les dynamismes du vieillissement et le cycle de la vie : l`approche d

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les dynamismes du vieillissement et le cycle de la vie : l`approche d
LES DYNAMISMES DU VIEILLISSEMENT ET
LE CYCLE DE LA VIE : L'APPROCHE D'ERIKSON
Par Maurice Aumond
Faculté d'Éducation Permanente, Université de Montréal
INTRODUCTION
Parmi les adeptes de Freud, Erik Erikson (1902-1980) a formulé une théorie
touchant au développement humain. Elle est composée de huit stades échelonnés
sur tout le cycle de la vie. Dans ces huit phases de la recherche d'identité, Erikson a
tenté de dégager et de préciser les racines du « moi » dans l'organisation sociale de
l’individu. Son modèle recouvre tout le cycle de la vie où chaque stade est
caractérisé par un enjeu fondamental qui se définit comme un conflit entre deux
pôles. Les conséquences de cet enjeu se prolongeront durant toute la vie. Mais
avant de s'attarder aux divers stades de développement, et plus particulièrement à
celui de la vieillesse sur lequel nous insisterons davantage, élaborons sur le
fondement de cette théorie et son auteur.
Données biographiques
Erik Erikson est né à Francfort, il a vécu son enfance en Allemagne et son
adolescence dans divers pays d'Europe. Jeune adulte, on le retrouve au côté de
Sigmund Freud à Vienne tant comme étudiant que comme patient. C'est également
à Vienne que débute sa carrière de psychanalyste avec Peter Blos comme mentor
Puis, certains professeurs et chercheurs américains de l'université Harvard, en
particulier Henry Murray, l'imiteront à la théorie de la personnalité. Erikson quitte
alors définitivement l'Europe pour devenir citoyen américain en 1933. Dès lors, il
passera le reste de sa vie dans le monde de l’enseignement et de la recherche aux
universités Harvard, Stamford et finalement à l'université de la Californie.
Ses toutes premières expériences de recherches se font avec les enfants d'une
école américaine à Vienne. Erikson travaillera par la suite avec des étudiants
diplômés d'Harvard, des anciens combattants de la deuxième guerre, des défenseurs
des droits civils du sud des Etats-Unis, de même qu'avec des indiens Sioux et
Yurok. De plus, il collabore fréquemment avec différentes équipes de chercheurs
de multiples disciplines. Ses nombreux travaux, dans des champs
pluridisciplinaires, lui permettent de côtoyer quelques grands anthropologues
comme Mead, MeKeel, Benedict, Bateson, etc.
Erikson a reçu en 1933 un diplôme du « Vienna Psychoanatytic Institute ».
Toutefois, il a passé presque toute sa vie dans le monde universitaire sans avoir
reçu, au préalable, une formation universitaire formelle. Encore aujourd’hui, c'est
un auteur bien lu et plus particulièrement par les gens s'intéressant au counselling et
aux sciences de l'éducation, ceux-ci continuent de se pencher sur ce qu'est l'étape de
l'adolescence et sur la question de la maturité (Erikson, 1972, 1974 et 1980). C'est
sa théorie de la personnalité comprenant huit stades de croissance dans le
développement humain qui a retenu l'attention du public universitaire.
1.1 La théorie d'Erikson
La théorie d’Erikson repose sur trois assertions. La première est que le « Moi »
est façonné par la société ; la seconde est que l'individu vit dans un processus
continu de croissance et de changement, et la troisième affirme que l'individu est
reprogrammé dans sa capacité à traverser ses stades de développement.
Décortiquons maintenant ces trois assertions afin d'obtenir une meilleure
compréhension de celles-ci ; ce qui est, à notre avis, une étape fondamentale nous
permettant de mieux pénétrer la pensée d'Erikson.
Le moi est façonné par la société
Dans la théorie freudienne, le « Moi » se développe au sein même d'une interaction,
entre le « Ca » et le « Surmoi » alors que dans la théorie d'Erikson le « Moi » est
considéré comme une fonction autonome surtout façonnée par la société dans
laquelle l’individu se trouve et se développe. Erikson n'attribue pas seulement à
l'instinct biologique l'unique responsabilité de la formation et du développement de
la personnalité comme l'affirme Freud. La conceptualisation, selon la théorie
d'Erikson, s'explique par le fonctionnement de la personnalité en rapport avec la
société, incluant parents, amis et environnement. Erikson ne croit pas que la
personnalité d'un individu soit déjà toute tracée et arrêtée dès l'âge de quatre ou
cinq ans. Il affirme, au contraire, qu'elle émerge et se développe en relation avec
les rapports qui s'établissent avec la société et ses diverses composantes (Erikson,
1974, 47-49).
L'individu vit dans un processus continu de croissance et de changements
L'individu traverse des moments de crises tout au long de son existence, d'où le
façonnement de sa personnalité suivant la manière et les réactions que l'individu a à
ces diverses difficultés ou étapes dans son développement. Erikson croit à la valeur
intrinsèque de l'homme la décrivant comme un être responsable de son destin. Dans
une certaine mesure, il présente une vision plus positive de l'homme.
L'individu est préprogrammé dans sa capacité à traverser ses stades de
développement.
Ce sont les huit stades de croissance suivant la théorie d'Erikson. Comme nous
l'avons déjà mentionné, c'est cette contribution qui a surtout fait connaître Erikson.
Ce dernier nous dit que l'individu « mature », l'individu qui est réalisé ». c'est celui
qui a bien franchi ces étapes de développement. Cela implique qu’il a passées « de
la bonne manière » à travers les crises de chaque stade.
Ses théories définissent l'influence que produit la société sur le processus de
maturation individuelle et démontrent également comment la personne progresse en
passant d'une crise à l'autre en espérant toujours trouver la réponse au « Qui suisje », et « Qu'est-ce que je devrais faire ? ».
Les stades psychosociaux d’Erikson décrivent les difficultés et les crises qui sont
liées aux relations sociales. Ce sont des situations, des problèmes ou des crises
auxquels l'individu est confronté à un moment ou à un autre de son existence.
1.2 Les stades psychosoclaux de développement selon Erikson
Les écrits d'Erikson insistent sur la phase critique de chacune des étapes dont la
réussite ou l’échec dépend du résultat dans les stades antérieurs. À chacune des
étapes, il a identifié des résultats qui serviront d'indicateurs de réussite ou d'échec.
Le développement du « Moi » lui apparaît à travers les points tournants de chacun
de ces stades. L'auteur insiste sur l'importance du succès obtenu à chaque étape.
What the child acquires at a given stage is a certain ratio
between the positive and the negatives which, if the balance
is toward the positive wili help him to meet later crises with
a predisposition toward the sources of vitatity (Erikson,
1968c, p. 325).
Regardons maintenant ce qu'Erikson (1963) dans Enfance et société appelle les
huits étapes de 1’homme.
La phase orale (elle s'étend de la naissance à 18 mois). C'est une période de
confiance ou de méfiance fondamentale. De 0 à 6 ou 8 mois, c'est la phase orale
sensitive. L'enfant éprouve du plaisir ou de la frustration pour la nourriture et le
confort qui lui est donné. C'est de la nature de cette expérience que dépendra son
sentiment de confiance dans la vie ou pas. De 8 mois à 18 mois, c'est la phase
orale-agressive. L'enfant, avec ses premières dents, devient plus actif. Il peut
mordre ou s'incorporer des objets. Le désir de mordre peut correspondre au besoin
de se soulager lors de la poussée des dents. Ce faisant, l'enfant peut être repoussé
par sa propre mère ou par la personne qui en est la victime. L'atteinte de ses
besoins peut être accompagnée de douleur comme, par exemple, celle de la perte de
l’objet ou de la personne qu’on lui soustrait de sa vue. C'est une première épreuve.
La confiance aveugle est mise en doute et si la méfiance s'installe, elle pourra se
présenter plus tard dans le développement de la personnalité. C'est le chemin d'un
premier sentiment rudimentaire d'identité du moi. En ce sens Erikson, (1974, p.169)
nous mentionne que : « ... la première réussite sociale du bébé est donc son
acceptation de laisser la mère s'éloigner de sa vue sans manifester d'anxiété ou de
colère exagérée, parce qu'elle est devenue une certitude intérieure autant qu'une
prédictibilité extérieure. ».
Le « Moi » se façonne dans la résolution de ce premier conflit, entre la
confiance et la méfiance. Une relation équilibrée et satisfaisante entre la mère,
avec sa façon de donner ou de se donner, et l'enfant, avec sa manière de recevoir et
de prendre, est nécessaire pour l'acquisition d'un sens de confiance en soi et en
autrui.
La phase anale (de 18 mois à 2 ans et demi) est une période d'autonomie ou
bien de honte et de doute. Avec la maturation anale et musculaire naissent deux
nouvelles modalités sociales, celles de retenir et de laisser aller. C'est l'âge de
l'opposition initiale aux parents et aussi la première manifestation de la volonté :
l'enfant veut agir seul. Avec ces premières manifestations d'autonomie, les parents
exercent un contrôle extérieur pour rassurer l'enfant et non pour le punir. Un
contrôle trop rigide serait de nature à amplifier les sentiments de honte, « d'être
petit », de doute et d'incapacité d'acquérir sa propre identité.
Durant cette période du développement de l’enfant, le milieu doit encourager
celui-ci à être autosuffisant, « à être capable » c'est-à-dire être propre, marcher et
parier. Une relation équilibrée entre la mère, avec son mode de contrôle extérieur,
et l'enfant, avec son mode d'élimination ou de rétention, sera nécessaire à
l'acquisition d'un premier sens de l'autonomie du moi. Le « Moi » s'affirme dans
cette seconde crise à travers des expériences d'autonomie.
La phase phallique (de 2 ans et demi à 6 ans) est la période d'initiative ou de
culpabilité. Le jeune enfant est capable de relations plus grandes. Il connaît mieux
son corps et observe davantage. Son identité sexuelle se bâtit. Des variantes
apparaîtront dans le développement de la personnalité en fonction du sexe mais
aussi en fonction du milieu et de la culture environnante. A la phase œdipienne, si
cette étape est bien franchie, le garçon souhaitera grandir pour ressembler
davantage à son père et plaire à sa mère alors que chez la fille, la culpabilité de la
rivalité avec la mère sera remplacée par une identification à la mère. Le moi se
manifeste à travers la résolution du détachement progressif des parents, de la
relation de réciprocité, de l'initiative de l'enfant, de ses désirs d'accomplissement et
de ses possibilités.
La phase de latence (de 6 à 12 ans). La phase de latence est une période dite de
travail ou d'infériorité. C'est une période de grand calme et d'oubli. L'enfant
manifeste un intérêt pour le monde extérieur. Il sent le besoin de connaître tant au
plan intellectuel que social. « Il apprend à acquérir du prestige en produisant des
choses » (Erikson, 1974, p. 175). C'est la phase de l'acquisition d'un sens de
l'industrie » en éliminant un sentiment d'infériorité par la réalisation de
compétence. À cette période donc, l'enfant est occupé à apprendre comment être
compétent et productif : à défaut, il y a danger que naisse un sentiment
d'inadéquation et d'infériorité. Son développement est alors troublé. L'entant qui a
déjà acquis une certaine expérience, se voit différent des adultes : il n'est ni capable
de les suivre, ni du reste invité à le faire ; alors il se compare à ceux de son âge et
tâche d'y trouver sa place. S'il ne peut entrer en compétition avec ceux de son âge,
il en découlera chez lui un sentiment d'infériorité.
Le « Moi » se retrouve dans le conflit entre « le travail et l'infériorité ». L’enfant
s'identifie à travers ses succès scolaires comme quelqu'un de capable et de
compétent. À défaut, il naît chez lui un sentiment d'incompétence et d'infériorité
qui entraîne une confusion dans l'identité.
La phase de puberté et d'adolescence (de 12 à 18 ans) est une période
d'identité ou bien de diffusion de rôle. C'est l'âge de la remise en question de
l'identité sexuelle avec l'apparition de la maturité génitale et physique, qui
débouche sur de nouvelles possibilités. L'acquisition d'un sens d'identité est
indispensable pour prendre les décisions d'adulte, c'est-à-dire un choix de vocation
et un choix de partenaire. Dans cette quête d'identité, le jeune ne veut pas savoir qui
il est, mais ce qu il sera et dans quel contexte. C'est pourquoi il remet en question la
société et recherche l'approbation de ses semblables qui eux aussi veulent être
approuvés.
En amour, l'adolescent idéalise. C’est l'âge des idoles et des héros, une période
de sauts d'humeur, d'oppositions violentes et de mise en valeur. Les adolescents se
préoccupent aussi de la façon dont ils sont vus et perçus par les autres. Une
nouvelle quête d'identité apparaît. Le rôle ainsi que l'identité sexuelle et l’identité
professionnelle sont sources de préoccupations autant pour les parents que pour les
adolescents. Les changements biologiques et psychologiques remettent en question
l’identité de l'adolescent. Qui est-il à travers ces changements ?
Dans la théorie d'Erikson sur le développement socio-émotif, l'adolescence
représente la période de résolution des problèmes d'identité. L'idée d'être un
individu dans un monde appartenant aux autres, avec des responsabilités mutuelles
et indépendantes, ne semble devenir une caractéristique saillante de la vie que vers
la fin de l'adolescence (Krech et Al., 1979, p. 484).
La présence d'adultes compréhensifs et capables de relations positives favorise la
confiance en soi et la naissance d'une identité solide pour l’adolescent. Erikson
accorde une grande importance à l'adolescence parce que c'est à cette période
critique que le jeune acquière, son identité définitive, son « Moi ». C'est à ce
moment précis que l'adolescent a besoin de sentir qu'on a confiance en lui et qu'il
est capable d'être responsable de ses propres attitudes et de ses propres valeurs.
Comme nous venons de le voir très succinctement, les cinq premières étapes
dans le développement du moi d'Erikson suivent d'assez près les stades du
développement psychosexuel freudien. On retrouve à cet effet de bons tableaux
comparatifs du développement humain selon Freud et Erikson dans Krech et Al.,
1979, p. 399, de même que dans Hilgard et Atkinson, 1980, p. 115. Ces auteurs
dégagent bien la contribution d'Erikson dans l'étude de l'influence de
l'environnement et de la société sur le développement de l’organisme humain et de
ses potentialités.
La phase de jeune adulte est une période d'intimité par opposition à
l'isolement. L'identité étant bien acquise, elle permet maintenant d'établir des
rapports adultes avec les autres. La sixième phase en est une d'acquisition du sens
d'intimité et de la solidarité en évitant un sentiment d'isolement. L'auteur insiste
cependant : il faut que cette identité soit bien acquise. À cette période, le jeune
adulte cherchera l'amitié et l'amour avec l'autre, ce qui implique le désir et la
tendresse. Le jeune adulte est alors capable de donner tout autant que de recevoir. Il
est capable d'intimité sans craindre de perdre son identité. Il peut s'exprimer en une
mutualité hétérosexuelle. Si l'individu peut partager une confiance mutuelle et s'il
est apte à régler les cycles de travail, de procréation et de participation dans la
société, il est prêt à se marier.
Erikson, 1974, p. 178, nous dira que : pour avoir une signification sociale durable,
l'utopie de la génitalité devrait inclure :
1 . la mutualité de l'orgasme ;
2. avec un partenaire aimé ;
3. de l'autre sexe ;
4. dont on peut et veut partager la confiance ;
5. et avec lequel on peut et veut accorder son cycle de: - travail - procréation récréation ;
6. afin d'assurer aussi aux enfants un développement satisfaisant.
Se refuser à de telles expériences par crainte de perdre sa propre identité peut
conduire à l'isolement. L'identité du « Moi » doit être acquise pour permettre de
s'adonner sans crainte à l’intimité avec la ou les personnes significatives autour de
soi. C'est la première étape de la vie adulte qui exige l’acquisition de sa propre
identité et demande en fait que le « Moi » soit bien structuré. C'est ici que l'identité
de l'ego atteint son stade final de développement.
La phase de maturité (le mitan de la vie donc de 40 à 60 ans) est celle
qu'Erikson appelle la période de générativité par opposition à la stagnation. Être
adulte c'est être capable d'aimer les autres, être capable de s'engager adéquatement
dans l'expérience de la paternité ou de la maternité (la générativité). Être adulte
c'est être productif, c'est-à-dire produire un travail gratifiant et valorisant. La
septième phase dans le développement en est donc une d'acquisition d'un sens de
productivité en évitant l'égocentrisme.
Erikson, 1974, pp. 178-179 la conçoit ainsi :
« ... la capacité à se perdre dans la rencontre des corps et des
esprits doit conduire à l'expansion graduelle des intérêts
personnels et des charges libidinales, vers ce qui a été ainsi
créé et dont on a accepté la responsabilité La générativité est
essentiellement l'intérêt pour la génération suivante et son
éducation. »
Un mariage bien équilibré devrait emmener un sens de productivité ; celui-ci
sera suivi par un intérêt pour la seconde génération. L’adulte voudrait voir se
développer chez ceux de la jeune génération ses espoirs ainsi que les vertus et la
sagesse accumulées. L'adulte veut aussi se réaliser pleinement dans un travail
créateur, dans des responsabilités, etc.
La générativité comprend la procréativité, la productivité et la créativité et par
conséquent, la génération de nouveaux êtres comme celle de nouveaux produits et
de nouvelles idées, ce qui inclut une sorte de génération de soi dans la
préoccupation de son identité ultérieure (Erikson, 1982, p. 67, cité par Houde,
1986, p-34).
Si cet engagement n'a pas lieu, il y a régression et s'installe alors un sentiment
d'inactivité et de stagnation. Il y a également un appauvrissement de la relation
interpersonnelle.
Lorsqu'un tel enrichissement n'a pas lieu, il y a risque de stagnation. Les personnes
qui ne développent pas le sens de la générativité peuvent se retrouver absorbées
par elles-mêmes, concernées avant tout par leur propre confort, ce qui leur laisse un
sentiment de vide (Houde, 1986, p-35).
La phase de l'intégrité personnelle ou du désespoir. La dernière étape du cycle
de la vie est celle de l'acquisition d'un sens de l'intégrité en évitant un sentiment de
désespoir (la réalisation de la sagesse). Elle concerne la façon dont on affronte la
fin. La vieillesse devient alors un temps de réflexion qui permet un retour sur les
événements d'une vie. Dans la mesure où on a réussi à disposer efficacement des
problèmes qui s'étaient posés à chacune des étapes de la vie, on a acquis un sens
d'achèvement et de plénitude c'est-à-dire, le sentiment d'une vie bien remplie.
Lorsque la personne âgée jette un regard sur sa vie passée et la perçoit comme
une suite d'occasions ratées et d'échecs, les dernières années sont alors remplies de
désespoir (Hilgard et Al, 1980, p. 18).
À cette phase, on devrait pouvoir accepter l'homme en tant qu'individu et en tant
que société. L'individu doit pouvoir opposer son intégrité au désespoir et au dégoût
face aux différents types de vie, à une vie incomplète et à la mort. À ce stade,
l'homme projette une sagesse et une philosophie de la vie hors de son propre cycle
de vie vers les cycles futurs.
Cette huitième étape dans le développement de l'homme est caractérisée par une
forme d'évaluation de sa vie et de ses accomplissements. Si l'évaluation s'avère être
positive, il y a intégrité et continuité. C'est donner place à la sagesse pour les
années à venir. En revanche, si le bilan est négatif, on assiste alors à une
détérioration du moi sous plusieurs formes. Il y a d'abord la perte du sens de
l'existence et puis la naissance du sentiment d'une vie perdue qui aurait pu être
différente. La peur de la mort, l'alcoolisme, le suicide, la dépression et le désespoir
sont du lot de ceux qui arrivent à une telle évaluation négative. Le désespoir naît
des regrets, des remords et du sentiment que la vie n'a pas de sens. Il reste
maintenant trop peu de temps pour changer la situation et se permettre de réaliser
son intégrité. La mort alors occupe une place prépondérante dans l’existence de ces
personnes.
« On aura compris que la sagesse émerge du conflit entre
l’intégrité et le désespoir. Opposée à cette force de base qu'est
la sagesse se trouve le dédain ou le dégoût de soi. L'éventail
des relations significatives s'étend à l'humanité et à sa propre
bienveillance cependant que l'ensemble des principes d'ordre
social est relié à la sagesse. » (Houde, 1986, p.38).
À l'âge de l'apparition des incapacités qui affectent la perception de soi, peut-on
parler d'un stade de développement ? Les personnes du troisième âge essaient, à ce
moment précis de leur existence, de donner un sens à leur vie. La vie est alors
perçue comme un tout. L'intégrité personnelle nous dira Erikson, (1974, p. 179)
« ... c'est l'acceptation de son seul et unique cycle de vie comme
quelque chose qui devait être et qui ne permettait pas de
changement ».
« Une vie individuelle est la coïncidence d'un cycle de vie unique
avec un segment d'histoire unique et toute intégrité humaine
s'installe ou se perd dans le style d'intégrité des vies auxquelles elle
prend part. » (Erikson, 1982, pp 65-66, cité par Houde, 1986. p-
37).
Erikson, particulièrement dans Insight and responsability (1964, pp. 111 à 113) a
cherché à nous présenter des forces internes du « Moi » ou « vertus » avec une
prédominance de la partie positive sur la partie négative à chaque étape du
développement psychosocial. Le vocabulaire d'Erikson pour décrire le « Moi » est
le suivant: ego strength, Inhérent strength, hurman qualities of strength, an
Increase In the strength and slaying power on the patient's concentration on
pursuits which are somehow right, etc.
En somme, ce tableau des huit étapes dans le développement de l'homme nous
présente les résidus du « Moi » après chaque crise psychosociale.
1.3 Freud vs Erikson
Erikson en est venu à penser que le cadre freudien du développement de la
personne était trop étroit. La croissance du « Moi » uniquement en termes
d'investissement libidinal tel qu'avancé par Freud lui parut comme trop restrictif.
Pour Erikson, le « Moi » se structure aussi à l'âge adulte et non pas seulement
durant les premières années de la vie comme semble le proposer Freud à travers ses
stades de développement. Il y a des aspects à considérer dans le développement de
la personnalité que Freud a ignorée :
1 . Au niveau somatique, il y a des forces physiques et des faiblesses qui
interviennent, en particulier en vieillissant ;
2. Au niveau personnel, il y a l'histoire des événements de l'existence et la manière
dont les stades de développement sont vécus ;
3. Au plan social, il y des forces sociales, historiques et culturelles à considérer.
En effet, Erikson insiste beaucoup sur les modalités socioculturelles qui ont une
influence sur le développement du « Moi ». À chacun des stades, Erikson ajoute
des éléments du conditionnement socioculturel. Ces éléments influencent le
développement du moi et ils modèlent l'homme, y compris durant la dernière partie
de son existence.
La théorie du développement, cf. Erikson, est bâtie sur la théorie de Freud. Freud
y parle de l'homme et de sa sexualité alors qu'Erikson y parle de l'homme et de la
société. Signalons certaines divergences :
1. Erikson met l'accent sur l'ego plutôt que sur l'identité ;
2. Freud a établi le triangle perd père-mère-enfant ; Erikson voit l’enfant dans la
famille et la famille dans la société ;
3.Freud a voulu montrer l’existence et le fonctionnement de l'inconscient ; Erikson
tente de démontrer l'existence de certains facteurs de développement ;
4. Freud s'est appliqué à résoudre des problèmes pathologiques alors qu'Erikson
tente de trouver une solution positive aux crises de développement.
CONCLUSION
Il y a peu de théoriciens qui ont présenté une approche du développement de la
personnalité et du moi en y englobant tout le cycle de la vie et en y joignant des
données biologiques, psychologiques, sociales et culturelles. L'approche
ériksonnienne semble la première qui présente le « Moi » dans tout le cycle de la
vie.
Erikson nous a permis de reconnaître que l'homme, de l'enfance à l'âge avancé,
expérimente des changements dans le développement du moi et que cet
enrichissement se fait tout au cours du cycle de la vie dans une perspective de
développement continu. Le comportement humain et la personnalité sont de nature
interactive, et le moi joue le rôle d'agent interne dans cette interaction.
Pour l'école psychanalytique, et en particulier avec Freud et Erikson, un postulat
demeure : l'enfance est la clé dans le développement du « Moi ». Comme nous
l'avons déjà signalé, les cinq premières phases d'Erikson sont la reformulation et
l'expansion des cinq stades psychosexuels de Freud alors que les trois autres phases
s'attardent au développement de l'adulte. C'est donc de l'enfance qu'émaneront la
plupart des processus du développement et de la formation du « Moi ». Aujourd'hui
cependant, ce même postulat est fortement remis en question, en particulier par
Baltes, Reeves et Lipsitt (1980) de même que par Brim (1980). En revanche Monge
(1975) soutient de son côté qu'il n'y a pas de modification de la perception de soi
dans le vieillissement. Costa et McCrae (1977), Costa et Al. (1980), Leon et Al.
(1979) et McCrae et Al. (1980), de même que Siegler et Al. (1979) soutiennent
encore et avec des faits précis pour appuyer les résultats de leurs recherches, que la
personnalité de l'adulte et de la personne âgée est relativement stable. Quant à
Gilligan (1982), elle enregistre une dissidence quant aux schèmes masculins utilisés
par Erikson.
Pour bien comprendre ce qui se passe en vieillissant et devant toutes ces
contradictions, une recherche nous apparaît de mise. Nous pensons qu'il serait
opportun de consulter un autre auteur classique dans le domaine de la psychologie
humaniste, Abraham Maslow, qui s'est aussi penché sur le développement du
« Moi » et de la personnalité. Nous conclurons avec Erikson que :
« Plus on écrit sur ce thème (l'identité) et plus les mots
s'érigent en limite autour d'une réalité aussi insondable que
partout envahissante. On peut seulement l'explorer en
constatant, dans toutes sortes de contextes à quel point elle
est indispensable. » (Erikson, 1972, p. 5).
En fait, comme le démontre Clayton (1975) le modèle d'Erikson est trop vague et
laisse songeur. Selon lui, très peu de personnes âgées atteindraient la prudence et la
sagesse qu'Erikson décrit au huitième stade de développement.
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