The aircraft carrier in the Japanese naval doctrine

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The aircraft carrier in the Japanese naval doctrine
Jonckheere Fabrice. Article : The aircraft carrier in the Japanese naval doctrine. Publié dans Los. septembre 2012
The aircraft carrier in the Japanese naval doctrine
Le porte avion dans le cadre de la doctrine navale japonaise (1910-1945)
Résumé : Le Porte-avion est considéré aujourd‟hui comme la pièce maîtresse de toute flotte. Cependant il n‟en a pas toujours été
ainsi. Si la seconde guerre mondiale a permis d‟en saisir les pleines potentialités, son émergence dans les années 1920 siècle a
suscité dans les Etats-majors maints questionnements et incertitudes. Les Japonais, pionniers dans le domaine ne font pas
exception. Une étude de ce navire requiert donc une compréhension du contexte qui l‟a vu naître et de ses évolutions à travers les
décennies. Qu‟en est-il donc du porte avion dans le cadre de la doctrine navale nippone de la première moitié du XXème siècle ?
Abstract :
The aircraft carrier is now considered as the centerpiece of any fleet. However it has not always been so. If the Second World War
made it possible to understand her full potential, her emergence in the 1920 century has generated in the Staffs many questions and
uncertainties. The Japanese pioneers in the field are no exception. A study of the ship so requires an understanding of the context
she was born and her evolution through the decades. So what about the aircraft carrier as part of the Japanese naval doctrine in the
first half of the twentieth century?
Le Porte-avion est considéré aujourd‟hui comme la pièce maîtresse de toute flotte. Cependant il n‟en a pas toujours
été ainsi. Si la seconde guerre mondiale a permis d‟en saisir les pleines potentialités, son émergence dans les années
1920 siècle a suscité dans les Etats-majors maints questionnements et incertitudes. Les Japonais, pionniers dans le
domaine ne font pas exception. Une étude de ce navire requiert donc une compréhension du contexte qui l‟a vu naître
et de ses évolutions à travers les décennies. Qu‟en est-il donc du porte avion dans le cadre de la doctrine navale
nippone de la première moitié du XXème siècle ?
I.
La doctrine traditionnelle navale japonaise dans la grande stratégie
Contexte doctrinal initial d’emploi des porte avions
« Pearl-Harbor, une attaque surprise préméditée de longue date (…)qui renouvelait avec les moyens modernes celle
dirigée contre les Russes à Port-Arthur en 1905, provoqua l'entrée des États-Unis dans la Seconde Guerre
mondiale»(1). L‟assertion ci dessus est l‟exemple notoire de la vision,à plusieurs égards erronée,d‟une doctrine navale
traditionnelle nipponede« préméditation »qui aurait de tout temps(« de longue date ») privilégié la stratégie d‟attaque
surprise dans le cadre d‟une politique d‟agressionet deréédition ( « renouvelait.. »)de l‟ usage des navires de ligne par
des dits « moyens modernes », c‟est à dire le porte-avion et les flottes embarquées.
Balayonsd‟un revers de main cette thèse culturaliste de l‟attaque surprise préméditée propre aux Japonais Les attaque
de la baie d‟Heligoland en 1914 , de Mers el Kébir ou du Golfe de Tarente par les Britanniques suffisent à l‟invalider.
En effet les évènements du 7 décembre 1941 ne constituent qu‟une action « à l’intérieur du champ stratégique (dans
le cas d’une hostilité déclarée) »(2), dans la tradition des attaques navales de flottes à l‟ancre .Il est plus pertinent en
revanche d‟étudier le champ d‟application doctrinal qui y a conduit ainsi que l‟application matérielle qui en découle,
en d‟autres termes, l‟usage de l‟arme aéronavale dans le cadre de la stratégie qui l‟emploie.
La question de l‟utilité des porte -avions trouve donc son corollaire dans celle de leur doctrine utilisation.
Leur émergence est en effet jalonnée de doutes, d‟hésitations quant à son rôle. Si « un temps de maturation tactique
succède nécessairement à l’apparition de nouvelles technologies. » (3) .alors, paraphrasantWayne Hughes, nous
pourrions affirmer qu‟aucun des grands bâtiments de combat aéronaval japonais n‟a été employé conformément à son
concept originel.
Strategie indirecte et bataille décisive (kantaikessen)
La vision maritime japonaise s‟intègre dans un ensemble géostratégique: celle d‟un archipel ouvert aux invasions.De
ce fait toute défense nécessite une force de projection maritime. Cetteréflexion amorcée dès 1791 par le
Kaikokuheidan (De la défense des pays maritimes) de HayashiShihei, est approfondie par les stratèges de Meiji qui
comprennent très tôt qu‟ils ne peuvent mener que des guerres limitées, eu égard à leur ressources. Ils reprennent
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donc à leur compte une notion traditionnelle de la pensée stratégique chinoise, celle de stratégie indirecte. (encadré
1 : « stratégie indirecte : la stratégie indirecte est celle qui opère aussi bien du fort au faible que du faible au fort,
en vue, dans le premier cas de déstabiliser ou d'affaiblir l'ennemi avant de lui porter le coup décisif et, dans le
deuxième, de durer pour fatiguer l'adversaire. » (Hervé COUTEAU-BEGARIE)) qui repose sur la doctrine de
défensive-offensive etselon laquelle les opérations navales se déclinent en trois temps :
- Préparer et concentrer ses forces.
- Attendre l‟ennemi
- Le surprendre et amenuiserson potentiel offensif dans l‟optique d‟une bataille décisive.
Se référer à Clausewitz puis à SunTzu permet de comprendre cette notion qui est une sorte de ligne directrice de la
stratégie japonaise. En effet, si "l'action offensive, menée dans le cadre d'une guerre défensive doit être nommée
défensive" , Sun -Tzu considère que l‟excellence suprême consiste à gagner sans combattre et qu‟ainsi gagner toutes
les batailles n‟est pas la meilleure chose .( 4 )TetsutarôSato , un des stratèges fondateur de la doctrine navale
japonaise,théorise la doctrine de défensive-offensive dans son opuscule: De la défense impériale (Teikokkokubôron)
publié en 1902. (5).Conscient qu‟il est plus facile de se défendre par anticipation, il estime que « pour une nation
insulaire comme le Japon, une action défensive opérant au large constituait l’unique défense. » (6).
La doctrine de l‟offensive-défensive prône d‟usure des forces adverses suivie dela bataille navale décisive.
Cette dernière répond à la nécessité d‟échapper à la contrainte (un état de fait imposé par l‟ennemi) par la protection
de sa marge de manœuvre. Il est nécessaire de mener des actions offensives limitées dans le temps et l‟espace afin
d‟asseoir les bases de sa position défensive. Dans cette logique, la bataille décisive n‟est pas un absolu mais un moyen
de parvenir à la position stratégique la plus avantageuse. Cette fin conditionne la composition de la flotte.
En effet, à l‟orée ce de siècle deux grandes écoles de pensée s‟affrontent :
« -une méthode réaliste ou matérielle qui part des matériels existants pour formuler une doctrine adaptée aux
exigences de l’heure et qui s’incarne dans la Jeune École française ;
-une méthode historique qui essaie de formuler les lois universelles du combat naval et du développement maritime et
qui s’incarne dans l’œuvre de l’Américain Alfred T. Mahan qui va connaître un rayonnement universel » (7)
Après tergiversations l‟Etat Major opte en 1907pour une synthèse de ces deux écoles en élaborant le concept de flotte
combinée (rengokantai) qui forme l‟ossature du KaisenYomurai( JapaneseNavy‟sRegulations of Naval Warfare),
doctrine qui reste la référence tactique jusqu‟en 1941.Qu‟est ce qu‟une flotte combinée ?Il s‟agit d‟une flotte
composée de navires de tailles et de types différents auxquels sont attribués des missions complémentaires.C‟est ainsi
Nikon TeokuKaigun (marine impériale japonaise) ou IJN (Impérial JapaneseNavy), se dote de torpilleurs et navires
légers et faitdes cuirassés et croiseurs le fer de lance de sa marine. La tactique adoptée est la suivante : les torpilleurs
doivent affaiblir l‟ennemi au préalable par des attaques surprise tandis que des croiseurs harcèlent les navires hostiles
au large. Les grands bâtiments engagent alors la bataille avec un adversaire amoindri.
Identifier l’ennemi : Russie ou USA ?
La doctrine japonaise de la première moitié du XXème siècle cherche à identifier quel pourrait être l‟ennemi à
la dangerosité maximale, c‟est à dire celui qui dispose d‟une puissance supérieure à celle de l‟Empire. Deux
possibilités se font jour : une puissance continentale, la Russie et une puissance maritime, les Etats-Unis. Ici
réside le débat entre la marine et l‟armée de terre : la première souhaite une marine orientée vers des missions de
contrôle des eaux élargies et des routes de communication. La seconde souhaite cantonner la marine à la défense
statique de l‟archipel en lui refusant toute capacité offensive.Une imprécision tant sur le rôle de la flotte que sur sa
composition idéale en est la conséquence.Or l‟Etat-major de la marine l‟énonce très clairement en 1904:« La décision
de commencer une guerre devrait êtrepriseen fonction dela politiqueimpérialeet non passimplementen fonction de
considérations stratégiques"(8).En d‟autres termes, les orientations politiques l‟emportent sur les considérations
purement stratégiques et de ce fait, l‟ennemi principal est déterminé par la situationpolitique internationale. Si le
gouvernement estime que la première ligne de défense passe par la Corée, alors il a tout lieu de s‟inquiéter de
l‟expansionnisme russe dans cette région.La guerre qui s‟en suit règle le problème russe et permet de valider la
doctrine navale officielle jusque là théorique.
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Après 1905 et la défaite russe, les Etats-Unis, en raison de leur présence aux Philippines, deviennent l‟adversaire
principal. La stratégie de défense s‟axe donc davantage autour de la marine.Les Américains n‟en font d‟ailleurs pas
mystère : contrôler le Pacifique est un de leur principaux objectifs. Le général Arthur Mac-Arthur, gouverneur des
Philippines entre 1898 et 1900 énonce devant le Sénat des Etats-Unis que « la position stratégique des
philippines dépasse toute autre sur le globe » (9).Les stratèges nippons étudient et synthétisentdéjàdès 1902 les
articles parus dans les revues navales américaines. Ils élaborent le Premier Plan Impérial de défense Nationale en
1907 .Suite à l‟analyse du « Plan secret américain de guerre dans les Caraïbes » transposé en 1906 en « Plan
Orange » pour la zone Pacifique, ils en concluent que les Etats-Unis implantent des bases navales avancées afin d‟y
stationner leur flotte.Ils en déduisent donc qu‟il faut en cas de conflit détruire et occuper les bases américaines
(Guam , Hawai, les Philippines), réduire l‟escadre du Pacifique puis barrer la route à une flotte ennemie de
secours en la réduisant dans sa marche à travers le Pacifique. En somme, attirer la flotte américaine de renfort à
l‟endroit voulu, l‟amoindrir par des attaques de torpilleurs et de destroyers et l‟anéantir dans une bataille finale
menée par les grands navires de ligne.
II L ‘adoption des porte avionspar la Marine Impériale
les premiers pas
Nicolas Rodger, spécialiste de la marine, considère que la conception d‟un navire de guerre suit un processus en trois
étapes:
Un processus politique qui élabore la politique étrangère et le moment opportun de mise en place d‟un programme
de construction selon un budget défini.
Un processus d‟Etat Major qui définit les moyens, les types et modalités d‟utilisation des navires
Un processus technique de conception des navires par les bureaux d‟étude et qui dépend des ressources, des savoirs
faire et des contingences imposées par l‟Etat Major. (10)
Le développement du porte avion en tant que tel obéit conformément à ce processus ,à une observation des évolutions
techniques contemporaines et à une analyse des potentialités stratégiques d‟un tel outil.
Les premières réflexions autour du rôle militaire de l‟avion datent d‟avant le premier conflit mondial.
Citons quelques évènements fondateurs :
-le 28 mars 1910 est effectué le premier décollage depuis une surface liquide, près de Marseille. L‟appareil qui porte
le nom « Canard » est l‟ancêtre de tous les hydravions.
-le 30 juin 1910a lieu sur le lac Keuka (USA) le premier bombardement (factice) d‟un navire de guerre
-le 14 novembre 1910a lieu le premier décollage depuis un navire, le croiseurUSS Birmingham
Des officiers postés à l‟étranger (entre autres le capitaine de corvetteHisatsuneIida résidant à la RoyalNavyGunnerySchool de Portsmouth et le capitaine de corvetteMatsumuraKikuo à Paris (11) observent ces tentatives
et envoient des rapports circonstanciés à Tokyo afin de sensibiliser l‟Etat-major à cette nouvelle arme.
Mais c‟est le capitaine de corvette Yamamoto Eisuke , neveu de l‟amiral Yamamoto Gombei, qui peut véritablement
être considéré comme le fondateur de la politique aéronavale naissante japonaise. A l‟instar de certains de ses
confrères, il pressent le rôle majeur de l‟aviation et prédit le potentiel énorme qu‟aura l‟aérien dans les guerres navales
ainsi que le rôle décisif des aéronefs et dessous marins dans la mutation en trois dimensions des théâtres d‟opérations.
Cependant, suite aux constatations faites à l‟étranger selon lesquelles la dominante aérienne des flottes est l‟hydravion
et conformément à la doctrine de la supériorité navale du cuirassé, peu d‟études sont menées pour constituer une
flotte adéquate de navires porteurs. Si l‟on s‟interroge sur les possibilités des navires de lignes de s‟équiper de
plateformes d‟atterrissage, la priorité est accordée aux navires ravitailleurs d‟hydravions .Le premier navire porte
aéronef japonais est un cargo russetransformé en 1913, le Maru-Wakamiya, Capables de transporter quatre
hydravions, il dispose néanmoins sur le gaillard avant d‟une courte piste permettant le décollaged‟un avion
conventionnel.Ce navire témoigne du rôle attribué à l‟aviation dans la guerre à venir. L‟incapacité à se doter de
navires pourvus de pistes longues contraint la flotte à naviguer près de côtes pourvus d‟aérodromes. Pour contourner
ce problème l‟hydravion reste l‟unique vecteur indépendant de la terre. On privilégie donc ce type d‟appareil.
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La dimension stratégique du porte-aéronef n‟est pas perçue dans ces premières années. En effet, en pleine guerre
mondiale, ce rôle de rupture décisive est dévolu aux cuirassés et croiseurs rapides.
Le rapport Dickman de 1919 nous éclaire sur les missions et rôles dévolus aux avions et à leurs transports
maritimes (12) :
- Etre les yeux de la flotte par des missions de reconnaissance
- Constituer des bases aériennes en mer à partir desquelles il serait possible de bombarder les troupes au sol et de
lancer des combats aériens
-Observer le déroulement des opérations
Il n‟est donc pas question de lutte anti navires mais d‟appui. Nous pouvons en conclure que la marine impériale
attribue dans un premier temps aux portes aéronefs une mission attribuée initialement aux navires keigoshū
(littéralement «gardiens du groupe») (13) et qui consiste à la protection des navires de débarquement et du gros de la
flotte.
Le réarmement de la désillusion
Donnant suite aux enseignements issus de la Grande guerre, les principales marines s‟intéressent davantage dans les
années 20 aux potentialités du porte avion.
En effet, la motorisation accrue des avions nécessite des plans d‟atterrissage et de décollage plus longs, ce que ne
peuvent leur fournir les plate formes installées à l‟avant des navires de lignes
Un événement d‟importance contribue en outre aux questionnements sur l‟action de l‟avion dans les guerres à venir.
Le 21 juillet 1921, huit bombardiers américains coulent à titre de démonstration le cuirassé Oestfriesland. Son pont
blindé supposé résister aux plus grosses salves d‟artillerie navale, ne peut encaisser les bombes spécialement conçues
pour le percer. La preuve de la vulnérabilité des navires de lignes est désormais apportée.
Enfin les Britanniques, précurseurs dans le domaine, constatent que la bataille navale du Jutland (1916), loin d „avoir
été décisive, n‟a été qu‟une confrontation sans lendemain. Le cuirassé n‟a pas réussi à emporter la victoire décisive.
Un vif débat entre conservateurs et novateurs s‟ensuit. Les spécialistes de la Royal-Navyinnovent alors en mettant au
point le premier porte-avion tel que nous l‟entendons aujourd‟hui.
Ilsmettent en service en 1918 le HMS Argus, premier porte-avion à pont continu capable d‟accueillir et de lancer des
avions à train classique.C‟est une révolution. Il est possible désormais d‟augmenter les cadences de décollages ainsi
que la capacité d‟emport.
Les Japonais, conseillés par les Anglais depuis l‟accord naval de 1902, requièrent une mission technique. C‟est chose
faite en 1921. Cette délégation « Sempill », du nom de son responsable, instruit et aide la flotte impériale à finaliser la
construction de son premier porte-avion, le Hosho, «Phenix Volant», mis sur cale le 16 décembre 1919 et lancé le 13
novembre 1921.
Plusieurs facteurs d‟ordre politique et géostratégique contribuent à accélérer ce processus de maturation militaire.A
l‟occasions des débats lors de la conférence de Paris de 1919, le Japon, pays allié, demanda à ce que soit inscrit dans
la charte de la future SDN le principe de l‟égalité des races mais cela lui est refusé.L‟opposition à cette requête
provient essentiellement des nations anglo-saxonnes, Australie et Etats –Unis en tête. L‟expression « égalité des
races » est alors supplantée par « égalité des nations ». La question d‟apparence anodine est explosive puisqu‟elle
touche au droit des Japonais à émigrer. Depuis 1907 en effet, les ressortissants japonais, en vertus du Gentleman's
Agreement, sont dispensés de la possession d‟un passeport pour entrer aux Etats-Unis. Or en 1924 est voté The
Immigration Act qui réduit de façon arbitraire et symboliquement humiliante le nombre de japonais autorisés à entrer
sur le sol américain (une centaine tout au plus). L‟animosité ambiante peut se résumer aux propos tenus dans le New
York Times du 16 janvier 1921 qui augure « à moins que cettecontroverse (au sujet des migrants transpacifiques)
nesoit réglée rapidementdans le calme, le problème sera résolu dans le sang, car cette immigration heurte les
principes de l'existence nationale et la sécuritéde la civilisation américaine »Hiro-Hito dans ses mémoires y voit
même une des causes de la seconde guerre mondiale (14)
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Les raisons stratégiques influent de même sur l‟intérêt nippon pour les armes nouvelles. Les possessions allemandes
dans le Pacifique sud (Carolines, Marshals, Mariannes, Palau) passent sous mandat japonais en 1919. Ce transfert
modifie l‟équilibre des intérêts géopolitiques dans le Pacifique. Si l‟on considère que le réseau de communication est
“l'élémentle plus importantdans la stratégie, politique ou militaire.” (Amiral Mahan), la flotte américaine des
Philippines ne peut être dès lors considérée que comme une épée pointée sur les ligne de communication japonaises.
L‟augmentation et le renouvellement de la flotte est donc un impératif Les années immédiates d‟après guerre
semblent en effetcaractérisées par un réarment général. En 1920 les Etats-Unis possesseurs de 25 cuirassés lancent un
programme de construction navale (sixcuirassés et quatre croiseurs de bataille) censé leur assurer la supériorité
absolue (soit un total de 31 cuirassés) Les Japonais, en vertu du dogme énoncé avant guerre des 70% nécessaires
(encadré 2 : Les Japonais considèrent depuis le début du XXème siècle qu‟il leur faut posséder une flotte égale à 70%
de celle de leur adversaire)et ne disposant que de 12 cuirassés lancent le programme 8-8 (huit cuirassés, huit
croiseurs).
Cette course aux armements est stoppée brutalement par le traité de Washington signé en février 1922.
Ce dernier est une nouvelle offense faite aux Japonais. Sous prétexte de limiter le tonnage des flottes principales
(États-Unis, Royaume-Uni, Japon, France ,Italie), un ratio inégal (5-5-3) et imposé consacre la supériorité de 67% de
la flotte américaine sur celle du Japon
Pays
Navires de bataille
Porte-avions
Nombre
Empire Britannique
580 450 tonnes
135 000 tonnes
22
États-Unis
500 600 tonnes
135 000 tonnes
18
Japon
301 320 tonnes
81 000 tonnes
10
France
220 170 tonnes
60 000 tonnes
10
Italie
180 800 tonnes
60 000 tonnes
10
Les porte-avionssont limités en quantité et en tonnage (pas plus de 2 porte avion de plus de 27 000 tonnes par pays,
jauge maximale fixée à 33 000 tonnes).
En outre est prévue la démolition detrente naviresde lamarine américaine, vingt-trois de la Royal-Navy, et dix-septde
la Marineimpériale japonaisece qui signifie que la marine impériale doit proportionnellement détruire davantage de
navires que ses concurrents.
Ce traité est le premier écrit définissant ce qu‟est un porte avion. N‟appartenant pas à la catégorie des « Capital
Ship » c‟est un vaisseau « conçu comme un navire de guerre d’un déplacement de plus de 10.000 tonnes standard,
conçu dans le but spécifique et exclusif du transport d'avions. Il doit être construit de telle sorte que les aéronefs
peuvent être lancés et a atterrir mais n’est pas conçu et construit pour le transport d'un armement plus puissant que
celui autorisé par l'article IX (pas plus de huit canons de six pouces de calibre) et l'article X (aucune arme de plus de
huit pouces de calibre )»( 15).
Bien évidemment chaque pays tente de contourner ces limitations. Puisqu‟il est limité en tonnage, le Japon privilégie
la rapidité et le nombre et décide de convertir ses croiseurs sur cale en porte-avions.Leur carrière débute ainsi dans
l‟ombre des cuirassés .
La flotte de porte-avions nippons : quelques généralités
Arrêtons-nous au préalable sur quelques définitions :
- Un porte avion lourd est le fer de lance d‟une escadre de porte avions. Puissant et rapide, il est doté d‟un groupe
aérien important. Il est en général le navire amiral.
-Un porte avion léger est un navire plus petit, souvent construit à partir de coques de croiseurs ou de destroyers et sur
lequel sont adaptés des ponts d'envols. Il est rapide mais sa capacité d'emport reste très inférieure à celle des porte
avions. Il remplit en général des missions d‟appui ou d‟escorte.
-Un porte avion d‟escorte, comme son nom l‟indique, est un navire chargé d‟en accompagner d‟autres. C‟est souvent
un petit ou moyen navire de commercesur lequel est installé un pont d'envol. Contrairement au porte-avion léger,trop
lentetdépourvu de blindage, il ne peut suivre une escadre de guerre. Son pont d‟envol est souvent trop court. Il
accompagne en général un convoi marchand ou sert de convoyeur d‟avions. Son avantage est le coût et la rapidité de
construction.
-Un porte avion auxiliaire est un navire polyvalent qui peut servir de navire de débarquement. Peu puissant et très lent,
il transporte des avions et des troupes.
Sur l‟ensemble de la période qui nous occupe, 31 navires opérationnels répartis en 21 classes ont été construits :
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- 13porte avions lourds ( 8 classes :Soryu, Unryu, Junyo, Shokaku, Taiho, Akagi, Kaga, Shinano) de 15 900 à 68 059
tonnes.
- 6 porte avions légers( 5 classes : Hosho, Chitose, Shoho , Ryuho, Ryujo) 7470 à 12 500 tonnes.
-5 porte avions d‟escorte( 3 classes : Kaiyo, Shinyo, Taiyo) 13 600 à 17 830 tonnes
- 7 porte avions auxiliaires (5 classes :KumanoMaru, Shinshu, Akitsu, ChigusaMaru, OtakisanMaru ) 8 128 à 11 989
tonnes
Sur ces 31 navires, seuls 10 sont conçus dans leur intégralité comme des porte-avions, 12 ont une coque issue d‟un
autre type de navire (cargo, pétrolier, destroyer, croiseur, cuirassé) et 9 sont des navires reconvertis (paquebots,
ravitailleurs). Ces différences permettent de comprendre les écarts notables de vitesses relevées : de 12 à 34,5 nœuds.
On considère généralement que seuls les porte avions lourds et légers sont de bonne facture, à l‟inverse des auxiliaires
et escorteurs.
Notons au passage que le déplacement ne peut suffire à classer un navire dans telle ou telle catégorie. A titre
d‟exemple, le Hosho, de masse inférieure au porte avion auxiliaire Kumano-Maru, se range pourtant dans lesporte
avionslégers d‟escadre. De la même façon les porte avions d‟escorte l‟emportent en masse sur les légers.
Les qualités nautiques de ces naviresvarient en effet extrêmement. Ceci s‟explique par la convergence de différents
critères qui font qu‟un navire est ou n‟est pas « bon marcheur »
Caractéristiques générales et évolutions
Un monde sépare le Hosho (1922) du Shinano (1944). Si ce dernier correspond d‟apparence à notre représentation
contemporaine d‟un porte avion, le premier à l‟allure si étrange ne peut que nous déconcerter.Les incertitudes et
hésitations ressenties par leurs concepteurs transparaissent dans ces structures marquées du sceau de l‟évolution
navale.
Quatre générations de porte avions peuvent être identifiées.
- 4porte avions du premier plan de construction 1922-1934
Hosho (1922), Ryujo (1933), Akagi (refonte)(1935), Kaga (refonte)
- 6Porte avions du second plan de construction1934- 1941
ShinshuMaru (1935)(1935),Soryu(1937), Hiryu(1939), Zuiho(refonte) (1941), Shokaku(1941),
Zuikaku(1941),
-21 porte-avions de temps de guerre 1941-1945
Shoho( 1941), Taiyo (KosugaMaru)(1941), Ryuho (Taigei) (1942), Akitsu-Maru (1942), Kaiyo (Argentina Maru
)(1942), Chitose (1942), Unyo (Yawata Maru)( 1942), Chuyo (NittaMaru.) (1942), Hiyo (IdzumoMaru) (1942),
Junyo
(Kashiwara Maru) (1942), NigitsuMaru (1942), Shinyo (Scharnhorst)(1943), Unryu (1944),
Amagi(1944), Katsuragi (1944), Taiho (1944), Shinano (1944), Chiyoda (1944), OtakisanMaru(1945), Shimane
Maru (1945), KumanoMaru(1945)
Les traits dominants des porte avions de la première tranche de construction (1922-1934) témoignent des tentatives,
infructueuses ou durables, de parvenir à un équilibre entre conception ancienne et innovation. Les premiers de ces
navires(Hosho et Ryujo) sont petits( 7000 à 8000 tonnes) et légers. Leur blindage initial est inexistant et ils sont
équipés d‟un armement démesuré en proportion de leur taille.
A défaut d‟être totalement opérationnels, ils servent de plateformes d‟expérimentation.Conçus comme des navires
modulables et convertibles en navires de ligne( pistes d‟envols et hangars amovibles en bois), censés pouvoir se
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défendre seuls contre une agression venue du ciel (canons antiaériens de 127 ou de 80 mm) ou de la mer (canons de
140 mn), ils ont une capacité d‟emport initiale limitée à une vingtaine d‟avions. L‟ilot(encadre 3 : L’ilot est la
superstructure dominant le pont dans laquelle est installée la passerelle de commandement. Porte-avions
dépourvus d’ilot (Hosho après refonte), Ryujo, Shoho, Ryuho., Chitose, Chiyoda, Kaiyo, Shinyo, Taiyo, Unyo,
Zuiho ; Kaga avant refonte). Porte avions pourvus à bâbord (akagi ,Hityu) Porte avions pourvus à bâbord
(Hosho avant refonte, Kaga., Soryu. Shokaku. Unryu, Taiho,)domine sur le Hosho par tribord avant, devant trois
cheminées orientables. Ces superstructures (copiées sur le HMS Hermes) se révèlent source d‟unedangerosité
inattendue.Leur présence ainsi que les gaz chauds sortant des cheminées génèrent sur le pont tourbillons d‟air et
rafales de vents. La solution adoptée lors de la refonte du Hosho et du Ryujo est l‟abandon de l‟ilot , un abaissement
sous le pont d‟envol et une inclinaison vers le bas des cheminées.Le dispositif de freinage, expérimental, consiste en
un maillage de câbles longitudinaux ou « cordes à violon » et de câbles transversaux espacés de 10m. Les premiers
guident l‟avion, les seconds les stoppent grâce à un brin d‟accroche. Le pont d‟envol s‟achève à hauteur de l‟ilot par
un filet constitué de cordes.
La période intermédiaire qui s‟en suit (1929-1934) témoigne de quelques innovations vite abandonnées. Kaga et
Akagi disposent ainsi de trois pistes (deux pistes de décollage à l'avant, et une piste d'appontage à l'arrière). Les ilots
restent cependant absents et la passerelle se trouve sous le pont d‟envol. Leur masse énormeen comparaison avec
celles du Hosho et du Ryujo (38 000 tonnes contre 8 000), nécessite des ballasts latéraux. Leur armement est digne de
celui d‟un croiseur (10 canons de 200mm ,12 canons de 120mm , 22 mitrailleuses ) .Ils sont fortement blindés.
Le système d‟appontage évolue :des pylônes lestés et installés de chaque côté du pont freinent l‟avion lorsqu‟il
accroche les filins tendus au moyen de poulies et de câbles.
La deuxième tranche correspond à l‟affranchissement progressif des traités et à une innovation technique adaptée aux
contingences propres à un porte avion. C‟est l‟étape de la construction « neuve ». Initiées par la refonte en 1935 de
l‟Agaki et du Kaga, les caractéristiques des porte-avions tendent à se stabiliser du fait de l‟expérience acquise.Les
ilots sont replacés sur la piste d‟envol, plus près du centre de gravité du navire.Les pistes multiples sont supprimées et
la motorisation accrue. Un hangar est souvent ajouté grâce à la suppression de l‟armement lourdce qui favorise un
emport supplémentaire (Kaga : 81 avions). Le Soryu, premier vrai porte-avions d'escadre japonais et dernier à subir
les limitations de tonnage, bénéficie de ces améliorations (en dépit d‟une capacité d‟emport n‟excédant pas 38 avions).
Il reçoit dès la conception un unique pont d'envol s'étendant sur toute la longueur de la coque. L‟ Hiryu, demi frère du
Shiryu, bénéficie même d‟une innovation sans grand avenir : un ilot placé à bâbord.
Cette particularité mérite qu‟on s‟y arrête. En général les ilots sont placés à tribord. Les spécialistes du domaine y
voient deux raisons.La première serait liée au droit maritime. Lorsque deux routes maritimes se croisent, le navire qui
arrive sur bâborddoit manœuvrer et laisser le passage.La seconde tient compte d‟une contingence technique.
Les avions de l‟époque ont un moteur qui tourne dans le sens antihoraire (de droite à gauche).Générant un fort couple
de rotation, ils provoquent une déviation de l'appareil vers la gauche .C‟est ce qui explique la tendance des pilotes à
repartir sur la gauche après un appontage raté. Placer sur bâbord un ilot représente donc un danger pour les avions qui
atterrissent.
L‟ilot de l‟Hiryu se situe donc à opposé de l‟ilot du navire naviguant de concert. Cette disposition a été prévue pour
que le Hiryu et Shiryu puissent opérer en parallèle et communiquer de passerelle à passerelle.
Les meilleurs navires construits avant la guerre (et peut être même de toute l‟histoire aéronavale nippone entre 1920 et
1945) sont les Shikoku et le Shikaku. Disposant de doubles hangars, leur blindage est renforcé et leur capacité
d‟emport s‟élève à 72 avions. Le Shokaku est le premier porte–avion à être équipé d‟un bulbe d‟étrave qui lui procure
une vitesse accrue.
Le dernière tranche constitue l‟aboutissement des portes avions et paradoxalement le déclin de la flotte. C‟est
l‟époque « des géants et des nains ». Des navires de grande qualité tels le Taiho et le Shinano côtoient des porte
avions de faible aptitude, généralement des reconversions de navires marchands. Le Taiho, héritier du Shokaku, est
emblématique de cette génération de porte avion blindé et rapide. Il bénéficie de trois innovations : un pont d‟envol
blindé, solidaire de la coque et un ilot qui intègre la cheminée.Le Taihod‟ un déplacement important (37 720 tonnes)
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Jonckheere Fabrice. Article : The aircraft carrier in the Japanese naval doctrine. Publié dans Los. septembre 2012
est capable d‟emporter 84 navires dont 53 opérationnels. D‟une grande autonomie, il dispose d‟un armement similaire
à celui des super-destroyers Akizuki. Le Shinano enfin, le plus grand porte-avion construit pendant la seconde guerre
mondiale. D‟un déplacement de plus de 68 000 tonnes (72 000 tonnes à pleine charge), il est le géant de la flotte. Son
hangar, à la différence des autres porte-avions, est fortement blindé. Son pont et celui de sa coque de cuirassé ne font
qu‟un. Sa capacité d'emport totale est de 100 appareils (dont 47 opérationnels).
Le système d‟appontage le plus courantest alors de modèles électriques Kure de type 3 ou 4, composés de 8 à 10
brins d‟arrêts et de barrières Kusho. Les avions en approche sont guidés par un ingénieux et innovant dispositif de
balises lumineuses. De chaque côté du pont sont disposés à une distance de 15 mètres une lampe rouge et une lampe
verte. Le pilote n‟a alors qu‟aviser entre les deux paires de feux et ajuster sa descente afin que les lampes rouges et
vertes semblent alignées sur un axe longitudinal.
Ces porte-avions, desservis par trois ascenseurs peuvent lancer un avion en 30 secondes et en récupérer un en 45
secondes. Pour ce faire ils se placent à vitesse maximale vent debout afin d‟augmenter la vitesse des appareils et
éviter le décrochage à l‟atterrissage.
Limites hydrodynamiques
Parallèlement à ces grands navires sont lancés (convertis devrait-on dire !) une myriade de porte-avions auxiliaires et
d‟escorte dont la qualité laisse à désirer. Un pont souvent trop court qui, dans le pire des cas, ne permet pas
l‟atterrissage (Akitsu-Maru). Paquebots ou ravitailleurs reconvertis, leur machines d‟origine ne sont pas assez
puissantes pour leur donner la vitesse nécessaire à des escorteurs ( 31 nœuds pour l‟Unyo et le Taiyo) . Leur hangar
est minuscule ( pas plus de 27 avions), l‟ilot est absent et ils ne disposent d‟aucun dispositif d‟arrêt des avions.
Pourquoi y a t‟ileu donc tant de navires qualifiés de « médiocres » ? Tentons pour le comprendre d‟apporter une
première réponse technique.
Les qualités d‟un navire se mesurent à l‟aune de 5 principaux critères :
-tonnage brut
-vitesse
-stabilité
-maniabilité
-capacité de charge
L'efficacité d‟un navire de guerre dépend de ces critères auquel il faut ajouter le blindage et la puissance de feu. Or, si
pouvoir réunir dans un même bateau les qualités susdites est ardu, les considérer isolément ne signifie rien tant c‟est
leur combinaison qui compte.
Les premiers porte avions d‟escadre (Hosho), les auxiliaires (YamashiroMaru, ShinshuMaru, AkitsuMaruNigitsuMaru, OtakisanMaru, Shimane Maru, KumanoMaru) ou ceux d‟escorte (Taiyo (KosugaMaru), Shinyo
(Scharnhorst), Kaiyo (Argentina Maru ), Unyo (Yawata Maru), Chuyo (NittaMaru.)) sont soit construits sur des
coques préexistantes de pétroliers, paquebots ou croiseurs, soit des navires reconvertis. Cela détermine grandement les
qualités nautiques de ces navires et leur capacité d‟emport. Lents, trop petits, mal motorisés, inadaptés à la mer, telles
sont les critiques qui leur sont souvent adressées. Cependant ces remarques ne permettent en aucun cas de comprendre
pourquoi ces navires étaient « si lents, légers, mal motorisés »…Pourquoi par exemple les japonais n‟ont ils pas
augmenté la puissance du porte avion auxiliaire OtakisanMaru ? Pourquoi n‟ont ils pas développé le tonnage du
Hosho ou bien allongé sur les navires reconvertis les pistes d‟envol de façon significative ? Les réponses se trouvent
dans les caractéristiques originelles mêmes de ces navires.
La question ne réside pas seulement dans le fait de savoir si le navire est le meilleur de sa classe et de son temps (30),
tant il y aura toujours un navire meilleur chez l‟adversaire, que de savoir si un navire est adapté aux missions
militaires qui lui sont assignées. Or un porte avion, pour atteindre ses objectifs de façon adéquate, doit avoir une
capacité d‟emport suffisante (donc une masse importante) ainsi qu‟une vitesse élevée. Le traité de Washington,
souvenons nous, avait limité le tonnage des navires. Les pertes durant la guerre de la même façon imposent la
conversion de navires de tonnage moyen. Le problème qui se pose est donc le suivant :
Comment construire des navires de faible tonnage mais rapides et d‟emport maximum? Cette question relève de la
quadrature du cercle :
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1. Constat : Seuls les navires de faibles tonnages sont autorisés ou disponibles
2. Conséquence : Limitation tonnage = faible vitesse
Un navire a une vitesse proportionnelle à son tonnage. Ce dernier est lié à la longueur de la carène. Or, plus un navire
est long, et plus potentiellement il peut aller vite. En effet, plus on allonge le bateau, plus le poids est réparti sur une
grande longueur, ce qui réduit au minimum le tirant d'eau avec pour conséquence un frottement moindre. Limiter le
tonnage revient donc à limiter la vitesse. La solution serait donc d‟augmenter artificiellement la vitesse.
3. Problème : augmenter artificiellement par la puissance la vitesse = vitesse critique
Cependant augmenter la vitesse de navires de faible tonnage accroît le seuil de vitesse critique. Plus un navire avance
vite et plus la résistance de l‟eau à l‟avant du navire augmente. Cette résistance qui prend forme de vague d'étrave va
s'amplifier et se refermer loin sur l'arrière. L‟accélération pousse cette vague à se refermer juste sur l'arrière de la
poupe . A ce moment-là, on vient d'atteindre la "vitesse critique" ou "vitesse limite"( encadré 4 Le théorème de
Lamotte permet de la calculer : √ longueur à la flottaison x 2,7 = Vitesse critique )au delà de laquelle le navire se
cabre et déjauge : il monte sur sa vague d'étrave. Cela a pour conséquence une augmentation de consommation de
carburant, une usure des structures et un accroissement des vibrations, en d‟autres termes, une instabilité que ne
peuvent se permettre des navires chargés de lancer des avions. La solution semble donc passer par une augmentation
de la longueur sans accroissement de la masse.
4. Solution = augmenter la longueur sans accroitre la masse
Deux solutions se présentent : soit augmenter le tonnage des navires (ce qu‟interdit le traité de Washington ou
impossible à la fin de la guerre), soit en augmenter la longueur sans en accroitre la masse. Mais la carence de masse
accélère le point de vitesse critique
5.
Problème masse insuffisante = vitesse critique
Si la masse est insuffisante, soit alors on va lentement soit on atteint rapidement la vitesse critique, ce qui nous ramène
au problème initial. Pour contrer le phénomène de masse insuffisante, on équilibre au mieux le rapport poids
puissance.
6.
Solution : Equilibrer rapport poids puissance
Ce rapport est intéressant en ce sens qu‟il indique la capacité réelle d‟un navire à se mouvoir rapidement en
considération de sa masse. A contrario, un navire long et mal motorisé a un rapport poids puissance défavorable, (cf.
point 3).
Un poids puissance équilibré est ainsi un dosage efficient entre la puissance des moteurs et la masse du navire.
Cela veut dire qu‟il faut doter un navire de longueur de coque x d‟une puissance suffisante correspondant. Mais alors
la masse augmente du fait de la motorisation, engendrant un nouveau problème, celui de la résistance de l‟eau
7.
Problème : masse accrue= résistance de l’eau
La résistance de l‟eau croit en proportion de celle de la masse en déplacement (encadré 5 le nombre de Froude (Fn
= V / √(L g)): permet de mesurer la résistance d'un objet se déplaçant dans l'eau.). La résistance à l'avancement
grandit très vite lorsque le nombre de Froude atteint 0,4. Une vitesse égale ou au delà de 4 est la limite théorique pour
laquelle la carène a été dessinée.
Contrer cette résistance de l‟eau impose donc une augmentation de la puissance et de longueur
Considérant ainsi que soit on augmente la puissance et la taille (et donc le poids) ) des navires (ce qui est interdit), soit
on se cantonne aux limites imposées, alors deux solutions s‟offrent aux armateurs pour tirer le meilleur parti des
capacités des navires.
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Jonckheere Fabrice. Article : The aircraft carrier in the Japanese naval doctrine. Publié dans Los. septembre 2012
8.
Solution provisoire : travailler la structure, affiner les coques et étraves + portance additionnelle =
résistance réduite= vitesse accrue pour une masse donnée
Il faut soit alléger et affiner la coque soit utiliser une portance dynamique additionnelle permettant à la coque de «
déjauger ». La résistance des vagues est en effet le produit de l‟interaction de l‟eau, de l'étraveet de la poupe. Il
importe donc de réduire la largeur de la trainée du sillage qui constitue la force principale de résistance à
l‟avancement. La forme de l‟étrave est alors essentielle. Il est possible schématiquement d‟en distinguer trois types :
- l‟étrave verticale augmente la longueur à la flottaison. Elle donne une flottaison maximale pour une longueur de pont
minimale.(exemple : YamashiroMaru, 15 noeuds)
-l‟étrave à élancement ( ditetulipée ou concave) offre un passage beaucoup plus doux dans la mer formée et une
flottaison dynamique bien plus longue (donc un potentiel de vitesse plus important) . Sa courbe permet un
amortissement du clapot et de la houle . Ce faisant elle augmente la stabilité du navire en réduisant le roulis (
exemple : Akagi, 31.2 noeuds).
-l‟étrave convexe, aux formes pleines et arrondies, empêche le navire de piquer dans les vagues (tangage) (Shinyo, 22
noeuds). Elle est assortie en général de carènes arrondies qui ne favorisent pas la vitesse.
L‟armateur peut aussi ajouter des ballasts sous la ligne de flottaison afin d‟améliorer la stabilité (Kaga, 28.34 noeuds)
adjoindre un bulbe d‟étrave (Shokaku, 34.2 noeuds) qui, en éloignant et rapprochant l‟eau , minimise le sillage ce qui
permet d‟aller plus vite et empêche d'enfourner (planter l'étrave dans les vagues)
9.
Solution finale : augmenter vitesse = augmenter rapport poids puissance = Ignorer les limitations de
tonnage et les pénuries de matières premières .
De fait les japonais n‟ont guère le loisir de construire dans le cadre du traité de Washington puis suite aux pertes
durant la guerre, suffisamment de navires qui puissent satisfaire les exigences du combat aéronaval. Cette impasse
(qui concerne les premiers porte-avions puis les navires convertis en porte aéronefs) explique donc les faibles
performances de certains navires japonais et la position d‟infériorité numérique et opérationnelle permanente des
Japonais à compter de 1942.
Faiblesses structurelles
Quinze porte-avions sur trente et un sont détruits par bombardements lors d‟attaques aériennesA l‟inverse des navires
britanniques, les ponts d‟envols japonais sont constitués de lattes en bois fixées dans le sens de la longueur du
navire.Ils ne peuvent résister à la force de pénétration verticale d‟objets explosifs de plusieurs centaines de kilos qui
finissent le plus souvent dans les hangars. Un pont blindé en effet nuit à la stabilité du navire et contraint à abaisser la
hauteur des hangars et donc, à massesimilaire de navire, la capacité d‟emport.
Les paroisdes hangars nippons sont théoriquement conçues pourcanaliser le souffle des explosions vers l‟exterieuret
non vers le haut, ceci afin de préserver les ponts d‟envols. Mais dans les faits ces hangars souffrent de défauts de
conception. Superposés, ils ne disposent ni d‟ouvertures latérales ni de blindages. Le Hiryu est ainsi touché à
Midway par 4 bombes de 450 kilos qui explosent dans le hangar supérieur, détruisant les avions entreposés et une
partie du pont d‟envol.
En l‟absence d‟ouvertures, le renouvellement de l‟air et l‟évacuation des gaz y est assuré par des ventilations
d‟admission et d‟échappement. L‟usage de ravitailler les avions en carburants et en munitions dans les hangars et non
sur les ponts d‟envols conduit à y stocker produits inflammables et explosifs. Un incendie y est donc difficilement
maîtrisable en dépit de systèmes d‟aspersion des hangars à l‟eau de mer et de diffusion d‟oxyde de carbone pour
étouffer les flammes. Qu‟un réservoir latéral de carburant explose ou soit percé et les vapeurs nocives et inflammables
se répandent via la ventilation dans les structures basses du navire.En 1944, une torpille endommage un réservoir de
carburant du Taiho. La ventilation à son maximum diffuse les vapeurs toxiques dans les hangars et ascenseurs, à tel
point que les portes et cloisons pare-feu sont ouvertes afin de faciliter la circulation d‟oxygène. Les essences
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explosives se répandent alors dans tout le navire qui, ébranlé quelques heures plus tard par une explosion interne,
sombre corps et biens.
Faiblesses opérationnelles
Détection radar
Les porte-avions japonais souffrent de retard dans le développement des détections radar. Aucun navire lors du
déclenchement des hostilités n‟est équipé de radars embarqués. L‟identification de la présence et des mouvements des
flottes ennemies est confiée à un groupe aérien de chasseurs dont certains sont tenus de patrouiller en permanence. Ce
n‟est qu‟après la bataille de Midway que le Shokaku est équipé d‟un radar type 21. Les capacités de détection sont
cependant médiocres : 60 miles nautiques pour une escadrille (soit 112 kilomètres), 12 pour un navire. Les types 13 et
22 sontaussi installéssur de nombreux navires mais leurs performances sont inférieures ou identiques au type 21.Leurs
procédures d‟usage pénalisent d‟ailleurs la capacité offensive de la flotte combinée puisque, jusqu‟en 1944, la
Marine ordonne que les radars soient éteints lors des navigations sous silence radio.
Défense anti aérienne
Les capacités des porte avions à se défendre par leurs propres moyens laissent à désirer tant leurs possibilités de
saturer l‟espace aérien par des tirs de barrage restent en deçà des exigences du combat aéronaval. Le canon anti
aérien de 25mm type 96, dérivé du Hotchkiss français a une cadence de tir trop lente (260 coups/minutes) et des
projectiles insuffisamment puissants, tant en termes de pénétration que de distances atteintes ( 3000 mètres de
plafond et 2000 mètres horizontalement). En outre l‟emplacement en encorbellement des batteries d‟artillerie limite
leur champ de tir.
La conduite optique de tir se révèle quant à elle inopérante en cas de mauvais temps
L‟artillerie de 127mm enfin se prête peu à l‟interception de vols en piqués en raison de la trop grande vitesse ,de la
trajectoire courbe de ses projectiles et de ses cadences de tirs trop lentes.
III Les porte-avions dans la guerre (1941-1945)
Pearl Harbor : emploi révolutionnaire
Conforment aux opinions traditionnelles de l‟Etat Major de la marine, les porte avions à l‟orée du déclenchement de
la guerre du Pacifique en 1931( dénommée «Guerre de la Grande Asie Orientale» (Daitôasensô) par les
contemporains japonais) (16)demeurent inféodés aux navires de lignes cuirassés.
Leur rôle initial consiste à escorter les navires de ligne, à couvrir les débarquementou mener des opérations de
bombardement. Les Ryujo et Hosho déployés dans les eaux chinoises en 1937 participent aux bombardements des
aérodromes de Cha-Hsing et de Hang-Tchéou.
L‟imminence du conflit avec les Etats-Unis change cependant la donne. Une guerre sur deux fronts se profile. Or il
est évident qu‟une fois de plus le Japon n‟a pas les moyens de mener une guerre longue et à l‟issue plus qu‟incertaine.
Ce dont témoigne en avril 1941 le ministre de la marine OikawaKoshiro(17).
« Les plans stratégiques font l’objet de multiples études avant de prendre leur forme définitive suite à l’échec de la
conquête éclair de la Chine.(.).Ces plans reposent en partie sur une stratégie novatrice élaborée par l’amiral
Yamamoto. Commandant en chef de la flotte combinée depuis 1939, ce dernier synthétise la doctrine traditionnelle de
la bataille décisive (KantaiKessen) et la stratégie du choc offensif » .La stratégie élaborée par Yamamoto, influencé
par KusakaRyonosuke, peut se résumer en ces quelques mots prononcés peu de temps avant l‟offensive : « nous
devons être prêtsàagir de manière décisivepour assurer la victoiredès le premier jourdes hostilités”(18)
Mais l‟amiral, contrairement à tactique employée à Tsushima, estime qu‟il faut rechercher l‟ennemi dès le début des
hostilités en inversant le déroulement prôné par la doctrine traditionnelle (usure, bataille décisive). Pearl Harbor
(contrairement à l‟attaque de Port-Arthur) n‟est pas une bataille d‟amenuisement de la flotte ennemie mais une action
de destruction complète.
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Jonckheere Fabrice. Article : The aircraft carrier in the Japanese naval doctrine. Publié dans Los. septembre 2012
Cette vision est révolutionnaire. La bataille n‟est plus seulement d‟essence uniquement tactique. Elle a avant tout une
dimension stratégique à portée politique : faire renoncer les Etats-Unis à la guerre avant même d‟y être entrés.
Yamamoto synthétise les pensées de l‟Etat-Major de la Marine de 1904 et de Togo. La flotte combinée peut
détruire la flotte ennemie en une seule opération ( ce qui était le plan initial du naval staff de 1904) tout en
minimisant à l‟extrême les pertes à sa flotte ( plan retenu par Togo).
La sentence de Yamamoto « « le plus féroceserpentpeut être terrassé parun essaim d’abeilles” (19)en est une
illustration.
L‟opération doit être menée par des porte-avions escortés de cuirassés (et non l‟inverse) ce qui constitue la première
manifestation du porte-avion en tant que Capital-Ship. Arrivés près des côtes de Hawaï, ils lâcheront les « abeilles
(ants) qui terrasseront le « serpent ». Les avions de 1941 apparaissent ainsi comme les lointains descendants des
torpilleurs qui en 1904-1905 avaient réduit la flotte russe.
Une fois cette flotte américaine détruite, il ne resterait plus qu‟à éliminer les forces maritimes restantes (reliquats
américains, britanniques) dans des eaux sécurisées par la flotte combinée.
Dans cette optique, la premiere escadre aeronavale est augmentée en septembre 1941 des porte avionsShokaku et
Zuikaku. Une flotte de 6 porte aéronefs escortés par 2 cuirassés, 2 croiseurs lourds, 1 croiseur léger, 11 destroyers et
9 tankers appareille le 26 novembre de la baie de Tankan en direction des Aléoutiennes. Les portes avions naviguent
en deux colonnes parallèles, protégées sur leurs arrières respectives par un cuirassé, deux torpilleurs sur leurs flancs
gauches et trois sous marins sur leurs flancs droits. Sur l‟avant et à distance, les croiseurs ouvrent la route.
L‟attaque de Pearl Harbor, menée sous silence radio et tous feux éteints, valide l‟importance du porte avion en tant
que force indépendante. De ce fait c‟est de l‟Akagi qu‟est véritablement parti le signal (« Tora , Tora, Tora ») qui a
mis en mouvement les 11 divisions de l‟armée impériale.
La destruction quelques temps après des Repulse et Prince of Wales par des avions japonais semblent confirmer le
rôle prépondérant de l‟aviation et donc du porte avions. Une impression confirmée lorsque le 5 avril 1942, soixante
dix appareils des Akagi, Soryu, Hiryu, Shokaku et Zuikaku , au prix de seulement 24 pertes, coulent deux croiseurs
britanniques au large de Colombo puis le porte avion Hermes au nord de Ceylan.
Le bilan est éloquent : en 4 mois de guerre, la Marine impériale, sans aucun dommage, a coulé 5 cuirassés, un porte
avion, deux croiseurs, sept destroyers.
La première bataille aéronavale : la bataille de la Mer de Corail
Il ne reste plus alors qu‟à éliminer les forces maritimes restantes (reliquats américains, britanniques) dans des eaux
sécurisées par la flotte combinée. L‟occasion se présente une première fois lors de la tentative d‟invasion japonaise de
Port-Moresby. Avertis de la présence des porte avions Lexington et Yorktown, les stratèges nippons conçoivent une
manoeuvre de protection par quatre croiseurs et un porte-avions léger, le Soho, de la flotte d‟invasion. Une force de
couverture composée des deux grands porte-avions Zuikaku et Shokaku doit couvrir par l‟Est sa marche et empêcher
toute intervention ennemie.
La Bataille de la mer de Corail débute à proprement parler le 7 mai 1942 par un flux d‟informations plus ou moins
erronées, tant du côté américain que japonais. A tel point qu‟elle est dénommée « la bataille des erreurs » ou si l‟on
en croit l‟Amiral Duckworth« la zone de combat la plus confuse de l’histoire du monde »
A 7 h 22, l'un des appareils du Shokaku rapporte avoir reperé un porte-avion, un croiseur et trois destroyers américains
à 302 km de la flotte de Takagi. Ce dernier, identifiant à tort les Lexington et Yorktown - il ne s‟agit de fait que des
USS Neosho et l'USS Sims- envoie tous ses avions sur la cible.
A08h15, un appareil de reconnaissance du Yorktown informe Fletcher de la présence à 10degrés au sud, 152 degrés
27minutes à l'est de deuxporte avionset d‟une task force japonaise. Quelques heures plus tard l‟amiral reçoit le
message de confirmation : « contact avec un porte-avion ( Scratch one flattop) » . Les reconnaissances indiquent que
deux porte-avions et quatre croiseurs lourds font route vers l‟Ouest. 53 bombardiers en piqué, 22 avions-torpilleurs et
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Jonckheere Fabrice. Article : The aircraft carrier in the Japanese naval doctrine. Publié dans Los. septembre 2012
18 chasseurs décollent pour anéantir cette escadre, en réalité composée uniquement du porte avion léger Shoho et de
quatre croiseurs. Quelques minutes suffisent pour couler le Shoho.
La flotte d‟invasion de port Moresby reçoit ordre de stopper tandis que l‟Amiral Takagi, envoie ses bombardiers à la
recherche de la flotte américaine. La nuit tombe et les avions font demi tour. La confusion règne. Les deux flottes
adverses sont, en effet, si proches l‟une de l‟autre que certains avions japonais manquent de peu d‟atterrir sur le porte
avion Yorktown.
Le lendemain les protagonistes envoient simultanément leurs flotilles aériennes à la recherche des navires ennemis. Le
Shokaku et le Zuikaku, distants de 370km, sont reperés à 8h20 tandis que le Lexington et le Yorktown sont signalés à
8h 22.
Les bombardiers en piqué du Lexington et du Yorktown arrivent sur la flotte japonaise entre 10h et 11h30. Ils
endommagent sérieusement le Shokaku mais ne parviennent pas à toucher le Zuikaku. En revanche les Mitsubishi
G4M et g3m atteignent le Lexington de deux torpilles. Le navire est abandonné peu de temps après. Le Yorktown,
également atteint par une bombe de 250kg qui perfore ses quatre ponts, reste à flot quoique fortement endommagé.
Le bilan penche en faveur du Japon : 1 porte avion détruit (Lexington) ainsi qu‟un destroyer (USS SIM), 1
endommagé (Yorktown), un pétrolier coulé (Neosho) et 66 avions ont été abattus. Les pertes nippones sont
moindres : un porte-avions léger coulé (le Shoho) ainsi qu'un torpilleur et quatre transports de troupes, 80 avions
abattus.
Cette bataille s‟apparente à celle du Jutland en 1916 puisque la victoire tactique revient à celui qui stratégiquement
perd l‟affrontement. Si le Japon peut s‟enorgueillir de cette victoire à la Pyrrhus, il n‟en demeure pas moins qu‟elle
constitue le premier coup d‟arrêt à son expansion vers le Sud-Ouest.
Midway, le tournant funeste
Le véritable coup décisif doit être la bataille de Midway. Plus de 200 navires nippons y sont engagés. Les experts
considèrent à tort que l‟US Navy ne peut leur opposer que deux porte avions puisque le Yorktown est supposé être en
cale sèche à Pearl Harbor. Et, effectivement Nimitz n‟a à sa disposition que 64 navires et sous marins à opposer aux
133 japonais (dont 8 porte avions).
Midway est élaboré comme étant le dernier acte des opérations menées depuis décembre 1941. Une réédition en
quelque sorte des offensives nippones.. Certes Midway n‟est pas une répétition de Pearl-Harbor puisqu‟il privilégie la
dispersion des forces et la bataille finale entre navires de ligne et il y a toutes raisons de s‟interroger sur ce choix de
Yamamoto, à savoir un plan contraire à tout ce qu‟il avait professé jusqu‟alors (primauté de la concentration des
forces, emploi du porte avion comme capital- ship)
Le 27 mai au matin, le gros de la flotte de Nagumo appareille de la baie d‟Hiroshima. Menés par le croiseur Nagara ,
douze destroyers précèdent les croiseurs légers Tone et Chikuma et les cuirassés Haruna et Kirishima. Les porte
avionsKaga, Hiryu, Akagi et Soryu suivent de près. Le lendemain les navires de Takeo ,Raizo et Boshiro appareillent
à leur tour. Enfin le 29, les trois cuirassés Yamato, Nagato et Mutsu leur emboitent le pas afin de rester à l‟arrière du
dispositif.
Les adversaires ignorent longtemps leurs positions respectives. Un détail cependant démontre le manque de
communication entre les différentes task forces japonaises. Les services d‟écoute du Yamato détectent la sortie du
Yorktown de la rade de Pearl Harbor mais ne la communiquent pas en raison du blackout radio imposé. Si
l‟information avait été transmise aux autres forces. Nagumo aurait alors pu savoir que trois porte avions lui étaient
opposés. En outre l‟ordre de Nimitz à ses porte avions de se placer en attente au Nord afin d‟attaquer le flanc des
assaillants leur est inconnu. Yamamoto pense que les navires américains sont trop éloignés de Midway pour pouvoir
présenter le moindre risque.
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Le 1er juin un nombre innombrable de messages américains sont interceptés ce qui prouve la mise en alerte de la
flotte des Etats-Unis mais Nagumo n‟en est pas averti. Il poursuit sa route avec pour seuls moyens de reconnaissance,
ses hydravions.
Le 4 juin à l‟aube, Nagumo envoie la première vague d‟assaut aérienne sur Midway. L‟attaque, quoique ses résultats
soient incomplets, est un succès. Les avions basés à Midway ayant pu décoller s‟abattent cependant sur la task force
d‟invasion. L‟amiral décide donc d‟envoyer une seconde vague, sans se douter de l‟approche rapide des porte avions
ennemis, désormais à 200 milles nautiques ( 360kms). Il ordonne donc de rééquiper les bombardiers équipés de
torpilles et initialement armés pour détruite la flotte américaine avec des bombes
La suite des évènements illustre l‟importance du facteur temps dans une bataille ; Alors que les chasseurs et
bombardiers japonais sont sur le point de décoller, les premières bombes atteignent les Akagi, Soryu, et Kaga. qui
s‟embrasent immédiatement. Il n‟y a qu‟à lire le récit du commandant Fuchida pour comprendre : “Nous venions
d’être surpris dans la pire condition possible: avec notre pont couvert d’appareils ayant leur plein d’essence et leurs
torpilles.(…) ». Les avaries sont telles que les trois navires sont abandonnés.
Le Hiryu, unique survivant des porte aéronefs japonais, lance alors ses avions contre le Yorktown et l‟endommage
sérieusement. Mais lui-même est détruit en retours, à tel point qu‟il est sabordé le lendemain par son équipage.
Yamamoto, mis au fait de ces déconvenues, ordonne alors la concentration des quatre porte avions qui lui restent.
Malheureusement deux (Ryujo et Junyo) sont trop au Nord (force d‟attaque des Aléoutiennes) et deux sont
positionnés bien trop en arrière, à 500 milles de la force de Nagumo pour pouvoir la rejoindre dans les temps. A
23h30, Yamamoto donne ordre d‟abandonner la mission Midway et de se retirer vers le Japon.
La perte de quatre porte-avions( Akagi, Soryu, Kaga, Hiryu) sonne la fin des conquêtes faciles et de la prééminence
sans partage du Japon dans le Pacifique.
Le déclin progressif
Si les batailles suivantes s‟avèrent au premier regard être des victoires tactiques japonaises, leur déroulement et leurs
incidences sont autant de signes avant-coureurs d‟un affaiblissement significatif de l‟Empire. Elles révèlent en outre
la nécessité de voir plus loin que la ligne d‟horizon. A cet égard, les porte-avions japonais souffrent de la pénurie de
radars puissants et suite aux pertes en appareils et pilotes chevronnés, de l‟amenuisement progressif des capacités à
détecter par des patrouilles aériennes, l‟ennemi.Lorsque Guadalcanal se retrouve isolée, l‟Etat Major sollicite la
Marine .Entre août et octobre 1942 sont lancées des offensive pour en chasser les Alliés. La première contre-attaque
dénomméeOpération Kaa pour objectif la neutralisation des porte-avions américainset la destruction des forces
navales alliées dans le Pacifique Sud .Les Shokaku, Zuikaku, Ryujo, Chitoseprennent la mer. Cette première
confrontation dans les iles Salomon se solde par la perte du Ruyjo.La bataille suivante, dite de Santa Cruz, engage
quatre porte avions (Shokaku, Zuikaku, Zuiho, Junyoqui, s‟ils sont atteints lors d‟attaques aériennes, portent un coup
temporaire mais réel à la puissance aéronavale américaine A l‟issue de cette victoire à la Pyrrhus, les Japonais
ontcependant perdu 40% de leurs pilotes vétérans et le Shokaku demeure l‟unique grand porte avion opérationnel.
Bien que le bilan de l‟année de guerre passée semblepencher en faveur des Japonais (11 porte avions américains
coulés contre 6 japonais), les carences et faiblesses structurelles de l‟IJN commencent à apparaître.
En décembre 1942la Marine fait ainsi état d‟un retard de 30% dans les plans initiaux de construction navale. Les
chantiers ne peuvent compenser l‟ensemble des pertes par le lancement de nouvelles unités. La flotte marchande perd
460 000 tonnes de navires en 1942, 500 000 tonnes en 1943. Ces pertes denavires marchands, en rendant difficile
l‟approvisionnement de l‟archipel en matières premières, retardent la construction de nouvelles unités combattantes.
Tonnage P A engagé
1942
403 674
Tonnage PA
lancement
0
1943
1944
294 012
447 155
0
160 044
Tonnage PA
conversion
163 094
17 500
10 929
Tonnage PA
perdu
127 162 (6
unités)
17 830 (1 unité)
295 000 (13
unités)
Tonnage PA
reliquat
276 512
276 182
152 155
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Jonckheere Fabrice. Article : The aircraft carrier in the Japanese naval doctrine. Publié dans Los. septembre 2012
1945
194 495
0
42 340
78 506 (6
unités)
115 989
1944 correspond à la grande saignée qui prive le japon de son outil aéronaval. Sur les 500 000 tonnes de porte avions
engagés dans la défense du périmètre japonais, 295 000 tonnes sont détruites. Les bataille de lamer des Philippinesen
juin 1944 puis du Cap Engano (Leyte) en octobre marquent en effet un véritable tournant puisqu‟y disparaissent sept
porte-avions nippons ( Shokaku, Taiho, hiyo, Zuikaku, Chiyoda, Chitose, Zuiho.) et plus d‟un tiers de la capacité
aéronautique impériale. Désormais, la puissance de la flotte repose davantage sur les cuirassés que sur les porteavions dont les plus belles unités ont disparu. Le tonnage irrémédiablement chute et n‟augmente légèrement en 1945
que par la conversion d‟unités civiles (cargos ou paquebots :YamashiroMaru, Shimane Maru, OtakisanMaru,
KumanoMaru ) surclassés tant en nombre qu‟en qualité. La série de six porte avions de 17 200 tonnes (Unriu,
Amagi, Katsuragi, Aso, Ikoma) mise en chantier au lendemain de Midwayet quasiment achevée en aout 1945 ainsi
que la conversion du croiseur lourd Ibukine permettent pas de redresser la situation. C‟en est fini de la prédominance
aéronavale du Japon sur le Pacifique.
Epilogue
Les batailles consécutives de 1944 / 1945 consacrent la perte des porte-avions japonais. De multiples raisons en sont
causes : la non-protection des escadres japonaises par les sous-marins impériaux auxquels on préfère attribuer des
missions d‟attaque des navires de guerre ennemis), un non renouvellement soutenu des unités coulées, la volonté
obstinée de l‟Etat-Major d‟obtenir sa bataille décisive, un manque chronique de personnel qualifié, notamment de
pilotes (les plus expérimentés périssent dans les deux premières années de la guerre).
La saignée au final est considérable : si les Etats-Unis perdent 10 porte avions dans le Pacifique, les Japonais quant à
eux en perdent 27 (sur 31 unités opérationnelles). 15 sont détruits par des raids aériens, la plupart du temps lancés
depuis des navires américains. 11 sont torpillés par des sous-marins, 1 saute sur une mine. Seuls 5 survivent à la
guerre et sont ferraillés dans les années qui suivent.Par une cruelle ironie, parmi ces rescapés se trouve le premier
porte-avion japonais « Hosho », le prototype qui permit à la Marine Impériale d‟inscrire ses navires dans la grande
Histoire maritime.
Notes :
1 Source Mémorial de Caen. http://www.memorial-caen.fr/pearl_harbor/ph1.htm
2 Kempf, Olivier. Surprise dans le champ stratégique, Etudes Géopolitiques Européennes et Atlantiques, 2011.
http://www.egeablog.net/dotclear/index.php?post/2011/08/02/SUrprise-dans-le-champ-strat%C3%A9gique
3 Prazuck, Christophe. “L’attente et le rythme. Modeste essai de chronostratégie”, Stratisc.org, 2005,
http://www.stratisc.org/strat068_Prazuck.html
4 Sun Tzu, L'art de la guerre, Champs Flammarion, 1999, chap3, 3.2
5 Peattie, Mark ; Evans, David. Sato tetsutaro : the contradiction of Japanese Naval strategy. 1908-1911, in
Kaigun: Strategy, Tactics and Technology in the Imperial Japanese Navy, 1887-1941, Naval Institut Press, 1997,
p 140
6 Peattie, Mark ; Evans, David. Op cité note 10, p141
7 Couteau-Bégarie, Hervé. « Les lignes directrices de la pensée navale au XXe siècle », Guerres mondiales et
conflits contemporains 1/2004 (n° 213), p. 3-10. URL :www.cairn.info/revue-guerres-mondiales-et-conflitscontemporains-2004-1-page-3.htm
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Jonckheere Fabrice. Article : The aircraft carrier in the Japanese naval doctrine. Publié dans Los. septembre 2012
8KaigunGunreibu hen (Naval Staff (ed. ), Gokuhi Meiji sanju nana hachinenkaisenshi (Confidential : The Naval
War History of the Meiji Period), Year 37-8, Vol.1, Book 1, pp41-43
9 Wilden, Anthony. « La guerre du 20e siècle et penser la stratégie », Anthropologie et Sociétés, vol. 7, n° 1,
1983,.p 18
10 Rodger, Nicolas. A.M : Formes et fonctions des navires européens du milieu du XVIIeme siècle au début du
XIXeme siècle (1660-1845), Revue d'histoire maritime, no. 7. Paris : PUPS. Presses de l'université ParisSorbonne, 2007, p 83
11 Peattie, Mark R. Sunburst. The Rise of Japanese Naval Air Power 1909-1941.Naval Institute Press , 2001
12 Barr, James A.Airpower employment of the fifth air force in the world war II southwest pacific theater, The
Research DepartmentAir Command and Staff College, March 1997, p1
http://www.dtic.mil/dtic/tr/fulltext/u2/a397961.pdf
13 Sajima, Naoko; Tachikawa, Kyoichi.Japanese Sea Power: A Maritime Nation’s Struggle for Identity, Sea
Power Centre – Australia, 2009, p 18
14Shôwatennô no dokuhakuhachijikan : taiheiyôsensô no zenbuwokataru, (mémoires dictées en huit heures de
l‟empereur Shôwa : tout sur la guerre du Pacifique), in revue Bungeishunjû, 1990, vol 12, p 94-144
15U.S. Naval Arms Limitation Treaty, 6 February 1922, Statues at Large (1923-1925), vol. 43, pt 2
16 Jonckheere, Fabrice « L'Asie-Pacifique s'embrase ; l’expansionnisme japonais dans le cadre du
tennôcentrisme », Histoire de la dernière guerre, numéro 15, 2011.
17 Elleman, Bruce. Naval Power and Expeditionary Wars: Peripheral Campaigns and New Theatres of Naval
Warfare, Taylor & Francis, 2011, p 77
18 National Defense college, War History Office ( BoueichouBoueiKenshushoSenshishitsu), War History Series
: the Hawaii Operation (SenshiSoushoHawaiSakusen), AsagumoShinbunsha, 1967, p. 84
19 Weir, Gary A, The evolution of the strategic doctrine of the Imperial Japanese Navy, 1921-1941, an honors
thesis [(HONRS 499)], Ball State University, 1978, p 26
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