Une histoire de la culture paysanne du 19e siècle à nos
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Une histoire de la culture paysanne du 19e siècle à nos
UNE HISTOIRE ECONOMIQUE ET INSTITUTIONNELLE DE LA CULTURE PAYSANNE, DU 19EME SIECLE A NOS JOURS : DE LA PAYSANNERIE A L’ENTREPRENARIAT AGRICOLE ET DE L’ENTREPRENARIAT AGRICOLE A LA PAYSANNERIE Marie-Pierre PHILIPPE-DUSSINE Maître de Conférences A l’Université de Metz CEREFIGE Cahier de Recherche n°2013-08 CEREFIGE Université de Lorraine 13 rue Maréchal Ney 54000 Nancy France Téléphone : 03 54 50 35 80 Fax : 03 54 50 35 81 [email protected] www.univ-lorraine.fr/CEREFIGE n° ISSN 1960-2782 1 Une histoire économique et institutionnelle de la culture paysanne, du 19e siècle à nos jours : De la paysannerie à l’entreprenariat agricole et de l’entreprenariat agricole à la paysannerie ? Résumé : Cet article entend retracer l’histoire de la culture paysanne, en considérant celle-ci comme une véritable institution au sens de D.C. North, (1984), c’est-à-dire comme un ensemble de règles, même informelles, conçues pour limiter les coûts de transactions et faciliter la coordination des agents. En intégrant les représentations subjectives des agents ou leur relation au pouvoir, une telle analyse nous permet alors de porter un nouveau regard sur les différents changements institutionnels qui ont marqué l’agriculture, en fonction de l’évolution des coûts de transaction et de l’intentionnalité des agents eux-mêmes. Nous ne manquerons donc de souligner la trajectoire non linéaire de ce changement, liée aux périodes de dépendance au sentier et pouvant expliquer pourquoi le monde agricole peut aujourd’hui être tiraillé entre l’avènement d’un entrepreneuriat agricole moderne et le retour d'une traditionnelle notion de paysannerie. Summary : This article aims to trace the history of peasant culture, considering it as an institution within the meaning of DC North (1984), that is to say, as a set of rules, even informal, designed to reduce transaction costs and facilitate the coordination of agents. Incorporating subjective representations of agents or their relationship to power, a such analyze allows us to provide a particular vision of institutional changes in agriculture, which depend on the evolution of transaction costs and the intentionality of the agents themselves. So we emphasize the non-linear trajectory of this change, which can be associated with periods of path dependencies and can explain why the “peasant world” can be now torn between the advent of a modern agricultural entrepreneurship and the return of a traditional notion the peasantry. Mots-Clés : Changement institutionnel, Culture paysanne, Dépendance au sentier, Histoire, Key-word : History, Institutional Change, Path Dependency, Peasant Culture JEL : D02, D23, N53, N54, Z19 2 Une histoire économique et institutionnelle de la culture paysanne, du 19e siècle à nos jours : De la paysannerie à l’entreprenariat agricole et de l’entreprenariat agricole à la paysannerie ? Ce n’est pas seulement du blé qui sort de la terre labourée, c’est une civilisation tout entière. A. de Lamartine1 Introduction Si le concept de culture peut être défini de bien nombreuses façons (Kroeber et Kluckhohn, 1952), un consensus transdisciplinaire2 semble cependant s'établir autour d'un système de valeurs collectives qui permettrait de distinguer les membres d’un groupe et de mieux comprendre leur façon de se déterminer ou de se comporter. Ce système de valeurs serait un processus dynamique, interagissant tout à la fois avec l’histoire, le territoire, la sociologie ou l’environnement économique des individus. Relié à un tel système de valeurs, le travail agricole semble donc bien pouvoir être rattaché à une culture, qui peut tous nous intéresser. Nous avons en effet presque tous des ancêtres paysans3, des ancêtres qui ont su tirer richesse de la nature qui les environnait. Notre patrimoine paysager reste, lui aussi, fortement marqué par l’empreinte paysanne (Kaiser, 1990)… Chercher à mieux comprendre l'histoire de la culture paysanne, c'est donc également porter un autre regard sur notre histoire, sur l'évolution du monde agricole, voire l’évolution de notre société toute entière. L'histoire de la culture du travail agricole est en effet fortement liée à l’évolution de notre société. Bien loin d’un artificiel imaginaire social, la culture paysanne a été façonnée par de multiples facteurs historiques, économiques et politiques. Fondée sur le travail de la terre, elle a évolué comme une institution qui s'adapterait à un environnement en perpétuel mouvement. Alors que nous l'avons précédemment définie comme un ensemble de valeurs collectives, sans doute pourrions-nous donc considérer, ici, la culture paysanne comme une construction de règles plus ou moins formelles, permettant de différencier un groupe social, et donc, comme une véritable institution au sens de D.C. North (1984)4. Un tel éclairage économique et institutionnel nous permet d'aborder l'histoire de la culture paysanne sous un nouvel angle. La théorie économique dispose en effet d'outils originaux, lorsqu’elle tente de comprendre une dynamique historique en tenant compte des institutions (North, 1990 ; Tirole, 2009) des coûts de transaction (Williamson, 2000) ou des droits de propriété (Demsetz, 1967). Mais si nous nous rattachions précisément à l'héritage de D.C. North, qui a énormément apporté à l'Histoire Economique, c’est parce que son approche 1 Discours prononcé lors de la Séance Publique de la Société d’Agriculture de Mâcon, le 1 er septembre 1839. Lamartine est alors député et Président du Conseil Général de Saône et Loire 2 On retiendra, à titre d’exemple, M. Weber (1923), C. Levi-Strauss (1958), G. Hofstede (1993) ou encore F. Trompenaars et P. Woolliams (2003). 3 F. Demier (2000) précise qu'en "1840, 75% des français sont ruraux et parmi eux, les trois quarts vivent du travail de la terre". 4 Nous reprendrons ici la sémantique northienne pour définir une institution comme un ensemble de règles formelles (lois, statuts...) ou informelles (tabous, conventions,...) conçues pour limiter les coûts de transactions et faciliter la coordination des agents. (North et Common, 1992). 3 nous semble présenter, ici, deux avantages majeurs. Le premier consiste bien entendu dans la définition claire qu’il donne des institutions, comme des règles du jeu qui ne peuvent plus être confondues avec les organisations (Williamson (2000). Cette définition nous semble bien adaptée pour analyser la culture du travail agricole. Mais le second avantage que nous trouvons chez D.C. North est également l'importance accordée dans le changement institutionnel (Rollinat, 1997)5, importance que nous mesurons aujourd'hui en nous intéressant à la culture paysanne (Tracy, 1986). En intégrant les représentations subjectives des agents ou leur relation au pouvoir, une analyse économique et institutionnelle nous semble donc pouvoir apporter un éclairage intéressant sur l'histoire d’une culture paysanne, aujourd'hui tiraillée entre l’avènement d’un entrepreneuriat agricole moderne et le retour d'une traditionnelle notion de paysannerie. Pour comprendre cette histoire, il demeure cependant essentiel d’examiner, tout d'abord, les conditions dans lesquelles cette culture du travail agricole se construit au 19e siècle, comme une véritable ressource institutionnelle (I). Nous suivrons ensuite son évolution, pour comprendre comment elle peut s’enfermer dans une difficile dépendance au sentier avant de lentement changer, sous la pression des multiples mutations des 20e et 21e siècles (II) I. La culture du travail agricole : une institution née au 19e siècle. Avant le XIXe, l'existence d'une culture paysanne semble difficile à démontrer, tant le monde agricole se montre complexe et parfois désuni. L'affirmation de valeurs collective demande du temps, mais comme toute construction institutionnelle, elle apparaît nécessaire lorsque les échanges deviennent trop coûteux. I.1. Une culture paysanne difficile à définir avant le second XIXe La dénomination d’une culture paysanne implique une identité sociale pouvant reposer sur une façon de vivre ou une profession (Hubscher, 1997) que l'on a beaucoup de peine à définir de façon suffisamment précise, avant la fin du XIXe siècle. I.1.1. Une civilisation paysanne ? Au XIXe siècle, un consensus semble associer au « paysan », l’image d’un homme rustre et familièrement relié à la terre6. L’imaginaire social est alors prompt à assimiler le « paysan » au « bon sauvage » décrit par J.J Rousseau au siècle précédent, incarnant une relation souvent magnifiée avec la nature et une certaine moralité que nombres d’écrivains loueront après les journées de juin 18487. Mais cette image d’Epinal ne reflète pas la réelle complexité du monde rural. Dans la réalité en effet, la population paysanne peine à se retrouver dans une identité unique. Au XIXe siècle, les disparités sociales demeurent 5 Contrairement aux cadres d'analyse proposés par O. Williamson (1994), M. Granovetter (2005) ou K.Polanyi (1983), North nous permet de sortir d’une ancestrale opposition entre le marchand et le non marchand, qui ne nous semble plus refléter pleinement la réalité des interactions humaines. Selon nous, l'Etat ne peut pas être présenté uniquement comme une force opposée au marché : même chez les Classiques (Ricardo, 1817), il intervient lorsque le marché est menacé. Son autorité (« enforcement ») peut donc tout à fait être complémentaire aux mécanismes marchands, par exemple quand il veille à la bonne exécution des contrats ou à la limitation des monopoles. 6 On peut ici se référer à la définition qu’en donne P. Larousse (1876) ou à la façon dont les frères Goncourt évoquent les « paysans » dans leur Journal (1892). 7 Plusieurs écrivains, tels que G. Sand, dépeignent ainsi le paysan comme l’archetype de l’homme droit et fiable. 4 nombreuses dans la campagne française et distingue très fortement le paysan-propriétaire, du paysan-« simple fermier», ou encore le métayer du journalier. Si l’on retient l'importance des mariages « homostatutaires » (Hubsher, 1997), cette différenciation semble même cruciale. Il faut dire que ces disparités sociales sont parfois reliées à des valeurs ou à des modes de vie différents. Mais cette diversité de comportements, d’organisations familiales, de rites, d’habitat, de modes d’alimentation, voire de langages n'est pas toujours qu'une affaire de statut social ou juridique (Weber, 1983). Elle traduit également des territorialités différentes : le paysan lorrain ne vit en effet pas toujours comme le paysan pyrénéen (Mendras, 1967). Il est vrai que, sur ce dernier point, on ne peut manquer de repérer l’attachement au « pays » que connote le terme « paysan ». Cet attachement au terroir, à sa commune, nourrit effectivement, parfois à lui seul, une identité propre (Soulet, 2004) qui peut empêcher les paysans des différentes régions de France de se sentir rattachés à une même culture. Le milieu dans lequel les individus évoluent est différent. Eux-mêmes vivent des expériences différentes, qu’ils interprètent parfois avec différents modèles de pensée... Or ce sont toutes ces contraintes informelles qui bâtissent, naturellement, le cadre institutionnel, que l’on appelle « culture » et dans lequel un groupe social va évoluer, de génération en génération, en se démarquant des autres (North et Common, 1992). Cependant ce cadre semble ici davantage lié au territoire ou au statut social qu’à une véritable civilisation paysanne. La culture paysanne serait-elle davantage reliée à un critère professionnel ? I.1.2. Profession : paysan ? Si on peine à trouver, au début du XIXe siècle, un critère d'unité suffisamment consistant, pour définir une réelle identité paysanne, la propriété foncière semble souvent un élément souvent déterminant. Le terme de « paysan » et plus particulièrement de « laboureur » est en effet souvent retenu pour désigner les grands propriétaires terriens. Et même lorsqu’à partir des années 1880, les recensements de la population française préfèrent retenir le terme de « cultivateur » au « paysan », ils entendent désigner tout homme cultivant la terre, quelque soit l'importance de sa propriété. Il faut donc encore bien posséder sa terre pour être reconnu (Mayaud, 2002). Mais comment, dans ce cas, situer les individus qui exploitent la terre sans la posséder ? Ceux-là ne peuvent-ils encore pas être appelés « paysans » ? Par ailleurs, si certains propriétaires se réclament de la paysannerie alors qu’ils délèguent le travail de la terre à des fermiers ou des métayers, d’autres propriétaires ont bien les mains dans la terre, mais ne se qualifient pas de paysans, trop préoccupés à exercer une activité urbaine qu’ils souhaiteraient permanente. Rattachés à une terre par leur origine, ils ne se sentent pas du tout fixés à l’activité agricole. Le début du XIX e siècle représente en effet une forte période de migration dans les campagnes françaises. Nombreux sont donc les petits exploitants agricoles qui pratiquent, en parallèle, des activités bien différentes : artisanat, commerce, travaux de bâtiment ou participation aux chantiers du chemin de fer... Or, en se rapprochant de la ville plus ou moins régulièrement, en fonction des saisons ou des opportunités, ces « poly-actifs s’ouvrent à d’autres savoirs, à d’autres modes de vie…Et à d’autres cultures… Au début du XIXe siècle, la propriété foncière et le travail de la terre ne semblent donc, pas plus que le mode de vie rural, un critère qui puisse fédérer une population dans une même 5 culture paysanne. Il manque un élément fondateur, un « lien de solidarité » qui puisse faire fi des différences sociales, territoriales et économiques, pour réunir tous ces individus dont la vie est étroitement liée à la nature qui les entoure. Il faudra en fait une véritable révolution pour que naisse cette conscience collective, au second XIXe siècle. I.2. La culture du travail agricole où la naissance d’une identité Nourrie de nouvelles technologies et d’innovations majeures, la seconde révolution industrielle commence dans la seconde moitié du XIXe siècle, alors que fleurissent les théories économiques de l’optimum et du libre-échange. Contaminant rapidement l’ensemble des secteurs d’activité, les nouveaux procédés industriels engendrent bientôt une véritable révolution économique fondée sur une plus grande une division du travail, à la fois dans le cadre de l’économie nationale et internationale. Cette révolution va bouleverser le monde agricole. I.2.1. Un monde agricole secoué par une véritable révolution économique. La révolution économique prône une division du travail qui repose sur une nouvelle organisation du travail. Sur le territoire nationale, l'industrialisation ne peut en effet plus se contenter de « poly-actifs » à temps partiels. Elle fixe l'ouvrier à l'entreprise et les "poly-actifs ont de plus en plus de peine à multiplier les activités. Certains partent définitivement vers l’industrie. D’autres font le choix de la terre et doivent alors se concentrer sur un travail qui est désormais leur unique source de revenus8. La terre est désormais le travail d’une partie bien définie de la population. La professionnalisation de l’agriculture est en marche. Mais la division du travail ne bouleverse pas que l’ordre national. Les travaux de D. Ricardo (1817) entendent également appliquer ce concept à la production mondiale et motivent de nouveaux arguments en faveur du libre-échange. Si l’Angleterre succombe, la France résiste longtemps, sous la pression des grands propriétaires9. Mais Napoléon III finit par libérer le commerce des grains en 1861. Confronté à une nouvelle concurrence étrangère10, le monde agricole se découvre alors de nouvelles préoccupations qui justifient, là encore, une professionnalisation de l'agriculture. Mais cette professionnalisation, traduite en particulier par l'émergence d'une nouvelle presse agricole et par la création, en 1881, d'un Ministère de l'Agriculture, traduit en réalité un profond changement de mentalité des individus. Progressivement, les exploitants agricoles s’éloignent des marché locaux et mesurent le poids croissant d’éléments extérieurs sur leur activité : prix 8 On étend donc la surface cultivée et on redécouvre des techniques anciennes, telles que l’assolement 8, qui demeurent moins coûteuses que les dernières innovations industrielles (engrais ou machine)s... Dés 1840, la production agricole augmente fortement. J.C. Toutain (1993) retient ainsi une croissance annuelle de la production agricole de 7,1% entre 1840 et 1890. 9 L’agriculture française bénéficie ainsi de mesures protectionnistes pendant toute la première moitié du XIX e siècle. Sous l’impulsion de nobles « agromanes », elle profite de ce rempart protecteur, pour développer de nouvelles cultures (betterave, pomme de terre), de nouvelles techniques (chaulage…) qui contribuent à augmenter la productivité agricole de telle façon qu'elle peut compenser la baisse des prix pour assurer aux agriculteurs un revenu croissant jusqu'en 1879 (Duby et Wallon, 1976). 10 L’amélioration des transports facilite sensiblement l'acheminement de produits agricole concurrents (EtatsUnis, Russie…). Or face à cette concurrence, les progrès réalisés dans l’agriculture française, majoritairement constituée de petites exploitations, sont bien trop faibles et le solde des échanges agricoles s’avère rapidement déficitaire pour de nombreuses denrées telles que les céréales ou le sucre. (Duby et Wallon, 1976) 6 des consommations intermédiaires, cours des produits agricoles, besoins de financement… Remontant d'un "étage" dans le triptyque « braudelien », les agriculteurs s'intègrent progressivement au marché et modifient tout à la fois leur organisation productive et leur "attitude"11. Cette réorganisation a cependant un coût. Caractérisé par une division du travail qui renforce la différenciation des groupes sociaux et par des marchés mondiaux impersonnels, le modèle de développement qui s’impose alors ne sait pas éviter la monter de coûts de transaction qui grèvent immanquablement son efficacité et s’associent à de nombreuses externalités : transformation des fonctions familiales, urbanisation, inégalités sociales, insécurité… L’environnement des individus est devenu plus vaste, plus complexe. La division du travail rend les agents de plus en plus interdépendants, mais en même temps, elle les éloigne tellement que les échanges semblent désormais nécessiter l’émergence d’institutions capables de les assurer, de réduire les différents coûts de transaction qui s’y rapportent. I.2.2. L’avènement d’une culture paysanne comme une ressource institutionnelle Selon O.Williamson (2000), les coûts de transactions peuvent être mesurés par la difficulté de s’entendre ou de trouver un équilibre pouvant être respecté par différents acteurs. L'existence de tels coûts nécessite la mise en place de structures de gouvernance pouvant protéger les agents et leur garantir un cadre dans lequel inscrire leurs transactions. Ce cadre peut alors être défini comme un ensemble de contraintes, tacites ou explicites, permettant de réglementer les comportements et d’organiser les échanges humain. Conçues par les agents eux-mêmes, tout au long d'un infini processus historique (Aoki et Hayami, 2001), ces règles peuvent naturellement refléter leurs propres représentations et défendre leurs propres intérêts. Rien ne garantir donc qu’elles soient toujours les plus efficaces socialement. Elles représentent cependant, chez North (1990), une institution au sens large. Longtemps désorganisé, le monde agricole semble concevoir, avec la révolution économique, la nécessité d'instaurer, lui aussi, des règles du jeu qui puissent le protéger et faciliter ses gains à l'échange. Ces règles apparaissent avec le syndicalisme agricole. Dés 1868 avec la Société des Agriculteurs de France, puis à partir de 1884, grâce à la loi WaldeckRousseau, tous les individus rattachés à la terre par le patrimoine ou le travail peuvent en effet s'associer et se reconnaître dans une même catégorie professionnelle12. La culture paysanne, ce collectif qui semblait avoir tant de mal à se construire jusqu'à présent, semble enfin naître, alors que le monde agricole connaît de nombreuses difficultés. S’il s’agissait initialement de rassembler les paysans de toute condition, pour réagir au monopole des engrais dont bénéficiaient des négociants peu scrupuleux, les syndicats doivent en effet rapidement se préoccuper d’une crise agricole plus grave, apportant dés 1880, une lourde tendance à la baisse des prix, de la productivité et des revenus agricoles, qui durera plus de vingt ans. Cette crise agricole n’a cependant pas que des effets pervers. Sous sa menace, tous les individus attachés au travail de la terre, quelque soit leur statut et leur territoire, prennent en effet conscience que loin d’être des rivaux, ils ont des intérêts communs à défendre, en particulier face à une concurrence étrangère très compétitive. Or pour cela, ils ont besoin de 11 F. Braudel (1979) décrit l'évolution de l'économie par un schéma tripartite fondé sur une économie "horsmarché", puis sur un marché des petits producteurs avant de devenir un véritable marché capitaliste, chacun de ces systèmes étant caractérisé par une organisation particulière de la production et une attitude spécifique. 12 Pour une analyse du syndicalisme agricole, voir J. Vercherand, 2009. 7 mesures nationales qu’ils peuvent obtenir si, unis, ils représentent une force électorale cohérente. Ils ne sont donc plus propriétaires, métayers, fermiers ou journaliers : ils deviennent tous agriculteurs et représentent une population, dont le suffrage devient un enjeu important (Duby et Wallon, 1976). Unis, les agriculteurs savent en effet se concilier une majorité politique issue de tout horizon, droite et gauche confondue, pour défendre une autosuffisance alimentaire menacée13. Cette nouvelle solidarité émerge dans un environnement économique tourmenté, comme si elle pouvait permettre aux agents de maîtriser, au moins en partie, les évolutions du marché. Cette conscience collective n’est certes pas naturelle mais elle semble, en se construisant, donner le ferment nécessaire à la germination d’une identité, d’une véritable culture paysanne. C'est précisément la culture que D. North (2005) évoque, lorsque l’environnement des agents devient incertain et qu’il s’agit, non seulement, de réduire les coûts de transaction, mais également de garantir les droits de propriété nécessaires au maintien d’un certain niveau de revenu. Cette culture peut alors s'appuyer sur différentes organisations, comme les syndicats, pour exprimer ses valeurs (North, 1994), réduire l’incertitude inhérente aux échanges et apporter des solutions à de nombreuses externalités, en proposant une assurance contre les différentes formes d’insécurité qui émergent alors : pauvreté, violence… (North et Commons 1992). Ainsi définie, la culture paysanne, peut être perçue comme une institution à part entière, appelée à évoluer avec son environnement. I.3. La culture paysanne sur un sentier de dépendance : 1914-1950 La culture paysanne, telle qu’elle apparaît à la fin du XIXe siècle peut donc être considérée comme un cadre institutionnel capable d'offrir au monde agricole, un pouvoir de négociation dont il ne bénéficiait pas auparavant et qu'il entend bien pérenniser. Tentant de maintenir une culture paysanne dans les carcans d’une agriculture traditionnelle, les différents acteurs du monde agricole vont cependant expérimenter un sentier de dépendance (path dependence) dont il sera difficile de sortir avant 1950. A la veille de la première guerre mondiale, l’agriculture française montre en effet des caractéristiques, qu’elle tentera de conserver, malgré un environnement très agité, jusqu’à la seconde guerre mondiale I.3.1. Un environnement très agité Protégé par une politique douanière sélective, le monde agricole se sent investi d’une véritable mission publique : garantir une autosuffisance alimentaire. Fondée sur de trop nombreuses exploitations de taille insuffisante, l’agriculture ne peut cependant pas accéder à un progrès technique décisif. Elle fonde donc essentiellement sa croissance sur le travail familial et une extension des surfaces cultivées (Mounier, 1992), mais se heurte assez rapidement à de nombreuses contradictions. La première apparait lorsque le tocsin sonne, à la fin du mois de juillet 1914. Trois millions d’agriculteurs sont appelés aux champs de bataille, tandis que l’agriculture a toujours fondé son développement sur la main d’œuvre et que la moisson demande des bras dans les champs de blé. Les femmes s’organisent, aidés des plus jeunes, des aînés, puis des migrants et des prisonniers. Mais les chevaux sont réquisitionnés et les produits industriels vers lesquels on commençait à se tourner font défaut. Les exploitations doivent réduire leur production au 13 L’importance donnée au vote rural lors des élections de 1889 conduit ainsi la France à revenir vers des mesures très protectionnistes, en particulier le tarif « Méline », qui dés 1892 est l’un des plus élevés au monde. 8 minimum de subsistance. Craignant que la rareté de l’offre se traduise par une augmentation douloureuse des prix pour la population, les autorités libèrent aussitôt les importations de blé et de farines et instaurent, sur le marché domestique, un système de réquisition et de taxation des denrées de base, qui découragent finalement une partie des exploitations céréalières préférant se tourner vers des productions moins contrôlées comme le lait ou la viande (Auge Laribe,1923). Lorsque les paysans rentrent de la première guerre, ils ne sont naturellement plus les mêmes et ont le sentiment que la nation leur doit beaucoup, à la fois parce qu’ils ont été nombreux à combattre, mais aussi parce que, pendant ce temps, leur famille a continué à travailler pour nourrir la population. Dans un nouveau contexte inflationniste14 qui soutient leurs revenus et affaiblit les taux d’intérêts, ils décident d'accroître leur propriété et se spécialiser dans les productions les plus rentables sur leur territoires. Récusant les propos citadins, rendant les paysans responsables de la vie chère, l’agriculture française ne remet pas en question son organisation productive, misant donc toujours plus sur la terre et le travail que sur le capital. La crise va cependant mettre un terme à ce malentendu, car la déflation touche bientôt tous les produits agricoles y compris la viande, et le lait et l’Etat semble bien incapable d’endiguer ce mouvement baissier des prix et des revenus agricoles15. Cette diminution des revenus agricole relance donc l’exode rural et la diminution du nombre de journaliers renforce le modèle d’une exploitation familiale moyenne (10-50 ha), qui ne peut se moderniser que très lentement16. Par ailleurs, devenu moins nombreux17, le monde paysan perd de son pouvoir politique. Les autorités publiques semblent désormais davantage préoccupées par l’inflation et le pouvoir d’achat des populations urbaines. Bientôt, la seconde guerre mondiale éclate. Les conditions de production se détériorent. 500 000 agriculteurs sont faits prisonniers, les chevaux et le carburant sont réquisitionnés. L’approvisionnement en engrais et en produits phytosanitaires est pratiquement interrompu. La surface cultivée diminue et la production chute de façon spectaculaire18. Amputée par les exportations imposées par l’Allemagne, cette production doit de surcroît être vendue à des prix trop faibles pour encourager la livraison des produits agricoles sur les circuits officiels. Des filières d’approvisionnement parallèles se développent, sur lesquels les prix sont parfois multipliés par cinq. Les citadins pensent, avec rancœur, que les paysans en profitent. I.3.b. Mais une culture paysanne prise au piège d’un sentier de dépendance. 14 Entre 1914 et 1918, la France connait des taux d'inflation annuels proches de 20 %. Malgré une courte pause entre 1921 et 1922, l’inflation ne sera véritablement maîtrisée qu'avec la politique de stabilisation monétaire menée par Poincaré en 1926 (Asselain J.C. et al., 2002) 15 Entre 1931 et 1935, le prix du blé diminue ainsi de 50% (A. Moulin, 1988). Parallèlement, la législation renforçant les assurances sociales dés 1928 et les hausses de salaires instituées par le Front Populaire en 1936 enchérissent la main d’œuvre, alors que celle-ci représente un coût de production déterminant dans l’agriculture. Aussi, même si l’Etat garantit un prix minimum pour le blé, rachète les excédents et tente de barrer l’entrée du marché agricole, le revenu moyen des paysans s’écarte peu à peu du revenu moyen global. 16 Dés 1892, l'exode des journaliers et des métayers contribuent à diminuer le nombre de grandes fermes (supérieures à 100 hectares). Ce sont les exploitations moyennes qui s’en sortent le mieux en comptant sur la main d’œuvre familiale. 17 Dés 1925, les actifs agricoles représentent moins de 50% de la population active française ; leur part ne sera plus que de 36% dix ans plus tard. (A. Moulin, 1988). 18 Entre 1938 et 1944, les productions de lait et de blé baissent ainsi respectivement de 30% et de 20%. La production de pomme de terre, traditionnellement ancrée, dans la zone occupée chute de 40% (A. Moulin, 1988. 9 Malgré tous les évènements qui secouent le monde paysan au début du XXe siècle, les campagnes s’efforcent de maintenir l’organisation productive sur lesquels s’est construite la culture paysanne, à la fin du XIXe siècle, et qui a permis au monde paysan de se montrer, jusque là, suffisamment uni face aux politiques, pour obtenir de nombreuses mesures de protection. Mais la première guerre mondiale semble sonner le glas de cet environnement. Elle montre en effet les carences d’une organisation productive qui ne s’est pas suffisamment modernisé. Par ailleurs, l’inflation et la démographie rurale contribuent à éloigner les campagnes des attentions politiques. Elles attirent même, de la part de la société globale, des regards accusateurs. Les paysans n’ont-ils pas profité des circonstances politiques pour éluder la modernisation que nécessitait la garantie d’une autosuffisance alimentaire ? Si nous avons précédemment défini la culture paysanne comme une véritable institution, il est difficile de ne pas opérer, ici, de parallèle avec l’analyse northienne du sentier de dépendance (path dependence). Les caractéristiques qui définissaient la population rurale et son environnement politico-économique au XIXe siècle ont en effet fait naître une culture du travail agricole, définie de façon à réduire les coûts des paysans face à la mondialisation et à l’industrialisation ; elle a permis de préserver leurs droits de propriété et d’optimiser leur situation dans un environnement donné. En 1914 pourtant, cet environnement change. Les traits qui caractérisaient la culture paysanne, en particulier l’importance accordée au travail de l’homme, ne sont plus adaptés. Mais le changement implique un effort de modernisation qui semble tellement coûteux qu'il est refusé, tant que le monde rural ne perçoit pas l’importance des gains à en retirer. Sur un marché peu concurrentiel, les agents ne sont en effet pas incités à investir dans de nouvelles façons de fonctionner (North,1981, 2005). Si les techniques modernes font leur percée dans le monde agricole avant la première guerre mondiale, de nombreuses fermes refusent donc de revoir leurs méthodes de travail, lorsque le machinisme remet en cause la place de l'Homme dans l’organisation du travail, un des piliers de la culture paysanne. Au début des années 20, l’Etat se lance pourtant dans un vaste programme de modernisation, fondé notamment sur l’électrification. Mais, vingt ans plus tard, si la quasi-totalité des communes est électrifiée, de nombreuses fermes isolées sont oubliées et l’utilisation de l'électricité dans les exploitations demeure encore relativement faible. On accuse le paysan de s’opposer à la modernité. Mais c’est un fait, dés les années 20, la paysannerie connaît des difficultés qui ne peuvent pas être résolues au seul moyen de l'électricité. La chute des prix agricole fait monter la colère dans les campagnes et de nombreux mouvements19, espèrent à nouveau fédérer les différents acteurs du monde rural pour faire entendre leur voix .La culture paysanne telle qu’elle a été instituée à la fin du XIX e tente de s’imposer à nouveau. Le terme de « paysan est exploité, à différentes fins, par les différents courants politiques. En 1940, le gouvernement de Pétain présente ainsi le monde rural comme le fondement de la société, et crée une organisation, la Corporation paysanne, pour assurer son 19 Notons, par exemple, le Parti Agraire et Paysan Français (1927), le Conseil Paysan Français (1927), la Confédération Générale des Paysans Travailleurs (1929), la Jeunesse Agricole Catholique (1929), la Confédération Nationale Paysanne (1933)…Jusqu’au dorgerisme et ses chemises vertes (1929) 10 unité et de défendre ses intérêts20. Dans les faits cependant, les attentions de l’Etat s’avèrent bien trop superficielles, pour faire face aux nombreuses difficultés que connaît le monde rural. Sans véritable appui, le monde rural comprend qu’il doit évoluer… II. L’évolution de la culture paysanne : de 1950 à aujourd’hui Enfermée dans un sentier de dépendance depuis la fin du XIXe siècle, la culture paysanne amorce un processus de réelle restructuration, à la fin de la seconde guerre mondiale. Si cette évolution peut être analysée comme le sentier emprunté par une institution informelle, contrainte d’évoluer sous l’influence de différents facteurs, ce chemin semble cependant bien loin d’être linéaire. II.1. 1950 : une indispensable modernisation et une nouvelle unité culturelle Comme toute évolution institutionnelle, l’évolution de la culture du travail agricole semble déterminée par de nombreux facteurs économiques et historiques. Mais parmi eux, deux semblent particulièrement influents : l’intentionnalité des acteurs économiques et la mutation des droits de propriété. II.1.a. Les conditions du changement : intentionnalité et mutation des droits de propriété. A la fin de la guerre, la France compte de nombreuses pertes humaines et une perte matérielle considérable. Une grande partie du capital foncier est détruit, tandis que le capital financier est considérablement entamé. Soucieux de retrouver au plus vite les conditions d’une indépendance économique, puis d’une réouverture au commerce extérieur, l'Etat instaure donc une nouvelle politique agricole qui, crée de nouvelles incitations et modifie formellement le cadre institutionnel du travail agricole. Pour que l’agriculture devienne plus productive, la modernisation est en effet devenue incontournable. Or celle-ci nécessite un meilleur taux d’équipement et donc un agrandissement des exploitations. Deux évolutions qui correspondent à une mutation importante des droits de propriété21. Pour encourager l’équipement des exploitations, l’Etat modifie tout d’abord le statut du métayage et du fermage22. Il propose également de garantir les débouchés agricole23, afin de montrer aux exploitants qu’ils peuvent prendre le risque de s’équiper, sans craindre pour leurs 20 Cette corporation voit le jour par la loi du 2 décembre 1940 et doit réunir tous les acteurs attachés au travail de la terre : agriculteurs, métayers, journaliers… Cependant, son contrôle par l'Etat affaiblit considérablement sa légitimité (Duby et Wallon, 1976) 21 Les droits de propriété sont considérés par les institutionnalistes, comme un élément fondamental dans construction institutionnelle. Ils définissent en effet la façon dont des actifs peuvent être acquis et mis à profit. Ils conditionnent donc énormément l’efficacité du système d’allocation des ressources. 22 Promulgué le 13 avril 1946, ce statut contribue à protéger le fermier et le métayer, pour les encourager à investir. Il garantit ainsi une durée minimum de sa location de 9 ans, le droit au renouvellement au bail, un droit de préemption en cas de vente du bien loué et enfin, à la fin du contrat de location et en cas de non renouvellement de celui-ci, une indemnité de plus-value qui le dédommage des investissements réalisés sur le bien loué, s'ils ne sont pas encore amortis. 23 En particulier, en 1960, avec le Fonds de Régularisation et d'Orientation des Marchés Agricoles (FORMA) puis le Fonds Européen d'Orientation et de Garantie agricole(FEOGA) 11 revenus. Enfin des coopératives sont conçues pour faciliter l’achat, puis l’usage collectif de matériel24. Par ailleurs, dés 1946, l’Etat organise un transfert de foncier des exploitations les moins performantes vers celles qui semblent montrer les plus fortes marges de gains de productivité et qui peuvent ainsi atteindre une taille critique. Une telle réforme institutionnelle nécessite naturellement l’autorité publique (P. Dockes, 1998). Mais, cette intervention de l’Etat n’est cependant pas une condition suffisante. Pour que les règles du jeu qui régissent le comportement de plusieurs millions d’individus changent, il faut en effet qu’une partie des acteurs concernés, considérés comme des entrepreneurs au sens de Schumpeter, soutiennent ce changement. Il faut non seulement qu’ils aient réellement l’intention de modifier leur comportement, mais il faut aussi qu'ils aient les moyens d’altérer leur environnement institutionnel, pour y imprimer la marque de leurs préférences (North, 2005), qu'ils aient le pouvoir d'imposer cette vision des choses au reste de la population agricole. L’intentionnalité25 des acteurs est effectivement un élémentmoteur du changement institutionnel (North, 1993). Si l’on considère la culture du travail agricole comme une véritable institution depuis la fin du XIXe siècle, force est de constater qu’elle ne s’apprête effectivement à changer qu’à la fin de la seconde guerre mondiale, sous l’influence de jeunes agriculteurs issus de régions où l'accès au foncier est devenu difficile26. Ces jeunes agriculteurs ne correspondent certes plus aux notables qui avaient formé les premiers syndicats agricoles, pour faire entendre les intérêts du monde rural dans les plus hautes sphères administratives. Il s’agit au contraire de moyens exploitants, souvent issus de la Corporation, qui formeront, dés 1954, le Centre National de Jeunes Agriculteurs (CNJA)27, et qui se montrent très actifs pour promouvoir l’entreprise agricole et inciter les exploitations à s’agrandir. En employant plus particulièrement la notion de superficie minimum d’installation28, ils parviennent ainsi à réorganiser les droits de propriété pour libérer des terres à destination des agriculteurs capables de se moderniser29. Comme tout changement institutionnel, cette redistribution des droits de propriété n'est pas neutre, car elle se réalise naturellement au détriment de certains propriétaires (North, 2005), mais elle se fonde sur un assez large consensus auprès des agriculteurs moyens qui encouragent l’exode agricole en espèrant pouvoir ainsi s’agrandir (De Crisenoy, 1988). , II.1.b. Une culture du travail agricole tournée vers l’entreprenariat et la productivité L'augmentation de la taille des exploitations facilite naturellement la mécanisation30. L'agriculture profite également des innovations de l'industrie qui redécouvre les agriculteurs 24 On peut naturellement songer ici aux Coopératives d’Utilisation de Matériel Agricole La nature de l’intentionnalité demeure, chez North, une question fondamentale Elle semble dépendre de la façon dont les agents perçoivent les problèmes qu’ils rencontrent et entendent y répondre. Elle dépend donc naturellement de leur rationalité (North, 1993), c’est-à-dire de leur capacité à retenir la solution qui leur semble la plus satisfaisante et permet d'intégrer des caractéristiques spécifiques aux individus, telles que leurs objectifs ou leurs dotations en information (Chabaud, Parthenay et Perez 2005). 26 On dénombre alors de nombreuses petites exploitations fondées principalement sur l’élevage. 27 Puis la FNSEA en 1960 28 En dessous d'une superficie définie, par arrêté ministériel pour chaque département,, les exploitants sont incités à prendre leur retraite ou à changer d'activité. 29 Pour éviter la surenchère des gros exploitants sur ces terres libres, l’Etat permet même aux syndicats, par le biais de la SAFER ou de la loi complémentaire de 1962, de contrôler le marché foncier en leur accordant un droit de préemption en cas de vente. 30 De 1938 à 1955, les tracteurs passent de 35.000 à 305.000 et il y en aura encore un million de plus, vingt ans plus tard (Moulin, 1988). 25 12 comme des clients à séduire : engrais, pesticides, amélioration biologique des variétés végétales et animales ne tardent pas à se traduire par un rendement accru des surfaces cultivées (Bairoch, 1988). Ces différentes innovations modifient considérablement le travail agricole, mais en soutenant la production industrielle, elles favorisent également encore l’exode agricole et donc la concentration des terres en des exploitations de plus grande taille. Cet exode rural est certes voulu par l'Etat et les syndicats agricoles qui défendent l'idée d'une productivité fondée sur de plus grandes exploitations, mais il teinte immanquablement l'évolution de la culture paysanne, puisque ceux qui demeure attachés à la terre ne constituent plus tout la même population qu'avant la guerre. Les plus petits exploitants sont partis et ceux qui restent ne sont plus forcément animés par le même idéal de stabilité et de conservatisme. Au contraire, les jeunes agriculteurs ont à coeur de moderniser l'agriculture et de l'inscrire dans la course au rendement qui marque les "Trente Glorieuses". Il s'agit alors d'être reconnu, non plus comme des paysans, mais véritablement comme des chefs d'entreprise, mobilisant de réelles connaissances théoriques et techniques au même titre que d'autres entrepreneurs, dans d'autres secteurs économiques. Cette parité entre l'agriculture et les autres secteurs d'activité est d'ailleurs clairement affirmée, dans le premier article de la loi d’orientation agricole du 5 août 1960. Elle est censée correspondre également à un même niveau de revenu. Peu à peu, le terme de paysan est donc rejeté, au profit de l "exploitant", de l"agriculteur", ou de "l'entrepreneur agricole"... (Mayaud 2002). Comme à la fin du XIXe, l'unité culturelle du travail agricole s’affirme bien plus professionnelle que territoriale. Il faut souligner qu’elle est en grande partie fondée sur l’activité des syndicats qui semblent aisément pouvoir faire évoluer les règles du jeu (Hervieu et alii., 2010). Mais ces acteurs sont-ils suffisamment représentatifs du monde rural ? Rien n’est moins sûr. Dès la fin de la guerre et jusqu’en 1961, la majorité des représentants élus au sein de ces syndicats agricoles proviennent en effet de la Corporation Paysanne et intègrent donc naturellement l’idée d’une participation active de l’Etat dans leur activité. C’est le début de la cogestion. Ce pouvoir politique n’est cependant pas pleinement désintéressé (North, 2005). Faisant évoluer la culture paysanne vers plus de professionnalisme et plus de politique, il ne garantit donc pas que ce changement institutionnel soit effectivement la solution la plus efficace, pour répondre aux difficultés de l’agriculture (Prévost 2010) II.2. La culture paysanne au cœur de nouvelles mutations : 1970-1990 Interagissant couramment avec les autorités publiques, les syndicats agricoles contribuent à définir une culture paysanne de plus en plus professionnelle et politique. Il s’agit certes de défendre au mieux les intérêts des agriculteurs, mais la montée des coûts de transaction semble appeler un véritable changement institutionnel, une évolution différente, de la culture paysanne. II.2.a. La culture paysanne : une institution confrontée à des coûts de transaction croissants : 1970-1990 Avec le ralentissement de la croissance au début des années 70, le travail économisé grâce aux gains de productivité agricole ne parvient plus à se réallouer, aussi facilement qu'avant, dans des secteurs industriels, désormais en crise. L’exode rural, qui apparaissait jusque-là indispensable, devient donc inquiétant et l'Etat préfère encourager l’installation des 13 jeunes agriculteurs, pour maintenir un modèle d’exploitation familiale moyenne qui n’est pas remis en question. Contraints, pour survivre, de toujours rechercher une productivité croissante, les agriculteurs doivent cependant, pour s’installer, justifier d’une formation professionnelle toujours plus exigeante, et adopter de plus en plus, des processus de production standardisés et industrialisés. Cette professionnalisation croissante du travail agricole détermine naturellement la culture paysanne. Cette professionnalisation et le modèle de production agricole qu’elle retient commence cependant à poser question. Les externalités négatives du productivisme agricole, sur l’environnement ou la structure sociale des territoires, suscitent en effet de plus en plus d'interrogations au sein de la population et des autorités publiques31. Par ailleurs, la rentabilité du capital semble étouffer et exiger des débouchés plus larges (Bertrand, 1983). Quantitativement, l’agriculture peut s'ouvrir aux marchés extérieurs : la logique productiviste qu’elle suit depuis près de vingt ans dégage des excédents. Mais la forte productivité du travail ne suffit pas à compenser l’augmentation des coûts de production et si l’Etat garantit des prix suffisants aux agriculteurs français32, les marchés extérieurs semblent beaucoup moins généreux (Allaire et Boyer,1995). Alors que la présence des syndicats agricoles dans les mouvances politiques a permis à l’agriculture d’évoluer dans un marché relativement protégé jusqu’à la fin des années 60, l’importance des coûts de transaction qui caractérisent le marché agricole au début des années 80 appelle, de toute évidence, un changement institutionnel. Mais la culture paysanne semble avoir bien des difficultés à sortir de ce nouveau chemin de dépendance. II.2.b. La multi-fonctionnalité : la remise en cause d’une identité Face aux coûts de transaction croissants qui rendent de plus en plus difficile, non seulement les échanges entre l'agriculture française et les marchés extérieurs, mais aussi les échanges entre l'agriculture française et le reste de la société, L’Etat comprend la nécessité d'intervenir (Rollinat, 1997). Il faut que dire que l'agriculture pèse de plus en plus sur le budget. Dés 1984, l’Etat français décide donc de limiter son soutien tarifaire en compensant par des aides directes aux producteurs et d'encourager une réduction de l’offre, en mettant en œuvre des droits à produire, tels que les quotas laitiers, répartis de telle façon que l’ensemble du territoire soit utilisé par des exploitations familiales (Barthélemy, David, 1999). Un an plus tard, en 1985, la Commission Européenne s’effraie également des excédents structurels et du poids de l’agriculture dans le budget européen. Elle suggère de rapprocher les prix agricoles européens des prix mondiaux. En 1986, avec l’ouverture de l’Uruguay Round, le besoin de s’adapter à l’ouverture des échanges se fait encore plus pressant. Aucun accord ne peut en effet être conclu, avant la fin du cycle de négociation. L'Europe comprend qu’elle réformer le secteur agricole. En 1992, la Politique Agricole Commune oblige donc les agriculteurs à geler une partie de leurs terres, 31 La population française, ayant de moins en moins d'attache avec le monde agricole, se désolidarise de lui, lorsqu'il faut trouver un responsable aux pollutions de l'environnement, tandis que l'Etat affirme ses préoccupations environnementales, dés 1971, en créant le premier Ministère de l’Environnement en France, et que l’Europe réfléchit déjà aux conséquences de l’activité agricole sur la qualité des eaux. 32 Au moment où les cours du pétrole et des monnaies se montrent particulièrement volatils, les gouvernements français doivent envisager une politique de désinflation. Seuls les prix agricoles demeurent administrés par les différents ministres de l'Agriculture européens. 14 encourage des mesures agri-environnementales et officialise une baisse des prix agricoles, qu’elle tente de compenser par des aides directes. Les agriculteurs s’inquiètent. Le gel des terres leur semble absurde et le contrôle qu’on leur impose pour bénéficier des aides leur pèse33. Cette réforme accomplie, l’Europe peut cependant reprendre les négociations internationales et, affichant les efforts consentis, peut s’attacher à limiter l'accès des produits extérieurs à son marché agricole (De Gasquet, 2002). Pour justifier ce protectionnisme, l’Union européenne tente en effet de démontrer que l'agriculture n’est pas un secteur de production comme les autres. A la fois productrice de biens et de services, elle est un facteur essentiel dans l’aménagement du territoire et la préservation de l’environnement. Elle est " multifonctionnelle". Pour donner de la crédibilité à cette stratégie, le Règlement relatif au Développement Rural complète la Politique Agricole Commune et incite les agriculteurs à revoir leur organisation pour se tourner davantage vers des actions environnementales plus rémunératrices. L’attribution des aides est désormais soumises à des conditions nouvelles, liées au respect de l’environnement, des animaux, et de la santé publique. Dans un contexte politique qui commence à condamner la surexploitation des ressources naturelles, la multi-fonctionnalité de l’agriculture est entérinée par le Conseil européen de Göteborg en juin 2001 et est également reconnu dans les débats à l'OMC. La multifonctionnalité justifie donc le souci des Etats de protéger l'agriculture et donne désormais à l’agriculteur, une nouvelle légitimité sociale en le présentant comme un acteur véritablement préoccupé de développement durable et de sécurité alimentaire. Mais cette nouvelle orientation correspond à un véritable changement institutionnel qui ne va pas forcément de soi. Les agriculteurs ont en effet l’impression qu’on leur demande de changer d'identité, de métier : de producteurs intensifs, ils doivent désormais, sur commandes d’administrations françaises ou européennes, se montrer comme des aménageurs de territoires, préoccupés d’écologie (Maynaud, 2010)… Avec une interrogation supplémentaire: sont-ils les seuls à pouvoir véritablement investir le rural de cette façon ? Et si non, que devient leur identité ? II.3. La culture paysanne aujourd’hui. Face à cette évolution commanditée de l'agriculture vers la multifonctionnalité, le monde agricole hésite. Montrant une certaine dépendance au sentier productiviste défini dans l'après-guerre, la culture paysanne évolue ainsi lentement vers une identité plus territoriale que professionnelle et reflète finalement toute la complexité du travail agricole. II.3.a Le travail agricole sur un nouveau sentier de dépendance ? Lors de la Conférence de Cancun, en 2003, les pays exportateurs de produits agricoles34 estiment que la multi-fonctionnalité de l'agriculture n’est qu’une feinte des pays riches, pour justifier leurs soutiens à l'agriculture. Face à ses protestations, l'OMC réaffirme donc la nécessité de libéraliser les marchés. L’Union européenne tente alors d'intégrer son agriculture au marché mondial, mais la diversité des agricultures européennes l’oblige à laisser une certaine marge de manœuvre aux Etats membres. Certains (Royaume Uni, Allemagne) vont 33 Pour obtenir les aides promises par l’Europe, les agriculteurs doivent en effet déclarer, chaque année, l’importance de leurs surfaces, la nature des cultures implantées, et ils risquent des pénalités en cas de déclaration erronée ou tardive. 34 En particulier le G 21, constitué notamment du Brésil, de la Chine, de l’Inde, et de, l’Afrique du Sud 15 alors concevoir l’ouverture à la concurrence comme une obligation faite aux organisations agricoles d’investir dans la connaissance et de s’orienter vers nouveaux modes de production , mais d'autres, dont la France tenteront de limiter au maximum l’impact de ce règlement, pour maintenir un modèle de production datant des années 60 (Boinon et al., 2007), refusant ainsi de modifier leurs perceptions des choix qui s’offrent à eux, modification qui semblent au cœur du changement institutionnel (North, 1992) Comme au XIXe siècle, les syndicats agricoles majoritaire semblent jouent un rôle déterminant dans ce refus, tentant de maintenir à tout prix, une culture qui, telle qu'elle s'est reconstruire après la seconde guerre mondiale, montre ses limites quand il s'agit de défendre aujourd'hui les intérêts des agriculteurs. Mais cette culture justifie leur pouvoir politique. Pour expliquer cet immobilisme, ce sentier de dépendance (« path dependence »), nous pourrions donc évoquer "l'imperfection des marchés politiques » déjà soulignée par North (1990). Certes, les services agricoles se développent depuis 1992, laissant penser que l’agriculture change de logique (Allaire et Boyer, 1995), mais ils ne remettent pas tant en cause le cadre institutionnel de l'agriculture fondé sur le fordisme et la co-gestion des années cinquante. Si ces services agricoles recouvrent en effet de nouvelles activités reliant plus directement les agriculteurs aux consommateurs (tourisme vert, vente de produits locaux35…), ils incluent également les services rendus aux industries agro-alimentaires (différenciation des produits,…) et les services demandés par les agriculteurs eux-mêmes, pour accroître leurs productivité (services vétérinaires, matériel et travaux agricoles, informatique…) 36. Rien ne garantit donc que l'importance croissante de ces services signe la fin d'une agriculture productiviste (OCDE, 2001, Gaignette et Nieddu, 2000). Ces services sont parfois davantage envisagés, par les partenaires de l'OMC, comme une tentative de s’affranchir de la concurrence internationale (Valceschini, Mazé, 2000). Dans un contexte où l'on tente de concevoir la production agricole à un niveau mondial et urbain (Hervieu et alii, 2010), l'exploitation d'une nouvelle demande des consommateurs, la mise en place de labels, les contrôle d'appellations des produits alimentaires peuvent effectivement être un moyen de résister et de "relocaliser" les productions. II.3.b. Un nécessaire changement institutionnel. Si le développement des services n'annonce donc pas forcément une révolution du travail agricole, il montre cependant l'avènement de nouvelles relations entre les consommateurs, les agriculteurs, les industriels de la transformation et les autres producteurs de services (vétérinaires, informatiques, agricoles…). Or ces nouvelles relations d'échange appellent certainement une révision des modes de coordination, donc de nouvelles règles institutionnelles, pour réduire les situations d'incertitudes, les coûts de transaction inhérents à cette nouveauté. Quelle forme peut alors prendre ce changement institutionnel ? Comment peut-il s'opérer et sur quels acteurs peut-il s'appuyer ? Les syndicats ont joué un rôle décisif la construction institutionnelle de la culture paysanne. Le changement institutionnel ne peut donc manquer de les toucher. L’unité 35 Si le nombre d’exploitations agricoles offrant ces services a augmenté depuis 1980, elles ne représentent encore qu'une part limitée des exploitations françaises animées par des agriculteurs relativement jeunes et dotés d'un niveau de formation supérieur à la moyenne. (Agreste, 2008) 36 Voir D. Galliano (2000) et L. Hébrard 2001 16 syndicale qui avait fondé l'unité paysanne à la fin du XIXe siècle et pendant les Trente Glorieuses", semble déjà être plus fragile. Dés le mois de mai 1982, lorsque plusieurs milliers d’agriculteurs se réunissent dans les régions, pour manifester leur difficultés et faire reconnaître leur diversité, puis en 2001, lorsque la Cour des Comptes souligne les carences de l’Association Nationale pour le Développement Agricole, les autorités prennent effectivement conscience que la réalité complexe du monde rural n’est pas suffisamment représentée dans les syndicats majoritaires agricoles. Aujourd'hui, les financements publics reconnaissent une pluralité d'organismes agricoles qui défendent, tous, différentes représentations de l'agriculture. Représentant des entrepreneurs aux intérêts divergents, ces syndicats spécialisés ne semblent donc plus travailler à une culture paysanne commune. Si ces multiples identités professionnelles ne semblent plus pouvoir faire corps dans une unique figure paysanne, doit-on cependant conclure à un éclatement de la culture paysanne ? Peut-être pas. Si l'on peut sans doute distinguer aujourd'hui plusieurs mondes agricoles qui coexistent, et si l'exploitation familiale n'est plus la structure de production fondamentale d'antan, force est de constater que "la dimension familiale reste dominante", en agriculture (Hervieu, 2010) et c'est sans doute sur cet axe que demeure la culture paysanne. Même si, naturellement la famille a bien changé, elle semble en effet rester au cœur du travail agricole, comme si le travail de la terre ne pouvait pas se concevoir sans un minimum d'affectivité. Contrairement au XIXe et au XXe siècle, la culture paysanne pourrait donc aujourd'hui se reconstruire sur cette solidarité-là, sur un attachement commun à la famille et une terre (Lacombe et Delord, 1990). L'institution deviendrait alors moins professionnelle, mais davantage axée sur une notion de territoire. Conclusion : Si l'on peut définir une institution comme un ensemble de règles, même informelles conçues pour limiter les coûts de transactions et faciliter la coordination des agents (North et Common, 1992), la culture du travail agricole nous semble bien pouvoir être considérée comme telle : une institution informelle liées à un groupe particulier, une identité reliée au travail de la terre et conçue comme une règle du jeu particulière, permettant à différents acteurs du monde rural de s’unir pour défendre leurs intérêts. Portée en gestation pendant des siècles, elle n’apparaît cependant qu’au 19e siècle : elle représente alors une construction institutionnelle censée répondre au développement de coûts de transactions trop lourds pour le monde rural, lorsque la révolution économique impose une nouvelle division du travail. En considérant la culture paysanne comme une institution informelle, on peut alors porter un nouvel éclairage sur son histoire, composée de périodes d’évolution et de dépendance au sentier. Les évolutions sont souvent rendues nécessaire par des phénomènes exogènes tels que la guerre, l'ouverture au commerce extérieur et la croissance des coûts de transaction, mais elles dépendent également de l'intentionnalité des agents, de leur volonté de modifier leurs comportements pour répondre aux nouvelles opportunités qui apparaissent dans leur environnement. Ainsi, lorsque les acteurs du monde rural ne perçoivent pas les gains à attendre d'un tel changement, l'institution n'évolue pas. La culture paysanne s'enferme ainsi, à plusieurs reprises dans une dépendance au sentier (path dependency) dont elle ne sort qu'avec douleur, après la seconde guerre mondiale et au cours des années 1990-2000. 17 Parce qu'il s'agit d'une institution informelle, la culture paysanne a besoin de temps pour changer. Le changement n'interviendra que lorsque des acteurs ayant un pouvoir suffisant (en nombre, en pouvoir de négociation…) perçoivent qu'une réorganisation des échanges pourraient être bénéfiques, en particulier lorsqu'il s'agit de faire face à une concurrence accrue (North, 1992). Ces agents qui soutiennent ainsi le changement institutionnel peuvent être des individus (par exemple les jeunes agriculteurs des années 50) ou des organisations (syndicats, Etat). Dans les deux cas cependant, ces moteurs du changement porteront des représentations particulières du monde et les imposeront à travers les nouvelles formes contractuelles, les nouvelles règles qu'ils proposent. Le changement institutionnel, et plus précisément l'évolution de la culture paysanne, ne garantit donc une solution socialement efficace; il traduit simplement un mode d'adaptation des acteurs et de leurs représentations à un environnement changeant, en fonction de la perception d'agents-moteurs et d'organisations disposant suffisamment d'autorité. Si l'on considère la culture du travail agricole comme une véritable institution en pleine évolution, nous ne manquerons donc de souligner sa trajectoire non linéaire. Après avoir vanté les gains de productivité d'entrepreneurs agricoles ultra-modernes, on semble ainsi sacraliser le paysan et ses chevaux…Pourtant, un pilier semble demeurer inébranlable dans la culture paysanne : c'est l'attachement au territoire et à la famille (Lacombe et Delord, 1990). Notes 1 1. Discours prononcé lors de la Séance Publique de la Société d’Agriculture de Mâcon, le 1 er septembre 1839. Lamartine est alors député et Président du Conseil Général de Saône et Loire 1 On retiendra, à titre d’exemple, M. Weber (1923), C. Levi-Strauss (1958), G. Hofstede (1993) ou encore F. Trompenaars et P. Woolliams (2003). 1 F. Demier (2000) précise qu'en "1840, 75% des français sont ruraux et parmi eux, les trois quarts vivent du travail de la terre". 1 Nous reprendrons ici la sémantique northienne pour définir une institution comme un ensemble de règles formelles (lois, statuts...) ou informelles (tabous, conventions,...) conçues pour limiter les coûts de transactions et faciliter la coordination des agents. (North et Common, 1992). 1 Contrairement aux cadres d'analyse proposés par O. Williamson (1994), M. Granovetter (2005) ou K.Polanyi (1983), North nous permet de sortir d’une ancestrale opposition entre le marchand et le non marchand, qui ne nous semble plus refléter pleinement la réalité des interactions humaines. Selon nous, l'Etat ne peut pas être présenté uniquement comme une force opposée au marché : même chez les Classiques (Ricardo, 1817), il intervient lorsque le marché est menacé. Son autorité (« enforcement ») peut donc tout à fait être complémentaire aux mécanismes marchands, par exemple quand il veille à la bonne exécution des contrats ou à la limitation des monopoles. 1 On peut ici se référer à la définition qu’en donne P. Larousse (1876) ou à la façon dont les frères Goncourt évoquent les « paysans » dans leur Journal (1892). 1 Plusieurs écrivains, tels que G. Sand, dépeignent ainsi le paysan comme l’archetype de l’homme droit et fiable. 1 On étend donc la surface cultivée et on redécouvre des techniques anciennes, telles que l’assolement 1, qui demeurent moins coûteuses que les dernières innovations industrielles (engrais ou machine)s... Dés 1840, la production agricole augmente fortement. J.C. Toutain (1993) retient ainsi une croissance annuelle de la production agricole de 7,1% entre 1840 et 1890. 1 L’agriculture française bénéficie ainsi de mesures protectionnistes pendant toute la première moitié du XIX e siècle. Sous l’impulsion de nobles « agromanes », elle profite de ce rempart protecteur, pour développer de nouvelles cultures (betterave, pomme de terre), de nouvelles techniques (chaulage…) qui contribuent à augmenter la productivité agricole de telle façon qu'elle peut compenser la baisse des prix pour assurer aux agriculteurs un revenu croissant jusqu'en 1879 (Duby et Wallon, 1976). 1 L’amélioration des transports facilite sensiblement l'acheminement de produits agricole concurrents (EtatsUnis, Russie…). Or face à cette concurrence, les progrès réalisés dans l’agriculture française, majoritairement constituée de petites exploitations, sont bien trop faibles et le solde des échanges agricoles s’avère rapidement déficitaire pour de nombreuses denrées telles que les céréales ou le sucre. (Duby et Wallon, 1976) 1 F. Braudel (1979) décrit l'évolution de l'économie par un schéma tripartite fondé sur une économie "horsmarché", puis sur un marché des petits producteurs avant de devenir un véritable marché capitaliste, chacun de ces systèmes étant caractérisé par une organisation particulière de la production et une attitude spécifique. 18 1 Pour une analyse du syndicalisme agricole, voir J. Vercherand, 2009. L’importance donnée au vote rural lors des élections de 1889 conduit ainsi la France à revenir vers des mesures très protectionnistes, en particulier le tarif « Méline », qui dés 1892 est l’un des plus élevés au monde. 1 Entre 1914 et 1918, la France connait des taux d'inflation annuels proches de 20 %. Malgré une courte pause entre 1921 et 1922, l’inflation ne sera véritablement maîtrisée qu'avec la politique de stabilisation monétaire menée par Poincaré en 1926 (Asselain J.C. et al., 2002) 1 Entre 1931 et 1935, le prix du blé diminue ainsi de 50% (A. Moulin, 1988). Parallèlement, la législation renforçant les assurances sociales dés 1928 et les hausses de salaires instituées par le Front Populaire en 1936 enchérissent la main d’œuvre, alors que celle-ci représente un coût de production déterminant dans l’agriculture. Aussi, même si l’Etat garantit un prix minimum pour le blé, rachète les excédents et tente de barrer l’entrée du marché agricole, le revenu moyen des paysans s’écarte peu à peu du revenu moyen global. 1 Dés 1892, l'exode des journaliers et des métayers contribuent à diminuer le nombre de grandes fermes (supérieures à 100 hectares). Ce sont les exploitations moyennes qui s’en sortent le mieux en comptant sur la main d’œuvre familiale. 1 Dés 1925, les actifs agricoles représentent moins de 50% de la population active française ; leur part ne sera plus que de 36% dix ans plus tard. (A. Moulin, 1988). 1 Entre 1938 et 1944, les productions de lait et de blé baissent ainsi respectivement de 30% et de 20%. La production de pomme de terre, traditionnellement ancrée, dans la zone occupée chute de 40% (A. Moulin, 1988. 1 Notons, par exemple, le Parti Agraire et Paysan Français (1927), le Conseil Paysan Français (1927), la Confédération Générale des Paysans Travailleurs (1929), la Jeunesse Agricole Catholique (1929), la Confédération Nationale Paysanne (1933)…Jusqu’au dorgerisme et ses chemises vertes (1929) 1 Cette corporation voit le jour par la loi du 2 décembre 1940 et doit réunir tous les acteurs attachés au travail de la terre : agriculteurs, métayers, journaliers… Cependant, son contrôle par l'Etat affaiblit considérablement sa légitimité (Duby et Wallon, 1976) 1 Les droits de propriété sont considérés par les institutionnalistes, comme un élément fondamental dans construction institutionnelle. Ils définissent en effet la façon dont des actifs peuvent être acquis et mis à profit. Ils conditionnent donc énormément l’efficacité du système d’allocation des ressources. 1 Promulgué le 13 avril 1946, ce statut contribue à protéger le fermier et le métayer, pour les encourager à investir. Il garantit ainsi une durée minimum de sa location de 9 ans, le droit au renouvellement au bail, un droit de préemption en cas de vente du bien loué et enfin, à la fin du contrat de location et en cas de non renouvellement de celui-ci, une indemnité de plus-value qui le dédommage des investissements réalisés sur le bien loué, s'ils ne sont pas encore amortis. 1 En particulier, en 1960, avec le Fonds de Régularisation et d'Orientation des Marchés Agricoles (FORMA) puis le Fonds Européen d'Orientation et de Garantie agricole(FEOGA) 1 On peut naturellement songer ici aux Coopératives d’Utilisation de Matériel Agricole 1 La nature de l’intentionnalité demeure, chez North, une question fondamentale Elle semble dépendre de la façon dont les agents perçoivent les problèmes qu’ils rencontrent et entendent y répondre. Elle dépend donc naturellement de leur rationalité (North, 1993), c’est-à-dire de leur capacité à retenir la solution qui leur semble la plus satisfaisante et permet d'intégrer des caractéristiques spécifiques aux individus, telles que leurs objectifs ou leurs dotations en information (Chabaud, Parthenay et Perez 2005). 1 On dénombre alors de nombreuses petites exploitations fondées principalement sur l’élevage. 1 Puis la FNSEA en 1960 1 En dessous d'une superficie définie, par arrêté ministériel pour chaque département,, les exploitants sont incités à prendre leur retraite ou à changer d'activité. 1 Pour éviter la surenchère des gros exploitants sur ces terres libres, l’Etat permet même aux syndicats, par le biais de la SAFER ou de la loi complémentaire de 1962, de contrôler le marché foncier en leur accordant un droit de préemption en cas de vente. 1 De 1938 à 1955, les tracteurs passent de 35.000 à 305.000 et il y en aura encore un million de plus, vingt ans plus tard (Moulin, 1988). 1 La population française, ayant de moins en moins d'attache avec le monde agricole, se désolidarise de lui, lorsqu'il faut trouver un responsable aux pollutions de l'environnement, tandis que l'Etat affirme ses préoccupations environnementales, dés 1971, en créant le premier Ministère de l’Environnement en France, et que l’Europe réfléchit déjà aux conséquences de l’activité agricole sur la qualité des eaux. 1 Au moment où les cours du pétrole et des monnaies se montrent particulièrement volatils, les gouvernements français doivent envisager une politique de désinflation. Seuls les prix agricoles demeurent administrés par les différents ministres de l'Agriculture européens. 1 Pour obtenir les aides promises par l’Europe, les agriculteurs doivent en effet déclarer, chaque année, l’importance de leurs surfaces, la nature des cultures implantées, et ils risquent des pénalités en cas de déclaration erronée ou tardive. 1 En particulier le G 21, constitué notamment du Brésil, de la Chine, de l’Inde, et de, l’Afrique du Sud 1 19 1 Si le nombre d’exploitations agricoles offrant ces services a augmenté depuis 1980, elles ne représentent encore qu'une part limitée des exploitations françaises animées par des agriculteurs relativement jeunes et dotés d'un niveau de formation supérieur à la moyenne. (Agreste, 2008) 1 Voir D. Galliano (2000) et L. Hébrard 2001 Bibliographie AGRESTE, (2008) "Enquête sur la structure des exploitations en 2000 et 2007", Agreste Chiffres et Données Agriculture, n° 201. 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