A Rome à pied : Joie du pèlerin abandonné dans l

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A Rome à pied : Joie du pèlerin abandonné dans l
A Rome à pied : Joie du pèlerin abandonné dans l’église à ciel ouvert
A Philbous, Curban et Yacoub,
à la communauté du Carmel de Lectoure,
à chacun de mes compagnons de route.
CH 1 « Frappez et l’on vous ouvrira » Mt 7 (7)
J’appuie sur le bouton de la sonnette…
- (ton le plus souvent abrupt) Oui, c’est pourquoi ?
- Bonsoir Monsieur. Je m’appelle Pierre.
Je suis pèlerin en route à pied vers Rome et je cherche un endroit abrité pour dormir.
- Désolé, pas la place ! Bonsoir
- Bonsoir, et merci beaucoup.
- (agacé) Ce n’est pas la peine de me remercier puisque je ne vous accueille pas !
- Si, parce que vous m’annoncez que je vais trouver mieux plus loin.
- (ton de colère à peine rentrée) Ça m’étonnerait, et puis vous ne savez pas ce que je peux
offrir.
- Je suis sûr que ce que vous pouvez offrir est très bien, mais ce soir, la providence a prévu
quelque chose de mieux pour moi.
- (franchement agacé) Incroyable !
- Mais non, ce n’est simplement pas chez vous que je dois aller.
On approche de Noël, regardez Joseph la veille de Noël, il frappe à la porte de toutes les
auberges cherchant un abri pour que Marie puisse se reposer car elle est sur le point
d’accoucher. Eh bien, toutes sont complètes ! Pourquoi ?
Tout simplement parce qu’il n’est pas question que Jésus naisse à « l’auberge du lac ». Le Fils
de l’Homme doit naître dans le lieu le plus ordinaire de son temps : sur la paille.
C’est bien la providence de Joseph qui le pousse vers l’étable de Nazareth.
Les aubergistes qui ont refusé de l’accueillir n’ont été que les instruments de la providence de
Joseph. Et vous êtes ce soir instrument de « ma », providence, ce pourquoi je vous remercie,
tout simplement.
Bonsoir et merci encore.
Ce dialogue un peu vif, ou un dialogue dans le même esprit, s’est tenu à de nombreuses
occasions, en France ou en Italie.
Il a toujours été suivi d’une rencontre extraordinaire un peu plus loin. C’est ce qui m’a
confirmé que j’avais été conduit à choisir pour me rendre à Rome la plus puissante et la moins
bruyante des solutions : « la providence ». C’est grâce à elle, et seulement grâce à elle, que
j’ai pu entreprendre ce pèlerinage que je vais maintenant essayer de retracer.
I Préparatifs
CH 2
«… averti en songe, … » Mt 2 (12)
Dans un monde où l’on a tendance à normaliser tout ce qui nous échappe, et où l’on relativise
si facilement tout, je n’ai aucune autre explication à donner sur l’origine de ce projet de
pèlerinage si ce n’est que, comme tant d’entre nous, et depuis des générations, j’ai été averti
en songe, et que j’ai accepté, sans autre explication, cette injonction.
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Ce n’est pas très facile à dire à des esprits avertis, à des gens responsables et sérieux, sans
mettre à dure épreuve sa propre crédibilité, mais je m’y suis fait et vais essayer de raconter la
suite de ce songe.
Je confirme qu’aucune raison, aucun projet, aucun prétexte ne me poussait vers Rome ou
exigeait mon départ de la maison, et que je semblais sain de corps et d’esprit.
Voilà, j’ai donc été averti en songe durant l’été sans même pouvoir dire quand, tant cet
avertissement s’est fait naturellement. J’arrivais au terme d’une superbe et exigeante année de
commis de cuisine dans un restaurant avec le désir d’approfondir une démarche d’abandon
entamée au Pakistan au contact de la fraternité de Charles de Foucaud à Karachi et confirmée
en Afghanistan puis en Libye.
Le danger de « remettre son esprit entre ses mains » comme le dit Jésus - Luc 23 (46) - est
que le Père accepte le « deal », et c’est ce qui est arrivé.
Sans exposer tout le trésor que cette route m’a permis de ramener, je souhaite maladroitement
en partager une petite partie avec ceux qui ont aujourd’hui des difficultés dans un quotidien
rude, avec ceux qui éprouvent la tentation de tout rejeter, avec ceux que broie l’absence
d’espérance.
Bien sûr que je dirai quelques mots des conditions matérielles chaque fois qu’elles conduiront
à la découverte d’une nouvelle richesse, d’une joie ou d’une grâce. Elles n’ont cependant
jamais joué qu’un rôle secondaire par rapport à l’expérience spirituelle dont il est si difficile
de témoigner sans pudeur. Musardez dans les interlignes, vous y trouverez certainement de
quoi alimenter votre propre route.
CH 3 « Ne prenez rien pour la route, ni bâton, ni sac, ni pain, ni argent et n’ayez pas de
tunique de rechange. En quelque maison que vous entriez, restez-y, et de là vous repartirez »
Luc 9 (3, 4)
Je partais à Rome à la rencontre du successeur de Pierre, c’était clair, à pied, parce que c’est le
seul moyen naturel de s’y rendre, mais il restait à « prendre au sérieux l’Evangile » comme
le demanderait le Pape François dans un twitt du 8 novembre…
Je décidai donc de le faire et de partir sans un sou, uniquement accompagné de la providence.
En revanche je prenais un sac minimal imposé par la saison. Il contenait un sac de couchage
et un tapis de sol, une paire de « Crocs », de quoi me changer, quelques médicaments,
quelques affaires de toilettes, lampe, couteau, béret, bonnet, gants, deux petits carnets de
notes, carte d’identité et un téléphone mobile pour être joint par mon épouse, Françoise et
envoyer un twitt de position par jour.
En arrivant à Pessan après 78 jours de voyage, je constaterai que de ce sac tout avait plus ou
moins servi, et rien n’avait manqué.
La balance qui au départ affichait 90 kg sac inclus, en affichait 84 à l’arrivée, après environ
2000 km à pied, et j’avais perdu quelques bourrelets et bien des rides…
Les « diététiciens de la providence », si je les trahissais, seraient sévèrement critiqués et
contestés par l’ensemble des nutritionnistes du moment, mais pourtant leurs résultats ont
dépassé de loin tout ce que la science aurait pu offrir, et tout cela à coût nul…
Mes pieds n’ont rien perdu de leur cambrure, seule ma ceinture arborait fièrement un cran de
plus.
Une première conclusion très partielle s’impose : la providence « assure », bien qu’elle
semble très sous-employée tant j’ai reçu.
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CH 4
« Viens, suis moi » Mc 10 (21)
Compte-tenu du peu de choses à emporter, les préparatifs consistaient essentiellement à
informer la famille, les proches et les amis du projet, à arrêter la date du départ au plus près de
ma fin d’activité au restaurant fixée au 31 octobre, et à mettre en place avec Françoise,
comme ce fût le cas si souvent dans notre vie, les quelques mesures lui permettant de faire
face aux différentes situations du quotidien sans trop de difficultés.
Le départ sera donc le lundi 4 novembre et se fera du Carmel de Lectoure.
Dans mon sac je prenais le « Magnificat » de novembre et ouvrais le premier carnet de notes
en recopiant la prière d’abandon de Charles de Foucaud qui sera suivie de la liste de mes
« Compagnons de route ». Chaque jour, jusqu’à Rome, je prierai pour eux et à leurs intentions
quand ils me les auront confiées. Cette liste s’enrichira de toutes mes rencontres et des noms
de ceux qui referont surface pas à pas sous mes pieds. Ce temps heureux avec mes
compagnons de route prendra un quart d’heure en début de pèlerinage pour durer plus d’une
heure en arrivant à Rome. Il sera l’une des trois « étape imposée » de la journée avec
l’assistance à la messe chaque fois que possible, ou lecture des textes du jour, et la récitation
du chapelet. Ce rosaire consistera en une première dizaine pour le Pape François, une
deuxième pour les intentions du Carmel de Lectoure, une troisième pour Françoise, Aurore,
Florian, Tristan, Gabriel, Ségolène, Thomas, Aude et Merrily, a qui je souhaitais une belle
journée, une quatrième pour Mgr Gardes et le diocèse d’Auch, et enfin une cinquième pour
tous ceux que j’avais rencontré la veille, avec qui j’avais échangé, qui m’avaient accueilli ou
aidé. Dès lors, il restait dans le temps consacré à la marche, de 6 à 10 heures par jour,
beaucoup de temps libre. Il sera occupé par l’admiration des paysages, la recherche
d’itinéraires, l’observation de la nature, la lutte contre les éléments parfois, des distractions
multiples offertes par une libre pensée, et une méditation, non pas au fil de l’eau, mais au fil
des fossés ou des lignes blanches.
II Priorité à la providence
CH 5
« Quitte ton père et ta mère » Mt 19
Dépression active sur l’ensemble du pays. La pluie est annoncée pour la quinzaine à venir et
les températures sont en baisse. Pas de surprise, la pèlerine légère fait dès le premier jour son
apparition et restera jusqu’à Rome à portée de main. Le matin du 4 avec Françoise nous
quittons en voiture la maison après avoir embrassé Aurore et les petits. Nous passons au
restaurant de l’hippodrome où j’embrasse Florian, et nous arrivons à Lectoure où nous
assistons à la messe. Jean-Marc, un de mes frères, nous a rejoints et dans la chapelle je reçois
la bénédiction des pèlerins. Nous prenons une légère collation puis nous sommes reçus par
mère Véronique, la supérieure, qui nous offre à chacun un chapelet, me remet une enveloppe
contenant les intentions de la communauté et nous confie à Dieu nous assurant de leur prière.
Jacotte, une de mes sœurs, nous attend et souhaite, avec la classe de troisième à qui elle fait
cours en ce moment, m’accompagner jusqu’à la sortie de Lectoure. J’embrasse Françoise et
me dirige vers St Jean où je rencontre cette classe à qui je fais part de mon projet. Nous
partons par le chemin des remparts.
Un salut à la Sainte Vierge et nous nous séparons. Je suis en route.
Les premières heures se font sous la pluie. J’avais rêvé de voir les Pyrénées et de marcher en
pull de promeneur, je suis immergé dans le chemin et ne voit plus que lui. Comme ce sera
souvent le cas, la pluie facilite la méditation car elle fait baisser le nez, masque l’horizon,
grise tout ce qu’elle touche et étouffe les autres bruits. Je rumine les jours qui ont précédé et
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refuse de me retourner. C’est trop tôt. Je dois avancer et trouver l’allure et le rythme. Il me
faudra quelques jours pour fixer l’ensemble, ce qui me permettra de ne plus compter en
kilomètres mais en heure en sachant que la moyenne sera jusqu’à l’arrivée de 4km/h.
Après avoir choisi l’abandon, il me faut maintenant quitter. Cette séparation paraît nette dans
l’espace physique mais ne l’est aucunement dans l’espace affectif, et encore moins dans
l’espace spirituel. Il me faudra du temps, et donc de la distance, pour découvrir l’homme
nouveau. Aujourd’hui et pour quelques jours je dois avancer pour donner à ce chemin l’élan
qui le rend inexorable tout en étant très attentif à l’état général de la « machine » qui doit me
conduire à Rome.
La quinzaine précédant le départ j’ai eu plusieurs alertes concernant les dents, le dos, la gorge,
l’épaule. J’ai considéré en riant que ces manouvres dissuasives un peu grossières faisaient
partie du combat spirituel et ne seraient à considérer sérieusement qu’une fois parti. C’était le
cas et quelques récidives en cours de route m’ont appris à ne me fier qu’aux signaux les plus
évidents.
La route au quotidien me donnera le temps d’être attentif aux réactions physiologiques qui me
feront parfois ralentir, très souvent changer de tenue, toujours réagir immédiatement et ne
jamais trop sur-réagir.
La première rencontre attendra le soir car j’avais besoin, avant de parler, d’entendre raisonner
dans ma nuque le bruit de mes talons.
Elle se fera à la nuit avec Pascal et sera à l’image de tant d’autres. Sonnant pour demander un
peu de pain, la providence m’offrait d’emblée des fruits, du fromage et un lit. J’acceptais la
nourriture, pas le lit, car le parvis couvert de l’église repéré auparavant offrait un abri parfait
et la possibilité de partir dès l’aube sans déranger.
En échange j’offrais à mon hôte du moment un grand bol d’air frais, élixir d’espérance dont il
semblait si gourmand. Nous reparlerons de ces moments si intimes. Bien souvent, j’ai eu le
sentiment d’avoir été envoyé là pour drainer de profondes blessures et cautériser des plaies
mal cicatrisées. J’en ai retiré un infini respect pour chacune des personnes, image de Dieu, qui
m’ont reçu si souvent comme si j’étais le Christ. Ce n’est pas facile à dire, et c’est pourtant ce
qui s’est répété à longueur de jour.
CH 6
« Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu » Lc 4 (1-13)
Très vite, alors que ma confiance en la providence tenait du pari, et donc était en permanence
soumise au doute ou au calcul, voire à la tactique, je me suis aperçu que je ne devais plus me
soucier de rien.
La foi prenait toute sa place, et en même temps, le doute était remplacé par une joie de plus en
plus grande et visible.
Je n’avais fixé aucun itinéraire et pris aucune carte tous les chemins menant à Rome.
J’avançais donc en demandant ma route, en profitant des dépliants offerts par les offices de
tourisme, peu soucieux de prendre le chemin le plus court ou le plus beau, mais recherchant
celui qui me ferait rencontrer toujours du monde tout en évitant les grandes villes dont les
voies d’accès sont si hostiles aux piétons.
Je fixais à la providence des limites et me gardais de trop la solliciter de peur de la tarir
comme si je disposais d’un capital et devait le gérer à l’économie pour le faire durer jusqu’à
l’arrivée.
Pendant ce temps on me proposait de plus en plus de choses et j’en refusais beaucoup : de la
nourriture à emporter, des nuits à l’intérieur, de l’argent pour continuer.
Je les déclinais en demandant à celui qui le proposait de ne pas se substituer à ma prochaine
providence. Je lisais immédiatement une certaine perplexité sur le visage de mon interlocuteur
jusqu’au jour où l’un d’eux m’a raconté l’histoire des pompiers.
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« Un jour la maison d’un croyant convaincu prend feu. Il se met à prier et demande à Dieu
d’éteindre le feu. Les pompiers alertés se présentent mais il les renvoi car il s’est adressé à
Dieu et tout va rentrer dans l’ordre. Le feu redouble de puissance, le croyant prie avec encore
plus de ferveur, les pompiers reviennent mais il les renvoi de nouveau en disant qu’il a une foi
absolue en son Dieu qui ne peut que le sauver. Le feu a dévoré la moitié de la maison, le
croyant est en danger mais prie avec encore plus de ferveur. Les pompiers reviennent pour la
troisième fois pour l’évacuer mais le croyant refuse leur aide et brule avec sa maison.
Arrivant devant St Pierre, le croyant lui reproche de ne pas avoir écouté sa prière.
St Pierre lui répond alors qu’au contraire, il s’était beaucoup occupé de lui et lui avait envoyé
trois fois les pompiers. »
De ce jour j’ai considéré différemment ce qui m’était proposé. J’ai accepté avec grande joie
ce qui m’était offert avec joie et repoussé avec tout autant de joie ce qui m’était offert
uniquement par politesse soulageant du même mouvement celui qui l’offrait.
En fait la providence sera toujours discrète et efficace.
CH 7
« Le père céleste sait de quoi vous avez besoin, …à chaque jour suffit sa peine… »
Mt 6 (32-34).
Rome est devant, j’ai reçu sur la route du pain, des fruits, du jambon, du fromage, j’ai été
invité à boire le café, j’ai dormi sous des granges ou des auvents, j’ai trouvé des pommes ou
des figues sur le bas-côté, j’avance. Le premier week-end est là. Le rythme est pris, je ne
considère plus que le clocher suivant et m’installe pour durer.
Une succession de « NON » sous la pluie, conjuguée à une raréfaction des lumières, m’oblige
à sortir de la route et à demander l’abri à un forain vivant dans sa roulotte et ayant son stand
de tir au fusil sous une grange ouverte à tous vents. Ce dernier accepte de m’abriter pour la
nuit. Le ventre creux, je déroule mon matelas et m’endort dans mon sac. Un moment plus
tard, je suis réveillé par un puissant jet de lumière. Le forain est revenu portant une pleine
assiette de grillades succulentes, relief du repas de la veille, et me souhaitant une bonne nuit.
Saisi par l’énormité du don, je me rendais compte qu’il me fallait avoir confiance. Très ému et
encore hésitant pour reconnaître l’origine du don, je cherchais les raisons de son geste mais
j’apprendrai vite à être plus spontané pour remercier ceux qui seront sur ma route les
instruments de cette divine providence.
Cette réflexion aura une conséquence directe, elle me poussera à témoigner publiquement dès
le lendemain, à Mazamet et tout au long du voyage (dans les églises, sur les parvis, dans les
cafés, dans les familles, sur les places et sur les chemins) de la force de la providence et de
l’impérieuse nécessité de ne jamais se décourager : « keep the ball rolling ». L’assiette de
grillades était venue rappeler que parfois il faut savoir dire « merci » à voix haute.
Très souvent, à la suite de ces témoignages, je serais invité à poursuivre la discussion dans un
cercle plus restreint ou dans une famille. L’assiette de grillades en fût l’origine.
CH 8 « Tout le bien qu’elle avait, elle l’a donné » Lc 21 (4)
En partant de Lectoure, Jean-Marc m’avait enjoint de « tout donner ». Bien sûr qu’en faisant
éclater ma bulle de confort, en acceptant de dormir n’importe où, de manger n’importe quoi,
de me laver de manière épisodique et de supporter le froid, je pensais tout donner. Ce n’était
pourtant que la condition de départ pour être identifié comme pèlerin.
Quand j’ai été interpellé du premier étage dans une rue de Mazamet par Ossine pour prendre
un café, j’ai compris que l’étape était franchie. Il y en a beaucoup d’autres à venir mais,
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maintenant, j’avance à découvert et suis interrogé. On ne veut plus seulement connaître ma
destination mais on veut savoir pourquoi.
Les discussions s’étoffent et le désir d’espérer est quasi palpable. Le langage de chacun se fait
pudique et hésitant lorsqu’il s’agit de simplement décrire le socle de ses propres convictions
et je chemine en déséquilibre permanent entre des édifices branlants et mal assurés !
Le choix de vivre de la providence et le bonheur qu’il me procure doit être évident et palpable
car, sans vouloir faire immédiatement pareil, la plupart confirment le poids de leurs entraves
et l’envie de simplifier, de purifier leur quotidien.
Très vite sont abordées les questions de morale mais un blocage viscéral à l’égard de l’église
rend difficile les discussions autour du thème de Dieu Amour.
Je suis reçu et je partage avec tout un peuple profondément marqué par les valeurs du
christianisme et qui les pratique au quotidien, mais qui les dénonce publiquement. En riant je
le soulignerai parfois mais constaterai un discrédit profond de l’institution. Les mots pour
l’expliquer sont parfois très durs et se résument souvent par : « l’église a été prise en otage par
la petite bourgeoisie en extinction qui la gère comme un club privé ».
Bien difficile de changer l’image quand plus personne ne veut faire crédit…
CH 9
« Heureux les… » Mt 5 (1-12)
Ne croyez pas que ce pèlerinage ait été triste, laborieux ou austère.
Ma route était celle des béatitudes. Croisant des cœurs de pauvres, des doux, des éplorés, des
assoiffés de justice, des miséricordieux, des cœurs purs, des artisans de paix, des persécutés
pour la justice ou pour leur foi, j’ai médité très souvent avec eux les béatitudes. Ils se
nomment Alison et Marceau, Lucette et Bernard, Geneviève, Jacqueline et Hervé, Sylvia et
Daniel, Paul et Marie-Odile, Carmen et Karim, Nathalie, Serge, Jules, José et Françoise,
Gérard et Reine.
Depuis Mazamet de plus en plus souvent invité à dîner et dormir, j’ai savouré les discussions
splendides du petit-déjeuner venant après celles de la soirée. La confiance s’étant établie,
m’ont alors été confiées les intentions les plus fortes. J’ai embarqué sur leurs goélettes ou sur
leurs galères et ai été profondément heureux de pouvoir intercéder pour eux tout au long de
ma route vers Rome car ils avaient rejoint mes compagnons de route.
Dans le même temps j’ai commencé à ressentir le soutien de tous ceux qui étaient associés à
ce pèlerinage. C’était maintenant, après deux semaines de route, devenu indispensable. Ceci a
correspondu avec une amélioration nette du temps, comme si l’horizon pouvait maintenant
apparaître, et que je puisse fixer mon regard à la hauteur correcte, c’est à dire sur la suture
entre ciel et terre.
Mon sac m’a paru plus léger, le vent plus favorable, et les oliviers sont apparus. Vous savez,
un peu comme pour Noé après le déluge.
Dans cet état d’esprit, la route paraissait pleine d’humour. Elle m’offrira, alors que j’étais au
milieu de nulle part, pensant au bonheur que pourrait être un bon café, une pièce de 2 €, puis
au sommet d’un col un paquet de cigarettes quasiment plein, enfin, alors que j’étais distrait
par un petit creux, des petits gâteaux dans leur emballage argenté.
Que dire du dimanche où le maître de maison m’ayant invité à déjeuner ouvrira une bouteille
de « Marquis de Seillan » et lira plus tard avec stupéfaction ce nom quand nous avons
échangé nos adresses.
J’aurai encore beaucoup d’autres occasions de rire tout seul.
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III Le Pardon et l’espérance
CH 10
« Combien de fois faudra-t-il pardonner ? » Mt 18 (21)
Les pieds sont chauds, les heures passent vites, le paysage est splendide autour du pic St Loup
et plus personne, comme si toute la région avait décidé d’aller voir la mer.
Dans ce calme sont remontés, comme des bulles à la surface d’un étang les jours de chaleurs,
des visages, des noms, des situations et une envie viscérale de prier pour eux et de demander
pardon.
Le Pakistan s’est invité sur la route, mais aussi l’Afghanistan et la Libye, le Quai et la Marine,
le théâtre, la famille et les amis.
Sans le demander, sans le chercher, le temps était là pour un examen de conscience. Réalisant
lentement ce qui m’arrivait, je prolongerais cette réflexion plusieurs jours et bénéficierais du
soleil et du calme alors que tout autour les conditions semblaient plus sévères. Je ne savais pas
que ceci aboutirait à Avignon, à St Agricol, à une confession si simple quelques jours plus
tard.
Entre temps la providence me fait rencontrer Agnès, admiratrice du Che et des coquelicots,
qui va m’initier au tracé de la « Via Francigena » et à l’accueil pèlerin. Je témoigne avec
enthousiasme à La Calmette à la messe dominicale et partage avec Alain et Marie-France un
moment très chaleureux. Visiblement les regards s’éclairent et les questions se font
pressantes. Le poids de mon sac, ou le dernier lieu où j’ai dormi, n’est plus la première
interrogation. Il s’agit maintenant de savoir comment faire pour partir, pour quitter, pour
atteindre en quelque sorte « l’homme nouveau »…
Un père touché par mon témoignage me donne en me demandant de le porter jusqu’à Rome
un bracelet de caoutchouc rouge sur lequel est inscrit « Que ferait Jésus à MA place ? ». Je le
porterai jusqu’au retour. Il est aujourd’hui effacé, mais totalement imprimé dans mon cœur. Il
s’agit d’une interrogation de Charles de Foucaud. Encore !
La veille, une bande d’adolescents désoeuvrés m’a suivi dans la grande église de Sommières.
Ils ont commencé à vouloir jouer de l’orgue puis ont allumé des cierges et se préparaient à
donner libre court à leur imagination quand je les ai interpellés pour leur raconter ce que je
faisais.
Sans le rappel d’une mère pour le déjeuner, cela aurait duré des heures. « Tu marches seul ?
Tu dors où ? Tu manges quoi ? Tu n’as pas d’argent ? Tu pries qui ? Qu’est-ce-que tu dis ? Tu
as fait une connerie ? Tu as des enfants ? Tu faisais quoi comme travail ? Pourquoi Rome ? »
D’autres rencontres avec des jeunes auront lieu en France comme en Italie et arriveront
toujours au même point : « Bello, ma… ». Oui, c’est beau, c’est grand, MAIS !
Je me suis alors rendu compte que le pardon ne pouvait être complet que lorsque l’on avait
définitivement supprimé le « MA ».
C’est aussi là que j’abandonnerai l’idée de m’arrêter le dimanche de manière systématique, il
suffisait que là encore je me laisse porter.
CH 11
« J’étais étranger et vous m’avez accueilli » Mt 25 (35)
En se référant à l’étymologie, le mot pèlerin qualifie un étranger. Il m’a fallu atteindre les
Cévennes pour éprouver cette sensation. Ayant beaucoup vécu hors de France, j’aurais du ne
pas y être sensible, mais c’est l’accueil que je vais recevoir qui va me le confirmer.
J’étais reçu comme un étranger, et la plupart de ceux qui vont m’ouvrir leur porte n’auront
qu’une image floue de la Gascogne. Pour eux, cette région limitée par Toulouse, Bordeaux et
Lourdes est un Disney land pour agriculteurs où l’on élève des oies habillé en mousquetaires.
Difficile dans ces conditions de placer Auch et Lectoure dans cette « zone blanche ».
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Ce n’était pas grave car ce n’était pas le sujet. Très vite l’accueil va changer de nature et je ne
vais plus dormir dehors où dans des abris de fortune, mais à l’intérieur.
Ceux qui vont m’accueillir (Emilie et Julien, Thierry et Véronique, le Père Paco, Marthe et
Léopold qui ont trouvé leurs prénoms dans la liste de mes compagnons), et pour lesquels je
prie encore avec une profonde gratitude car ils étaient au moment où ils l’ont fait chacun ma
belle providence, vont me faire partager des situations, des réflexions, des quotidiens ou
l’homme passe son temps à tendre la main vers Dieu, à balbutier son espérance et son
incapacité à aimer autant qu’il le voudrait.
Ils ont tous accueilli l’étranger, ouvert leur maison et leur cœur et nous avons éprouvé
ensemble la tendresse de Dieu.
Beaucoup n’avaient pas la foi, déclaraient paisiblement être éloignés de toute vie spirituelle
ou religieuse, critiquaient les églises et les dévots mais puisaient au quotidien dans l’Evangile
pour faire face aux situations et élever leurs enfants. Ils m’ont beaucoup appris et montré que
ce message n’avait aucune date limite d’utilisation ou de péremption mais ne demandait qu’à
être véhiculé.
Aux chrétiens qui m’ont accueilli, lumières sur ma route, je réitère mon affection. Avec eux
nous méditerons souvent sur le thème « étranger sur la terre » et sur la grande difficulté de
transmettre à ses propres enfants et petits enfants l’héritage chrétien qui apparaît comme une
vieillerie encombrante et inadaptée au monde moderne.
Je puis en témoigner dès maintenant, l’image du pèlerin n’est en revanche pas démodée et
peut faire l’objet d’une pastorale plus déterminée pour toutes générations. Un « Décathlon
spirituel » pourrait fournir l’équipement du pèlerin sur la terre. Une congrégation pèlerine,
une fraternité itinérante, un mouvement nomade, que sais-je ?
C’est à ce moment là, un peu avant Avignon, en vivant la progression lente de ma conversion
continue, que je me rends compte de l’avantage qu’il y a à pouvoir faire ce pèlerinage sans
contrainte de temps. Si j’avais du le fractionner, comme c’est le cas pour beaucoup
aujourd’hui, il aurait porté des fruits différents. On ne retire pas d’un marathon les mêmes
bénéfices que d’un 4 x10 000, même s’il s’agit dans les deux cas de course à pied.
CH 12 « Comprenne qui pourra » Mt 19 (12) « Ce que tu as caché aux sages et aux savants,
tu l’as révélé aux tout-petits » Mt 11 (25-27)
Comment expliquer le désir d’être en route ?
Vivant au rythme des textes proposés aux chrétiens chaque jour, le 21 novembre était le jour
de la fête de la présentation de Marie au temple. Ce fut l’occasion d’entendre un prêtre
expliquer qu’il s’agissait d’une tradition très ancienne de l’église qui ne correspondait pas aux
usages de l’époque du Christ ou seuls les premiers nés mâles étaient présentés au temple. Ceci
devenait donc aujourd’hui difficile à comprendre. Mais faut-il comprendre pour croire ?
J’étais dans la même impossibilité pour donner des raisons à ma démarche si ce n’est cette
quête absolue de Dieu. L’approche de Noël allait multiplier l’incompréhensible (une vierge,
un esprit, des anges, un sauveur, une étoile, des mages)… alors que l’incompréhensible est si
facile à accepter si l’on ne cherche pas à l’intégrer à tout prix au monde tels que nous
voudrions qu’il soit, ou tel que les hommes le représentent.
Je constatais que chaque jour j’avais de plus en plus de mal à expliquer ce qui me faisait
avancer mais le fait d’être en route se suffisait à lui même. Le fait était parfaitement compris,
comme mon impuissance à l’expliquer. « Heureux les pauvres de cœur, ils verront Dieu »
devenait chaque jour de plus en plus d’actualité.
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CH 13 « Et voici que l’étoile les précédait » Mt 2 (9)
N’ayant pas d’itinéraire préétabli, je me suis fié aux signes qui m’ont été envoyés. Le ciel
étant souvent couvert, ce n’est pas lui qui m’a guidé mais très souvent des personnes sur le
chemin. Ceci paraît évident mais quand ceci se répète à longueur de route pour vous conduire
là où vous n’aviez aucune raison d’aller, il faut accepter l’inexplicable. Je ne puis toutes les
citer et me contenterai d’en citer quelques unes :
Monique
Après une marche dure, j’arrive dans un village de Provence à la nuit tombée. Le village est
mal éclairé et je me présente devant l’office du tourisme encore ouvert après 18 heures,
étonnant, mais j’ai décidé de ne plus m’étonner.
J’entre et trouve une dame occupée à ranger quelques livres.
- Incroyable que ce soit encore ouvert !
- Ca devrait être fermé mais personne ne m’attend. Je peux vous aider ?
- Très simplement, je cherche un endroit sec pour dormir. En connaîtriez-vous un ?
Moment de silence. Elle m’observe avec mon sac.
- Il n’y a rien ici, le premier hôtel est à 5 km et c’est un gîte.
- Je ne cherche pas un hôtel car je n’ai pas d’argent, mais juste un abri. Je suis pèlerin
en route à pied vers Rome.
- Vers Rome, à pied ? Mais ce n’est pas possible ici. Il n’y a rien et puis il fait trop froid
pour dormir dehors.
- Ne vous inquiétez pas, j’ai l’habitude. J’ai vu un auvent dans la rue. Est-ce que je peux
m’installer là ?
Visiblement très troublée, elle me répond :
- Non, ce n’est pas possible, il faut trouver un endroit.
Elle se met à réfléchir tout haut et est de plus en plus inquiète alors que je reste calme et
souriant. Elle, qui avoue ne plus avoir confiance en personne, me demande alors comment
je puis rester aussi serein alors qu’il n’y a aucune solution.
- Tout simplement parce que j’ai une confiance absolue dans la providence.
Complètement ébahie, elle se souvient alors qu’aujourd’hui elle a entendu parler d’une
communauté qui est venue se présenter à son responsable. Elle l’appelle, obtient les
coordonnées téléphoniques des frères, tente de les contacter sans succès, rappelle son
supérieur qui au bout de quelques minutes lui donne l’adresse. Une lueur d’espoir apparaît
sur son visage et elle me dit.
- C’est à 2km et je vais vous y conduire. Je ferme et on y va.
Nous partons dans la nuit. A faible distance nous arrivons dans une propriété privée. Une
petite lampe rouge brille au travers d’un carreau. Je sais que nous sommes arrivés.
Je monte une volée de marches et sonne. La porte s’ouvre et un grand sexagénaire
souriant m’ouvre en me disant d’entrer. C’est le père Luc.
Je suis arrivé grâce à « mon étoile, Monique, » dans la fraternité de l’Evangile, de Charles
de Foucaud. Je me présente et il m’annonce que la messe est dans un quart d’heure, que
nous dinerons ensemble après avec les frères Paul-André et Christian, et qu’il me reste
juste le temps de poser mon sac dans ma chambre.
Monique est en larmes, totalement ébahie de voir ce que Dieu avait fait ce soir de son
office du tourisme. Consciente d’avoir été ce soir outil de la providence, elle remonte dans
sa voiture très émue. Je la remercie avec effusion et prie, depuis ce jour, pour qu’elle
retrouve confiance et espérance.
9
Marius et Mahmood
Les villes, avec leur enchevêtrement de rues et leurs communautés imbriquées, sont difficiles
à saisir pour celui qui passe. Y trouver un abri y est plus complexe. J’en ai fait plusieurs fois
l’expérience et ai souvent dû me résoudre à coucher dehors faute d’avoir trouvé l’étoile pour
me guider. Ce fut le cas à Olargues, Montpeyroux, St Mamert, Fournès, Ospidalette, Gênes…
A Aix, après avoir longuement sillonné le centre ville à la recherche d’un abri, et avoir
interrogé de nombreux passants sans succès, je me dirigeais vers la sortie. J’étais fatigué ce
qui devait se voir. Deux employés municipaux prenant leur service me croisent et me
demandent : « tu cherches où dormir ? ». J’acquiesce. Ils se regardent en riant, abandonnent
balais et brouettes sur le trottoir et me demandent de les suivre. En chemin ils m’expliquent
qu’ils connaissent des mecs qui accueillent pour la nuit et qu’en ce moment il doit y avoir de
la place. Après quelques centaines de mètres, j’atterri chez les Oblats de Marie qui
n’attendaient plus personne à cette heure. Ils accueillaient dans la chambre de passage une
réunion des alcooliques anonymes dont j’attendis la fin pour dérouler mon sac en remerciant
mes deux étoiles rigolardes qui devaient avoir retrouvé leurs brancards heureux de ma joie.
Bénédict et Michelle
Quelque part sous la Ste Victoire dont le sommet a été blanchi par les premiers flocons,
j’avance péniblement. Un soleil timide s’est enfin montré et c’est l’heure du déjeuner. J’ai
sonné à quelques portes sans succès et voyant un petit véhicule arborant un magnifique
autocollant « Papamobile » je décide en riant de frapper à cette porte. Un immense sourire
m’ouvre et clame : « Bénédict c’est pour toi ».
J’entre, et pendant que Michelle prépare un casse croûte, Bénédict qui a été à Rome à pied par
la Via Francigena commence à me raconter son pèlerinage. Le partage se prolongera bien au
delà (Chemin neuf, communauté de St Jean, monde méditerranéen, Indonésie, économie
solidaire) et nous nous séparerons plusieurs heures plus tard, après le café, priant les uns pour
les autres et pour nos progénitures. Vous vous demandez pourquoi ils ont été des étoiles sur
ma route ? Tout simplement parce que Bénédict m’a informé et convaincu de la nécessité
d’avoir une « Crédential » en Italie, le carnet du pèlerin, sauf-conduit de l’évêque visé à
chaque étape par l’autorité accueillante et lui garantissant qu’elle a affaire à un pèlerin.
Bénédict, en me donnant cette information à temps pour qu’Aurore, notre aînée, puisse me
faire parvenir le document avant la frontière, m’a permis ainsi de circuler en Italie où il est
aussi indispensable que la carte d’identité.
Doreta
La veille de Noël, la Toscane est dans une brume épaisse. Le balisage de la Via Francigena
suffit à peine pour rester sur le sentier. L’habitat est extrêmement clairsemé et il ne s’agit que
de résidences secondaires vides en cette période. J’étais en route vers San Gimignano pour
passer la nuit de Noël sans savoir si j’y trouverais un abri. Le temps humide et froid et un
estomac creux me rendaient un peu mélancolique. J’avançais comme un automate quand une
silhouette apparaît dans le chemin. Nous échangeons un cordial « Buon Giorno » puis, la
« grande houppelande » qui a reconnu un pèlerin me dit : « vous allez arriver dans 5 minutes à
l’abbaye. Arrêtez-vous, ils vous offriront un café ou un thé, j’arrive ».
Je venais de rencontrer Doreta qui effectuait une retraite au monastère de Bose à Cellole. Elle
m’a dirigé vers une rencontre céleste avec toute la communauté de Cellole dirigée par le frère
Emiliano. Ici les querelles entre églises n’avaient pas droit de cité, seul l’Evangile était vécu
dans toute sa plénitude. Sans Doreta je serais passé à côté de ces porteurs d’espérance pour
l’église.
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CH 14
« Il les chassa tous du temple » Jn 2 (15)
La marche est très propice à la rumination. Certaines réflexions un peu trop rapidement
interrompues, hâtivement classées, ou n’ayant pas abouti reviennent en tête, surtout en cette
période qui n’est pas encore achevée d’examen de conscience.
Il en va ainsi pour le texte où St Jean raconte comment Jésus chassa les marchands du temple.
J’imagine difficilement Jésus le fouet à la main pour dégager ce bazar quand on connaît les
lieux et les usages du temps qui se perpétuent encore aujourd’hui, et ce d’autant que
l’Evangile est à longueur de page exhortation à l’amour.
En revanche nous savons bien que nous sommes les temples de l’Esprit et que nous avons
accumulé dans ce temple une sacrée pagaille. Remettre de l’ordre et se débarrasser des défauts
encombrants, des manies inutiles, des médiocrités dans un grand nettoyage paraît évident.
Tout ne pouvant se faire en une fois, d’autant que « les marchands » ont tendance à revenir,
c’est dans leur nature, c’est avec constance qu’il faut renverser les tables et manier le fouet
dans notre propre temple.
CH 15
« Au commencement était… » Jn 1 (1)
Cela ressemble à un oxymore, vous savez « le silence éloquent, l’obscure clarté, … ».
C’est ce qui fait que nous ne sommes pas comme des dieux, même si la tentation existe depuis
notre commencement selon le livre de la Genèse.
Vous vous demandez pourquoi cette réflexion maintenant ? Tout simplement parce que dans
la petite ville où j’arrive, et où j’ai choisi de dormir car le lendemain est un dimanche et
qu’une messe y sera célébrée, une étoile, dans la peau d’un patient de passage, m’a conduit
chez son thérapeute, seule personne connue de lui à proximité au moment où je le rencontre.
Dominique m’a ouvert avec un profond sourire et dit d’entrer dans une petite maison
embaumant l’encens. J’étais accueilli par un spécialiste des élixirs floraux du Dr Bach et
conseiller en développement personnel qui devait se révéler un Soufi si proche de ceux que
j’avais côtoyé au Pakistan et en Egypte.
Nous avons partagé durant des heures et il ne s’agissait pas de refaire le monde mais
d’approcher de l’instant, car nous savions que « nous sommes les fils de l’instant » (Rami) et
qu’« au commencement était le Verbe ».
Que dire de plus que l’apôtre Jean qui, en quelques lignes, situe l’écart infini qui nous sépare
de Dieu, et en même temps la proximité infinie qui est la nôtre en tant que créatures de Dieu.
Il y aura bien d’autres occasions de rencontrer d’autres chercheurs de l’absolue, ce sera
toujours de grands moments de joie.
CH 16
« Noli me tangere » Jn 20 (17)
Les kilomètres s’accumulent et mes pieds commencent à montrer des signes d’usure me
contraignant à déchausser toutes les deux heures. Une halte de quelques jours serait sans
doute nécessaire d’autant que j’ai maintenant une vision plus claire de ce qui m’attends avec
la montagne et le froid.
J’éprouve également le besoin d’une retraite mais, n’ayant pas encore tranché sur la route à
prendre pour éviter au maximum la route côtière Marseille – Menton, j’ai décidé de laisser la
providence agir.
L’accueil chaleureux par Joëlle et Claude, puis par Louise et Daniel, tous pèlerins passionnés
des routes de St Jacques et de Rome, va lever ce doute. Ils se succèdent pour m’accompagner
jusqu’à St Maximin m’invitant à passer par le Thoronet et donc l’abbaye de Bethléem.
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La visite de la basilique de St Maximin et le moment de recueillement dans la crypte de
Marie-Madeleine seront la préfiguration de celui passé dans la basilique St Pierre devant le
tombeau de St Pierre.
Le mot de Jésus à Marie-Madeleine au matin de Pâques, « ne me touche pas », résonne dans
la tête du pèlerin. Que j’aimerais entendre cette invitation du genre : « attends une seconde, je
reviens… (et j’aurais alors tout le temps) ».
CH 17
« Le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien » Ps 22
La Provence m’offre des paysages argentés ou le gris bleu est fusion du ciel sur la terre. Les
reliefs s’accentuent ménageant de belles surprises en coupant les perspectives. La rencontre
de René et Francine qui m’offrent ce qu’ils ont de mieux avec une simplicité généreuse sera à
l’image de ce paysage et je repartirai vers le Thoronet voisin plein d’enthousiasme.
En arrivant quelques heures après à l’abbaye de Bethléem avec l’ami Jean qui m’a rejoint et
apporté de Marseille de quoi mieux résister au froid, je ne sais pas encore que je vais y rester
trois jours. Il fait beau et un vent frais descend des montagnes.
Les sœurs nous accueillent pour un excellent déjeuner et acceptent ma proposition d’aide. Je
vais les jours qui suivent planter des tilleuls, faire de la peinture, du débroussaillage et du
bricolage tout en assistant à tous les offices chantés de la communauté. Cette halte aura le
mérite de réduire la taille de mes pieds d’une pointure et de me faire vivre au rythme des
heures. J’ai été complètement saisi par la force du chant communautaire en français dans cette
église dépouillée et surprenante pour un habitué des églises occidentales.
Les sœurs arborent le visage sans ride de Marie souligné d’un sourire habité par la grâce.
Elles vous écoutent dans un silence si absorbant qu’il ajoute de la valeur à ce que vous dites et
vous oblige à vous orienter vers l’essentiel.
Une soirée de discussion autour « des printemps arabes » avec les soeurs Eliam, Anthide,
Donata, Rosario et Marida, permettra un échange joyeux et tonique sur les chrétiens et
l’Islam.
Je repartirais heureux et réconforté, comme après la nuit passée chez les Clarisses de
Mazamet où j’avais été conduit par une fleuriste de la ville touchée par la vision d’une
pèlerine dégoulinante sur le paillasson ne laissant voir qu’un sourire dans une barbe grise.
Une nouvelle étape commençait.
IV Accueil et souffrance
CH 18
« Car rien n’est impossible à Dieu» Lc 1 (37)
Quittant Le Thoronet, je ne savais pas que j’allais avoir jusqu’à la frontière la grâce d’une
succession ininterrompue de rencontres riches et exigeantes ayant deux points communs : un
accueil généreux et spontané, et l’expérience lancinante de la souffrance physique ou morale.
C’était une nouvelle étape du pèlerinage. J’avais reçu l’espérance en abondance, à mon tour, il
m’était confié de la porter et de la mettre à disposition de ceux pour qui elle paraissait
inaccessible.
M’étant toujours présenté par mon prénom, premier cadeau de mes parents en même temps
que la vie, je n’ai utilisé au cours de ce pèlerinage que les prénoms, comme dans l’Evangile.
Force a été de constater que chacun de mes interlocuteurs m’a donné le sien avec plaisir, le
plus souvent spontanément. A ceux qui ont désiré connaître mon adresse, j’ai donné mon nom
et confirme que je serai très heureux de les revoir, mais je garde pour ce témoignage les
prénoms comme seul identifiant. Chaque jour, en priant pour mes compagnons de route, ont
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ainsi été associés le prénom au visage et à la circonstance de notre rencontre pour mon plus
grand bonheur.
L’accueil donc :
Je me suis souvent posé la question de savoir si j’aurais confié comme Olivia et Jérôme ma
maison à un étranger quelques minutes après l’avoir rencontré sachant que je ne devais
revenir que quelques heures plus tard ;
Aurais-je ouvert, comme Sylvie et Jean-Luc, ma table et mon cœur à un pèlerin arrivant à un
moment de mélancolie et de doute ?
Aurais-je accueilli, comme Christelle, un étranger à la nuit tombée au moment ou je pleurais
sur ma ruine dans une maison froide, devant un frigo vide ?
Aurais-je admis spontanément, comme Claire, Clément et Cédric, un étranger dans le
quotidien suspendu de grands malades ?
Aurais-je invité si chaleureusement à rester, comme Jean et Maya, quelqu’un affichant des
idées contre lesquelles je m’étais opposé toute une vie ?
Aurais-je pris le temps, comme Olivier, de réchauffer et de nourrir un étranger dont la tenue si
décalée m’avait intrigué ?
Aurais-je pris soin, comme Pétra ou Claudine, de tout mettre en œuvre pour faciliter une
aventure dont l’issue paraissait si aléatoire ?
Chacune de ces interrogations correspond à une situation à laquelle j’ai soumis mes hôtes et à
laquelle ils ont répondu spontanément : « Etranger entre. Tu es le bienvenu ».
Sans transition ou presque j’ai été introduit au cœur de la souffrance.
Une fois évoqués la route, l’hiver, ce qui m’animait, et le quotidien de mes hôtes, ayant
franchi allègrement leurs premières lignes de défense, ils m’ont ouvert leur cœur sans détour
et nous avons partagé l’indicible : l’absence de reconnaissance qui pousse au suicide, la
jalousie qui casse tout ce qu’elle touche, l’égoïsme qui stérilise toute relation, la malhonnêteté
qui tue la confiance, la souffrance qui ronge l’espérance, la peur qui empêche d’entreprendre,
les interrogations qui en appellent d’autres.
J’ai écouté, essayé de comprendre, parfois proposé un autre regard, toujours manifesté de la
compassion et partagé l’espérance que j’avais reçue. N’ayant rien de mieux à offrir que
l’image du Ressuscité, j’ai reçu en abondance cet accueil et cette souffrance. C’est encore
aujourd’hui pour moi une leçon indispensable au quotidien. Pour en saisir la force et protéger
l’intimité des échanges, je ne donnerai ici qu’un bref aperçu de cette période.
A la sortie de la messe dominicale d’un village perché de Provence, je suis invité à déjeuner
du bout des lèvres par le curé du lieu. Je décline poliment ayant le sentiment que je suis
attendu ailleurs. D’un bon pas, je redescends dans la vallée et sonne sans succès à plusieurs
portes. Le temps passe et les maisons s’espacent. J’arrive à la grille d’une maison modeste,
sonne et vois sortir une dame de la cinquantaine qui me demande de loin ce que je cherche.
Du pain comme d’habitude…
Un jeune homme qui est apparu en entendant notre échange dit : « j’ai fait cuire 4 entrecôtes
et nous sommes trois, voulez-vous en profiter ? » « Avec plaisir ! ».
Claire qui m’a ouvert et fait entrer s’occupe avec tendresse de son mari qui est en fauteuil
roulant à la suite de deux interventions chirurgicales pour l’extraction de deux tumeurs
cérébrales en moins de 6 mois et sous traitement pour une troisième qui vient d’être
diagnostiquée. Il parle avec difficulté et ne dit plus que « s’il vous plait » et « merci ».
Elle est atteinte d’une sclérose en plaques et est en arrêt maladie de longue durée. Le jeune
homme est son fils.
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Les présentations étant faites, nous allons passer un repas joyeux et simple. Ici, seul le présent
pouvait exister, « hic et nunc ». Pour eux, l’espérance était providence. J’en avais tellement
reçu sur la route que nous l’avons partagée, et comme dans la multiplication des pains, il en
est resté... Ils avaient besoin d’entendre qu’ils étaient formidables, et j’avais besoin de voir
reparaître dans leurs yeux un peu de lumière. Ils étaient la providence de ce dimanche.
C’est ainsi que j’ai avancé jusqu’à Menton où j’arrive un mois après mon départ de Lectoure
en essayant de transmettre au quotidien l’espérance que je porte.
V Le désert
CH 19 « …il fut conduit au désert… » Lc 4 (1)
Dans ce contexte, le dernier jour en France fut d’une grande chaleur. Grâce à Claudine et son
groupe de pèlerins, qui m’ont accueilli à Menton et qui connaissaient parfaitement l’itinéraire
de la « via della costa » jusqu’à Gênes, j’abordais cette longue étape paisiblement. Sœur
Eliam m’avait donné les trois phrases d’italien dont j’avais besoin pour avancer. L’entrée en
Italie se faisait par un temps splendide, je chantais sur le sentier des douaniers en suivant les
flèches jaunes, croisais des baigneurs et voyais des bougainvilliers en fleurs. Nous étions le 5
décembre. J’étais assez loin d’imaginer ce qui m’attendait dans les jours à venir.
En relisant aujourd’hui mes notes quotidiennes, la difficulté des jours se sent. Mais, n’ayant
d’autre alternative que de poursuivre, ce long tronçon jusqu’à Gènes sera décrit comme une
succession de petits bonheurs. En fait, j’étais entré au cœur de ce pèlerinage et n’avait qu’une
chose à faire : avancer.
J’étais déjà trop loin et trop fier pour accepter de reculer ou de renoncer, deux raisons
m’auraient encore stoppé : un ennui familial ou une impossibilité physique. Aucune des deux
n’est survenue et je rends grâce à Dieu.
J’avais été averti en songe ais-je dit. Ce que je n’ai pas dit, c’est que si cela avait été facile, je
n’aurais sans doute pas entendu…
C’est une réflexion de Pétra, à Nice, qui me le fera comprendre des kilomètres plus tard. Il y
avait de l’orgueil dans mon sac.
De l’envie de prouver à soi-même et aux autres.
Comment m’en débarrasser ?
L’austérité de la période Menton - Gênes va m’aider. Cette austérité va tenir à plusieurs
raisons :
- l’absence de solution alternative permettant d’éviter la « Via Aurélia » seule route
accessible aux piétons pour rejoindre Gênes sans passer par des routes de montagne et
multiplier la distance par 2 ou 3 ;
- une pratique nulle de l’italien. Heureusement une immersion complète va me faire
acquérir rapidement un « minestrone » d’espagnol et d’italien parfaitement efficace ;
- une grande différence de perception du pèlerin en Italie. Les chemins de St Jacques y
sont peu connus et l’on ne se rend pas autrement à Rome qu’en « Pulman » ou en
train ;
- la crise économique qui est beaucoup plus perceptible (chômage, précarité, logement
exigüe, véhicules plus modestes et plus anciens, différence plus évidente entre riches
et pauvres) ;
- une mentalité très méfiante propre à l’ensemble de la Ligurie. La Toscane et le Lazio
seront beaucoup plus accueillants ;
- un clergé diocésain très sollicité.
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Ces raisons vont me conduire à un régime alimentaire spartiate, une première nuit sur la plage
d’Ospedaletti, puis dans des salles de catéchisme non chauffées. Adieu eau chaude et douche,
les toilettes pour enfants n’ont que des locaux d’entretien dotés de robinets à « mélangeurs
d’eau froide ». C’est le moment que choisit mon peigne pour perdre ses dents, chute
auxquelles j’assiste en riant.
Très vite, je vais comprendre qu’en Italie l’église a le devoir de donner un abri au pèlerin, ce
qui dégage la population de cette « servitude » et ce qui exonère le curé d’offrir autre chose.
Je ne demanderai plus jamais l’abri à un particulier et perdrai par la même l’occasion de
rencontrer plus de monde.
On m’expliquera plus tard que l’église se voit reverser 8 millième des impôts directs perçus
par le gouvernement et qu’elle est à ce titre une institution riche mais contestée.
En fin de pèlerinage, j’aurai une vision plus nuancée de cette église qui souffre comme le
reste du pays.
Pour les repas, je dois en revanche me débrouiller et expérimenterais pour mon plus grand
bonheur toute la gamme de jambons et de fromages produit dans ces régions.
J’étais donc au désert, et les tentations n’ont pas manqué. J’ai parlé de l’orgueil, mais
comment qualifier le plaisir de recevoir un don et de ne pas souhaiter le partager avec un
pauvre, comment considérer les petits calculs visant à une amélioration momentanée des
conditions de vie ou de voyage, comment résister à la petite voix proposant une retraite pour
se reposer, comment se débarrasser de bouffées de méchanceté, comment apprécier ses
propres manques de charité à l’égard de l’église ou de ceux que je côtoyais tout au long du
jour.
Il m’a fallu petit à petit m’en rendre compte et tenter de me battre pour redonner tout son sens
à ce chemin de conversion.
CH 20
« l’homme ne vivra pas seulement de pain » Lc 4 (4)
Au désert, la première tentation est la faim. En marchant c’est particulièrement le cas.
Ne demandant que du pain, même si souvent il m’était offert accompagné de jambon, de
fromage ou de fruits, il se présenta à cette période régulièrement seul.
Dans ces cas là, ce n’était pas la faim qui était le plus pénible mais le froid et la solitude,
comme si le pain seul ne suffisait pas. Vous comprenez la suite, je devais trouver la réponse
ailleurs.
En fait, depuis l’entrée en Italie, j’ai la grâce de pouvoir assister à la messe tous les soirs à 18h
en arrivant à l’étape et, dans de nombreux cas, à 7h, avant de partir. En effet, la plupart des
églises ont un curé ou un desservant attitré assisté d’une communauté paroissiale
essentiellement féminine.
Ces messes auront un effet immédiat en nourrissant ma réflexion sur les textes du jour, en
éclairant mon regard sur la vie chrétienne, en éloignant un certain nombre de pensées inutiles
déposées par la marche, en me permettant de rencontrer des communautés très diverses, enfin
en améliorant ma capacité de communiquer en italien. Elles m’aideront à me contenter du
nécessaire et à rendre grâce spontanément.
Je serais souvent aidé par les sermons. Ils sont aussi brefs que la messe et vont à l’essentiel où
n’y arrivent jamais… Je pense que le « twitt » en 140 caractères maximum a été inventé il y a
longtemps par les curés italiens. Ils le manient avec aisance et bonhommie, n’hésitant pas
parfois à échanger avec les paroissiens dans une aimable confusion.
La traversée du désert était donc bien réelle, mais je n’étais pas seul.
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CH 21
« Lève-toi et marche » Mc 2
Chaque matin, ma mise en route se faisait sur ces mots, « lève-toi et marche » n’oubliant pas
qu’ils correspondaient dans la bouche de Jésus à « tes péchés sont remis ».
Vivant l’instant avec la volonté de tenir et la satisfaction de constater chaque soir la distance
franchie depuis l’aube, j’étais devenu un pèlerin automate.
Je longe la côte Ligure, passant entre les belles propriétés et les ports de plaisance, je traverse
Bordighera, dors sur la plage d’Ospedaletti, longe San Remo, dors à Imperia, prends les
sentiers de montagne passant par Diano Calderina où je suis accueilli avec beaucoup de
charité par le frère Lorenzo, un franciscain, puis fais étape dans la salle de catéchisme
d’Andorra. Je poursuis par Alassio, Albenga où j’ajoute un trou à ma ceinture, Loano où je
dors dans un ancien couvent d’Augustins après une étape de plus de 45 km, puis Vado de
Ligure ou je dors dans un frigo humide (Rome, par la Via Aurelia, n’est plus qu’à 600 km),
Savona dont le centre historique est un décor de théâtre, Arenzano où je dors au Carmel de
l’enfant-Jésus de Prague après une messe du soir accompagné à l’orgue et à la trompette
(réplique agrandie d’un couvent du 16ème se trouvant à Prague), et arrive enfin dans les
faubourgs de Genova. Le temps a été beau pour l’essentiel mais ma lassitude est tellement
évidente que je n’arrive même plus à obtenir des prêtres un simple abri. J’en ferai la triste
expérience à Gênes où je dormirais sous le buisson d’une station de lavage de voiture.
Mais dans cette ville qui épouse le rivage sur 20 km, la providence me guidera vers deux très
belles rencontres : Sœur Blandine, petite sœur de la charité de mère Thérésa venant du Kérala,
et le foyer d’accueil de nuit des migrants tenu par une communauté laïque inspirée de Charles
de Foucaud.
Ils vont me redonner enthousiasme et sourire.
Dans le faubourg ouest de Gênes, les petites sœurs de Mère Thérésa ont un couvent où elles
reçoivent tous les jours tous ceux qui dans une grande ville, et un grand port de surcroît,
vivent la précarité. Elles m’ont accueilli simplement dans cette cour des miracles où elles
distribuent des foccacia de la veille et font administrer les soins indispensables aux
nécessiteux avec une autorité pleine de bonhommie. Une grande leçon de charité appliquée.
Je ne savais pas que le soir même je recevrais la seconde leçon en atterrissant dans le foyer
d’accueil de nuit pour migrants du 77 via San Bernardo, dans le centre historique. Là, des
laïcs accueillent, pour trois semaines maximum, 18 migrants, leur offrent un dîner, un lit, un
caisson pour leurs affaires, un petit-déjeuner et surtout une écoute. Ils assurent à trois ce
service du soir 20h au matin 8h et se remplacent au cours de la semaine. Ceux qui ne sont pas
de service se retrouvent une fois par semaine pour prier ensemble. Nous avons très
simplement échangé tout le début de soirée puis je me suis dirigé vers la sortie Est de la ville.
Comment pourrais-je oublier Angelo et Guido qui se sont battus pour me trouver un abri ce
soir là, mais la providence en avait décidé autrement... Je ne savais pas que c’était ma dernière
nuit dehors mais je savais que de belles choses m’attendaient après. C’est ce qui m’a aidé à
repartir et à quitter Gênes pour poursuivre cette route.
CH 22
« Combien avez-vous de pains ? » Mt 15 (34)
Cette période m’avait fait observer que la charité des pauvres était débordante d’espérance
alors que celle des riches était fortement empreinte de soulagement. J’en ai même vu savourer
avec gourmandise derrière leurs hautes grilles le plaisir d’avoir dit NON.
Mais à ce stade il me faut raconter la multiplication des pains de Savona. La veille avait été
une journée très austère ce qui avait pour conséquence un lever spartiate. Sortant du
presbytère, j’avais marché mais il me fallait trouver un minimum de pain en ce début de
journée. Deux demandes successives s’étaient soldées d’un refus et je commençais à être un
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peu nerveux quand je croise un couple sortant de voiture. M’ayant écouté et regardé, ils me
glissent 3 euros dans la main en me disant d’aller à 50 m à la boulangerie chercher un kilo de
pain. Je ne savais pas le prix du pain et surtout j’ignorais le grand choix existant en Italie. La
boulangère ayant encaissé les 3€ a commencé à remplir sur sa balance une grande poche d’un
bel assortiment de tout ce qu’elle avait. Très vite cela dépassait les 3 € ce que je lui fis
remarquer. Avec un bon sourire elle me souhaita « Buon viaggio », qui est le souhait
traditionnel au pèlerin en Italie, et je sortais rayonnant avec un grand sac de ce qui allait être
ma nourriture pour les deux prochains jours. A la porte un mendiant attendait à qui j’ai pu
offrir avec un immense sourire un choix auquel ni lui ni moi n’étions habitués. C’était le jour
où l’évangile de la multiplication des pains avait été lu, juste au cas ou vous douteriez de
l’humour de Dieu.
VI La prière et la réconciliation
CH 23
« Laissez venir à moi les petits enfants » Mc 10 (14)
Après cette longue étape qui m’avait pris par surprise, alors qu’en retraçant la route tout
s’enchaîne de manière si limpide, j’allais reprendre confiance.
Quittant la station de lavage de Gênes, je me trouvais à 8h à Quinto (cinquième et dernier
faubourg de Gênes du temps de Rome, ville dont est originaire Christophe Colomb). Les
cloches avaient sonné un quart d’heure plus tôt dans les hauteurs annonçant une messe, j’y
montais. C’était la paroisse St Pierre. Heureux de cette coïncidence, j’assistais à la messe d’un
prêtre rayonnant entouré d’une assemblée joyeuse. N’ayant pas très bien dormi et pas encore
mangé, je n’avais pas la même tête sans doute ce qui a rajouté à son enthousiasme. Sitôt
achevée, Don Curado tamponnait ma Crédential et m’envoyait avec son fidèle sacristain
prendre un solide petit-déjeuner chez le boulanger proche (foccacia et paninis). Je retrouvais
une joie d’enfant, c’était reparti ! Nous avons échangé un bon moment, Guido émaillant son
propos d’observations dont j’avais pu déjà apprécier le solide bon sens, du genre : méfiezvous de la distance indiquée par un automobiliste italien, c’est toujours plus loin. En revanche
s’il est à pied, c’est toujours plus près.
Je l’expérimenterai si souvent.
Réconforté, je reprenais le chemin, cette fois vers le Sud.
CH 24
« Que tes œuvres sont grandes,… » PS 92
J’ai encore la montagne à gauche, la mer à droite et les Alpes Apuanes se profilent à l’horizon.
Je chemine toujours en respectant l’itinéraire que m’avaient donné Daniel et Louise en
Provence. Pour le gîte dans les villes étapes, je me renseigne sur place et suis envoyé le plus
souvent vers les paroisses et les couvents, parfois vers des œuvres, comme ce sera le cas à
Sestri Levanto où j’atterris à Notre Dame de la Grappa. Là, des Oblats du Christ Roi tiennent
une maison d’éducation offrant également l’hospitalité à des retraitants et à des familles.
Ayant retrouvé le sourire et l’enthousiasme, je suis accueilli avec une infinie délicatesse par
Celi au regard limpide qui, je l’apprendrai plus tard, dirige cette institution. Le temps est aussi
beau que le paysage et nous sommes le 13 décembre, fêtes de Ste Lucie et anniversaire de
Maman. Ayant depuis le départ inclus les parents dans mes compagnons de route, ils m’ont
chaque jour épaulé. Ce jour là, vont remonter tout au long du chemin des souvenirs heureux
de la vie quotidienne de Papa et Maman, et surtout ceux qu’une fin de vie marquée par la
souffrance et la maladie avait fait oublier. J’ai revu Maman en robe d’été portant le goûter à
Papa et faisant un tour de champ sur l’aile du tracteur. J’ai revu Papa et Maman nous
conduisant à la montagne et nous apprenant en voiture des chants qu’ils chantaient à deux
17
voix. J’ai revu mes parents marchant dans les coteaux main dans la main lors des promenades
dominicales. Tant d’images simples et tendres sont venues se superposer et estomper les
images sombres que j’avais sottement gardées. Ils m’ont rendu visite à deux sur la route. Que
dire !
Je ne pouvais que louer Dieu et prier pour eux car il est des jours où l’on prie comme on
respire. C’en était un d’autant que, dans l’après-midi, Aude m’avait envoyé un SMS
m’annonçant qu’elle était reçue à son concours.
Bien sûr que cela ne peut pas durer ! Mais la prière c’est un peu comme le feu de bois.
Certains jours il prend tout seul, le bois est sec, la flamme monte, il chauffe, il est clair.
D’autres, il ne prend pas, il fume, il ne chauffe pas et l’on accuse le bois, le papier, le temps,
la cheminée. Ce sont les jours, bien sûr, où l’on en aurait le plus besoin. Mais avec un peu
d’application cela finit par prendre…
Je vais le découvrir le lendemain quelques kilomètres plus loin sur la Via Aurélia. J’étais dans
la montagne en route vers La Spézia. Je n’avais rencontré personne de la matinée quand je
croise un homme sortant de son garage avec son chien. Je le salue et lui demande un peu de
pain, comme à l’accoutumée. Il me regarde, et me dit avec un grand sourire : « je n’ai pas de
pain, mais je suis sûr que vous aimerez les pâtes d’Anna, suivez-moi ». J’ai suivi Pino et la
chienne Stella et suis entré, invité pour la première fois dans la maison d’un italien. La vie est
faite de petits bonheurs, celui là était grand.
J’étais sorti du désert et pouvais écouter Pino (Guiseppe) me parler du cancer d’Anna, et Anna
me parler du cœur malade de Pino. En quelques heures ils m’avaient confié sans simagrées
plus que ce que l’ensemble de leurs voisins savaient d’eux. Ils jubilaient en prenant des
photos et en me montrant leurs albums.
Ils n’avaient vu que des médecins depuis des mois. Rajouter un couvert les rendait heureux et
leur redonnait de l’appétit. J’eu bien du mal à partir chaque tentative provoquant une offre
nouvelle (alcools, café, cigarettes, bonbons, etc.).
Franchissant le col de Bracco (620m) d’où la vue est splendide je remerciais Dieu et chantais.
CH 25
« qui vous reçoit, me reçoit » Mt 10 (40)
Parti depuis 40 jours, l’âme pèlerine perce la carapace. En passant à Sestri Levanto, la lecture
d’un livre sur les icônes me fait comprendre que le pèlerin, au fur et à mesure de la route,
acquiert une certaine transparence permettant de laisser apercevoir un des multiples visages
de Dieu.
Ceux qui m’ont reçu et vont me recevoir n’ont pas accueilli et ne vont pas accueillir le Pierre
que j’ai mis plus de cinquante ans à être mais le pèlerin qui est sur leur propre route. Celui
qui, l’espace d’un échange, fige le quotidien et renvoie l’image de soi dans un univers
débarrassé du paraître.
Le pèlerin ne devient dès lors que l’habitat précaire, la tente, le tabernacle d’un message de
vérité et de vie.
Il ne possède rien, transporte si peu, consomme moins encore, mais est la veilleuse qui signale
la présence de l’Eternel.
En accueillant le pèlerin, personne ne s’y trompe. On ne rend pas service à un ami, on ne crée
pas une relation durable, on ne parle pas d’avenir, on accepte simplement d’être un instant
orienté vers l’éternité. C’est si évident que le pèlerin n’a pas de nom, il est juste une particule
infinitésimale qui tente un mouvement vers l’absolu. On ne lui demande rien, on lui confie
tout, et on le restaure pour qu’il reprenne la route.
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Le pèlerin n’est finalement pas plus lourd et n’a pas plus de relief que sa pèlerine qui flotte au
vent.
Il avance au gré du souffle de l’Esprit, marche et prie, parfois même pour ses propres pieds
(comme le chirurgien ou le pianiste qui assure ses mains), scrute beaucoup le ciel, car sur la
route le ciel est son toit. Il suit le défilement des bornes, des cailloux, des fossés et des lignes
blanches. Son sac est entré dans sa silhouette qui de profil fait penser à un point
d’interrogation. Et ce sac se remplit chaque jour des confidences des étoiles, des samaritains,
des centurions, des docteurs de la loi, des Marthe et des Marie, des Zachée, des pêcheurs, des
vignerons et des semeurs, des infirmes, des lépreux, des mendiants, de tous ceux qui ont à
vider le leur. De temps à autre il le fait bouger pour déplacer un peu les bretelles, soulager le
dos et le sentir plus léger.
Il est action de grâce sur pieds, joie, espérance ambulante. Il ne laisse aucune empreinte, tout
au plus un léger sillage. Mais une condition essentielle doit être remplie : qu’il soit visible.
Les sentiers sont certainement plus agréables que les routes goudronnées mais ils ne sont plus
les routes du siècle. Le pèlerin, sur le chemin qui lui est assigné, ne rencontre que
promeneurs, chasseurs ou sportifs, perdant de ce fait sa capacité à être pour tous borne
mouvante du chemin vers Dieu.
A quelques centaines de kilomètres de l’arrivée, je suis maintenant convaincu qu’il faut
emprunter, quoiqu’il en coûte, les chemins de son temps au pas lent des chameliers et à
l’allure des caravaniers.
Il faut le faire quand le talon vibre, quand le pied brûle, quand le genou craque, quand le dos
tire, quand les épaules tombent, quand la sueur dégouline, quand les vêtements collent, quand
les muscles tirent, quand la crampe arrache un rictus, quand l’ampoule éclate, quand le soir
tombe avant l’étape, quand la chaussure blesse, quand la soif, quand la faim font tout oublier,
quand le soleil cogne, quand la pluie menace, quand tout est mouillé, quand les chaussures
régurgitent de l’eau à chaque pas, quand le froid engourdi les mains, quand le nez coule,
quand les yeux pleurent, quand on doit rebrousser chemin parce qu’on s’est trompé, quand on
est seul, quand les portes et les visages se ferment, quand les lumières s’éteignent, quand le
ciel s’obscurcit, quand le doute apparaît, quand le sac devient trop lourd, quand les nouvelles
sont mauvaises, il faut le faire parce qu’un petit rien change tout.
Un pansement, une porte qui s’ouvre, une boisson offerte, un fruit, un sandwich, une
invitation à prendre un café, une douche, une rencontre, une lumière qui apparaît après le
virage ou au sommet de la côte, l’interruption de la pluie, le vent qui sèche et pousse, une
porte qui s’ouvre avec un grand sourire, et alors, tout est oublié.
C’est ainsi que le pèlerin, porteur d’espérance, marche « au petit bonheur ».
CH 26 « C’est qu’ils entendent sans entendre, ni comprendre » Mt 13 (13)
J’ai maintenant hâte de rejoindre la via Francigena et d’entrer en Toscane mais c’est encore
loin. Je chemine maintenant dans la moyenne montagne qui aboutit par le pont d’Arcole (pas
celui où Bonaparte a failli se noyer) à Sarzana.
La montagne est peu peuplée et je m’arrête rarement. Mara et Francesco m’ouvriront un
presbytère désaffecté pour une nuit à Matarana dont je partirai avant l’aube pour rejoindre la
vallée et une paroisse pour la messe dominicale. J’arrive à Borghetto où je suis
remarquablement accueilli par Don Thomaso. C’est l’un des rares prêtres diocésains
rencontrés qui parle français. Après la messe, il me présente à ses paroissiens lors d’une
« prensa » où tout le monde, dans un joyeux vacarme, partage une polenta/saucisse et un
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tiramisu. J’y ai retrouvé mes hôtes de la veille dans un « concours de circonstances » auquel
je suis habitué, mais pas eux, d’où les larmes de Mara et de sa mère. Ce village avait été
complètement détruit par une coulée de boue deux ans auparavant forgeant une solidarité
toujours bien vivante. Quand je suis parti, dans un geste quasi instinctif, Don Thomaso m’a
imposé les mains m’offrant la plus belle bénédiction spontanée du voyage.
Ce soir du dimanche 14 décembre, je ne trouve pas d’abri, aucune paroisse, aucun couvent et
les portes se ferment devant moi me renvoyant systématiquement à l’auberge du village de
Cavanella. Je finis par y aller pour être accueilli par une italo-luxembourgeoise qui
« m’adopte » en riant et m’envoie, après avoir contacté le curé, à la paroisse voisine de
Beverino.
Ceci va se reproduire souvent en Italie, y compris lors du retour, comme cela s’était produit en
France quand la providence m’avait indiqué le foyer de charité « Maria Mater » alors que je
n’avais plus envie de faire 5km de plus après une étape qui avait été déjà longue. Pourtant je
les ai faits, et c’est bien là que je devais être et témoigner ce soir là, à la table de retraitants
venus passer une semaine autour du thème « Santé et sainteté ».
Comment expliquer cette surdité, ce rejet de la providence ? Mettez cela sur le compte de
l’obstination, d’un caractère buté, d’une nuque raide, d’un durcissement cérébral ou autre. La
providence m’a souvent indiqué très vite la solution, je n’en ai pas tenu compte
immédiatement et ai continué à chercher ailleurs pour finalement être ramené à cette solution
par d’autres sources.
Etait-ce évident ? Non, car la providence n’utilise pas de la même manière nos moyens. Je
dirai « pour ma défense » qu’il arrive souvent que nous fixions à la providence des objectifs et
un temps de réalisation là où nous devrions simplement faire intégralement confiance. Avoir
foi.
Facile à dire…
J’arrivais à Beverino et étais accueilli par Don Paolo, curé de 5 paroisses, assisté de Don
Franco, bénédictin ayant rejoint le clergé diocésain après la fermeture de son monastère, et
Don Filippo, jeune prêtre. Très vite j’ai donné un coup de main à Don Franco pour préparer
les pâtes car tous les dimanches soirs, Don Filippo accueillait un groupe de jeunes (15-18 ans
avec des coiffures en « ananas » faites par des toiletteurs pour caniches) pour un moment de
réflexion et le dîner.
Don Franco, image parfaite du moine bénédictin faisant la publicité d’un produit monastique,
respirait la bonhomie et l’humour. J’ai appris quelques recettes rapides et bu avec lui un peu
de la grappe roumaine que m’avait laissé l’ami Jean au Thoronet (Don Franco allait tous les
ans passer quelques jours chez ses amis roumains). Je découvrirai le lendemain matin, lors des
laudes, un autre Don Franco chantant d’une voix puissante et claire les psaumes en grégorien
dans sa coule de bénédictin.
Durant le dîner, les « ragazza » (jeunes gens par rapport à soi) m’ont soumis à un feu roulant
de questions sur le chemin et ma démarche. En fait, ils consultaient en live la page
« Pellegrino » de Wikipédia. J’espère avoir satisfait la demande…
Le 16 décembre j’arrive enfin à Sarzana et rejoint là la via Francigena.
J’ai déjà évoqué à plusieurs reprises cette voie, ou « voie qui vient de la France » pour
rejoindre Rome. La tradition veut qu’elle soit le chemin parcouru par l’archevêque de
Canterbury, Sigéric, en 990 lors de son retour de Rome en Angleterre. Il avait alors décrit les
80 étapes de son périple.
Il s’agit aujourd’hui, et depuis sans doute des siècles, d’un faisceau de routes et de sentiers
plus ou moins balisés au gré de l’intérêt des habitants des régions traversées.
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Ce n’est pas toujours l’itinéraire le plus beau ni le plus intéressant. C’est aujourd’hui très
souvent le plus long car il doit écarter le piéton des grandes voies routières. Je l’adapterai en
fonction de la météo, de l’intérêt des zones traversées et des « étapes » proposées.
Cette voie m’aidera à sortir de Ligure, à traverser la Toscane et à parcourir le Lazio jusqu’à
Rome, soit environ 500km. Elle est aujourd’hui essentiellement empruntée par des italiens
amateurs de marche à pied ou randonneurs à vélo. Les pèlerins ne forment qu’un faible
pourcentage des usagers, même si la totalité est porteuse d’une crédential pour pouvoir
bénéficier de l’accès aux facilités offertes aux pèlerins. Ceci m’obligera souvent à expliquer à
d’autres pèlerins ma démarche, et à constater à quel point elle était éloignée de la leur.
De fait, la via Francigena est pour l’Italien un sentier de grande randonnée permettant de
visiter dans de bonnes conditions les grands sites religieux ou touristiques des régions
traversées.
VII Vers le Chemin intérieur
CH 27
« Quand deux ou trois sont réunis en mon nom » Mt 18 (20)
L’utilisation de la via Francigena va avoir une première conséquence immédiate : me faire
partager, aux différentes étapes, le quotidien de moines de plusieurs ordres monastiques et me
faire rencontrer quelques congrégations et fraternités.
Je quitte donc Sarzana le 17 décembre et décide de longer la côte pour franchir les Alpes
Apuanes le plus tard possible. Elles sont très proches et culminent à 2000m. Je dépasse
Carrare puis arrive dans la ville rivale de Massa Marina. Souvent arrêté sur la route pour
parler ou boire un café, je reçois des tapes d’encouragement sur l’épaule ou le sac (comme les
coureurs cyclistes) et échange de grands saluts avec des automobilistes qui me klaxonnent.
L’atmosphère est en train de changer. Les bords de trottoirs sont en marbre blanc, la pêche et
le marbre sont ici les deux activités principales. L’activité balnéaire est en sommeil pour
l’hiver.
Je suis en quête d’un abri pour la nuit quand une bonne âme me conseille de monter à Massa
(6 km) et d’aller chez les capucins.
Les monastères capucins, c’est une constante qui se confirmera jusqu’à mon dernier jour en
Italie, sont toujours hors les murs et au dessus de la ville. J’aurai le privilège d’être accueilli
par eux à Massa, à Acquapendente, à Viterbe et à Tortona. Les communautés sont aujourd’hui
de petite taille, 4 ou 5 frères, dans des couvents dimensionnés pour en accueillir plus de dix
fois plus. L’obligation d’entretenir ces infrastructures est un très sérieux défi qui les conduit à
accueillir des retraites, des activités pastorales ou des activités culturelles.
J’y ai toujours reçu un accueil très chaleureux. Invité à partager leur repas dans une ambiance
très fraternelle et à suivre leurs offices, j’ai découvert l’austérité de leur règle et retrouvé
quelques réflexes de la vie embarquée.
Pour l’anecdote, nous étions 5 pour dîner dans le grand réfectoire de Massa. De grandes tables
pouvant accueillir 10 convives faisaient le tour de la pièce. Chacun s’est mis à une table, dos
au mur, et nous avons dîné ainsi éloignés les uns les autres. Dans cette immensité, les phrases
étaient lancées, entrecoupées de bruits de mastications, et la réponse revenait après un
moment de silence comme s’il s’agissait de lire un psaume. Vous imaginez le décalage. Le vin
était à la hauteur de ces échanges car je pense qu’il était un mélange savamment dosé de Coca
et de vinaigre. Heureusement, j’avais été initié à Karachi à un mélange tout aussi explosif de
Mouton-cadet/Coca par une maltaise, Myriam Bougejah qui recueillait et soignait les fous
abandonnés dans la rue. Elle affirmait se préparer ainsi aux noces de Cana et garder le
meilleur pour la fin.
21
Je quitte Massa, et quitte par le même mouvement La Ligure.
Enfin en Toscane !
Je traverse Pietrasanta et m’arête pour la nuit à Camaiore où la providence m’a logé dans une
salle de catéchisme de centre paroissial. Nous sommes le 18 décembre et la neuvaine de Noël
a commencé. Les crèches sont partout dans les rues. Tout le monde s’affaire, le clergé est en
ébullition, je passe tranquillement au milieu de cette agitation. Le lendemain, ayant une
longue étape jusqu’à Lucca, je décide de partir de bonne heure pour arriver avant la nuit
sachant qu’il n’y a pas d’accueil prévu dans cette ville historique extrêmement touristique.
Je salue la mer que je ne reverrai que dans un mois en repassant par Gênes. Le froid
commence à se faire sentir, d’autant que le soleil a disparu et que j’éprouve un peu de
lassitude. Lors d’un arrêt à San Macario pour demander ma route et un peu de pain, je
rencontre Don Marek, un prêtre italien d’origine polonaise qui va m’expliquer en anglais
comment me rendre au séminaire diocésain de monte San Quirico de Lucca où il a des amis et
où il m’envoie. Je vais copieusement me perdre mais passer un moment céleste dans ce
séminaire, notamment lors de la messe du matin où les séminaristes, une dizaine, et les prêtres
enseignants communient dans ce qui fonde leur sacerdoce, l’eucharistie. Le soin avec lequel
ils ont célébré n’avait d’égal que leur recueillement.
Avant de quitter la ville, je fais le tour du centre historique qui est à l’intérieur de puissants
remparts. J’en fais une visite rapide me disant qu’au retour nous pourrons nous y arrêter avec
Françoise, et reprends la route.
CH 28
« Entrez par la porte étroite. » Mt 7 (13)
Comme je l’ai pressentie, l’approche de Noël est l’occasion de donner au chemin une
orientation plus intérieure.
Constatant que la Francigena, même l’hiver, est identifiable, que les étapes sont plus courtes,
jamais plus de 33km parfois 20, que les Alpes sont franchies, que la machine « étale » comme
disent les marins, que la providence « assure », je vais mettre de l’ordre dans mon bazar
intérieur.
Aidé par la rencontre quotidienne et bien souvent sans masque de ceux qui ont choisi la vie
consacrée, j’essaie de me débarrasser d’encombrants comme l’image du bon chrétien,
l’exclusivité de la Vérité, le culte du sacrifice. Je m’entraine à ne plus me payer de mots mais
à vivre au plus près ce en quoi je crois et que je confesse. J’essaie de ne plus affirmer ce que
je ne vis pas, même si ces affirmations avaient parfois un but incantatoire.
J’avais perdu quelques bourrelets extérieurs et suis en train de faire la même démarche
intérieure. C’est comme si je décidais de quitter le péremptoire dans lequel je me suis si
souvent réfugié : vous savez l’exagéré qui clôt la discussion, arrête la réflexion, rompt
l’harmonie, bloque une situation, enferme l’individu dans une posture. C’est à ce moment que
j’ai le plus admiré la nature, les visages, les textes et me suis préparé à l’espérance de Noël. Il
s’agit simplement d’aimer et c’est si exigeant.
Avec Françoise, nous avions décidé avant le départ de nous contacter par téléphone une fois
par jour entre 8h et 10h, heures durant lesquelles j’étais le plus souvent en train de marcher.
Ce contact va chaque jour être source de joie. Nous échangerons bien sûr les nouvelles
concernant la route et la maison, abandonnerons le projet trop compliqué de nous retrouver
pour Noël en Italie et apaiserons au quotidien l’inquiétude mutuelle qu’engendre
l’éloignement.
Elle m’a souvent conseillé de ralentir ou de faire une pose, elle a toujours remercié ceux qui
m’accueillaient et prié pour ceux qui allaient le faire. Régulièrement je recevais des SMS des
enfants que j’avais « embarqué » avec moi vers Rome. J’essayais d’aller vers la porte étroite.
22
Après deux jours de marche dans les bois et les collines pentues de l’ouest toscan, une dame
m’offre avec le pain 4 rochers Ferrero. Je savoure le geste et les mets de côté pour une bonne
occasion. Je traverse l’Arno et arrive à San Miniato. Le village moderne est au bas d’un très
haut promontoire dominé par la tour de l’empereur Frédéric II, reconstruite après la 2 ème
guerre mondiale. La vieille ville est construite autour de la forteresse sur cet éperon rocheux
qui domine la plaine de l’Arno. Tout est construit essentiellement en brique.
Je suis accueilli par 4 frères franciscains dans un immense couvent qui a compté jusqu’à 200
frères. L’église a la taille d’une de nos cathédrales et le couvent dispose de deux très grands
cloîtres et d’un plus petit. L’art sacré, même si l’austérité franciscaine est de mise, est partout.
Ceci m’oblige à dire qu’il n’est pas possible de décrire convenablement les merveilles que j’ai
eu le bonheur de voir tout au long de la route ni d’évoquer tous les lieux chargés d’histoire
que j’ai traversé sans dénaturer cette démarche. J’en demande simplement pardon et signale
que San Miniato est une des belles étapes de Toscane, et « pas uniquement parce que c’est le
berceau de la famille Buonaparte » !
J’ai traversé aujourd’hui les vignobles du Chianti et savouré au dîner conventuel ce vin, qui
pourtant ne fera jamais oublier « l’élixir capucin ».
Vivant avec les frères l’annonciation, comme eux je vais entendre Marie accepter sa mission
sans poser de questions. Que penser du serviteur qui pose des questions, objecte, essaie de
comprendre ?
Tout simplement qu’il est inutile.
Pour eux, l’essentiel était d’arriver à être de bons serviteurs, c’est le viatique qu’ils me
laissaient. En me passant une petite croix d’olivier autour du cou, le frère Giovani me
confirmait ce message.
Si vous voulez savoir si elle y est encore, la réponse est : oui.
Ayant maintenant choisi d’être le 24 décembre à San Gimignano dont on me vantait tant la
beauté depuis des jours, il me fallait faire une étape de plus. Le choix étant restreint, ce sera
Castelfiorentino d’où je pourrais rejoindre Gambassi, puis la ville aux 72 tours.
J’y descendrais par un très beau sentier et serais accueilli dans une église moderne construite
contre un très vieux couvent de bénédictines où j’allais le lendemain rencontrer « toute » la
communauté, trois sœurs (les sœurs Laetitia, Francesca et Orsola), dans la chapelle. Après la
messe du matin où j’étais le seul paroissien, je me suis présenté. Elles ont voulu porter mon
sac, savoir comment je survivais, qui m’accueillait… tout sur la route. Elles étaient avides
d’entrer dans cet univers si proche et si lointain du leur. Souffrant cruellement de l’absence de
vocations, je leur racontais l’histoire du monastère de Boulaur et de Claire de Castelbajac, et
les saluais. M’étant arrêté pour dire le rosaire dans la grande église, Sœur Laétitia me
surprend et me murmure : « nous voudrions vous inviter pour la collazione mais ce n’est pas
possible à cause de la clôture, aussi, les sœurs vous demandent d’aller la prendre dans le café
d’en face avant de repartir » et me glisse dans la manche une petite enveloppe rouge scellée
par une image de la vierge à l’enfant.
J’ai gardé l’enveloppe et les 10 € qu’elle contenait car je n’ai pas eu envie de dépenser cet
argent ainsi. Mon estomac pouvait attendre et nous reparlerons d’eux plus tard.
En quittant Castelfiorentino, je croise une église. Au risque de vous surprendre, c’est bien elle
qui est venue vers moi parce que j’avais déjà eu la messe, que j’avais eu ce bel échange avec
les sœurs, que j’avais demandé mon chemin et faisait route, et qu’elle n’avait aucun caractère
particulier.
Ne pouvant plus l’éviter, j’entre et suis invité par un jeune prêtre hilare devant ma surprise à
poser mon sac et à me confesser. Confession en espagnol dont je suis sorti en chantant,
oubliant le poids de mon sac. Heureusement car une dizaine de kilomètres de côte
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m’attendait. Je venais d’entrer dans le temps proprement dit de Noël et allais faire de très
belles rencontres.
CH 29
« Préparez le chemin du seigneur, aplanissez ses sentiers » Mt 3 (2)
Prenant la route qui monte vers Gambassi, je retrouvais les collines couvertes d’oliviers
argentés et hérissées de cyprès. Les chasseurs se disputaient les derniers faisans et je méditais
sur le secret.
Le secret de Joseph, le secret de Marie, le secret évoqué si souvent dans l’Evangile et qui
prépare l’après, la surprise, le « venez et voyez » Jn 1 (39) qui lui même précède le « suismoi » Jn 1 (43). Le secret c’est ce qui rend chacun unique et irremplaçable. Il est
indispensable pour convoyer à destination dans le silence, et à l’abri du tumulte et des regards,
ce qui va donner du fruit, comme la sève pour l’arbre.
Pas de fruits sans sève, pas d’amour sans secret.
Dieu a un secret pour chacun de nous. Le silence, la méditation et la prière sont façons de se
mettre en mesure de l’entendre et de le garder. Ce jour là, la route était là pour me le dire.
Gambassi/Terme est sur le haut d’une colline escarpée et est construite, comme la plupart des
villes anciennes, autour d’une forteresse ceinturée de remparts. Les adaptations successives
aux usages du temps ont rendu moins évidente la structure originelle mais une visite attentive
permet d’avoir une idée assez précise de l’importance de cette garnison. J’y suis accueilli très
gentiment à l’office du tourisme où je subis un interrogatoire en règle sur la providence dont
je ressors avec l’adresse de Don Evaristo. Il est en charge de la paroisse et supervise l’Ostello
Sigerico de Chianni devant lequel je suis passé en montant sans vouloir m’y arrêter.
Je sonne à son presbytère et entends une voix sortant d’une fenêtre du deuxième étage
hurlant : « Pellegrino ? ». « Si, sono pellegrino, me chiamo Pietro, vado a Roma a piedi i
cerco un lugo per dormire. »
Avec de grands moulinets, il m’indique l’Ostello, me dit d’y aller et s’apprête à refermer la
fenêtre.
J’interromps son mouvement en lui disant que je n’ai pas d’argent pour payer l’hôtel et que je
cherche simplement un toit, une salle de catéchisme par exemple.
Visiblement contrarié, il m’explique que les pèlerins doivent contribuer à la vie locale et qu’il
n’a rien d’autre à proposer.
Imaginez la scène très italienne qui se passe dans la rue et dont tout le monde profite en riant.
Cela m’est déjà arrivé et m’arrivera encore. Je remercie les années théâtre de m’avoir entraîné
à faire abstraction des réactions du public pour poursuivre l’acte.
Ne voulant pas descendre et ouvrir une salle de catéchisme fermée pour les vacances de Noël,
il me jette un billet de sa fenêtre qui entame une descente en feuille morte avant de se coincer
dans un contrevent.
Je veux l’aider à le récupérer, il refuse.
Je l’informe que je vais trouver une autre solution et m’éloigne en le saluant.
Il m’envoie alors un second billet en me disant d’aller voir Laura qui tient l’Ostello depuis
peu, car il faut l’encourager. Après les bénédictines de Castelfiorentino, c’est le deuxième
billet de 10 € de la journée qui « tombe du ciel ». Ne voulant pas le vexer, je le ramasse et file
vers l’Ostello. Il s’agit d’un couvent transformé en accueil pèlerin. Les pèlerins de la
Francigena le connaissent bien, la tradition voulant que Sigéric ait fait étape en ce lieu. Il
appartient à une association et a été réhabilité à grands frais par un couple d’architectes.
L’association vient d’en confier la gestion à Laura, jeune psychologue sans emploi.
Au moment où j’arrive, une troupe de scouts aînés est en train de rassembler ses affaires pour
partir. Très vite je suis entouré des garçons (pendant que les filles nettoient) qui vont me
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cuisiner méthodiquement sur le chemin, sur ce que j’en retirais, sur les raisons qui me
poussaient. Tout avait commencé par la comparaison de mon sac au leur. Ils étaient partis
pour trois jours, avaient manqué de tout et avaient tous des sacs beaucoup plus lourds et plus
gros que le mien. A les écouter, ils n’avaient pris que le nécessaire ce qui était largement
insuffisant.
En riant ils vont découvrir que le nécessaire est encombrant et jamais adapté, que
l’indispensable est trop lourd, et que l’essentiel, le plus souvent, est à portée de main ou de
cœur sans qu’il n’ait été utile d’en remplir son sac.
Tout en échangeant avec eux, je repensais à la phrase du jour « préparez, les chemins du
Seigneur ».
Je ne suis pas sûr de les avoir convaincus que se confier à la providence était le moyen le plus
sûr de poursuivre sa route, mais j’ai vu dans plusieurs regards briller une petite lumière. Entre
temps, les filles avaient rejoint le groupe en m’offrant des tartines de Nutella et en me
demandant si la providence aurait-été la même pour une fille ? Elles m’ont cloué le bec.
Nous nous sommes séparés avec de grands gestes et j’ai rencontré Laura.
Il faisait froid, le chauffage avait été coupé pour raison d’économie et elle se réchauffait les
mains au contact de l’ampoule de la lampe de bureau dans l’entrée de l’Ostello. Très vite j’ai
su les difficultés multiples auxquelles elle devait faire face. Seule pour gérer cette structure
pouvant accueillir une cinquantaine de pèlerins, elle devait en faire la promotion, l’entretenir,
payer toutes les charges, se payer, et assurer l’accueil. C’était très, trop lourd, surtout en hiver.
Je n’avais que ma bonne humeur à offrir dans l’immédiat. Le récit de l’entrevue avec Don
Evaristo puis de la rencontre avec les scouts suffira à lui redonner un peu d’entrain pour me
faire visiter l’ensemble. Fasciné par le fait que l’on puisse entreprendre la route en hiver et
sans argent, elle me posera mille questions sur la foi et l’espérance, souvent ponctuées de
larmes d’émotions. Evaristo avait raison, il fallait encourager Laura. Elle me laissera seul
pour aller préparer Noël avec les siens en me donnant une médaille de St Christophe et en me
demandant de rencontrer Don Doménico Poéta à Buonconvento. En cela elle sera une de mes
« étoiles » car je passerai plus tard et plus loin trois belles journées avec Doménico.
Le lendemain, 24 décembre, la brume est épaisse et le sentier boueux. Je file vers San
Gimignano regrettant de ne pas voir le paysage qui est réputé splendide. Je traverse le village
de Pancole où la crèche est faite de toutes les statues de saints de l’église mises au rebus lors
des travaux de modernisation. Repeints, rhabillés et recyclés, ils tenaient très honorablement
leur rôle de composition. Imaginez les archanges St Michel désarmé et St Gabriel dans le rôle
des angelots, imaginez le cochon de St Antoine transformé en mouton pour faire de son saint
patron un berger, tous accueillaient les visiteurs avec le sourire et provoquaient le nôtre. Je
n’oublierai pas que cette église était consacrée à la « divine providence ».
C’est sur cette route que je rencontre Doreta dont j’ai déjà parlé, « étoile » qui m’a conduit au
monastère de Cellole.
La rencontre avec frère Emiliano et cette communauté sera un très beau cadeau. Image
lumineuse d’une église en mouvement, d’une vie consacrée au service de l’Evangile en
observant les grands vœux monastiques, d’une vie d’accueil de l’étranger, d’une vie où la
beauté conduit à la transcendance. Ce havre de paix à proximité d’un grand centre touristique
paraît si naturel, si intégré, qu’il semble là depuis l’origine. Frère Emiliano me proposera de
revenir si je ne trouvais pas d’abri à San Gimignano et j’espère pouvoir le faire avec
Françoise un jour… mais j’étais en route.
Le soleil s’est levé et j’arrive à San Gimignano avec la lumière dorée de fin d’après-midi. Les
rues sont vides, les magasins ferment. Un passant me dirige vers le couvent des Augustins qui
héberge les pèlerins. Il est contre les remparts. Très grand ensemble, il est tenu aujourd’hui
25
par deux pères augustins, le Père Bryan d’origine américaine et le Père Eugénio, péruvien.
Pour deux mois, ils accueillaient le Père Peter, australien de Sydney, en formation en Italie.
Je fais la connaissance du Père Bryan qui tamponne ma crédential et me conduit dans une
chambre au dessus du cloître. Il a l’habitude des pèlerins. Cette année il en a accueilli durant
la saison près de 1000. Je file visiter rapidement la ville si connue pour ses multiples tours
communiquant autrefois entre elles par des ponts de bois. Ces tours carrés, construites par les
familles riches pour se protéger, hérissent la ville lui donnant un aspect « New-York du
moyen-âge » très étonnant. L’accès, y compris au Duomo, est payant, donc je laisse mon
imagination convertir en « 3 D » les prospectus glanés ici et là.
La nuit tombant, je rejoins le couvent et ma chambre sachant que la messe de minuit sera
célébrée ici. Françoise et les enfants me téléphonent et nous nous souhaitons un Joyeux Noël.
Aude et Thomas ont pu venir à Claymore, Merrily et Rabih arriveront quelques jours plus
tard, tout va bien.
J’ai dans mon sac deux mandarines, un paquet de gâteaux et les « rochers », plus que
beaucoup d’autres ce soir.
Enfin, je le dis bien fort avec un grand clin d’œil à celle qui m’accompagne depuis le départ !
A 19h45, le Père Bryan frappe à ma porte et me dit en riant : « if you are free tonight, we will
be very happy if you can join us for diner».
Il m’était difficile de cacher ma joie et impossible de dire : « thank you so much, but,
unfortunately, I’m already engaged ».
J’acceptais avec enthousiasme et suivais le Père Bryan dans la cuisine où Eugénio était en
train de faire cuire les pâtes au saumon et le poisson au fenouil. En fait, nous serions 6 à table
car, Robert, un autre pèlerin était arrivé, et Eugénio avait invité une péruvienne vivant ici.
Tous réunis pour l’apéritif, je découvrais Robert, un informaticien Allemand, célibataire qui
avait décidé de marcher de Lucca à Rome par la Francigena pendant les vacances de Noël. Il
faisait des étapes de 40 km car il était tenu par son billet retour qui partait de Rome le 6
janvier.
Exténué, les pieds en mauvais état, il m’a embrassé en me voyant tant la rencontre lui
paraissait inattendue. Même si je le manifestais moins, mon étonnement équivalait au sien. A
la fin du dîner, en disant les grâces, le Père Bryan remerciât pour la joie que nous avions eu
d’avoir « un repas de famille » ce soir de Noël. Nous partagions tous ce point de vue tant nous
avions échangé librement sur chacune des nôtres, en anglais, en espagnol, en italien, en
français et un peu en allemand. Quelle surprise de reparler de Sydney, de parler américain,
espagnol et d’évoquer ces contrées si lointaines !
Après dîner je donnais une partie de mes pansements reconstituants (ceux que m’avait offert
Josette à Puyricard) à Robert qui me donnait en échange un grand sac de pistaches. J’eu du
mal à contenir mon sourire en me souvenant que lorsqu’à Karachi étaient organisées des
courses d’ânes, on donnait à ces animaux des pistaches pour les faire aller plus vite. Je ne
constaterai le lendemain aucune différence d’allure mais ne pousserai pas plus avant les
observations ayant eu rapidement raison du sac.
Minuit arrive et je ne puis m’empêcher de penser à la messe de minuit de 1963 à Pessan où
j’ai reçu la première communion à laquelle j’avais été préparé par Maman. En ce jour
anniversaire, 50 ans après, je rends grâce à Dieu pour la force que j’y puise chaque jour pour
poursuivre cette route.
Voyant les Pères Bryan, Eugénio et Peter venant de si loin pour annoncer la naissance de
Jésus, j’ai une distraction et les imagine en turban le jour de l’Epiphanie mais les chants me
rappellent vite que c’est Noël, fête de l’espérance.
Le lendemain, avant de quitter cette belle ville endormie, j’accompagne le père Bryan à la
messe qu’il célébrait au Duomo et profite ainsi de cette occasion pour le visiter.
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Je comprends que l’accès en soit limité et payant. Les murs sont entièrement couverts de
peintures représentant des scènes de l’ancien et du nouveau testament. De prime abord, j’ai
cru à un tatouage tant les couleurs un peu passées y faisaient penser. En fait, c’est une
véritable bande dessinée. Les dialogues sont si connus qu’on ne remarque pas l’absence de
« bulles ». Loin d’être mièvre ou décalé, ces peintures sont de remarquables invitations à la
prière. Ce sont, avec les tableaux du Caravage de St Louis des français à Rome, les peintures
qui m’auront le plus étonné. Bien d’autres sur la route méritent plus d’attention où sont de
bien plus grande valeur mais le voyage a sa propre alchimie.
Noël était célébré et une petite voix me soufflait que je n’aurais jamais pu m’offrir un tel
voyage si je n’avais pas choisi de le faire avec le seul qui pouvait l’offrir.
Merci.
CH 30
« Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur » Mat 6 (21)
Il s’agissait bien d’un trésor que j’étais en train d’amasser. La diversité des paysages et des
situations étaient certes là, mais la très grande bienveillance dont j’avais été l’objet, la
générosité, la profonde charité, l’amour avait tout changé.
Des dizaines de visages venaient à ma rencontre. Certains en larmes ou marqués par le
chagrin, d’autres empreints d’émotions, tous bienveillants et attentifs : les prénoms de
Monique, Alison, Laura, Maya et Jean, Claire et Cédric, Daniel et Sylvia, Pascal, Ossine,
Geneviève, Jacqueline, Jean, Serge, Reine et René, Agnès, Alain et Marie-France, le Père
Paco, Marthe et Léopold, Emilie et Julien, Marguerite, Nathalie, Bénédict et Michelle,
Dominique, Joëlle et Claude, Daniel et Louise, René et Francine, Sylvie et Jean-Luc,
Chrystelle et Tim, Olivier, Pétra, Claudine, Guiseppe et Anna, Doreta, Don Corado, Celi, Don
Thomaso, Don Franco, Sirah, Emma, Daniele, Laetitia, Fra Giovani, Sister Blandine, Angelo
et Guido, Fra Emiliano, Father Bryan, évoquaient des échanges qui m’ont nourri et désaltéré.
Je savais que cette litanie des saints était ouverte et que d’autres viendraient s’y ajouter..
Je revoyais tous ceux qui m’ont accompagné sur une distance plus ou moins longue :
Françoise, Jacotte, Paul, Père Luc, Bénédict, Claude, Louise, Jean, Olivia et Jérôme, Pétra,
Véra, Guido.
Combien de fois, ne pouvant garder ce que j’avais reçu, je l’ai confié à Dieu dans une prière
continue et un aveu de totale impuissance.
Voilà le trésor que j’étais en train d’amasser. Il est considérable.
Je découvrais tranquillement que « mes vieux jours étaient derrière moi » ce qui est sans
doute un peu tôt si l’on s’en réfère à la norme mais un peu tard si l’on considère que je
commençais simplement à me soucier de ce qui nous avait été stipulé par « revêtir l’homme
nouveau ».
C’est Noël et je suis en route.
CH 31 « Veillez et priez » Mt 26 (41)
Tout jusqu’ici s’était parfaitement déroulé. Je quittais San Gimignano sous un ciel chargé avec
un petit rhume attrapé deux jours plus tôt en ayant tardé à remettre un pull.
En quelques heures, un vent de face le faisait descendre sur les bronches avec les effets que
vous imaginez.
J’appliquais mes vieilles recettes à base de paracétamol sans arriver à endiguer tout de suite
les effets habituels. Pour compléter le tableau, le chemin ne desservait que des résidences
secondaires inhabitées en cette période. Les vaches étaient donc devenues en un clin d’œil
bien maigres.
27
La transition était brutale et j’arrivais frissonnant à Colle Val d’Este cherchant un abri car il
n’était pas question de dormir dehors ce soir.
Vous vous souvenez que lorsque je fais les plans pour la providence, je dors dehors. C’est
bien ce qui a failli arriver. Après avoir tourné plusieurs heures à la recherche d’une paroisse
ouverte, d’un couvent, d’une maison d’accueil, j’échoue sous la pluie dans la dernière église
de cette ville connue pour son industrie du cristal. Le prêtre est absent, elle est ouverte, il a
laissé un numéro de téléphone.
Pour la première fois je décide d’utiliser le téléphone pour essayer de me sortir de ce pas. Je le
contacte alors et me fais proprement éconduire. J’obtiens simplement l’autorisation de dormir
sous le parvis sachant qu’il rentrera vers minuit. Je m’assieds dans l’église en attendant que
quelqu’un vienne la fermer et prie pour que ce soit le plus tard possible. Nous sommes le jour
de Noël et je remercie celle qui m’a offert « les rochers » que je déguste « un par dizaine ».
Dehors le vent en rafale inonde le parvis me faisant envisager la nuit sous un angle un peu
plus sombre. Je regarde à nouveau la carte mais ne puis m’aventurer plus loin ce soir. Tous les
chemins sont envahis par la boue. Il faut attendre. 20h, un quidam entre dans l’église.
Au lieu de me chasser, il me fait visiter l’église consacrée à St Martial, comme la cathédrale
de Limoges. Typographe érudit qui aurait pu servir de modèle à Michel-Ange pour le plafond
de la chapelle Sixtine, Luigi va réussir à me passionner, jonglant avec les hérésies, les papes,
les rois, les saints, les reliques mais sans rien me préciser du futur proche. Enfin à 21h30 il
m’annonce : « je vais fermer l’église et vous conduire à la salle paroissiale. »
Cela prend une autre demi-heure. L’église enfin fermée, nous entrons dans le presbytère
attenant où, avec beaucoup de bonhommie, il me fait un café et m’offre les reliefs des
brioches entamées la veille par les fidèles venus assister à la messe de minuit. Un régal !
J’étais prêt à l’écouter toute la nuit en finissant les brioches quand le curé est arrivé.
Présentation rapide et service minimum ! Il me faisait payer de lui avoir un peu forcé la main
le jour de Noël.
Luigi, confus de sa réaction, essayait de me donner une explication dont je n’avais pas besoin
souhaitant simplement le remercier de sa gentillesse.
Je lui ai promis de lui transmettre tout ce que j’apprendrai sur St Martial pour son livre et
nous nous sommes embrassés. C’est promis, je ne recommencerai plus à m’occuper de ce qui
ne me regardait pas. « Lasciare » comme disent les Italiens.
Le lendemain le temps reste maussade et je pars pour Monteriggioni.
CH 32
« Faites tout ce qu’il vous dira » Jn 2 (5)
Cette place forte, parfait décor de cinéma, se trouve sur une motte escarpée. On a le sentiment
de la connaître depuis toujours tant elle a été photographiée. L’intérieur de l’enceinte fortifiée
n’a pas un grand intérêt. C’est un village marchand de 40 habitants dont l’activité principale
est de fixer le touriste pour en tirer le meilleur profit. Une maison pour pèlerin en fait une
halte de la Francigena. Arrivant de bonne heure je découvre que cela ne fonctionne pas sur
place en hiver mais dans la petite ville voisine où je me rends. J’y rencontre Don Doriano,
prêtre « multi tâches » qui accumule les activités et la fatigue. Il me reçoit, m’installe dans la
salle de catéchisme et s’excuse pour la température fraîche des lieux due à une panne de
chaudière. Commençant à avoir l’habitude et le paracétamol ayant fini par prendre le dessus,
cela ne m’inquiète pas. En revanche, il dispose d’une grande bibliothèque où je trouve un
guide de la ville de Sienne où je devrais arriver le lendemain. Je le potasse en attendant le
dîner auquel il m’a invité. L’homme est en fait un acète qui m’offrira principalement un bol
de riz et une part de brioche. Il évoquera alors l’idée qui lui tient à cœur qui est de revitaliser
la Francigena.
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Marcheur et pèlerin, il partage ce qui depuis quelques semaines me paraît évident, la route est
une église à part entière. C’est une église à ciel ouvert qui commence à la porte de chez soi et
qui permet de se rendre à St Jacques, Rome, Jérusalem, etc. qui sont les autres portes. Elle est
dans ce cas incontestablement universelle et ouverte à tous, Son rêve est de lui redonner sa
dimension spirituelle. C’est une église contemporaine, église nomade, église éternelle et
éphémère. C’est une église qui demande à respecter un code de bonne conduite, qui est belle,
doit être entretenue, qui s’adapte aux besoins, qui est fréquentée par toutes les générations. Je
parlais de fraternité itinérante à créer, c’est la poursuite de cette réflexion.
Je suis encore reconnaissant au Père Dorian de m’avoir proposé de venir avec Françoise
diriger cette maison de pèlerin. Ce n’est pour le moment pas au programme, mais si c’est une
suite logique de ce chemin, ceci se fera comme le reste.
CH 33
« Regardez les lys des champs » Mt 7 (28)
L’arrivée à Sienne par le nord est un peu déroutante car on découvre la ville quasiment en en
franchissant la porte. Immédiatement saisi par la compacité et l’élégance de l’ensemble, par le
relief très marqué des trois collines qui la constituent, par les multiples signes de l’opulence
passée, par la profondeur de son histoire, par le nombre de personnalités de très haut rang qui
ont participé au cours des siècles à son rayonnement, on cherche un fil conducteur. La
municipalité qui l’a compris propose des itinéraires de visite thématiques. Je choisirai celui
permettant de mettre ses pas dans ceux de Ste Catherine et poursuivrai ainsi ce pèlerinage.
Il n’est pas utile de décrire la sensation que j’éprouvais en entrant dans le sanctuaire puis en
me recueillant près des reliques de Ste Catherine dans le couvent dominicain qui le surplombe
tant elle est comparable à celle que chacun éprouve lorsqu’il a l’impression d’être « en
présence de »…
Cette proximité soudaine, qui pourrait être une application particulière de la théorie de la
relativité, donne accès à une forme de plénitude nous faisant un instant échapper au temps et à
l’espace pour une forme de communion, communion des saints.
Vous le comprenez, j’ai ressenti à Sienne cette proximité. Ici avait été conçu et écrit « Le
dialogue », souvent considéré comme un traité sur la Providence. Le résumé que j’en lisais
éclairait d’une lumière très particulière les semaines que je venais de vivre et faisait de la
providence l’outil de Dieu pour stimuler la charité qui unit les hommes les uns aux autres.
Accueilli dans la maison des sœurs de la charité, je dormirai pour la première fois avec des
pèlerins Italiens effectuant un tronçon de la Francigena entre Noël et le jour de l’an. Ils étaient
en vacances et avaient décidé de combattre par tous les moyens la mélancolie. Je ne savais pas
que l’on pouvait parler aussi longuement de ses pieds, ils me l’ont fait découvrir. En effet ils
ne marchaient selon eux que pour éprouver les deux grands moments de satisfaction du
marcheur : celui où l’on enfile ses chaussures et celui où on les retire.
Le lendemain matin, les plus jeunes avaient un peu plus de temps et ont commencé à se
confier. A la recherche de références, ils s’étaient constitués en groupe autour de quelques
valeurs partagées mais cherchaient comment les orienter pour en faire une trajectoire de vie.
Ils avaient des plans, des astuces, mais ne croyaient plus en rien. Je suis devenu pour eux le
type sur la route qui leur a dit qu’il marchait parce qu’il croyait.
« - Mais qu’est-ce qui te prouve ?
- Vous, qui ne me prouvez pas le contraire… au contraire. »
Je quittais Sienne et entrais dans le désert de Toscane. Il s’agit d’une partie de la province ou
les collines d’argiles sont totalement nues. Quelques cyprès signalent les fermes construites
du temps de la réforme agraire de la démocratie chrétienne. C’est monotone et gris. Cela a
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bien meilleure mine au printemps comme j’ai pu l’admirer sur des photos. En attendant, je
marche dans la boue et trouve la plaisanterie un peu longue. Après avoir transporté sur des
kilomètres des kilos de « terre de Sienne », je décide de reprendre la route goudronnée. En
demandant mon chemin j’arrive chez Francesca. Elle est venue rendre visite à ses parents
agriculteurs. Elle m’invitera à déjeuner et j’apprendrai tout de l’agriculture céréalière en
chenillette. Un œil sur le ciel, un autre sur le pluviomètre, son père a des « fenêtres » très
étroites pour cultiver ses champs. Il est du coup un bricoleur de génie faisant presque tout par
lui-même. Si j’étais resté plus longtemps, il m’aurait équipé sans aucun doute d’un sac
autoportant et de chaussures « massantes ».
Depuis le départ de Sienne, je suis sur la Via Cassia, voie romaine qui relie Rome à Florence.
La Francigena la longe et souvent je resterai sur la Cassia. J’avance de nouveau par un temps
d’automne.
La fin du pèlerinage se dessine et Françoise, qui devait me rejoindre à Rome, après m’avoir
demandé de retarder mon arrivée, semble de moins en moins décidée à prendre la voiture pour
venir me chercher. Elle redoute le temps, la longueur du voyage, les encombrements de
Rome, même si sur place elle sera accueillie par Jérôme et Marie-Hélène, des cousins très
chers que nous sommes très heureux de retrouver. Il y a aussi Camille, la fille de Jacotte qui
nous y attend. Affaire à suivre.
CH 34
« Joseph prit l’enfant et sa mère » Mt 2 (14)
De Luca j’avais envoyé le 20 décembre une lettre au Vatican pour demander deux invitations
pour l’audience générale du 15 janvier prévoyant d’arriver à Rome le 12 ou le 13. Il ne reste
aujourd’hui plus qu’environ 200km, j’y crois à peine.
Je fais une étape rapide et sans intérêt particulier à Monteroni et repars le lendemain sous une
pluie battante. C’est le dimanche de la Sainte Famille.
Arrivé à Ponte d’Arbia en milieu de matinée, je n’avance plus. Je m’arrête à l’église où la
messe n’aura lieu qu’à 16h. J’entre dans le village où une bonne âme me dit :
-« Vous cherchez Patricia ? »
-« Je suis pèlerin. »
-« Oui, c’est Patricia. Je vous y conduis. »
Ce dialogue plus que syncopé entre une pèlerine dégoulinante et un parapluie retourné se
termine par une course au milieu des éclaboussures et des éclats de rire pour rejoindre la
maison de « dame Patricia » proche de l’église.
Arrivé là, le parapluie hurle : « - Un pellegrino. Ciao Patricia. », et s’échappe. Ainsi présenté,
Patricia éclate de rire à son tour, me propose de rester au gîte pour pèlerin de Ponte d’Arbia
où d’aller à 5 km à Buonconvento. Le ciel m’indique que rien ne changera beaucoup
aujourd’hui, j’accepte donc de rester au gîte. Comme elle est en pleine cuisine, elle appelle
son mari pour qu’il m’y conduise. Guiseppe, jeune retraité d’une grande banque italienne
m’accompagne jusqu’au centre culturel Crespi, nom compliqué du gîte pour pèlerins. C’est
spacieux et froid mais je suis au sec. Je m’y installe en me disant que je retournerai chercher
un peu de pain dès qu’il fera meilleur. Attendant cette accalmie, je reçois le SMS d’Aurore
m’annonçant l’accident de Louis. Il est sauf mais a eu très chaud. Je l’embarquerai sur mon
chapelet les jours suivant jusqu’à Rome.
Le temps passe quand j’entends frapper à la porte. Guiseppe est revenu pour m’inviter à
déjeuner. J’accepte avec grand plaisir et me retrouve accueilli par trois générations autour
d’un buffet familial abondant en recettes italiennes et savoureux. J’y goûterai le Brunello
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(excellent vin de Montalcino que je traverserai avec Don Domenico quelques jours plus tard)
et la grappa du coin. J’y goûterai surtout la joie de fêter « la sainte famille » dans un foyer
italien équilibré et harmonieux. L’après-midi, je serai embauché pour préparer le feu destiné à
cuire les saucisses et la polenta car la messe sera suivie d’un concert de chants de Noël puis
d’un buffet dinatoire.
Entouré par les anciens qui ont décidé de me nourrir, et par les jeunes qui veulent me faire
boire, je rencontre le curé du lieu, Don Doménico Poéta, curé de Buonconvento et de Ponte
d’Arbia, dont m’avait parlé Laura. Il me donne rendez-vous le lendemain matin à 9h. Il parle
français et est, comme Don Doriano, passionné de la Francigéna.
CH 35 Ad Limina Petri « Je suis le chemin, la vérité, la vie » Jn 14 (6).
Nous sommes le 30 décembre, j’arrive après une heure de marche dans une brume épaisse à
l’église de Buonconvento. C’est une petite ville touristique de Toscane qui a l’avantage d’être
dans la plaine et donc accessible à tous. Je me présente au presbytère et après une heure
d’échange, Don Domenico, à qui j’ai dit que je n’étais pas pressé, me propose de rester chez
lui et de l’aider à finir le balisage d’un tronçon de la Francigéna qu’il prépare.
Nous descendons au rez-de-chaussée du presbytère où il a installé son atelier. Sur place il me
fait découvrir les blocs de travertin qui lui ont été donnés et qu’il grave au burin de petits
pèlerins, de flèches et de noms de lieux.
Je vais donc pendant trois jours l’assister dans cette tache, modifiant au fur et à mesure la
forme des pèlerins pour les rendre plus identifiables. Nous aurons pendant cette période de
nombreuses discussions au cours desquelles il m’interrogera sur la vie de père de famille et je
l’interrogerai sur la vie de prêtre. La pauvreté et les jeunes sont ses principaux soucis.
Il me présentera l’association « Ad limina Petri » destinée à revitaliser la Via Francigéna et
nous reprendrons l’enseignement de Ste Catherine sans la citer.
St Jean nous dit que « Dieu est le chemin,… ». Dieu n’est pas installé, il relie, conduit et
transporte. Dans ce cadre, bien peu d’êtres humains refusent l’existence de Dieu, mais ils en
ont une vision contraignante qui les en éloigne. Le chemin, Dieu, n’est que rencontre et
partage si l’on accepte d’aller vers les autres. Cette dépendance est de fait le meilleur accès à
Dieu. Elle conduit à rendre grâce, à remercier le prochain, et finalement à se satisfaire de ce
qui est offert (encore Ste Catherine). C’est l’expérience que je fais au quotidien.
Mais qui dit chemin dit étape : « Il y eut un soir, il y eut un matin. ». C’est une obligation
naturelle qui permet de se refaire, de reprendre des forces, de voir arriver un nouveau jour. De
même que nous ne pouvons pas rester toujours dans l’ombre, nous ne pouvons pas être exposé
en permanence à la lumière. Les étapes sont aussi importantes que la marche et doivent
remplir leur rôle : redonner des forces, puiser à la source. Il y a là un effort à faire pour
proposer, selon les besoins de chacun, une réponse adaptée à son chemin.
Le travail étant terminé, je repartirai le 2 janvier. C’est l’anniversaire de Don Doménico.
Comme il a besoin de prendre l’air, je lui propose de m’accompagner ce matin sur la route et
je lui offre le béret basque que j’avais emporté mais jamais mis. Il est tout heureux d’arborer
ce « foulard de luxe », c’est ainsi que le nomme l’étiquette intérieure, et de marcher d’un bon
pas vers Montalcino et San Quirico. Nous nous séparons après un café avec l’espoir, sans
doute exagéré, de pouvoir nous revoir un jour prochain. Inshallah !
31
CH 36
« J’ai eu faim… j’ai eu soif, j’étais étranger, nu, malade, en prison, » Mt 25 (35)
Heureux de reprendre la route, j’avance vite vers San Quirico. Plusieurs rencontres sur le
chemin me permettent de blaguer car, en cette période de fête, beaucoup sont en vacances. Je
suis invité à déjeuner dans une ferme avant d’arriver et suis initié au pressage des olives et à
la filtration de l’huile.
A San Quirico, le curé a un look dévastateur. Grand et fort, il porte un bonnet commando sur
la tête, une grande cape noire sur les épaules, des gourmettes au dessus de mitaines et des
rangers pour compléter le tout. L’ayant croisé au couchant à la tête d’un enterrement, je me
suis demandé si les mélanges fermiers que j’avais gouté n’avaient pas un effet légèrement
hallucinogène. Mais non, c’était bien Don Giani qui dirige fermement le gite de sa paroisse.
J’en partirai le lendemain sans regret.
J’allais faire une des étapes les plus dures de ce voyage en raison du dénivelé, du climat et de
la rareté des points de ravitaillement. Je partais pour Abadia di San Salvatore à 33km de là. La
ville est à 800m d’altitude mais la voie que j’avais choisie passait par la montagne et
notamment par un col à 1400m. Après un début facile et un paysage splendide jusqu’à
Castello d’Orcia, j’allais entrer dans la brume puis subir des averses généreuses comme la
montagne peut en réserver.
La providence elle même s’était mise à l’abri.
Sous ma pèlerine, avec un champ de vision limité à un carré de goudron ourlé d’une bande
blanche à moitié effacé à gauche, j’avais tout loisir de méditer la passion. C’est plus facile
dans ces conditions d’imaginer son implacable déroulement et tellement plus dur de penser
que le Christ avait « avalé » tout cela pour chacun de nous.
Je trouve un accueil de fortune dans une maison familiale qui aurait dû être fermée et
découvre en riant que mes chaussettes ont succombé à cette étape.
Rien qui ne puisse m’empêcher de dormir et de me retrouver le lendemain à la messe à
l’abbaye où il ne reste plus que 2 moines dont un de 92 ans. L’église est l’une des plus belles
architectures romanes conventuelles que j’aie vues, et sa crypte est une merveille. Mon
étonnement tient surtout au fait de trouver là pareil monument, un peu comme la cathédrale
d’Auch dans le département du Gers ! Les cartes politiques, économiques et religieuses sont
moins figées que la géographie.
Je quitte Abadia en direction d’Acquapendente et commence la descente. Deux heures plus
tard je m’apercevrai que je suis descendu dans la direction opposée à celle que je devais
prendre, et que je n’arriverai pas ce soir à Acquapendente. Je n’ai pas d’autre option que de
me rendre à Radicofani (820m) où j’arrive après une montée de 8 km dans une brume à
couper au couteau. Je n’apercevrais l’impressionnante forteresse située sur un pic à la
Monségur que le lendemain. En attendant, les bourrasques venaient s’écraser sur le rempart et
toute la petite ville était dans l’obscurité. On annonçait la neige pour le lendemain.
Dans la montée, par visibilité nulle, la méditation de la passion a fait place à un nouvel
examen de conscience, celui qui est décrit pour le jugement dernier. Vous me direz que ce sont
des pensées bien sombres, je pense qu’elles étaient étapes de cette route et que je ne pouvais
pas en faire l’économie.
C’est ainsi que j’ai réalisé comme il est facile par son comportement de priver les autres d’un
moment de joie. Comment la colère ou l’entêtement, la méchanceté ou la jalousie peuvent en
être la cause.
Une affiche dans l’église renvoie le pèlerin de passage à une hospitalité tenue par la
confraternité de St Pierre et St Jacques qui se trouve juste en face. Je me dirige vers l’entrée et
croise un couple de promeneurs qui m’interpellent en me demandant si j’étais pèlerin.
Francesco, docteur à Florence est venu aujourd’hui montrer à son épouse Anna Radicofani où
32
il est passé comme pèlerin l’été dernier. Il est tout heureux de parler et a envie de montrer le
refuge Du coup, il appelle Fausto le responsable et attend son arrivée à mes côtés. Fausto
arrive, s’excusant en souriant de ne pas offrir les meilleures conditions climatiques. Il
m’installe avec beaucoup de bonhommie dans le gîte le mieux agencé et décoré de toute la
Francigena.
Francesco et Anna, qui n’ont pas grand-chose faire compte-tenu du temps, sont ravis de cet
intermède. M’ayant entendu dire à Fausto que je voyageais sans argent, Francesco qui aurait
voulu faire pareil, fait un don à la confraternité. Fausto en riant me dit en partant d’aller dîner
au restaurant qui est en face car tout est réglé. Sourire de la providence alors que la neige
commence à tomber. Merci à Francesco et Anna.
Vous ne serez pas étonnés de savoir qu’au mur de la salle à manger de la maison du pèlerin
sept petites gravures anciennes évoquent l’idéal de la confraternité :
- visiter les infirmes,
- visiter les prisonniers (pardonner les offenses),
- enterrer les morts (prier pour les morts et leurs proches),
- accueillir le pèlerin,
- habiller ceux qui n’en ont pas les moyens (consoler les affligés),
- donner à boire aux assoiffés (conseiller ceux qui sont dans le doute),
- donner à manger aux affamés (enseigner les ignorants).
En quittant Radicofani le dimanche matin par un sentier de toute beauté, je constate que la
Toscane avait plus à offrir par beau temps, mais j’ai aimé cette province qui rappelle tellement
la Gascogne et le piémont pyrénéen.
CH 37
« Femme, ta foi est grande, qu’il te soit fait selon ta foi. » Mt 15 (28)
L’entrée dans le Lazio se fait avec le temps habituel. M’arrêtant pour demander du pain, la
grille s’ouvre et un adolescent m’invite à entrer dans une petite maison surplombant la rivière.
Franchissant la porte, je salue Rita, la maîtresse de maison, avocate, mère de deux adolescents
et son père qui se préparent à passer à table. Sans me demander quoique ce soit, car
manifestement je ressemble à l’image qu’elle se fait du pèlerin, elle m’invite à poser mon sac,
m’offre un siège et me sert une grande assiette de pâtes. Pratiquant l’Evangile comme
monsieur Jourdain la prose, elle affiche un très profond ressentiment contre l’église. Les
premières prises de position du Pape lui font aimer François et souhaiter qu’il puisse aller au
bout de ce qu’il a entrepris : remettre l’église au service de tous les pauvres, quels qu’ils
soient. Mais la curie italienne lui semble bien difficile à réformer.
Nous déjeunons joyeusement puis, son père sort pour fumer et les enfants sont absorbés par
des jeux télévisés. Rita qui ne rêve que d’une chose, expérimenter le « lasciare », commence à
me raconter la difficulté de sa vie. Très vite elle est au bord des larmes. Elle a été abandonnée
par son mari il y a douze ans et depuis mène sa barque seule. Elle passe son temps à plaider
des divorces, à gérer l’éducation de ses adolescents, et n’arrive pas à pardonner au père de ses
enfants son abandon de poste.
Elle n’avait sans doute pas pu confier son fardeau depuis longtemps, je tombais bien.
La confession, ringardisée par les psy de tout acabit qui pensaient pouvoir renouveler le
genre, était ce dont Rita avait le plus besoin aujourd’hui. Elle avait besoin de dire sans être
jugée, d’expulser beaucoup pour oublier un peu, de sentir qu’elle pouvait transférer un peu de
sa souffrance à un autre pour réduire sa charge, de se confier. J’étais, sans l’avoir prévu, là
pour ça.
Lessivé, il m’a fallu la fin de l’étape pour digérer le tout et, à mon tour, la confier
chaleureusement à celui qui m’y avait envoyé.
« L’église à ciel ouvert » aurait-elle un urgent besoin de pèlerins confesseurs ?
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Cela soulagerait sans doute quelques souffrances du monde contemporain.
En arrivant à Acquapendente une halte pèlerin est indiquée à « La Casa de Lazaro ». Il s’agit
du couvent des capucins. Je m’y rends et suis accueilli par deux sœurs du St Sacrement de
Bergamo qui tiennent la maison depuis le départ des derniers moines. Elles me conduisent au
dessus du cloître dans une cellule monastique, m’indiquent qu’un groupe de scouts passe le
week-end et me suggère de dîner avec eux. Je passe un moment dans l’église conventuelle
avant de rejoindre cette troupe mixte qui rentre d’un jeu découverte dans la ville. Nous faisons
connaissance dans la bonne humeur. Sérena au visage lumineux dirige cette bande
d’adolescents évaporés de 16/18 ans, (4 garçons, trois filles) comme une mère maniant tour à
tour fermeté et patience. Ils viennent de Rome et sont là pour le week-end de l’Epiphanie.
Surpris de rencontrer encore un pèlerin en cette saison, ils en déduisent immédiatement que
l’hiver sera doux.
Confirmant que j’ai croisé des oies remontant vers le nord, je suis adopté pour un dîner à base
de pâtes, de pommes de terre sautées, de thon à l’huile et de Nutella.
En deux heures, je vais leur faire découvrir les charmes de la providence et le plaisir de faire
leur BA avec un grand-père. Comme pour le groupe précédent, la crise financière et
l’incertitude qu’elle fait peser sur leur avenir les rend extrêmement pessimistes. Dès lors, se
sentant dans une impasse, ils ne recherchent plus que des bonheurs immédiats. Ils ont
beaucoup de mal à comprendre mon objectif.
Serena, décoratrice sans travail, a trouvé un contrat de 6 mois pour nettoyer les stucs de la
colonnade du Vatican. Elle se bat avec fougue et détermination et transmet sa flamme à sa
troupe. Fédérico son ami, qui l’a rejoint pour la soirée, résume la situation en disant : « je suis
professeur particulier de sciences, maître nageur, et professeur de guitare. J’ai trois métiers et
aujourd’hui aucun avenir. »
Le lendemain matin, alors qu’elle remet un peu d’ordre après la veillée, elle m’invite à venir
la voir à Rome le mercredi 15 après-midi, après l’audience générale. J’y passerai mais un peu
trop tard, elle avait dû partir. Je trouverai en revanche toute une bande de jeunes surqualifiés
passant le karcher et effaçant les altérations du temps dans une ambiance surréaliste « de
commedia del arte. » Bon courage Séréna !
Il me faut maintenant préparer l’arrivée et mettre de l’ordre dans les merveilles accumulées
depuis le départ. Je vais donc profiter des dernières étapes pour relire mes notes.
VIII Apprendre à aimer
CH 38 « Et tous ceux que vous trouverez, invitez les au festin » Mt 22 (9) « La moisson est
abondante et les ouvriers peu nombreux » Mt 9 (37)
Cette relecture va se faire au cours des haltes régulières de la journée. Je vais y être aidé en
empruntant la vieille via Cassia qui serpente entre les oliviers, les vignes, les forêts de chênes
puis les vergers de noisetiers. En cette saison de dépouillement naturel, les paysages sont en
robe de bure et les pavés souvent couverts de boue. Avec beaucoup d’émotion je mettrai mes
pas dans ceux de St François qui avait emprunté pieds nus la Cassia avec Fra Maurizio sur ce
tronçon en allant à Rome. C’était en 1222 comme l’indique une belle pancarte.
Les jours suivants, je vais m’arrêter successivement à Bolsena, Montefiascone, Viterbe,
Vetralla et Suttri. Toutes ces villes qui ont eu un lien direct avec les Etrusques, Rome, la
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papauté, protègent des merveilles en leurs murs. J’en verrai quelques unes et éprouverai
toujours un sentiment de frustration lié à la pauvreté de mes connaissances historiques.
J’y serai accueilli dans des couvents ou monastères dont les communautés sont composées
pour moitié, voire en majorité, de sœurs d’origine étrangère (Sœurs du Sacré Cœur de
Bolsena congrégation fondée en France à Valence, bénédictines de Montefiascone,
bénédictines de Cuna près de Vetralla, carmélites de Suttri). D’autres communautés comme
les oblats de Sestri Levanto ou les petites sœurs des pauvres de La Storta ont été renforcées
par des missionnaires venant d’autres pays. La crise des vocations explique ce changement
mais également le souci de l’église de faire face au maintien d’un service qu’elle est
aujourd’hui la seule à rendre.
J’ai pu ainsi rencontrer des sœurs du Rwanda, des Philippines, du Brésil, de Corée, du
Mexique, d’Indonésie, d’Equateur, de Tanzanie, de Côte d’Ivoire, du Congo, du Bénin…
Certains critiquent ce choix mais ne proposent aucune solution.
En les voyant se dévouer au service de tous, porter fièrement l’habit de leur ordre et rendre
gloire à Dieu, je n’ai pu m’empêcher de méditer différemment la parabole comparant le
royaume des cieux à un roi organisant un festin de noces pour son fils et qui se fait snober par
ses invités. Comprenant que les invités n’en étaient pas dignes, il fit chercher dans la rue tous
ceux qui passaient par là. La suite vous la connaissez…
Nous sommes donc bien libres et Dieu fait simplement avec « les outils » qui s’offrent à lui.
Bello !
CH 39
« Si quelqu’un m’aime,… et nous ferons notre demeure chez lui » Jn 14 (23)
Depuis le début de la route, je n’avais rencontré que des gens qui répétaient à leur manière la
demande lancinante de l’apôtre Jean : « apprends nous à aimer ».
J’avais réussi jusqu’ici à retourner la question sans avoir à donner d’autre réponse que le
fameux « viens, suis-moi ». Beaucoup le prenaient en riant et invoquaient leur état de vie ou
leur état général pour se défausser. Mais à chaque page la réponse apparaissait en filigrane :
« …garde ma parole… ».
A Camaiore, Amadeo m’avait donné un nouveau testament en italien. C’était donc le moment
de plonger dedans et d’écouter la réponse. Quand je pense que la sœur Eliam avait essayé de
m’en faire prendre un au Thoronet. J’avais bredouillé que le Magnificat avec les textes du
jour me suffisait et qu’un nouveau testament lisible était un poids supplémentaire que je ne
pouvais pas me permettre.
Rétrospectivement, je comprends sa souffrance et lui demande pardon, mais je n’étais pas
prêt. Aujourd’hui je le suis et vous comprenez maintenant pourquoi chaque chapitre
commence par une citation de la parole. Si elle vous paraît parfois peu en rapport avec le
propos et qu’elle vous inspire une autre réflexion, accueillez là et faîtes-en votre miel.
J’avais compris qu’il fallait garder la parole, non pas comme des sentinelles impassibles, mais
comme des semeurs qui préparent de leur mieux le terrain avant d’enfouir la semence qu’ils
ont soigneusement gardé.
CH 40
« Pierre, m’aimes-tu ? » Jn 21 (15)
Dans le même temps, après avoir longuement hésité, Françoise me confirme qu’elle renonce
à venir à Rome. Le choc est rude car c’était l’occasion de partager avec elle, qui m’avait
accompagnée tous les jours, un moment de ferveur particulière. C’était aussi du point de vue
pratique la garantie d’un retour assuré. Nous avions tellement apprécié Malte où elle m’avait
rejoint à mon retour de Libye que Rome avait déjà un peu de cette saveur.
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La première contrariété passée, je constatais que la bulle de confort que je pensais avoir cassé
était toujours bien là.
L’incertitude jouait les prolongations, rien n’était donc fini. De fait la providence revenait sur
le devant de la scène. « C’est facile de se rendre à Rome, sauras-tu rentrer ? »
J’en étais là lorsque j’ai rencontré Lorenzo, arboriculteur qui sarclait ses oliviers. A la suite
d’un bel échange sur les caprices de la nature et la difficulté du temps, il me conduisait à sa
grange pour me montrer sa récolte de l’année perdue à cause d’un insecte qui avait piqué ses
olives les rendant impropre à être pressées. Souriant et combatif, il gardait le moral en me
disant que cette récolte servirait d’engrais et que la prochaine serait meilleure.
Il avait la providence infuse et j’avais ma réponse qu’il accompagna d’un morceau de pain et
d’un pied de fenouil ramassé pour moi au jardin : je n’avais qu’à poursuivre comme prévu,
arriver à Rome en pèlerin, me recueillir sur la tombe de Pierre, saluer son successeur et rentrer
en faisant confiance à la providence.
Mais la question qui revenait à chaque montée, à chaque virage devenait de plus en plus
simple et de plus en plus embarrassante : « Pierre, m’aimes-tu ? ». Et j’étais aussi maladroit à
répondre que l’apôtre : « tu sais tout, tu sais que je suis ton ami ». Oui, je suis ton ami.
J’arrivais ainsi à Campagnano di Roma où j’allais retrouver le lendemain, dimanche 11,
Marie-Hélène et Jérôme qui venaient m’accompagner pour cette avant dernière étape,
Campagnano / La Storta.
La providence depuis le départ avait fait des dimanches des jours particuliers. Le dernier
dimanche ne dérogeait pas à la règle.
Parti vers 9h nous avions une courte étape de 25 km à faire par un temps très clément
permettant même de rester un moment en tee-shirt. La tentation aurait pu être grande de
considérer le chemin effectué, de reprendre pied dans le monde quitté deux mois plus tôt et de
bâcler la fin dans l’excitation et la légèreté. Marie-Hélène et Jérôme vont au contraire avec
une très grande délicatesse se couler dans cette route pour me présenter Rome où je n’étais
jamais venu. Nous avons passé en revue les joies et les peines de la famille dans un partage
chaleureux et bienveillant en parfaite harmonie avec le paysage des collines de Rome coiffées
de pins parasols.
En pleine forme, la peau tannée par la vie au grand air, un sourire difficile à retenir, j’entrais
le lendemain 13 janvier à midi sur la place St Pierre.
IX Rome
CH 41
« et il se met à laver les pieds des disciples » Jn 13 (5)
Rechercher l’effet de surprise en arrivant sur la place St Pierre tient de l’auto persuasion. En
effet, ce monument semble si familier qu’il est aussi beau et aussi grand qu’imaginé.
L’émotion est ailleurs et il y en a pour tous les gouts. Je me contente donc d’un rapide coup
d’œil, me fait éjecter de la queue des visiteurs car je porte un canif, et me dirige vers le
Trastevere (rive droite, via Génovèse) vers le couvent de franciscaines qui abrite la
confraternité de St Pierre et St Jacques accueillant les pèlerins. J’y suis reçu par une petite
sœur qui prend mon sac et me demande de revenir à 17h car le bénévole de l’hospitalité n’est
pas encore arrivé. Etant juste en face du Panthéon, de la colline du Capitole, du forum, du
Palatin et du Colisée, je file pour une marche/prière dans cette Rome qui fut si hostile aux
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premiers chrétiens. De retour à l’hospitalité, Mario le calabrais m’invite à me désaltérer puis
m’installe dans une chambre pour pèlerins en me donnant rendez-vous à 19h30 pour mettre le
timbre sur la crédential, me laver les pieds et dîner.
J’étais encore le seul pèlerin et savourais chaque instant, tout particulièrement le lavement des
pieds, de cet accueil si recueilli. Je suis parti il y a 72 jours et louais la bonté et la miséricorde
de Dieu pendant que Mario faisait des pâtes au piment et taillait le jambon.
Dîner d’échange d’aventures de pèlerins, de partage d’émotions dans une atmosphère de
béatitude. Un régal.
CH 42
« Tu es Pierre, et sur cette Pierre je bâtirai mon église » Mt 16 (18)
Le lendemain matin à 7h nous avions rendez-vous à l’entrée de la basilique avec MarieHélène et Jérôme, auxquels s’était jointe Camille, pour assister à la messe dite en français par
Arnaud, jeune prêtre du diocèse d’Auch qui finissait sa formation théologique à la
Grégorienne. Le temps était de nouveau à la pluie et nous nous sommes rapidement réfugiés à
l’intérieur de la basilique avant de rejoindre une chapelle de la crypte qui lui avait été attribué.
Nous étions si proche du tombeau de Pierre que Jérôme en sortant nous conduisit à la chapelle
se trouvant au centre de la crypte pour nous expliquer les fouilles entamées par Pie XII et me
donner une grande envie de visiter ce chantier.
Nous petit déjeunons tous ensemble et Marie-Hélène, qui a invité toute la bande pour dîner,
me donne 25 € pour que je tente ma chance car les visites se font par tout petit groupe compte
tenu de l’exigüité des lieux et sont payantes. Je pari avec toute la bande qu’avant ce soir
j’aurai visité les lieux et lui rendrais son argent.
Je reviendrai chez elle à midi ayant passé deux heures dans les fouilles et lui rendant son
argent sans avoir eu besoin de trop solliciter la providence. Un heureux concours de
circonstances accumulant un huissier pressé, une pluie dissuadant les visiteurs, la capacité de
suivre la visite dans les principales langues de la chrétienté et un zeste de culot avait fait la
différence.
Je parlais d’émotion, elle m’attendait au cœur de cette nécropole, au dessous de la basilique
constantinienne, sous la forme d’une petite veilleuse au pied d’une petite colonne blanche.
« Sur cette pierre… » Je prie pour qu’elle soit partagée du plus grand nombre.
La seconde sera en sortant et en regardant l’obélisque du cirque de Néron qui est au centre de
la place. Elle fut sans doute l’une des dernières choses que le regard de Pierre croisa, sans y
faire attention bien sur, avant d’expirer.
Après une telle matinée, dans le saint des saints, j’avais rendez-vous avec Alain au palais
Farnèse. J’avais eu à travailler pour lui à mon arrivée au Quai et c’est avec beaucoup de joie
que nous nous sommes retrouvés. Nous avons évoqué son poste, sa famille et les situations
compliquées auxquelles l’un et l’autre avaient été confrontés. Nous avons évoqué la route,
l’abandon, la providence et la joie que l’on peut éprouver dans le dépassement de soi pour les
autres, l’envie de contribuer au bien. Jérôme, qui avait organisé la rencontre, m’a ensuite fait
visiter les lieux, des mosaïques des caves aux plafonds les plus ornés. C’est un peu écrasant.
Marie-Hélène et Jérôme m’ayant invité à descendre chez eux, je quittais l’hospitalité le soir et
arrivais pour un dîner très familial où je faisais la connaissance de Tiphaine leur dernière.
Camille décidait de se joindre à nous pour l’audience générale du lendemain, nous serions
donc au moins trois à 9h sur la place St Pierre !
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CH 43 « Disciple et Missionnaire » SS le pape François
Quand nous sommes arrivés les chaises étaient mouillés et un vent froid avait remplacé la
pluie. Nous étions déjà beaucoup plus de 3.
Petit à petit les bords de chacun des « casiers à fidèles » se sont remplis en prévision du
passage de la papamobile. L’audience générale devait commencer à 10h30 mais le pape est
arrivé vers 10h. Il a commencé à circuler comme il a l’habitude de le faire et nous le verrons
passer à deux reprises à quelques mètres de nous, embrassant des enfants, saluant, un
immense sourire aux lèvres. Les gardes suisses multipliaient les arrêts de volley pour attraper
les petits enfants qui leur étaient lancés et les faire bénir ou embrasser par le pape François.
J’ai éprouvé à la fois une étonnante proximité et un immense respect. Je n’étais pas le seul à
rester silencieux et simplement si heureux d’être là.
L’enseignement portait sur la nécessité d’être à la fois disciple et missionnaire. Il saluera à
cette occasion l’église du Japon qui a été capable de rester enfoui 200 ans et de renaître plus
forte et plus grande qu’à l’origine.
Le message était fort et clair.
J’étais parti pour tout donner, j’avais tout reçu.
X Le retour
CH 44 « Ils rentrèrent par un autre chemin » Mt 2 (12)
En quittant la place St Pierre, le retour commençait.
L’idée était de trouver éventuellement un bus de pèlerin rentrant en France. J’allais pour cela
au terminal du Janicule proche de St Pierre mais constatais très vite qu’il n’y avait aucun bus
à destination de la France dans cette zone. En interrogeant les différents passants français
j’apprends qu’ils sont tous venus par avion. Donc, pas de solution de ce côté là.
Il reste le stop. Le choix doit se faire entre la Via Aurélia et la Via Cassia, mais je ne partirai
que le lendemain, ne me lançant pas sur la route avec un capital d’uniquement deux petites
heures de jour. Entre-temps, Ségolène va me faire rencontrer, par un concours de circonstance
que seul peut se permettre la providence (vous avez l’habitude), le père Louis fmj, secrétaire
particulier du cardinal Ouellet. Nous prendrons un chocolat chaud offert par les sœurs de
Castelfiorentino (vous vous souvenez les 10 €) car nous sommes aussi riches l’un que l’autre.
Nous évoquerons la spiritualité de « Famille Marie Jeunesse », la vie à Rome, la nomination
des évêques, le Canada.
Dîner rapide chez Marie-Hélène et départ le lendemain à l’aube vers La Storta où elle me
dépose. J’allais remonter à une allure de crabe les dernières étapes que je venais de faire à
pied : Suttri, Viterbe, Montefiascone, Bolsena, Acquapendente. Finalement je me retrouve
vers 15h, près de Radicofani, à seulement 150 km de Rome, après avoir changé 11 fois de
véhicule. Et là, plus rien ! Ce n’est pas que les voitures ne s’arrêtent pas, c’est qu’elles ne
passent plus. Seuls quelques camions me frôlent de temps en temps.
Que faire ? Je ne suis pas en mesure de retourner en arrière ni de changer de route. Il ne me
reste qu’à avancer. Je marche pendant deux heures, j’ai mis mes brassards car le soir tombe et
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j’avoue que je me prépare à coucher dehors car ce coin de Toscane est beau mais totalement
inhabité.
Mon moral est stable, mais bas, quand j’entends un puissant frein moteur derrière moi. Un
camion me dépasse et s’arrête sur l’aire d’urgence un peu plus loin. Je m’en rapproche sans y
croire ayant vu le chauffeur descendre pour une raison probablement technique.
En fait il m’attend. C’est Rezwan, un pakistanais de 40 ans originaire de Rawalpindi et en
Italie depuis 20 ans.
J’embarque dans le camion qui va livrer 30t de billes de bois au sud de Pavie.
Je lui raconterai le Pakistan, le pèlerinage, nous échangerons sur la famille, la société, l’islam
et la chrétienté. Il conduira, s’arrêtera pour faire la cuisine avec un bleuet dans la cabine,
« reposer son disque », dormir et finalement me déposer dans une station d’autoroute un peu
avant sa destination le lendemain à 9h30. Entre temps, il n’est plus question de l’itinéraire
initial, j’ai décidé de passer par où passerait mon chauffeur du moment tant qu’il va dans le
bon sens.
L’idée de faire du stop là semble mauvaise et, ayant épuisé un plein sac de patience, je décide
de rejoindre la route nationale. J’appliquais encore et toujours le fameux : « Keep the ball
rolling ! », version moderne de « Aide toi et le ciel t’aidera ».
Je continue à marcher, fais des petits bonds de quelques kilomètres et arrive à 14h à Tortona
dans une ambulance de la croix rouge. Après un petit tour de ville pour trouver un peu de
pain, je repars sur la route en direction de Turin. Mais rien ! Rien, rien de rien !
Il fait plus froid en Italie du Nord et la météo annonce partout des inondations et des
glissements de terrains. La ligne de chemin de fer est coupée entre Gênes et Vintimille.
Personne n’a envie de prendre un autostoppeur, mouillé de surcroît. A 17h, il commence à
faire nuit. La pluie redouble. Je décide alors de trouver un abri dans cette ville. On m’avait
parlé à 14 h d’un couvent de capucins et on m’en reparle à 17h30 en me disant qu’il y a là-bas
une messe à 18h. Ce sera là !
Je monte au couvent, assiste à la messe puis demande l’hospitalité. Mon minestrone d’italien
fait merveille et je suis convié à dîner et à dormir dans l’aile chauffée des moines. Là, le père
Angello, qui a fait une partie de St Jacques et un segment de Francigena, me dit qu’il me
conduira demain, en coule, sur la route. « Ca ne peut que marcher ! ».
Le lendemain, après les laudes et une bonne collazione, nous partons en voiture vers la ville
mais il s’arrête à la gare et prend un billet de train jusqu’à Savona et un autre de bus jusqu’à
Vintimille.
N’ayant pas vu le coup venir, je ne sais pas comment le remercier. C’est alors qu’il me dit :
« très simplement en prenant la monnaie sans faire d’histoire. C’est la providence ». Il glisse
dans le même temps dans ma poche près de 25€. Je l’embrasse, lui donne le pin’s de Santiago
que m’avait donné Richard à Menton, et saute dans le train.
A cause des intempéries, nous sommes plusieurs fois arrêtés. Le transfert en bus à Savona
ressemble à une tragicomédie mais nous finissons par partir après des engueulades
magistrales et des réconciliations plus belles que le plafond de la Chapelle Sixtine
Arrivé à Vintimille, j’achète un billet de train jusqu’à Nice et descend par erreur à Cannes. Je
décide de m’arrêter là car je ne vois pas comment continuer un samedi soir de nuit sous la
pluie. Je ferais connaissance dans cette belle ville d’un des placards à balais du presbytère du
curé de « ND de bon Voyage » dont je repars reposé à 5h30 pour poursuivre en ce dimanche
une route qui s’annonce compliquée.
Marchant sur la croisette, je rencontre Alice qui est en train d’ouvrir son bar. Je lui demande
un peu d’eau chaude et nous commençons à discuter. Elle veut savoir comment marche la
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providence parce qu’elle aimerait bien y avoir accès : comme Couverture Spirituelle Unique
en quelque sorte. En fait elle venait de demander le divorce et avait du mal à mener de front,
son travail, l’éducation de ses enfants, les procédures et sa maison. Je vais l’écouter en priant
pour elle.
Je n’arriverai à Fréjus que vers 10h. Brandissant un panneau Aix, un conducteur s’arrête mais
il va à Bandol. Qu’a cela ne tienne, je décide illico d’y aller avec lui. Nous passons sous des
trombes d’eau par des routes de montagnes en partie inondées. J’apprendrai le soir la
catastrophe qui était en train de se produire.
« Mon étoile » me laisse dans une station service de l’autoroute à Bandol. La station est
totalement déserte. A la caisse du café, Régine, à qui je demande si je suis bien sur
l’autoroute, éclate de rire en me disant : « je n’ai jamais vu ça. A cette heure un dimanche, il y
a la queue ». Les avis de vigilance météo avaient poussé tout le monde à rester chez soi.
Je lui raconte d’où je viens et où je vais quand elle me dit : « tenez, il y a une voiture à la
pompe, demandez !» En fait le conducteur vient prendre un café. Je lui demande tout de go
s’il me conduirait à Marseille, ce à quoi il répond : « Bien sûr, je vais à Marignane. Vous
voulez un café ? » « Avec plaisir ».
Régine, un peu retournée, m’offre un paquet de spéculos en me disant « Ca va avec, c’est la
providence ».
En arrivant à Marignane où il ne fait pas meilleur, ma nouvelle étoile me laisse dans la station
service de l’aéroport. Pas grand monde, mais je n’ai pas le choix. Voyant un véhicule
immatriculé 66, je demande au chauffeur s’il accepterait de me conduire dans la direction de
Nîmes. Il interroge son épouse dont c’est la voiture qui répond immédiatement « pas de
problème ». Je me présente à Roger et Isabelle. Ils vont m’accueillir chez eux près de Pézenas
et me faire découvrir leur monde d’éducateurs spécialisés confrontés à des adolescents
violents et malheureux. Ils me feront partager aussi leurs rêves de construction d’une maison
autonome et me parleront de leurs enfants, de leurs voyages, de la maladie et de la Thaïlande.
Roger me reconduira le lendemain sur l’aire de Narbonne pour poursuivre la route. Deux
minutes plus tard, j’embarquai dans une grosse voiture qui allait à Toulouse où j’arrivais à 13h
après une plongée dans le monde hospitalier du cancéropole.
Les derniers kilomètres prendront un tour savoureux puisque je serai embarqué par la police
de Toulouse qui me laissera dans le village de Léguevin, puis par la gendarmerie qui me
transportera de Pujaudran à Gimont. Dans les deux cas, service impeccable, chauffeur en
uniforme, conduite souple, véhicule entretenu, curiosité de bon aloi…
A Gimont je saluai l’abbé Lahille qui avait été notre curé à Pessan quand j’étais adolescent et
compte-tenu de l’heure, 16h30, et de la météo, bourrasques de pluie, me dirigeai vers la gare.
En arrivant au guichet, je vide mes poches d’où j’extrais 6 € et demande au préposé de me
donner un ticket pour Auch pour ce prix là. Eclat de rire dans la salle d’attente. Le préposé
regarde dubitatif sa console puis me dit un peu surpris : « c’est 5,80 €, le train passe dans 10
minutes ». J’ai expliqué aux voyageurs qui attendaient ce que je venais de faire et d’où venait
cet argent. Merci encore Fra Angello ! En riant, nous avons tous failli rater le train.
Arrivé à 17h53 à Auch. Françoise m’attendait et le voyage continu…
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Compagnons de route
SS le Pape François,
Françoise,
La communauté du Carmel de Lectoure,
Aurore, Florian, Tristan et Gabriel,
Ségolène,
Thomas,
Aude,
Merrily et Rabih
Bernard et Sylviane,
Michel et Solange,
Roger et Yvonne,
Maurice et Adrienne,
Elisabeth et François,
Jean et Germaine,
Marie, Frédéric, Henri, Amélie et Clotilde,
Grégoire, Côme, Bruno,
Jacotte, Philippe, Camille et Pierre,
François et Eugénie, Jean et Marie,
Jean-Marc, Anne, Agathe, Gaspard, Flore et Blanche,
Michel, Bénédicte, Louis, Vincent, Landry et Philippine,
Pierre-Alain, Anne-Marie, Jean et Coralie,
Claude et Anne-Sophie,
Jean-François et Béatrice, Pierre-Baudouin,
Patrice,
Brigitte,
Bruno de M.
Douce,
Claude et Bénédicte,
Isabelle, Laurence et Lydie,
Pierre et Marie-Luce
Arnaud et Alix,
Père Maurice,
Maylis et Sabine,
Geneviève et Nicolas,
Eliane et Bernard,
Vérenne,
Gilles et Bernadette,
Gérard et Chantal,
Christian et Françoise,
Henry et Mylène,
Christian et Marie-Claude,
Eric et Caroline,
Marc et Béatrice,
Nathalie,
Joël et Brigitte,
Raymond et Camille,
Père Nicolas, Père Patrick, Père Louis, Frère Alain et l’ensemble de Famille Marie Jeunesse,
Gilles et Fabienne,
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Chantal D.
Bertrand et Nathalie,
Constance, Véronique et Tanguy,
Louis et Inès,
Ghislain et Marie,
Marie-Pia, Amaury et Hugues,
Aude B.
Esther et Gaël,
Elise,
Ghislaine,
Mayeul,
Juliette et Claude,
Odile,
Michel P.
Jacques et Odile
Maéva,
Mélisse,
Gérard, Jacques et Anne, André et le village de Pessan,
Thierry,
Maxime,
Jean-Louis, Christine, Guillaume et Maël,
Josyane et Daniel,
Claire et Denis,
Liliane-Marie,
Jean, Thérèse et Mathieu,
Cédric,
Gaëlle, Eléa et Jade,
Vanessa et Fabio,
Jean-Claude et Jocelyne,
Romain et Sybelle,
David, Estelle et Léa,
Nathalie,
Clément et Lucas,
Céline et sa famille,
Didier et Viviane,
Amedé,
Jean-Michel
Fabien, Marion et Inès,
Claude,
Jean-Claude, Francis et Joël,
Philippe, Frank et Francis,
Isabella, Sylvie et Stéphane,
Père Quessard, Père M. Bruno,
Marie-Dominique,
Paulette P,
Isabelle A.
Charlotte,
Perrine,
X,
Les Veilleurs,
42
Pascal,
Hélène,
Ghislaine
Marie-Lou et Louis,
Alison et Marceau,
Lucette et Bernard,
Marie-Anne,
Geneviève et Jean-François,
Jocelyne et Guy,
Jacqueline et Hervé,
Sylvia et Daniel,
Ossine,
Clarisses de Mazamet,
Paul, Marie-Odile et Jeanne,
Carmen, Karim, Valentin et Charlotte,
Marie-Pascale,
Jean P.
Henriette et Michel,
Bénédicte et Patrick,
Marie-Hélène et Jérôme, Tiphaine,
Nathalie,
Serge,
Jules,
François et Marie M.
Myriam et Régis,
Les Pères Jacques, André, Jean-Claude,
José, Françoise, Reine et Gérard,
Charles-Philippe et Marie-France,
Serge et Véronique,
Philippe,
Régis et Maryvonne,
Daniel et Odile, Anne et Patrick,
Alexandre,
Manuel,
Anick et Régine,
Gaït, Antoine S.
Jérôme,
Jean-Marc L.
Françoise et Dany,
Christelle et Frédéric,
Gérard et Chantal V.
Marguerite et Soizette,
Henry et Micheline,
Jasmine,
Jean-Charles,
Guillaume B.
Claude et Carlotta,
Georges et Nancy,
Max et Beverley,
Norbert et Khélil,
43
Marc et Anne,
Bruno et Marguerite,
Marc et Cathou,
Jean I.
Maryvonne
Dom et Dominique,
Léa, Paul et la troupe de Canberra,
Saïd et Talat,
Kalique et Shamsi,
Hassan et Sheroud,
Ardeshir et Amina,
Véra, Shanaz et Zarah,
Saïd et Nassim,
Ata, Zahour, Razak, Tark, Sabir, Nelson, Saïd, Patrick, Nathan, François Baloch, Nasir,
Oufi, Abban et Sherbanou,
Zakir et Batoul,
Nilofar,
Jehangir,
Florence,
Père Evariste,
David,
Rémi, Francis et Odette, Christian
Wadji et Kabir,
Sabira et Samira,
Ali et Zia,
Sandar et Chila,
Sadia et Mohammed,
Père Martinelli,
Agnès et Carmelo,
Alain et Marie-France,
Vincent,
Emilie, Julien, Louison et Mina,
Marguerite et Charlotte,
Thierry et Véronique,
Françoise C.
Bertrand et Christine,
Bertrand et Merrily,
Antoine et Fabienne,
Bruno et Dominique,
Père Paco,
Pierre (Caumont)
Lora,
Marthe et Léopold,
Père Vincent,
Monique,
Père Luc, Frères Paul-André et Christian,
Anna et Amélia,
Gaëlle,
Père Damien, Frères Christophe et Benoit,
Josette,
44
Jacques,
Michel G. et son épouse,
Bénédict, Michelle et Thomas,
Dominique R.
Joëlle et Claude,
Louise, Daniel, Eric, Olivier, Faustin et Calixte,
René et Francine,
Cécile B.
Marc, Li-Hong, Adrienne et Evelyne,
Père Rafael,
Sœurs Eliam, Antide, Rosario, Donata, Marida et la communauté de Bethléem,
Anne et Nadia,
Olivia, Jérôme, Eloïs et Solène,
Denis et Agnès,
Christian et Lucie,
Sylvie et Jean-Luc, Ronan, Olivier et Cédric,
Christelle et Tim,
Claire, Cédric et Clément,
Jean et Maya,
Olivier et Clara,
Claude, Monique et le foyer de charité Maria Mater,
Pétra,
Nicolas,
Claudine,
Severio et Graziella,
Anna-Maria, Sabina et Giacoma,
Don Angelo et Lorenzo,
Livio et Don Rinaldo,
Lorenza,
Mario,
Fernando,
Don Renato,
Paola et Michelle,
Biajio et Don Paolo,
Sœur Blandine,
Alain et Paul,
Guido et Angelo,
Sylvia,
Rosana,
Celi et les Oblats du Christ roi,
Henri et Brigitte,
Guiseppe et Anna,
Don Thomaso,
Don Paolo, Don Franco et Don Filippo,
Mara et Francesco,
Isabela,
Sirah,
Don Michel
Cathia,
Erica,
45
Eugénio,
Yolanda,
Don Marek,
Don Luca, Don Ricardo et frère Daniele,
Emma,
Béatrix,
Frère Paul et Frère Giovani,
Sœurs Laetitia, Francesca et Orsola,
Don Valentino,
Joconda,
Laura et Don Evaristo,
Frères Emiliano, Guiseppe et Luigi et la communauté de Bose à Cellole,
Doreta,
Don Bryan, Don Eugénio et Don Peter,
Luigi
Giovana et Don Doriano,
Sœurs de la charité de Sienne,
Francesca,
Patricia et Guiseppe,
Don Domenico,
Suzanna,
Don Francesco et Marcello,
Don Elia, Fausto,
Francesco et Anna,
Rita,
Serena et Federico,
Sœurs Giovanna et Stella, communauté du St Sacrement de Bolsena,
Sœur Marie-Claire et la communauté bénédictine de Montefiascone,
Frère Flavio,
Lorenzo,
Sœur Marie-Stella et la communauté bénédictine de Vetralla,
Sœur Giovanna
Sœur Ornella,
Tatiana et sa famille,
Mario et la confraternité St Pierre et St Jacques de Rome
Rajah,
Frère Angello,
Père Gautheron,
Alice et Régine,
Isabelle et Roger.
46
47
Etapes du pèlerinage effectué du 4 novembre 2013 au 20 janvier 2014
Départ le Lundi 4 novembre du Carmel de Lectoure, nuit au Castéron*.
5 novembre, nuit quelques km avant Verdun/Garonne*,
6 novembre, nuit à Vauquiers*,
7 novembre, nuit à Lacougotte-Caudal
8 novembre, nuit à Soual*,
9 novembre, nuit à Mazamet,
10 novembre, nuit à Sauveterre*,
11 novembre, nuit à Olargues*,
12 novembre, nuit avant Brénas*,
13 novembre, nuit à Montpeyroux*,
14 novembre, nuit au Causse de la Selle,
15 novembre, nuit à Ste Croix de la Quintillargues,
16 novembre, nuit à St Mamert/ Gard*,
17 novembre, nuit à Dions,
18 novembre, nuit à Fournès*,
19 novembre, nuit à Avignon,
20 novembre, nuit à Cavaillon,
21 novembre, nuit à Laroque d’Anthéron,
22 novembre, nuit à Aix en Provence,
23 novembre, nuit à Pourrières,
24 novembre, nuit à Ollières,
25 novembre, nuit à Vins/ Caramy,
du 26 au 28 novembre, nuit au monastère de Bethléem du Thoronet,
29 novembre, nuit aux Arcs/ Argens,
30 décembre, nuit près de Bagnols en Forêt,
1 décembre, nuit à Montauroux,
2 décembre, nuit à Roquefort les Pins,
3 décembre, nuit à Nice,
4 décembre, nuit à Menton,
5 décembre, nuit à Ospedaletti*,
6 décembre, nuit à Imperia,
7 décembre, nuit à Andorra,
8 décembre, nuit à Loano,
9 décembre, nuit à Vado de Ligure,
10 décembre, nuit à Arenzano,
11 décembre, nuit à Genova*,
12 décembre, nuit à Camogli,
13 décembre, nuit à Sestri Levanto,
14 décembre, nuit à Mataranna,
15 décembre, nuit à Beverino,
16 décembre, nuit à Sarzana,
17 décembre, nuit à Massa,
18 décembre, nuit à Camaiore,
19 décembre, nuit à Monte San Quirico (Luca),
20 décembre, nuit à Altopascio,
21 décembre, nuit à San Miniato,
22 décembre, nuit à Castelfiorentino,
23 décembre, nuit à Gambassi Terme,
48
24 décembre, nuit à San Gimignano,
25 décembre, nuit à Gracciano (Colle Val d’Este)
26 décembre, nuit à Castellina Scalo (Monteriggioni)
27 décembre, nuit à Sienne,
28 décembre, nuit à Monteroni,
29 décembre, nuit à Ponte d’Arbia,
du 30 décembre au 1 janvier, nuit à Buonconvento,
2 janvier, nuit à San Quirico,
3 janvier, nuit à Abadia di San Salvatore,
4 janvier, nuit à Radicofani,
5 janvier, nuit à Aquapendente,
6 janvier, nuit à Bolsena,
7 janvier, nuit à Montefiascone,
8 janvier, nuit à Viterbo,
9 janvier, nuit à Vetralla,
10 janvier nuit à Sutri,
11 janvier, nuit à Campagnano di Roma,
12 janvier, nuit à La Storta,
arrivée à Rome le lundi13 janvier à 12h sur la place St Pierre,
départ de Rome le 16 janvier à 9h,
16 janvier, nuit dans un camion,
17 janvier, nuit à Tortona,
18 janvier, nuit à Cannes,
19 janvier, nuit à proximité de Pézenas.
Arrivée à Auch le lundi 20 janvier à 18h.
•
nuit à la belle étoile
49
A Rome à pied : Joie du pèlerin abandonné dans l’église à ciel ouvert
p 1 - CH 1 « Frappez et l’on vous ouvrira » Mt 7 (7)
I Préparatifs
p 1 - CH 2 «… averti en songe, … » Mt 2 (12)
p 2 - CH 3 « Ne prenez rien pour la route, ni bâton, ni sac, ni pain, ni argent et n’ayez pas de
tunique de rechange. En quelque maison que vous entriez, restez-y, et de là vous repartirez »
Lc 9 (3, 4)
p 3 - CH 4 « Viens, suis moi » Mc 10 (21)
II Priorité à la providence
p 3 - CH 5 « Quitte ton père et ta mère » Mt 19
p 4 - CH 6 « Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu » Lc 4 (1-13)
p 5 - CH 7 « Le père céleste sait de quoi vous avez besoin, …a chaque jour suffit sa peine… »
Mt 6 (32-34).
p 5 - CH 8 « Tout le bien qu’elle avait, elle l’a donné » Lc 21 (4)
p 6 - CH 9 « Heureux les… » Mt 5 (1-12)
III Le Pardon et l’espérance
p 7 - CH 10 « Combien de fois faudra-t-il pardonner ? » Mt 18 (21)
p 7 - CH 11 « J’étais étranger et vous m’avez accueilli » Mt 25 (35)
p 8 - CH 12 « Comprenne qui pourra » Mt 19 (12) « Ce que tu as caché aux sages et aux
savants, tu l’as révélé aux tout-petits » Mt 11 (25-27)
p 9 - CH 13 « Et voici que l’étoile les précédait » Mt 2 (9)
p 11 - CH 14 « Il les chassa tous du temple » Jn 2 (15)
p 11 - CH 15 « Au commencement était… » Jn 1 (1)
p 11 - CH 16 « Noli me tangere » Jn 20 (17)
p 12 - CH 17 « Le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien » Ps 22
IV Accueil et souffrance
p 12 - CH 18 « Car rien n’est impossible à Dieu» Lc 1 (37)
V Le désert
p 14 - CH 19
p 15 - CH 20
p 16 - CH 21
p 16 - CH 22
« …il fut conduit au désert… » Lc 4 (1)
« L’homme ne vivra pas seulement de pain » Lc 4 (4)
« Lève-toi et marche » Mc 2
« Combien avez-vous de pains ? » Mt 15 (34)
VI La prière et la réconciliation
p 17 - CH 23 « Laissez venir à moi les petits enfants » Mc 10 (14)
p 17 - CH 24 « Que tes œuvres sont grandes,… » PS 92
50
p 18 - CH 25 « Qui vous reçoit, me reçoit » Mt 10 (40)
p 19 - CH 26 « C’est qu’ils entendent sans entendre, ni comprendre » Mt 13 (13)
VII Vers le Chemin intérieur
p 21 - CH 27 « Quand deux ou trois sont réunis en mon nom » Mt 18 (20)
p 22 - CH 28 « Entrez par la porte étroite. » Mt 7 (13)
p 24 - CH 29 « Préparez le chemin du seigneur, aplanissez ses sentiers » Mt 3 (2)
p 27 - CH 30 « Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur » Mt 6 (21)
p 27 - CH 31 « Veillez et priez » Mt 26 (41)
p 28 - CH 32 « Faites tout ce qu’il vous dira » Jn 2 (5)
p 29 - CH 33 « Regardez les lys des champs » Mt 7 (28)
p 30 - CH 34 « Joseph prit l’enfant et sa mère » Mt 2 (14)
p 31 - CH 35 Ad Limina Petri « Je suis le chemin, la vérité, la vie » Jn 14 (6).
p 32 - CH 36 « J’ai eu faim… j’ai eu soif, j’étais étranger, nu, malade, en prison, » Mt 25
(35)
p 33 - CH 37 « Femme, ta foi est grande, qu’il te soit fait selon ta foi. » Mt 15 (28)
VIII Apprendre à aimer
p 34 - CH 38 « Et tous ceux que vous trouverez, invitez les au festin » Mt 22 (9) « La
moisson est abondante et les ouvriers peu nombreux » Mt 9 (37)
p 35 - CH 39 « Si quelqu’un m’aime,… et nous ferons notre demeure chez lui » Jn 14 (23)
p 35 - CH 40 « Pierre, m’aimes-tu ? » Jn 21 (15)
IX Rome
p 36 - CH 41 « … et il se met à laver les pieds des disciples » Jn 13 (5)
p 37 - CH 42 « Tu es Pierre, et sur cette Pierre je bâtirai mon église » Mt 16 (18)
p 38 - CH 43 « Disciple et Missionnaire » SS le pape François
X Le retour
p 38 - CH 44 « Ils rentrèrent par un autre chemin » Mt 2 (12)
51

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