Poesie_files/Anthologie-sq3-Memento_mori - 1(1).

Transcription

Poesie_files/Anthologie-sq3-Memento_mori - 1(1).
Anthologie présentée par les élèves de Première (1)
MEME NTO MORI
SOUVIENS-TOI QUE TU ES MORTEL...
A N T HOL OGIE POÉTIQUE SU R
L E THÈME DE LA MORT
Dessin à l’encre, Victor Hugo
Danse Macabre
Détail des Fresques peintes par Pisane"o (env.
1380 - 1455, Vérone, Italie
Séquence 3 - Memento mori - Classe de Première - Lycée La Croix Rouge - Mme Loriant
Préface : Le vieil homme et la mort...
Le thème de la mort a toujours été un thème de prédilection des poètes, dans la
mesure où correspond à une interrogation très forte et parfois douloureuse à la fois.
Souvent écrits en fin de vie, les poèmes qui composent cette anthologie mettent en
évidence l’évolution du regard sur la mort et des mots qui servent à l’exprimer.
Cette progression est fortement liée à l’évolution des pensées et donc, bien sûr, aux
mouvements culturels.
Au moyen-âge, la pendaison constitue le mode de mise à mort habituel pour les
criminels. Le condamné est « pendu la hart au col », « la hart » étant la corde dans le
langage du temps. Cette peine est normalement réservée aux roturiers, car, selon la
tradition, les nobles, hommes d’épée, doivent périr par le fer, le cou tranché. « La
Ballade des Pendus » ou « Épitaphe Villon15 » est un poème écrit à la fin du moyen
âge par un célèbre poète, François Villon. Ce premier poème présente une vision
assez répugnante de la mort. Cette veine à la fois réaliste et satirique inspirera de
nombreux poètes pendant les siècles qui suivirent. En effet, la décomposition du
corps est une image qu’exploiteront Pierre de Ronsard au XVIe siècle, mais aussi
Jean-Baptiste Chassignet un siècle plus tard. Le réalisme frappant et insistant de
ces descriptions - les auteurs font souvent usage de l’hypotypose, par la sollicitation
des sens - s’allie alors à une tonalité grinçante qui met en évidence la réelle
motivation des poètes : choquer leur lecteur par l’évocation du caractère usufruitier
des plaisirs de la vie, de la beauté et du pouvoir. Ainsi, la poésie et la peinture
baroque présenteront les mêmes symboles des vanités humaines.
Au XIXe siècle, le mouvement romantique présente la mort sous d’autres formes.
Victor Hugo choisira de la personnifier dans plusieurs de ses poèmes. Le texte
« Mors » est un poème qui présente le triomphe de la mort par la description
d'une atmosphère apocalyptique et l'allégorie de celle-ci. Elle est présente dans
tout le poème avec un champ lexical qui lui est appoprié (« faucheuse »,
« ombre », « squelette »...). La mort est illustrée ici comme impitoyable, elle
n'épargne personne et personne ne peut l'arrêter. De même, le texte « Un spectre
m'attendait... » évoque l'impuissance de l'homme face à la mort. Les thèmes
principaux sont l'obscurité et Dieu, les sens sont beaucoup sollicités. La mort est ici
considérée comme absurde comme la vie elle-même:on naît pour mourir. Ce poème
nous montre alors la réflexion, le questionnement de la vie humaine par l'être
humain. On vit dans la lumière pour rentrer très vite dans l'ombre telle est le
contraste employé ici par Victor Hugo.
Enfin, le dessin à l'encre d'Hugo représente un bateau qui chavire en pleine tempête
à cause des formes imposantes et réalistes d'une vague. L'atmosphère du tableau est
menaçante et chaotique, elle est due aux tons sombres et l'obscurité présente du
tableau. Cette vague est un symbole reliant l'existence à la mort, c'est une sorte de
cycle étant donné que de nouvelles vagues se créent tandis que d'autres
disparaissent. On peut comparer la vie qui commencent et qui se termine par la
mort. Pour le poète, c'est sa « Destinée » , il résume alors qu'on est tous
condamné à mourir d'une manière ou d'une autre et qu'on vit tous pour mourir
Tandis que certains meurent, d'autres naissent, tel est le concept de l'existence
humaine pour le maître du romantisme.
A la fin du siècle, le symbolisme voit se succéder ceux qu’ont appelle les «poètes
maudits», d’après un titre de Paul Verlaine. Le premier d’entre eux, Charles
Baudelaire, traite le thème de la mort de façon très différente selon son état
d’esprit. Dans le premier poème intitulé «Une Charogne» la mort est décrite de
façon macabre c'est-à-dire de manière réaliste (champ lexical de la décomposition
«charogne» «pourriture». Dans le second, les thèmes principaux sont la mort
«linceul», «s’endormir sous une arche», le temps qui passe «attendais» ; «Soir». La
mort est représentée de manière implicite: le soleil correspond à la vie passé du
poète alors que le soir et la nuit correspondent à la mort du poète qui se rapproche.
La mort est donc le « soir de la vie», un euphémisme qu’on pourrait comparer à un
apaisement. Cette différence est due à la période d’écriture dans la vie de l’auteur.
«Recueillement» témoigne d’une plus grande maturité de l’auteur que la «Charogne».
On peut observer un phénomène similaire dans l’oeuvre de Paul Verlaine. De
«Cauchemar» à «Sagesse», les images, mais aussi le rythme et les sonorités se sont
apaisés. Dans «Cauchemar», un mouvement violent emporte un cavalier
fantomatique dont on devine au fur et à mesure de la lecture que c'est un être
d'outre-tombe, le spectre d'un défunt, probablement son père, ancien officier de
l'armée décédé un an auparavant. Du cavalier qui galope "sans mors et sans rêne", il
ne reste finalement qu'un squelette d'homme avec ses trente-deux dents. Sagesse
présente, à travers la métaphore filée du ciel d’orage, une forme de lassitude, de
fatigue de vivre.
En revanche, Arthur Rimbaud peint la mort avec toute la vitalité due à sa jeunesse.
Si les deux poèmes sont très différents, ils portent tous deux un regard très distant
avec la mort. Le premier est une réécriture de la «Ballade des Pendus» qui reprend
avec une tonalité comique et satirique les thèmes de la pendaison et de la danse
macabre. Le second est d’insipration purement parnassienne et exploite une
référence connue (l’Ophélie de MacBeth) dans l’objectif de mettre à l’honneur le
pouvoir stylistique du poète. La morte est transfigurée et idéalisée, mais c’est à
travers la folie qui précède la mort d’Ophélia que le poète exprime l’aliénation
poétique qui préfigure sa future condition de poète maudit. Plus tard, il peindra la
mort avec une tonalité plus sérieuse dans son célèbre «Dormeur du Val». Mais la
peinture de la mort sera toujours chez Arthur Rimbaud un moyen d’accéder à un
état de grâce poétique.
On peut observer un phénomène similaire dans l’oeuvre de Paul Verlaine. De
«Cauchemar» à «Sagesse», les images, mais aussi le rythme et les sonorités se sont
apaisés. Dans «Cauchemar», un mouvement violent emporte un cavalier
fantomatique dont on devine au fur et à mesure de la lecture que c'est un être
d'outre-tombe, le spectre d'un défunt, probablement son père, ancien officier de
l'armée décédé un an auparavant. Du cavalier qui galope "sans mors et sans rêne", il
ne reste finalement qu'un squelette d'homme avec ses trente-deux dents. Sagesse
présente, à travers la métaphore filée du ciel d’orage, une forme de lassitude, de
fatigue de vivre. Dans «Mors», on trouve le thèmes de l’agriculture, car l’allégorie de
la Faucheuse permet à Verlaine de déployer toute une métaphore filée de la mort
comme moisson.
En revanche, Arthur Rimbaud peint la mort avec toute la vitalité due à sa jeunesse.
Si les deux poèmes sont très différents, ils portent tous deux un regard très distant
avec la mort. Le premier est une réécriture de la «Ballade des Pendus» de François
Villon, qui reprend avec une tonalité comique et satirique les thèmes de la
pendaison et de la danse macabre. Le thème de la mort y est omniprésent, mais
associé au thème de la fête : «Hurrah !», «danseurs», «bal», comme dans les danses
macabres. Comme ces fresques du moyen-âge, la mort y est personnifiée par la
figure des squelettes et, elle est même chrétienne, comme le montre la présence de
Belzébtuth, mais Rimbaud met aussi en évidence le caractère dérisoire et factice des
plaisirs de la vie. Le second est d'inspiration purement parnassienne et exploite une
référence connue (l’Ophélie de MacBeth) dans l’objectif de mettre à l’honneur le
pouvoir stylistique du poète. Ce poème traite les thèmes de la mort et l’amour.
Celui de la nature sert de décor à la scène. Suivant l’écriture parnassienne, Rimbaud
écrit son poème de façon assez impersonnelle. La morte est transfigurée et idéalisée,
mais c’est à travers la folie qui précède la mort d’Ophélia que le poète exprime
l’aliénation poétique qui préfigure sa future condition de poète maudit. Plus tard, il
peindra la mort avec une tonalité plus sérieuse dans son célèbre «Dormeur du Val».
Mais la peinture de la mort sera toujours chez Arthur Rimbaud un moyen d’accéder
à un état de grâce poétique.
Enfin, au XXè siècle, Guillaume Apollinaire propose une vision très particulière de
la mort. Celle-ci apparaît dans deux de ses plus longs poèmes.
En effet, dans «Cortège» et «La maison des morts» nous pouvons distinguer plusieurs
thèmes. Dans le premier texte nous observons les thèmes de la nature avec les
oiseaux et la mer, de la lumière et de l’obscurité (mort) et de l’homme à travers des
parties humaines et des sens humains (touché, ouïe, odorat, vue, goût). Ce dernier
champ lexical présente la mort sous l’angle de du renouveau. En effet, la
déconstruction semble associée à une prise de conscience de l’existence. D’ailleurs,
le désordre apparent du poème semble lui aussi, paradoxalement associé à la
révélation d’une certaine harmonie. Le chaos trouve donc un sens. Ici, on meurt
pour mieux renaître. Dans le deuxième texte nous remarquons la présence des
thèmes de la mort, de la nature avec le ciel, de la famille et enfin le thème du corps
humain. Dans ce poème la mort est propice à la réunion des âmes et à la
communication des esprits. Nous pouvons donc constater que plusieurs thèmes
sont communs aux deux textes, thèmes qui rappellent d’ailleurs les vanités comme
la mort, la nature et le temps qui passe. Mais ces thèmes sont quelques fois traités
de manière « humoristique » nous pouvons voir que l’auteur utilise des anaphores
et des personnifications pour la mort et autres vanités. C’est un clin d’oeil à la
poésie baroque et au symbolisme. Néanmoins La Maison des Morts semble elle
aussi être le lieu d’un «joyeux bordel» où les malheurs de l’existence prennent un
sens.
On peut associer cette vision de la mort à celle que propose Pablo Picasso dans son
tableau Guernica. On y retrouve les thèmes de la Nature (animaux), du corps
humain (lumière qui est dans un œil ), du temps qui passe (la chandelle), et le
couteau représente la mort.
L’alternance entre ombre et lumière rappelle le poème Cortège et son balancement
entre la mort et la vie. La mort y symbolisée par une allégorie, or ce tableau lui aussi
regorge de symboles évoquant la mort: la mère tenant son enfant mort la tête vers le
ciel comme si elle sollicitait une aide divine, le cheval agonisant ou encore guerrier
décapité rappelle l’horreur de la mort auxquels répondent d’autres symboles, qui
évoquent eux l’espoir (la femme à la chandelle, par exemple). Nous pouvons
également dire que ce tableau illustre La maison des morts du fait du chaque figure
de ce tableau agonise, et se trouve donc à la frontière entre la vie et la mort, tout
comme dans le poème d’Apollinaire où la ‘’promenade’’ peut se traduire comme un
chemin de traverse pour les vivants se dirigeant par conséquent vers la mort . De
plus, lors d’un passage du poème, l’auteur est spectateur d’une scène de tendresse
entre deux amants, ce qui se comparer à une personne contemplant la scène de
Guernica du côté symboliquement positif (les symboles d’espoir , de renaissance).
La vision de la mort a donc beaucoup évolué à travers les siècles, en fonction du
contexte historique, mais aussi de l’expérience de l’auteur. Effrayante de réalisme
dans les poèmes du moyen âge, de la Renaissance et du XVIIe siècle baroque, elle se
pare d’un masque dans les poèmes allégoriques de Victor Hugo et Paul Verlaine.
Chez Arthur Rimbaud, elle devient un prétexte pour glorifier l’art poétique, mais
aussi pour exprimer le sentiment ambigu du poète. Enfin, chez Guillaume
Apollinaire, elle est associée à la perte de l’identité, et semble permettre à l’individu
de se reconstruire.
P R E M I È R E PA RT I E :
DAN SE S M AC A B R E S & VA N I T É S
Les danses macabres au
moyen âge
Les danses macabres étaient des
scènes peintes sur des fresques
qui orn aien t les égli ses et les
cim etiè res du mo yen -âg e au
XVIe.
Ces scè nes rep rése nta ien t les
hommes aux prises avec la mort
qui venait les entraîner dans une
danse loin du monde des vivants.
Les vanités
DU MOYEN- ÂGE À LA P OÉS IE B AROQ U E
I. FRANÇ OIS VILL ON
II. PIERRE DE RONS ARD
III. JEAN-B APTIS TE CHASSIG NET
La « v anit é » est un tab leau
évoquant la précarité de la vie et
l'in sign ifia nce des occ upa tion s
humaines, leur caractère vain.
Séquence 3 - Memento mori - Classe de Première S - Lycée La Croix Rouge - Mme Loriant
F R ANÇOIS VIL LO N
Auteur de génie, voleur, meurtrier de temps en temps, farceur, contestataire, haï ou admiré, le
Poète contemporain de la Guerre de Cent Ans a pourtant réussi à se faire aimer des gueux
comme des grands de la cour. On ne sait avec certitude que très peu de choses, vérifiables, de sa
vie. La légende s'en mêle, entretenue d'ailleurs à dessein par ses textes d'apparence
autobiographique - mais peut-on s'y fier, et jusqu'à quel point?
François Villon naît à Paris en 1431, dans une famille modeste. De son vrai nom François de
Montcorbier ( ou des Loges ), il perd son père très jeune, et est présenté, entre 1438 et 1440, à
l'homme dont il portera le nom, Guillaume de Villon; chapelain à Saint-Benoît-le-Bétourné, cet
homme respectable et digne lui apportera sa première éducation.
C'est vers 1444 que François Villon est inscrit à la Faculté des Arts, et, en mars 1449, il y est reçu
bachelier. Au cours de l'année 1452 il est successivement licencié, puis maître ès arts.
Cependant la période est agitée, et l'université sera pour lui le lieu de mauvaises rencontres, qui
l'entraîneront dans une spirale de violence. En 1455, il est impliqué dans un violent différend qui
l'oppose à un prêtre, qui se termine par la mort de ce dernier; désormais meurtrier, François
Villon est obligé de fuir Paris.
La suite de son existence est une longue errance sur les chemins de France, alternant des
périodes fastes à la cour des Princes à Angers, à Blois, et des périodes sombres, où, acoquiné à
une bande de dangereux malfaiteurs, ( les Compagnons de la Coquille ), les rixes et les vols le
conduiront à maintes reprises à croupir dans un cachot.
Louis XI l'en extirpe le 2 octobre 1461, et il lui en sera profondément reconnaissant; mais cela ne
l'empêchera pas d'y retourner dès le mois de novembre 1462, où, là, il est condamné à être
pendu...
En 1463, le parlement le sauvera de la pendaison en commuant sa peine en bannissement de Paris
pour une période de dix années. Dès lors, on perd sa trace, et on ne connaît ni le lieu, ni la date
de sa mort.
On retient de la vie de François Villon de nombreux côtés sombres, et le peu de documents de
cette époque ne pouvant vraiment apporter de mentions précises, il est difficile de faire la part
entre légende et réalité. Il n'a vraisemblablement pas été un assassin sans scrupules, mais plutôt
un rebelle au coeur déchiré, préférant la proximité de cette faune mal famée de petites gens
confrontées aux réalités les plus pénibles, que la compagnie confortable mais sans saveur des
nantis de son époque.
C'est à ce prix qu'il a renouvelé la poésie en l'arrachant à la mièvrerie et au pédantisme qui la
caractérisaient.
Auteur
Textes
Image
François Villon
Frères humains, qui après nous vivez,
N'ayez les coeurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous mercis.
Vous nous voyez ci attachés, cinq, six :
Quant à la chair, que trop avons nourrie,
Elle est piéça dévorée et pourrie,
Et nous, les os, devenons cendre et poudre.
De notre mal personne ne s'en rie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Se frères vous clamons, pas n'en devez
Avoir dédain, quoique fûmes occis
Par justice. Toutefois, vous savez
Que tous hommes n'ont pas bon sens rassis.
Excusez-nous, puisque sommes transis,
Envers le fils de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l'infernale foudre.
Nous sommes morts, âme ne nous harie,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
La pluie nous a débués et lavés,
Et le soleil desséchés et noircis.
Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés,
Et arraché la barbe et les sourcils.
Jamais nul temps nous ne sommes assis
Puis çà, puis là, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charrie,
Plus becquetés d'oiseaux que dés à coudre.
Ne soyez donc de notre confrérie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Prince Jésus, qui sur tous a maistrie,
Garde qu'Enfer n'ait de nous seigneurie :
A lui n'ayons que faire ne que soudre.
Hommes, ici n'a point de moquerie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
La Ba"ade des Pendus, François Villon
Séquence 3 - Memento mori - Classe de Première S - Lycée La Croix Rouge - Mme Loriant
PIE RR E DE RONSARD
Fils d’une famille noble du Vendômois, Piierre de Ronsard né en septembre 1524 et mort en
décembre 1585, est un des poètes français les plus importants du XVIe siècle.
Il travaille donc à la cour avant de reprendre ses études au Collège de Coqueret, où il suit, aux
côtés de Du Bellay et Baïf, l’enseignement de l’helléniste et humaniste Dorat. Il est alors
surtout attiré par les poètes grecs et considère comme eux la poésie comme un sacerdoce. Il
participera à la création du groupe poétique de la Brigade qui deviendra la Pléiade. Il fut aussi
poète de cour (poète officiel).
C’est un personnage reconnu dans la littérature française durant la Renaissance grâce à ces
nombreux poèmes. Il est l’auteur d’une œuvre qui a touché la poésie durant les guerres de
religions.
Il laisse une oeuvre remarquable :
-,1550 : Odes
1552 : Les Amours de Cassandre, inspirés en partie du pétrarquisme
1555 : La continuation des Amours
1556 : La nouve"e continuation des Amours (dédié à Marie, une jeune paysanne) : lyrisme plus
familier, style plus simple
1572 : La Franciade, épopée française inachevée
1578 : Les Sonnets pour Hélène (Hélène de Surgères), environ 130 sonnets de commande d’abord
(Catherine de Médicis) puis d’amour (il se prit d’affectation pour la jeune femme).
Il a imposé l’alternance des rimes féminines/ masculines (plus harmonieuse).
Textes
Pierre de Ronsard, «Quand vous
serez bien viei"e...»
Pierre de Ronsard, «Je n’ai plus
que les os...»
Auteur : Ronsard
Image : Vanité
Pierre de Ronsard
Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant :
Ronsard me célébrait du temps que j'étais belle.
Lors, vous n'aurez servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s'aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle.
Je serai sous la terre et fantôme sans os :
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos :
Vous serez au foyer une vieille accroupie,
Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain :
Cueillez dés aujourd'hui les roses de la vie.
Pierre de Ronsard, Sonnets pour Hélène, 1578, II, 24
Je n’ai plus que les os, un squelette je semble,
Décharné, dénervé, démusclé, dépoulpé,
Que le trait de la mort sans pardon a frappé ;
Je n’ose voir mes bras que de peur je ne tremble.
Apollon et son fils, deux grands maîtres ensemble,
Ne me sauraient guérir, leur métier m’a trompé.
Adieu, plaisant soleil, mon œil est étoupé,
Mon corps s’en va descendre où tout se désassemble.
Quel ami me voyant en ce point dépouillé
Ne remporte au logis un œil triste et mouillé,
Me consolant au lit et me baisant la face,
En essuyant mes yeux par la mort endormis ?
Adieu, chers compagnons, adieu, mes chers amis,
Je m’en vais le premier vous préparer la place.
Pierre de Ronsard, Derniers Vers, 1586
Séquence 3 - Memento mori - Classe de Première S - Lycée La Croix Rouge - Mme Loriant
J E A N- B A PTISTE CHASSIGNET
Chassignet a enduré en tant que catholique les violences religieuses qui ont ensanglanté la France.
Le Mépris de la vie et consolation contre la mort est son œuvre principale, empreinte d'une
inquiétude toute baroque devant l'instabilité des choses de ce monde. On y trouve des thèmes et
des images communs à ceux de Sponde, témoignant d'une même sensibilité à vif.
Au Moyen-Age, la mort quoique effrayante, entrait dans l'ordre des volontés divines par la
promesse de communion avec Dieu qui l'accompagnait. Les choses changent à la Renaissance,
avec les découvertes scientifiques qui mettent en doute les certitudes sur Dieu et avec les
mésententes religieuses qui portent atteinte à la toute puissance de l’Église catholique. Si pour les
Humanistes catholiques l'homme est capable de s'élever vers Dieu, il n'en va pas de même chez
les Réformés, qui désirent un christianisme débarrassé des dogmes catholiques.
Mortel pense quel est dessous la couverture
D’un charnier mortuaire un corps mangé de vers,
Décharné, dénervé, où les os découverts,
Dépoulpés, dénoués, délaissent leur jointure :
Ici l’une des mains tombe de pourriture,
Les yeux d’autre côté détournés à l’envers
Se distillent en glaire, et les muscles divers
Servent aux vers goulus d’ordinaire pâture :
Le ventre déchiré cornant de puanteur
Infecte l’air voisin de mauvaise senteur,
Et le nez mi-rongé difforme le visage ;
Puis connaissant l’état de ta fragilité,
Fonde en Dieu seulement, estimant vanité
Tout ce qui ne te rend plus savant et plus sage.
Jean-Baptiste Chassignet (1570?-1635?),
Le Mépris de la vie et consolation contre la mort.
Image
D IC TI O N N A I R E D E S VA N I T ÉS
Bougie : [vie] L'homme se conssume avec les années tel une bougie fragilité de l’existence
Boussole : [plaisirs et ambitions terrestres] vanité des découvertes scientifiques, des conquêtes
Bulle de savon : [vie] fragilité de la vie, apparence brillante des choses, le vide, l'instant suspendu, briéveté
Carte géographique : [plaisirs et ambitions terrestres] vanité des découvertes scientifiques, des conquêtes
Collections (de coquillages, de pièces…) : [plaisirs et ambitions terrestres] rejet du matérialisme
Coquillage : [plaisirs et ambitions terrestres] objets rares, convoités, et jugés vains
Coupe renversée : [plaisirs et ambitions terrestres ; mort] symbole sinistre, signe de la fin de l’existence ;
fragilité du verre de la coupe, fragilité des plaisirs, de l’ivresse
Couronne de laurier : [plaisirs et ambitions terrestres ; mort] signe du rejet de l’ambition (la couronne du
laurier est réservée au vainqueur), mais aussi, de façon contradictoire, symbole d’immortalité, et donc de
résurrection, puisque le laurier, comme le sapin, demeure vert en hiver, ne « meurt » pas, symboliquement.
Couronne : [plaisirs et ambitions terrestres] vanité du pouvoir
Crâne humain : [mort] symbole sinistre, rappel du fait que nous sommes mortels
Dés : [ Hasard, destin] : vanité des jeux représentant le hasard de la vie, ainsi que le destin
Epis de blé : [mort] symbole de résurrection
Fleur: [vie]: Symbole d'une vie éphémère
Fleur fanée : [plaisirs et ambitions terrestres ; mort] vanité de l’existence, aussi belle et fragile qu’une fleur
Fruits : [plaisirs et ambitions terrestres] rejet des biens de la nature, des plaisirs de bouche
D IC TI O N N A I R E D E S VA N I T ÉS
Globe terrestre : [plaisirs et ambitions terrestres] vanité des découvertes scientifiques, des conquêtes
Grenade : [mort] symbolise l’église, la communauté des croyants, soudés comme les grains de la grenade ;
évoque la foi, une vie pieuse, pouvant conduire au paradis
Instrument de musique : [plaisirs et ambitions terrestres] la musique n’est qu’une distraction éphémère
Jeux de cartes : [plaisirs et ambitions terrestres] vanité des jeux
Livre – parfois rongé par les souris : [plaisirs et ambitions terrestres] relativité des connaissances
Montre : [mort] symbole sinistre, fuite du temps (mais aussi, la montre étant un bijou luxueux rejet du
matérialisme)
Objets luxueux (tulipe, bijoux, joyaux, pièces d’orfèvrerie…) : [plaisirs et ambitions terrestres] menace, nous
accordons une importance extrême à des choses qui n’en ont pas
Pelote : [fil de la vie] Symbolise le court de la vie d’une personne.
Pièces de monnaie : [plaisirs et ambitions terrestres] rejet du matérialisme, symbolise la recherche
permanente de la richesse
Pipe : [plaisirs et ambitions terrestres ; mort] vanité des plaisirs terrestres – en outre, la combustion du tabac
rappelle la fugacité de notre existence
Sablier : [vie] Symbole d'une vie éphémère, temps qui s’écoule
Tulipe : [mort et plaisirs et ambitions terrestres] fragilité de la beauté (la tulipe est éphémère), mais aussi,
vanité de l’attachement aux biens terrestres.
DE UX I È M E PA RT I E
MORT E T QU Ê T E D E S E N S
DU RO MANT ISME HU GOLIEN À L’ORPHISME D’APOLLINAIRE
I.
VICTO R H UG O O U LA MO RT ROMANTIQUE
II.
C HA RLES B AUDELA IRE
III.
PAUL V ERLA INE
IV.
A RT HUR R IMB AUD
V.
GUILL AUME A PO LL INAIR E
VI CTOR HUGO
Victor Marie Hugo est né le 26 février 1802 à Besançon. Il est connu comme écrivain, dramaturge,
poète, dessinateur : il fait partie des plus célèbres écrivains français. Il est le chef de fil du
mouvement romantique au 19ième siècle. Victor Hugo est aussi un intellectuel engagé, ses avis
politiques ont compté dans l'Histoire de ce siècle.
Malgré sa grande carrière , Victor Hugo n'a pas eu une vie facile. Tout d'abord fils du général
d'Empire Joseph Léopold Sigisbert Hugo et de Sophie Trébuchet, Victor Hugo est surtout élevé par
sa mère à cause de leur séparation. La mort de celle-ci va beaucoup l'affecter.ainsi que son frère qui
deviendra schizophrène suite au mariage de Victor avec Adèle Foucher. Il devient très vite
passionné d'écriture et commence à écrire pour des concours à l'âge de 14 ans, il est encore lycéen
lorsque sort son premier recueil de poèmes Odes.
Plusieurs événements de sa vie, comme la mort de sa fille mais aussi la mise au pouvoir de Napoléon
III vont être sources d'inspirations de ses œuvres. Il publie en 1827 sa première pièce de théâtre en
vers Cromwell, puis Orientales et Hernani.
En 1831, il publie son premier roman historique, 'Notre-Dame de Paris', et en 1838 son chefd'oeuvre romantique Ruy Blas. Il s'exilera en 1851, suite à un coup d'Etat, à Bruxelles, à Jersey puis à
Guernesey, c'est après cet exil qu'il composera Les Châtiments (en 1853) et Les Comtemplations (en
1856) deux recueils de poèmes.
A Jersey, il essaiera par curiosité de rentrer en contact par spiritisme avec sa fille Léopoldine comme
nous le témoigne Les Tables tournantes de Jersey.
Victor Hugo est mort à Paris le 23 Mai 1885 à 83 ans.
Textes
«Mors»
«Un spectre m’attendait...»
Lire aussi :
Victor Hugo, Hernani IV,
Monologue de Don Carlos
devant le tombeau de
Charlemagne
Auteur : Victor Hugo
Image : Dessin à
l’encred’Hugo
Victor Hugo ou la mort romantique
Mors
Je vis cette faucheuse. Elle était dans son champ.
Elle allait à grands pas moissonnant et fauchant,
Noir squelette laissant passer le crépuscule.
Dans l'ombre où l'on dirait que tout tremble et recule,
L'homme suivait des yeux les lueurs de la faulx.
Et les triomphateurs sous les arcs triomphaux
Tombaient; elle changeait en désert Babylone,
Le trône en l'échafaud et l'échafaud en trône,
Les roses en fumier, les enfants en oiseaux,
L'or en cendre, et les yeux des mères en ruisseaux.
Et les femmes criaient : -- Rends-nous ce petit être.
Pour le faire mourir, pourquoi l'avoir fait naître? -Ce n'était qu'un sanglot sur terre, en haut, en bas;
Des mains aux doigts osseux sortaient des noirs grabats;
Un vent froid bruissait dans les linceuls sans nombre;
Les peuples éperdus semblaient sous la faulx sombre
Un troupeau frissonnant qui dans l'ombre s'enfuit;
Tout était sous ses pieds deuil, épouvante et nuit.
Derrière elle, le front baigné de douces flammes,
Un ange souriant portait la gerbe d'âmes.
Mars 1854.
Victor Hugo, Les Contemplations (1856)
Victor Hugo ou la mort romantique
Un spectre m’attendait dans un grand angle d’ombre
Et m’a dit : ― Le muet habite dans le sombre.
L’infini rêve, avec un visage irrité.
L’homme parle et dispute avec l’obscurité,
Et la larme de l’œil rit du bruit de la bouche.
Tout ce qui vous emporte est rapide et farouche.
Sais-tu pourquoi tu vis ? Sais-tu pourquoi tu meurs ?
Les vivants orageux passent dans les rumeurs,
Chiffres tumultueux, flots de l’océan Nombre.
Vous n’avez rien à vous qu’un souffle dans de l’ombre ;
L’homme est à peine né qu’il est déjà passé,
Et c’est avoir fini que d’avoir commencé.
Derrière le mur blanc, parmi les herbes vertes,
La fosse obscure attend l’homme, lèvres ouvertes.
La mort est le baiser de la bouche tombeau.
Tâche de faire un peu de bien, coupe un lambeau
D’une bonne action dans cette nuit qui gronde,
Ce sera ton linceul dans la terre profonde.
Beaucoup s’en sont allés qui ne reviendront plus
Qu’à l’heure de l’immense et lugubre reflux ;
Alors, on entendra des cris. Tâche de vivre ;
Crois. Tant que l’homme vit, Dieu pensif lit son livre ;
L’homme meurt quand Dieu fait au coin du livre un pli.
L’espace sait, regarde, écoute. Il est rempli
D’oreilles sous la tombe, et d’yeux dans les ténèbres.
Les morts, ne marchant plus, dressent leurs pieds funèbres ;
Les feuilles sèches vont et roulent sous les cieux.
Ne sens-tu pas souffler le vent mystérieux ?
Victor Hugo, Les Contemplations (1856)
CHAR LE S B AUDELA IR E
Charles Baudelaire est né à Paris en 1821. Il est orphelin de père dès l’âge de six ans. Après des
études secondaires à Lyon puis au lycée Louis le Grand, Baudelaire mène une vie marginale et
de bohème dans le Quartier latin.
En 1841, il séjourne à l’île Bourbon (La Réunion) et, en rentrant à Paris en 1842, écrit ses
premiers textes. Il se lie à l’actrice Jeanne Duval qui lui inspira de nombreux poème.
En 1844, sa famille le met sous tutelle qui le prive de son héritage paternel. C’est pourquoi il
devient journaliste, critique d’art et critique littéraire.
1857 est l’année de publication des Fleurs du Mal. Baudelaire est attaqué en justice pour
« immoralité et outrage à la morale publique » et condamné : plusieurs poèmes sont retirés
du recueil et l’auteur doit payer une amende. Les thèmes abordés sont nombreux :
corruption de la nature, malédiction du génie, force de la révolte, l’imaginaire, etc.
Il a également rédigé Le Spleen de Paris (1862-1869, publication posthume), les petits poèmes
en proses (publication posthume)…
L’auteur est très affecté par cet échec et sombre dans la misère (et dans la maladie). Il est
frappé en 1866 d’un malaise qui le rendra paralysé et aphasique. Il meurt en 1867.
Son mouvement littéraire est une forme de romantisme maîtrisé, ancré dans le présent de
l’Histoire. Elle est aussi une manière de mettre les pouvoirs de l’art au service de l’inspiration.
Il s’agit aussi d’une poétique de l’imagination : c’est l’imagination qui, au cœur du langage,
permet l’expression de la modernité.
Textes
Charles Baudelaire, Les Fleurs du
Mal
«Charogne»
«Recueillement»
Auteur : C. Baudelaire
Charles Baudelaire ou la mort symboliste
UNE CHAROGNE
Rappelez-vous l’objet que nous vîmes, mon âme,
Ce beau matin d’été si doux :
Au détour d’un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux,
Les jambes en l’air, comme une femme lubrique,
Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d’une façon nonchalante et cynique
Son ventre plein d’exhalaisons.
Le soleil rayonnait sur cette pourriture,
Comme afin de la cuire à point,
Et de rendre au centuple à la grande Nature
Tout ce qu’ensemble elle avait joint ;
Et le ciel regardait la carcasse superbe
Comme une fleur s’épanouir.
La puanteur était si forte, que sur l’herbe
Vous crûtes vous évanouir.
Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
D’où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivants haillons.
Tout cela descendait, montait comme une vague,
Ou s’élançait en pétillant ;
On eût dit que le corps, enflé d’un souffle vague,
Vivait en se multipliant.
Charles Baudelaire ou la mort symboliste
Et ce monde rendait une étrange musique,
Comme l’eau courante et le vent,
Ou le grain qu’un vanneur d’un mouvement rythmique
Agite et tourne dans son van.
Les formes s’effaçaient et n’étaient plus qu’un rêve,
Une ébauche lente à venir
Sur la toile oubliée, et que l’artiste achève
Seulement par le souvenir.
Derrière les rochers une chienne inquiète
Nous regardait d’un œil fâché,
Épiant le moment de reprendre au squelette
Le morceau qu’elle avait lâché.
― Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
À cette horrible infection,
Étoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion !
Oui ! telle vous serez, ô la reine des grâces,
Après les derniers sacrements,
Quand vous irez, sous l’herbe et les floraisons grasses,
Moisir parmi les ossements.
Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j’ai gardé la forme et l’essence divine
De mes amours décomposés !
Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, 1857
Charles Baudelaire ou la mort symboliste
RECUEILLEMENT
Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.
Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici :
Une atmosphère obscure enveloppe la ville,
Aux uns portant la paix, aux autres le souci.
Pendant que des mortels la multitude vile,
Sous le fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci,
Va cueillir des remords dans la fête servile,
Ma Douleur, donne-moi la main ; viens par ici,
Loin d’eux. Vois se pencher les défuntes Années,
Sur les balcons du ciel, en robes surannées ;
Surgir du fond des eaux le Regret souriant ;
Le Soleil moribond s’endormir sous une arche,
Et, comme un long linceul traînant à l’Orient,
Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche.
Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, 1857
PAU L VER LA INE
Paul Verlaine se dévoila en 1844 à Metz. Il a fait ses études à Paris au lycée Bonaparte. Il a débuté
dans la vie modestement et bourgeoisement par un emploi d'expéditionnaire à l'Hôtel de Ville. Il se
mêla au groupe des premiers parnassiens et il publia, en 1866, les Poèmes saturniens.
Il prendra ses distances avec les parnassiens lorsqu’il rencontrera son futur disciple, le jeune Arthur
Rimbaud, dont la fougue et la jeunesse irritera les érudits poètes du Collège de France.
Paul Verlaine a commence à boire, et sa relation tumultueuse avec Arthur Rimbaud lui apportera de
sérieux ennuis : son divorce, d’abord, mais aussi un séjour en prison.
C’est justement en prison qu’il retrouvera une certaine sérénité : après une période de réflexion
poétique dont Le Ciel est par dessus le toit et Sagesse sont les résultats, il se tournera vers l’église.
Il est mort en 1896. Paul Verlaine et Stéphane Mallarme sont considérés comme les deux "consuls"
du symbolisme.
Textes
Paul Verlaine, Poésies
«Cauchemar»
«Mort!»
Auteur : Verlaine
Image : La faucheuse,
Gustave Doré
Paul Verlaine ou l’angoisse de la mort
CAUCHEMAR
J'ai vu passer dans mon rêve
– Tel l'ouragan sur la grève, –
D'une main tenant un glaive
Et de l'autre un sablier,
Ce cavalier
Des ballades d'Allemagne
Qu'à travers ville et campagne,
Et du fleuve à la montagne,
Et des forêts au vallon,
Un étalon
Rouge-flamme et noir d'ébène,
Sans bride, ni mors, ni rêne,
Ni hop ! ni cravache, entraîne
Parmi des râlements sourds
Toujours ! toujours !
Un grand feutre à longue plume
Ombrait son œil qui s'allume
Et s'éteint. Tel, dans la brume,
Éclate et meurt l'éclair bleu
D'une arme à feu.
Comme l'aile d'une orfraie
Qu'un subit orage effraie,
Par l'air que la neige raie,
Son manteau se soulevant
Claquait au vent,
Et montrait d'un air de gloire
Un torse d'ombre et d'ivoire,
Tandis que dans la nuit noire
Luisaient en des cris stridents
Trente-deux dents.
Poèmes Saturniens, «Melancholia»
Paul Verlaine ou l’angoisse de la mort
À Victor Hugo.
LA MORT
Telle qu’un moissonneur, dont l’aveugle faucille
Abat le frais bleuet, comme le dur chardon,
Telle qu’un plomb cruel qui, dans sa course, brille,
Siffle, et, fendant les airs, vous frappe sans pardon ;
Telle l’affreuse mort sur un dragon se montre,
Passant comme un tonnerre au milieu des humains,
Renversant, foudroyant tout ce qu’elle rencontre
Et tenant une faulx dans ses livides mains.
Riche, vieux, jeune, pauvre, à son lugubre empire
Tout le monde obéit ; dans le cœur des mortels
Le monstre plonge, hélas ! ses ongles de vampire !
Il s’acharne aux enfants, tout comme aux criminels :
Aigle fier et serein, quand du haut de ton aire
Tu vois sur l’univers planer ce noir vautour,
Le mépris (n’est-ce pas, plutôt que la colère)
Magnanime génie, dans ton cœur, a son tour ?
Mais, tout en dédaignant la mort et ses alarmes,
Hugo, tu t’apitoies sur les tristes vaincus ;
Tu sais, quand il le faut, répandre quelques larmes,
Quelques larmes d’amour pour ceux qui ne sont plus.
(1858)
Poèmes Saturniens, «Melancholia»
A RT HUR R IMB AUD
Arthur Rimbaud est né le 20 octobre 1854 à Charleville-Mézières. Il écrivit des poèmes à partir de l'âge
de 16 ans jusqu'à ses 20 ans au cours d'années consacrées à toutes sortes d'expériences et de
vagabondages.
Dès son plus jeune âge, Rimbaud montre une aisance incontesté en littérature. En 1870, il se lie d'amitié
avec Georges Izambard, un professeur de rhétorique qui lui fera découvrir la poésie. Durant cette année,
Rimbaud écrit de nombreux poèmes tels que le Mal ou encore le Dormeur du Val.
Il quittera les Ardennes à 17 ans pour se rendre à Paris après avoir correspondu avec Théodore de
Banville et Paul Verlaine, ses grands modèles parnassiens.
Mais arrivé à la capitale, il sera extrêmement déçu de constater que la poésie parnassienne est trop
hermétique et que les poètes qui la composent sont relativement traditionalistes.
Il arrivera donc à convaincre Paul Verlaine de le suivre en Belgique, puis à Londres jusqu’à ce qu’une
dispute entraîne son ami en prison.
Après cet événement, il s'isolera dans la ferme familiale où il écrira Une saison en enfer. En 1875, il
écrit son manuscrit les Illuminations juste avant d'arrêter définitivement la poésie. En 1876 il devient
militaire, puis explorateur. Il meurt en 1891 d'une tumeur au genou.
Son influence sur les poètes du XXeme siècle est très importante ; c'était un auteur symboliste.
Le poème Le Bal Des Pendus fait partie des premiers textes de Rimbaud, il s’agit
Le poème Ophélia fait partie, comme Le Dormeur Du Val, des tous premiers textes de Rimbaud ; c'est
l'un de ceux qu'il choisit de joindre à la lettre qu'il adresse, en mai 1870, à Théodore de Banville, chef de
file du Parnasse.
Ces deux poèmes appartiennent aux Cahiers de Douai écrits en 1870.
Textes
Arthur Rimbaud, Poésies
«Le Bal des Pendus»
«Ophélia»
Auteur : Arthur Rimbaud
Image : Danse macabre
Arthur Rimbaud, quand la jeunesse se rie de la mort
LE BAL DES PENDUS :
Au gibet noir, manchot aimable,
Dansent, dansent les paladins,
Les maigres paladins du diable,
Les squelettes de Saladins.
Hurrah ! la bise siffle au grand bal des squelettes !
Le gibet noir mugit comme un orgue de fer !
Les loups vont répondant des forêts violettes :
À l'horizon, le ciel est d'un rouge d'enfer...
Messire Belzébuth tire par la cravate
Ses petits pantins noirs grimaçant sur le ciel,
Et, leur claquant au front un revers de savate,
Les fait danser, danser aux sons d'un vieux Noël !
Hurrah ! la bise siffle au grand bal des squelettes !
Le gibet noir mugit comme un orgue de fer !
Les loups vont répondant des forêts violettes :
À l'horizon, le ciel est d'un rouge d'enfer...
Et les pantins choqués enlacent leurs bras grêles :
Comme des orgues noirs, les poitrines à jour
Que serraient autrefois les gentes damoiselles,
Se heurtent longuement dans un hideux amour.
Holà, secouez-moi ces capitans funèbres
Qui défilent, sournois, de leurs gros doigts cassés
Un chapelet d'amour sur leurs pâles vertèbres :
Ce n'est pas un moustier ici, les trépassés !
Hurrah ! les gais danseurs qui n'avez plus de panse !
On peut cabrioler, les tréteaux sont si longs !
Hop ! qu'on ne cache plus si c'est bataille ou danse !
Belzébuth enragé racle ses violons !
Oh ! voilà qu'au milieu de la danse macabre
Bondit dans le ciel rouge un grand squelette fou
Emporté par l'élan, comme un cheval se cabre :
Et, se sentant encor la corde raide au cou,
O durs talons, jamais on n'use sa sandale !
Presque tous ont quitté la chemise de peau ;
Le reste est peu gênant et se voit sans scandale.
Sur les crânes, la neige applique un blanc chapeau :
Crispe ses petits doigts sur son fémur qui craque
Avec des cris pareils à des ricanements,
Et, comme un baladin rentre dans la baraque,
Rebondit dans le bal au chant des ossements.
Le corbeau fait panache à ces têtes fêlées,
Un morceau de chair tremble à leur maigre menton :
On dirait, tournoyant dans les sombres mêlées,
Des preux, raides, heurtant armures de carton.
Au gibet noir, manchot aimable,
Dansent, dansent les paladins,
Les maigres paladins du diable,
Les squelettes de Saladins.
Arthur Rimbaud, quand la jeunesse se rie de la mort
Ophélia
15 mai 1870
I
Sur l’onde calme et noire où dorment les étoiles
La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,
Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles...
− On entend dans les bois lointains des hallalis.
Voici plus de mille ans que la triste Ophélie
Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir,
Voici plus de mille ans que sa douce folie
Murmure sa romance à la brise du soir.
Le vent baise ses seins et déploie en corolle
Ses grands voiles bercés mollement par les eaux;
Les saules frissonnants pleurent sur son épaule,
Sur son grand front rêveur s’inclinent les roseaux.
Les nénuphars froissés soupirent autour d’elle;
Elle éveille parfois, dans un aune qui dort,
Quelque nid, d’où s’échappe un petit frisson d’aile:
− Un chant mystérieux tombe des astres d’or.
II
Ô pâle Ophélia ! belle comme la neige !
Oui tu mourus, enfant, par un fleuve emporté !
− C’est que les vents tombant des grands monts de Norwège
T’avaient parlé tout bas de l’âpre liberté ;
C’est qu’un souffle, tordant ta grande chevelure,
À ton esprit rêveur portait d’étranges bruits ;
Que ton cœur écoutait le chant de la Nature
Dans les plaintes de l’arbre et les soupirs des nuits ;
C’est que la voix des mers folles, immense râle,
Brisait ton sein d’enfant, trop humain et trop doux;
C’est qu’un matin d’avril, un beau cavalier pâle,
Un pauvre fou, s’assit muet à tes genoux !
Ciel! Amour! Liberté! Quel rêve, ô pauvre Folle !
Tu te fondais à lui comme une neige au feu :
Tes grandes visions étranglaient ta parole
− Et l’Infini terrible effara ton œil bleu !
III
− Et le Poète dit qu’aux rayons des étoiles
Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis,
Et qu’il a vu sur l’eau, couchée en ses longs voiles,
La blanche Ophélia flotter, comme un grand lys
GU ILLAUME AP OLLINAIRE
Guillaume APPOLINAIRE est né le 26 aout 1880 à ROME. Il est issu d’une famille
de nobles. C’est un écrivain polonais naturalisé français qui fut partis des écrivains
majeurs du XXème Siècle. Il commença à écrire en 1897 au lycée et y composa ses
premiers poèmes.
L’idée essentielle de ce poète est la nécessité de la destruction d’un Dieu créateur
remplacé par la notion que chaque homme est Dieu lui-même, dans la mesure où il
prend conscience de sa divinité et de n’avoir aucune raison à porter un culte à la
nature.
Il sera le précurseur du Surréalisme, on l’associe aussi au Cubisme et à l’Esprit
Nouveau, mais lui dira «Orphiste», un mouvement qu’il nomme lui-même en
référence au célèbre héros mythologique qui regarda derrière lui (lui est tourné vers le
passé).
Entre 1902 et 1907, il publia ses contes et poèmes dans diverses revues. Il rencontra
Pablo Picasso, Derain et Rousseau. Il se fit un nom de poète et de critique d’art.
C’est en 1913 qu’il sera véritablement révélé au public, grâce à la publication de son
recueil « Alcools » ‘l’ensemble de ses écrits depuis 1898)
En 1914 il s’enrôle dans l’armée française comme artilleur et meurt le 2 mai 1918 de la
grippe espagnole. Il est enterré à PARIS.
Textes
Guillaume Apollinaire, Alcools
«Cortège»
«La Maison des Morts»
Auteur :
Guillaume Apollinaire
Image : Guernica, Picasso
Guillaume Apollinaire
Cortège
A M. Léon Bailby.
Oiseau tranquille au vol inverse oiseau
Qui nidifie en l'air
A la limite où notre sol brille déjà
Baisse ta deuxième paupière la terre t'éblouit
Quand tu lèves la tête
Et moi aussi de près je suis sombre et terne
Une brume qui vient d'obscurcir les lanternes
Une main qui tout à coup se pose devant les yeux
Une voûte entre vous et toutes les lumières
Et je m'éloignerai m'illuminant au milieu d'ombres
Et d'alignements d'yeux des astres bien-aimés
Oiseau tranquille au vol inverse oiseau
Qui nidifie en l'air
A la limite où brille déjà ma mémoire
Baisse ta deuxième paupière
Ni à cause du soleil ni à cause de la terre
Mais pour ce feu oblong dont l'intensité ira s'augmentant
Au point qu'il deviendra un jour l'unique lumière
Un jour
Un jour je m'attendais moi-même
Je me disais Guillaume il est temps que tu viennes
Pour que je sache enfin celui-là que je suis
Moi qui connais les autres
Je les connais par les cinq sens et quelques autres
Il me suffit de voir leurs pieds pour pouvoir refaire ces gens à
milliers
De voir leurs pieds paniques un seul de leurs cheveux
Ou leur langue quand il me plaît de faire le médecin
Ou leurs enfants quand il me plaît de faire le prophète
Les vaisseaux des armateurs la plume de mes confrères
La monnaie des aveugles les mains des muets
Ou bien encore à cause du vocabulaire et non de l'écriture
Une lettre écrite par ceux qui ont plus de vingt ans
Il me suffit de sentir l'odeur de leurs églises
L'odeur des fleuves dans leurs villes
Le parfum des fleurs dans les jardins publics
O Corneille Agrippa l'odeur d'un petit chien m'eût suffi
Pour décrire exactement tes concitoyens de Cologne
Leurs rois-mages et la ribambelle ursuline
Qui t'inspirait l'erreur touchant toutes les femmes
Guillaume Apollinaire
Il me suffit de goûter la saveur du laurier qu'on cultive pour que
j'aime ou que je bafoue
Et de toucher les vêtements
Pour ne pas douter si l'on est frileux ou non
O gens que je connais
Il me suffit d'entendre le bruit de leurs pas
Pour pouvoir indiquer à jamais la direction qu'ils ont prise
Il me suffit de tous ceux-là pour me croire le droit
De ressusciter les autres
Un jour je m'attendais moi-même
Je me disais Guillaume il est temps que tu viennes
Et d'un lyrique pas s'avançaient ceux que j'aime
Parmi lesquels je n'étais pas
Les géants couverts d'algues passaient dans leurs villes
Sous-marines où les tours seules étaient des îles
Et cette mer avec les clartés de ses profondeurs
Coulait sang de mes veines et fait battre mon cœur
Puis sur terre il venait mille peuplades blanches
Dont chaque homme tenait une rose à la main
Et le langage qu'ils inventaient en chemin
Je l'appris de leur bouche et je le parle encore
Le cortège passait et j'y cherchais mon corps
Tous ceux qui survenaient et n'étaient pas moi-même
Amenaient un à un les morceaux de moi-même
On me bâtit peu à peu comme on élève une tour
Les peuples s'entassaient et je parus moi-même
Qu'ont formé tous les corps et les choses humaines
Temps passés Trépassés Les dieux qui me formâtes
Je ne vis que passant ainsi que vous passâtes
Et détournant mes yeux de ce vide avenir
En moi-même je vois tout le passé grandir
Rien n'est mort que ce qui n'existe pas encore
Près du passé luisant demain est incolore
Il est informe aussi près de ce qui parfait
Présente tout ensemble et l'effort et l'effet
(...)
Guillaume Apollinaire , Alcools, 1912
Guillaume Apollinaire
La maison des morts
A Maurice Raynal.
S'étendant sur les côtes du cimetière
La maison des morts l'encadrait comme un cloître
A l'intérieur de ses vitrines
Pareilles à celles des boutiques de modes
Au lieu de sourire debout
Les mannequins grimaçaient pour l'éternité
Arrivé à Munich depuis quinze ou vingt jours
J'étais entré pour la première fois et par hasard
Dans ce cimetière presque désert
Et je claquais des dents
Devant toute cette bourgeoisie
Exposée et vêtue le mieux possible
En attendant la sépulture
Soudain
Rapide comme ma mémoire
Les yeux se rallumèrent
De cellule vitrée en cellule vitrée
Le ciel se peupla d'une apocalypse
Vivace
Et la terre plate à l'infini
Comme avant Galilée
Se couvrit de mille mythologies immobiles
Un ange en diamant brisa toutes les vitrines
Et les morts m'accostèrent
Avec des mines de l'autre monde
Mais leur visage et leurs attitudes
Devinrent bientôt moins funèbres
Le ciel et la terre perdirent
Leur aspect fantasmagorique
Les morts se réjouissaient
De voir leurs corps trépassés entre eux et la lumière
Ils riaient de leur ombre et l'observaient
Comme si véritablement
C'eût été leur vie passée
Alors je les dénombrai
Ils étaient quarante-neuf hommes
Femmes et enfants
Qui embellissaient à vue d'œil
Et me regardaient maintenant
Avec tant de cordialité
Tant de tendresse même
Que les prenant en amitié
Tout à coup
Je les invitai à une promenade
Loin des arcades de leur maison
Et tous bras dessus bras dessous
Fredonnant des airs militaires
Oui tous vos péchés sont absous
Nous quittâmes le cimetière
Nous traversâmes la ville
Et rencontrions souvent
Des parents des amis qui se joignaient
A la petite troupe des morts récents
Tous étaient si gais
Si charmants si bien portants
Que bien malin qui aurait pu
Distinguer les morts des vivants
Puis dans la campagne
On s'éparpilla
Deux chevau-légers nous joignirent
On leur fit fête
Ils coupèrent du bois de viorne
Et de sureau
Dont ils firent des sifflets
Qu'ils distribuèrent aux enfants
Plus tard dans un bal champêtre
Les couples mains sur les épaules
Dansèrent au son aigre des cithares
Ils n'avaient pas oublié la danse
Ces morts et ces mortes
On buvait aussi
Et de temps à autre une cloche
Annonçait qu'un nouveau tonneau
Allait être mis en perce
Une morte assise sur un banc
Près d'un buisson d'épine-vinette
Laissait un étudiant
Agenouillé à ses pieds
Lui parler de fiançailles
Je vous attendrai
Dix ans vingt ans s'il le faut
Votre volonté sera la mienne
Je vous attendrai
Toute votre vie
Répondait la morte
Des enfants
De ce monde ou bien de l'autre
Chantaient de ces rondes
Guillaume Apollinaire
Aux paroles absurdes et lyriques
Qui sans doute sont les restes
Des plus anciens monuments poétiques
De l'humanité
L'étudiant passa une bague
A l'annulaire de la jeune morte
Voici le gage de mon amour
De nos fiançailles
Ni le temps ni l'absence
Ne nous feront oublier nos promesses
Et un jour nous aurons une belle noce
Des touffes de myrte
A nos vêtements et dans vos cheveux
Un beau sermon à l'église
De longs discours après le banquet
Et de la musique
De la musique
Nos enfants
Dit la fiancée
Seront plus beaux plus beaux encore
Hélas ! la bague était brisée
Que s'ils étaient d'argent ou d'or
D'émeraude ou de diamant
Seront plus clairs plus clairs encore
Que les astres du firmament
Que la lumière de l'aurore
Que vos regards mon fiancé
Auront meilleure odeur encore
Hélas ! la bague était brisée
Que le lilas qui vient d'éclore
Que le thym la rose ou qu'un brin
De lavande ou de romarin
Les musiciens s'en étant allés
Nous continuâmes la promenade
Au bord d'un lac
On s'amusa à faire des ricochets
Avec des cailloux plats
Sur l'eau qui dansait à peine
Des barques étaient amarrées
Dans un havre
On les détacha
Après que toute la troupe se fut embarquée
Et quelques morts ramaient
Avec autant de vigueur que les vivants
A l'avant du bateau que je gouvernais
Un mort parlait avec une jeune femme
Vêtue d'une robe jaune
D'un corsage noir
Avec des rubans bleus et d'un chapeau gris
Orné d'une seule petite plume défrisée
Je vous aime
Disait-il
Comme le pigeon aime la colombe
Comme l'insecte nocturne
Aime la lumière
Trop tard
Répondait la vivante
Repoussez repoussez cet amour défendu
Je suis mariée
Voyez l'anneau qui brille
Mes mains tremblent
Je pleure et je voudrais mourir
Les barques étaient arrivées
A un endroit où les chevau-légers
Savaient qu'un écho répondait de la rive
On ne se lassait point de l'interroger
Il y eut des questions si extravagantes
Et des réponses tellement pleines d'à-propos
Que c'était à mourir de rire
Et le mort disait à la vivante
Nous serions si heureux ensemble
Sur nous l'eau se refermera
Mais vous pleurez et vos mains tremblent
Aucun de nous ne reviendra
On reprit terre et ce fut le retour
Les amoureux s'entr'aimaient
Et par couples aux belles bouches
Marchaient à distances inégales
Les morts avaient choisi les vivantes
Et les vivants
Des mortes
Un genévrier parfois
Faisait l'effet d'un fantôme
Les enfants déchiraient l'air
En soufflant les joues creuses
Dans leurs sifflets de viorne
Ou de sureau
Tandis que les militaires
Chantaient des tyroliennes
En se répondant comme on le fait
Dans la montagne
Dans la ville
Notre troupe diminua peu à peu
On se disait
Au revoir
Guillaume Apollinaire
A demain
A bientôt
Beaucoup entraient dans les brasseries
Quelques-uns nous quittèrent
Devant une boucherie canine
Pour y acheter leur repas du soir
Bientôt je restai seul avec ces morts
Qui s'en allaient tout droit
Au cimetière
Où
Sous les Arcades
Je les reconnus
Couchés
Immobiles
Et bien vêtus
Attendant la sépulture derrière les vitrines
Ils ne se doutaient pas
De ce qui s'était passé
Mais les vivants en gardaient le souvenir
C'était un bonheur inespéré
Et si certain
Qu'ils ne craignaient point de le perdre
Ils vivaient si noblement
Que ceux qui la veille encore
Les regardaient comme leurs égaux
Ou même quelque chose de moins
Admiraient maintenant
Leur puissance leur richesse et leur génie
Car y a-t-il rien qui vous élève
Comme d'avoir aimé un mort ou une morte
On devient si pur qu'on en arrive
Dans les glaciers de la mémoire
A se confondre avec le souvenir
On est fortifié pour la vie
Et l'on n'a plus besoin de personne
Guillaume Apollinaire , Alcools, 1912