artificiellement le prix. Certains produits ne peuvent faire l’objet de cette technique
d’achat : les produits agricoles périssables, les produits alimentaires de consommation issus de ces produits (en
première transformation).
22

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