avec les rebelles touareg au sahara

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avec les rebelles touareg au sahara
40∑Reportage
reportage∑41
avec les rebelles
touareg au sahara
niger Sous le sable, des tonnes d’uranium enrichissent l’Etat et les groupes
étrangers. Mais cette ressource ne bénéficie en rien aux locaux, qui n’ont droit
qu’au mépris. Certains ont pris les armes.
photos Philippe Dudouit contact press images
des observateurs prédisent le scénario d’un darfour bis
L’Hebdo 23 octobre 2008
combattants Les plus jeunes aiment les couleurs. Certains n’ont pas 18 ans.
Avant de s’engager, ils étaient étudiants ou éleveurs de chameaux.
23 octobre 2008 L’Hebdo
ACTUELS
ACTUELS
Campement Les rebelles
ne dorment jamais plus
d’une nuit au même endroit.
Chaque unité, soit un véhicule
(8 à 12 combattants),
communique avec les autres
par téléphone satellite.
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Reportage∑43
Canon DCA monté
sur pick-up Mal
équipés, les rebelles
n’ont que ça pour
attaquer les blindés
de l’armée nigérienne.
Ils ont tout de même
abattu deux
hélicoptères. Ce soir,
le véhicule part
pour une dernière
patrouille.
photos Philippe Dudouit/contactpressimages Texte Michel beuret
L
profil
musiciens soldats
Des bands viennent
jouer des morceaux
de Desert Rebel ou
Tinariwen, deux
groupes touareg bien
connus. En tournée
dans les campements,
ils rassemblent entre 50
et 100 spectateurs.
donc, un étrange mouvement
de rébellion est apparu au nord.
A Iférouane, au nord-est d’Arlit dans le massif de l’Aïr, des
tribus touareg ont pris d’assaut
ce jour-là une garnison militaire, faisant trois morts et
deux prisonniers. L’attaque est
revendiquée par un groupe
inconnu jusque-là, le Mouve-
La Zone de Tension
YUGOSLAVIA
Aire d’influence
et d’opérations
d’al-Qaida
au Maghreb
islamique
(ex-GSPC)
ESPAGNE
ACTUELS
TUNISIE
Philippe
Dudouit
31 ans. World
Press Photo
2008 pour
son reportage
au Kurdistan
irakien.
Publie dans
Time, Le
Monde 2, D
Donna di La
Repubblica.
Zone fréquentée
par les Touareg
MAROC
Zone d’uranium
Exploration
pétrolifère
ALGÉRIE
LIBYE
Tamanrasset
NIGER
MAURITANIE
Arlit
MALI
Agadem
Agadez
TCHAD
Niamey
GUINÉE
BURKINA FASO
NIGERIA
ment nigérien pour la justice
(MNJ).
Son communiqué a des accents
zapatistes. Le MNJ réclame une
décentralisation administrative, la nomination de membres
du MNJ à tous les échelons du
pouvoir, le développement d’infrastructures dans les régions
du nord qui en sont en général
dépourvues (routes, électricité,
puits), mais aussi la possibilité
pour les jeunes Touareg d’obtenir des bourses d’études. Bref,
une retombée locale des bénéfices de l’uranium, dont le Niger
est le 3e producteur du monde,
de l’uranium extrait dans ces
mêmes régions par de grands
groupes étrangers.
Le leader mondial, le français
Areva, a longtemps bénéficié
ici d’un monopole de fait et
extrait 40% de son approvisionnement du sous-sol nigérien. Mais les temps changent.
Car la demande mondiale en
uranium explose. L’énergie
nucléaire n’émet pas de CO2 et
les pays émergents, toujours
plus gourmands en énergie – la
Chine, l’Inde mais aussi la Russie – ont tous annoncé leur
volonté de multiplier la
construction de centrales.
Enrichissement. Dès lors, l’ura-
nium qui ne valait plus grandchose en l’an 2000 a vu son
cours multiplié par dix entre
2003 et février 2007… De quoi
enrichir le gouvernement de
l’autocrate Mamadou Tandja,
mais pas la population touareg
qui ne tire aucun bénéfice des
va-et-vient de prétendants toujours plus nombreux – Chinois,
Américains, Canadiens – sur ce
territoire stratégique.
L’assaut d’Iférouane passe alors
inaperçu. Seuls quelques journaux à Niamey l’évoquent. Tandja parle «d’actes de banditisme
menés par un groupe de trafiquants de stupéfiants» et promet de laver l’affront. D’autres
parlent d’un soutien présumé
de Kadhafi aux rebelles pour
déstabiliser le Niger. Certains
soupçonnent Areva qui aurait
intérêt, présume-t-on, à maintenir une certaine insécurité sur
son périmètre pour écarter les
gêneurs. Pour la France, qui
produit 80% de son électricité
grâce à l’atome, le Niger est
incontournable.
Ce soupçon – qui se révélera
faux – est d’autant plus grand
à l’époque que, quelques jours
plus tôt, les Toubous, une
confédération de pasteurs du
nord, établis aux confins du
Tchad, de la Libye, du Soudan
et de l’Egypte, ont pris les
armes, eux aussi. Au Niger, les
Toubous possèdent une petite
armée dont l’acronyme français
évoque une plaisanterie: les
FARS, pour Front des forces
armées révolutionnaires du
Sahara. Mais ces gens-là ne
rigolent pas. Eux aussi menacent d’enlever les Chinois commis pour l’exploration pétrolière, cette fois, dans la région
du Kawar, une zone brûlante à
CÔTE D’IVOIRE
CENTRAL AFRICAN
L’Hebdo 23 octobre 2008
23 octobre 2008 L’Hebdo
État-major du mnj Le commandant Acha (1er plan, turban noir), vice-président du mouvement tué par une attaque
d’hélicoptère en juin 2008. Kamil Ahmed, en costume gris, secrétaire général du MNJ.
ACTUELS
e photoreporter suisse Philippe Dudouit est l’un des
très rares journalistes à avoir
pu photographier et accompagner la rébellion touareg sans
se faire arrêter par les services
nigériens et expédier en prison
«pour haute trahison».
Parti en mars 2008 dans l’extrême nord du Niger, il peut
témoigner des crimes de guerre
dont l’armée nigérienne s’est
rendue coupable. «Elle détruit
les villages, pille, abat les troupeaux. Des restes de villageois
coupés en morceaux et enterrés
à la hâte sous le sable ont aussi
été retrouvés.»
La tension est très forte dans
toute la zone de peuplement
touareg, «ces gitans du désert
que tout le monde méprise et
rejette», au sud de l’Algérie,
au nord du Mali et, plus encore,
au Niger. Certains observateurs évoquent déjà le scénario d’un «Darfour bis» dans
cette région du Sahara peuplée
de 3 millions de Touareg.
Comment en est-on arrivé
là?
L’explosion de la crise remonte
à février 2007. A l’époque,
l’auteur de ces lignes se trouvait sur place. Le 8 du mois
Reportage∑45
Reportage∑44
Abdelkader Transfuge de
l’armée nigérienne,
commando parachutiste
formé par les Français et les
Américains, il a rejoint la
rébellion avec son équipe,
la Force de réaction rapide.
l’angle des frontières libyenne
et tchadienne où le pétrole
pourrait couler dans cinq ans.
Tout au long de l’année 2007,
la crise va dégénérer en guerre
ouverte, dans la région d’Arlit.
A l’été 2007, le dirigeant de la
China Nuclear Engineering and
Construction Corp., se fait enlever par le MNJ en plein désert,
puis relâcher quelques jours
plus tard.
Depuis lors, les raids sanglants
se multiplient et, du côté de
l’armée, dégénèrent en crimes
de guerre. Le président Tandja,
ébloui, irradié, par la rente du
«yellow cake» (concentré d’uranium) renégociée en sa faveur
avec Areva en janvier 2008, n’a
nulle intention de fléchir.
D’autant que la Chine, qui n’a
pas dit son dernier mot, l’aide
à équiper son armée. De son
côté, l’armée américaine a
ouvert une base dans la région
d’Arlit, une centrale d’écoute de
téléphones satellite pour
contrer l’influence de «al-Qaida
au Maghreb islamique» que
Washington confond à tort avec
le MNJ et les FARS.
Pendant plus d’un an, le monde
est sans nouvelles de ce qui se
passe sur le terrain. La répression n’a pas de visage, les rebelles non plus. Le MNJ et les FARS
ont certes des porte-parole à
l’étranger, mais rarement relayés
dans les médias. Qui sont-ils?
Qui les soutient? «Personnellement, je peux comprendre leur
colère, explique Philippe
Dudouit. Car il en faut beaucoup
pour leur faire prendre les
armes. En temps normal, ce sont
des gens doux et respectueux.
Imaginez: ils n’ont pas de gros
mots dans leur langue, comme
con ou connard.»
Le photographe, qui a passé un
mois entier à leurs côtés, décrit
aussi les conditions de vie extrêmes: «Aucune ressource, des
amplitudes de chaleur immenses, des pâtes à tous les repas,
des scorpions et des serpents et
pas de quoi se faire soigner en
cas de maladie ou d’accident.»
La guérilla, dont les effectifs ne
dépassent guère 1500 à
2000 hommes, est forcée de se
déplacer en permanence, «mais
l’essence est chère». Elle doit
communiquer par téléphone
satellite, «mais les lignes sont
écoutées». Qui la soutient? De
l’avis de Philippe Dudouit, seule
«la diaspora touareg est solidaire. Aux autres théories, je ne
crois pas.» Sans quoi, «cette
rébellion serait mieux armée
que cela et les assauts ne
seraient pas lancés avec cinq
balles dans chaque fusil». A ce
jour, le drame grandit. On
dénombre plusieurs milliers de
réfugiés et des centaines de
morts, dont une cinquantaine
dans les rangs du MNJ.√
23 octobre 2008 L’Hebdo
23 octobre 2008 L’Hebdo
ACTUELS
Aboubakar Mohamed
Chef du Front armé
révolutionnaire du Sahara
(FARS), un allié traditionnel
des Touareg, représente
l’ethnie des Toubous
au Niger et au Tchad.