Expertises médicales dans les cas juridiques

Transcription

Expertises médicales dans les cas juridiques
2002/1
Bulletin des
assureurs Vie destiné
aux médecins suisses
Expertises médicales
dans les cas juridiques
Supplément du Bulletin des médecins suisses
No 27 / 3 juillet 2002
Schweizerischer Versicherungsverband
Association Suisse d’Assurances
Associazione Svizzera d’Assicurazioni
2
Sommaire
Editeur ASA Association Suisse
d’Assurances
1941 – 1998 édité par les assureurs Vie
Expertises médicales dans le cas
juridiques
4
Pourquoi faut-il toujours
davantage d’expertises?
14
L’expert médicale en qualité
de juge
20
La réadaptation avant la rente
26
Le cas pratique
38
La commission responsable de la parution
du «Bulletin» se compose comme suit:
• Josef Kreienbühl, PAX, président
• Karl Ehrenbaum, Zurich
• Dr méd. Thomas Mall, Bâloise
• Dr méd. Jan von Overbeck, Swiss Re
• Dr méd. Walter Sollberger, Bernoise
• Peter Suter, Winterthur
• Dr méd. André Weissen, PAX
Rédaction Dr Jörg Kistler
C.-F.-Meyer-Strasse 14
8022 Zurich, Téléphone 01-208 28 28
E-mail [email protected]
Imprimerie Dürrenmatt Druck AG
3074 Muri-Berne
Tirage 5500 exemplaires
3
Editorial
Chères lectrices, chers lecteurs
Toute expertise médicale joue de par nature un rôle déterminant dans
l’appréciation de l’incapacité de gain. Pas étonnant dès lors que ce genre
d’expertise ne cesse de susciter des controverses. Mais quoi qu’il en soit,
pour remplir son office, une expertise ne saurait concéder ni erreur, ni
contradiction.
Dans le présent numéro, Christine Grünig, juriste auprès du Tribunal des
assurances sociales du canton de Zurich, expose la fonction de l’expertise médicale dans une procédure administrative ou devant les tribunaux
administratifs; elle décrit les exigences posées aux spécialistes mandatés
à cet effet et nous indique où résident les problèmes.
Quant au professeur Victor Meyer, il nous dresse un tableau des expériences récoltées par le Bureau d’expertises extrajudiciaires de la FMH,
qui fournit des expertises neutres pour des patients persuadés avoir été
victimes d’une erreur médicale. Le Dr Atilay Ileri se met dans la peau de
l’avocat d’un patient et considère la position de l’expert médical comme
celle d’un juge. A l’appui de cas concrets, il nous explique comment comprendre cette assertion.
De son côté, Regina Wide, collaboratrice auprès de la Swiss Re, nous
montre quelles chances possède une personne frappée d’une incapacité
de gain d’opérer une réinsertion professionnelle. Elle relève l’importance
de faire glisser son angle de vision, du point où une personne incapable
de travailler examine ce qu’elle ne peut plus faire à celui où elle envisage
ce qu’elle peut encore réaliser. Plus tôt se fera le contact avec l’assuré,
plus grandes seront ses chances de réintégrer le processus du travail.
Au bénéfice de tous.
Les prestations servies au titre de l’incapacité de gain grèvent toujours
plus les assurances étatiques et sociales. Les expertises médicales jouent
un rôle essentiel dans l’appréciation des chances de réinsertion. Chères
lectrices, chers lecteurs, j’espère que ce numéro éveillera votre intérêt et
vous montrera plus concrètement ce qu’implique une expertise médicale.
Dr. Jörg Kistler
4
Expertises médicales dans les cas
juridiques
Christine Grünig,
juriste auprès du Tribunal
des assurances sociales
du canton de Zurich
Limites de l’appréciation juridique
d’expertises médicales dans le
domaine du droit des assurances
sociales
1. L’expertise médicale dans
la procédure administrative
comme devant les tribunaux
administratifs
Dans la procédure administrative et
devant les tribunaux administratifs
portant sur les assurances sociales
s’applique notamment le principe de
l’instruction, selon lequel l’administration et le tribunal doivent veiller
de leur propre chef à l’établissement
correct et complet des faits. Ils dépendent à cet effet de documents
d’experts médicaux – et, le cas
échéant, d’autres experts. Les rapports médicaux constituent donc,
avec les autres pièces, la base de la
décision qui dira si une personne a
droit, et si oui dans quelle mesure, à
des prestations en vertu du droit des
assurances sociales.
A l’échelon de l’administration, la
quête de renseignements médicaux a
le plus souvent lieu par voie de formulaires contenant des questions
standard, et sont interrogés les
médecins traitants ainsi que d’autres
médecins. Ce n’est que lorsque les
rapports sont insuffisants, contradic-
toires ou quand l’autorité administrative considère nécessaire une expertise pluridisciplinaire ou établie
par un médecin-spécialiste qu’elle
mandate l’établissement d’un tel
rapport d’expertise.
La procédure judiciaire du droit des
assurances sociales est généralement exclusivement écrite. Les rapports et expertises médicaux requis
dans la procédure administrative
revêtent par conséquent une grande
importance aussi dans la procédure
judiciaire, puisque le tribunal doit
apprécier et vérifier objectivement si
ces pièces autorisent une appréciation fiable de la prétention litigieuse.
Le tribunal dépend donc, pour l’exécution de la procédure, d’un établissement soigneux de la situation sur
le plan médical par l’administration
d’abord, et de données médicales
explicites et compréhensibles. Si les
pièces médicales acquises par l’administration ne permettent pas une
appréciation concluante du rapport
juridique litigieux, le tribunal a la
possibilité
de renvoyer la cause à l’administration pour élucidation plus
complète,
de poser des questions aux
experts médicaux déjà interrogés
par l’administration ou
5
d’exiger de leur part un rapport
complémentaire,
d’ordonner lui-même une expertise ou de requérir éventuellement
une seconde expertise.
Le renvoi de l’affaire à l’administration intervient avant tout lorsque le
tribunal considère que l’état des faits
n’est pas suffisamment établi. Des
questions complémentaires à des experts médicaux déjà impliqués dans
la procédure administrative ou la requête d’un rapport supplémentaire
auprès de telles personnes sont indiquées quand de plus amples éclaircissements ne sont nécessaires que
sur certains points particuliers ou
lorsque certaines questions n’ont pas
reçu de réponses complètes ou suffisamment claires. Mais l’ordonnance
visant l’établissement d’une expertise judiciaire sera généralement prise
lorsque le tribunal estime que seule
un tel rapport est apte à établir les
faits. L’expertise ordonnée par le tribunal se distingue essentiellement
des rapports et expertises demandés
dans la procédure administrative par
le fait que le tribunal ne s’écarte pas
sans motifs impérieux de l’appréciation de l’expert médical, dont la tâche
est précisément de mettre à disposition de la juridiction ses connaissan-
ces techniques1, alors que l’expertise
requise dans la procédure administrative n’a pas, comparée aux autres
pièces médicales, de valeur probatoire accrue. Il reste enfin la possibilité d’exiger une expertise à un autre
spécialiste quand l’expertise existante ne permet pas d’appréciation
concluante de la prétention litigieuse.
2. Exigences posées en matière
d’expertise médicale
a) Généralités
Selon la jurisprudence, il est déterminant sous l’angle de la valeur probatoire d’une expertise médicale que
celle-ci traite entièrement les points
litigieux, qu’elle se fonde sur des
examens entrepris de toutes parts,
qu’elle tienne compte des plaintes
émises par le patient et qu’elle s’exprime sur celles-ci comme au sujet
du comportement de la personne
examinée, qu’elle ait été remise en
connaissance des pièces antérieures
versées au dossier et, le cas échéant,
moyennant analyse desdites pièces,
qu’elle soit convaincante dans la
présentation des interrelations médicales et dans l’appréciation de la
situation médicale, que les conclusions soient fondées d’une manière
compréhensible et, si besoin est,
qu’elle relève clairement les points
1 ATF 125 V 352 cons. 3b/aa
avec renvois
6
d’incertitude et de confusion qu’il
n’est pas possible d’évacuer et qui
rendent plus difficile ou impossible la
réponse aux questions posées2.
b) Particularités
Lors de l’ordonnance d’une expertise
médicale, est importante avant tout,
hormis le choix minutieux de l’expert
et la prise en compte des droits de
participation de l’assuré, la formulation claire des questions. Des questions précises sont tout aussi importantes que des réponses précises. De
plus, tant le mandat que l’expertise
elle-même sont à rédiger dans une
langue compréhensible pour les deux
parties – le mandant qui est de formation juridique, et le médecin expert.
Dans la procédure liée au droit des
assurances sociales, les questions
qui intéressent le mandant portent le
plus souvent sur le point de savoir de
quelle atteinte à la santé souffre l’assuré, depuis quand et dans quelle
mesure une telle atteinte a des effets
sur sa capacité de travail dans sa profession usuelle et quelles autres activités sont éventuellement possibles
et supportables en dépit de l’atteinte
à la santé, depuis quand et dans
quelle mesure. Ce sont donc généralement ces questions qui sont soumises à l’expert médical.
aa) Atteintes à la santé
En cas de constatation d’une atteinte
à la santé dans l’esprit de la pose
d’un diagnostic, il est d’une importance décisive pour le tribunal qu’il
puisse s’en faire une idée sans connaissances médicales, à l’aide de la
littérature médicale à sa disposition
et que le diagnostic qui lui est établi
ainsi que la limitation de la capacité
de travail qui en est déduite par l’expert le renseignent de manière compréhensible. Un diagnostic qui ne
consiste qu’en un terme générique,
comme une «réaction dépressive»
ou un «syndrome lumbo-vertébral»
ne sera pas d’une grande aide. Un
diagnostic compréhensible contient
donc un diagnostic différentié, une
description des symptômes ainsi
qu’une brève présentation du déroulement de la maladie, une distinction
claire entre ce que ressent subjectivement l’assuré et ce que constate
objectivement l’expert étant par ailleurs essentielle. Par conséquent, il
est également capital de savoir sur la
base de quels examens le diagnostic
a été posé.
7
bb) Incapacité de travail
dans l’activité professionnelle
traditionnelle
Le Tribunal fédéral des assurances
décrit la notion de l’incapacité de travail dans la profession traditionnelle
de la manière suivante: est réputée
incapable de travailler une personne
qui par suite d’une atteinte à la santé
ne peut plus exercer son activité
actuelle ou ne peut plus l’exercer que
de manière restreinte ou seulement
au risque d’aggraver son état de
santé3. Le taux de l’incapacité de travail sera déterminé selon le degré où
la personne assurée, pour des raisons de santé, ne peut plus exercer
utilement et de manière supportable
une activité à son poste de travail
habituel. Par contre, l’évaluation
médico-théorique de l’incapacité de
travail telle que le médecin la fixe
dans des cas comparables sur la
base de valeurs empiriques n’est pas
déterminante. N’est pas décisif non
plus le point de savoir si la personne
assurée utilise effectivement cette
capacité de travail ou si, comme cela
peut également se produire, elle
exerce son activité usuelle au-delà
de la mesure qui lui serait tolérable
du point de vue médical.
cc) Capacité de travail résiduelle
exploitable sur le marché général
du travail
Mis à part la limitation subie dans la
profession actuelle, il est une autre
question qui retient l’intérêt: est-ce
que l’assuré peut, en dépit de sa
santé affectée, exercer une autre
activité et si oui, dans quelle mesure
ou sous quelles limitations? Le spécialiste médical qui procède à l’expertise doit donc également exposer
si et dans quelle mesure la personne
assurée est limitée dans une autre
activité – qui est envisageable au vu
de ses conditions personnelles – par
son atteinte physique ou intellectuelle. Ces questions se posent de la
même façon en présence d’atteintes
physiques, lorsqu’il faut par exemple
constater si l’assuré porte des objets
lourds, exécute des travaux au-dessus de sa tête ou ne peut travailler
qu’en alternant la position debout ou
assise, ou encore face à des troubles
psychiques. Ici aussi, il est décisif
pour le droit à la prestation de déterminer comment l’atteinte psychique
se répercute sur l’exercice de l’activité professionnelle envisageable pour
l’assuré. Est-il encore en mesure, par
exemple, de travailler pendant une
demi-journée, mais ceci à plein régime, ou au contraire lui est-il possible
2 cf. ATF 122 V 160, cons. 1c
ainsi que les renvois cités à la
jurisprudence et à la doctrine.
Au demeurant, cette jurisprudence ne vaut pas que pour
des expertises médicales,
mais également pour tout
autre rapport ou expertise
médicaux demandés dans une
procédure administrative
3 ATF 114 V 283 cons. 1c
avec renvois
8
d’assurer une présence toute la
journée, mais avec une prestation
réduite de moitié? L’atteinte a-t-elle
des effets sur la capacité de concentration, sur l’aptitude à faire face à la
charge de travail et sur le rythme de
travail? S’il y a aussi bien atteinte
physique que psychique, il y a lieu
d’établir clairement dans une expertise psychiatrique si, pourquoi et
dans quelle mesure l’atteinte psychique limite encore davantage la performance de l’assuré, en sus de l’incapacité de travail due à l’empêchement physique.
L’expert médical n’a cependant pas à
exercer la fonction de conseiller professionnel. Il doit uniquement préciser à quel degré l’assuré est limité
dans ses fonctions physiques ou
intellectuelles. La question de savoir
dans quelle mesure il peut utiliser
économiquement la capacité de travail résiduelle est l’affaire de l’administration ou du tribunal.
3. Quant les expertises médicales
créent-elles problème du point
de vue juridique?
a) En général
On peut dire en résumé que des problèmes apparaissent toujours lorsqu’une expertise médicale ne satisfait pas aux conditions exposées
sous chiffre 2. a), quand l’expert ne
répond pas complètement ni clairement aux questions posées et lorsque l’expertise n’est pas rédigée
dans une langue également compréhensible aux profanes en matière
médicale. De même, des problèmes
peuvent surgir si l’expert s’exprime
sur des circonstances qui sont sans
pertinence pour le droit à la prestation en question, ou lorsque son rapport contient une appréciation ou
conclusion qui sort de son champ
d’activité.
S’agissant d’un diagnostic posé, le
tribunal est en tout cas lié par l’expertise. Il n’a ni les connaissances
techniques, ni la compétence de
s’écarter sur ce point d’une expertise
médicale. Si un doute naît pour une
raison ou une autre à propos du diagnostic établi, le tribunal n’a pas
d’autre solution que de faire éventuellement confirmer ou éliminer ce
doute par une autre expertise.
9
Même en ce qui concerne l’incapacité de travail attestée médicalement,
le tribunal se fonde en général sur les
déclarations de l’expert, car il n’a pas
la possibilité de faire sa propre évaluation à ce sujet. Pour le tribunal, il
est par conséquent décisif que l’expert, en estimant la capacité de travail, dise avec clarté sur quoi elle
porte: sur la profession exercée
jusqu’alors, sur une activité de remplacement considérée comme supportable ou en général, sur des activités encore supportables. Comme
dans la majorité des cas, la capacité
de travail sur le marché général du
travail, donc la capacité de travail
dans diverses professions envisageables pour l’assuré, est déterminante
pour le droit aux prestations, l’expert
doit porter une attention particulière
à cette question dans son rapport.
Des déclarations confuses ou contradictoires sur la capacité de travail
peuvent – dans le pire des cas – conduire à un jugement incorrect sur le
droit aux prestations, mais le plus
souvent, la conséquence en est que
le tribunal ne peut pas s’en écarter et
qu’il faut poser des questions supplémentaires à l’expert.
b) Caractère complet de l’expertise
L’expertise médicale doit être complète et il s’agit pour son auteur de
répondre exhaustivement aux questions posées. A cet effet, il est nécessaire que l’expertise ne porte pas
uniquement sur l’examen poussé de
l’assuré, mais qu’elle se fasse en
connaissance des pièces mises à
disposition de l’expert et que celuici, si besoin est, les analyse. La pleine connaissance des pièces au dossier est spécialement cruciale lorsque l’expert doit se prononcer sur la
question de la limitation – suite à une
maladie – dans une période antérieure remontant parfois à des années
auparavant. La connaissance du dossier est également essentielle pour
l’appréciation de suites éventuelles
d’un accident. La description d’un
accident par la personne prétendant
aux prestations est souvent teintée
de subjectivité. En effet, la perception personnelle de son déroulement
et les plaintes qui en résultent font
apparaître l’événement autrement
qu’il ne s’est réellement passé. Ainsi
une expertise sera sans valeur si
pour l’appréciation des suites de
l’accident, seule sa présentation par
l’assuré sert de base, alors que le
dossier contient un rapport de police
d’où il ressort que l’événement acci-
10
dentel était tout différent et surtout
beaucoup moins dramatique que la
mémoire de l’assuré ne le présente.
En pareil cas, il n’y a pas d’autre solution pour le tribunal que d’ordonner
une nouvelle expertise.
c) Absence de contradictions
L’expertise doit être homogène et
exempte de contradictions. Cette exigence en soi convaincante n’est pas
toujours aisée à respecter dans les
affaires quotidiennes traitées au tribunal. Des problèmes existent avant
tout dans le domaine de la capacité
de travail de l’assuré examiné par
l’expert médical. Ainsi n’est-il pas
rare de constater que l’assuré, du
point de vue médical, se voit attester
une capacité résiduelle de travail
considérable pour des activités physiques légères, mais que l’expert
mentionne ensuite sans motivation
que l’assuré en question n’est pratiquement plus employable sur le marché du travail. Pour le tribunal se
pose alors la question suivante:
pourquoi, selon l’expert, l’assuré
n’est-il plus utilisable sur le marché?
Parce que sa seule capacité résiduelle ne consiste plus qu’à exercer des
activités simples au point que, toujours du point de vue de l’expert, le
marché du travail en général n’en
fournit (presque) plus? Il s’agit là
d’une appréciation personnelle de
l’expert, dont le tribunal ne peut pas
tenir compte. Ou n’est-il plus possible de placer utilement l’assuré en
raison de ses douleurs? Si tel est le
cas, la capacité de travail attestée ne
peut pas être correcte. Ou bien, y a-til une autre atteinte à la santé qui
exerce des effets supplémentaires
sur la capacité de travail? Le cas
échéant, il y a lieu de douter du diagnostic. A défaut d’autres documents
médicaux à disposition pour aider à
répondre à ces questions, le tribunal
n’a pas d’autre choix que de recourir
à un autre expert.
d) Facteurs indépendants
de l’atteinte à la santé
Il est fréquent que naissent des problèmes lorsque dans l’expertise médicale, on parvient à la conclusion
d’une aggravation, voire d’une simulation. Il est alors difficile de savoir si
la capacité de travail certifiée se
fonde sur des constats établis objectivement sur le plan médical ou sur
les données subjectives du patient.
S’il s’agit de la deuxième hypothèse,
l’expertise doit établir pourquoi l’assuré n’est pas capable d’exploiter la
capacité de travail constatée médicalement ou pourquoi celle-ci ne lui est
11
pas supportable. Inversement, dans
la première hypothèse, l’expertise
doit clairement montrer qu’il est possible ou supportable pour l’assuré,
en dépit des plaintes subjectives,
d’exercer une activité lucrative dans
la mesure attestée.
D’autre part, des motifs étrangers à
l’invalidité tels que l’âge, la modeste
formation scolaire ou le manque de
connaissances en langue allemande
n’ont rien à voir avec l’appréciation
de la capacité de travail. Car de tels
motifs, bien qu’ils exercent certainement des effets sur les possibilités
de travail et de gain de la personne
assurée, n’ont aucun rapport avec
l’atteinte à la santé et ne parviennent
pas à influencer le droit aux prestations de l’assurance sociale résultant
de l’invalidité. Le Tribunal fédéral des
assurances a également posé dans
un récent arrêt que des situations
psychosociales et socioculturelles
lourdes à supporter ne pouvaient
pas, sous l’angle du droit des assurances sociales, avoir l’effet d’une
limitation déterminante de la capacité de travail et que le constat établi
par le médecin, «qui trouve une
explication suffisante dans le contexte psychosocial et socioculturel et
qui, pour ainsi dire, se fond dans ce
contexte», ne représente pas une
atteinte invalidante à la santé psychique4.
e) Objectivité
L’expert médical chargé de l’établissement d’une expertise n’est ni l’avocat, ni l’adversaire de l’assuré, et il
n’assume pas non plus le rôle d’un
détective privé.
Des phrases telles que «une demirente revient certainement à ce
patient désireux de travailler» n’ont
donc pas, en principe, leur place
dans une expertise médicale. Car en
premier lieu, l’expert s’écarte de son
champ de compétence puisque s’exprimer sur le droit à la prestation ne
fait pas partie de ses tâches et,
d’autre part, l’objectivité de l’expert
en ressort – peut-être à tort – égratignée, ce qui diminue sensiblement
la valeur probatoire de son rapport. A
cela s’ajoute qu’il n’est guère ou pas
du tout compréhensible pour l’assuré que, d’un point de vue médical, on
affirme qu’un droit à une prestation
déterminée est donné alors que, de
son côté, le tribunal refuse totalement ou partiellement un tel droit.
Mais en matière de déclarations
négatives aussi, qui peuvent figurer
dans la description de l’apparence
extérieure de l’assuré, la prudence
est de mise. Ainsi, le Tribunal fédéral
4 ATF 127 V 299 cons. 5a
avec renvois
12
des assurances a eu l’occasion de
juger d’un cas où le recourant considérait que la description «de type
négroïde» dans l’expertise était une
appréciation négative et concluait à
la partialité de l’expert, ce que le
Tribunal fédéral a cependant rejeté5.
Par contre, le tribunal des assurances sociales du canton de Zurich a
confirmé la partialité de l’expert en
se fondant sur les déclarations de
celui-ci, qui étaient le résultat d’une
demande de renseignements complémentaires effectuée par l’expert
lui-même dans le voisinage de l’assuré et selon lesquels le recourant laissait paraître au grand jour, malgré
26 années de séjour en Suisse, un
comportement misogyne; toujours
aux yeux de l’expert se posait la
question de savoir si un tel comportement de base sur les plans socioculturel, politique et religieux avait
sa place en Suisse6. Dans un autre
cas, l’expert avait fait sans préavis
une visite au domicile de l’assuré et
contrôlé si celui-ci prenait correctement les médicaments prescrits par
le médecin; il était parvenu à la conclusion que l’assuré ne se conformait
pas suffisamment aux prescriptions
médicales, ce qui voulait dire selon
lui que l’assuré entendait tirer profit
de ses souffrances; le tribunal a
conclu que l’expert était partial et
qu’une nouvelle expertise devait être
ordonnée7.
4. Conséquences d’une expertise
médicale non explicite
Il a déjà été mentionné que le tribunal dispose de divers moyens, lorsque les documents médicaux disponibles pour l’appréciation du droit
aux prestations litigieuses ne suffisent pas: renvoi pour complément
d’élucidation des faits à l’administration, demandes de renseignements à
titre de complément ou de précision
aux experts qui ont établi un rapport
ou une expertise, ou ordonnance
d’une nouvelle expertise. En tout
état de cause, le tribunal ne peut
régler le cas si les pièces médicales
et autres ne permettent pas une appréciation fiable du droit aux prestations.
Chacune des possibilités mentionnées entraîne une prolongation de la
procédure, qui suivant les circonstances dure déjà depuis plusieurs
années, une charge psychique et
sociale qui s’y ajoute pour l’assuré,
et surtout des frais supplémentaires
considérables. C’est pourquoi, pour
conclure, nous citerons la déclaration
d’un médecin: «Autrefois, j’avais
coutume de penser qu’un bon méde-
13
cin se soucie de son patient et non
pas de questions juridiques et économiques; ces aspects ne sont bons
que pour les bureaucrates et les
médecins qui ont échoué. Mais avec
le temps, j’ai découvert l’importance
et la valeur de l’angle juridico-économique d’une atteinte à la santé pour
les patients, notamment pour ceux
dont le problème réside moins dans
la santé que dans l’aspect économique des choses, et avant tout pour
ceux qui sont écartés du monde du
travail et pour qui, en conséquence,
seules les suites économiques de
leur état de santé comptent.»
5 ATF 120 V 357
6 Arrêt du 15 février 2001,
AI.2000.00068
7 Arrêt du 28 mars 2002,
AI.2000.00603
14
Pourquoi faut-il toujours davantage
d’expertises?
Prof. Dr Viktor E. Meyer
Cause de l’évolution du point
de vue médical
Point de la situation
En 1982, la Fédération des médecins
suisses FMH a mis sur pied un
Bureau d’expertises extrajudiciaires.
Le but en est de faciliter l’accès à
une expertise médicale neutre aux
patients qui pensent avoir été les victimes d’une erreur médicale ou d’une
violation de l’obligation de diligence
sur le plan médical.
Jusqu’à fin 1996, cette prestation de
service était gratuite. Au début 1997,
un nouveau règlement est entré en vigueur, qui prévoit que chaque requérant doit verser un montant de CHF
500.– (il est possible de renoncer à ce
montant lorsque la personne en question a des difficultés financières).
Comme le Bureau d’expertises de la
FMH a enregistré ses données de
manière exemplaire et aisément accessible depuis le départ, je m’appuie essentiellement sur ce matériel
chiffré (bibl.) pour mes développements. Un premier survol des données 1982 – 2000 permet d’établir le
tableau suivant: de 1982 à 2000,
2442 expertises ont été réalisées en
tout, dont 29% ont reçu une réponse
affirmative. Si l’on divise ces cas
étalés sur 19 ans (1982 – 2000) en
deux périodes de 10 et 9 ans, il apparaît que durant les dix premières
années (1982 – 1991), 905 expertises
ont été effectuées. Et dans 23% de
ces cas, une faute a été clairement
confirmée. Dans les 9 années suivantes 1992 – 2000, le nombre des expertises établies a passé à 1537 et la
faute a été reconnue dans 30% des
dossiers (voir tableau 1).
Le tableau 2 donne une vue d’ensemble sur les rapports d’expertises
fournis en l’an 2000; ils sont répartis
entre les spécialités de la chirurgie et
la médecine générale, y compris la
médecine interne.
Ces deux périodes prouvent d’abord
la hausse vertigineuse du nombre
des expertises et, d’autre part, l’augmentation des affaires où une faute a
été nettement confirmée.
Si l’on tient compte d’une «période
de lancement» de 4 ans (durée choisie arbitrairement) pour le Bureau
d’expertises de la FMH, et si l’on suit
l’évolution dès 1986 en tranches
bisannuelles, on obtient le tableau 3.
Il se trouve qu’en 1998, le nombre
des expertises a fortement baissé
par rapport à 1996. On ne peut pas
en tirer une tendance générale, car il
s’agit là de la conséquence d’un
changement de pratique interne du
Bureau d’expertises.
15
Tableau 1 Survol des chiffres globaux des périodes bisannuelles
1982 – 1991 et 1992 – 2000 ainsi que la période entière 1982 – 2000
Période
Expertises réalisées
Fautes confirmées
1982 – 1991
1992 – 2000
1982 – 2000
1905
1537
2442
23%
30%
29%
Nombre d’expertises
Fautes confirmées
Branches chirurgicales
toutes ensemble
95 (78%)
47 (49%)
Médecine générale
et médecine interne
27 (22%)
11 (41%)
Année
Expertises établies
Fautes confirmées
1986
1988
1990
1992
1994
1996
1998*
2000
050
057
126
150
229
232
140
122
24%
23%
17%
35%
28%
31%
39%
43%
Tableau 2 Expertises 2000
Discipline médicale
Tableau 3
Comme il en a déjà été fait mention
plus haut, un nouveau règlement est
entré en force au début 1997, selon
lequel tout expertisé devait payer un
montant de CHF 500.– pour l’expertise alors que jusqu’en 1996, ce ser-
vice était gratuit. C’est un motif essentiel de la chute du nombre des
expertises entre 1996 et 1998. Une
autre raison réside cependant dans
l’intensification de la préconsultation
neutre et compétente effectuée par
* un nouveau règlement entre
* en vigueur (voir texte)
16
le Bureau d’expertises de la FMH
lors de l’octroi du mandat. Cette préconsultation a permis de retirer d’un
commun accord le mandat dans des
affaires qui sont claires dès le départ.
Causes principales
de l’augmentation du nombre
des expertises
En général, on doit constater que
dans les pays très avancés, la disposition des gens à considérer des
atteintes, surtout sur leur propre
corps, comme des coups du sort a
fortement diminué. Toujours plus
souvent, les intéressés tentent de
trouver un coupable, de l’amener à
rendre compte, à le déclarer responsable par tous les moyens de droit à
leur disposition, et faire triompher en
conséquence leur prétentions en
dommages et intérêts. Il est fort bien
connu que cette évolution – spécialement aux USA qui ont un système
juridique et une jurisprudence particuliers – a conduit de plus en plus
fréquemment à des condamnations
assorties d’indemnités tout à fait
grotesques, et cela non seulement
dans le domaine médical mais aussi
dans d’autres branches telles que,
par exemple, la responsabilité du fait
des produits.
Aux États-Unis, on a commencé à
parler voici quelques années déjà de
ladite «liability crisis», qui a contraint
des secteurs entiers de production
à mettre la clé sous le paillasson,
comme l’avionneur Cessna, il y a de
cela quelques années.
Dans le secteur de la médecine, cette
évolution a entraîné au début des
années 70 une hausse vertigineuse
des primes de responsabilité civile,
en particulier pour les spécialités de
la chirurgie américaine. La prime
responsabilité civile de mon professeur – je travaillais à l’époque à New
York – a subi d’un seul coup, en 1973,
une hausse équivalant à 5 fois le
montant de la prime, et les chirurgiens de la Harvard Medical School
ont examiné sur le plan interne la
possibilité de créer leur propre assurance responsabilité civile.
Le phénomène a tendance à gagner
l’Europe aussi, et il ne reste plus qu’à
espérer que les systèmes juridiques
européens seront toujours en mesure d’empêcher les excès constatés
aux USA. Mais l’Europe semble devenir un marché attrayant pour les
avocats américains également, (les
États-Unis ont le plus grand nombre
d’avocats par tête d’habitant). Il est
connu que des études d’avocats spécialisées dans les cas de responsa-
17
bilité civile médicale ont ouvert des
filiales en Europe.
On parle volontiers à l’heure actuelle
de «patients adultes»: on veut dire
par là que le patient doit être éclairé
le plus largement possible sur la
nature et l’efficacité, mais aussi sur
les risques potentiels d’un traitement, et éventuellement sur l’existence de traitements alternatifs possibles, afin qu’il puisse assumer un
rôle essentiel au cours du processus
de décision, pour ou contre une proposition de traitement.
L’explication fournie doit être consignée dans la carte du patient; l’idéal
serait que ce dernier y appose alors
sa signature aussi. En principe, il n’y
a rien à objecter à cela. Mais trop
souvent malheureusement, les médecins ne prennent pas encore suffisamment au sérieux cette démarche.
En effet, dans le domaine de l’information et de la documentation,
l’obligation de diligence du médecin
est bien trop fréquemment violée, ce
qui peut provoquer ensuite des expertises.
Durant les 25 dernières années, de
nombreux secteurs de la médecine
ont connu des développements en
partie révolutionnaires, avec l’introduction de nouveaux moyens de traitement souvent franchement specta-
culaires, et ce processus se poursuit
sans jamais ralentir. Il est évident
que la population est informée du
phénomène. De nombreuses découvertes positives de la médecine sont
une conséquence directe de l’«explosion technologique» du siècle
dernier et du siècle actuel. Ceci se
vérifie également dans le développement des médias, notamment dans
le domaine de l’image. C’est quelque
chose de formidable en soi que de
voir comment aujourd’hui des procédés médicaux complexes – non seulement des opérations – peuvent être
présentés au large public via la télévision. Malheureusement, en dépit
de rapports équilibrés et critiques, la
multiplication des émissions de ce
genre fait que, spécialement lorsque
le traitement en question obtient des
succès spectaculaires, un sentiment
d’attente irréaliste naît dans le
public, qu’il est souvent très difficile
de corriger après coup. L’étonnement
du patient sera tout aussi grand si le
traitement n’apporte pas les résultats espérés ou lorsque de surcroît,
un dommage survient par la réalisation d’un risque en soi normal, même
si ce risque a fait l’objet d’un entretien en bonne et due forme avant le
traitement.
18
Les nombreux développements de la
médecine ont conduit logiquement –
nul médecin ou chirurgien ne peut en
effet tout maîtriser – à une fragmentation toujours plus poussée de
larges disciplines techniques en un
grand nombre de spécialités. Ce
n’est que par ce processus de fragmentation que lesdites prestations
de la médecine de pointe ont été
possibles. La spécialisation n’est
cependant justifiée que si les
patients peuvent en tirer bénéfice.
Mais ceci a pour corollaire que des
exigences spécialement élevées sont
posées aux spécialistes. Ils doivent
être en mesure d’exécuter des traitements souvent complexes pour leur
domaine, avec la plus grande compétence, sécurité et le plus haut degré
de qualité. En conséquence, cette
évolution a également des effets sur
la jurisprudence. Ainsi, de nombreux
actes qui, il y a 25 ans, tenaient tout
simplement du risque opératoire normal, sont considérés aujourd’hui –
à juste titre – comme des erreurs
médicales. Avec l’apparition d’un
dommage se pose toujours plus
souvent, sur cette toile de fond, la
question d’une faute engageant la
responsabilité civile pour le traitement. Afin de tirer au clair une telle
présomption, le patient concerné a
besoin d’un conseil objectif qui lui
permette de confirmer ou d’écarter
ses soupçons. Il peut s’adresser à cet
effet à diverses personnes ou institutions, comme le médecin traitant
(ce qui devrait toujours constituer la
première mesure), la direction de
l’hôpital (50% des affaires concernent des traitements hospitaliers),
au Bureau d’expertises de la FMH, à
l’Organisation suisse des patients
(OSP), à son assurance de protection
juridique (au cas où le patient dispose d’une telle couverture) ou à un
avocat. Mais c’est surtout par le contact avec son médecin traitant ou
avec les institutions citées en premier lieu que serait possible, le cas
échéant, un règlement à l’amiable de
dossiers limpides dès le départ,
même sans expertise. Selon le service d’expertise de la FMH, les assureurs responsabilité civile ont cependant une nette tendance à ne pratiquement jamais reconnaître une
responsabilité quelconque sans se
fonder à cet effet sur une expertise.
On attribue au premier chef cette
évolution aux conséquences d’une
vive concurrence entre les assureurs
responsabilité civile, qui est ellemême entretenue par la politique
des économies menée par la Confédération et les cantons en matière
19
de financement hospitalier. Le Bureau d’expertises de la FMH est arrivé à la conclusion que le problème
aigu de la concurrence des primes
exerce finalement des effets négatifs
sur les patients touchés et en appelle, à titre d’avertissement, aux instances politiques responsables des
tarifs hospitaliers (communes, cantons, Confédération), mais aussi aux
directeurs des hôpitaux et médecins
en chef, pour qu’ils se défendent
d’opter en faveur des offres d’assurance les moins chères, sans réfléchir
aux conséquences que cette décision
peut entraîner (bibl.).
Conclusions
En résumé, il est possible de distinguer les facteurs suivants, qui ont
suscité une augmentation du nombre
des expertises médicales:
1. Exigences accrues de notre
société en ce qui concerne
la sécurité et le succès des traitements médicaux, avec des
attentes fréquemment irréalistes.
2. Plus grande complexité du traitement médical avec, en partie,
des risques plus élevés.
3. Du coté des médecins, exécution
encore insuffisante de l’obligation
d’informer et de documenter
le patient.
4. Incidences de la politique
rigoureuse suivie par les acteurs
du système de la santé en matière
d’économies à réaliser grâce à
la concurrence que se livrent les
assureurs responsabilité civile
dans le domaine des primes.
A presser le citron jusqu’à la dernière
goutte, aucun système ne peut fonctionner de manière optimale à long
terme.
La discussion publique, «Quelle
valeur représente le système de la
santé pour notre société» aurait dû
s’engager depuis longtemps déjà et
devient urgente. Dans ce contexte,
un modèle d’assurance responsabilité civile permettant de régler à
l’amiable toujours davantage de dossiers plus ou moins limpides, et ce
même sans expertise médicale, est
une partie essentielle d’un système
de santé de haute qualité.
Pour les experts médicaux, l’établissement d’une expertise dans une
affaire claire est démotivant; il occasionne par ailleurs des frais inutiles
pour toutes les parties. S’agissant
des patients touchés, la perte de
temps qui y est liée est une exigence
excessive.
Bibliographie:
Kuhn H. P., Bureau d’expertises
extrajudiciaires de la FMH –
Période sous rapport:
2000, Fédération des médecins
suisses 2001;
82:29/30, 1585 – 1591
Remerciements:
Madame S. Friedli, Directrice
du Bureau d’expertises extrajudiciaires de la FMH à Berne;
je remercie cordialement cette
personne pour la mise à disposition des rapports 1982 – 2000
ainsi que pour les informations
qu’elle m’a fournies verbalement.
20
L’expert médical en qualité
de juge
Dr Atiby Ileri
Un titre provocateur, à n’en pas douter! Mais cela n’empêche qu’il comporte une grande part de vérité.
Certes, cette expression mérite justification, de telle sorte que le médecin comprenne le juriste, alors que
l’inverse ne se rencontre guère.
De tous les problèmes et conflits opposant toujours davantage les gens
entre eux, il en est bien peu que le
juge n’est pas appelé à connaître, et
la situation n’a pas tendance à s’améliorer. Le juge est donc fréquemment
submergé. Le législateur n’est pas
sans le savoir non plus, lui qui accorde au juge, ainsi qu’aux parties intéressées au procès, le droit de pallier
à la carence de connaissances techniques personnelles en recourant à
des spécialistes. Par exemple, l’art.
171 du code de procédure zurichois
stipule: «Si l’administration des preuves nécessite des connaissances spéciales que ni le tribunal ni ses membres distincts ne possèdent, il est fait
appel aux services d’un expert.»
Le médecin est l’expert qui hante le
plus souvent les murs des tribunaux,
surtout à l’occasion d’actions ouvertes contre les assureurs vie, responsabilité civile, accidents et les assureurs sociaux. On parle alors de dommages de personnes. Très souvent,
le demandeur prétend que l’événe-
ment en question (accident/erreur
médicale) lui a fait subir des dommages physiques et perdre par conséquent, temporairement ou de façon
permanente, sa capacité d’exploiter
tout ou partie de sa valeur économique. Il est alors question d’argent et
la fourchette peut se situer entre
quelques milliers et, dans les cas
extrêmes, des millions de francs
(avec un chiffre à deux positions
devant le mot millions). Il est compréhensible que les assureurs entendent se défendre contre ce phénomène. Pour le patient lésé qui réclame, il s’agit de sauver ses moyens
d’existence.
Dans un tel procès, l’expert médical
devient de facto un juge.
Le juge doit d’abord demander à l’expert médical si l’événement en question a causé des atteintes (supplémentaires?) à la santé du demandeur. Aussi simple que puisse paraître l’énoncé de cette question, la
pratique montre qu’il n’est pas toujours – voire presque jamais – si aisé
d’y répondre. Prenons par exemple
une position «inadéquate» du corps
alléguée par un demandeur à propos
d’une opération exécutée sur la colonne vertébrale. Si cette mauvaise
position a aggravé l’hémorragie
après la blessure d’une veine au
21
point qu’on en soit arrivé lors de son
arrêt/coagulation à des dommages
portés aux nerfs ainsi qu’à un «syndrome cauda equina», il ne s’agit pas
(encore), dans la réponse à cette question, de violation du devoir de diligence du chirurgien, mais de l’appréciation de l’interaction des maillons
d’une longue chaîne de causalités:
Est-ce que l’intensité de l’hémorragie due à l’absence de valvules
dans le système veineux de la
colonne vertébrale (par la répercussion de l’augmentation de
la pression dans la région abdominale jusque dans les veines du
canal spinal) a été augmentée par
la position du corps?
Ou est-ce que les dommages subis
par les vaisseaux sanguins lors
de l’opération sont si graves que
le positionnement est exclu en
tant que cause?
Ou bien, cette position est-elle
une cause concomitante
de la gravité de l’hémorragie?
S’il est clair que le positionnement a
largement contribué à l’aggravation
de l’hémorragie, tout au moins dans
l’esprit d’une cause concomitante,
l’expert doit prolonger la chaîne des
causalités et répondre aux questions
suivantes:
Est-ce que l’aggravation de
l’hémorragie causée par le positionnement a rendu plus délicat
l’arrêt sans risque de la source
de l’hémorragie et a augmenté
la probabilité de causer une
atteinte aux nerfs au point que
l’on doive répondre par l’affirmative à l’existence d’une part
largement causale de la quantité
de sang dans la création
du dommage porté aux nerfs.
Et finalement, il faut mettre un terme
à la chaîne de causalités avec le dernier maillon et répondre aux deux
questions suivantes:
savoir si cette atteinte subie par
les nerfs est corresponsable des
fortes douleurs dorsales ressenties par le patient ainsi que du
«syndrome cauda equina» qui est
apparu.
Le juge ne formulera certainement
pas les questions de manière aussi
détaillée, car il lui manque les connaissances médicales nécessaires à
cet effet. Souvent, les questions
posées par les avocats des patients
ne relèvent pas non plus d’une compétence en la matière mais, dans une
certaine mesure, des intérêts du
patient; et le juge les refuse, car il
22
n’est pas en mesure d’en vérifier
objectivement la correction et la pertinence à défaut de posséder luimême des connaissances médicales.
La question du magistrat devrait, le
cas échéant, avoir la teneur suivante:
est-ce que la position du patient pendant l’opération a causé la prétendue
paralysie («syndrome cauda equina») et les douleurs dorsales du
patient?
Si l’expert médical prend la question
de façon trop sémantique, il répond
nécessairement «non». Pour justifier
sa réponse, il expliquera très probablement que le positionnement peut
certes causer certains dommages,
mais quant à porter une atteinte
directe aux fibres nerveuses de la
moelle épinière, c’est très invraisemblable. Affirmant cela, l’expert médical se fait juge ou, tout au moins, ce
rôle lui est attribué par le tribunal luimême. Les objections et les questions complémentaires du demandeur ne seront pratiquement pas
admises par le juge qui, par ailleurs,
refusera catégoriquement le principe
d’une autre expertise. Le demandeur
abandonne la cause, résigné, ou au
contraire continue à lutter, porte l’affaire devant l’instance supérieure,
même jusqu’au Tribunal fédéral, en
présentant des expertises médicales
supplémentaires et en se référant à
de la doctrine; il cherche en fait à
convaincre les tribunaux que la réponse de l’expert médical était fausse. On aurait pu s’épargner toutes
ces irritations, ces années de procédure, les coûts et l’épuisement nerveux pour les deux parties. Lorsque
l’expert médical remarque (et ceci
fait aussi partie de sa tâche), que la
question ne vise pas une causalité
directe entre la position du corps
pendant l’opération et les douleurs
du patient et qu’un exposé objectif
de la chaîne de causalités précitée,
sans mots redoutables en langue
étrangère, peut grandement contribuer à la compréhension du déroulement de l’opération, il expliquera
toute la chaîne de causalités, comme
un instituteur. Il fera remarque alors
que la question a été formulée incorrectement ou de manière peu claire;
on ne peut y répondre ni par oui, ni
par non. Un expert prudent donnera
l’une des réponses suivantes:
La position du corps pendant l’intervention n’est pas la cause immédiate
de la paralysie survenue, mais:
1. Elle est une cause concomitante
2. Elle est probablement une cause
concomitante
3. Il est tout à fait possible qu’elle
soit une cause concomitante
23
4. Elle peut être une cause
concomitante
5. Elle pourrait être une cause
concomitante
6. Elle est probablement une cause
concomitante ou
7. Elle n’est pas une cause
concomitante de l’ensemble des
causes des plaintes du patient.
Les réponses 2 – 6, bien que correctes sur le plan médico-scientifique,
provoqueront des demandes de précisions supplémentaires. Le juge va
(devoir) poser des questions complémentaires, car il applique une pensée normative (blanc-noir), ou raisonner ainsi:
Est-ce que le positionnement est
selon toute vraisemblance
possiblement
une cause concomitante des plaintes
du patient?
L’expert doit alors décider laquelle
de ces deux options emporte sa conviction. Il n’exerce pas toujours un
pouvoir de conception ou de modification. La première option (selon
toute vraisemblance) donne raison
au demandeur qui gagne dès lors le
procès. La deuxième variante conduit
à la perte de la cause, ou au rejet de
la demande.
Mais: il n’y a pas de principe sans
exception. C’est pourquoi il convient
de préciser un peu ici la notion de
«selon toute vraisemblance».
«Selon toute vraisemblance» ne suppose pas l’indication en pour cent du
degré de probabilité, qui se fonderait
de toutes façons sur des statistiques
douteuses, mais exige de l’expert médical qu’il pèse le pour et le contre
des diverses causes et dise ce qu’il
tient pour le plus vraisemblable.
Dans le cas présent, l’ensemble de
la question serait à formuler en ces
termes:
Hypothèse 1: le positionnement
est une cause concomitante
Hypothèse 2: le positionnement
n’est pas une cause concomitante.
Question: Laquelle de ces deux hypothèses est la plus probable?
Il s’en suit trois possibilités de
réponse:
L’hypothèse 1 est plus probable,
l’hypothèse 2 est moins probable
L’hypothèse 2 est plus probable,
l’hypothèse 1 est moins probable
Les deux hypothèses présentent
le même degré de probabilité –
une réponse scientifiquement
claire, défendable avec conviction,
n’est pas possible.
24
L’expert doit à ce stade, compte tenu
de ces réflexions sur la probabilité,
répondre aux questions complémentaires du juge (est-ce le plus vraisemblable ou non). S’il est convaincu que
les deux hypothèses présentent le
même degré de probabilité, il doit le
communiquer au juge et faire sauter
l’étroit corset des questions préformulées.
Comment le juge apprécie-t-il maintenant ces réponses? Si c’est l’option
«selon toute vraisemblance», le demandeur gagne le procès et, inversement, il le perd. Si la troisième réponse aboutit, survient ladite «absence
de preuve», qui veut que la partie qui
a le fardeau de la preuve perd la
cause; dans notre cas, il s’agira très
probablement du patient demandeur, car il appartient à celui-ci de
prouver que le positionnement est en
principe, selon toute vraisemblance
(il y a là aussi des exceptions), une
cause concomitante du dernier maillon de la chaîne des causalités.
Le jeu des questions – réponses devient encore plus complexe lorsque
de surcroît, le juge demande à l’expert si ce positionnement (moyennant réponse affirmative à la question de la causalité concomitante)
représente une violation du devoir de
diligence. Une telle violation suppo-
serait qu’il y ait une règle médicalement reconnue concernant la position du corps lors d’une intervention
chirurgicale sur la colonne vertébrale. La formulation de règles médicalement reconnues en la matière pose
problème, car on ne peut les énoncer
avec la précision souhaitée par les
juristes, comme pour une norme
légale. En l’espèce, l’expert médical
assume la tâche du législateur et fixe
des normes sans être conscient
d’exercer cette activité législative. Ce
faisant, l’expert médical n’a pas encore joué son rôle jusqu’au bout. Il
doit en effet décider si la règle qu’il a
définie a été violée dans le cas concret. Ce processus de réflexion est
une activité de juge qui, en langage
juridique, est désignée par le terme
«qualification». Le juriste qualifie un
cas concret à l’aune d’une norme
légale et en tire les conséquences
prévues par la loi. Cette activité légale et juridique de l’expert médical
se joue dans un domaine scientifique
dont les portes sont fermées au juge
lui-même et pour lequel il se voit
donc livré aux mains des experts.
C’est alors la tâche de l’avocat du
patient plaignant d’offrir au juge l’accès à ce domaine scientifique étranger, au moyen de questions formulées intelligemment, qui suggèrent à
25
l’expert qu’il doit, dans ses réponses
fondées sur l’appréciation, veiller à
rester dans le cadre de ce qui est scientifiquement défendable et ne pas
abuser du pouvoir – qui lui est conféré en qualité de législateur et de juge
– selon sa sympathie envers les parties impliquées dans la procédure.
Dans ce bref article, il n’est pas possible de présenter entièrement le
rôle joué par les experts dans un procès. Les commentaires figurant ciaprès ont pour seule prétention d’indiquer que la quête de justice, dans
ces procès où les experts médicaux
apportent leur concours, est un sentier encombré de pierres de formats
divers, dont il faut faire une voie praticable pour tous. La discussion sur
les questions à poser à l’expert ne
peut pas se limiter exclusivement au
cercle des juristes, les médecins doivent être invités à y participer aussi.
Une première tentative de discussion
multidisciplinaire sur la formulation
des questions à l’attention des experts a été faite lors de la journée
du 26 mars 1999. Les participants
étaient des juges fédéraux, de notables médecins, avocats et experts en
assurances1.
Il y aurait lieu de conseiller aux experts médicaux de s’en tenir à la liste
de contrôle suivante:
1. Qu’est-ce que les juristes veulent
savoir de moi?
2. Les questions sont-elles correctement formulées?
3. Les juristes ont-il compris sur
le fond les questions essentielles
de la situation médicale?
Si des doutes existent, éventuellement à propos de questions confuses:
4. Demander tout de suite ce que les
questions veulent vraiment dire.
5. Exposer tout le processus médical
(la chaîne de causalités) dans un
langage compréhensible et exiger
du juge qu’il reformule les questions.
Suivant les circonstances, il faut
offrir au juge et aux parties intéressées au conflit la possibilité de discuter toute l’affaire avec la participation de tous. Dans les dossiers judiciaires, on peut demander au juge si
une audition des experts, avec questions complémentaires des parties,
est nécessaire et possible du point
du vue procédural. La formulation
écrite des questions est souvent
incomplète, se fonde sur de fausses
hypothèses, est en partie insoutenable sur le plan médical, de sorte
que pour toutes ces raisons, il est recommandé d’évoquer oralement tout
l’aspect médical.
1 La bande enregistrée de
la journée peut être obtenue
auprès de:
FRAGILE Zürich, Verein für
Hirnverletzte Menschen
Region Zürich
Kreuzstrasse 55
8008 Zürich
(tél. 01 262 61 13)
26
La réadaptation avant la rente
Regina Wilde,
Swiss Re Life & Health
Zurich
Gestion active des sinistres dans
l’assurance-invalidité ou
l’assurance incapacité de gain –
une nouvelle distribution des rôles
Introduction
La gestion active des sinistres a atteint
un immense degré de notoriété à
l’échelle mondiale avec les nouvelles
professions du casemanager (gestionnaire de cas) et du rehamanager (gestionnaire de la réadaptation). Dans
tous les pays où sont distribués des
produits d’assurance servant des
prestations en fonction d’une réduction des performances due à des
atteintes à la santé, les charges de
sinistres ont massivement augmenté
au cours des dernières années. C’est
pourquoi les collaborateurs des assurances privées et étatiques réfléchissent sur la manière d’optimiser les
résultats par un soutien approprié des
assurés. Ainsi, il s’agit d’obtenir deux
objectifs dans chaque cas. D’abord, le
degré de satisfaction de l’assuré doit
croître grâce au fait que celui-ci obtient une réadaptation globale rapide,
bien huilée et faisant l’objet d’un bon
suivi (sur le plan médical, social et professionnel). Sous l’angle des résultats, une telle réadaptation est supérieure aux mesures traditionnelles. En
deuxième lieu, l’industrie de l’assu-
rance doit en profiter, puisqu’elle
retrouve plusieurs fois, au bout du
compte, les moyens financiers accrus
engagés à court terme.
La Suisse dispose depuis des années
d’un exemple très évocateur avec le
(new) casemanagement de la SUVA.
Nous enregistrons aussi les efforts
tout récents de nombreux assureursmaladie et responsabilité civile véhicules automobiles, qui ont développé
des concepts adaptés à certains types
de maladie, durées d’incapacité de
travail, ou séquelles d’accident.
Qu’est-ce qui empêche encore la majorité des assureurs vie de s’engager
dans cette voie en Suisse?
Les arguments sont toujours les
mêmes (et étaient parfaitement
connus sur les autres marchés d’assurance avant l’introduction d’une gestion active des sinistres). Nous manquons de collaborateurs dotés d’une
qualification adéquate. Les collaborateurs n’ont pas suffisamment de
temps pour effectuer une gestion
active des sinistres. La qualité des
«offreurs» de prestations n’est pas
évaluable en ce domaine. Il n’y a pas
encore de matériel statistique efficace
en Suisse pour prouver que la charge
y relative permettra à long terme
des économies ou, tout simplement,
qu’elle se justifie véritablement. En
27
outre, les assurés pensent alors que
les sociétés d’assurance cherchent de
nouveaux moyens de ne pas payer les
prestations qui leur sont dues.
Il est aisé de réfuter cette argumentation au vu des expériences réalisées
sur d’autres marchés. En fait, parmi
tous les autres assureurs vie en
Suisse, on ne rencontre pas seulement
des sociétés intéressées par ce projet,
mais certaines sont même prêtes à
s’engager sur cette voie. Le véritable
obstacle se trouve dans les détails: où
faut-il commencer et quelles étapes
seront exécutées par qui? Une nouvelle répartition des fonctions exige
de nouvelles qualifications, comme on
l’expliquera ci-dessous.
Acquisition des informations
nécessaires
Fort souvent, ni l’assuré ni le médecin
ne savent clairement à quelles fins
quelles informations sont nécessaires
en cas de sinistre. De plus, l’assuré se
retrouve dans une nouvelle situation
de vie; il lui faut d’abord se resituer,
lorsqu’il réalise qu’il doit désormais
prendre en compte des atteintes permanentes à son état de santé dans
chaque compartiment de sa vie. Après
un accident, il est généralement possible de bien suivre un blessé, de façon
globale. Mais pour que tel soit peut-
être le cas après une maladie que
réserve le sort, il faut pouvoir compter
sur une clinique mettant à disposition
de l’assuré un programme spécialement adapté à sa maladie. Ou cela
pourra aussi se réaliser si le patient est
par hasard affilié à une assurancemaladie qui lui garantit la gestion de
son cas en fonction de sa situation
concrète.
Un cas standard à titre d’exemple
Un assuré de 37 ans travaille en qualité
de garagiste indépendant; il est assisté dans sa tâche par deux collaborateurs, dont un est titulaire d’un
diplôme de mécanicien sur auto alors
que l’autre a été formé à titre d’auxiliaire. La femme de l’assuré assume
les tâches administratives et s’occupe
des enfants. Depuis quatre ans environ, ce patron souffre, peut-être deux
fois par an, de douleurs dorsales très
intenses. Le plus souvent, il va d’abord
trouver son médecin lorsque, souffrant trop, il ne peut plus faire face. Le
médecin lui administre alors une injection et le fournit en tablettes analgésiques. En juillet 2001 et pour la première fois, les douleurs ne disparaissent plus totalement après ce traitement. L’assuré se soumet à un examen
et le diagnostic posé consiste en une
hernie discale dans le bas du dos. Le
28
médecin traitant atteste d’une incapacité de travail dans la profession du
moment. Il recommande à l’assuré de
s’adresser à son assurance pour lui
réclamer des indemnités de perte de
gain.
Sous le régime d’une gestion active
des sinistres, il est en pareil cas idéal
de visiter l’assuré à la maison. Comme
celui-ci est indépendant, il s’agit de
procéder à une analyse de la profession exercée concrètement en dernier
lieu, moyennant inspection du poste
de travail, afin de pouvoir comparer
les exigences de la fonction en question avec la capacité de travail rési-
duelle. Le médecin traitant (ou un
autre expert idoine) sera prié de déterminer les effets médicaux de la maladie et ses conséquences sur la profession exercée concrètement jusqu’alors par le patient (ou d’autres
professions adéquates). En l’occurrence, il y a également lieu d’intégrer le
champ d’activité et les capacités des
autres collaborateurs dans l’appréciation de la situation, dans l’hypothèse
d’une réorganisation admissible de
l’entreprise.
S’agissant de la décision relative à la
performance, il faut alors d’établir du
point de vue du droit des assurances
Comparaison entre les exigences de la profession et la performance
de l’assuré1
Travail au-dessus
de la tête
Travail le buste
penché en avant
Travail exposé
aux courants d’air
Travail des deux mains
Travail alternativement
en position debout,
assise et en marche
Travail essentiellement
debout
Exigences de la profession
Performance de l’assuré
29
dans quelle mesure la réduction
de la performance engendre une perte
de revenu.
Le rôle primordial des médecins
A défaut de la participation du médecin dans un cas de prestation au titre
de l’invalidité ou de l’incapacité de
gain, il n’est pas possible de vérifier si
et dans quelle mesure la prétention
est justifiée. Les conditions d’assurance exigent déjà de leur côté des certificats médicaux. Le rôle des médecins consiste d’abord à analyser l’état
médical de leur patient, puis à fournir
aux sociétés d’assurances concernées
les informations nécessaires. Ce faisant, ils devraient demeurer neutres
dans leurs assertions sous l’angle du
droit des assurances, autrement dit ils
ne devraient donner aucune indication
à leur patient concernant le degré d’invalidité ou le processus de décision.
Mais revenons au cas de notre garagiste: le médecin a judicieusement fait
remarquer à son client qu’à ses yeux, il
serait raisonnable de discuter avec les
sociétés d’assurances pour demander
des prestations de perte de gain. L’assuré doit savoir auprès de quelle
société il est couvert et quelle prétention faire valoir à quel moment. A la
rigueur, il peut s’adresser à son agent
d’assurances ou directement aux com-
pagnies concernées. Son médecin
traitant est prêt à remplir quelques formulaires à des fins de contrôle de la
prétention2. Un spécialiste ou un médecin de clinique pourraient même, le
cas échéant, établir une expertise3.
Est essentielle dans ce contexte la possibilité, sans restriction pour le médecin, d’insérer dans ses rapports ou
expertises des remarques au sujet de
mesures nécessaires ou de moyens
auxiliaires. Même la description d’impressions peut s’avérer très utile pour
les compagnies d’assurances lorsque,
s’agissant de mesures nécessaires, la
prise en charge des coûts ne se fait
pas ou pas en temps voulu, ou si
quelque chose fait obstacle au succès
des mesures en question, et que la
pratique médicale ne peut exercer
aucune influence à ce sujet.
Dans notre exemple décrit, il est indiqué d’interroger le garagiste à l’occasion d’une visite effectuée dans le
cadre d’une gestion active du sinistre
pour savoir où il est traité, quelles sont
les mesures déjà prévues, et comment
il juge les possibilités de réinsertion
professionnelle dans son entreprise.
En outre, il convient de lui demander
son accord pour un entretien avec le
médecin traitant, pour le cas où il
serait judicieux de discuter avec celuici de la suite de la réadaptation.
1 Cf. Versicherungsmedizin:
1998, Heft 1; «Berufskunde»
und Versicherungsmedizin;
1998; Heft 3; «Positives und
negatives Leistungsbild»
2 Communications des assureurs vie à la Fédérations des
médecins suisses; Le certificat
médical; Association Suisse
d’Assurances 2001/1,
juillet 2001; p. 13 – 15
3 Communications des assureurs vie à la Fédérations des
médecins suisses; Le certificat
médical; Association Suisse
d’Assurances 2001/1,
juillet 2001; p. 16 – 20
30
Il ressort fréquemment d’entretiens
avec l’assuré et/ou avec son médecin
traitant que de leur côté, ils ont
l’impression que toutes les informations leur seraient demandées à plus
d’une reprise, par plusieurs services,
voire par le même service. Le meilleur
argument pour une gestion active du
sinistre est que grâce à une bonne
communication, de telles situations
pourront être nettement mieux coordonnées, les questions seront guidées
de façon centralisée auprès des médecins et l’on évitera ainsi les doubles
emplois.
Communication et coordination
L’une des conditions essentielles de la
gestion active des sinistres est que
face à l’assuré, il ne doit y avoir qu’un
seul interlocuteur méritant sa confiance et lui garantissant la transparence dans toutes les procédures. La
personne assurée est jusqu’à présent
la seule constante (parfois l’une de
deux constantes, lorsque le médecin
traitant est impliqué dans tous les processus) dès l’apparition de la maladie
jusqu’à la réinsertion dans la vie professionnelle. Il est typique de constater que presque tous les traitements et
consultations sont actuellement effectués par des prestataires différents et
que les interlocuteurs de l’assuré
changent selon le centre des préoccupations.
Dans l’exemple du garagiste, il se trouve que l’assureur indemnité journalière maladie était déjà en possession
de certains renseignements médicaux
qui n’ont pas été remis au département chargé des prestations de soins
de l’assurance-maladie. C’est ainsi
qu’une réadaptation en milieu ambulatoire a pris du retard. Dans l’intervalle, le collaborateur qualifié de l’assuré, dont on a parlé plus haut, a déjà
reporté une fois ses vacances de sorte
que l’assuré est mis sous pression
pour respecter les délais prévus pour
ses mesures ambulatoires. Mentalement, il est constamment dans son
entreprise; il n’a pas de temps pour
des mesures spéciales indiquées. Il
doit assumer la surveillance de son
entreprise en sus de sa réadaptation
pour éviter la fermeture de son commerce. Par conséquent, il reçoit sous
un stress permanent une version minimale de la mesure ambulatoire prévue.
Admettons maintenant que l’assuré
ait eu suffisamment tôt, à ses côtés, un
gestionnaire de cas ou de réadaptation en qualité d’interlocuteur. Le gestionnaire se serait occupé, d’entente
avec le médecin traitant et le «répondant des coûts», des mesures à
31
prendre pour que la réadaptation
ambulatoire de l’assuré commence au
bon moment, autrement dit le plus tôt
possible. En outre, il aurait expliqué à
l’assuré que des mesures de cette
nature ne peuvent pas s’exécuter
«comme ça, en passant». Les conditions requises pour le succès d’une
mesure de réadaptation sont la motivation de l’intéressé ainsi que sa
pleine volonté à s’engager pour l’objectif visé et son attention sans compromission.
L’implication de la personne concernée dans l’exploitation commerciale
pendant la phase de réadaptation a
lieu, précisément pour des indépendants, après avoir pesé le pour et le
contre à long terme, sur le plan de la
santé et de la situation économique,
sans surmenage. Elle serait donc planifiée soigneusement et ferait l’objet
d’un réexamen constant, de concert
avec le médecin. L’assuré lui-même
doit être d’accord avec toutes les étapes prévues si l’on veut que sa motivation demeure intacte. De temps à
autre, le médecin traitant se trouve
dans une situation délicate: il propose
des mesures dont le patient ne veut
pas pour des raisons personnelles.
Le médecin traitant aurait peut-être
avantage de proposer alors à la société d’assurances que, s’agissant de
mesures supplémentaires, une expertise neutre soit mandatée. Le médecin
traitant ne perd pas ainsi la confiance
de son patient et l’expert est en mesure de proposer à sa place les mesures nécessaires au répondant des
coûts, pour la suite du traitement.
Tâches au sein du service
des prestations
Jusqu’à maintenant, l’attention du service des prestations au titre de l’invalidité ou de l’incapacité de gain se focalisait sur l’appréciation de ce que l’assuré pouvait toujours faire ou ne plus
faire. Là-dessus, une décision intervenait à propos de ce qu’il était incapable
de faire, et sous quel angle. La perte de
revenu était le plus souvent prise en
charge en fonction des calculs de l’AI.
A l’avenir, le garagiste de 37 ans aura
peut-être de la peine à exécuter des
réparations à l’aide de ses deux mains,
le buste penché en avant sur le moteur
d’un véhicule, sans pause durant
toute la journée (alors que, quand il
était encore en bonne santé et que le
carnet de commandes était bien rempli, cela pouvait aisément aller jusqu’à
12 heures), et ce pendant cinq à six
jours par semaines.
Dans le cadre d’une gestion active des
sinistres, on recherchera de surcroît,
en concours avec l’assuré et d’autres
32
personnes participant au processus,
de saisir exactement le potentiel existant. Puis les capacités résiduelles
seront exploitées, pour développer
avec l’intéressé des plans pour sa réinsertion – la meilleure possible – dans
la vie active. Pour ce faire, les décideurs exploiteront également tous les
moyens auxiliaires à disposition. En ce
qui concerne les indépendants occupant des employés, il faut examiner
d’autre part de nouvelles répartitions
de tâches, envisageables et pertinentes, dans l’optique d’une réorganisation.
Par conséquent, il est nécessaire
d’obtenir du médecin traitant ou de
l’expert des informations sur les aspects essentiels de l’évolution de la
maladie et de la performance de l’assuré:
1. Traitement effectué jusqu’alors,
avec résultat
2. Possibilités et limites d’une
amélioration de l’état de santé
actuel
3. Potentialités de réadaptation
4. Tableau positif et négatif
de la performance du patient
5. Pronostic, y compris le maximum
atteignable
Le formulaire jaune de certificat médical utilisé jusqu’à maintenant ne
demandait pas des indications aussi
concrètes. C’est pourquoi les assureurs vie se sont retrouvés l’an passé
dans un groupe de travail ad hoc, pour
revoir le formulaire. Le projet portant
sur un certificat initial et subséquent
soigneusement mis au point et répondant aux nouvelles exigences est
maintenant déposé auprès de la commission pour les relations avec la
Fédération des médecins suisses, à
des fins de discussion.
Le service des prestations d’une
compagnie d’assurances doit être lui
aussi, cela va de soi, en mesure d’évaluer et d’utiliser les données demandées. Il importe donc de former les collaborateurs en conséquence, jusqu’à
ce qu’ils soient au moins en mesure de
reconnaître des sinistres potentiellement de nature à nécessiter une gestion active du cas, et de les transmettre
à des partenaires du réseau désignés
au préalable.
Implication de partenaires du réseau
des assurances vie
Pour pouvoir rencontrer le succès
dans la gestion active des sinistres,
tout assureur vie doit étudier précisément quelles sont les tâches que ses
collaborateurs peuvent et veulent exécuter eux-mêmes, et quelles sont celles que ces collaborateurs doivent
33
transmettre auxdits partenaires du
réseau. Il est extrêmement important
de choisir à cet égard l’interlocuteur
qualifié pour les exigences respectives. Tout aussi vital s’avère le fait de ne
pas tester simultanément et sans discernement toutes les prestations de
service imaginables, mais de toujours
prendre en considération leur nécessité et leur efficacité.
Les collaborateurs du service des
prestations doivent soit coordonner
soigneusement eux-mêmes le processus et savoir qui, à chaque phase, est
le partenaire qualifié du réseau, soit il
s’agit pour eux de recourir aux services de gestionnaires externes du cas
ou de la réadaptation. Faire appel à
des prestataires de service externes
ne dispense pas les collaborateurs de
l’obligation de reconnaître, sélectionner et transmettre les cas adéquats.
Pour faciliter les choses, l’assuré
devrait être informé à temps et par
écrit de ce à quoi il doit s’attendre du
fait de la cession de la gestion du dossier à des prestataires externes. Ceuxci devraient être munis de toutes les
informations à disposition au sujet du
sinistre ainsi que de pouvoirs adéquats.
Quant à notre garagiste, il est informé
qu’il recevra chez lui la visite d’un gestionnaire de la réadaptation, qui est
délégué par le réassureur de la compagnie d’assurances vie pour un
conseil sans engagement, dans l’esprit d’un service à domicile. A ce stade,
sa réadaptation en milieu ambulatoire
est achevée depuis quelques mois. Le
résultat consiste en fait en une situation inchangée par rapport à la période
précédant la réadaptation. D’autres
exercices de rééducation à faire à la
maison sont montrés et recommandés
au patient. Il n’y a pas d’indication
d’opération. L’incapacité de travail de
70% dure à ce moment-là depuis sept
mois déjà. L’assureur LPP a accordé
une libération du service des primes
après 3 mois. L’assureur vie (invalidité
individuelle) doit fournir une rente
après un délai d’attente de six mois, si
les conditions y afférentes du contrat
sont remplies.
Un rendez-vous est fixé par téléphone
avec l’assuré pour la semaine suivante. A cette occasion, il est conseillé
globalement sur sa situation du point
de vue du droit des assurances. Il a
donné son accord de principe pour un
entretien avec le médecin. Il aimerait
bien continuer à gérer son affaire, mais
ne sait pas comment il peut y parvenir
étant donné son état de santé. Le gestionnaire de la réhabilitation obtient
l’accord écrit de l’assuré pour la
demande de tous les renseignements
34
nécessaires auprès des médecins,
centres de réadaptation et sociétés
d’assurances. A cette fin, l’assuré
délie expressément ces organes du
secret de fonction.
Le gestionnaire de la réadaptation a
déjà pu se procurer au cours de l’entretien avec le garagiste la liste de tous
les services intéressés, ainsi que leur
adresse et numéro de téléphone, avec
le nom des interlocuteurs respectifs.
Toutes ces personnes sont d’abord
contactées par téléphone depuis le
bureau et savent dès lors ce qui va se
passer. Après avoir déterminé quelles
sont les informations utiles, des
demandes y relatives sont faites par
écrit, sous adjonction de la déclaration d’accord et de levée du secret de
fonction signée par l’assuré ainsi que
de sa procuration. Après réception de
tous les documents requis et discussion avec le médecin-conseil du réassureur, les propositions élaborées
sont présentées à l’assuré au cours
d’un deuxième entretien. Selon dites
propositions, l’assuré doit d’abord se
faire examiner par un expert, dont le
mandat est de juger plus précisément
de sa capacité fonctionnelle. Le gestionnaire de la réadaptation avait fait
réserver par précaution une date pour
la semaine suivante. De plus, l’expert
prend position dans son rapport sur
les aspects positifs et négatifs de la
situation, et soumet des propositions
pour la suite de la réadaptation sur le
plan médical.
L’assuré aimerait bien discuter de ces
propositions avec son médecin traitant. Il décline l’offre du gestionnaire
qui lui proposait de l’accompagner.
Le médecin traitant de l’assuré est
d’accord avec le processus proposé
par l’expert.
En ce qui concerne la capacité fonctionnelle du patient, un médecin du
travail est désigné après le dépôt de
l’expertise afin d’examiner en présence du gestionnaire et de l’assuré le
poste de travail de ce dernier. C’est
également l’occasion de mettre en
parallèle la performance résiduelle de
l’assuré et les exigences du poste.
Avec le concours de l’assuré et du gestionnaire de la réadaptation, des suggestions sont faites pour un engagement pertinent de l’assuré pendant la
période de réadaptation. Un plan de
réinsertion progressive, avec désignation concrète des objectifs partiels, est
établi avec l’assuré.
Le médecin traitant de l’assureur
reçoit copie de ce plan. La prise en
charge des coûts de la réadaptation
ambulatoire renouvelée et de l’admission de l’assuré dans un centre de
réadaptation adéquat a été réglée par
35
le gestionnaire. Le médecin traitant
accepte par téléphone d’informer
immédiatement le gestionnaire lorsqu’un des objectifs du plan de réinsertion ne peut être atteint, ou que l’état
de santé de l’assuré se péjore. Mais tel
ne sera pas le cas. Après neuf mois au
total, l’assuré peut à nouveau exercer
son activité professionnelle à concurrence de 50% de sa performance antérieure, après dix mois à 60% et, dès le
1er mai 2002, à 70%.
Tant l’assuré que le médecin traitant
sont persuadés que sans le travail de
coordination du gestionnaire, le premier nommé serait toujours en incapacité de travail à raison de 70%, comme en janvier 2002. Par conséquent,
l’installation d’un état chronique en
serait déjà à un stade fort avancé en
mai et il est douteux que l’assuré
aurait pu maintenir la rentabilité de
son entreprise, à moyen comme à long
terme, avec un engagement si minime
de sa part.
L’avantage supplémentaire d’une
intervention précoce
Avoir connaissance très tôt d’un
sinistre permet d’influencer à temps
l’évolution du cas, avant d’en arriver à
des expériences peu réjouissantes qui
ne manquent pas de tempérer la motivation de l’assuré. Voilà qui ne revient
pas encore à prétendre que dans
chaque cas, une «correction» de la
procédure soit nécessaire. Mais il est
bien plus aisé de soutenir les assurés
déjà fort tôt dans les dossiers qui s’y
prêtent. Tous les assurés trouvent leur
bénéfice lorsque l’assureur vie prend
connaissance à temps de tous les
sinistres. C’est une tâche de l’assureur
vie que de découvrir parmi les processus en cours ceux qui méritent
l’investissement de moyens accrus
pour atteindre les objectifs mentionnés au début.
En Allemagne, deux grands assureurs
vie ont établi un projet à long terme en
ce sens. Le souci numéro un consistait
à définir qui était le premier à apprendre l’existence des cas de sinistre.
Dans le projet, la réponse s’est révélée
très simple: le département des ventes a des relations si étroites avec les
clients que l’associer au processus
constitue la voie la plus judicieuse.
Dans le cadre d’activités de formation
étalées sur deux ans, le service a été
sensibilisé à cet aspect des choses. Il
en est résulté dans le cadre du projet
une large coopération, y compris des
annonces de sinistres très précoces
émises par la vente, en accord avec
l’assuré. L’évaluation des résultats qui
a suivi la mise en œuvre du projet en
disait long après une année déjà. La
36
satisfaction des assurés avait fortement augmenté, sans compter les économies réalisées sur le plan financier
par les assureurs vie.
Dans l’exemple du garagiste, le médecin traitant de l’assuré aurait pu se
demander, déjà au cours de la période
de quatre ans qui a précédé l’incapacité de travail assez longue, pourquoi
un jeune homme bien entraîné avait
besoin deux fois par an d’un traitement par injections et analgésiques
pour soulager des douleurs dorsales
intenses. Une solution créative aurait
pu consister, dès la deuxième année,
en des mesures ciblées pour renforcer
la musculature du dos ou suggérer
une école du dos pour une charge correcte – du point de vue de la colonne
vertébrale – de l’appareil de soutien
et de locomotion. D’après les expériences actuelles faites avec cet assuré, il n’aurait pas nécessairement fallu
en arriver à une incapacité de travail
permanente si la musculature du dos
avait été renforcée et si le poste de travail avait été conçu de telle sorte que
les mouvements appropriés pour la
colonne, effectués en levant ou en portant des objets et en se penchant,
soient moins éprouvants. Il est probable que dans de telles conditions,
l’assuré serait encore capable de
s’engager à 100% dans son travail, à
l’heure actuelle. Mais comment peuton institutionnaliser une telle procédure?
Dans le domaine des assureurs indemnité journalière maladie et LPP,
des informations très précoces ainsi
qu’une volonté de collaborer en cas de
sinistre peuvent être encouragées par
un système de récompenses conçu
sous forme de réduction des primes4.
Sont envisageables une gestion ciblée
des absences chez un employeur ou
des concepts pertinents pour la promotion de la santé tels qu’ils sont
actuellement développés en un projet
dans le domaine des PME, avec le
concours de l’EPF Zurich.
Moyennant prise en compte de la
situation tendue en matière de personnel auprès des organes des assurances sociales (en particulier à l’AI),
les assureurs vie pourraient promouvoir sur le marché, à titre de service
extraordinaire, l’engagement du gestionnaire de cas ou de réadaptation
pour soutenir l’assuré dans sa situation de vie nouvelle et difficile. Les
assurés devraient être informés de
cette option dans le cadre d’une lettretype. Le service pourrait débuter en
fonction du moment de l’annonce et,
par exemple, se focaliser d’abord sur
certaines maladies. C’est ici l’occasion
de préciser à titre de mise en garde
37
sommaire qu’il faut bien sûr qu’un tel
service soit ensuite garanti, ce qui
implique qu’une structure d’appui soit
d’abord développée avec les experts
respectifs, avant que le service ne soit
offert sur l’ensemble du territoire
national.
Conclusion
Avec une gestion active des sinistres, il
est effectivement possible d’obtenir
beaucoup de choses. Les études portant sur le caractère économique
d’une telle mesure ont montré partout
que les moyens engagés par les assureurs vie ont permis d’épargner un
multiple du montant en question (le
plus souvent avec le facteur 9). L’utilité
de médecins qualifiés pour le conseil
des collaborateurs du service des
prestations a vraiment fait ses preuves. Une collaboration étroite et bien
coordonnée, empreinte d’un haut degré de volonté de coopération et de
communication avec les médecins
appelés à traiter ou à expertiser, est
absolument nécessaire si l’on veut
que le succès soit au rendez-vous.
La même exigence s’applique à la
coordination entre toutes les personnes impliquées dans le processus.
L’assuré doit être informé précisément, à chaque phase, sur ce qui est
prévu et sur l’avantage qu’il en tirera.
Sans l’accord et la motivation de l’assuré, les meilleurs plans sont vains.
Tout assureur vie devrait s’engager sur
cette voie mais surtout, il devrait faire
une célèbre petite étape – qui est en
fait l’étape suivante, à déterminer
individuellement pour chaque assureur.
4 Cf. Albrecht, Martin;
Versicherungsökonomische
Besonderheiten des Invaliditätsrisikos; Editions P.C.O.
Bayreuth; 2001, p. 203 – 206
38
Le cas pratique
Andreas Schneider,
Horgen
Limites de l’interprétation juridique
d’expertises médicales dans
l’assurance-accidents –
un cas tiré de la pratique
Le cas
F., né en 1960, est victime en janvier
1990 d’un accident de luge dont le
déroulement exact n’est pas clair. Le
médecin de famille de F. diagnostique
alors, entre autres, une distorsion de
la colonne cervicale. D’autres examens médicaux sont entrepris par un
neurologue et un orthopédiste. Sur ce,
l’assurance-accidents de F. octroie par
voie de décision une indemnité pour
atteinte à l’intégrité de 15%, décision
contre laquelle F. fait opposition.
L’assureur-accidents demande ensuite au Centre médical à X une expertise multidisciplinaire de l’assuré. Ce
centre pose notamment le diagnostic
d’un blocage résiduel de la colonne
cervicale à la hauteur de la nuque de
F. et confirme l’évaluation de l’assureur en ce qui concerne le degré d’invalidité médico-théorique de l’assuré.
L’assureur-accidents rejette alors
l’opposition de F. qui, de son côté,
dépose recours contre cette décision
auprès du tribunal des assurances du
canton Y.
Pour motiver son recours, F. produit
une expertise qu’il a mandatée unila-
téralement (expertise de partie), dans
laquelle son auteur se fonde sur une
instabilité dans la région de la colonne
cervicale, à la hauteur de la nuque de
F., ainsi que sur une invalidité médicothéorique de 25%. Comme des divergences importantes existent entre les
deux expertises, le tribunal ordonne
une nouvelle expertise auprès du professeur Z, qui suit pour l’essentiel le
point de vue de l’expertise produite
par F. Le tribunal fixe donc à 25% l’invalidité médico-théorique de l’assuré
ainsi que l’indemnité pour atteinte à
l’intégrité qui s’en suit.
La motivation de l’arrêt du tribunal
Le tribunal pose dans les motifs de son
jugement que le juge des assurances
sociales doit, en libre appréciation des
moyens de preuve et indépendamment de l’origine de ceux-ci, examiner
objectivement tous ces moyens et
décider s’ils permettent une appréciation fiable de la cause litigieuse. Le fait
qu’une expertise demandée par l’une
des parties soit produite dans la
procédure ne justifie à lui seul aucun
doute à propos de sa valeur probatoire.
S’agissant de la valeur probatoire d’un
rapport médical ou d’une expertise,
il est déterminant, toujours selon le
tribunal, de savoir si ce document
39
couvre toute la question qui fait l’objet de l’action, si elle se fonde sur des
examens entrepris sous tous les
angles, si elle prend en considération
toutes les plaintes exprimées par le
patient, si elle éclaire la situation
médicale dans son exposé et si les
conclusions finales de l’expert sont
motivées de telle façon que la cour ou
le juge appelé à statuer peut les comprendre. Bien que des certificats et
expertises médicaux étrangers – l’expertise privée avait été requise dans
le cas présent à l’étranger – soient
reçues avec certaines réserves dans la
pratique, leur valeur probatoire doit
être appréciée, elle aussi, à l’appui des
critères précités.
En particulier, le juge des assurances
sociales ne doit pas, en présence de
rapports médicaux contradictoires,
régler la procédure sans apprécier
l’ensemble des moyens de preuve ni
donner les motifs pour lesquels il se
fonde sur l’un d’entre eux et non pas
sur l’autre. En cas de doute à propos
d’opinions médicales divergentes qui
ne peuvent être évacués dans le cadre
de l’appréciation juridique faite par le
juge, une expertise supplémentaire
doit être exigée à titre d’éclaircissement, qui est confiée à un expert
n’ayant jamais eu à se pencher jusqu’alors sur l’affaire en question.
Ce n’est que si le nouvel expert mandaté ne peut pas établir non plus la
situation médicale que s’applique la
règle générale du fardeau de la
preuve, selon laquelle il y a lieu de
trancher au détriment de la partie qui
déduit des droits de l’allégation non
prouvée. L’assuré supporte donc le
risque de la preuve pour les faits qui
motivent sa prétention, ainsi pour
l’existence d’une invalidité médicothéorique, alors que le défaut de
preuve de faits excluant la prétention
(état antérieur, etc.) aurait des incidences en défaveur de l’assureur.
Cette répartition du fardeau de la
preuve ne trouve cependant pas sa
place dans le cas d’espèce, car il a
été possible d’établir, sur la base de
la nouvelle expertise rendue par le
prof. Z., la cause de l’atteinte à la
santé avec le degré probatoire usuel
de la vraisemblance prépondérante
qui s’applique dans le droit des assurances sociales.
Le commentaire
Le présent cas montre fort bien les
limites de l’interprétation juridique
d’expertises médicales. Dans le dossier médical, il y avait de trop grandes
divergences entre les divers avis médicaux concernant les suites somatiques de l’événement accidentel
40
assuré pour pouvoir les éliminer par la
voie de l’appréciation des preuves,
tâche qui revient au juge. Mais il faut
préciser que le tribunal, dans le cadre
du principe de l’instruction qu’il doit
respecter en droit des assurances
sociales, était tenu de faire procéder à
ces éclaircissements supplémentaires
sur le plan médical. Le même problème
ne se pose pas seulement lorsque,
comme c’est le cas en l’occurrence,
deux avis médicaux sont contradictoires, mais aussi quand il n’y a qu’une
seule expertise qui s’avère contradictoire, confuse ou incomplète.
Afin d’éviter cette situation, désagréable avant tout pour l’assuré – dans le
cas présent, il a fallu quelques années
avant que son droit ait force de chose
jugée – l’assureur-accidents et l’avocat du lésé devraient s’efforcer d’éliminer suffisamment tôt d’éventuelles
divergences dans le dossier médical,
avec le concours de médecins. En ce
domaine, les médecins sont en mesure de fournir une contribution essentielle avec des réponses liant le plus
possible les parties, réponses à des
questions claires (!). A cet égard, il est
important que les éclaircissements ne
soient pas multidisciplinaires mais
interdisciplinaires. Les médecins devraient enfin s’exprimer dans un langage qui permette aux personnes ou
organes appliquant le droit (tels que le
juriste de l’assurance, l’avocat et le
juge) de comprendre en leur qualité de
non-médecin, leurs positions sur le
plan médical. L’idéal serait que l’avis
donné par l’expert médical parle de
lui-même et ne nécessite aucune interprétation de la part des juristes.
C’est l’assuré qui profite au premier
chef d’une telle situation, puisqu’il
s’évite ainsi des mesures médicales
non coordonnées et d’interminables
discussions juridiques. De plus, ce
mode de procéder facilite très notablement le travail du juge, pour autant
que l’on en arrive jusqu’au procès. En
effet, il n’a d’abord pas besoin, lui qui
n’est pas médecin, de faire face à
cette situation désagréable consistant
à motiver dans son jugement pourquoi
il suit une thèse plutôt qu’une autre en
cas d’avis médicaux divergents. D’autre part, si le procès ne permet pas de
prouver avec une vraisemblance prépondérante qu’une variante des faits
se vérifie, il ne lui reste pas d’autre
solution que de rejeter catégoriquement, longtemps après l’accident, les
conclusions de l’une ou l’autre partie,
du fait de l’absence de preuve.
Schweizerischer Versicherungsverband
Association Suisse d’Assurances
Associazione Svizzera d’Assicurazioni

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