Les SEGPA : Reproduction des inégalités sociales et Stigmatisation

Transcription

Les SEGPA : Reproduction des inégalités sociales et Stigmatisation
Eric CHARRIER
Les SEGPA :
Reproduction des inégalités sociales et
Stigmatisation des trajectoires scolaires
Sous la direction de Nathalie Bonini
Institut du Travail Social de Tours
Département de Formations Supérieures
DSTS 2007
1
AVANT- PROPOS
Lors du travail de terrain et de l’écriture de ce mémoire, les décrets d’application de la loi du 11
février 2005 n’étaient pas tous parus au journal officiel. Nous tenions donc à vous avertir que les
conditions d’orientation des jeunes de SEGPA présentées dans ce document ne sont plus en
vigueur aujourd’hui. Les nouvelles procédures d’orientation en SEGPA sont définies par un arrêté
du 5 décembre 2005, applicable à partir du début 2006. C’est désormais, une commission
départementale d’orientation (CDO) qui remplace la Commission de Circonscription du Second
Degré (CCSD). Ce changement est important car il apporte une clarification plus nette entre le
secteur du handicap dont les Unités pédagogiques d’Intégration (UPI) relèvent et celui de la
difficulté scolaire qui ne concerne plus que les SEGPA et EREA . La mise en œuvre de cette
nouvelle manière d’orienter est intervenue trop tardivement dans le département pour que nous
puissions l’observer et l’analyser.
Nous remercions sincèrement
Madame Bonini pour ses précieux conseils.
Nous souhaitons également exprimer notre
reconnaissance aux personnes qui ont accepté
de participer à ce travail. Un merci particulier à
Monsieur T, directeur adjoint de la SEGPA
où nous avons pu enquêter et observer librement.
2
SOMMAIRE
TABLE DES PRINCIPAUX SIGLES...................................................................... 4
INTRODUCTION...................................................................................................... 5
1-LES SEGPA : DU CADRE CONCEPTUEL AUX THEORIES...................... 11
1.1 LE PUBLIC DE SEGPA AU SEIN DU COLLÈGE UNIQUE ........................................ 11
1.2 UN CONTEXTE SCOLAIRE, SOCIO-ÉCONOMIQUE ET POLITIQUE AGGRAVANT ! . 12
1.3 LES SEGPA : LES APPROCHES THÉORIQUES ...................................................... 14
1.4 LA MÉTHODOLOGIE : UNE COMBINAISON DE MÉTHODES................................... 18
1.5 LES SEGPA DANS LE PAYSAGE ÉDUCATIF FRANÇAIS ........................................ 21
1.6 LA LUTTE CONTRE LA DIFFICULTÉ SCOLAIRE AU SEIN DU COLLÈGE UNIQUE
DEPUIS 1975 ............................................................................................................... 30
2 - LES TRAJECTOIRES SOCIOSCOLAIRES DES « SEGPA »..................... 35
2.1 LE POIDS DE LA FAMILLE DANS LES TRAJECTOIRES ........................................... 35
2.2 LE POIDS DE L’INSTITUTION SCOLAIRE DANS LES TRAJECTOIRES ..................... 46
CONCLUSION......................................................................................................... 67
3 – LA STIGMATISATION DES TRAJECTOIRES SCOLAIRES .................. 69
3.1 – LA STIGMATISATION TERRITORIALE DES SEGPA DANS L’AGGLOMÉRATION
VILLE MOYENNE ........................................................................................................ 69
3.2- L’INTÉGRATION DES ÉLÈVES SEGPA AU SEIN DU COLLÈGE FERRÉ ................ 78
3.3- DES FAIBLES PERFORMANCES SCOLAIRES ET DES COMPORTEMENTS
« ASCOLAIRES » ......................................................................................................... 88
3.4- ANALYSE ET PERSPECTIVES D’AVENIR POUR LES ÉLÈVES .............................. 102
CONCLUSION GENERALE ............................................................................... 121
BIBLIOGRAPHIE................................................................................................. 125
TABLE DES MATIERES ..................................................................................... 129
3
TABLE DES PRINCIPAUX SIGLES
SEGPA
CPPN
Section d’Enseignement Général et Professionnel
Classe Pré-Professionnelle de Niveau
SES
CPA
Section d’Enseignement Spécialisée
Classe Préparatoire à l’Apprentissage
CLIS
UPI
Classe d’Intégration Scolaire
Unité Pédagogique d’Intégration
CCSD
Commission de Circonscription du Second Degré
CDES
ITEP
Institut Thérapeutique Educatif et Pédagogique
SIRP
Commission Départementale d’Education Spéciale
CCPE
Semi Internat de Rééducation et de Psychothérapie
AVS
Commission de Circonscription du Premier Degré
AIS
Auxiliaire de Vie Scolaire
SESSAD
Adaptation Intégration Scolaire
CAEEA
Service d’Education Spéciale et de Soins à Domicile
CPE
Certificat d’Aptitude à l’Enseignement des Enfants
Arriérés
Conseiller Principal d’Education
CAEI
EREA
Certificat d’Aptitude à l’Education des Enfants et
Adolescents Inadaptés
Etablissement Régional d’Enseignement Adapté
GAPP
Groupe d’Aide Psycho-Pédagogique
CAPSAIS
MGI
Mission Générale d’Insertion
CFA
Centre de Formation d’Apprentis
Certificat d’Aptitude aux actions Pédagogiques
Spécialisées d’Adaptation et d’Intégration.
CIPPA
RASED
Réseau d’Aide Spécialisé et de Soutien aux Enfants
en Difficulté
Cycles d’Insertion Professionnelle Par Alternance
CFG
Certificat de Formation Générale
.
4
INTRODUCTION
Amélie a 18 ans. Elle est prise en charge dans un foyer à Ville moyenne,
une Maison de l’enfance à caractère social. Elle est actuellement en
recherche d’emploi, sans bagage et ses projets restent flous… Elle pense
travailler avec son oncle qui est forain. Au cours de sa trajectoire
scolaire est passée par les SEGPA1, de 2000 à 2003 au collège Ferré à
Ville moyenne. Son établissement était situé à proximité d’un quartier
populaire socialement et économiquement dégradé, où dominent des taux
de chômage élevés et où les familles sont souvent très précarisées. Son
histoire n’est pas banale : ses parents sont divorcés, son père a quitté le
domicile alors qu’elle avait trois ans. Depuis, plus de nouvelles, sauf
l’année dernière au téléphone : il serait policier… Elle a subi deux
placements familiaux pour mauvais traitements par les beaux-pères qui
se sont succédés auprès de sa mère. Son parcours scolaire fut marqué,
très vite, par des ruptures, des changements répétés d’établissements,
le redoublement du cours préparatoire. Amélie alternait entre deux
attitudes. La première consistait en l’évitement des contraintes scolaires
par un absentéisme chronique ou l’endormissement pour s’inventer une
réalité plus belle :
« En fait, je ne voulais pas voir la réalité, la vraie vie ; c’était comme ça
pendant de nombreuses années. Je ne voulais pas voir ce qui se passait
autour de moi, en fait, j’étais fixée dans mon petit nuage et je vivais dans
ce petit monde et c’est ce qui m’a aidée à survivre. »
Son autre manière de réagir, qui s’est surtout manifestée au collège, fut
une opposition au jeu scolaire : en perturbant les cours, elle essayait de
prendre l’ascendant sur certains professeurs. Elle raconte comment elle
a fait souffrir un enseignant et comment elle décida de ne plus assister à
ses cours. Pendant cette période de scolarisation en SEGPA au collège,
elle côtoyait des élèves issus pour l’essentiel de milieux populaires non
qualifiés, avec des situations familiales souvent compliquées. Amélie a
intégré une SEGPA lorsqu’elle a atteint la classe de cinquième. À propos
de son orientation elle déclare :
« Ce n’est pas vraiment qu’ils m’ont orientée en SEGPA, j’avais deux
choix : soit je redoublais ma sixième générale, soit je passais en
1
Section d’enseignement général et professionnel adapté.
5
cinquième SEGPA, et moi, SEGPA, je ne savais pas trop ce que ça voulait
dire. Je me suis dit entrer en cinquième, ma mère va être contente. »
Sa scolarité ne lui laisse pas d’agréables souvenirs, notamment avec les
autres collégiens du cycle général :
« On se sentait trop mal à côté d’eux. Les réflexions « T’es qu’une
SEGPA, tu ne sais rien faire », y en avait un peu marre ! Tu es handicapée
du cerveau, en gros. Je me suis vue taper parce qu’il y en avait marre.
J’en suis sûre : si j’avais voulu étant jeune, en sixième, si j’avais voulu
tout mettre, j’aurais pu être comme eux. J’aurais pu être plus douée
qu’eux. Après, c’est de ma faute si j’ai fini en SEGPA, je n’ai pas pris la
ligne. »
Ces fragments de l’histoire d’Amélie présentent des points communs avec
les trajectoires d’élèves que nous avons pu rencontrer lors des
entretiens. Différents traits apparaissent dans leurs parcours : une
situation familiale dégradée au plan économique et social, un rapport
conflictuel aux situations d’apprentissage et aux agents de l’Institution
scolaire… Nous avons choisi de commencer par ce témoignage car il relate
assez bien les différentes notions que nous souhaitons mettre en tension
pour constituer l’objet de cette recherche.
A la rentrée 2OOO, on comptait 1553 SEGPA sur le territoire
regroupant 111 OOO élèves. Ce dispositif s’inscrit dans une longue
histoire située au carrefour du handicap et de la difficulté scolaire. Les
SEGPA sont nées de la Loi du 10 juillet 1989 et ont remplacé les
fameuses SES2. A travers les changements de dénomination, ce réseau
d’enseignement a acquis progressivement ses lettres de noblesse au
regard de l’enseignement général ; on ne parle plus d’éducation mais
d’enseignement, il n’est plus spécialisé mais adapté. Toutefois, cette
terminologie plus positive n’est peut-être qu’apparence car elle masque
une très nette différenciation des publics, du point de vue de l’origine
socioprofessionnelle et de la nationalité, entre l’enseignement général et
l’enseignement adapté, phénomène qui révèle une discrimination efficace
et pérenne. En effet, une note d’information du ministère de l’Education
nationale de novembre 2000 nous l’indique clairement : « La répartition
des élèves de SEGPA selon la catégorie socioprofessionnelle du chef de
famille est très différente de celle des élèves du second degré ordinaire.
Les enfants d’ouvriers, de chômeurs ou de personnes sans activité, sont
2
SES : Section d’éducation spécialisée.
6
proportionnellement plus nombreux dans les SEGPA (69%) que dans les
collèges (39%) ».3
Les SEGPA ont vocation à accueillir au collège des élèves qui, à l’issue de
la scolarité élémentaire, cumulent des retards importants dans les
apprentissages scolaires et des perturbations
de l’efficience
intellectuelle, sans toutefois présenter un retard mental. La circulaire
96-167 du 20 juin 1996 qui organise et fonde les SEGPA précise en ces
termes le public concerné par ce dispositif :
« Les Sections d’enseignement général et professionnel adapté
accueillent des élèves présentant des difficultés scolaires graves et
persistantes auxquelles n’ont pu remédier les actions de prévention, de
soutien, d’aide et l’allongement des cycles dont ils ont pu bénéficier. Ces
élèves ne maîtrisent pas toutes les compétences attendues à la fin du
cycle des apprentissages fondamentaux et présentent a fortiori des
lacunes importantes dans l’acquisition des compétences prévues à l’issue
du cycle des approfondissements.
Des élèves handicapés, issus ou non de classes d’intégration scolaire
(CLIS), dont les progrès ont été significatifs dans les domaines des
acquisitions scolaires, peuvent être accueillis en SEGPA dans le cadre
d’un projet d’intégration individuelle avec soutien spécialisé, lorsque la
scolarisation en collège paraît plus favorable pour l’élève que la
scolarisation en établissement médico-éducatif.
En revanche, les SEGPA n’ont pas à accueillir des élèves au seul titre de
troubles du comportement ou de difficultés directement liées à la
compréhension de langue française. De même ces structures ne
concernent pas les élèves qui peuvent tirer profit d’une mise à niveau
grâce aux différents dispositifs de consolidation envisagés au collège ».
Les SEGPA reçoivent une population très hétérogène, (c’est le moins que
l’on puisse dire). Le législateur a tenté de caractériser ce public à
travers la locution : « élève en difficulté grave et persistante ». Cette
dernière ne repose sur aucune caractérisation précise et elle pose
question car elle peut véhiculer une interprétation psycho-biologique de
la personne, c’est-à-dire que la difficulté paraît inscrite dans l’élève: il
est ainsi fait abstraction du contexte dans lequel elle se manifeste. De
plus, il est dit qu’au titre du projet d’intégration individuelle, les SEGPA
3
N.I OO-44. novembre : les Enseignements généraux professionnels adaptés du second degré en
1999, p.5.
7
peuvent accueillir des élèves handicapés. La juxtaposition de la difficulté
scolaire avec le handicap renforce cette connotation psychologisante et
indépassable de la grande difficulté scolaire. Enfin, il est précisé que les
SEGPA ne peuvent accueillir des élèves au seul titre de troubles du
comportement ou des difficultés de compréhension de la langue
française. Cette dernière phrase révèle que pour beaucoup d’acteurs, les
représentations sociales de la difficulté scolaire s’inscrivent dans des
comportements asociaux et dans certains milieux culturels : classes
populaires et/ou étrangères. Il n’est d’ailleurs pas rare de trouver dans la
littérature la notion de handicap socioculturel lorsque l’on évoque l’échec
scolaire.
Les élèves sont recrutés jusqu’ici par une commission spéciale, la CCSD4,
qui dépend de la Commission départementale de l’éducation spéciale
(CDES). Les critères d’orientation ont fait l’objet de nombreuses
controverses et sont encore aujourd’hui fortement imprégnés d’éléments
biomédicaux. L’approche psychopathologique de l’échec scolaire a
contribué à médicaliser certaines difficultés d’apprentissage en les
référant à un diagnostic de débilité légère. Pour J. GateauMennecier : « la débilité légère est une véritable construction
idéologique destinée à constituer le masque psychologique d’une réalité
sociologique : la résistance ou la non adhésion aux normes culturelles de
l’école5 »
L’Institution scolaire s’appuie donc sur des fondements théoriques issus
de la médecine et de la psychologie pour justifier l’orientation en SEGPA
d’un certain nombre d’enfants issus de milieux populaires. Le changement
important opéré face à l’exclusion et à la ségrégation scolaires, dont les
principes ont été inscrits dans les lois de 19756 et de 19897, n’a pas
entraîné automatiquement l’abandon de la conception selon laquelle les
causes de l’échec scolaire de l’élève doivent être essentiellement
recherchées du côté des dysfonctionnements psychiques, d’origine
personnelle et/ou familiale. Ces conditions d’orientation sont
déterminantes dans l’analyse des trajectoires des jeunes scolarisés en
SEGPA. Le flou et la grande confusion des critères objectifs de
l’orientation ont des répercussions sur les collégiens et renforcent ainsi
4
CCSD : Commission de circonscription du second degré.
Jacqueline Gateaux-Mennecier - La débilité légère, une construction idéologique, Editions du
CNRS, Paris, février 1990.
6
Loi d’orientation en faveur des personnes handicapés n°75- 534 du 30 juin 1975.
7
Loi d’orientation sur l’éducation n°89-486 du 10 juillet 1989.
5
8
les risques d’étiquetage et de stigmatisation entre élèves de SEGPA mais
aussi avec leurs pairs du cycle général.
Ce dispositif est officiellement la dernière filière particulière au niveau
du secondaire pour traiter la grande difficulté scolaire, dans une époque
où les performances scolaires prennent une nouvelle signification (car
l’école est perçue de plus en plus clairement comme la condition première
de l’insertion socioprofessionnelle et de la promotion sociale). La réussite
scolaire conditionne à la fois l’accès aux filières prestigieuses et à la
réussite personnelle.
Ce sont toutes ces notions que nous souhaitons mettre en tension pour
mener notre travail de recherche. Notre hypothèse de départ est la
suivante :
Cette nouvelle dénomination « grande difficulté scolaire » est une
catégorisation imprécise, ambiguë qui peut être utilisée comme un moyen
d’assurer la sélectivité au niveau du collège.
Nous tenterons de confirmer ou d’infirmer cette hypothèse à travers
l’étude des trajectoires sociales de jeunes, en interrogeant différents
acteurs et en présentant la construction socio-historique de ce champ
particulier de l’éducation.
Ce mémoire sera divisé en trois grandes parties :
-
La première partie s’attachera à délimiter le cadre contextuel
d’analyse en le référant au contexte général de la question scolaire
en France et de ses implications sur la manière de définir, de
catégoriser, de s’occuper de cette population dite « en grande
difficulté scolaire ». Nous aborderons dans un deuxième temps les
approches théoriques que nous avons mobilisées pour traiter de ce
sujet. Deux théories se sont imposées : celle de la reproduction
des inégalités sociales de Bourdieu et Passeron, et celle du
stigmate, qui fait appel à la notion de la déviance et du rapport à la
norme. La déviance peut mener aux situations d’exclusion, de
ségrégation, de marginalité. En interrogeant ces collégiens, nous
avons pris la mesure de leurs difficultés à se sentir bien avec les
élèves de la filière « normale » comme ils disent… Certains portent
la SEGPA comme leur stigmate et ils se sentent discrédités aux
9
yeux des autres, ils se perçoivent comme inférieurs, et ce
sentiment a des incidences sur la vie au collège, sur les
interactions entre élèves, mais aussi avec les adultes. Cette notion
de stigmatisation est attachée au nom d’Erwing Goffman8.
-
La deuxième partie traitera du poids de la famille et de
l’institution scolaire dans les trajectoires des jeunes de SEGPA.
Nous montrerons que ces jeunes sont issus, pour la plupart, des
milieux des classes populaires. Nous traiterons ensuite de la
dimension scolaire des trajectoires : ces jeunes qui présentent
tous des difficultés importantes ont été repérés tôt dans leur
scolarité et ont bénéficié d’aides rééducatives nombreuses. Nous
insisterons sur les décisions d’orientation qui se sont imposées à
eux et furent déterminantes pour la poursuite de leur carrière
scolaire.
-
La dernière partie insistera sur les processus de socialisation, les
comportements et les relations qui se jouent à l’intérieur de
l’établissement entre les différents agents, comment ces jeunes
pensent leur avenir, et quelles sont les perspectives qui s’ouvrent à
eux après l’école.
8
Stigmates - Les usages sociaux des handicaps (Les éditions de Minuit, 1975, première édition en
1963).
10
1-LES SEGPA : DU CADRE CONCEPTUEL AUX
THEORIES
1.1 Le public de SEGPA au sein du collège unique
Ce collège semble cristalliser l’ensemble des débats et des difficultés
liés à la définition de la politique éducative en France. Il a connu une
longue évolution institutionnelle et une redéfinition de ses missions. Il se
trouve pris dans une double mission qui apparaît contradictoire à savoir :
transmettre une culture commune d’une part, et sélectionner d’autre part
une élite en vue d’un secondaire long. Le rôle implicite du collège est de
continuer à fonctionner comme outil de la sélection sociale. Ce qui fait
dire à V. Malingre dans un article du Monde9 :
« Le principe du « collège unique » est toujours remis en question par
l’existence de filières : 170 000 élèves dans des classes spécialisées en
2003, soit 10% des élèves de quatrième et troisième ».
Dans le rapport du Haut conseil de l’évaluation de l’école (HCÉÉ)10 sur le
Traitement de la grande difficulté scolaire au collège et à la fin de la
scolarité obligatoire, les auteurs écrivent :
« Il n’est donc pas raisonnable de prétendre que le collège unique est un
collège uniforme, il faut prendre conscience que les filières demeurent
l’un des moyens de traitement de la difficulté scolaire plus ou moins
grande ».
Le collège unique est l’école de tous, il prolonge la scolarité commune
obligatoire jusqu’à 16 ans mais il s’est défini comme le premier cycle du
9
Malingre Virginie. Le principe du « collège unique » est toujours remis en question par l’existence
de filières. Le Monde, 6 fév. 2005.
10
André Hussenet et Philippe Santana. Le traitement de la grande difficulté scolaire au collège et à la
fin de la scolarité obligatoire. Ministère Jeunesse-éducation-recherche. Novembre 2004. Rapport n°
13.
11
lycée d’enseignement général. Cela signifie que ses programmes et ses
méthodes pédagogiques préparent les élèves à poursuivre des études
générales longues. L’école, et plus particulièrement le collège, se veut
universel et pourtant son organisation repose sur une culture que ne
possède qu’une certaine catégorie d’élèves. La présence des élèves de
SEGPA au sein de ce collège et cette finalité sélective sont donc
consubstantielles. En effet, on peut faire l’hypothèse que les SEGPA
permettent de rassembler les élèves les plus faibles pour satisfaire aux
exigences de ce collège unique bâti sur un modèle lycéen. D’ailleurs, les
récentes mesures autour de l’apprentissage à 14 ans confirment la
volonté de se défaire honorablement des élèves les plus faibles.
En fait, la dimension strictement scolaire de l’enseignement adapté se
dégage en réponse aux exigences sélectives du système éducatif et du
contexte économique. Pour J. Gateaux 11, « cet enseignement s’inscrit en
réalité dans la filiarisation du système éducatif au même titre que les
filières prestigieuses dont il constitue le pendant : en quelque sorte, le
réceptacle des naufragés de l’école. »
Le collège remplit donc son rôle de reproduction des inégalités sociales
parce ce qu’il fait croire que les réussites sont liées au mérite. Ce
vocabulaire renvoie aux concepts de la théorie de la reproduction que
nous développerons dans le chapitre 1.3.1 afin de mieux saisir les
contours de la problématique choisie pour aborder l’objet de cette
recherche.
1.2 Un contexte scolaire, socio-économique et politique aggravant !
1.2.1 Le contexte scolaire qui stigmatise les plus faibles
La massification scolaire fut amorcée dans les années 1970 et amplifiée
au cours des décennies suivantes. L’arrivée massive des enfants de
milieux populaires dans l’enseignement secondaire, si elle permet
l’allongement significatif de leur scolarité, produit l’émergence d’une
contradiction inédite pour ce niveau d’enseignement entre les logiques et
les exigences scolaires, et une partie du public accueilli. A cette période
en effet, les effectifs scolaires connaissent une expansion régulière et
continue, due en grande partie à la démographie mais aussi à la volonté de
rattraper le retard de la France en matière de scolarisation secondaire
11
Jacqueline Gateaux, La nouvelle revue de l’AIS- n°31, 2005, Discours médico-psychologique et
distanciation sociale, Suresnes, Editions du Cnefei.
12
et au souci de développer l’économie par une meilleure formation des
Français. Paradoxalement, c’est durant cette période qu’apparaît dans les
textes institutionnels que sont les bulletins officiels de l’Education
nationale, la locution « élèves en difficulté »12.
Le dispositif SEGPA est officiellement la dernière filière particulière au
niveau du secondaire pour traiter la difficulté scolaire et il s’inscrit dans
le cadre des objectifs généraux assignés au système éducatif. Si pour
80% d’une tranche d’âge, l’accès envisagé se situe au niveau du
baccalauréat, l’objectif officiel est la recherche pour les autres jeunes
de l’acquisition par les jeunes d’une formation et d’une qualification leur
permettant une insertion professionnelle au niveau V. L’un des objectifs
de la Loi d’orientation de 1989 (art. 3) était en effet, de conduire, d’ici à
dix ans, l’ensemble d’une classe d’âge au minimum au Certificat d’aptitude
primaire (CAP). Les SEGPA constituent l’une de ses voies de formation.
Cette politique des 80% d’une classe d’âge au bac a renforcé la légitimité
du modèle lycéen : le bac devient le diplôme commun et pour ceux qui ne
peuvent y accéder, les effets de dévalorisation, de stigmatisation
prennent une dimension plus forte. Les performances scolaires endossent
une nouvelle signification, car l’école est perçue de plus en plus
clairement
comme
la
condition
première
de
l’insertion
socioprofessionnelle et de la promotion sociale. La réussite scolaire
conditionne à la fois l’accès aux filières prestigieuses et à la réussite
personnelle. Ainsi la fonction de l’école évolue-t-elle : elle devient un lieu
de sélection des élèves les plus performants et commence à marginaliser
du même coup les plus faibles et les plus vulnérables. La valorisation du
diplôme est à son comble dans un contexte de chômage de masse,
notamment pour les jeunes. Le diplôme reste encore le meilleur rempart
contre le chômage en France. Le risque de chômage est d’autant plus
faible que la scolarité est longue. Pour reprendre les propos de A. Van
Zanten et M. Duru-Bellat, cette situation : « a sans doute des
conséquences ambivalentes sur les représentations que les jeunes se font
du rôle de l’école dans leur destin social, notamment les jeunes qui, il y a
une trentaine d’années, n’avaient aucune chance d’accéder à
l’enseignement secondaire. Les jeunes de milieu défavorisé font l’objet
d’une exclusion progressive (ou d’une relégation vers les filières les moins
cotées), sans doute plus stigmatisante que par le passé, dans la mesure où
12
Le thème de l’échec scolaire fait l’objet, en décembre 1974, du premier numéro du Monde de
l’Education
13
ils ont eu leur chance, leur orientation apparaissant comme relever de
leur seul mérite13. »
1.2.2 Le contexte socio-économique qui dramatise l’échec scolaire
La dégradation de l’économie et les exigences nouvelles du marché de
l’emploi contribuent à dramatiser l’échec scolaire. La précarité croissante
des familles aggrave l’écart entre ce que vivent les jeunes hors du collège
et ce que l’on attend d’eux comme élèves. Cette crise économique et
salariale a bouleversé les anciens équilibres structurant le marché de
l’emploi. L’une des conséquences est la dévalorisation du monde ouvrier :
les nouvelles générations des familles populaires rejettent l’usine et la
condition ouvrière14 et placent leurs espoirs dans l’école. Seulement, ils
sont mal armés pour affronter une école secondaire fondée pour
d’autres. Ce mouvement se solde aujourd’hui, pour une partie importante
de ces nouveaux élèves, par des situations d’exclusion intérieure, des
sorties sans qualification - plus pénalisantes aujourd’hui qu’hier -, l’accès
à des filières dévalorisantes, propres à susciter amertume et sentiment
de déconsidération pour les jeunes concernés.
1.3 Les SEGPA : les approches théoriques
1.3.1 Légitimation de la reproduction des inégalités sociales au
collège
Suivant la conception de Bourdieu et Passeron, le système scolaire a sa
logique propre de fonctionnement et de reproduction qui répartit les
individus selon leur capital culturel. L’école contribue directement à
reproduire l’ordre social de la société entière en maintenant et légitimant
le plus souvent la position sociale d’origine. Pour les SEGPA, nous
rappelions en introduction qu’il y persistait une très forte inégalité de
répartition des catégories socioprofessionnelles entre ce cycle et le
cycle général. Les enfants d’ouvriers, de chômeurs ou de personnes sans
activité sont près de 70 % en SEGPA contre 39 % dans le secondaire
général.
Les jeunes scolarisés en SEGPA s’inscrivent d’abord dans la contradiction
liée à la confrontation entre les logiques scolaires (comme logiques
socialisatrices dominantes) d’un côté, et de l’autre, les logiques sociales
13
MarieDURU-BELLAT et Agnès VAN ZANTEN, 2003, Sociologie de l’école, Paris , Armand
Colin.
14
S. BEAUD, M. PIALOUX, Retour sur la condition ouvrière, Paris, Fayard, 1997.
14
dans lesquelles les élèves ont été socialisés et ont grandi. Pour reprendre
les thèses développées par Bourdieu et Passeron dans les Héritiers15,
chaque individu intègre inconsciemment des « dispositions », c’est-à-dire
des habitudes de comportement, de langage, de jugement, de relation au
monde, qui sont propres à sa classe sociale. Cet ensemble de dispositions
constitue ce que P. Bourdieu appelle un habitus. L’habitus est inconscient,
il masque à nos propres yeux « les conditions sociales de production » de
nos comportements, de nos jugements. Par exemple, les enfants des
classes moyennes et de la bourgeoisie qui ont réussi à l’école pensent
avoir bien travaillé ou être doués, mais se rendent rarement compte de
ce qu’ils doivent à la culture et aux « dispositions » scolaires qu’ils ont
héritées de leur famille. Les « héritiers » vont donc voir transformés en
avantages scolaires les savoirs et savoir-être qu’ils tirent de leur milieu
familial, alors que les élèves issus des milieux sociaux éloignés de
l’Institution scolaire ont tout à apprendre et doivent réaliser, pour
réussir, un véritable processus d’acculturation. Pour ces deux auteurs, le
rapport de domination ne se limite pas à la sphère économique, mais se
joue aussi à travers une « violence symbolique » qui amène les dominés
(dans le cas présent les élèves de SEGPA) à adhérer aux principes même
de leur domination. Dans ce processus, l’école joue un rôle crucial. A côté
du « capital culturel » dont disposent les jeunes de milieux aisés, à savoir
tous ces éléments (livres, œuvres d’art, voyages, accès aux médias…) qui
composent un environnement propice aux apprentissages, c’est plus
largement l’« héritage culturel » qui s’avère le plus décisif en terme de
réussite scolaire. Si cette « violence symbolique » ne débouche pas
toujours sur un échec scolaire et dans le cas présent en orientation en
« sections spécialisées », elle constitue néanmoins un lien de cause à
effet.
Cependant, la note citée au début de ce chapitre montre bien que les
élèves issus des classes favorisées ont moins de probabilités d’être
scolarisés en SEGPA. Ce constat est déjà une inégalité manifeste. La
théorie de la reproduction s’inscrit dans le contexte des années 70 qui
était marqué par une forte démocratisation du système scolaire.
Aujourd’hui, le contexte a évolué, ce qui n’empêche pas que les principes
théorisés par ces deux auteurs fonctionnent encore dans une large
mesure. Nous proposons de poursuivre l’analyse en mettant en exergue
ces différences de contextes qui concourent à expliquer que la
15
Bourdieu P, Passeron J.-C., Les Héritiers, Paris, Minuit, 1964.
15
scolarisation en SEGPA est aujourd’hui plus fortement marquée
socialement et plus stigmatisée que par le passé.
1.3.2 Des trajectoires stigmatisées, l’approche théorique
Nous choisissons d’utiliser le concept du stigmate pour tenter d’apprécier
les trajectoires scolaires des jeunes. A partir des travaux de E.
Goffman, nous souhaitons mettre en évidence les conséquences de ces
stigmatisations sur les représentations, sur les identités des jeunes
scolarisés en SEGPA, et sur leur manière d’intérioriser leur scolarisation
dans une filière dévalorisée peut modifier les interactions entre les
jeunes mais aussi avec les adultes au sein du collège.
Pour Goffman, d’une part, le stigmate correspond à toute caractéristique
propre à l’individu qui, si elle est connue, le discrédite aux yeux des
autres ou le fait passer pour une personne d’un statut moindre. Dans le
collège unique, être scolarisé en SEGPA confère aux élèves ce statut
moindre, d’autant plus qu’ils sont étiquetés « élèves en difficulté ». Ce
sentiment et cette perception d’infériorité fut manifeste dans chaque
entretien réalisé. Des remarques disqualifiantes sont prononcées par les
élèves du cycle général à l’encontre de leurs camarades du cycle SEGPA.
Nous avons noté : « bande de gogols, handicapés du cerveau… » . Cette
stigmatisation n’est pas l’apanage des élèves : à leur manière, certains
professeurs ont parfois des propos blessants qui renforcent la
dévalorisation et installent le stigmatisé dans un rôle, dans un état
indépassable.
D’autre part, Goffman parle du pouvoir d’extension du stigmate dont le
caractère dévalorisant peut s’étendre à sa famille, à ses proches. Dans le
cas présent, il renvoie au fait que les élèves de SEGPA sont très
majoritairement issus des classes défavorisées et les propos entendus
autour de la démission des parents ne sont pas étrangers à cette analyse.
Cette perception du stigmatisé par les « normaux » ne suffit pas pour
apprécier la mise en place des interactions ; il faut également voir
comment le stigmatisé se perçoit. Dans le contexte présent, on peut
affirmer que la place sociale de l’élève scolarisé en SEGPA est construite
sur son stigmate, celui de la grande difficulté scolaire.
16
Cet état de fait entraîne ce que les psychologues appellent la perte
d’estime de soi et influe sur l’intériorisation d’une probable trajectoire
future. De plus, la situation du stigmatisé s’accompagne souvent d’un
sentiment de culpabilité. Par exemple, les difficultés cognitives en
lecture et écriture seront ressenties comme le résultat d’efforts
insuffisants. La tentation est forte pour les professeurs de proposer des
orientations vers l’enseignement spécial.
Au niveau des SEGPA, la stigmatisation recouvre aussi les caractères
considérés comme inadaptés du comportement des élèves. Elle peut se
matérialiser par ses vêtements, mais nous avons surtout relevé des
considérations au niveau du langage, les professeurs évoquant des propos
grossiers, des gestes agressifs…
A ce stade de réflexion, nous pouvons établir un lien entre les formes de
stigmatisation scolaire et la pensée de Bourdieu. Ce dernier relevait la
correspondance des jeunes étudiants des classes favorisées, incluant les
attentes, souvent inconscientes, des enseignants, et les exigences de
l’Institution sur des aspects comme la tenue (corporelle et
vestimentaire), le style de l’expression ou l’accent : en somme de
« petites perceptions de classes qui orientent, souvent de manière
inconsciente, le jugement des maîtres ».16
Nous pourrions poursuivre encore l’analyse du stigmate mais elle sera plus
largement développée dans la dernière partie de ce mémoire, traitant de
la socialisation au sein du collège entre élèves et agents de l’Institution
scolaire.
Pour synthétiser notre propos, ce travail de recherche met en tension
deux idées fortes :
-
La catégorisation imprécise des élèves de SEGPA légitime les
inégalités sociales au sein du collège unique.
Dans le contexte décrit précédemment, être scolarisé en SEGPA,
aujourd’hui, renforce les effets de stigmatisation.
16
BOURDIEU P, L’école conservatrice. Les inégalités devant l’école et devant la culture, Revue
Française de la Sociologie, VII, 1966, pp. 338-339.
17
A partir de l’analyse des trajectoires sociales de jeunes qui ont connu
ou connaissent ce dispositif, nous vous proposons d’aborder cet objet
de recherche que l’on pourrait problématiser ainsi :
La scolarisation en SEGPA participe à la reproduction des inégalités
sociales et renforce la stigmatisation des trajectoires scolaires au sein
du collège unique.
1.4 La méthodologie : une combinaison de méthodes
Les processus de scolarisation en SEGPA semblent être issus d’une
détermination précoce dans la trajectoire des jeunes. La précocité des
difficultés est souvent dépistée avec le redoublement de la classe
préparatoire comme signe avant-coureur de la difficulté scolaire. Tout au
long de ce parcours se dessinent des étapes importantes : dépistage
précoce, aide rééducative, passage en Commission de circonscription
préélémentaire et élémentaire (CCPE) … Ainsi, certains jeunes semblent
dès le début s’inscrire dans un destin qu’ils auront du mal à éviter.
Cependant, pour d’autres, des évènements surgissent au cours de la
route : le traumatisme vécu peut faire dévier l’individu de sa trajectoire
initiale. Il convient aussi d’aborder la question des rapports entre
l’espace social - ici l’Institution scolaire - et l’influence sur les
biographies individuelles des jeunes interviewés. C’est la raison pour
laquelle nous avons choisi d’envisager la scolarisation en SEGPA sous
l’angle d’un processus. Nous, nous sommes donc intéressés aux différents
facteurs qui pouvaient intervenir avant l’orientation en SEGPA (à savoir
le milieu social et familial), mais aussi à la perception des jeunes
concernés quant à leur expérience scolaire afin de connaître leur analyse,
leur vécu et leurs réactions face à leur scolarisation au sein du collège
unique en insistant sur la nature des interactions développée entre les
différents agents.
L’appréciation des trajectoires scolaires a aussi évolué au fil de la
recherche, des lectures et des entretiens exploratoires, dans le sens ou
est apparu très fortement un autre acteur dans le discours : celui de
l’Institution scolaire. Nous, nous sommes aperçus que si la difficulté
scolaire trouvait sa genèse dans la situation sociale des familles, il ne
fallait pas occulter, pour la compréhension en tant que processus de la
trajectoire, la place et le rôle de l’Institution et de ses représentants.
18
Les conditions d’orientation par exemple, ne sont pas neutres et ont une
influence déterminante sur la carrière scolaire des jeunes concernés.
Concrètement, il nous a semblé pertinent d’utiliser une combinaison de
méthodes pour aborder cette problématique.
Tout d’abord, l’entretien avec des jeunes qui ont été scolarisés en
SEGPA. La difficulté première était de trouver un collège qui accepterait
d’ouvrir ses fichiers d’anciens élèves. Les contacts furent pris avec le
collège Ferré de Ville moyenne. Nous avons pu obtenir les adresses des
jeunes sortis de l’établissement en 2003, soit 30 élèves de troisième.
Après autorisation de l’Inspection académique, nous avons envoyé un
courrier à chacun d’eux . Très peu de réponses : sept au total, dont deux
négatives. Des relances téléphoniques furent nécessaires pour fixer des
rendez-vous. Nous avons donc pu rencontrer cinq jeunes issus de cette
promotion. Il convient d’ajouter que beaucoup de courriers nous sont
revenus avec la mention : « N’habite plus à l’adresse indiquée ».
A partir d’un questionnaire se déclinaient quatre grands thèmes : la
situation actuelle, les projets socioprofessionnels, la trajectoire familiale
et la trajectoire scolaire. Ce plan avait pour objectif de tenter de
retracer le parcours de chaque enfant en essayant de repérer les
variables communes à toutes les histoires. Les entretiens se sont
déroulés au domicile des intéressés. Il n’a pas été aisé d’engager le
dialogue car ces jeunes ne sont pas habitués à parler d’eux. Dans deux
cas, les parents ont souhaité assister à l’entretien. Ils ont tous été
enregistrés sauf un, une famille ne le souhaitant pas. A partir de la
transcription des réponses et au vu de la faible quantité de celles-ci, il
était important de chercher d’autres matériaux d’analyse.
La deuxième démarche de recherche était celle de l’étude des dossiers.
Nous avons donc écrit à la Présidente de la Commission départementale
d’éducation spéciale (CDES) pour obtenir l’autorisation de consulter
certains dossiers. La réponse fut très tardive et malheureusement
négative. Le refus était motivé par la nécessaire confidentialité des
éléments constitutifs de ce dossier, notamment sur les aspects
médicaux. Devant ce refus, nous avions besoin d’éléments qui puissent au
moins conforter les données sociologiques relatives à la population ciblée,
en terme d’origine sociale des familles et de cursus scolaire. Le directeur
de la SEGPA Ferré m’a donné accès au dossier scolaire des quatrièmes et
19
troisièmes actuellement scolarisés au collège. Nous l’en remercions
vivement car les informations recueillies nous ont permis d’étoffer
l’analyse.
La troisième démarche de recherche a été celle d’observer dans
l’établissement le positionnement des élèves de SEGPA par rapport à
leurs camarades. Nous avons pu donc passer quelques jours au collège, à
des périodes espacées, pour mesurer les jeux, les relations entre les
jeunes et les agents de l’Institution. Bien sûr, il convient de rester très
modestes car le temps passé sur le terrain est trop limité pour dégager
des conclusions pertinentes. Cependant, le fait de surveiller la cantine ou
la cour a permis d’occuper des angles d’observation intéressants. En
prenant le café, dans la salle des professeurs, nous avons par ailleurs pu
« prendre une température »… Cette observation sur le terrain a duré
une petite semaine, répartie entre le mois de septembre 2005 et mars
2006. Cette présence a été d’un grand intérêt étant donné qu’elle a
facilité les contacts avec les jeunes : nous en avons interrogé à nouveau
quatre au sein du collège. Ces entretiens ont été moins fructueux que les
précédents pour deux raisons principales : les élèves étaient plus jeunes
(les commentaires sont restés descriptifs) et le lieu d’interview a sans
doute entravé la communication. Nous, nous sommes entretenus avec des
quatrièmes, car les troisièmes étaient à l’époque en stage. Un autre
temps d’observation intéressant : les enseignants ont accepté notre
présence durant deux cours. Nous avons donc assisté à un cours de vie
sociale et professionnelle et à un cours de français. Les objectifs étaient
là aussi d’observer les collégiens en situation d’apprentissage, de nous
rendre compte du niveau enseigné et des rapports entretenus avec leurs
pairs et avec les enseignants. Chaque cours a duré 55 minutes.
La recherche s’est construite au fur et à mesure des matériaux
récupérés : à ce stade, pour chercher à vérifier les hypothèses
concernant l’influence de l’Institution et des agents sur les trajectoires
des jeunes, il fallait interroger des professeurs. Nous avons donc envoyé
un courrier au collège, à chaque intervenant en SEGPA . Notre présence
en stage a facilité l’échange et nous avons interviewé cinq professeurs :
deux d’anglais et un de technologie, qui ont la particularité d’intervenir à
la fois en filière générale et en SEGPA (c’était un souhait de notre part),
puis les deux professeurs des écoles qui avaient accepté notre présence
lors de leur cours. Ces deux personnes sont « instits spécialisées »,
20
interviennent exclusivement en SEGPA et se présentent comme les
référents pédagogiques de ces classes.
La quatrième démarche menée nous semblait indispensable pour l’objet
de recherche : il s’agissait d’aller voir de plus près les procédures et les
conditions d’orientation des jeunes en SEGPA. Cette approche s’est
réalisée en deux temps. Tout d’abord, la rencontre avec le secrétaire de
la Commission de circonscription du second degré (CCSD) en juin 2004,
entretien exploratoire sans enregistrement. Nous ne savions pas trop, à
l’époque, quelle orientation nous donnerions à cette recherche. Nous
avons choisi une simple prise de notes et la récolte de documents sur les
activités de la Commission. Cependant, l’entretien était riche et nous a
permis de mieux cerner la problématique. L’année suivante, nous avons
donc décidé de réinterroger cette personne, malheureusement elle était
partie en retraite. Son successeur nous a accueilli et l’entretien a pu se
réaliser ; seulement, sa prise de fonction récente ne lui permettait pas
d’avoir suffisamment recul dans l’analyse. Par conséquent, il nous fallait
d’autres outils pour analyser la dimension fondamentale qu’est
l’orientation des collégiens. Nous avons donc écrit à l’inspecteur
d’académie pour lui demander si nous pouvions assister en tant
qu’auditeur libre à une commission de la CCSD . Là, encore la réponse fut
très tardive et l’intervention de l’inspectrice chargée de l’adaptation et
de l’inspection scolaire (AIS) fut nécessaire pour que notre demande soit
acceptée. Cette commission eut lieu le 10 décembre 2005, de 14 heures à
16 heures.
Enfin la dernière démarche de recherche a été l’entretien avec le
directeur de la SEGPA Ferré pour essayer d’aborder la globalité de la
problématique de recherche et l’interroger sur le devenir des jeunes à
l’issu de leur scolarisation au collège. Nous avons aussi interrogé le
directeur de la SEGPA de La Parisienne, collège classé en zone
d’éducation prioritaire (ZEP), pour croiser les discours.
1.5 Les SEGPA dans le paysage éducatif français
Les SEGPA sont héritières d’une longue histoire qui les place aujourd’hui
au carrefour de l’enseignement spécial et de l’enseignement
professionnel. Elles trouvent leur origine dans la lente scolarisation des
adolescents « débiles mentaux ». L’évolution socio-historique de ce
dispositif renvoie à des notions de catégorisation de population aux
21
délimitations floues et mouvantes selon les périodes. La terminologie
évolue au fil des années : nous sommes passés du terme d’élèves
« inadaptés » à celui d’élèves « en difficulté ». Dans le même temps, la
volonté actuelle intégrative des enfants handicapés au collège vient
brouiller la lecture de ce secteur. Pour tenter de s’y retrouver, un détour
par l’histoire s’avère indispensable.
1.5.1 Des enfants « anormaux d’école » à la notion de la difficulté
scolaire
1.5.1.1 Les origines et l’intérêt pour les « arriérés »
Les enfants « anormaux », « irréguliers », « arriérés » ou « débiles » ont
été ignorés ou exclus d’une Institution scolaire qui s’est trouvée
renforcée au XIXe siècle dans sa fonction de « socle de la République ».
C’est Bourneville, un médecin aliéniste, qui oeuvrera le plus nettement
pour la scolarisation des enfants se trouvant dans le service de Bicêtre
où il exerce. Il participe ainsi à un mouvement d’intégration qui prend
toute sa résonance aujourd’hui. En 1891, une enquête diligentée par
Bourneville dénombrera, pour les Ve et VIe arrondissements de Paris, 83
arriérés et 249 indisciplinés. En 1904, le ministère de l’Instruction
Publique, sous les conseils d’une Commission interministérielle présidée
par Léon Bourgeois, retiendra une classification et des dénominations
très exhaustives et approfondies pour étudier les conditions dans
lesquelles l’obligation de l’enseignement pourrait être appliquée aux
enfants anormaux des deux sexes. La commission distingue : les aveugles,
les sourds-muets, les anormaux médicaux (catégorie qui regroupe les
idiots, crétins, imbéciles, épileptiques, hystériques, choréiques,
paralytiques, hémiplégiques, et imbéciles moraux), les arriérés ou
anormaux d’école, enfin les instables. La médecine a une part dominante
dans cette classification. Alfred Binet, pour sa part, apportera les outils
psychométriques (1907) permettant de sélectionner, parmi les élèves
scolarisés, ceux qui doivent être orientés en classe spéciale. Jacqueline
Gateaux écrit ainsi : « […] d’une part, l’origine des classes de
perfectionnement se situe à l’asile, non à l’école ; le projet initial émane
de la médecine aliéniste, singulièrement de Bourneville, non de Binet.
D’autre part, si l’on peut, à juste titre, évoquer un dévoiement, il s’agit
bien du détournement du projet institutionnel de l’aliéniste et de
22
l’occultation de son action, perspective qui assignait aux classes spéciales
l’accueil des handicapés ou déficients profonds de l’asile, somme toute
leur intégration relative dans le corps social ».17
Si Bourneville demande un enseignement spécial, ce n’est pas pour
répondre aux difficultés inhérentes à l’école, mais pour résoudre de
façon prioritaire l’encombrement de l’asile
1.5.1.2 La Loi de 1909 et ses dérives ségrégatives
L’enseignement spécial commence à apparaître, s’intéressant uniquement
aux « arriérés ». On crée d’ailleurs, pour assurer leur prise en charge
pédagogique, un examen destiné aux instituteurs, le CAEEA (Certificat
d’aptitude à l’enseignement des enfants arriérés), le 14 août 1909.
La loi crée des « classes de perfectionnement », annexées aux
élémentaires publiques. Ces classes reçoivent des enfants de 6 à 13 ans ;
leur vocation officielle, le perfectionnement de l’arriéré, masque en fait
d’autres finalités. Binet écrit en 1909 : « le rôle des classes de
perfectionnement est d’éviter que ces enfants ne prennent rang dans la
catégorie des nuisibles et des criminels ». La loi accomplit, derrière sa
finalité officielle, les projets de prévention de la délinquance juvénile. Un
sénateur, P. Strauss, l’un des promoteurs de la loi, disait quelques jours
avant sa promulgation : « la classe de perfectionnement pour les enfants
arriérés pourra diminuer le contingent des vagabonds et même des
délinquants juvéniles ; c’est une œuvre nécessaire de préservation morale
de la jeunesse ».18
Cette dimension politique est le point d’orgue de la construction
idéologique de la débilité dont notre époque porte, encore aujourd’hui,
l’empreinte. De fait, l’on sait que, au moment, de leur création, les classes
spéciales regroupaient tous les sujets qui troublaient le fonctionnement
des classes ordinaires. La quasi-totalité de ces publics appartenait, en
effet, aux catégories sociales populaires.
17
Gateaux (J), La loi du 15 avril 1909, loi d’exclusion, Educations. Revue de diffusion des savoirs en
éducation, n°17 (l’enfance en difficulté), De Boek Université, 1999/1.
18
Gateaux (J), La nouvelle revue de l’AIS – n° 8, 1999, L’intégration : l’empire des mots, le discours
des faits. Suresnes, Editions du Cnefei. P37-38.
23
1.5.1.3 L’explosion de l’enfance inadaptée de 1950 à 1970
Entre les deux guerres, l’intérêt pour les enfants souffrants se
développe. En 1922, sont créées les « écoles de plein air » qui
accueilleront les enfants malingres et chétifs, issus d’une classe ouvrière
paupérisée. En dépit de nombreuses déclarations d’intentions, on ne
constate pas d’accroissement significatif des dispositifs et structures
adaptés pour cette population. Il faudra attendre les années 50 pour voir
se mettre en place une politique dont les objectifs constituent encore les
bases de l’édifice actuel :
-
-
-
-
Les terminologies d’« arriéré », « anormal »… sont écartées au
bénéfice de celle de l’enfance inadaptée. Il est créé, en 1946, une
sous-direction à l’enfance inadaptée au ministère de l’Education
nationale.
La Sécurité sociale, en 1956, permet la création d’établissements
et d’organismes dispensant des soins et une éducation spécialisés
aux différentes catégories d’enfants inadaptés.
Le Ve plan organise le développement de l’éducation
spéciale destinée aux enfants inadaptés, notamment au titre de la
débilité légère (quotient intellectuel compris entre 65 et 80). Pour
accueillir cette population qui ne justifie pas une prise en charge
thérapeutique, sont créées les Sections d’éducation spécialisée en
annexe des collèges (une SES pour quatre collèges de 600 élèves).
Un nouveau diplôme de qualification est créé : le CAEI (Certificat
d’aptitude de l’enfance inadaptée) et remplace donc le CAEEA.
Le secteur de l’éducation spécialisée explose : de 800 classes en 1945, on
passe à 4 350 en 1961 et à 15 480 en 1971.
Le développement important des structures spéciales s’inscrit dans le
contexte général de la massification scolaire, liée notamment à
l’allongement de la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans. L’on peut donc
émettre l’hypothèse que l’utilisation du concept de débilité légère sera
utilisé à cette époque comme catégorie de sélection. Dans ce contexte,
l’intériorisation des codes de dépistage, l’apparition de la catégorie
« échec scolaire »19 (notion utilisée dans les années 60-70 avec la
19
Selon V. Isambert-Jamati, l’explosion de la notion d’échec scolaire est un phénomène concomitant
à l’explosion scolaire des années 60. L’Echec scolaire, nouveaux débats, nouvelles approches
sociologiques, Actes du colloque franco-suisse, 9-12 janvier 1984. Textes coordonnés par Eric
Plaisance, ed. du CNRS, 1985.
24
banalisation de l’usage des tests) permettront de réunir les « décalés
scolaires », apathiques ou perturbateurs dans des mêmes filières.
1.5.1.4 Les années 1970- 80 : adaptation et intégration
La circulaire du 27 décembre 1967 officialise la dénomination de
Sections d’éducation spécialisée créée dans le cadre des collèges pour
l’accueil des « déficients intellectuels légers ». Cette filière fut vivement
critiquée et était considérée comme très ségrégative pour des élèves
majoritairement issus des milieux sociaux les plus défavorisés. La moitié
des SES sont créées entre 1970 et 1975, création qui s’essouffle durant
les cinq ans qui suivent (28%) pour tomber à 9% entre 1981 et 1985. Leur
constitution répond au souci de préparation à la vie sociale et
professionnelle des adolescents débiles mentaux. Il ne s’agit pas, à
l’époque, d’une formation professionnelle à part entière. D’ailleurs, la
circulaire de 1973 est à cet égard évocatrice : « la préparation au
Certificat d’aptitude professionnelle ne saurait être a priori exclue ».
Cependant, dans cette période, une réflexion s’installe : est-il judicieux
de continuer à créer des classes spécialisées et de ségréguer des
enfants et des adolescents dont un certain nombre pourrait bénéficier,
dans des conditions spécifiques, d’une prise en charge dans des classes
régulières ?
Aussi, dès 1970, on met en place une structure : le GAPP (Groupe d’aide
psychopédagogique) qui, au sein des écoles élémentaires, doit assurer la
prise en charge temporaire souple des enfants qui manifestent des signes
d’inadaptation : « L’effort accompli au cours des dernières années pour
donner aux enfants dont le handicap est défini et durable l’éducation
spécialisée qui leur est nécessaire doit être complété par la mise en place
de structures de prévention. »20
L’éducation spéciale chargée des enfants « inadaptés » évolue d’une part
vers l’éducation spéciale destinée aux enfants handicapés, et d’autre part
vers l’adaptation destinée aux enfants temporairement inadaptés. La Loicadre du 30 juin 197521 en faveur des personnes handicapées va préparer
la mise en place d’un ensemble de textes s’efforçant de préciser la
frontière du handicap et les modalités de prise en charge. Cette loi pose
le principe de l’accueil des enfants et adolescents handicapés, « de
20
Circulaire du 9 février 1970, Prévention des inadaptations. Groupes d’aide psychopédagogique.
Sections et classes d’adaptation, BO n°8.
21
Loi 75-534 du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées BO n°14 RLR 250-0/516-1.
25
préférence dans des classes ordinaires ». Elle établit ainsi les bases de
l’intégration. Nous voyons ici que des frontières sont construites et que
les textes, y compris la loi à laquelle il est fait référence, n’a jamais
clairement défini la notion de handicap. Ce repérage ambigu constitue
l’une des difficultés problématiques de ce mémoire : sur quelles bases
objectives sont orientées les jeunes dans les différents dispositifs
existants ?
Néanmoins, les circulaires de 1982 et 1983 vont inciter fortement la
mise en œuvre de l’intégration des enfants handicapés dans les
établissements ordinaires22, politique constamment réaffirmée depuis.
Dans le même temps, l’idée d’un enseignement spécial disparaît au profit
d’un enseignement d’adaptation. Dès 1982, le CAEI est remplacé par le
CAAPSAIS (Certificat d’aptitude aux actions pédagogiques spécialisées
d’adaptation et d’intégration scolaire). Ce n’est plus l’enseignement qui
est spécial, mais les actions pédagogiques qui concernent l’adaptation et
l’intégration. L’Adaptation et l’intégration scolaire (AIS) est créée. Dans
son secteur coexistent l’intégration
et l’adaptation, renvoyant
respectivement au handicap défini par la Loi de 1975, et à l’inadaptation
de certains élèves. Les SES vont évoluer vers les SEGPA. Les classes de
perfectionnement sont remplacées peu à peu par des Classes
d’intégration scolaire (CLIS).
1.5.1.5 De l’inadaptation à la difficulté scolaire : les années 90
En 1990 sont créés les Réseaux d’aides spécialisées aux élèves en
difficulté (RASED) qui sont appelés à remplacer les GAPP. La circulaire
rappelle que si l’effort d’intégration des enfants handicapés doit être
poursuivi, il faut noter que « d’autres élèves, cependant, éprouvent des
difficultés à satisfaire aux exigences d’une scolarité normale, difficultés
qui ne peuvent être considérées comme des handicaps avérés ». D’élèves
« inadaptés » on est passé à des élèves en « difficulté ». Cette
perception va être étendue à ceux qui peuvent être accueillis en
SES/SEGPA, puisqu’on les définira comme « des élèves présentant des
difficultés scolaires graves et persistantes auxquelles n’ont pu remédier
les actions de prévention, de soutien, d’aide, et l’allongement des cycles
22
. Circulaire 82-628 du 29 janvier 1982, RLR 501-0, Mise en œuvre d’une politique d’intégration en
faveur des enfants et adolescents handicapés, et 83082 du 29 janvier 1983, RLR 501-0.
26
dont ils ont pu bénéficier ».23 Les SEGPA sont donc nées en 1996 et
remplacent les SES.
Nous venons de voir, au long de ce parcours rapide, que les SEGPA
trouvent leur origine dans le secteur spécialisé de l’éducation. Les jeunes
sont passés du statut « d’arriérés » à celui « d’enfants en difficulté ». Le
problème qui se pose est bien celui de la définition du handicap et de la
délimitation entre les élèves qui relèvent du handicap et ceux qui ne
seront considérés que comme étant en difficulté. Cette frontière est
tellement ténue que pour en approcher la subtilité, il convient de
s’attarder sur la définition du handicap.
1.5.2 Le problème de la définition du handicap
La Loi du 30 juin 1975 avait pour objectif prioritaire de mettre en place
les mesures propres à assurer « la prévention et le dépistage des
handicaps, les soins, l’éducation, la formation et l’orientation
professionnelle, l’emploi, la garantie d’un minimum de ressources,
l’intégration sociale et l’accès aux sports et aux loisirs du mineur et de
l’adulte handicapés physiques sensoriels ou mentaux. »
Cette loi,
fondamentale pour le secteur, ne définit pas explicitement le handicap.
Elle organise dans chaque département des Commissions d’éducation
spéciale dont le rôle est de désigner les établissements ou les services
dispensant l’éducation spéciale correspondant aux besoins de l’enfant ou
de l’adolescent et en mesure de l’accueillir (article 6). Les enfants sont
susceptibles d’être reconnus comme handicapés dès lors que la
Commission les a orientés vers une structure de l’éducation spéciale dont
font partie les SEGPA. Dans aucune circulaire n’apparaissent les critères
de définition du handicap.
Cette lacune sera partiellement comblée en 1989, avec la Classification
internationale des handicaps élaborée par l’Organisation Mondiale de la
Santé. Le texte dit :
« La
Classification internationale des handicaps proposée par
l’Organisation de Mondiale de la Santé conçoit le handicap dans une
perspective dynamique, avec un objectif d’intégration. Le guide barème
23
Circulaire 96-167 du 20 juin 1996, BO n°26, RLR 516-5 : 516-6 « Enseignements généraux et
professionnels adaptés ».
27
s’appuie sur cette définition qui met en jeu trois axes à partir d’un
diagnostic médical. »
-
-
-
l’axe de la déficience, qui correspond à « toute perte de substance
ou altération d’une fonction ou d’une structure psychologique,
physiologique ou anatomique. La déficience est caractérisée par
des pertes de substance ou des altérations qui peuvent être
provisoires ou définitives. Elle représente l’extériorisation d’un
état pathologique ; elle est le reflet des troubles manifestés au
niveau de l’organe. Elle peut être congénitale ou acquise » ;
l’axe de l’incapacité qui correspond à « toute réduction partielle ou
totale de la capacité d’accomplir une activité d’une façon ou dans
les limites considérées comme normales par un être humain ».
L’incapacité, par opposition à la déficience, porte sur des activités
composées et intégrées : elle concerne la personne dans son
ensemble, la mise en œuvre d’une tâche, d’une compétence ou d’un
comportement ;
L’axe du désavantage, lui, « résulte, pour un individu donné d’une
déficience ou d’une incapacité qui limite ou interdit
l’accomplissement d’un rôle normal » compte tenu de l’âge, du sexe
et des facteurs sociaux culturels.
Il en résulte que le diagnostic ne permet pas à lui seul une évaluation du
handicap ; celui-ci varie selon le stade évolutif, les possibilités
thérapeutiques et l’environnement.
En dépit de cet effort de définition, le repérage du handicap reste
ambigu. Une personne sera reconnue handicapée par la Commission si l’on
a repéré, chez elle, des désavantages et/ou des incapacités…
Si l’on prend l’exemple d’un jeune de 14 ans qui ne sait pas lire
(désavantage), qui a des difficultés de repérage dans le temps et l’espace
(incapacité), qui présente un retard mental léger (quotient intellectuel
compris entre 50 et 70) (déficience), ce jeune a le profil d’une personne
handicapée et pourra être orienté vers un établissement spécialisé. Le
problème se pose pour un jeune ayant le même désavantage, la même
incapacité, mais pour lequel on ne trouvera pas de déficience, avec un QI
de 95… Est-il handicapé ?
28
Cette difficulté à définir le handicap renforce l’idée selon laquelle la
notion de « normalité » comporte une dimension de construction
sociohistorique. En 1980, l’Organisation Mondiale de la Santé procède à
un remaniement significatif des frontières traditionnelles de la
déficience intellectuelle. La dénomination du retard mental a remplacé
celle de la déficience intellectuelle ; le quotient intellectuel subsiste,
mais les limites correspondant aux différents degrés de ce retard ont
été rééchelonnées.
Tableau 1 : Cotation et classification du retard mental
Cotation ancienne
Cotation de l’OMS
65-80/90
Débilité légère
50 – 64
30- 49
Débilité moyenne
Débilité profonde
Retard mental léger
Retard mental modéré
Moins de 30
Arriération profonde
Restriction sociogène de
l’efficience intellectuelle
Retard mental sévère
Retard mental profond
70 – 100
50 – 70
35 – 49
20 – 34
Moins de 20
Cette nouvelle nomenclature a été officiellement adoptée en 1988 et
mise en application en 1989 par l’arrêté du 9 janvier. Les critères
d’orientation (rappelés dans le tableau 2) se trouvaient remis en question.
Il apparaît la notion nouvelle de restriction sociogène de l’efficience
intellectuelle, qui se manifeste à travers de graves difficultés scolaires
liées à des problèmes sociaux. Pour parvenir à ce nouvel étalonnage,
l’OMS s’est appuyée sur le fait que les déficiences liées à des altérations
organiques ou génétiques se répartissent équitablement sur les
différentes catégories socioprofessionnelles. Or, les populations dont le
QI se trouve entre 70 et 100 se caractérisent par une très forte
représentation d’individus issus des classes populaires. Dans ces
conditions, cette nouvelle échelle constitue une caution médicale au
déterminisme social et concourt à une légitimation de la reproduction des
inégalités sociales. Dans tous les cas, on ne peut pas parler de retard
mental.
Tableau 2 : Critères d’orientation antérieurs à 1989
QI
QI
50 - 75
65 - 80
Classe de perfectionnement
SES
29
L’ensemble des élèves dont le QI est compris entre 70 et 80-90, qui
étaient auparavant étiquetés « débiles légers » et orientés vers des
filières spéciales, ne sont plus depuis 1989 considérés comme déficients.
C’est par une circulaire du 6 février 1989 que les élèves des Sections
d’éducation spécialisée sortent de la catégorie de la déficience
intellectuelle légère pour devenir des élèves en difficulté scolaire
accueillis en SEGPA.
Cette notion de la difficulté scolaire n’est pas circonscrite au seul
secteur de l’éducation spécialisée puisque dans celui de la scolarité
ordinaire, les dispositifs de consolidation sont encore nombreux, même
s’ils tendent progressivement à disparaître au sein du collège.
1.6 La lutte contre la difficulté scolaire au sein du collège unique
depuis 1975
L’instauration du collège unique consacre la notion « enfance en
difficulté » et modifie les frontières entre les champs de l’éducation
spéciale et ordinaire à l’intérieur de l’Education Nationale
Au moment où s’instaure le collège unique (1975) - qui doit résoudre,
entre autres problèmes, la croissance de la population scolaire - va se
développer en son sein des dispositifs pédagogiques particuliers pour
gérer la difficulté scolaire. Ces mécanismes vont s’exercer en parallèle
de l’enseignement spécialisé ou adapté qui fonctionne quasiment comme
une filière indépendante du cycle ordinaire.
Au cœur du cursus général du collège unique, la frontière entre les
classes de sixième/cinquième et celles de quatrième/troisième perdure.
Ce passage est longtemps marqué par la séparation en deux cycles : cycle
préparatoire, cycle d’orientation. L’orientation relève de la décision
institutionnelle pour diriger ceux qui ne peuvent poursuivre après la
cinquième en cycle général dans le collège, soit vers le cycle technique
court (hors du collège jusqu’à la création, en 1986, des quatrièmes et
troisièmes « techno » dans le collège) ; soit vers les CPPN24 dans le cas
où il est « exclu » que les élèves puissent suivre un enseignement
technique court. Lorsque les CPPN sont créées en 1972, l’orientation de
ces élèves est dite « pré-professionnelle » et le monde du travail est à
l’horizon, sous la forme de l’apprentissage « sur le tas » par exemple ; il
24
CPPN : Classe pré-professionnelle de niveau
30
devient concret dès la troisième avec la création des CPA25. Les élèves
ainsi orientés - dont il est dit à la création de ces classes qu’ils ne sont
pas faits pour l’école mais pour exercer un métier - sont caractérisés
comme des élèves « en difficulté » lorsqu’il devient manifeste que ces
classes se constituent comme des filières de relégation. Ces classes sont
définitivement supprimées en 1991, peu après la Loi d’orientation sur
l’éducation de juillet 1989 qui vise à réduire les formes de ségrégation
scolaire et sociale.
En 1986, sont créées les classes de technologie : elles vont apparaître
comme une voie d’orientation vers un cycle court. Elles se substitueront
aux CPPN, avec néanmoins une différence : elles ne sont pas
explicitement destinées à des élèves « en difficulté » mais à des élèves
dont les niveaux de connaissance sont évalués comme trop faibles pour
suivre le cursus général.
A cette même date, une autre classe est instituée au niveau de la
quatrième : la classe « aide et soutien », spécifiquement destinée aux
élèves se trouvant en difficulté en fin de cinquième. La classe est conçue
comme un « dispositif adapté à la prise en charge des élèves en
difficulté » et ne peut donc être considérée comme une filière
d’orientation. Elle tend néanmoins à le devenir pour une majorité des
élèves qui, à la suite de cette quatrième, ne peuvent s’orienter que vers
une troisième d’insertion, classe créée pour remplacer les CPA. Elle le
devient aussi lorsque les contenus d’enseignement de ces classes sont
trop « allégés » pour permettre de poursuivre ou reprendre en cursus
général, ou même technologique.
Les classes de technologie comme celles d’« aide et soutien » et
« d’insertion » sont maintenues, alors même que la classe de cinquième
n’est plus instituée comme palier d’orientation et que la réforme de 1994
entérine une nouvelle organisation des cycles et fait de la cinquième et
de la quatrième un seul cycle central. Le maintien de ces classes
aujourd’hui est très fortement remis en cause et elles tendent à
disparaître. Seul la filière troisième d’insertion est maintenue, mais son
nombre est très limité. Elles ont été remplacées par une option
« technologie » : il faudrait pouvoir étudier si la mise en place de cette
option crée des classes, et sur quels critères se fabriquent les modes de
regroupement. De tels dispositifs, qui ont été conçus au départ comme
25
CPA : Classe préparatoire à l’apprentissage
31
moyens d’orientation, sont vite devenus des moyens de gérer les
inégalités scolaires. Ils se sont généralisés en même temps que se sont
transformées les frontières qui délimitent le collège.
La frontière, en aval du lycée, est devenue un pallier d’orientation et de
sélection. Ces transformations ont des conséquences sur la scolarité du
collège : lorsqu’il a été dit (dans les années 80) que 80% d’une classe
d’âge devait parvenir au bac, le collège se devait de conduire une
majorité d’élèves au-delà de cette frontière. Lorsque l’orientation
professionnelle a été repoussée au-delà du collège, les sorties du collège
sans diplôme qualifiant sont devenues plus prégnantes et les effets
stigmatisants plus forts sur les élèves en difficulté.
En amont, la disparition de l’examen d’entrée en sixième a entraîné une
augmentation de l’hétérogénéité des classes. Le collège s’ouvrait à tous
les enfants d’une classe d’âge, scolarisés dans les mêmes formes. Pour
gérer cette hétérogénéité sociale et scolaire des classes, les collèges ont
développé des dispositifs particuliers :
En 1986-1987, trois heures hebdomadaires de soutien sont affectées
aux classes de sixième et cinquième. Le soutien est préconisé comme
action pédagogique depuis la loi Haby. Il apparaît comme partie
intégrante de l’emploi du temps dans la note de service de décembre
1986 : « Outre le temps d ‘enseignement réglementaire propre à chaque
matière, l’emploi du temps des classes de sixième et cinquième doit
comporter trois heures hebdomadaires destinées à renforcer
l’enseignement dans des disciplines ou groupes de disciplines choisis par
l’établissement ».
En 1993, ces heures sont transformées en heures de soutien pour les
élèves en difficulté.
En 1994, ces heures de soutien sont généralisées en classe de sixième
sous la forme de souplesse horaire, assortie de la recommandation
institutionnelle de l’utiliser pour mettre en place des dispositifs de
consolidation à destination des élèves en difficulté.
Le lien devient plus fort entre l’école primaire et le collège pour signaler
les élèves qui sont ou peuvent être en difficulté, dans leurs connaissances
mais aussi dans leurs comportements. Le repérage des enfants en
difficulté dès la sixième s’apparente à une forme de discrimination
32
positive : il s’agit de donner davantage d’heures d’enseignement à ceux qui
ont moins de connaissance.
Ainsi, entre la Loi de 1975 et celle de 1989, le collège conserve des
structures particulières et permanentes pour accueillir et former des
élèves jugés en difficulté et incapables de suivre les enseignements
« ordinaires »
De 1989 à 2004, on observe un recours de plus en plus limité à des
structures particulières jugées ségrégatives et reléguant les élèves en
difficulté dans des voies aux débouchés scolaires et professionnels très
incertains. Corrélativement, l’hétérogénéité grandit dans les classes de
quatrième et troisième. Le collège se doit de scolariser tous les élèves, y
compris ceux qui éprouvent des difficultés. Il ne doit plus recourir
systématiquement à des structures permanentes pour lutter contre la
difficulté, à l’exception notable des SEGPA.
Tableau 3 : Synoptique des modalités principales de scolarisation et des
prises en charges possibles
Champ de la
Champ de
Champ de
scolarité ordinaire
l’adaptation
l’intégration
Public
Elèves en difficulté Elèves en difficulté Elèves en situation
scolaire ordinaire
scolaire grave
de handicap
er
1 degré
Soutien par le
Projet pédagogique
Intégration
maître de la classe individualisé par le
individuelle ou
et le RASED
RASED
collective dans le
cadre d’une CLIS
ème
2
degré
Soutien par les
Intégration
SEGPA
enseignants de la
individuelle ou
Parcours
classe (pédagogie
collective dans le
individualisé
différenciée et
cadre d’une UPI26
Cette approche historique met en évidence le fait que le dispositif
SEGPA s’inscrit dans la filiarisation de l’éducation spécialisée, et donc du
domaine de l’intégration du handicap au sein du collège. Dans le même
temps, il se trouve être, à terme, la dernière filière particulière du
traitement de la difficulté scolaire au sein du collège. Les élèves
26
Unité Pédagogique d’Intégration
33
scolarisés dans ce dispositif sont donc pris entre deux processus qui
peuvent apparaître antinomiques : celui de l’intégration du handicap et
celui de la finalité implicite de sélectivité sociale du collège. Cette
situation est d’autant plus aléatoire que les critères d’orientation des
jeunes reposent sur une notion aux contours flous et sujets à
interprétation : celle de la « difficulté scolaire ». Cette dénomination
peut avoir des inclinaisons socialement marginalisantes et stigmatisantes
pour les jeunes. C’est ce que nous allons aborder à travers l’analyse des
trajectoires sociales et scolaires de jeunes en SEGPA.
34
2 - LES TRAJECTOIRES SOCIOSCOLAIRES DES
« SEGPA »
Nous tenterons de montrer, tout d’abord, que les déterminants
sociologiques sont encore aujourd’hui prégnants dans les parcours
étudiés. Cependant, ils ne sont pas les seuls en cause et il serait
réducteur de vouloir résumer la scolarisation en SEGPA à des
dysfonctionnements familiaux. Certes, le milieu familial est une dimension
importante, mais il ne peut être l’unique facteur explicatif de ces
parcours. Nous montrerons dans un deuxième chapitre que l’influence de
la scolarité, et plus généralement de l’Institution, n’est pas neutre dans
l’orientation de ces trajectoires.
2.1 Le poids de la famille dans les trajectoires
L’analyse de cette dimension n’est pas toujours aisée, car les
caractéristiques et les formes de la vie familiale évoluent, elles ne sont
pas linéaires pour toute une existence. Au cours de son histoire, une
famille peut alterner entre des périodes de relative stabilité
professionnelle, économique, affective et, à d’autres moments, être
confrontée à des bouleversements importants (licenciement, séparation,
décès…). Pour aborder la notion de trajectoire familiale, il est donc
indispensable de croiser plusieurs outils. Nous avons choisi deux
matériaux : l’analyse des dossiers qui donne une photographie de la
situation familiale à un instant T, et l’analyse d’entretiens sur ce même
thème qui permet d’appréhender l’histoire des trajectoires. C’est la
combinaison de ces deux méthodes qui permet d’approcher les parcours
étudiés comme des processus, et évite ainsi l’écueil de la simplification
des réponses.
2.1.1 Des élèves issus des classes ouvrières et employés
Un tableau présentant une série de situations relevées dans les dossiers
scolaires permet de le confirmer. Concrètement, nous avons pu avoir
accès à tous les dossiers des quatrièmes et troisièmes SEGPA, soit 48
situations familiales.
35
Tableau 4 : Profession des parents des élèves scolarisés en SEGPA au
collège Ferré27
N° de situation
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28
29
30
31
32
33
34
35
36
37
38
39
40
41
42
43
44
45
46
47
48
27
Profession du père
Opérateur sur presse
Ouvrier dans le bâtiment
Ingénieur d’étude
Manutentionnaire
Ouvrier
Technicien d’entretien
Agent technique
Chauffeur livreur
Coiffeur
Décédé
Directeur de société
Fonctionnaire de police
Cuisinier
Non renseigné
Paysagiste
Chômage
Viticulteur
Chauffeur poids lourd
Chômage
Absent
Mécanicien
Peintre
Chauffeur de bus
Agent d’entretien
Serveur
Soudeur
Employé de cave
Peintre en bâtiment
Représentant
Manutentionnaire
Ouvrier spécialisé
Electricien
Maçon
Ouvrier en viticulture
Electricien
Agent de maîtrise
Vaguemestre
Ouvrier BTP
Chauffeur de bus
Employé de mairie
Non renseigné
Ouvrier
Vaque mestre
Ouvrier BTP
Chauffeur de bus
Employé de mairie
Non renseigné
Ouvrier
Profession de la mère
Sans
Femme de ménage
Auxiliaire puéricultrice
Agent d’entretien
Vendeuse
Agent de Service Hospitalier
Aide Soignante
Agent d’entretien
Sans
Sans
Employée de préfecture
Décédée
Employée de lingerie
Agent de service
Sans
Chômage
Secrétaire
Agent de service hospitalier
Agricultrice
Handicapée (sans profession)
Chef du personnel
Femme de ménage
Opératrice
Employée de maison
Agent de service hospitalier
Employée d’usine
Employée de bureau
Assistante maternelle
Sans
Couturière
Sans
Sans
Agent de service hospitalier
Assistante maternelle
Sans
Agent de service hospitalier
Hôtesse d’accueil
Commercial
Ouvrière en viticulture
Employée de mairie
Sans
Ouvrière
Hôtesse d’accueil
Commercial
Ouvrière viticole
Employée de mairie
Sans
Ouvrière
Source : d’après les données recueillies dans les dossiers scolaires du collège.
36
Les renseignements dont nous disposons sur les familles montrent que
nous avons majoritairement affaire, dans la SEGPA Ferré, à des
collégiens issus de familles populaires, souvent des fractions les plus
démunies. Nombre de ces dernières connaissent des situations de forte
précarité économique (emploi précaire, chômage). Rares sont parents
dont la profession n’entre pas da la catégorie socioprofessionnelle
« ouvriers » ou « personnels de service ».
Les dossiers sont globalement complets sur le plan des renseignements
administratifs et de l’état civil, c’est moins évident pour les dossiers
scolaires.
Outre ces propriétés socioprofessionnelles, le nombre
d’enfants dans les familles est souvent élevé. A la SEGPA Ferré, le
nombre moyen d’enfants par famille atteint 2,61 contre 1,9 pour la
moyenne nationale. Ce nombre élevé d’enfants est aussi dû aux
recompositions familiales qui engendrent un phénomène d’addition des
enfants des foyers antérieurs.
Pour analyser plus finement les éléments sociaux des dossiers étudiés,
nous avons utilisé la nomenclature des catégories socioprofessionnelles
de l’INSEE. Elle est organisée en six groupes socioprofessionnels 28:
Groupe 1. Agriculteurs exploitants
Groupe 2. Artisans, commerçants, chefs d’entreprise
Groupe 3. Cadres, professions intellectuelles supérieures
Groupe 4. Professions intermédiaires
Groupe 5. Employés
Groupe 6. Ouvriers
Chaque groupe peut être plus finement décomposé en catégories
socioprofessionnelles. Cette analyse, dans le cas présent, est
intéressante car comme le précise François de Singly29 : « Tous ceux qui
estiment que la société française est inégalitaire ont, également, besoin
d’un indicateur synthétique des richesses sociales, culturelles,
28
François de Singly, L’enquête et ses méthodes : le questionnaire, Sociologie 128, Editions NathanUniversité, Lassay les Châteaux, février 2004.
29
Ibid 28, page 50.
37
économiques, détenus directement ou non par l’individu. La catégorie
socioprofessionnelle fournit cette indication. Elle est devenue une
variable reconnue légitime socialement pour décrire la réalité. »
A partir d’un graphique, découvrons la répartition des professions à
partir de la nomenclature INSEE. Pour la réalisation de ce graphique,
nous avons choisi d’ajouter une autre catégorie : celle des sans-emploi,
qui englobe la situation de chômage (groupe 7).
Graphique 1 : Professions des parents des élèves de la
SEGPA Férré
Agriculteurs exploitants (groupe 1)
Artisans, commerçants, chefs
d'entreprise (groupe 2)
Cadres (groupe 3)
Professions intermédiaires (groupe 4)
Employés (groupe 5)
Ouvriers (groupe 6)
Demandeurs d'emploi, sans-emplois
(groupe 7)
La lecture de ce graphique souligne, de manière flagrante, que les
catégories professionnelles représentées sont très majoritairement
celles des groupes « ouvriers » et « employés ». Ces deux groupes
représentent plus de 75 % des professions représentées. Si l’on y ajoute
la part du groupe 7, la proportion atteint 91 %. La position des autres
groupes est donc très marginale. Cette situation pose la question de la
surreprésentation des classes dites « populaires » et précaires dans ce
dispositif de la SEGPA. Elle peut donc amener à s’interroger au sujet du
rapport entre la catégorie socioprofessionnelle à laquelle appartiennent
les parents et :
- les inégalités sociales des élèves face à l’école (et plus précisément
face à la difficulté scolaire) ;
38
- les inégalités d’orientation, à niveau équivalent.
Pour élargir cette analyse, nous rappelons que la note d’information du
ministère de l’Education nationale, en novembre 2000, indiquait : « La
répartition des élèves de SEGPA selon la catégorie socioprofessionnelle
du chef de famille est très différente de celle des élèves du second
degré ordinaire. Les enfants d’ouvriers, de chômeurs ou de personne sans
activité, sont proportionnellement plus nombreux dans les SEGPA (69%),
que dans les collèges (39%) »30.
Au collège Ferré, cette proportion est donc encore plus élevée. L’étude
nationale met aussi en exergue la surreprésentation d’élèves de
nationalité étrangère en SEGPA, ce qui n’est pas vérifié dans le cas
présent puisque sur les 48 dossiers étudiés, seuls trois enfants sont
d’origine étrangère et tous les élèves possèdent la nationalité française.
La première remarque que nous pouvons dégager est que les parcours
scolaires des élèves sont étroitement liés à leur origine sociale. L’étude
réalisée à la demande du Haut conseil de l’évaluation de l’école sur le
Traitement de la grande difficulté au collège et à la fin de la scolarité
obligatoire31souligne avec force et précision que « les élèves en difficulté
sont très marqués socialement ».
30
31
Ibid 3.
Ibid 10.
39
2.1.2 Des situations familiales fragilisées
Séparations, décès, chômage forment régulièrement la trame des
histoires sociales des familles étudiées.
8%
23%
Couple
Séparés
Monoparental
69%
Graphique 2 : Les Situations familiales
Nous ne détenons pas d’éléments statistiques comparatifs pour tirer des
enseignements significatifs liés à la situation familiale. Les dossiers ne
peuvent relater la réalité familiale vécue par les jeunes. De plus, des
événements tels qu’une séparation ou un décès ne sont pas dépendants de
la condition sociale de la famille. Cependant, dans le cas de la population
étudiée, c’est la combinaison de plusieurs facteurs (précarité
économique, fragilité affective familiale) qui peut avoir des effets
cumulatifs et aggravants sur la trajectoire scolaire du jeune. Pour
poursuivre l’analyse des trajectoires familiales, il nous paraît judicieux de
travailler à partir des entretiens réalisés à ce stade de notre étude.
2.1.3 La dimension familiale à travers cinq entretiens
De ce point de vue, l’analyse nous a permis de distinguer deux grands
types de familles, malgré que les limites entre ces deux groupes ne
soient pas étanches et que ces familles soient dotées de caractéristiques
communes.
Le premier type est caractérisé par une forte précarité économique et
une accumulation de difficultés sociales (petits boulots, revenu
d’assistance, conflits conjugaux, ennuis judiciaires, monoparentalité,
etc.).
40
L’entretien d’Amélie a été réalisé au mois d’avril 2005 . A cette époque,
elle avait 18 ans et vivait au foyer Vert à Ville moyenne depuis l’âge de 12
ans. Les raisons de son placement ne sont pas clairement énoncés. Selon
ses propos, ce processus a fait suite « à de gros problèmes familiaux, en
fait je n’ai pas été accepté par ma famille ». Amélie a un frère de 17 ans
et un demi-frère de 11 ans qui vivent avec leur mère. Ses parents se sont
séparés alors qu’elle avait trois ans : elle n’a aucun souvenir de son père.
Le milieu familial a toujours été marqué par des violences conjugales : son
père buvait et tapait sa mère, les hommes qui se sont succédés au
domicile ont reproduit le même type de comportement à l’encontre de sa
mère et des enfants. Elle a connu à deux reprises un placement familial
dont elle parle comme des plus belles années de sa vie :
« Ma nourrice était un très grand cadeau pour moi, j’étais heureuse làbas. Ils m’ont donné le sourire, ils m’ont appris beaucoup de choses que
personne ne m’avait appris. J’étais heureuse quoi ! »
Pendant toute sa scolarité, Amélie a été « ballottée » entre sa mère, les
familles d’accueil et les foyers. Elle a souvent changé d’école et a très
peu vécu avec sa mère :
« Ouais, je n’ai pas beaucoup vécu avec ma mère, alors sans parent ce
n’est pas facile. J’ai toujours été en nourrice, en foyer sinon c’est ma
grand-mère maternelle qui m’a élevée. Mon oncle et ma grand-mère
remplacent mes parents. »
Sa mère est actuellement au chômage et ferait une formation de
couture.
Le deuxième entretien fut réalisé le 5 avril 2005 . Lorsque, nous avons
rencontré Arielle, elle était scolarisée au lycée Becquerel, et préparait
un CAP Agent polyvalent d’entretien et habitait chez sa grand-mère
maternelle. Elle a deux petits frères jumeaux (nous avons rencontré l’un
d’eux, un an plus tard, au collège, car il avait intégré une cinquième
SEGPA) et une grande sœur de 20 ans, actuellement en apprentissage
pour devenir peintre en bâtiment. Auparavant, sa sœur avait obtenu un
CAP Vente mais ne trouvait pas d’emploi stable. Ses parents étaient
séparés et elle voyait son père épisodiquement :
« Ca fait longtemps qu’ils sont séparés, des fois je le vois, des fois j’y
vais. En fait je n’y vais pas trop, ça dépend, quand il est sobre ou pas. »
41
Elle habite chez sa grand-mère, du fait de l’exiguïté de l’appartement de
sa mère : « disons qu’avec ma mère et mes frères, on a un petit appart.
Avec mes frères, je ne peux pas avoir un peu d’intimité. On n’a pas de
calme, toujours en train de se taper dessus. »
Son père occupe la maison familiale, voisine de celle de sa grand-mère.
Ses parents travaillent en usine :
« Ma mère est ouvrière dans une usine d’électronique. Je ne sais pas si
elle possède un diplôme. Ca fait 30 ans qu’elle travaille dans la même
usine. Mon père, il travaille à la « F » en tant qu’électricien. Il est un peu
touche-à-tout, il bricole. »
Ces deux entretiens révèlent des situations familiales très fragilisées
sur le plan affectif et social. Amélie et Arielle ont grandi dans un milieu
familial dont les revenus sont faibles. La maman de Amélie survit grâce
aux aides sociales. Les conditions matérielles d’existence sont difficiles
et entretiennent une forte incertitude quant à l’avenir. Ces situations ont
indéniablement des répercussions sur les conditions de vie, et donc de
scolarisation, des enfants.
Le deuxième type de famille est composé de familles ouvrières, plus
stables au plan économique et social que les deux exemples précédents,
c’est-à-dire avec des revenus plus importants. Au niveau de la situation
familiale, les entretiens réalisés avec les jeunes et leurs parents ont
montré le souci de ces derniers d’accompagner la scolarité de leurs
enfants. Nous avons réalisé deux autres entretiens auprès de Didier(le 7
avril 2005) et de Jean (le 16 mai 2005).
Didier habite à Ville moyenne, dans un quartier proche de celui de
l’Europa. Ses parents sont locataires d’un appartement. A l’époque, il
était âgé de 18 ans et préparait un CAP Jardin espaces verts en
apprentissage. Il avait bon espoir d’être embauché à l’issu de son contrat.
Il a deux sœurs, l’une prépare un BTS Comptabilité et l’autre prépare un
bac professionnel en vente. L’école n’est pas le sujet de conversation de
prédilection de Didier. Il lui fut très difficile de me dire précisément ce
que faisaient ses sœurs : « je ne sais pas, je discute pas trop avec elles
de l’école », il ne sait pas, d’ailleurs, dans quel lycée est scolarisée sa
sœur cadette. Son père est chauffeur livreur : « il fait des livraisons en
ville. Il livre de tout, ce que les gens commandent. Il est à plein temps et
42
travaille du lundi au vendredi. » A priori, c’est un poste qu’il occupe depuis
longtemps. Sa mère fait des ménages pour la valeur d’un mi-temps.
Jean habite une maison à Saint Mathurin. L’entretien fut différent des
autres car réalisé en compagnie des parents. Nous avions pressenti, au
premier contact téléphonique, qu’il nous serait difficile de nous
entretenir librement et seul avec l’adolescent. La maman répondit qu’elle
était tout à fait prête à nous recevoir, puis nous passa son mari qui
souhaitait des précisions quant à l’objet de notre demande. Nous avions
compris que les parents de Jean recherchaient d’abord une explication
aux difficultés scolaires de leur enfant. Un rendez-vous fut donc fixé à
leur domicile le lundi 16 mai 2005. L’accueil fut cordial et Monsieur nous
invita à nous asseoir autour de la table familiale en présence de Madame
et de Jean. Les parents ne souhaitaient pas être exclus de l’entretien.
Après les présentations, nous avons proposé l’enregistrement de
l’entrevue, la réponse du papa fut immédiate : « ça m’étonnerait qu’il
accepte, car déjà qu’il ne parle pas beaucoup, alors devant un micro, il
perd tous ses moyens. » Jean, d’un signe de la tête, nous a fait
comprendre qu’il ne fallait pas insister.
Les parents sont mariés et sont propriétaires de leur logement. Monsieur
dessinateur industriel, est âgé de 52 ans. Il travaille depuis 31 ans dans
la même entreprise et est titulaire d’un brevet de technicien en
chaudronnerie et tuyauterie industrielle. Madame exerce dans le milieu
scolaire, elle est embauchée depuis 10 ans par la municipalité pour un
trois-quarts temps. Elle n’a pas de diplôme. Elle est chargée
d’accompagner les enfants dans le cadre du ramassage scolaire
principalement. Ils ont une fille de 26 ans qui est caissière à Leclerc
depuis cinq ans. Elle possède un bac en comptabilité : comme elle ne
trouvait pas d’emploi, à la sortie de ses études, elle est entrée à Leclerc.
Cécilia fut l’objet du dernier entretien réalisé : sa famille se trouve au
carrefour des deux types étudiés précédemment. La rencontre eut lieu
en mai 2005 en compagnie de sa maman. Cécilia était âgée de 17 ans et
demi, elle préparait un CAP Petite enfance à Paris. Elle effectuait cette
formation à Paris car sa tante, professeur, avait pris en charge sa
scolarité pour l’aider à dépasser ses difficultés. Sa mère est rédactrice
de contrats d’assurance. Cécilia a un frère de 20 ans qui prépare un bac
pro Paysagiste . Le père est décédé alors qu’elle avait huit ans. Il a été
difficile d’évoquer cet événement, la maman comme sa fille ne souhaitant
43
pas répondre à nos questions. Le traumatisme semble encore très
présent pour la famille et cet accident biographique est sans aucun doute
un élément explicatif de l’orientation de sa trajectoire scolaire.
2.1.4 Un faible héritage culturel familial
Les jeunes que nous avons mentionnés ci-dessus sont issus de milieux
familiaux faiblement dotés culturellement et scolairement. Cet état de
fait est évidemment une question cruciale dans la compréhension et
l’analyse de leurs parcours scolaires. Les sociologues ont depuis
longtemps montré la force du lien entre le capital culturel familial et le
parcours scolaire des enfants32. L’immense majorité de notre population
d’enquête est constituée de familles dont les parents n’ont connu que des
scolarités courtes. Plusieurs enfants semblent ainsi reproduire le schéma
de scolarité de leurs parents. Il n’est pas rare de trouver, pour les
frères et sœurs, des parcours similaires à celui qui a mené les jeunes
interrogés au dispositif de la SEGPA. Pour les autres c’est le plus souvent
une orientation en secteur professionnel type CAP et BEP. Ces familles
sont donc généralement étrangères aux logiques scolaires, et notamment
à celles véhiculées dans le secondaire, au collège. Nous n’avons pas pu, à
travers l’analyse des dossiers, construire un graphique des scolarités
suivies par les frères et sœurs pour deux raisons principales :
- les dossiers ne sont pas systématiquement renseignés ;
- beaucoup de frères et sœurs sont scolarisés en primaire : de leur
situation, nous ne pouvions donc pas tirer tous les enseignements
nécessaires.
« D’une certaine façon, l’école risque souvent d’être la négation de la
famille ou de la socialisation initiale pour les enfants les plus éloignés de
l’univers scolaire et les moins conformes au modèle familial dominant ».33
Les parents risquent d’être disqualifiés aux yeux de leurs enfants : ce
genre de situation peut produire une forme de violence symbolique dont
les conséquences peuvent être, pour l’élève, le désintéressement de la
sphère scolaire, lequel conduit fréquemment à des conflits
intergénérationnels intrafamiliaux. Du côté de l’Institution scolaire, ce
genre de situation est souvent analysé comme une conséquence de la
démission des parents ou, pour reprendre les propos d’une enseignante
interrogée, « de défaillances familiales ».
32
P. Bourdieu et J.C. Passeron, Les héritiers, Paris, Minuit, 1964.
D. Thin, Comprendre les parcours des ruptures scolaires et de « déscolarisation » des collégiens de
milieux populaires, Les actes de la DESCO, MEN, CRDP de l’Académie de Versailles, 2002.
33
44
2.1.5 Le point de vue des enseignants sur les trajectoires familiales
Au fil de la recherche et en raison des difficultés rencontrées pour
trouver des jeunes susceptibles de répondre à nos questions, nous avons
orienté les entretiens vers des personnes d’autorité pour saisir le regard
et les représentations portées sur le parcours familial des élèves de
SEGPA.
Nous avons été surpris par la méconnaissance des intervenants sur
l’origine sociale des jeunes accueillis. Les professeurs n’ont que très peu
d’informations sur cet aspect. Une enseignante d’anglais déclare : « Il y
a eu des fractures familiales, des fractures sociales et il y a aussi
quelques enfants qui ont eu des problèmes médicaux dans leur enfance ou
avant la naissance, on ne sait pas, mais pour la plupart effectivement il y
a un accompagnement familial qui est probablement défaillant. »
Une autre professeur évoque un épisode lié à cette méconnaissance des
dossiers : « Cette année, j’ai une élève qui a je ne sais plus quelle maladie.
En début d’année, j’ai commencé à m’énerver sur elle parce que tout le
monde avait écrit l’enquête et les deux questions sur son cahier, j’ai
commencé à m’énerver et sa voisine m’a dit : « Mais madame, elle est
malade, vous ne le savez pas ? » et ben non je ne le savais pas. »
Ces réponses corroborent une étude réalisée par le ministère de la
Jeunesse, de l’Education nationale et de la Recherche sur les élèves en
difficulté à l’entrée en sixième 34. Il est écrit : « On constate que dans la
très grande majorité des cas, il n’y a pas de dossiers les concernant dans
les collèges qui, selon l’expression d’un principal « prennent les élèves tels
qu’ils sont ».
Pour un directeur de SEGPA interviewé, la réponse reste très générale :
« Pour le secteur de La Parisienne, ce sont des élèves qui sont en
difficulté persistante depuis le CP, qui appartiennent à des catégories
socioprofessionnelles défavorisées voire très défavorisées. Beaucoup de
gens au chômage, des origines ethniques très diverses ».
Il nous est apparu intéressant de croiser, à ce stade de notre réflexion,
les commentaires du personnel enseignant avec ceux des jeunes. Ces
observations sont instructives car elles permettent d’étoffer notre
34
B. Gossot, co –président, P. Dubreuil, rapporteur. Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale
et de la recherche : Les élèves en difficulté à l’entrée au collège. Juillet 2003. N° 03-033. P. 16.
45
analyse. L’étude des caractéristiques familiales a montré que nous avions
affaire à des collégiens dont l’histoire est marquée par des conditions
d’existence difficiles sur le plan affectif, social et économique, mais
aussi sur le plan culturel.
2.2 Le poids de l’institution scolaire dans les trajectoires
Les jeunes orientés en SEGPA présentent tous des difficultés
d’apprentissage scolaire. C’est d’ailleurs un point commun permanent et un
élément constitutif des différents parcours étudiés. Lors des
entretiens, il fut difficile d’aborder cette question car elle entraîne une
gêne, un sentiment de honte… Les collégiens attribuent souvent leurs
difficultés à une mauvaise institutrice, en CP notamment. Ils adoptent
généralement des stratégies d’évitement et quand nous leur demandons
quels étaient leurs résultats au long de leur scolarité. Ils se contentent
souvent d’un : « ça va » ou « c’était pas mal », alors que pour la totalité,
ils avaient redoublé en primaire.
De son côté, l’Institution scolaire a développé de nombreux dispositifs
pour prévenir cette difficulté . Les difficultés des jeunes rencontrés ont
été dépistées tôt et les élèves pu bénéficier de ces aides. Au final, ils
ont tous été orientés en SEGPA pour des motifs qui peuvent différer
selon les cas. Les conditions d’orientation seront examinées car elles
constituent un élément déterminant de la direction du devenir scolaire.
Nous essaierons, à travers les mécanismes déployés, de vérifier
l’hypothèse de départ, de savoir si la manière d’orienter n’est pas
implicitement un moyen de régulation sociale, de légitimation de la
finalité sélective au niveau du collège.
Pour appréhender de manière fiable cette dimension, nous avons multiplié
les sources et les croisements d’outils : outre les entretiens, nous avons
travaillé avec les dossiers scolaires (notes et appréciations des
professeurs, décisions des commissions…), et sur l’observation d’une
Commission d’orientation CCSD à laquelle nous avons participé en tant
qu’auditeur libre.
46
2.2.1 Les difficultés d’apprentissage : un invariant dans les parcours
étudiés
2.2.1.1. Inégalités des acquis en français et mathématiques à l’entrée au
collège
Dès leur accès au collège, les élèves orientés en SEGPA présentent, par
rapport à leurs camarades des autres classes, des différences
significatives en terme d’acquis dans les domaines des mathématiques et
du français. Les évaluations nationales pratiquées à l’entrée en sixième
mettent en évidence les résultats suivants :
Tableau 5 : Résultats des évaluations nationales à l’entrée en sixième
Score de réussite en français
Coefficient de variation
Score de réussite en mathématiques
Coefficient de variation
Moyenne des
élèves des
sixièmes
générales
66.4%
0.25
63.4%
O.28
35
Moyenne des
élèves de
sixièmes SEGPA
29.2%
O.47
21.1%
0.64
Plusieurs commentaires se dégagent à la lecture de ce tableau.
L’écart entre les scores de réussite des élèves de SEGPA et ceux des
élèves du collège est significatif. Il confirme que globalement, les élèves
de SEGPA ont des lacunes importantes dans les compétences réputées
acquises à la fin du cycle des approfondissements.
On remarque aussi que, pour reprendre les propos de Suvani Vugdalic36,
« Les distributions des scores relatifs aux élèves de SEGPA sont bien
plus dispersées que celle des élèves de sixième, environ deux fois plus
dispersées, tant pour le français que pour les mathématiques ». Elles
traduisent une hétérogénéité plus grande des résultats de ces élèves.
Un directeur de SEGPA nous faisait remarquer, à propos de ces
évaluations nationales : « Je suis convaincu qu’il faut les faire passer,
35
Suvanic Vugdavic, Les acquis des élèves entrant en SES et en SEGPA, Education & formations,
p.78, septembre 1997.
36
Ibid 35
47
mais il ne faut pas en attendre plus que ce qu’elles peuvent donner. C’est
une photographie, mais il faut tempérer aussi, parce que dans les
évaluations, on a - notamment en français - des textes qui ne font pas
sens pour ces gamins-là, et je n’ai pas l’impression que cela en fasse
beaucoup pour les gamins de sixième général. Ca devient de plus en plus
complexe, alors comme normalement, on ne doit pas donner de consignes,
forcément, il y a une plus-value à la pénalisation pour nos mômes qui n’en
ont pas besoin. Ca devient un peu moins lisible que cela l’était. »
Même si les évaluations peuvent être critiquées sur leur contenu, elles
ont le mérite d’exister et de permettre une comparaison objective entre
ces deux populations. Il convient de noter, au regard de l’enquête
conduite par S. Vugdalic, qu’« en français, les élèves de SEGPA
obtiennent de meilleures résultats que les 5% les plus faibles des élèves
de sixième », alors qu’« en mathématiques, les résultats sont quasiment
identiques » entre ces deux populations. Ce résultat, bien qu’à la marge,
montre que la grande difficulté scolaire n’est pas circonscrite
uniquement à la SEGPA.
Par ailleurs, une note récente du ministère de l’Education nationale
souligne qu’« en mathématiques comme en français, les variables les plus
discriminantes pour le score sont la PCS (profession et catégorie
socioprofessionnelle) du chef de famille et l’âge de l’élève. Les écarts
entre les enfants d’ouvriers et les enfants de cadres sont aux alentours
de 15 points sur 100. Les enfants de cadres obtiennent de meilleurs
résultats aussi bien en mathématiques qu’en français ».37
37
N.E.04-06 mai : L’évaluation des compétences des élèves de sixième en septembre 2003, p. 5.
48
2.2.1.2 Des apprentissages de base inachevés ou mal assimilés
Les enseignants, lors des entretiens, expliquent la difficulté par des
« lacunes » transversales qui touchent à tous les domaines de la scolarité
et des dispositions contraires aux exigences scolaires :
« Ils n’aiment pas écrire, répéter. C’est quelque chose qui est assez
difficile, l’enseignement de l’anglais en SEGPA. On se heurte aux
problèmes de mémorisation. Là, c’est vraiment terrible, car on peut avoir
répété dix fois, quinze fois quelque chose, on a l’impression que c’est
relativement acquis et puis cinq à dix minutes plus tard, a fortiori la
semaine suivante puisqu’on les a qu’une heure par semaine, c’est une
catastrophe, une catastrophe. »
Les difficultés de mémorisation sont récurrentes dans les discours des
enseignants :
« Certains font des efforts d’écoute, d’attention, de travail et
cependant, il n’y a pas de traces dans leur mémoire. »
D’autres insistent sur la question des consignes que les collégiens ne
saisissent pas et qu’il faut rappeler plusieurs fois pour qu’ils effectuent
la tâche ou qu’ils se mettent en activité scolaire.
Ces collégiens butent sur les savoirs scolaires fondamentaux au niveau du
collège comme la maîtrise de la lecture compréhensive et de l’écrit. Ce
sont des jeunes qui « refusent l’écrit », pour reprendre les propos d’une
enseignante.
2.2.1.3 Un repérage précoce de la difficulté scolaire
Les compétences des collégiens étudiés sont en décalage important par
rapport aux performances scolaires exigées au niveau du collège. Ils
cumulent de grandes difficultés depuis de nombreuses années.
Pour l’ensemble de ces collégiens, les difficultés s’enracinent dans la
scolarité dès l’école primaire, comme le montrent leurs bulletins
scolaires, les redoublements précoces et les récits des collégiens. Par
rapport à la population étudiée, il faut noter que tous les jeunes ont
redoublé soit le CP soit le CE1. C’est le cas de Julien : à partir de son
49
dossier scolaire, nous avons pu reconstruire une partie de son parcours.
En CE1, son bilan d’évaluation porte les appréciations suivantes :
Octobre à décembre : « De grosses difficultés en lecture et en
mathématiques dues à son comportement. Très instable, refuse de
répondre, je ne comprends pas très bien où il veut en venir, car je pense
qu’il a des possibilités certaines. »
Janvier à mars : « Julien semble, depuis quelques semaines, s’être rendu
compte qu’il est à l’école pour travailler. Espérons que l’on puisse ainsi
obtenir des acquisitions, plus sûres. Les résultats restent très
irréguliers. Il va donc falloir travailler sérieusement maintenant, la balle
est dans le camp de Julien… A lui de la saisir. »
Avril à juin : « Des progrès ont été réalisés en lecture ; il faut continuer
et essayer de faire la même chose en maths. Produire un peu plus de
travail semble toujours nécessaire. Julien doit s’investir un peu plus. Il
paraît être sur la bonne voie. »
C’est aussi le cas pour Robert qui a redoublé son CP. Les appréciations en
CE1 sont éloquentes :
« Robert ne se sent pas concerné par les apprentissages scolaires. Il
préfère jouer et délaisse son travail. Il manque de concentration.
En français, de grosses difficultés en lecture qui persistent. »
Appréciation générale : « Malgré son redoublement, Robert, n’a pas les
compétences requises pour suivre en CE1. Il a encore des difficultés
importantes en lecture. Par ailleurs, il n’est pas vraiment attentif en
classe. »
Pour Aurore qui est d’origine algérienne et est arrivée en France à l’âge
de 6 ans, nous retrouvons des appréciations du même ordre. Le bilan CE1
fait état de difficultés importantes pour maîtriser la langue française à
l’oral. Nous avons interrogé cette jeune fille plus tard (elle est
actuellement en quatrième SEGPA à Ferré), elle nous disait qu’à la maison
on ne parlait pas français. Le bilan CE2 est plus mitigé :
Lecture et production écrite : « Mis à part les problèmes de syntaxe et
d’orthographe, Aurore a beaucoup d’idées et l’envie d’écrire. »
50
Conjugaison : « Aurore ne connaît pas ses leçons de conjugaison. »
Orthographe : « Des difficultés à garder en mémoire les différentes
leçons. »
Numération : « Des résultats faibles, il faut travailler ses leçons. »
En CM2, l’appréciation est plus brève : « Résultats insuffisants, de
grosses difficultés en maths et en histoire. » L’équipe éducative saisit la
CCSD en vue d’une orientation en SEGPA.
2.2.1.4 La trajectoire scolaire avant la SEGPA pour les jeunes interrogés
Grâce à un tableau, nous allons tenter de retracer la trajectoire scolaire
à partir du discours des jeunes recueillis lors des entretiens.
Tableau 6 : Les classes fréquentées au cours du primaire
Amélie
CP
CP
Fontenoy Fontenoy
Arielle
CP
Metairie
Jean
MS J.
Moulin
CP SaintCyr
Didier
CP
CP
CM2
CE2 Ville
CM1
CP
CE1
Ville
moyenne
Ville
Saint Ville
Nord
moyenne moyenn
-Cyr moyen
e Nord
Nord
neNor
d
Classe de perfectionnement
Cécilia
2 CP
SaintEtienne
CE1
SIRP
CE1
CE2
CM1
CM2
Sixième
Mont Mont Febvottes Rimbault GVinci
essori essori
2 CE1 Metairie jusqu’ en CM2
Sixième ESSOR
générale
Cinquième
SEGPA
Ferré
Cinquième
SEGPA
Ferré
Sixième
SEGPA
Ferré
Sixième
SEGPA
Ferré
Sixième
SEGPA
Ferré
Plusieurs commentaires se dégagent :
51
La difficulté scolaire est précoce puisque tous les jeunes ont redoublé
leur classe préparatoire ou CE1 pour Arielle.
Lorsque Arielle se souvient de son CE1, elle déclare : « En CP, ça se
passait très bien, j’ai appris à lire sans difficulté. J’étais une bonne
élève, du moins ça allait. C’est en CE1 que tout a chaviré avec la prof.
C’était ma maîtresse qu’était pas sympa, elle avait eu ma sœur avant. Elle
était un peu turbulente. Bon maintenant toute la famille a été cataloguée,
on y a tous eu droit, moi le premier jour, c’était au fond de la classe et
c’est là que ça m’a un peu dégoûtée des cours. Après, j’écoutais plus, je ne
faisais plus rien. J’étais turbulente, en maternelle aussi. Je bougeais
beaucoup, je n’écoutais pas ; mais c’est surtout en CE1 que tout a
commencé. La maîtresse me punissait constamment, elle me tirait les
cheveux, tirait les oreilles…. »
Pour Cécilia, elle est plus tranchée : « J’ai redoublé mon CP car la prof
était nulle, elle nous mettait au fond. Nous étions trois dans ce cas-là.
Elle nous faisait rien faire. Elle nous laissait de côté. » Sa maman
renchérit et apporte une explication supplémentaire : « C’est une instit
qui sortait de l’Ecole normale, ils n’auraient pas dû la mettre dans une
classe comme ça, le CP c’est quand même une classe importante. »
Au-delà du discours, il convient de décrypter le sentiment d’injustice
ressenti par ces jeunes. Incriminer la maîtresse est aussi une manière de
masquer leurs difficultés. Les redoublements sont toujours vécus comme
injustes, comme une décision abusive qui n’est pas en lien avec leurs
performances scolaires. Dans les deux cas présents, ils prennent ça
comme un règlement de compte à leur endroit.
Pour Amélie, les souvenirs du redoublement de son CP sont davantage
corrélés à une période difficile de son enfance : « Je n’allais pas très
bien . On me faisait voir des psychologues mais en fait je suis quelqu’un
qui ne parle pas. En fait, je ne voulais pas voir la réalité, la vraie vie,
j’étais fixée dans mon petit nuage et je vivais dans ce petit monde et
c’est ce qui m’a aidé à survivre. »
Pour Jean, les parents se souviennent de la maîtresse comme d’une bonne
professionnelle. Jean avait des difficultés, c’était un enfant timide,
réservé qui ne participait pas en classe, selon les propos de sa maman. Les
parents ont eu des rendez-vous réguliers avec sa maîtresse pour
52
chercher des solutions. La maman ajoute : « avec l’institutrice, les
rapports étaient bons, mais avec la directrice de l’école, les relations
étaient difficiles, elle avait un discours dévalorisant devant les autres :
« Tu vas te dépêcher, grand cornichon ! », qu’elle disait… »
Pour Didier, l’entretien fut très rapide et pour lui tout s’est passé comme
cela devait : « J’ai redoublé mon CP, car j’avais des problèmes en
français, en lecture et après je suis passé en classe de perf. »
Nous constatons que la pratique du redoublement par l’Institution comme
moyen de remédier à la difficulté scolaire est encore très usitée. Son
efficacité est très fortement remise en cause et dans le rapport déjà
cité du Haut conseil de l’évaluation de l’école (HCÉÉ) sur le Traitement
de la grande difficulté scolaire au collège et à la fin de la scolarité
obligatoire, les auteurs rappellent : « Le redoublement est considéré
comme nuisible par l’OCDE et si l’on mesure l’effet immédiat du
redoublement sur les résultats scolaires, il semble pour le moins
inefficace pour le cours préparatoire. » Un peu plus loin, il est écrit :
« En revanche, le redoublement a des effets très marqués sur la carrière
scolaire et au moment de l’orientation. Plus, il est précoce et plus il est
associé à une faible réussite scolaire. »
La relation entre redoublement et carrière scolaire médiocre est très
forte. Il ne faut pas en conclure que le redoublement soit la cause
essentielle des difficultés, il faut plutôt le considérer comme le
symptôme d’une difficulté. En tout cas, les critiques sont fortes pour
dénoncer le recours à la pratique du redoublement comme moyen de
traiter la difficulté. Il est présenté comme un remède alors que les
études montrent son inefficacité pédagogique.
Après le CP, des parcours erratiques sont constatés. Devant la difficulté
repérée, chaque jeune va se voir proposer de la part de l’Institution
scolaire une orientation vers des filières particulières.
Pour Didier, c’est une orientation en classe de perfectionnement (alors
qu’officiellement, ces classes n’existent plus depuis 1991).
Pour Arielle, elle est orientée à l’ESSOR, au cours de sa sixième générale.
C’est un établissement classé ITEP38 (nouvelle appellation des Instituts
38
ITEP : Institut thérapeutique éducatif et pédagogique
53
de rééducation) qui accueille une population au titre des troubles de la
conduite, du retard mental et des troubles de l’humeur. Lorsque Arielle
évoque son passage à l’ESSOR, les propos ne sont pas élogieux : « Pour
moi, ça été une perte de temps, une année gâchée. On ne faisait rien. Ce
que faisaient mes petits frères en CE1, c’est ce que nous on faisait et
encore ! Il y avait un peu de classe avec un instituteur spécialisé, une
éducatrice avec qui on faisait plusieurs activités mais la classe pour moi,
c’était beaucoup trop facile. Je m’ennuyais, je donnais les réponses à tout
le monde. Logiquement, j’aurais dû faire une autre année, mais je n’ai pas
voulu, j’ai demandé à partir. Même ma mère, elle voyait bien que c’était
une année gâchée. »
Cécilia a été orientée après son CE1 au SIRP39. C’est une structure qui
accueille 10 jeunes de 6 à 15 ans d’intelligence normale mais avec des
difficultés d’apprentissage. Cécilia n’en conserve pas un bon souvenir :
« Et ben, bonjour, c’est rien ça, on faisait rien. On apprend rien. On
apprend à faire des cabanes dans les forêts. J’ai perdu mon temps. »
Pour Amélie, la situation sociale familiale a entraîné des changements
d’établissement. Elle a connu cinq écoles différentes entre le CP et son
admission en cinquième SEGPA. Elle déclare : « J’ai beaucoup changé
d’école. J’ai du les faire presque toutes. Comme j’ai été placée en
nourrice, j’ai changé d’école. »
Le repérage de la difficulté scolaire au niveau du primaire entraîne la
mobilisation des dispositifs de remédiation prévus à cet effet de la part
des acteurs de l’Institution scolaire. Ces aides sont de plusieurs
natures :
- rééducatives : les institutrices signalent la difficulté scolaire et
propose l’intervention de spécialistes comme les orthophonistes, les
psychomotriciens ;
- psychologiques : avec l’intervention d’une psychologue ; dans les cas
présentés, Amélie se souvient qu’en CE1 : « on me faisait voir des
psychologues mais en fait, je suis quelqu’un qui ne parle pas, par contre je
commence un peu à parler. Je n’arrive pas encore à trop dire ce qui me
bouleverse en moi. » Concernant Cécilia, elle a été suivie par le Centre
médical psychologique et pédagogique ;
39
SIRP : Semi-internat de rééducation et de psychothérapie
54
- pédagogiques : avec l’intervention d’un maître spécialisée.
Toutes ces aides se veulent préventives et visent à éviter que les
difficultés rencontrées par certains élèves dans les apprentissages
fondamentaux ne s’aggravent. Elles s’inscrivent dans le dispositif RASED,
décrit dans la partie 1 de ce mémoire. A posteriori, ces aides n’ont pas
obtenu les résultats escomptés puisque tous les jeunes interrogés, à
l’exception d’Amélie, ont été orientés vers des filières spécialisées. Ces
jeunes et leur famille sont donc passés devant une commission
d’orientation du premier degré : la CCPE (Commission de circonscription
du premier degré) . Le passage devant cette Commission a été très mal
vécu par les parents de Jean. La rancœur est grande et les propos du
papa sont sans équivoque : « C’était un vrai tribunal ! Je ne comprends pas
que l’on demande l’avis aux parents puisque tout ce que nous disions
n’avait aucune importance. » La décision de la Commission est tombée
comme un couperet : « Ils ont imposé le changement d’établissement à J.J. Rousseau, Ville moyenne nord. » et Monsieur de rajouter : « de toute
façon à Saint-C.., on sélectionne, c’est une ville de bourgeois. » Jean se
souvient d’une seule chose : « Ma maman est sortie en pleurant. »
2.2.2 L’orientation en SEGPA, des critères sujets à interprétation
Ce chapitre, d’une importance majeure dans l’analyse des trajectoires
scolaires, sera abordé en croisant les entretiens avec deux secrétaires
permanents de la Commission de circonscription du second degré (CCSD)
et l’observation d’une commission en tant qu’auditeur libre, en plus des
entretiens déjà utilisés.
2.2.2.1 Les procédures d’orientation
Elles sont consécutives à l’élaboration d’un dossier par les personnels qui
connaissent l’enfant ou l’adolescent concerné : enseignant, médecin
scolaire, psychologue, assistante sociale ou secrétaire permanent de la
commission.
55
Schéma général de l’orientation spécialisée
RASED
1
Ecole
élémentaire
CCPE
3
CLIS
CDES
5
UPI
Collège
CCSD
4
E
T
AS
BP
LE
I C
S I
SA
EL
MI
E S
NE
T
SEGPA
Tous les traits du schéma fonctionnent dans les deux sens.
1- Si un élève est repéré en difficulté en primaire : l’équipe éducative
s’efforce dans un premier temps de le prendre en charge en pratiquant
une pédagogie différenciée (groupe de niveau par exemple). Si cette
mesure s’avère inefficace, son cas est proposé au RASED.
2- Si cette mesure ne suffit pas, l’équipe éducative et/ou le RASED vont
saisir le secrétaire de la CCPE, lequel va instruire un dossier qui sera
soumis à la Commission lors d’une de ses réunions.
3- La Commission a, dès lors, les possibilités suivantes après
délibérations. L’orientation n’est effective qu’après accord des parents
et possibilité d’accueil dans la structure désignée.
56
Si l’enfant a moins de 12 ans :
- maintien à l’école avec ou sans l’aide du RASED, considérant ainsi que le
cas de l’enfant ne relève pas d’un enseignement spécial ;
- proposition d’un placement en CLIS ;
- proposition d’orientation vers un établissement spécialisé, du fait de la
nécessité d’une prise en charge thérapeutique. Dans ce cas le dossier est
transmis à la CDES.
Si l’enfant a plus de 12 ans :
- renvoi du dossier à l’école pour une admission en collège, considérant
ainsi que l’élève ne relève ni d’un enseignement spécial ni d’un
enseignement adapté ;
- proposition d’orientation en SEGPA. Dans ce cas le dossier est transmis
à la CCSD ;
- proposition d’orientation vers un établissement spécialisé avec
transmission à la CDES.
4- La CCSD reçoit les dossiers d’orientation des CCPE pour les enfants
sortant de l’école élémentaire, mais aussi des collèges. A la lecture du
schéma, elle dispose de trois possibilités principales :
- retour à la CCPE parce qu’elle estime que le cas de l’élève ne relève pas
d’une SEGPA ;
- proposition d’orientation en affectation vers une SEGPA ou vers une
UPI : dans ce dernier cas, il y a transmission à la CDES ;
- transmission
du dossier à la CDES pour orientation vers un
établissement spécialisé.
5- La CDES, recevant les dossiers des CCPE et des CCSD ou saisie par
toute autre instance ou personne, renvoie les dossiers qui ne lui
paraissent pas relever d’une prise en charge médico-éducative vers les
Commissions de circonscription, fait des propositions de placement dans
les établissements spécialisés principalement.
57
Nous avons volontairement écarté de cette présentation les orientations
vers les établissements sociaux, judiciaires ou psychiatriques, pour
rester centrés sur l’objet du travail de recherche.
2.2.2.2 Mode de fonctionnement de la CCSD
La CCSD est donc la commission chargée spécifiquement de l’affectation
des élèves dans les SEGPA. Le fonctionnement de cette commission est
défini dans la troisième partie de la circulaire du 22 avril 1976. Le 12
décembre 2005, nous avons pu assister à une séance de délibération de la
Commission. A partir des observations réalisées, nous allons étudier son
fonctionnement.
Dans le département, elle se réunit une fois par mois. La CCSD est
statutairement présidée par monsieur l’Inspecteur d’académie. Il n’était
pas présent et selon M. H, secrétaire de la CCSD : « Mon prédécesseur à
ce poste - qui est resté 18 ans - n’a jamais vu l’inspecteur d’académie
présider une CCSD. » Dans le cas présent, c’est donc Mme N, inspectrice
AIS et conseillère technique auprès de l’inspecteur, a assuré, par
délégation, la présidence de cette séance. A partir du schéma ci-après,
vous découvrirez les autres acteurs présents lors de la réunion de la
Commission.
58
Configuration de la salle lors de la séance de délibération de la
Commission du 12 décembre 2005
Inspectrice AIS
Secrétaire CCSD
Assistante
sociale
Avenir dysphasie
(association de
parents d’élèves)
Secrétaire CCPE
Saint Mathurin
TABLE
Médecin de la
santé scolaire
Directeur d’IME
Parents d’élèves
(FCPE)
Directeur de la
SEGPA Ferré
Les réunions de la Commission se déroulent dans les locaux de
l’Inspection de l’Education nationale, dans la salle G située au neuvième
étage du bâtiment. C’est une salle d’environ 70 m²dans laquelle est
disposée une grande table ovale. La disposition confère une ambiance
assez solennelle à ce rendez-vous. Avant la réunion, nous avons remarqué
que les personnes se connaissaient assez bien et échangeaient en toute
simplicité. La séance débuta à 14 heures 15 et se termina à 16 heures.
C’est M. H, secrétaire de la CCSD qui amène les dossiers sur un chariot.
Lors de cette réunion, il était prévu d’en étudier 34. En réalité, il a été
prononcé une décision sur seulement 18 dossiers. Les cas non traités ont
59
été reportés à une réunion ultérieure (mais celle-ci était la dernière de
l’année et de plus, elle sera remplacée par une nouvelle Commission
conforme aux décrets d’application de la loi du 11 février 2005).
Ce jour, nous avons donc étudié 18 situations dont la répartition était la
suivante :
Tableau 7 : Examen des dossiers par la CCSD
Examen des dossiers des élèves pour lesquels la CCSD a été saisie
N° de Année de Sexe
Etablissement d’origine
Classe
dossier naissance
fréquentée
1
2
3
4
5
6
7
8
90
92
93
93
93
93
91
92
9
10
11
12
13
14
15
16
17
18
94
94
94
94
94
94
94
94
94
94
F
F
M
M
M
M
M
M
G. Besse
J. Romains
La Parisienne –
J. Zay
J. Zay
P. Neruda
P. Neruda
P. Neruda
F
M
M
F
F
F
M
F
M
M
Mignonne –
Diderot J. Prévert –
J. Prévert –
J. Prévert –
J. Prévert –
Voltaire
Mirabeau
Mirabeau
G. Sand - Ville moyenne
Troisième SEGPA
Cinquième
Sixième
Sixième SEGPA
Sixième SEGPA
Sixième SEGPA
Cinquième SEGPA
Cinquième SEGPA
Examen des dossiers des élèves transmis par les CCPE
CLIS
CLIS
CLIS
CLIS
CLIS
CLIS
CLIS
CLIS
CLIS
CLIS
A la lecture de ce tableau, plusieurs remarques se dégagent :
-
-
On distingue des saisines dont l’origine est le collège pour les huit
premiers cas. Pour les 10 autres cas, elles émanent des écoles
élémentaires.
11 dossiers sur 18 sont ceux de garçons.
Pour les saisines « collège », les jeunes sont majoritairement
scolarisés en SEGPA.
Pour les saisines « primaire », les jeunes sont tous scolarisés en
CLIS.
60
Le déroulement de l’instruction suit une procédure bien précise. L’examen
du cas de l’enfant est effectué à partir :
-
d’un feuillet de renseignements pédagogiques qui est remis au
directeur de la SEGPA et de l’IME ;
d’un feuillet de renseignements médicaux qui est remis au médecin
de la santé scolaire ;
d’un feuillet de renseignements sociaux qui est remis à l’assistante
sociale ;
du compte-rendu de l’examen psychologique, qui est remis à la
conseillère d’orientation psychologue.
Chacun des acteurs prend connaissance, en quelques minutes, des
comptes-rendus, et donne son avis sur le cas étudié.
Tableau 8 : Analyse des situations étudiées
N° de
Commentaires sur le dossier
Décision de la commission
situation
Pas d’éléments psychologiques récents (5 Transmission à la CDES.
1
2
ans).
Éléments sociaux datant du CM2.
Éléments scolaires : beaucoup de passages en
conseil de discipline
Déjà passée deux fois en Commission, avec
une proposition d’orientation en SEGPA.
Refus de la famille. Nouvelle saisine avec des
motivations différentes :
- difficultés de comportement (2 conseils de
discipline) ;
difficultés
de
compréhension
et
mémorisation ;
- déni des difficultés ;
- année de 5ème catastrophique.
La maman semble d’accord.
Orientation à la SEGPA B
en janvier 2006. Madame N
déclare : « Il y a de la place,
je ne vois pas pourquoi on
attendrait. »
61
N° de
Commentaires sur le dossier
Décision de la commission
situation
relève
pas
d’un
Situation familiale très complexe, jeune Ne
3
4
5
6
7
8
9
10
40
41
SESSAD40 ni d’un AVS41.
Le
projet
actuel
est
toujours valide, l’enfant est
très bien au collège, c’est à
l’enseignant d’adapter sa
pédagogie.
angoissé, déprimé, irritable…
Lecture difficile, pas de bilan orthophoniste
ni psychothérapique.
Enfant dyslexique décrit comme intelligent.
Huitième passage en commission.
Motivation de la saisine : demande d’une
auxiliaire à la vie scolaire et de la prise ne
charge par un SESSAD.
Transmis le 4 juillet 2005.
Parcours scolaire : CLIS – CCPE (projet
IME) : refus de la famille – UPI : refus de la
famille
Enfant hyperactif suivi par le CAMPS.
Violent face à l’autorité.
Difficultés en lecture, niveau IME.
Le bilan social date du CM1.
Les informations ne sont pas claires et il est
très difficile de se faire une idée.
Seconde saisine en CCSD.
Trouble de la personnalité.
Parcours scolaire : CCSD 2004 – CDES
(projet IME) : refus de la famille – SEGPANouvelle saisine- UPI ou IME.
Redouble sa cinquième SEGPA.
Très peu actif, nonchalant.
Parcours scolaire : CCSD le 25 mars 2004 orientation UPI, mais pas de place dans la
structure d’accueil.
Arrive de Versailles.
Troubles de la relation massifs.
Prise en charge globale - le jeune refuse
l’internat - troubles du comportement.
Histoire familiale très perturbée.
QI 108, non lecteur.
QI 64.
Notification UPI.
Lecture début CE1 - Maths CE2
SEGPA avec SESSAD.
Transmission à la CDES.
Transmission à la CDES.
Pour une autre session, il
faudrait
convoquer
la
famille.
Demande d’une place en
SESSAD.
Transmission à la CDES
avec demande de soin.
Transmission à la CDES.
Demande de renseignements
supplémentaires.
Pas de décision prise.
SESSAD : Service d’éducation spéciale et de soins à domicile
AVS : Auxiliaire de vie scolaire
62
Commentaires sur le dossier
N° de
situation
N’est pas dans l’apprentissage.
11
12
Décision de la commission
Mise en attente.
Pas de feuille médicale dans le dossier.
Pas de place en UPI. « Ce gosse-là, en SEGPA,
il sera mal. »
Les parents sont relativement décalés.
Notification UPI mais il n’y
L’enfant souhaiterait la SEGPA.
a pas de place.
Le QI est déterminant dans la décision.
Nous n’avons pas pu prendre de notes pour les autres cas. La lecture de
ce tableau permet déjà de tirer plusieurs enseignements sur le
déroulement de la commission :
-
-
-
Sur la rapidité de traitement des dossiers : 18 en 1 heure 45.
Certes, les personnes présentes ont l’habitude, mais pour une
décision qui oriente fortement la trajectoire des jeunes
considérés, un peu plus de cinq minutes par dossier nous apparaît
comme insuffisant. D’autant que dans ce temps moyen, il faut
compter la distribution des feuillets correspondant à chaque
spécialiste, la lecture et ensuite la discussion sur la décision
d’orientation.
Sur les dossiers : ils sont souvent incomplets, certains ont été
égarés et les feuillets sur la dimension sociale et psychologique
sont souvent obsolètes car anciens.
Sur l’orientation en SEGPA : sur les 12 cas présentés dans le
tableau, seulement deux ont fait l’objet d’une décision
d’orientation en faveur d’une SEGPA. Ce constat confirme que le
dispositif SEGPA, à ce jour, est encore méconnu, et qu’il comporte
une forte connotation de handicap. Il faut préciser que les cas
étudiés pour le primaire étaient tous issus de CLIS : la scolarité
des enfants en question trouve donc sa suite logique dans les
dispositifs relevant du handicap, dans le second degré. Il aurait
été intéressant de connaître les décisions de la Commission sur les
jeunes issus des classes de CM2.
Les membres de la Commission sont quant à eux très vigilants et
tentent, par leurs décisions, d’affirmer que l’orientation en SEGPA
ne relève pas exclusivement du handicap.
63
-
-
-
Sur les refus des familles : la commission, conformément aux
textes, tient compte de l’avis des parents et les refus des familles
entraînent quasi-automatiquement un nouveau passage en
Commission.
Sur les places disponibles au sein des structures d’accueil : les
décisions d’orientation sont aussi contraintes par le nombre de
places dans les différentes structures d’accueil. Le nombre de
places en UPI est largement déficitaire dans le département. Au
cours des discussions entre les acteurs, nous avons relevé la
phrase suivante : « Il faut créer 1 000 UPI en France, sur cinq ans,
sans moyen supplémentaire ».
Sur le quotient intellectuel : ce dernier est souvent déterminant
dans les décisions d’orientation.
2.2.2.3 Analyse de l’activité de la CCSD d’Indre-et-Loire
A partir des données fournies par le secrétaire de la CCSD, nous allons
étudier l’évolution de l’activité de la Commission depuis cinq ans.
Tableau 9 : Dossiers examinés par la CCSD
Année scolaire
Signalement des collèges
Signalement des SEGPA
Demandes des IMEITEP
Révision des dossiers
UPI
Révision des dossiers
sixièmes SEGPA
Révision des dossiers
quatrièmes SEGPA
Dossiers transmis à la
CDES
Dossiers transmis par
les CCPE
19981999
160
63
18
19992000
159
66
10
20002001
175
30
14
20012002
240
39
13
20022003
233
44
14
15
13
20
20
23
182
173
173
149
191
208
210
224
204
241
37
52
65
76
54
214
222
207
201
228
64
Le recours au signalement de la part des collèges est de plus en plus
important. Pour la période considérée, il est de plus de 45%. Ce qui fait
dire à M. H : « j’ai l’impression qu’au niveau collège, on est un peu dans
l’exclusion : dès qu’il y a un élève qui est un peu en dehors de la norme
scolaire, on a parfois un désir de le sortir du collège. » C’est encore un
directeur de SEGPA qui nous rapportait : « Ces jeunes ne proviennent pas
des collèges du centre ville de Ville moyenne, ils viennent de Pr (ZEP), de
Saint-Pierre. Donc tant qu’à faire, soyons fous jusqu’au bout ! C’est un
petit peu ça qui me chagrine aussi, il faudrait pas trop surcharger la
barque. C’est plutôt au niveau de la CCSD que ça se joue, ces choses-là,
mais le problème de la CCSD : elle fait avec ce qu’elle a et quand on met
un certain nombre d’éléments dans un dossier pour faire passer en
commission, à mon avis, il y a des choses qui sont bidouillées là dedans. On
veut qu’il aille en SEGPA, alors que le gamin, c’est pas forcément ce dont
il a besoin. Effectivement, on va considérer qu’il y a certaines matières
qui sont déficitaires, alors il ne va pas suivre en général. Mais après, ce
n’est pas parce qu’il sera en SEGPA que tout va se régler, car moi, je n’ai
pas d’éducateurs pour régler les troubles du comportement et de la
conduite. »
Ce directeur pose aussi le problème de la méconnaissance du dispositif
des SEGPA par un grand nombre de principaux de collèges, et renvoie
aussi à la finalité sélective du collège : « C’est vrai que l’on repère assez
facilement les collèges qui saisissent la CCSD, et même certaines écoles
primaires, pour des raisons qui tiennent plus au maintien d’une certaine
homogénéité des compétences, d’une certaine excellence. »
Nous constatons le risque d’une certaine dérive de l’utilisation du
signalement comme un moyen de reléguer dans cette filière des jeunes
qui dérogent à la norme scolaire au titre des troubles du comportement.
Cet état de fait semble être plus prégnant aujourd’hui car beaucoup de
personnes interrogées évoquent la montée de l’intolérance scolaire de la
part des acteurs du collège unique. Ce phénomène est d’autant plus
important aujourd’hui qu’avec la disparition progressive des différentes
possibilités d’orientation avant la troisième, la SEGPA devient l’un des
seuls moyens pour organiser la sélectivité au niveau du collège.
A l’opposé, une partie non négligeable du public accueilli en SEGPA relève
du champ du handicap. Cet état de fait répond à une volonté intégrative
du politique au niveau du collège notamment. Les CCSD ont fourni un
65
effort important pour limiter l’orientation de cette catégorie vers la
filière SEGPA. Selon une note d’information42, la proportion de cette
orientation est estimée à 5% environ de l’effectif national de la filière.
Pour autant, dans le rapport sur les Elèves en difficulté à l’entrée au
collège.43, les auteurs épinglent les conditions d’orientation en notant :
« les places limitées en instituts spécialisés ne sont pas sans incidence
sur l’orientation de certains élèves qui en relèveraient et font l’objet
d’une affectation en SEGPA « par défaut ». Un établissement signale
ainsi que cette année, deux élèves qui ont des problèmes de motricité lui
ont été imposés ; un autre établissement indique que d’une année à
l’autre, deux à quatre élèves qui relèveraient plus d’une intégration en
institut sont affectés en SEGPA et qu’en revanche, certains élèves dont
les difficultés justifieraient l’affectation en SEGPA sont en sixième
normale. Ce point a été souligné de façon constante lors de l’étude. »
L’ensemble de ces analyses et commentaires confirme que la
caractérisation du public SEGPA est difficile, ses contours flous et
sujets à interprétation. Cela explique les écarts d’appréciation dans les
conditions d’orientation car la catégorisation de la difficulté scolaire
repose sur des représentations sociales variables. De même, cela
renforce l’idée que cette catégorisation ne repose pas sur des
fondements scientifiques avérés, mais qu’il s’agit bien d’un construit
social, fluctuant suivant les périodes et les finalités priorisées par les
politiques et les différents agents de l’Institution scolaire.
42
Note d’information 89-50 et 97-46 de décembre 1997 et OO-44 de novembre 2000.
B. Gossot, coprésident, P. Dubreuil, rapporteur. Ministère de la Jeunesse, de l’Education nationale
et de la Recherche : Les élèves en difficulté à l’entrée au collège. Juillet 2003. N° 03-033. P. 19.
43
66
CONCLUSION
Les familles des collégiens scolarisés en SEGPA font souvent partie des
classes populaires : les logiques socialisatrices de ces familles entrent
plus ou moins en contradiction avec les logiques scolaires. C’est un
premier élément qui renseigne sur l’orientation des parcours scolaires
des jeunes considérés. Il n’est pas le seul à entrer en ligne de compte car
tous les enfants issus des familles populaires ne sont pas en échec
scolaire. En revanche, au-delà du milieu social d’appartenance, ce sont les
histoires familiales qui, marquées par des accidents biographiques, une
forte précarité économique ou des situations difficiles, ont des effets
cumulatifs et aggravants. Cependant, nous avons pu voir que certaines
familles n’étaient pas dans ce cas de figure, comme celle de Jean. Par
conséquent, la dimension familiale ne saurait à elle seule expliquer le
parcours de ses jeunes.
Il convient donc de se demander comment les conditions d’existence des
familles décrites participent à constituer un terrain favorable aux
développement de la difficulté scolaire et donc à l’orientation en SEGPA.
Pour cela, il est nécessaire de rechercher comment la dimension familiale
se combine avec la dimension scolaire. C’est uniquement dans ce lien
d’interdépendance que peuvent se comprendre les parcours de ces
jeunes.
La dimension scolaire dans les trajectoires des cas des jeunes étudiés
met clairement en exergue leurs difficultés cognitives ou
d’apprentissage. Tous ces jeunes ont construit un rapport négatif au
travail scolaire. La plupart d’entre eux connaissent des difficultés
précoces comme l’attestent leurs parcours, ils montrent une capacité
d’acquisition des compétences scolaires très inférieure à celle d’autres
élèves.
67
D’une part, l’étude de leur trajectoire met nettement en évidence le fait
qu’il est quasiment impossible d’échapper à une prise en charge
spécialisée, dès lors que la difficulté est dépistée par l’Institution
scolaire. D’autre part, elle fait apparaître l’écart entre la norme scolaire
attendue et le comportement de ces jeunes. Ce constat souligne les
différences entre les logiques scolaires et les conditions sociales dans
lesquelles ils ont grandi.
Au long de leur parcours scolaire, les collégiens ont traversé plusieurs
modes d’organisation. Les trajectoires se construisent donc aussi à
travers l’organisation et les décisions spécifiques de l’Institution scolaire
qui agissent sur le devenir des enfants : le redoublement, le passage en
CCSD… L’Institution et les agents agissent donc sur les parcours et nous
avons vu que les décisions d’orientation sont parfois sujettes à
controverse.
Dans tous les cas de figure, les collégiens inscrits dans la filière SEGPA
se trouvent pris dans un parcours qu’ils n’ont pas choisi et qui porte une
image déclassée dans le champ de l’éducation. La scolarisation dans cette
filière est sans doute productrice d’un sentiment de disqualification, de
stigmatisation que nous tenterons d’aborder, à travers l’étude des
scolarités vécues au collège Ferré, dans la troisième partie de ce
mémoire.
68
3 – La stigmatisation des trajectoires scolaires
3.1 – La stigmatisation territoriale des SEGPA dans l’agglomération
Ville moyenne
A travers cette expression de stigmatisation territoriale, nous
privilégions une dimension spatiale. L’implantation majoritaire des SEGPA
dans la périphérie de l’agglomération ville moyenne et à proximité des
quartiers sensibles renvoie à une localisation spécifique ; elle s’oppose
ainsi à celle d’école de centre-ville ou rurale.
Au niveau départemental, nous comptons 13 SEGPA, dont six pour
l’agglomération de Ville moyenne. Celles qui sont situées en dehors de
Ville moyenne répondent à des critères de maillage spatial en terme
d’aménagement du territoire et ne peuvent être considérés comme
stigmatisantes du point de vue de leur implantation géographique. Ce
n’est pas le cas pour Ville moyenne et son agglomération :
-
le collège de La Parisienne, classé ZEP, à proximité du quartier
sensible de La Parisienne, à J ;
le collège Pablo Neruda, à proximité du quartier sensible de la R, à
S;
le collège Corneille, situé à proximité du quartier des Fontenoy et
de la zone sensible du S à Ville moyenne ;
le collège Ferré, situé sur le plateau nord de Ville moyenne, à
proximité du quartier de l’Europa.
Il existe deux autres SEGPA qui échappent à cette correspondance
spatiale entre quartiers défavorisés et enseignement secondaire : c’est
le cas du collège B à J, et d’un collège privé, Ville moyenne Sainte-Marie.
69
Ce constat éloquent renvoie à l’usage de la notion ségrégation scolaire,
c’est-à-dire à l’existence de différences spatiales productrices de
disparités au sein d’un système à prétention égalitaire. Il apporte un
éclairage pertinent sur le fonctionnement actuel des institutions
d’enseignement. Dans un contexte où le discours intégratif est mis en
avant par les politiques et l’Education nationale, nous constatons que les
élèves en grande difficulté scolaire sont relégués dans les collèges de la
périphérie et à proximité des quartiers défavorisés. Ce qui fait dire à M.
Gault, directeur de la SEGPA de La Parisienne à J : « sur Ville moyenne, il
n’y a qu’une SEGPA qui est vite saturée et donc, j’accueille des jeunes qui
ne proviennent pas des collèges du centre ville de Ville moyenne, ils
viennent de P (ZEP), de S (ZEP) ».
A travers ces propos, on peut légitimement s’interroger sur la notion de
ségrégation scolaire urbaine, et s’interroger sur l’impossibilité de
l’existence d’une SEGPA dans un collège du centre ville de Ville moyenne.
M. T, directeur de la SEGPA Ferré, apporte une analyse plus historique
de ce constat : « quand on regarde l’histoire des SEGPA à Ville moyenne,
elles n’ont pas été implantées n’importe où, elles n’ont pas été implantées
d’une manière positive à côté des quartiers difficiles, mais plutôt par
défaut. En ce qui concerne l’agglo sud et Ville moyenne centre, aucun
collège voulait une SEGPA et des principaux sont montés au créneau en
disant : « nous on n’en veut pas ». Un des derniers collèges qui fut créé à
Ville moyenne étant C, ils ont mis la SEGPA dans ce collège. Il faut savoir
aussi que la SEGPA de La Parisienne n’a pas toujours été à La Parisienne ;
originellement, elle était située au collège P. de Comminges. Je me
souviens que le principal de l’époque, fin des années 70 et début des
années 80, lorsqu’il parlait de la SES (puisque les SEGPA ont remplacé les
SES officiellement en 1996), il parlait de sa « verrue ». Il a fait des
pieds et des mains pour que ce soit un autre collège qui la prenne en
charge. »
Nous voyons bien à travers ces propos que la présence d’une SEGPA dans
un établissement a un effet stigmatisant - ou ressenti comme tel - y
compris par les acteurs principaux du collège. Cet entretien illustre la
problématique plus générale de la ségrégation scolaire. Celle–ci est la
conséquence de l’agencement complexe de processus démographiques, de
politiques en matière de logement, et de stratégies résidentielles des
familles. Ces différents processus semblent avoir peu de relations avec
70
le fonctionnement du système scolaire. Cependant, deux facteurs
paraissent avoir des interactions avec ce dernier. D’une part, la
réputation d’un établissement participe à la valorisation des espaces
urbains : un grand lycée contribue à l’augmentation du prix des loyers et
des ventes dans les quartiers et les villes. D’autre part, les familles
intègrent de plus en plus les contraintes scolaires dans leurs stratégies
résidentielles. Autrement dit, la concentration des publics défavorisés
contribue nettement à la dégradation de l’image de l’établissement. Les
collèges où sont présentes des SEGPA, dans l’agglomération ville
moyenne, se trouvent donc dans cette configuration. Ils sont perçus par
le public comme des établissements dits « sensibles », ou situés en zone
d’éducation prioritaire, où se trouvent les plus grandes concentrations
d’élèves appartenant aux catégories sociales défavorisées.
L’implantation d’une SEGPA dans tel ou tel collège n’est donc pas le fait
du hasard : elle relève de la combinaison de ces différents processus
mais aussi, pour rependre les propos d’Agnès Van Zanten : « l’école ne se
contente pas de reproduire les différentiations urbaines, mais est ellemême productrice de différenciations à travers son fonctionnement
interne. »44. Autrement dit, la ségrégation est aussi le produit de
politiques locales, du fonctionnement des Inspections académiques qui
conduisent ses administrations à ne pas tenir compte de la spécificité
des établissements et des configurations locales. En outre, la décision
d’implantation d’une SEGPA semble être le résultat de pressions émanant
d’établissements, de groupes et d’individus dotés d’un capital culturel
élevé.
La mixité sociale représente une valeur et un objectif à peu près
unanimement partagés parmi les politiques et les intellectuels. Elle est
réaffirmée en filigrane par les récentes politiques d’intégration du
handicap et de la grande difficulté scolaire, au sein de l’Education
nationale. Pour autant, nous l’avons vu, les décisions politiques et les
comportements des différents agents peuvent entrer en contradiction
avec leurs aspirations et leurs pratiques.
L’implantation des collèges SEGPA dans ces quartiers est une première
forme de stigmatisation à l’encontre des élèves.
44
A. Van Zanten, L’école de la périphérie, scolarité et ségrégation en banlieue, Paris, PUF 2001.
71
3.1.1 – La SEGPA Ferré : une section au sein d’un établissement bien
perçu sur le plateau nord de Ville moyenne
Les établissements participent eux aussi à la construction de la
ségrégation à travers leurs pratiques de recrutement, d’organisation
interne et d’adaptation des enseignements. Ce collège semble échapper à
l’image négative liée à la présence d’une SEGPA. Certes, comme le
rappelle M. T : « On entend toujours des parents déplorer la présence
d’une SEGPA au sein du collège de leur enfant, mais c’est une très faible
minorité sans doute incompressible. » La population de la SEGPA Ferré
peut se scinder en trois catégories principales :
-
-
Quelques éléments provenant des quartiers huppés de Ville
moyenne, et ayant des origines atypiques. Ces jeunes ont été
orientés en SEGPA pour des problèmes médicaux, principalement
des troubles spécifiques du langage. Ils sont issus de catégories
socioprofessionnelles plutôt aisées.
Des enfants issus du secteur rural.
Pour les autres, ils proviennent de deux quartiers de référence : le
petit M et le quartier de l’Europa. Ce sont des quartiers en très
forte difficulté sociale et économique.
Cette dernière catégorie, qui représente la majorité des élèves accueillis
à Ferré, est issue d’une zone très difficile que M. T présente ainsi : « Le
quartier de l’Europa est en très grande difficulté. Personnellement, je
préfère me promener la nuit au S que dans celui de l’Europa. Il y a eu des
disparitions massives de travailleurs sociaux, et les jeunes sont en très
grande difficulté, je ne veux pas parler de sociopathologie mais on est
presque dedans quand même. »
Pour mieux appréhender cette situation, il est utile se pencher sur
l’évolution urbanistique de la ville de Ville moyenne. Depuis quelques
années, nous assistons à un déplacement des quartiers dits « sensibles »
de l’agglomération vers le nord, laquelle zone se paupérise. La ville de
Ville moyenne a une périphérie satellitaire difficile : J et S perdent des
habitants au profit des quartiers nord. M. T affirme : « La seule zone qui
grossit sur l’agglomération, c’est Ville moyenne nord. Elle augmente
chaque année avec un pourcentage à deux chiffres. » D’ailleurs, un
programme de construction de 1 000 logements supplémentaires est
engagé, dans lequel la mairie a annoncé 30 % de logements à caractère
social. Et M. T de rajouter : « On peut quand même s’interroger sur
72
l’évolution du public accueilli à Ferré dans les années à venir. Ca me
froisse un petit peu ! »
Paradoxalement, cette évolution n’entame pas la réputation du collège.
Les raisons peuvent se scinder en deux grandes catégories : des raisons
externes à l’établissement et une dynamique interne de la politique du
collège.
La première tient au fait que depuis huit ans, sur le secteur, il n’y a plus
de carte scolaire, c’est-à-dire de politique visant à réglementer le
recrutement des élèves en fonction de son secteur résidentiel. Par
conséquent, les familles disposent d’un libre choix entre trois collèges
publics sur le secteur étudié :
-
-
-
Le collège V qui accueillait le quartier de la T, hyper valorisé, et
celui du petit M, hyper dévalorisé. Avec l’évolution démographique
décrite précédemment, le niveau de la population de ce collège
tend à diminuer.
Le collège La B, qui est situé en plein cœur du quartier de l’Europa,
cumule l’ensemble des difficultés sociales, économiques et
scolaires.
Enfin, le collège Ferré, qui subit d’une manière moins prégnante cet
environnement.
Pour comprendre ce qui se joue dans un contexte de libre concurrence
scolaire, il est nécessaire d’aborder ce que beaucoup d’auteurs appellent
les « stratégies d’évitement et de choix des familles ». Ces dernières
jouent un rôle capital dans la fabrication de la ségrégation. Pour
beaucoup de familles, l’éducation des enfants constitue l’une des
préoccupations les plus fondamentales. L’importance accordée aux
carrières scolaires, mais aussi à la socialisation des enfants, à leur
sécurité au sein d’établissements dégradés, amène les parents des
« cités » à développer des pratiques spécifiques vis-à-vis des institutions
d’enseignement. Pour Agnes Van Zanten45 : « Ces pratiques peuvent être
analysées comme des stratégies dans la mesure où elles témoignent d’une
réflexivité sociale, c’est-à-dire de tentatives de la part des individus et
des groupes pour réduire les risques et contrôler un environnement perçu
comme menaçant. »
45
A. Van Zanten, L’école de la périphérie, scolarité et ségrégation en banlieue, Paris, PUF 2001.
73
D’une manière générale, ces stratégies d’évitement sont fortement
déterminées par la position sociale des familles. Les familles dotées d’un
capital économique, culturel et social élevé vont être les plus actives à
opérer des stratégies d’évitement et du choix des établissements. Par
conséquent, beaucoup de familles vont choisir le collège Ferré pour leur
enfant car l’image de l’établissement est moins dégradée que celle du
collège la Bruyère, situé au cœur du quartier dit sensible de l’Europa.
Dans le même temps, les familles résidant dans le quartier de l’Europa
entretiennent un rapport particulier avec l’espace. Beaucoup d’entre elles
n’envisagent absolument pas que leur enfant puisse être scolarisé ailleurs
qu’« à côté ». La proximité apparaît comme le critère le plus important du
choix de l’établissement. Un autre facteur, d’ordre économique,
participe aussi au choix de l’établissement : le coût des transports, voire
celui de la demi-pension, les repas de midi ne pouvant plus être pris à la
maison…
Pour Agnes Van Zanten46 : « Ce qui semble déterminer les pratiques
« localistes » de ces parents en matière de scolarisation, comme dans
d’autres domaines, c’est la méconnaissance et donc la peur du monde à
l’extérieur du quartier. La proximité semble alors la seule garantie d’une
certaine maîtrise de l’éducation de leurs enfants. »
Ces analyses révèlent que le collège Ferré
apparaît comme un
établissement moins stigmatisé que ses voisins. D’autant qu’en l’absence
de carte scolaire, ce dernier a développé des dynamiques internes qui
l’ont rendu encore plus attractif aux yeux des classes moyennes et
supérieures. Les actions menées en ce sens sont de plusieurs ordres :
-
la réhabilitation des locaux : ce collège a été entièrement
reconstruit à neuf en 2002 ;
la taille humaine du collège puisqu’il compte 279 élèves en cycle
général et 110 en SEGPA.
D’ailleurs, une inspection générale de l’Education nationale menée en avril
2006 titrait dans son rapport : « une image globalement positive qui s’est
améliorée avec le temps ». Ce document mettait en exergue le fait que le
pourcentage des classes dites « défavorisées » dans la nomenclature de
46
A. Van Zanten, L’école de la périphérie, scolarité et ségrégation en banlieue, Paris, PUF 2001.
74
la direction de l’évaluation et de la prospective (DEP), qui était de 40% en
2003, est tombé à 30,6% en 2005. Le nombre d’élèves de nationalité
étrangère reste très faible (6 élèves sur 389). On dénombre en outre, en
2005, 88 boursiers (22,05%) pour tout l’établissement, au lieu de 97 en
2003. Nous constatons donc que l’évolution du public accueilli à Ferré
confirme la mise en place de stratégies parentales sur le secteur nord de
Ville moyenne.
Dans ce contexte, la présence de la SEGPA ne paraît plus ternir l’image
de l’établissement. Plusieurs paramètres internes expliquent cette
évolution :
-
-
-
la restructuration des locaux qui a permis d’amorcer l’intégration
spatiale de la SEGPA au sein du collège ;
la volonté conjointe de la principale, du directeur adjoint de la
SEGPA de rapprocher les deux structures : des professeurs du
collège enseignent aux SEGPA la technologie et l’anglais, équipe
unique de vie scolaire…
la spécialisation de la SEGPA dans les troubles spécifiques du
langage qui implique qu’une partie des jeunes orientés à Ferré le
sont pour des troubles spécifiques et ne proviennent pas
uniquement des quartiers sensibles ;
l’étendue de la zone de recrutement : près de la moitié des élèves
de SEGPA proviennent de communes rurales (53 élèves sur 110).
Cependant, cette image ressentie comme plus positive par les acteurs ne
risque–t-elle pas d’entraîner sur les élèves de SEGPA une stigmatisation
moins visible, une stigmatisation plus ressentie à l’intérieur, dans la
relation entre les collégiens et dans la vie du collège en règle générale ?
A partir des données recueillies portant sur les catégories
socioprofessionnelles entre élèves du cycle général et de la SEGPA, nous
remarquons des différences notoires
Tableau 10 : Catégorie socioprofessionnelle
l’établissement Ferré (2005-2006)
CSP
1
2
3
4
5
des
6
collégiens
7
de
8
75
Classes
générales47
SEGPA48
0%
4.5%
10.9%
23.2%
27%
23.2%
2.2%
9%
1%
1%
1%
5%
35%
42%
0%
17%
Nous pouvons légitimement nous demander si l’évolution positive de
l’image d’un établissement ne renforce pas en son sein les effets de
stigmatisation de ceux qui sont étiquetés en grande difficulté scolaire,
c’est-à-dire, dans le cas qui nous occupe, des élèves de SEGPA. Dans cet
établissement, l’écart se creuse entre les élèves du cycle général et
ceux de SEGPA, en terme de catégorie socioprofessionnelle.
3.1.2 – L’entrée en SEGPA : perte de l’univers familier
Pour chaque jeune, l’entrée au collège s’accompagne d’une série de
changements constituant une rupture dans les habitudes scolaires. La
rupture se joue à la fois sur le plan de l’emploi du temps dont le volume
augmente, sur le découpage hebdomadaire qui se complexifie, sur
l’organisation spatiale des bâtiments, sur la hausse du niveau d’exigence
du point de vue du travail personnel et des attentes des professeurs.
Pour les élèves de SEGPA qui sont moins armés scolairement, ces
modifications du cadre spatial et temporel concourent à faire de l’entrée
au collège une période déstabilisante. De surcroît,
les conditions
d’orientation des élèves de SEGPA présentées dans la deuxième partie de
ce mémoire renforcent ce sentiment d’insécurité, de perte de repères.
Ces élèves orientés au collège subissent pour la plupart un déracinement
socio-affectif. Ce déracinement passe en premier lieu par la sortie de
l’école primaire, cadre familier et rassurant par la proximité qu’il procure
avec les enseignants. Il s’agit aussi de la perte des repères amicaux,
l’appartenance à un groupe de copains permettant de s’épauler et de se
rassurer mutuellement. Cette orientation spécifique constitue une
rupture dans le parcours de ces jeunes et peut être vécue comme très
difficile.
Tableau 11 : Origine géographique des élèves de SEGPA à Ferré 2005200649
47
Source : Mission d’inspection et d’évaluation d’avril 2006, réalisée par l’inspection générale de
l’administration de l’éducation nationale et de la recherche : Le collège Pierre de Ferré de Ville
moyenne – analyse et évaluation.
48
Source : D’après les données recueillies dans les dossiers scolaires du collège.
49
Ibid 47.
76
Commune
Cycle
Collège
SEGPA
Ville
moyenne
C
M
N.-D.
V
Autres
Communes
Total
180
64,5%
57
51,8%
89
31,9%
2
1,8%
1
0,3%
5
4,5%
3
1,1%
3
2,7%
6
5,5%
6
2,2%
37
33,6%
279
100%
110
100%
Si nous analysons ce tableau, nous remarquons que les élèves du cycle
général sont issus d’une zone de recrutement beaucoup plus concentrée
que celle dont proviennent les collégiens de SEGPA. Les élèves du cycle
général proviennent des écoles de Jean de la Fontaine, Albert Camus et
Saint-Exupéry pour Ville moyenne (64,5%) et la commune de C située à 12
km (31,9%) ; les autres communes ne fournissent au total que dix élèves
(soit 3,5% de l’effectif).
En ce qui concerne la zone de recrutement de la SEGPA, elle est
beaucoup plus vaste et dispersée. La ville de Ville moyenne fournit 51,8%
de l’effectif et l’autre moitié se répartit entre 41 communes. Ce constat
met en exergue plusieurs éléments :
-
-
Les élèves du cycle général se connaissent lorsqu’ils arrivent au
collège. On ne peut pas parler de rupture de socialisation avec
leurs camarades de l’école primaire.
En ce qui concerne les élèves de SEGPA, c’est très différent. Un
tiers de l’effectif provient d’écoles et de communes différentes.
De plus, on remarque une césure importante entre les mondes rural
et urbain. Nous verrons plus tard que cette opposition n’est pas
sans conséquence sur les interactions entre les groupes d’élèves.
Ces jeunes en grande difficulté scolaire subissent donc une double
stigmatisation, du fait de leur orientation qui les coupe de leurs
anciennes relations et les livre à un univers très méconnu. Ils sont moins
autonomes que leurs pairs d’un point de vue scolaire : l’entrée au collège
produit donc pour eux une désorientation avec des difficultés à se
repérer dans l’espace. Dans les entretiens réalisés, beaucoup de jeunes
ont évoqué le premier jour de collège comme un moment de forte
inquiétude. Pour Salima, c’était difficile : « Je ne connaissais personne,
c’est pas évident d’arriver, alors que toutes nos copines sont ailleurs ».
M. G, directeur de la SEGPA de La Parisienne, confirme : « C’est plus
77
difficile pour les gamins qui viennent du secteur rural, car ils connaissent
moins de monde à l’entrée au collège. » Ceux qui sont issus du même
quartier urbain n’ont pas les mêmes difficultés : « On les voit dans la
cour, il y a un petit groupe qui reste à l’écart et une majorité qui joue
avec les autres, parce que ce sont leurs copains depuis le primaire. »
Nous voyons qu’à ce stade de la lecture, les élèves de SEGPA subissent
deux formes de stigmatisation. La première est liée à l’espace, à la
territorialité de l’implantation des SEGPA dans l’agglomération. La
deuxième renforce, à travers les mécanismes d’orientation, la césure
entre le primaire et le secondaire, où une grande proportion de ces
jeunes se voient séparés de leurs copains, de leur environnement familier.
A l’entrée au collège, ils doivent se construire un nouveau tissu de
relations, une nouvelle forme de socialisation dans un milieu étranger et
de surcroît beaucoup plus complexe que ce qu’ils avaient connu
auparavant.
3.2- L’intégration des élèves SEGPA au sein du collège Ferré
Comme nous l’avons évoqué dans la partie historique de ce mémoire, de
1989 à 1996, les SEGPA ont progressivement remplacé les SES. L’une des
finalités de ce changement est d’intégrer ces enseignements dans
l’ensemble des formations du second degré, en les reconnaissant pour la
première fois comme une des voies visant à ce que les jeunes acquièrent
une formation et une qualification de niveau V. Cette intégration
souhaitée par le législateur se traduit entre autres par l’inscription des
enseignements dans les finalités d’ensemble du collège, par la
participation des professeurs de collège, par des activités
d’apprentissage conduites en commun avec les autres élèves, et par la
mise à disposition des locaux à tous les collégiens sans distinction. Dans
cette partie, nous essaierons de montrer comment ces mesures sont
vécues au collège Ferré, du côté des agents et des élèves.
3.2.1- A Ferré, un effort d’intégration spatiale de la SEGPA
Jusqu’en 2002, la SEGPA était installée dans un bâtiment distinct. Les
élèves, comme les équipes enseignantes, s’intégraient peu au reste de
l’établissement. La restructuration des locaux, à l’initiative du chef
d’établissement et des équipes éducatives, a constitué une occasion pour
78
amorcer l’intégration de la SEGPA. Une passerelle couverte a été
construite au premier étage entre le bâtiment principal et l’ex-bâtiment
de la SEGPA, entièrement réhabilité lui aussi. Dans le même temps, les
deux bâtiments n’ont plus été distingués structurellement (collège
général/SEGPA) mais fonctionnellement : l’ex-bâtiment de la SEGPA
devenait un « pôle technologique » avec des ateliers au rez-de-chaussée
et des salles de technologie au premier étage, fréquentées par tous les
collégiens. Les élèves de SEGPA, quant à eux, sont appelés à suivre leurs
cours, hors ateliers, dans des salles du bâtiment principal. Par ailleurs,
tous se retrouvent désormais dans la cour, sur le terrain de basket-ball,
au réfectoire, au foyer ou au CDI. La salle des professeurs est unique et
les enseignants des deux structures s’y côtoient.
En outre, les volontés conniventes de la principale, du directeur adjoint
de la SEGPA et de la CPE50 ont favorisé par divers moyens le
rapprochement des deux structures : des professeurs du collège
intervenant en SEGPA pour les cours d’anglais et de technologie, une
équipe unique de vie scolaire… Pour l’ensemble des acteurs interviewés,
cette évolution constitue une avancée indéniable en terme d’intégration,
de vie du collège. M. T se souvient : « Je suis arrivé en 1994, je n’ai pas
connu la cour séparée. Les élèves de SEGPA n’allaient pas en permanence,
au CDI, n’avaient pas le droit d’utiliser de la même façon et au même
moment les espaces communs de l’établissement. » Pour M., professeur
des écoles, cela évolue petit à petit : « C’est de moins en moins difficile,
je suis arrivé deux ans avant la rénovation des locaux, j’ai donc vécu
l’isolement ». Sa collègue, professeur d’anglais constate elle aussi une
évolution positive : « On n’a pas l’impression qu’ils soient séparés, ils sont
dans le même bâtiment, avant ils étaient dans d’autres bâtiments à
l’écart. C’était vraiment ceux de “là-bas“. »
Tous sont donc unanimes pour reconnaître que la restructuration des
locaux a permis une meilleure intégration du cycle SEGPA à l’intérieur de
la vie du collège unique. Cependant, nous allons voir que cette intégration
spatiale réussie masque des différenciations encore tenaces entre les
acteurs.
50
Conseillère principale d’éducation.
79
3.2.2.- Du côté des agents, des positions et des points de vue
divergents
A partir des entretiens réalisés auprès des professeurs, nous allons
montrer que la position occupée par les agents détermine d’une manière
particulière la perception et l’engagement de leur travail auprès des
élèves de SEGPA. A ce stade, nous avons un regret : celui de n’avoir pu
interviewer un professeur de lycée professionnel, dont le point de vue
aurait mérité de figurer dans ce travail. Nous limiterons donc notre
analyse à deux catégories de personnel : les professeurs de collège et les
professeurs des écoles spécialisées.
Du côté des professeurs de collège, la motivation pour intervenir auprès
des SEGPA n’est pas un choix mais plutôt une obligation fonctionnelle.
Les deux professeurs d’anglais nous ont donné les mêmes réponses sur ce
sujet. L’une d’elles déclare : « Non absolument pas. On avait un sous-
horaire et au départ, il y a trois ans, il y avait un intervenant extérieur
qui venait donner des cours d’anglais. Il me semble qu’en sixième, les
cours sont dispensés par une vraie prof de SEGPA. Comme on est trois
collègues au collège, on nous a attribué six heures, donc deux heures
chacune. Ce n’est absolument pas un choix ». Sa collègue confirme ces
propos : « C’est une nécessité d’horaire, et je dois dire que la première
année, j’ai fort subi cela, parce que je venais du lycée, et je n’avais jamais
pensé que je pourrais enseigner en SEGPA ». Le professeur de
technologie est plus nuancé dans sa réponse : « Personnellement, je
n’étais pas contre : ce n’est pas vraiment un choix mais plutôt une
opportunité ».
Lorsque l’on décrypte ces témoignages, il apparaît comme évident que ces
professeurs n’ont pas choisi d’enseigner en SEGPA. Ils subissent plutôt
et si leur hiérarchie décidait d’arrêter leur enseignement, ils ne seraient
pas mécontents. Ce positionnement précis renvoie aux motivations qui les
ont décidé à devenir professeur. Ce n’est pas le public qui primait dans
leur choix, mais bien l’amour de la discipline. Comme l’indique F. Dubet51 :
« les professeurs ont majoritairement choisi ce métier par passion pour
la discipline enseignée ». D’ailleurs, la matière revient comme un leitmotiv
dans les entretiens. Nous avons noté les paroles d’un enseignant : « Je
dois reconnaître que je ne fais pas que de l’anglais dans mon cours, et
parfois, on se demande s’il est vraiment honnête de proposer de faire de
51
F. Dubet, Le déclin de l’Institution, Paris, Seuil, 2002, p.133.
80
l’anglais à ces enfants-là ». Sa collègue renchérit : « L’anglais n’a pas
beaucoup de sens, bien souvent ils se demandent à quoi ça sert ! ». La
position du professeur de technologie est moins affirmée du fait
justement que sa discipline est plus transversale et recouvre des
activités comme l’informatique, l’électricité, la mécanique…
Ces trois professeurs de collège n’ont pas choisi d’intervenir dans le
cycle SEGPA et ils considèrent que ce n’est pas leur métier. Ils se
sentent désarmés, sans formation. Ce sont des thèmes que nous avons
relevés dans les trois entretiens réalisés. « On n’est pas faits pour ça, on
n’est pas préparés pour ça et puis moi, prof de collège, je regrette, ce
n’est pas ma formation. Je crois que les éducateurs spécialisés sont
mieux formés que moi pour faire ce boulot. » (M. X professeur d’anglais).
« On n’a aucune formation et on n’est vraiment pas à l’aise du tout, on est
devant des enfants qu’on ne connaît pas, dont on ne connaît pas les
attentes ni les difficultés » (M. Y. professeur d’anglais). Le professeur
de technologie pose aussi le problème du manque de formation, mais plus
sur le versant du handicap : « On a des élèves qui ont des handicaps, et
on n’a pas de formation handicap, il nous faudrait déjà une formation
d’ordre psychologique pour arriver à relativiser les choses ». Nous le
voyons à travers ces propos : la nature même du métier de professeur
est remise en question. Ces professionnels ressentent leurs propres
difficultés et perçoivent ce qu’il conviendrait d’apporter à ces jeunes, ce
dont ils auraient besoin. Au fond, dans leur pratique pédagogique, les
enseignants réalisent une activité de contrôle, de socialisation, de
réassurance qu’ils expriment en ces termes : « J’ai vraiment l’impression
que ce que ces gosses-là attendent de moi, c’est beaucoup d’attention,
d’écoute, d’affectif : finalement beaucoup plus que les élèves de général.
Ce que je leur apporte, c’est de l’affectif parce que en connaissance, j’ai
la conscience de ne rien leur apporter du tout. » (M. X. professeur
d’Anglais). Le professeur de technologie se souvient : « À titre
anecdotique, j’avais deux élèves difficiles que j’entraînais à l’extérieur au
foot et cela a permis de développer dans la classe d’autres types de
rapports, mais ça restait au niveau relationnel. C’est toujours pareil, ça
restait au stade de l’affectif. Et moi, je suis prof de techno ».
Ces professeurs ont l’impression qu’enseigner en SEGPA les détourne de
leur véritable activité, de leur métier, de ce pourquoi ils se sont engagés
dans cette voie professionnelle. C’est d’ailleurs, pour citer à nouveau F.
81
Dubet52, « ce qui explique le sentiment constant de difficulté et d’échec
quand les professeurs ont l’impression de perdre leur temps avant de
préparer les élèves à se convertir à l’univers intellectuel qu’ils ont la
charge et la vocation de leur transmettre ».
Il nous a semblé intéressant de préciser ce positionnement professionnel
car il s’agit là d’une clef de compréhension du regard que porte une partie
des professeurs sur la grande difficulté scolaire, et de la manière dont
cela interagit avec leurs collègues de SEGPA qui n’ont pas le même
parcours.
Les professeurs des écoles sont dans une perspective tout à fait
différente. Les deux personnes interrogées ont choisi d’enseigner auprès
des jeunes en difficulté d’apprentissage. Leurs expériences
professionnelles en témoignent. Le parcours de M. C., professeur des
écoles spécialisées, est « atypique », pour reprendre ses propos. Elle est
titulaire d’une licence de psychologie et très rapidement, elle a travaillé
auprès de sourds en tant qu’enseignante, dans des instituts de
rééducation en tant qu’éducatrice. Elle s’est même présentée au concours
d’éducateur spécialisé où elle a échoué. Elle s’est donc réorientée vers le
concours de professeur spécialisé qu’elle a obtenue en 2000. Elle a
travaillé dans le cycle traditionnel, en école primaire, pendant deux ans
avant d’arriver à la SEGPA. Elle se souvient de cette expérience : « J’ai
beaucoup aimé le traditionnel. En plus, j’étais avec des petits CP et CE1.
Je me suis retrouvée avec des enfants en grande difficulté et je me suis
dit : je vais passer plus de temps à m’occuper d’eux, on va dire. Je me
disais que les autres se débrouillaient très bien. Je me suis dit : ma
place, elle est ici en SEGPA, elle n’est pas dans le traditionnel pour
l’instant et puis c’est vrai que le contact ado me plaît bien ».
Nous le voyons : le parcours et la démarche sont à l’opposé de celle des
professeurs des collèges. Sa collègue est elle aussi titulaire du CAPSAIS
option D53, et avant de travailler en SEGPA, elle a exercé pendant cinq
ans dans des CLIS.
52
F. Dubet, Le déclin de l’Institution, Paris, Seuil, 2002, p.153.
53
Le CAPSAIS option D signifie que le titulaire est spécialisé dans le travail auprès des enfants et
adolescents présentant des troubles importants à dominante psychologique.
82
Ces deux positionnements professionnels différents, voire opposés, ont
des conséquences sur les notions d’intégration, sur les rapports entre les
agents et sur l’organisation des activités pédagogiques conjointes.
Chaque enseignant constate que depuis, la rénovation des locaux et la
participation des professeurs de collège au sein du dispositif SEGPA ont
permis de mieux intégrer ces élèves à la vie de l’établissement. Les
relations sont facilitées entre les adultes. Du côté des professeurs de
collège, M. Y. remarque : « Depuis que nous sommes intégrés à l’équipe, on
est raccrochés à leur équipe, on n’est pas intégrés à leur équipe. On se
croise, on parle, on se tuyaute parce que les élèves posent
particulièrement problèmes ; les contacts sont plus faciles, plus
chaleureux. Je vous dis : malgré notre volonté de ne pas en faire partie,
c’est important pour les gamins ». Nous constatons que les professeurs
de collège reconnaissent que leur participation améliore les relations avec
les collègues et la connaissance des jeunes. Elle favorise l’intégration.
Mais ces mêmes professeurs redoutent d’aller plus loin, ils souhaitent se
positionner uniquement sur le plan de la discipline et ont énormément de
difficultés à franchir le pas, de peur de perdre leur identité
professionnelle. D’ailleurs, lorsque nous évoquions avec eux leur manque
de préparation, de formation pour intervenir auprès de ces jeunes, M. Y.
nous rapportait : « Je voudrais dire qu’on nous a offert la possibilité de
nous former, que nous avons refusée car on se rend bien compte qu’une
fois que l’on sera spécialisés SEGPA, on sera corvéables à merci et on se
rend bien compte que c’est un piège lamentable dans lequel personne ne
veut tomber. Ca c’est sûr ! ».
On sent bien ici la frontière entre la SEGPA et le collège, du point de vue
des professionnels. Ce qui ne veut pas dire que les personnes ne
s’entendent pas : les relations sont plutôt amicales et les professeurs des
collèges ont beaucoup d’estime pour le travail des professeurs des
écoles : « On se rend bien compte que nos collègues de SEGPA
appréhendent les problèmes différemment de nous. Ils se concertent
beaucoup plus que nous et sont mieux formés » (M. X. professeur
d’anglais).
Pour pondérer ces propos, il faut savoir que ces enseignants
interviennent en moyenne une heure par semaine et par classe en ce qui
concerne l’anglais, et deux heures trente pour la technologie alors qu’ils
interviennent seize heures par semaine sur les classes du cycle général.
83
Les deux professeurs des écoles interrogées interviennent
majoritairement sur les classes de quatrième et troisième en SEGPA.
Cependant, elles regrettent le positionnement professionnel de leurs
collègues qui participent à entretenir une forme de ségrégation, de
stigmatisation à l’encontre du dispositif SEGPA. Les bâtiments ne sont
plus ségrégatifs mais les mentalités sont « plus longues à faire bouger »,
pour reprendre les paroles du directeur. Néanmoins, chacun reconnaît
que c’est de moins en moins difficile, que cela évolue dans le bon sens,
même s’il faut du temps. M. C., professeur des écoles, regrette que les
discussions entre collègues ne portent que sur le domaine du privé, du
personnel, que l’on ne parle jamais de pédagogie : « Je fais des maths. Je
pourrais très bien discuter de cette matière avec la prof de maths du
collège, ça n’arrive pas, on va dire que dans cinq ans, ça va peut-être se
faire. » Sa collègue est plus catégorique : « A la cantine, les profs de
SEGPA mangent ensemble et les profs de collège entre eux. Ca positionne
les choses. Moi, je trouve que l’on demande aux élèves de s’adapter à la
structure collège mais je vois très peu de profs de collège qui prennent
les élèves de SEGPA en cours » M. D. (professeur des écoles).
Nous sentons à travers ces remarques une nette différenciation des
points de vue entre les différents agents scolaires, liée à leur identité
professionnelle. Ce sont en fait deux logiques et deux cultures qui
s’opposent ou qui cherchent à travailler ensemble. Ce fossé participe d’une manière peut-être moins visible - à faire que les élèves de SEGPA
ne sont pas encore considérés par l’ensemble de la communauté éducative
comme des collégiens à part entière. La frontière qui perdure se
retrouve dans les activités pédagogiques.
3.2.3- Des actions pédagogiques similaires menées séparément
« Les objets poursuivis par la politique d’intégration et par celle de la
rénovation du collège doivent conduire à rechercher une participation
plus large des structures du collège à l’éducation des élèves admis en
SES, cette dernière faisant pleinement partie de l’établissement. Les
actions entreprises afin de favoriser l’ouverture sur leur environnement
des établissements scolaires et le développement des activités
84
éducatives, culturelles ou sportives, notamment, doivent être l’occasion
privilégiée d’une plus grande insertion de la SES au niveau du collège ».54
Cette recommandation du Journal Officiel sera reprise à l’instauration
des SEGPA en 1996. Elle prend plusieurs formes sur le collège Ferré : les
actions culturelles sont réalisées par niveaux.
Trois exemples :
-
l’action « Collège au cinéma » à laquelle tous les sixièmes
participent, sans distinction de cycle.
Les actions de prévention sur les thèmes de la violence, de la
toxicomanie sont menées selon les mêmes modalités.
Les jeunes suivent la formation de l’attestation scolaire de
sécurité routière en même temps.
La volonté de l’établissement est donc bien d’associer la SEGPA aux
actions, aux manifestations organisées au sein du collège. Cependant,
toutes ces actions sont menées simultanément mais ne sont pas
communes. Il n’y a pas de mélange des deux populations sur un même
temps et dans un espace commun. M. C., professeur des écoles, le
regrette : « Il y a des thèmes communs. Par contre, les élèves ne sont
pas mélangés, les intervenants sont identiques mais ce n’est pas mélangé.
Les temps de pause, c’est ensemble mais aucune activité pédagogique,
voyage d’étude, éducation physique et sportive… ». Les esprits ne sont
pas encore mûrs pour la mixité et les obstacles sont encore nombreux.
Une autre enseignante, M. D., se souvient de la demande d’un professeur
d’EPS55 : « L’année dernière, il y a eu un séjour ski. Le prof d’EPS qui
l’organisait avait pensé emmener un ou deux élèves de SEGPA. Nous, on a
refusé de voir les choses comme ça. En général, on part avec tout le
monde, c’est notre point de vue. »
Les professeurs des écoles sont beaucoup plus volontaristes pour
développer des activités communes, à visée intégrative. Elles se heurtent
souvent à l’incompréhension de leurs collègues du collège qui n‘ont pas le
même positionnement professionnel. Pour elles, certains profs de collège
sont très éloignés de cet engagement d’intégration : « Je sais que
certains profs, ça leur paraît un monde tellement à part… Ils ont
54
55
Bulletin Officiel n°1 du 13 janvier 1983.
Education physique et sportive
85
l’impression qu’ils sont incapables, qu’ils ne pourraient pas avoir des élèves
de SEGPA » (M. D. professeur des écoles). Sa collègue en est pourtant
persuadée : « Certains élèves de SEGPA pourraient être intégrés au
collège pour certaines matières. Régulièrement, j’ai des élèves qui
pourraient suivre des cours de maths avec les collégiens, je suis sûre que
ça leur apporterait plus, ça les porterait plus. Ils en ont presque les
compétences, il leur manque pas grand chose. A l’Education Nationale,
nous sommes déjà trop cloisonnés avec les programmes. Ca demande un
autre fonctionnement, un autre état d’esprit, mais on est encore à “ma”
classe, “mon” enseignement, on enlève déjà le “mon” et on aura déjà
réalisé un grand pas ».
Ces réticences, ces résistances aux relations pédagogiques entre
enseignements ordinaires et enseignements adaptés renvoient aussi à la
représentation qu’entretient chacun des agents par rapport à la
différence, au regard porté sur l’enfance en difficulté, et poussé à
l’extrême sur le handicap. La présence d’une SEGPA au sein d’un collège
modifie la relation pédagogique, la nature de l’interaction
enseignant/élève dans les situations d’apprentissage et de la vie générale
d’un établissement. Elle oblige à chercher des modalités de coopération
avec les autres enseignants afin de rechercher des adaptations
pédagogiques. Elle doit pouvoir s’appuyer sur une représentation de
l’élève SEGPA qui fasse droit à sa différence sans cependant l’y réduire.
Cependant, nous constatons que le principe paraît clair mais que sa
réalisation est plus complexe. Nous avons pu observer à travers l’analyse
des entretiens et de nos observations que l’élève de SEGPA est encore
considéré comme un collégien particulier, la relation qui s’instaure avec lui
dans le collège est souvent établie à travers le prisme de son handicap
voire de son comportement contraire aux exigences scolaires. Sa
« différence » lui confère un statut d’exception peu propice à son
intégration, à la reconnaissance de sa faculté à apprendre. Elle concourt
à entretenir chez ce jeune un sentiment de stigmatisation qui reste très
prégnant voire très douloureux dans les interactions observées avec ses
pairs.
3.2.4- Les pairs, des relations peu fréquentes mais souvent
conflictuelles
La question des relations avec les pairs est un élément important pour
comprendre ce qui se joue en terme de processus de stigmatisation à
86
l’intérieur du collège. Elle est dans le même temps difficile à saisir car il
faudrait pouvoir observer longtemps le tissu des relations qui se
construit entre les jeunes. Nous n’avons donc pas la prétention de rendre
compte de cette complexité, nous nous sommes attachés à tenter
d’appréhender les interactions entre les jeunes du cycle général et des
SEGPA. Ce chapitre est élaboré à partir des observations réalisées sur le
terrain et de l’analyse des entretiens. Nous avons passé une journée au
collège en tant que surveillant de la cantine et de la cour de récréation.
Cette observation a simplement révélé le peu d’interactions entre les
deux cycles. Nous sommes plus dans une cohabitation que dans une
socialisation relationnelle entre les deux dispositifs. Les jeunes de
SEGPA mangent entre eux et restent ensemble sur la cour. Le cycle
général est plus éclaté en petits îlots d’affinités souvent mixtes, alors
que pour les SEGPA, les groupes sont plus sexués. Nous n’avons pas noté
d’éléments plus significatifs. Les entretiens nous ont apporté plus
d’enseignement. La stigmatisation scolaire provient aussi des pairs et
notamment de ceux du cycle général, dont les remarques humiliantes sont
nombreuses et s’appuient généralement sur le niveau scolaire des SEGPA.
Amélie explique : « On se sentait trop mal à côté des autres. Les
réflexions, t’es qu’une SEGPA, tu ne sais rien faire, tu es une handicapée
du cerveau, en gros. » Arielle se souvient de railleries très dévalorisantes
émanant de jeunes collégiens : « Dans la cour, ça n’allait pas ! Les
générales nous traitaient d’extra-terrestres, de mongols, on avait
toujours droit à des insultes. Ca a été dur à vivre pour moi. » Cécilia
confirme les dires de ces camarades, elle se souvient d’insultes
blessantes à son égard : « Ils se moquaient de nous, parce qu’on était en
SEGPA, ils disaient qu’on était des nuls ».
A cette stigmatisation se greffe un fort sentiment de dévalorisation de
soi qui façonne les identités de ces jeunes. Lorsque Goffman s’intéresse
aux conséquences d’une stigmatisation sur le troisième type d’identité
qu’il a définie, « l’identité pour soi », c’est afin de montrer ce que
l’individu ressent à l’égard de son stigmate et ce qu’il en fait56. Tout
individu mérite du respect et de la considération, mais la stigmatisation
disqualifie et le soumet au contraire à l’humiliation. L’élève porte la
SEGPA comme son stigmate, comme un élément dévalorisant. Cette
humiliation entraîne la honte, la haine et le mépris de soi-même. Elle peut
56
Ibid 51- page 127-128.
87
dans certains cas générer une réponse violente de la part de l’élève, ce
fut le cas d’Amélie : « je me suis vu taper parce qu’il en avait marre, on va
dire que les collégiens, ils se prennent pour des rois et nous on est des
nuls. Moi, j’en ai tapé qu’un car ça été trop loin. »
Les adultes reconnaissent eux aussi que les relations ne sont pas toujours
faciles. Pour M. M. T : « Ca reste compliqué dans la perception de l’autre,
c’est-à-dire que l’on ne cherche pas trop à discuter on ne cherche pas
trop le dialogue, d’abord les insultes et parfois les coups de poing. » Le
collège travaille sur des actions de prévention, de respect et de
tolérance pour améliorer la compréhension mais le chemin est encore
long. Les professeurs notent quand même une évolution depuis la
rénovation des locaux : « Les élèves se plaignaient fréquemment des
moqueries des insultes de la part des élèves du cycle général et petit à
petit ça se passe mieux » (M. C, professeur des écoles). Du côté du
collège M. Y. (professeur d’anglais) nous dit : « Je fréquente beaucoup
les sixièmes générales car je suis professeur principal et il y a la peur du
grand SEGPA qui fait des vacheries dans la cour de récréation, mais je ne
pense pas qu’ils soit rejetés car certains ont des copains dans
l’établissement ».
3.3- Des faibles performances scolaires et des comportements
« ascolaires »
Pour ce chapitre, nous avons choisi comme outil d’analyse le concept de la
stigmatisation. Il nous a semblé important de l’utiliser pour rendre plus
intelligible, une partie des interactions qui se jouaient entre les
différents acteurs du collège. Goffman a défini le « stigmate » comme
« la situation de l’individu que quelque chose disqualifie et empêche d’être
pleinement accepté par la société »57 . Le stigmate apparaît comme un
attribut figé d’une catégorie d’individus. Dans notre sujet, il nous importe
plutôt de considérer la « stigmatisation », c’est-à-dire le processus social
relationnel qui se met en place entre les élèves, entre les élèves et leurs
professeurs et plus généralement entre tous les acteurs qui participent à
la vie d’un établissement comme le collège Ferré. L’intérêt, ici, est de
souligner la manière dont le processus de stigmatisation agit sur les
57
Stigmates- Les usages sociaux des handicaps (Les éditions de Minuit, 1975, première édition en
1963), page 7.
88
identités des personnes en interaction, et plus particulièrement chez les
élèves de SEGPA.
Pour Goffman, ce concept se trouve au carrefour de trois types
d’identités qu’il présente ainsi : l’identité sociale, l’identité personnelle et
l’identité pour soi. Chez la personne stigmatisée, c’est en définitive un
élément de « l’identité personnelle » (ce que l’on est de manière visible,
ce qui se dégage de nous comme signe) qui vient bouleverser « l’identité
sociale virtuelle » (le rôle que l’on était censé incarner aux yeux du
public), disqualifiant une personne en révélant une « identité sociale
réelle » (ce que l’on devient alors réellement aux yeux du public)
dépréciée, ce processus engendrant des conséquences dommageables
pour « l’identité pour soi » (ce que l’on ressent de ce que l’on est).58
Nous avons souhaité cette précision théorique, car elle est le préambule
nécessaire à la compréhension des formes de stigmatisations que peuvent
ressentir les élèves de SEGPA.
Les élèves de SEGPA présentent des difficultés cognitives ou des
difficultés d’apprentissage scolaire. Ils ont tous construits un rapport
négatif aux apprentissages scolaires et au travail scolaire. Un grand
nombre d’entre eux a rencontré des difficultés précoces comme nous
l’avons déjà montré. Ces collégiens sont souvent présentés comme
perturbateurs de l’ordre scolaire. L’Institution scolaire distingue les
« bons comportements », conformes aux règles, des « mauvais
comportements », perturbant l’ordre scolaire et gênant l’action
pédagogique. Les pratiques qui constituent une entrave au jeu scolaire :
évitement ou refus de travail, perturbation de l’activité pédagogique,
opposition à l’autorité des professeurs, occupent une place importante
dans les parcours des jeunes scolarisés en SEGPA. De ce point de vue, il
n’est pas possible de séparer la question des comportements de celle des
apprentissages scolaires. Cette articulation combine deux dimensions : la
stigmatisation scolaire provoquée par les sanctions négatives en terme de
performances scolaires, et les perturbations qui manifestent aussi à leur
manière un rapport particulier aux apprentissages. Nous avons pu
constater que le discours des enseignants revient souvent à dire que les
élèves de SEGPA n’apprennent pas parce qu’ils ont un comportement
inadapté. On peut soutenir que leur comportement est pour une bonne
part le produit de leurs difficultés d’apprentissages, ce qui n’exclut pas
58
Ibid 50- page 73-74 et 127-128.
89
l’inverse ; c’est-à-dire que les comportements ainsi
contribuent à une aggravation des performances scolaires.
engendrés
3.3.1 – Les effets stigmatisant des faibles performances scolaires
On pourrait penser que ces collégiens sont indifférents aux évaluations
et aux classements scolaires. C’est l’image qu’ils donnent ordinairement
d’eux–mêmes dans les collèges. Pourtant, les sanctions négatives de leurs
productions scolaires et leurs faibles performances produisent des
effets de stigmatisation et de dévalorisation de soi. Lors des entretiens,
la plupart des jeunes interrogés esquivent nos questions sur ce thème,
quelques-uns répondent à côté ou changent de sujet. Amélie ne s’étale
pas sur le sujet : « En français, j’avais de bonnes notes. Les autres
matières, pas terribles. Je ne travaillais pas beaucoup. »
D’autres collégiens se contentent d’un « ça va », « ça allait », ou essaient
d’affirmer des scolarités sans problèmes, comme s’ ils faisaient fi de leur
orientation en éducation spéciale pour des difficultés cognitives « graves
et persistantes » (pour reprendre les termes employés dans les textes
officiels). Arielle et Amélie ont tendance à minorer leurs faiblesses en
adoptant une tactique de contournement : « Je regrette car ça m’a
beaucoup retardée. J’avais un niveau un peu plus haut que les autres,
j’étais un petit peu perdue et on ne m’a beaucoup aidée », déclare Amélie.
Quant à Arielle, elle affirme : « J’étais dans mon coin en cours car j’avais
un niveau un peu plus élevé que les autres, je retenais mieux, surtout. »
Beaucoup de jeunes évoquent des difficultés en lecture mais les
tactiques pour ne pas répondre directement à nos questions sur ce sujet
des performances scolaires sont révélatrices qu’ils n’y sont pas
indifférents. Ces difficultés intériorisées génèrent une stigmatisation
non pas en soi, mais induite par le regard de ceux qu’ils côtoient : les
enseignants bien sûr, certains membres de leur famille, notamment les
grands frères et grandes sœurs qui ne connaissent pas les mêmes
difficultés, les pairs, et notamment ceux du cycle général.
Le stigmate de l’échec intellectuel a conduit ces jeunes à une assignation
institutionnelle en classe de relégation. La plupart d’entre eux sont très
précis dans leurs commentaires. Nous prendrons ici l’exemple de Robert,
scolarisé en quatrième SEGPA, qui affirme son incompétence en travail
90
intellectuel : « Je suis pas bon en tête moi, je suis plus bon en manuel ».
Ceci conformément à ce que son orientation en SEGPA et à ce que le
regard de ses camarades et des adultes du collège lui renvoient. Nous
sommes là dans l’acceptation totale de l’étiquette imposée par le système
et ses acteurs. C’est encore Robert qui affirme qu’il est nul, Didier qui
affirme que l’école « ça ne sert à rien ». Tous ces propos font référence
à un sentiment « d’indignité », comme une sorte de stigmatisation
intériorisée, qui conduit une grande partie de ces élèves à renoncer à
toute tentative d’apprentissage dans les domaines où ils se considèrent
comme « nuls ». Certains collégiens s’attribuent donc eux-mêmes des
limites scolaires, d’autres mettent en place des stratégies d’évitement
pour ne pas être soumis au jugement scolaire. Cette analyse se vérifie
surtout dans les matières où les jeunes se sentent le moins à l’aise, le
plus en difficulté…
Les conséquences de ces stigmatisations sur l’identité pour soi des élèves
sont fondamentales quand elles façonnent d’une manière durable
l’identité d’un individu. D’autant plus que cette stigmatisation s’est
construite quotidiennement, progressivement, et qu’elle est inhérente à
la trajectoire d’échec et de relégation que chaque jeune scolarisé en
SEGPA a connue.
3.3.2 – Le regard des adultes sur les difficultés cognitives des
SEGPA
Comme le souligne Catherine Blaya dans son rapport remis à la Direction
de la programmation et du développement du ministère de l’Education
nationale59 : « Les facteurs qui influencent l’acceptation d’une étiquette
par l’élève et le processus de conformité qui s’ensuit dépendent des
facteurs suivants : la fréquence avec laquelle on a recours à l’étiquette,
l’autorité que l’on confère à l’auteur de l’étiquette, l’appui et l’assentiment
des autres enseignants dans le processus, le caractère public de cet
étiquetage ».
Pour mesurer l’impact des comportements des adultes de la SEGPA dans
ce processus de stigmatisation sur le plan des performances scolaires,
nous avons interviewé le directeur adjoint, deux professeurs des écoles
59
Catherine Blaya, La Construction sociale des absentéismes et des décrochages scolaires en France
et en Angleterre, Laboratoire de Recherches Sociales en Education et Formation. Université Bordeaux
2- 3, ter place de la Victoire- 33000 Bordeaux- mars 2003.
91
et trois professeurs de collège. La comparaison des points de vue est
intéressante car elle dessine une distribution des réactions face aux
difficultés des apprentissages. Ces dernières peuvent être interprétées
selon la position occupée dans l’établissement et selon le champ de
compétences spécifiques des diverses catégories de personnels. C’est
l’ensemble de ces différenciations que l’on voit à l’œuvre dans la façon
dont les personnels définissent les difficultés cognitives et
comportementales des élèves de SEGPA, et dont ils en décrivent les
origines et les manifestations. Auparavant, il convient de rappeler qu’en
matière de personnel, les SEGPA constituent une originalité dans le
paysage éducatif car elles reposent sur une grande variété. Pour la
SEGPA de Ferré, nous trouvons plusieurs catégories :
-
-
professeurs des écoles spécialisées titulaires du CAPSAIS
(Certificat d’aptitude aux actions pédagogiques spécialisées
d’adaptation et d’intégration scolaire). Cette catégorie dispense
les cours généraux principaux : maths français, histoire,
géographie… ;
professeurs de lycée professionnel qui ont la charge de la
formation professionnelle et de la pratique dans les ateliers ;
professeurs de lycée et collège qui à Ferré interviennent pour les
cours d’anglais et de technologie ;
directeur adjoint titulaire du DDEEAS (Diplôme du directeur
d’établissement d’éducation adaptée et spécialisée).
D’une manière générale, les adultes travaillant en SEGPA annoncent un
« déficit scolaire, d’acquisition de connaissances scolaires, on s’aperçoit
que ce sont des jeunes qui au bilan psychométrique sont dans ce qu’on
appelle les limites faibles de la normalité, voire les limites hautes d’une
déficience légère » ( M. T, directeur de la SEGPA). Il est donc inutile de
se demander pourquoi les jeunes font une distinction entre « normalité »
et SEGPA quand les adultes eux-mêmes posent la scolarité en SEGPA en
ces termes.
M. Y., professeur d’anglais, déclare : « On a des gamins qui arrivent avec
de tout petits acquis, que certains ont eu dans une sixième normale, et
d’autres qui arrivent du primaire sans jamais avoir eu un contact avec les
langues ». Cette distinction existe encore dans les textes puisque les
élèves sont orientés en SEGPA sur la base d’un dossier constitué par une
92
équipe éducative composée par un psychologue scolaire, un médecin
scolaire, une assistante sociale, etc. .
Le dossier est étudié en CCPE (pour le primaire) et CCSD (pour le
collège), Commissions de l’éducation spécialisée instaurées par la Loi de
1975 sur les handicapés. Les jeunes ne s’y trompent donc pas : il s’agit
bien là d’un handicap. Les voilà donc affublés d’un déficit « de rendement
scolaire » dont la responsabilité leur incombe totalement puisque toujours selon les dires des adultes concernés - : « Tous nos élèves, ce
sont des difficultés anciennes et durables : pour une immense majorité,
redoublement du CP, c’est l’acquisition de la lecture qui a posé problème.
Pour certains d’entre eux, il y a même un dépistage à la maternelle. Les
trois quart ont bénéficié d’aides spécialisées à l’école élémentaire avec
les RASED et pour un tiers, d’aides encore plus spécialisées en
ambulatoire, orthophonie, en institution CAMPS, CMPP… » (directeur de
la SEGPA). M, professeur de technologie, affirme : « Ca fait 30 ans,
maintenant… j’ai eu des CPPN à l’époque mais ce n’était pas le même profil
d’élèves. Les CPPN n’avaient pas de difficultés intellectuelles mais plutôt
des difficultés comportementales. Maintenant, on a des élèves qui ont
des handicaps. Et on n’a pas de formation handicap ».
Nous sommes ici face à l’impuissance d’un système qui malgré le nombre
d’interventions possibles proposées au jeune, comme le cite le directeur,
ne réussit pas à « accrocher », voire à intégrer une partie de ses élèves.
Face à cette impuissance, il est tentant d’identifier chez l’autre le
stigmate, la différence qui individualisera le problème et l’enfant à
« traiter », mettant en danger le système unique et globalisant, qui, dans
l’intention (louable, certes…) d’offrir la même éducation à tous, a du mal à
prendre en compte les particularités et conduit à orienter ces élèves
vers des classes spéciales.
Chacun des acteurs rencontrés relève des difficultés fondamentales en
terme de mémorisation, de compréhension. Les caractéristiques scolaires
de ces collégiens, la manière dont ils sont désignés, mettent en évidence
le fait qu’ils sont très loin du niveau attendu par les enseignants. Le
discours sur leurs difficultés d’apprentissage diffère selon les
intervenants. Les professeurs de collège qui interviennent en SEGPA
mettent en avant le travail et les difficultés de mémorisation. Mme Y.,
professeur d’anglais évoque leurs performances scolaires de cette
manière : « Ils sont très attachants mais de là à les faire travailler, de là
93
à pouvoir leur faire mémoriser des choses, c’est autre chose ». Comme
nous l’avons déjà mentionné plus haut, un autre professeur d’anglais parle
des difficultés de mémorisation en ces termes : « C’est vraiment
terrible, car on peut avoir répété 10 fois, 15 fois quelque chose, on a
l’impression que c’est acquis et puis 5 à 10 minutes plus tard, c’est une
catastrophe ! Une catastrophe ! ». Il faut préciser que ce cycle reçoit
une heure d’anglais par semaine. L’enseignante ajoute : « Ce qui est
navrant pour nous, c’est que certains font effectivement des efforts
d’écoute, d’attention, de travail et cependant il n’y a pas de traces dans
leur mémoire. »
Les professeurs des écoles rencontrés font le même constat des
difficultés cognitives. Elles insistent sur l’absence de lien entre les
choses et les mots : il faut sans cesse répéter. Le directeur, quant à lui,
résume ces difficultés d’apprentissage en quatre grandes catégories :
« difficultés de déchiffrage, de lecture : « pour une bonne moitié d’entre
eux, les jeunes ont des difficultés de déchiffrage, de lecture. On a un
pourcentage non négligeable d’élèves qui arrivent non lecteurs, malgré les
efforts de l’école primaire » ;
difficultés dans la méthodologie : « Il faut trois mois pour espérer qu’une
majorité de sixième sachent ranger un classeur » ;
difficultés de compréhension et de mémorisation : « ce que l’on considère
acquis définitivement après trois évaluations positives, c’est vrai, mais
pas en SEGPA. En SEGPA, ce qui est acquis en mai ne l’est pas forcément
en octobre. Il y a une forte évaporation estivale. »
Ces difficultés repérées inscrivent les élèves dans une perception
négative de leurs performances. Ils perçoivent les regards navrés d’une
partie du corps enseignant par rapport à leur niveau scolaire. Cette
perception douloureuse génère un stigmate qui les conduit à mettre en
place des stratégies comportementales d’évitement. En SEGPA, il existe
des évaluations comme pour chaque collégien. Certes elles ne sont pas de
même nature qu’en cycle général puisque, comme nous l’indique, M. Y. : « ,
il n’y a pas de devoirs de synthèse : il y a des interrogations et le mode
de numérotation est totalement différent puisqu’en collège, on évalue de
0 à 20 et en SEGPA, on a des objectifs très mineurs, très modestes ».
Cette différenciation présentée par le professeur induit une échelle de
valeur différente entre les deux cycles ou dispositifs. Le jeune scolarisé
en SEGPA n’est pas dupe et toute évaluation le renvoie aux échecs vécus
94
au cours de sa trajectoire scolaire. A travers le jugement de ses
compétences, c’est une évaluation sur le devenir qui est faite. Pour lui,
l’évaluation des réussites actuelles, c’est en quelque sorte son avenir. Les
performances produites mettent en jeu l’image qu’il peut avoir de luimême, de sa valeur, et de sa capacité à exister aux yeux de son
entourage familial, scolaire et de ses pairs. Comme le résume Claude
Malandain60 (professeur de psychologie à l’université de Rouen) : « Le
travail scolaire et le risque de l’échec scolaire remettent en question la
base de sécurité sur laquelle se construit un équilibre personnel : la
reconnaissance d’autrui et l’amour de soi (le narcissisme). »
3.3.3 - La stigmatisation des comportements jugés « ascolaires »
3.3.3.1 – Des attitudes contraires aux normes scolaires
Pour appréhender cette notion, nous nous appuierons sur les observations
que nous avons réalisées au cours de ce travail de recherche, et
notamment sur notre participation en tant qu’auditeur libre à deux cours
dans la classe de quatrième SEGPA du collège Ferré : un cours de vie
sociale et professionnelle et un cours de français. Tous deux durent 55
minutes. Les enseignantes qui ont eu la gentillesse de nous accueillir sont
professeurs des écoles spécialisées.
Le thème du premier cours était le circuit de distribution du chocolat, de
la production au consommateur. Les 17 élèves étaient disposés en U, et
nous étions situés au fond de la salle, à l’extérieur du U, pour interférer
le moins possible dans le déroulement de l’activité. A posteriori, nous
avons décomposé cette activité en plusieurs séquences :
-
La mise en route et l’installation dans la salle. Beaucoup de bruit,
de bavardage, de difficultés à prendre ses affaires, s’installer,
écouter, se mettre en position de travail. Cette période a duré 8
minutes, chronomètre en main, et a nécessité des interventions
nombreuses de la part de l’enseignante. Le calme a été dur à
obtenir, mais nous avons pu remarquer la patience de l’enseignante
6060
Malandain (C), La nouvelle revue de l’AIS – n° 8, 1999, l’Intégration : l’empire des mots, le
discours des faits, Suresnes, Editions du Cnefei. P94-99.
95
-
-
-
qui a choisi une méthode plutôt progressive, sans élever la voix,
pour accéder à une ambiance de travail relativement studieuse.
14 heures 05. Fatima, jeune fille scolarisée en UPI61, est
accompagnée par l’auxiliaire de vie scolaire. Elle présente un
handicap moteur significatif et s’intègre à temps partiel, dans le
cadre de son projet individuel de scolarisation, à certains cours
dispensés en SEGPA. Elle est bien accueillie par l’enseignante et
les jeunes qui lui font une place facilement.
14 heures 10. Mme Y. procède à un rappel du cours précédent en
essayant de faire participer les jeunes au maximum. Il est à noter
que la participation orale est dynamique, les jeunes semblent à
l’aise dans cet exercice. Les difficultés résident plus dans le
respect des conventions d’écoute de l’autre : ne pas couper la
parole, prendre la parole lorsque c’est son tour, etc. Durant ce laps
de temps se dégagent assez nettement les animateurs de la classe,
ceux qui veulent à tout prix répondre sans avoir forcement écouté
la question. Ils se positionnent souvent en « clowns » et essayent
d’attirer l’attention d’un public. Nous constatons qu’il leur est très
difficile de rester assis, de ne pas bouger, d’écouter en silence.
L’autre partie de la classe est plutôt inactive et attend que
d’autres répondent…
14 heures 15 – 14 heures 30. Mme C. propose de visionner un film
sur le circuit de la tomate. Elle demande à chaque jeune de bien
écouter et d’écrire sur un cahier les différentes étapes repérées
de ce circuit. Certains refusent la consigne et tentent de négocier
en déclarant : « On n’a pas besoin d’écrire, on peut le retenir dans
la tête ». Mme C. ne cède pas mais elle doit répéter plusieurs fois
les directives car certains n’écoutent pas, n’ont pas compris…
Pendant, la projection, le calme est présent. Plusieurs attitudes
sont observées : au début tout le monde suit, puis rapidement
certains décrochent et parfois même s’endorment. D’autres
appliquent les consignes à la lettre.
Durant cette activité, deux jeunes se distinguent par leur
comportement : Julien et Robert. Ils n’arrêtent pas de parler, ils
sont situés à l’opposé dans la salle et échangent des phrases qui
montrent une certaine immaturité. Au début du film, nous avons
61
UPI : Unité pédagogique d’intégration
96
par exemple pu relever : « C’est parti mon kiki ! ». Ils dérangent
souvent leurs voisins.
-
-
-
14 heures 30 – 14 heures 40. Mise en commun des éléments
repérés dans le film. Mme C. interroge ses élèves pour essayer de
reconstruire avec eux une suite logique, de la cueillette à la
consommation des tomates. C’est laborieux. Les jeunes sont un peu
perdus et ce sont les mêmes qui prennent la parole sans avoir les
bonnes réponses. Ils sont peu nombreux à avoir écrit, l’enseignante
oriente ses questions pour les aider à refaire le cheminement
logique. Matthieu semble se distinguer en apportant
successivement plusieurs bonnes réponses.
14 heures 40 – 14 heures 50. Transcription des réponses sur le
classeur. Il faut un temps assez long pour que chacun soit prêt,
trouve son matériel, et le passage à l’écrit est très difficile.
Pendant ce temps, le même Robert chante C’est la mère Michel qui
a perdu son chat, il faut l’intervention ferme et la menace d’une
sanction pour qu’il se calme un peu. Entre Julien et lui s’est installé
une compétition : celui qui se fera le plus remarquer. Pour
l’anecdote, lorsque l’enseignante écrit au tableau, Robert lance sur
Julien, une boulette de papier. Malheureusement pour lui, elle nous
tombe dessus. Robert est gêné, se confond en excuses, fait tout à
coup silence pour éviter l’intervention de son professeur qui n’a
rien vu. Nous faisons le choix de nous taire pour respecter notre
position d’observateur neutre.
14 heures 50 – 14 heures 55. C’est la conclusion du cours, Mme C.
annonce le programme du lendemain, mais déjà, les jeunes
n’écoutent plus. La sonnerie retentit.
Cette description confirme certaines caractéristiques abordées dans le
chapitre précédent. Elle permet par ailleurs de dégager quelques grands
traits du comportement et du rapport aux savoirs et aux apprentissages
qu’entretiennent ces jeunes.
Tout d’abord, ils se manifestent par « leur propension à l’action »62. Ils
rejettent en partie la situation scolaire qui impose la posture passive
d’écoute. Elle peut être vécue comme une contrainte qui devient
insupportable quand l’écoute n’a pas de sens. Pour beaucoup, le film
présenté n’a pas de lien avec le vécu, l’expérience, la pratique dans
62
B. Charlot, Le Rapport au savoir en milieu populaire, Paris, Anthropos, 1999, p. 315.
97
lesquels ils sont immergés ou dans lesquels ils peuvent se projeter. On
peut donc faire l’hypothèse que ceux qui perturbent ce cours ou qui
n’écoutent pas, dans ce cas, mettent en place des stratégies pour rompre
avec l’ennui ou fuir ces activités scolaires qui peuvent être vécues comme
une forme d’inactivité.
D’autres collégiens, comme ceux qui se sont endormis durant le film, se
caractérisent par une forme d’apathie scolaire. Ils n’entravent pas
l’activité pédagogique des enseignants. Cette attitude, qui n’est pas
perturbatrice, peut être perçue comme une indifférence à l’égard de
l’école. Elle rentre en contradiction avec ce qui est attendu et peut être
interprétée comme une remise en cause des règles scolaires, de l’autorité
de l’enseignant.
En outre, l’observation de ce cours de vie sociale et professionnelle,
associée aux entretiens avec les professeurs, a mis en évidence le
« manque d’attention », le « manque de concentration », « la dispersion »
des élèves. Ces caractéristiques font clairement apparaître le rapport
que les collégiens SEGPA entretiennent vis-à-vis des apprentissages
scolaires, ou plutôt aux difficultés d’apprentissage. Les jeunes ne suivent
pas le cours car ils ne comprennent pas ou mal ce qu’ils doivent faire et se
sentent perdus par rapport à la matière enseignée. Prenons l’exemple de
l’anglais. Il est prévu une heure de cours hebdomadaire dans l’emploi du
temps. Comment ces jeunes peuvent-ils s’y investir, alors que leurs
difficultés en français sont immenses ? Ceci fait dire à l’une des
enseignantes : « Je me sens complètement impuissante et inquiète, je
leur apporte rien au niveau formation. On sent leur manque en français,
en maths, et on se dit : pourquoi cette prof d’anglais plaquée comme
ça ? ». Ce qui peut être perçu comme un manque de concentration peut en
réalité correspondre à un blocage, un renoncement devant les exigences
et les attentes du professeur.
L’autre activité pédagogique que nous avons pu observer avec la même
classe de quatrième est un cours de français dispensé par Mme B.,
professeur principal de la classe. Le thème du jour était : le présent des
verbes. L’activité était organisée autour d’exercices d’application avec
correction au tableau. Les jeunes participent et l’intervenante tient un
discours ferme et valorisant à leur égard. Nous constatons cependant
que la concentration s’effrite après quarante minutes. Pour la correction,
Matthieu passe en premier au tableau. Nous avions déjà repéré cet élève
98
pour ses réponses pertinentes dans le premier cours. Le fait d’aller au
tableau ne lui pose vraisemblablement pas difficultés particulières. C’est
le passage à l’écrit qui est plus problématique : l’écriture est hésitante, la
calligraphie pas toujours très lisible.
Lors de la réalisation des
exercices, nous avons pu observer que les élèves ont tendance à se
précipiter sur le travail sans s’attarder sur les consignes formelles de
présentation, sans respecter les règles fondamentales de français, que
ce soit au niveau de l’orthographe ou de la ponctuation.
La majorité de la classe participe à la correction d’une manière active et
dynamique. Beaucoup lèvent le doigt pour donner une réponse. Nous avons
senti beaucoup plus de réticences lors du passage à l’écrit : certains
adoptent des stratégies pour éviter de montrer leur classeur au
professeur, pour retarder le moment où ils doivent formaliser leur
travail sur papier. Beaucoup d’enseignants confirment ces difficultés :
« ils n’arrivent pas à mémoriser, pour la plupart, car ils ont beaucoup de
problèmes à l’écrit qu’ils refusent, donc ce n’est pas facile. »
Enfin, l’autre élément significatif est la lecture. Lorsque Mme B.
demande à Robert de lire un petit texte à haute voix, nous notons une
lecture hachée, des difficultés sur les mots plus complexes, une absence
de liaisons… Au-delà des difficultés relatives aux savoirs fondamentaux,
c’est le dévoilement d’une insuffisance, d’une difficulté à lire devant
toute la classe qui peut constituer un sentiment de honte de
dévalorisation. Robert risque, dans ce cas de figure, de perdre la face, y
compris aux yeux de ses camarades. Les difficultés scolaires
fonctionnent comme un stigmate « qui jette un discrédit profond »63.
C’est parce qu’aux yeux des pairs, ne pas maîtriser les règles du français
apparaît comme un « handicap » que Robert et les autres élèves tentent
d’éviter de rendre publiques des lacunes qu’ils vivent comme un stigmate.
Ce peut être une explication au fait que certains collégiens refusent de
montrer leur travail aux enseignants.
Pour conclure sur ce sujet, nous faisons le constat général que plus les
difficultés d’apprentissage s’accentuent, plus l’écart entre ce
qu’attendent les professeurs et les performances des élèves de SEGPA
s’accroît, plus ceux-ci subissent les effets de stigmatisation scolaire. La
63
E. Goffman, Stigmate, Les Usages sociaux des handicaps (Les éditions de Minuit, 1975, première
édition en 1963), page 13.
99
scolarisation devient de moins en moins supportable et certains jeunes
adoptent un comportement beaucoup plus perturbateur.
3.3.3.2 – Des comportements qui perturbent l’ordre scolaire
Cette forme de stigmatisation est liée à une apparence jugée indésirable
par rapport à la correction vestimentaire exigée en milieu scolaire, à un
langage dénoncé comme vulgaire, à une gestuelle estimée agressive ou
menaçante, mais aussi à toute une série de comportements regroupés
dans une catégorie à la mode dans le cadre scolaire : celle des
« incivilités ».
Si nous reprenons l’ensemble des entretiens réalisés et abordant ce
sujet, nous relevons de la part des agents les commentaires suivants :
« Il faut passer par-dessus des problèmes de grossièreté, de vulgarité,
d’agressivité, que l’on ne retrouve pas dans le cycle général. On arrive à
obtenir un certain langage correct de la part des troisièmes générales
mais en SEGPA, c’est vraiment effarant. Ils ont un langage qui est
vraiment épouvantable. Evidemment, c’est leur quotidien, ils n’arrivent
pas à le modifier. C’est dur ! Mais bon apparemment, c’est la manière dont
ils parlent à la maison » (professeur d’anglais).
Son collègue, professeur de technologie, évoque aussi les problèmes de
comportement en ces termes : « Certains ont une certaine agressivité,
une certaine façon de parler. On arrive quand même à communiquer, à
tirer quelque chose, mais pour ceux qui ont à la fois des problèmes de
comportement et de niveau, j’ai l’impression d’être inutile. Ce n’est pas
serein. »
On retrouve les difficultés d’apprentissage scolaire dans les
comportements perturbateurs. Dans la SEGPA Ferré, les élèves qui
posent le plus de difficultés en terme de comportement sont ceux qui ont
été orientés après deux à trois ans de collège en cycle général. Selon M.
T, le directeur de la SEGPA : « ces jeunes ont été confrontés à leur
échec scolaire et à la perception qu’ils avaient de leurs difficultés
scolaires. C’est-à-dire que l’on a des élèves qui sont dans la honte de leur
échec ».
Ce sentiment génère chez eux des manifestations agressives et des
attitudes de reconnaissance aux yeux de leurs pairs. L’ennui des heures
passées en cours est rarement supporté et ils tentent de s’occuper
100
autrement. Ces collégiens perturbent l’activité pédagogique de la classe
d’autant qu’ils se retrouvent mélangés avec des jeunes issus de CLIS64 qui
peuvent relever du handicap mental. M. T d’ajouter : « Cela les renvoie à
une image de handicapés et là, ça devient insupportable ». Ce sont des
élèves qui n’ont pas accepté leur orientation en SEGPA : ils mettent donc
en place des attitudes d’opposition à l’ordre scolaire, aux enseignants,
pour exister, maintenir une position sociale dans l’espace scolaire. M. Y.
(professeur d’Anglais) se souvient d’un événement : « Il faut gérer
l’agressivité entre eux, ils peuvent se lever en classe et aller tabasser
l’autre. L’année dernière, j’ai repris une fille de troisième qui embrassait
son copain sans pudeur. Elle n’a pas supporté et m’a insultée. Elle est
rentrée dans une fureur... J’ai dû la traîner dans le bureau du directeur.
A partir de là, l’ambiance dans la classe a été très difficile ».
Cette catégorie de jeunes se distingue des autres par sa tenue
vestimentaire, son langage (celui de la rue), etc. Ces collégiens importent
au sein de l’établissement la culture de leur quartier, élément central
leur existence. Ce dernier apparaît comme une ressource symbolique, lieu
de reconnaissance sociale. Dans « son » quartier, le jeune est intégré,
reconnu alors qu’au contraire, au collège, il se perçoit comme disqualifié,
stigmatisé. Les élèves de SEGPA sont souvent issus de familles en
difficulté économique et sociale présentées par le directeur comme
démissionnaires de leur rôle d’autorité : « Ce sont des jeunes pour qui
neuf fois sur 10, les parents ont capitulé et nous devenons les seules
personnes qui les faisons se confronter à la loi et aux règles, il n’y a plus
que nous, c’est clair ! ».
Cette affirmation renvoie aux différentes configurations familiales
présentées dans la partie 2. Les collégiens dont il est ici question
appartiennent à des familles dont les parents sont peu ou pas dotés en
capital scolaire. Livrés à eux-mêmes, rares sont ceux qui investissent le
travail scolaire. Conjointement, la régulation de leur comportement est
affaiblie parce que le père n’habite plus au domicile familial, et/ou qu’il
n’a pas d’emploi. Il se trouve ainsi disqualifié, aux yeux de ses enfants,
pour représenter quelconque forme d’autorité… De plus, l’entrée au
collège rend quasi inopérantes les faibles ressources scolaires
parentales. Les collégiens plus âgés et ayant construit depuis longtemps
un rapport négatif vis-à-vis des règles et du travail scolaire résistent ou
64
Classe d’intégration scolaire
101
échappent davantage à l’encadrement familial qui maîtrise encore moins
bien qu’en cycle primaire les exigences demandées au niveau du
secondaire.
Ce qui domine d’ailleurs dans les discours et les souvenirs des collégiens
interrogés, ce n’est pas l’acquisition des savoirs ou des apprentissages,
mais l’ambiance dont l’expression revient souvent, non pour qualifier une
atmosphère de travail mais pour mettre en avant les relations entre
pairs valorisant la rigolade, l’indiscipline générale dans la classe,
l’opposition à un enseignant. Arielle raconte : « Je garde un bon souvenir
de la SEGPA. Je me souviens : les garçons étaient turbulents, ils
faisaient le bazar, c’étaient surtout des insultes envers les profs. Ils
étaient punis, mais ça ne changeait rien, ils recommençaient. »
L’ensemble des éléments recueillis confirme l’hypothèse selon laquelle on
ne peut pas dissocier les pratiques comportementales des difficultés
d’apprentissage. Pour reprendre les propos de M. T : « Il arrive un
moment où vraiment le jeune ne peut plus apprendre, il est envahi par ces
idées, par ce sentiment de honte, il est dans un monde qu’il refuse et il ne
sait plus quoi faire, et il ne va plus pouvoir apprendre, ça se transforme
en trouble cognitif. » Cette expérience scolaire est productrice d’un
sentiment de disqualification, de stigmatisation qui participe à la révolte
et à l’agressivité à l’encontre des agents scolaires ou aux différentes
formes d’attitude contraires aux logiques scolaires. Certes, les
difficultés scolaires sont réelles pour les jeunes scolarisés en SEGPA,
mais le fait de relier ces difficultés au comportement permet de mieux
comprendre les manifestations observées et de saisir la place qu’occupe
les SEGPA dans le collège.
3.4- Analyse et perspectives d’avenir pour les élèves
Dans cette dernière partie, nous nous attacherons à montrer les
perspectives qui s’ouvrent aux jeunes après la troisième SEGPA. Les
textes rappellent que par des itinéraires multiples, les élèves de SEGPA
doivent pouvoir prendre des voies différentes pour préparer un CAP,
sous statut scolaire ou sous contrat de travail.
102
3.4.1- Les perspectives d’orientation : ce que prévoient les textes
Grosso modo, il existe, après avis de la CCSD, cinq grandes voies
d’orientation :
● Intégrer un lycée professionnel
Les élèves peuvent intégrer un LP « ouvert » pour la préparation en deux
ans d’un CAP. Ce sont les inspections académiques et/ou les rectorats qui
publient la liste des LP proposant ces formations « réservées ».
● Rester en SEGPA qualifiante
Les élèves de SEGPA peuvent rester en SEGPA qualifiante ou être
accueillis en EREA65 pour préparer un CAP dans le cadre de l’adaptation.
Ce type de solution est destiné aux élèves les plus en difficulté et les
plus « fragiles ». Il
n’existe pas de SEGPA qualifiante dans le
département.
● S’orienter vers l’apprentissage
Les élèves peuvent intégrer la voie de l’apprentissage, basé sur le
principe pédagogique de l’alternance. Deux formes sont possibles :
◦ Les formations intégrées. Elles sont ouvertes dans le cadre très
large de la MGI (Mission générale d’insertion) dans les collèges ou
lycées professionnels qui adhérent à un GRETA (Groupe
d’établissements publics intervenant dans le dispositif de la
formation permanente), au bénéfice « des élèves qui ne peuvent pas
ou ne souhaitent pas poursuivre leur scolarité dans le cadre
classique et qui ne sont plus soumis à l’obligation scolaire ». Au cours
d’une première année, les jeunes sont sous statut scolaire, au cours
des deux années suivantes ils sont sous statut professionnel
bénéficiant d’un contrat de qualification ou d’un contrat
d’apprentissage.
◦ L’apprentissage en CFA (Centre de formation d’apprentis) public
ou privé.
● Bénéficier d’un suivi en CIPPA
65
EREA : Etablissement régional de l’enseignement adapté
103
Les élèves peuvent bénéficier des mesures de suivi et d’insertion
offertes à tous les élèves qui ont besoin d’aide pour s’insérer
professionnellement, qui sont en voie de marginalisation et qui sont sortis
du système scolaire depuis moins d’un an. Volontaires, sans diplôme, sous
statut scolaire, ils sont accueillis en CIPPA (Cycles d’insertion
professionnelle par alternance, créés à partir de 1986). Ces CIPPA sont
implantés dans les lycées et regroupent des classes de 15 jeunes, leur
proposant 16 semaines de formation et 16 semaines de stages en
entreprises sous la responsabilité d’animateurs-CIPPA, fonctionnaires de
l’Education nationale.
● Entrer dans la vie active
Les élèves peuvent entrer dans la « vie active » ; c’est évidemment une
solution intéressante, à condition qu’elle ne soit pas aléatoire ou
éphémère. Si tel est le cas, ce qui est fréquent, l’adolescent rejoint
l’importante catégorie des jeunes sans qualification et sans travail. Il
peut cependant être « récupéré » par le dispositif de la MGI.
Au delà de ces possibilités de parcours après la troisième, analysons à
partir des résultats d’enquêtes (menées au niveau national et
départemental) quelle est la traduction sur le terrain des orientations
des élèves de SEGPA.
3.4.2- Le devenir des élèves scolarisés en troisième SEGPA
3.4.2.1- Au niveau national66
Selon les résultats de l’enquête, 25 208 élèves étaient scolarisés en
troisième SEGPA en 2005.
66
Direction générale de l’enseignement scolaire. Ministère de l’Education nationale, de
l’enseignement supérieur et de la recherche. Enquête nationale 2006. Le devenir des élèves scolarisés
en troisième SEGPA en 2004-2005.
104
Graphique 3 :Evolution du devenir des élèves sortant de
3ème SEGPA de 1999 à 2005.
60
LP
50
CFA
40
EGPA
30
MGI
20
Autres solutions
10
Situation inconnue
0
1999 2000 2001 2002 2003 2005
La comparaison avec les résultats des enquêtes précédentes montre une
progression sensible des élèves sortant de troisième SEGPA accédant à
une formation professionnelle qualifiante de niveau V, surtout vers les
lycées professionnels. Nous sommes passés de 31,74% en 1999 à 51,46%
en 2005. Cette évolution, indéniablement positive, marque la volonté de
l’Education nationale à développer des solutions d’orientation pour ces
jeunes en augmentant l’offre des places des CAP « réservées » au sein
des lycées professionnels. Elle permet d’affirmer une tendance à la
convergence des trajectoires scolaires des élèves issus de SEGPA.
Il convient d’apporter quelques précisions sur les autres courbes :
-
-
-
La poursuite en formation qualifiante en SEGPA a fortement
diminué depuis 1999. Elle concerne 5,95% des sortants en 2OO5,
contre 18,3% en 1999. Pour précision, ne sont pas comptabilisés les
élèves qui ont redoublé.
La courbe des « autres solutions » matérialise le nombre des
élèves qui ont trouvé un emploi, qui ont été orientés dans le
secteur médico-éducatif, ou en Maison familiale rurale.
Il est à noter que la courbe des « situations inconnues » augmente
légèrement. Elle est passée de 4,74% en 1999 à 6, 05% en 2005.
105
3.4.2.2- Au niveau départemental
Les résultats présentés sont issus d’une évaluation réalisée par
l’Académie 67. Le nombre de troisièmes SEGPA en 2003 atteignait 211
élèves pour le département.
Graphique 4 : Le devenir des élèves en fin de troisième en 2003
2,9
14
LP
2,8
42,2
3,3
CFA
EGPA
MGI
Autres solutions
Situation inconnue
36,8
La comparaison entre les résultats départementaux et nationaux n'est
pas évidente car la catégorisation adoptée n’est pas identique et les
années de référence ne sont pas les mêmes. Cependant, nous pouvons
dégager quelques tendances :
-
la comparaison confirme l’orientation majoritaire des élèves de
SEGPA vers les lycées professionnels et centres de formation
d’apprentis. En Touraine, c’est plus de 81% des jeunes qui sont
concernés par ce type d’orientation, contre un peu plus de 72% au
niveau national. La part d’orientation vers les CFA est donc
beaucoup plus forte. Les raisons proviennent sans doute du
dynamisme important de ce secteur de formation dans le
département. Cette situation peut aussi trouver sa signification
dans la configuration géographique du département. Les élèves de
l’agglomération ville moyenne sont massivement orientés vers les
67
Académie - Département d’Indre-et-Loire- Contribution au programme académique 2003-2006 –
Evaluation du fonctionnement des SEGPA du département - janvier 2004.
106
lycées professionnels. Les zones de recrutement des SEGPA sont
larges et une bonne moitié des élèves de SEGPA sont issus du
monde rural dont les acteurs privilégient - sans doute pour des
raisons de proximité géographique et pour des motifs culturels - la
solution de l’apprentissage auprès de l’artisanat et du commerce de
proximité. Le nombre de Maisons familiales rurales est par ailleurs
important dans le département : leur création semble répondre au
projet de certains jeunes issus des SEGPA. Elle peut s’expliquer en
outre par un retard d’adaptation des lycées à mettre en place des
formations adaptées pour accueillir ces jeunes. Ce retard semble
toutefois se résorber puisque entre 2002 et 2003, les
orientations vers les lycées professionnels sont passées de 34,3%
à 42,2%.
3.4.2.3- L’affectation des élèves en LP par groupe de spécialité en
Touraine
Au niveau du département la répartition par secteur professionnel
s’organise autour de cinq grands pôles :
-
la métallerie ;
la menuiserie ;
la biotechnologie, alimentation et hygiène des locaux ;
le tertiaire (vente) ;
l’horticulture.
Les offres restent peu variées et il serait sans doute bon de réfléchir à
l’ouverture de nouveaux CAP ou à une meilleure répartition des CFA sur le
territoire départemental.
107
3.4.2.4- Le devenir des troisièmes SEGPA du collège Ferré en 2002 et
2003
Cette évaluation s’effectue sur un effectif total de 53 élèves (24 élèves
en 2002 et 29 élèves en 2003).
Graphique 5 : Devenir des élèves de 3éme SEGPA du collège
Férré
14
12
10
2002
8
6
2003
4
Sans solution
Vie Active
MGI
MFR
CFA
LP
0
Maintien en
3ème
2
A Ferré, le projet professionnel fait l’objet d’un travail en profondeur
puisque sur les deux années de référence, près de 90% des élèves
poursuivent leur trajectoire scolaire vers une formation qualifiante de
niveau V en lycée professionnel et CFA, avec un rééquilibrage pour l’année
2003 vers une orientation en lycée professionnel. Ce constat paraît
logique du fait de l’implantation du collège en zone urbaine.
M. T, directeur de la SEGPA, affirme : « 60 à 70% des élèves orientés
obtiennent le CAP. Sinon, ils redoublent ou entrent dans la vie active.
Quelques titulaires du CAP, principalement des jeunes filles, continuent
ensuite vers le BEP et exceptionnellement vers le baccalauréat
professionnel. Les élèves orientés en apprentissage (CFA) obtiennent
pour 50% le CAP. Si ce n’est pas le cas, ils peuvent retenter une
troisième année ou plus généralement entrer dans la vie active. » Cette
remarque n’est pas vérifiable statistiquement car elle ne repose pas sur
un suivi de cohorte formalisé. Il s’agit davantage de la récolte
d’informations éparses provenant des proviseurs des lycées d’accueil et
108
des retours des anciens élèves qui viennent rendre visite à leurs anciens
enseignants.
D’une manière générale, les chiffres présentés montrent une tendance
plutôt positive en matière d’orientation des jeunes après la troisième. Il
convient de souligner cette évolution car elle participe à une
revalorisation de la filière voulue par les textes de loi, volonté qui porte
ses fruits en terme d’efficacité sur le terrain.
Cependant, ces courbes et statistiques doivent être pondérées car elles
ne rendent compte que d’une partie de la réalité vécue par les élèves.
3.4.2.5- Ce que ne doivent pas occulter les chiffres
Au-delà des chiffres se cache la réalité des trajectoires personnelles
des élèves. Tout d’abord, « l’embellie » en terme d’orientation des jeunes
à l’issue de la troisième n’illustre pas les orientations réalisées avant la
troisième vers le secteur médico-éducatif par exemple, ni les arrêts de
formation. André Hussenet et Philippe Santana précisent dans leur
rapport68 que seuls les trois quarts des élèves atteignent la classe de
troisième. Ce sont donc près de 25% des collégiens qui disparaissent de
ce cycle. Il s’agit là d’un premier facteur de pondération à la lecture des
résultats présentés.
Le deuxième élément est l’analyse des chiffres concernant les jeunes qui
n’entrent pas dans les parcours construits que sont les lycées
professionnels et les CFA. Si nous faisons une lecture non pas en terme
de pourcentage, mais en terme d’individus qui sont « sans solution »69, que
constatons nous pour chaque échelon étudié ?
68
André Hussenet et Philippe Santana. Le traitement de la grande difficulté scolaire au collège et à la
fin de la scolarité obligatoire. Ministère Jeunesse-éducation-recherche. Novembre 2004. Rapport n°
13. page 52.
69
Nous avons regroupé l’ensemble des jeunes n’appartenant à la catégorie LP, CFA, autres solutions
et vie active.
109
Tableau 12 : Les orientations des « sans solution » à l’issue de la
troisième SEGPA
Echelon d’analyse
National (2005)
Départemental (2003)
Collège Ferré (2003)
%
17,52
14,170
13,7
Effectif
4417
30
4
Ce sont donc 4 417 jeunes qui, a priori, sortent du système sans
qualification, qui se retrouvent donc sans accompagnement et sans
véritable projet d’intégration professionnelle.
Le troisième élément à prendre en compte est le suivant : l’entrée en
formation ne préfigure pas automatiquement l’obtention du diplôme. Les
données du rapport sur la grande difficulté scolaire déjà cité71 sont
éloquentes :
-
« 60% quittent la formation initiale au niveau VI et Vbis, 37,5%
atteignent le niveau V (CAP-BEP) et 2,5% le niveau IV,
23% obtiennent un diplôme, 21% CAP-BEP, 1% le brevet et 1% le
bac. »
Le dernier élément, fortement corrélé aux précédents, constitue
l’aboutissement du projet du jeune : c’est l’accès à l’emploi. Nous avons
peu d’éléments chiffrés sur le public SEGPA, mais nous pouvons malgré
tout le resituer dans le contexte général de l’emploi en France et du lien
étroit qui existe entre la grande difficulté scolaire et le chômage. Nous
pouvons dégager des corrélations confirmées par plusieurs enquêtes dont
fait état le rapport sur la grande difficulté scolaire72.
La première est le lien étroit entre le niveau de formation et le chômage.
Dans ce cadre, le fait le plus préoccupant est le maintien depuis 1995 des
sorties sans qualification à environ 8% d’une génération (60 000
individus)73. L’auteur de l’enquête ajoute : « Cette population considérée
70
Nous avons arbitrairement choisi de joindre à cette catégorie les jeunes redoublants et ceux qui ont
été orientés vers le secteur médicosocial car nous avons considéré que ces orientations n’étaient pas
positives et que le redoublement était la solution proposée en l’absence d’une autre.
71
Ibid 68.
72
Ibid 68-71.
73
M. Kherroubi. Que sait-on de l’impact des situations défavorisées sur la trajectoire scolaire des
enfants ? Carré des Sciences. Ministère de la Jeunesse, de l’Education nationale et de la Recherche.
110
comme très peu « employable » par les employeurs, éprouve beaucoup de
difficultés à s’insérer professionnellement et socialement. Rappelons
qu’en 1970, le taux de chômage des sans-diplômes de moins de 25 ans
était de 2,4% alors qu’il était de 44,8% en 1998. ». Selon l’enquête emploi
de l’INSEE de 2003, cinq ans environ après la sortie de formation
initiale, la situation professionnelle des jeunes est fortement contrastée
selon le niveau de sortie. Les jeunes sortis avec le DNB74 ou moins sont
quatre fois plus nombreux au chômage que les diplômés du supérieur, et
deux fois plus que les titulaires d’un CAP ou BEP.
Le lien entre le niveau de formation et les emplois obtenus est aussi une
donnée repérée par l’enquête INSEE 2003. Elle permet d’observer que
56% des jeunes sans diplôme ou simplement titulaires du DNB ou CFG75
ont trouvé un emploi et occupent les places suivantes :
-
28% comme employé ou ouvrier qualifié ;
19% comme employé ou ouvrier qualifié ;
8% dans une profession intermédiaire ou comme artisan
commerçant, agriculteur ;
1% dans la catégorie professions supérieures et chefs
d’entreprise.
Le niveau de formation ne délimite pas seulement la nature de l’emploi
auquel le jeune peut accéder, mais également le revenu.
Ces analyses permettent d’avoir une vue générale du devenir des élèves
de SEGPA. Elles renvoient aussi à la problématique de la reproduction
sociale des inégalités, dans le sens où nous avons déjà évoqué que l’élève
de SEGPA est issu d’une famille très marquée socialement et
culturellement. Les perspectives d’avenir présentées peuvent concourir à
perpétuer durablement ces inégalités. Dans le même temps, l’évolution
positive des conditions d’orientation post-SEGPA peuvent être des
éléments de revalorisation du destin social de ces jeunes. Cependant, les
effets stigmatisants des trajectoires scolaires limitent les possibilités
qu’ont les jeunes de s’inventer un avenir plus radieux. C’est ce que nous
allons tenter de montrer à partir des exemples d’orientation que nous
avons pu recueillir au cours de notre travail de recherche.
74
75
Diplôme national du brevet.
Certificat de formation générale
111
3.4.3- Des orientations plus subies que choisies
Nous avons pu réaliser cinq entretiens auprès de jeunes qui avaient quitté
la troisième SEGPA, en 2003. Au moment des entretiens, leurs situations
étaient les suivantes :
-
Arielle est au lycée professionnel B et prépare un CAP Agent
polyvalent de restauration ;
Amélie est en CIPPA pour tenter de définir son projet ;
Cécilia prépare un CAP Petite enfance dans une école privée à
Paris ;
Didier est en apprentissage et prépare un CAP Paysagiste au CFA
de F ;
Jean est en lycée professionnel et prépare un CAP Métallerie
serrurerie.
Ce petit panel reflète assez bien les possibilités d’orientation
décrites dans le chapitre précédent. Nous traiterons ce sujet en
tentant de répondre à trois questions :
-
Comment ces jeunes ont-ils vécu leur orientation à la fin du cycle
SEGPA ?
Comment vivent-ils leur situation actuelle ?
Comment voient-ils leur avenir ?
3.4.3.1- L‘orientation en fin de troisième : un sentiment de ne pas avoir le
choix
C’est le cas d’Arielle qui déclare, évoquant son orientation : « quand on
sort de SEGPA, on n’a pas trop le choix ». Amélie tient aussi des propos
teintés d’un profond sentiment d’injustice et de dévalorisation : « Moi, on
ne peut pas trop dire qu’on m’a proposé grand-chose, je voulais faire un
apprentissage mais on m’a trouvé trop nulle pour en faire un. On m’a dit
un apprentissage, ça ne marchera pas, laisse tomber. En gros, j’étais
nulle. » Cécilia renchérit : « À la fin de la troisième, on m’a proposé de
faire du service, préparer des plats pour les collectivités, mais c’était
nul. Il y a rien quand on sort de SEGPA, il n’y a pas grand-chose. On peut
pas aller dans un truc normal. De toute façon, on le savait. »
112
Pour les deux garçons, ce temps de l’orientation a été vécu d’une manière
moins négative, dans le sens ou le projet professionnel était plus
clairement défini et investi. Ils étaient motivés par l’orientation proposée
et ont choisi cette orientation pour apprendre un métier, pour pouvoir
travailler.
La motivation de Didier pour le paysagisme est claire, déterminée, et le
choix du statut de l’apprenti correspond à ses attentes. Plus que les
autres, il fait partie de ces jeunes qui ne sont jamais rentrés dans les
logiques scolaires. Pour reprendre les propos de B. Charlot76, « ce sont
des jeunes qui d’une certaine façon, ne sont jamais entrés à l’école ».
D’ailleurs, à la question : « L’école, c’est important pour toi ? », Didier
répond catégoriquement : « Non. Ca ne sert à rien. L’important, c’est de
travailler. » Didier montre un bel exemple de projet professionnel
construit durant le cycle SEGPA. Il raconte comment grâce aux stages
réalisés il a pu dévier de son orientation initiale, puisque dans le collège il
était en section menuiserie : « Comme j’avais un terrain de pêche, j’ai fait
plusieurs trucs là-bas et ça m’a plu. Et en quatrième SEGPA, on faisait
des stages et puis j’ai choisi ça. Et puis après, on en a fait un autre. Ces
deux stages ont duré 15 jours chacun, et mon maître de stage de l’époque
est devenu mon patron actuel. »
La présence des parents de Jean durant l’entretien n’a pas permis d’aller
plus loin dans l’investigation sur ce sujet. Nous avons le sentiment qu’il
fait preuve de passivité face à son orientation, d’une certaine
résignation, comme s’il n’avait pas eu le choix du fait de ses difficultés
scolaires. Nous n’avons pas senti de désir manifeste d’exercer le métier
choisi.
Pour les trois filles interviewées, le sentiment qui prédomine est celui
d’appartenir à une filière dévalorisée, de relégation, qui ne permet pas de
construire un projet positif. Arielle nous le confirme : « En SEGPA, on n’a
pas le niveau en cours général assez élevé ». D’ailleurs, dans leurs propos,
nous remarquons que ce n’est pas leur projet mais plutôt celui de
l’Institution scolaire. Elles utilisent le « on » comme si elles se sentaient
dépossédées de leur avenir, « on m’a proposé ». Pour Amélie, c’est un
sentiment d’injustice , d’humiliation qui est mis en avant : « En gros,
76
B. Charlot, Le rapport au savoir en milieu populaire, Paris, Anthropos, 1999, p. 149.
113
j’étais trop nulle, donc en fait, c’est ça qui m’a perdu car je me suis mis
dans la tête que j’étais nulle. »
Nous constatons aussi que les projets, pour les filles, sont moins
clairement définis que pour les garçons. Arielle ne savait pas trop quoi
faire à la sortie troisième. Elle a pris cuisine car c’était son option au
niveau des ateliers SEGPA. Elle regrette de n’avoir pas pu réaliser des
stages dans d’autres champs professionnels : « Au collège, on devait
obligatoirement réaliser des stages en cuisine et au lycée, c’est pareil
donc on ne peut pas voir d’autres choses. On m’a mis dans une voie, je n’ai
pas réellement choisi. Après la troisième, au moment de l’orientation,
j’aurais préféré aller dans le service. »
Ce sentiment de dévalorisation, nous le constatons, est associé à celui de
la résignation. C’est le cas de Jean, d’Arielle et, dans une certaine
mesure, d’Amélie. Voyons comment chacun a réagi après l’expérience des
deux années post-collège.
3.4.3.2- Deux ans après, des situations et des positions contrastées
Nous, nous attarderons peu sur les deux garçons car pour eux, cela paraît
simple. Didier est en deuxième année d’apprentissage. Son patron semble
content de lui. Il participe à tous les travaux, c’est une petite entreprise
de 11 salariés et il est le seul apprenti. Au niveau de la formation, ils sont
15 dont deux filles, et ils proviennent majoritairement de SEGPA. Il
reconnaît que les résultats sont moyens : « Je ne sais pas si j’obtiendrai
mon CAP. La pratique, c’est sûr mais le reste… Le français, c’est
difficile. » Cela ne semble pas le gêner : dans sa conception, c’est la
pratique qui est valorisée.
Pour Jean, la formation se passe sans trop de difficultés. Ils sont 11
garçons dans sa classe, tous issus de SEGPA ou CIPPA. Il nous dit avoir la
moyenne, sans plus. Ses parents, très présents et mécontents du travail
accompli au niveau de la SEGPA, ont décidé de solliciter la tante de Jean
qui est professeur pour lui donner des cours de soutien chaque mercredi.
Jean nous avoue un peu honteusement lors de l’entretien : « En sortant
du collège, je ne savais pas faire les divisions. » Il pense obtenir son CAP
et cet entretien nous a donné l’impression que sa motivation pour cette
profession était avant tout une réponse au souhait de son père qui est
ouvrier qualifié en chaudronnerie. D’ailleurs, son stage d’orientation en
114
SEGPA fut réalisé dans l’entreprise où travaille son père. La motivation
pour cette orientation semble donc essentiellement liée à une référence
familiale pour le secteur industriel.
La réaction d’Arielle et Amélie, dans une moindre mesure, correspond
davantage à de la résignation face à ce qu’elles vivent aujourd’hui. Arielle
est dans une classe ou les jeunes proviennent très majoritairement de
cycles particuliers. Ils sont issus de troisièmes d’insertion, de CIPPA, «
de trucs comme ça » pour reprendre ses propos. Seule une élève provient
du cycle général. Pour elle, les résultats sont corrects mais elle n’est pas
en mesure de nous donner sa moyenne « Dans certaines matières, je ne
connais pas ma moyenne, l’école ne l’a pas encore donnée ». Elle passe
l’examen au mois de juin et elle se trouve bien dans ce lycée. Par contre,
elle n’est plus très sûre d’elle au niveau de son choix d’orientation : « La
cuisine, ça ne me plaît pas trop, ça ne me plaît plus trop. J’aurais préféré
cuisine traditionnelle mais je n’ai pas du tout le niveau. J’avais une copine
qui y était, et c’était difficile. Ceux qui sortent de SEGPA ont un niveau
bas : on ne peut pas. »
Amélie a intégré une CIPPA. Selon ses dires : « Ca ne m’a pas servi à
grand-chose, on fait des cours de maths, d’histoire. En fait ça ne sert
pas à grand-chose la CIPPA. J’ai fait des stages en grande surface, en
animalerie et boulangerie. » Elle semble un peu perdue et nous touchons
ici à une histoire personnelle et à un vécu familial qui dépassent la simple
problématique de l’orientation scolaire.
Pour ces deux jeunes, nous constatons une forme de résignation quant à
leur situation actuelle. Les parents sont peu présents, voire absents dans
la tentative de leur enfant de se construire un projet professionnel.
Toutefois, elles ne se révoltent pas par rapport aux décisions que les
agents de l’Institution scolaire semblent avoir prises pour elles. Ayant
connu, tout au long de leur trajectoire scolaire, des contextes
d’enseignement stigmatisé, elles ne pensent pas pouvoir prétendre à
autre chose, elles vivent leur orientation dans une insatisfaction relative,
mais de façon passive. Elles critiquent volontiers les mécanismes
d’exclusion, de relégation, qu’elles ressentent avoir vécus, mais se
contentent de subir cet état, sans être capables de faire la part de ce
qui relève de la responsabilité de l’école, des enseignants et de la leur,
sans avoir, a priori, les ressources pour inverser ce processus. Elles se
posent en position victimaire.
115
Ce n’est pas le cas de Cécilia qui, au sortir de la troisième n’a pas accepté,
son orientation et a développé des stratégies pour modifier la pente de
sa trajectoire. Son histoire mérite d’être relatée. A la fin de la troisième
SEGPA, le projet proposé était faire du service, de préparer des plats
pour les collectivités, mais elle trouvait ça « nul ». Elle a donc rencontré
un conseiller d’orientation qui ne lui rien proposé de bien concret. C’est
alors qu’entre en scène une tante qui habite à Paris et exerce au sein de
l’Education nationale. Elle décide de prendre en charge l’avenir
professionnel de sa nièce. Voici un extrait de l’entretien qui relate les
principales étapes de son expérience depuis son départ de la SEGPA : «
Donc toi, après la troisième, tu as préféré refaire une autre
troisième car tu ne trouvais pas ce que tu voulais faire ?
Oui, c’est ma tante qui me l’a trouvé, car elle est dans l’Education
nationale. Elle m’a dit : « Ce serait mieux que tu fasses une troisième
d’insertion pour rattraper le niveau. » Elle m’a emmené dans un centre
d’orientation privé pour savoir ce que l’on peut faire plus tard.
Au collège, on ne t’a pas proposé une troisième d’insertion ?
LA MAMAN : Non. C’était faire un apprentissage. Le conseiller
d’orientation qu’elle avait vu ne proposait pas grand-chose. A Paris, ils lui
ont fait passer pas mal de tests.
CECILIA : Et c’est là qu’ils m’ont dit, que je pourrais me diriger vers la
petite enfance, mais je le savais déjà.
J’avais dit à ma tante : « Petite enfance ça me plairait bien ». Et puis là,
ils m’ont dit : « Petite enfance, ça vous correspond ». J’avais déjà ça un
petit peu dans ma tête mais je ne savais pas trop.
Le départ sur Paris, en troisième d’insertion, ça n’a pas dû être
évident ?
Non, je travaillais tout le temps 24 heures sur 24 pour rattraper le
retard.
Et dans ta classe, il y en a beaucoup qui viennent de troisième
d’insertion ?
Oui, pas mal, mais personne n’a fait SEGPA. De toute façon, normalement
quand on sort de la SEGPA, on ne peut pas aller en CAP Petite enfance.
Pour entrer, on passe un entretien et ils regardent nos notes et bulletins
de la troisième. »
116
Cet extrait met en exergue avec quel acharnement Cécilia s’est battue
pour se sortir d’une orientation qu’elle ressentait comme inadaptée pour
elle, qui était sans doute perçue comme une voie de garage. Cette
inversion de trajectoire est rendue possible grâce à l’intervention de la
tante qui connaît les arcanes de l’orientation et qui a décidé, y compris
matériellement, d’assurer l’accompagnement de sa nièce dans son cursus
actuel. Nous sentons poindre un sentiment de fierté chez Cécilia
lorsqu’elle nous dit qu’en CAP Petite enfance, il ne peut y avoir de SEGPA.
Comme si c’était un soulagement pour elle ne plus en faire partie, de ne
plus être perçue comme stigmatisée, en grande difficulté scolaire. Sa
motivation est immense mais au prix de sacrifices énormes en terme de
changement de vie : elle ne rentre qu’une fois tous les 15 jours chez sa
mère. De plus, son rythme de travail est proche du stakhanovisme :
« Je travaille tout le temps. Je fais des cours de soutien en français car
la dyslexie n’a pas disparu. Je vais chez une personne à Paris, on refait
toutes les bases. C’est une grand-mère qui faisait l’école avant. De plus, le
mardi et le jeudi, j’ai orthophoniste, je rentre à 8 heures chez ma tante.
Je fais mes devoirs, je ne regarde jamais la télé. Le mercredi, je vais
chez mémé faire les cours de soutien. Je rentre à 18 heures, je fais mes
devoirs. Le samedi et le dimanche, je travaille mes cours. C’est
intensif ! »
Et sa mère d’ajouter : « Elle était très dyslexique, c’est pour ça que ça l’a
bloquée. Elle a eu un blocage psychologique, c’est ce que nous avait dit le
SIRP. Elle n’a pas eu tout de suite une aide en orthophonie. Il y avait sans
doute pas de place. Elle a été suffisamment malheureuse de ne pas avoir
trop d’amies, elle voyait qu’elle n’avait pas beaucoup de relations. »
Nous sentons ici la douleur de la maman, et l’espèce d’euphorie de Cécilia
à nous montrer ses bulletins trimestriels pour nous montrer comme ses
résultats sont brillants. Les notes sont en effet satisfaisantes : 12 en
français. Les appréciations sont élogieuses. Cécilia semble heureuse, son
narcissisme restauré, elle semble avoir dépassé « le stigmate
intellectuel » qu’elle vivait du temps de sa scolarisation en SEGPA.
3.4.3.3- Une présentation descriptive des avenirs
Nous souhaiterions terminer ce chapitre par ce qu’ont pu nous dire ces
jeunes sur la perception de leur avenir. Nous resterons au stade
117
descriptif car les éléments de réponse dont nous disposons ne nous
permettent pas d’en faire une analyse très poussée.
Cécilia tout d’abord qui, dans son désir retrouvé d’apprendre, souhaite
ardemment poursuivre ses études. Elle veut enchaîner après son CAP,
avec un BEP Sanitaire et social ou aide-puéricultrice. Elle s’est déjà
renseignée pour accéder à cette fonction : « Il faut passer un concours
et ensuite on entre dans une école et puis comme ça on le prépare
pendant un an ». Elle est très ambitieuse car elle souhaiterait être
directrice d’une crèche. Elle revendique haut et fort : « Je n’ai pas envie
d’être femme de ménage. De toutes les manières, dans le secteur de la
petite enfance, il y a du travail. » Ce désir exacerbé de réussir ne peut
être compris qu’au regard de sa trajectoire scolaire antérieure, sans
doute vécue comme très douloureuse pour son estime de soi. Nous
espérons qu’elle ne place pas la barre trop haut car en cas d’échec, la
désillusion risque d’être difficile à supporter.
Le souhait de Didier est que son patron l’embauche à l’issue de son
contrat d’apprentissage. Il ne souhaite pas poursuivre ses études, comme
il dit : « Non, j’en ai marre. Je veux bosser pour avoir de l’argent. Je
veux prendre mon autonomie, avoir mon appart. » Il ne semble pas
désarmé : en cas de non embauche, il est tout à fait prêt à quitter la
Touraine pour aller vers le travail. Pour lui, ce qui prime c’est le travail et
la liberté que cela apporte en terme d’autonomie financière.
Pour Jean, nous sommes dans la même configuration que Didier, à la
nuance près que c’est l’école qui ne souhaite pas qu’il poursuive sa
formation : « Les profs m’ont incité à arrêter ma scolarité après le CAP,
car ce serait trop dur après. »
Arielle est beaucoup plus dans l’indécision. Elle ne sait pas si elle doit
poursuivre ses études. Elle ne pense pas trop au travail, elle a
actuellement un copain et pour elle son avenir, « c’est toujours être avec
mon copain, avoir un boulot stable pour fonder une famille. » Lorsqu’elle
évoque le travail, elle ne sait pas trop : elle espère un emploi qui
l’intéresse mais elle ne sait pas dans quoi. Elle illustre son propos par
l’expérience de sa sœur : « Ma sœur, elle a été à fond dans la vente,
maintenant elle se retrouve dans le bâtiment. Peut-être que moi, je vais
me retrouver je ne sais pas où ? Je prendrai ce qu’on me donne. »
118
Enfin, pour Amélie, la priorité est de vivre le présent. Elle s’est construit
un réseau d’amitié important, elle sort beaucoup, rêve d’une famille idéale
mais sa réalité l’a entraînée vers des hospitalisations pour tentatives de
suicide. Lorsqu’elle évoque son avenir, elle évoque d’abord la vie
affective : « Fonder une famille et être indépendante de ma mère. Je n’ai
pas trouvé encore le bon garçon. » Quant à ses projets professionnels,
elle paraît peu affirmative sur les motivations qui l’animent : « Ben, heu…
Je vais faire ce que j’ai toujours fait : chercher du travail pour pouvoir
partir de chez ma mère. Si je trouve rien, je pars avec mon oncle une
année, il est forain et il a du travail. » Elle ajoute dans la même phrase :
« Ca me plairait, mais pour les relations amoureuses, si je veux construire
quelque chose, ce n’est pas là-bas que je pourrai. On change tout le temps
d’endroit ; à moins qu’il y ait un homme qui veut bien partir avec moi. C’est
très rare. » Amélie est particulièrement envahie par sa situation
familiale et ses préoccupations pour l’avenir sont plus d’ordre affectif,
familial, que professionnel.
Au terme de ce chapitre et pour synthétiser nos propos, nous pouvons
dégager quelques grands traits caractéristiques relatifs à ces jeunes :
-
-
-
Ils « n’entrent jamais à l’école », pour reprendre la citation de B.
Charlot ; sauf peut-être pour Cécilia.
L’orientation en lycée ou CFA semble être vécue d’une manière plus
positive que l’orientation en SEGPA. Ce sont des grandes
collectivités, le secteur professionnel est valorisé et le rapport au
savoir des populations de ces établissements se rapproche malgré
tout de celui des SEGPA. Enfin, les CAP réservés au SEGPA
semblent moins stigmatisés que la filière du collège, du fait d’un
accueil plus diversifié dans ces CAP.
Pour certains, le travail, les stages, la recherche d’un métier sont
plus concrets et plus motivants que le travail scolaire.
Au cœur de l’expérience de ces jeunes, on trouve souvent un
sentiment d’humiliation, de dévalorisation qui engendre une forme
de souffrance , laquelle se traduit par une résignation, une
passivité ou une hyperactivité.
Ils ont souvent l’impression d’avoir été intégrés à une filière de
relégation qui n’offre pas beaucoup de solutions d’orientation.
Ils pensent que l’on décide pour eux de leur parcours scolaire,
qu’ils n’ont pas le choix, ou seulement à la condition d’efforts
immenses.
119
-
La CIPPA est considérée comme une voie inutile et bouchée.
Tous ou presque considèrent leur avenir comme marqué
d’incertitudes ou restant dans le domaine du souhait, du désir, de
l’imaginaire…
120
CONCLUSION GENERALE
S’intéresser aux jeunes ayant connu une scolarisation en SEGPA, c’est se
placer du côté des vaincus du système scolaire77, « de ceux que l’on
n’entend guère parce que l’échec scolaire est si lourd à assumer qu’ils
sont conduits à la culpabilité silencieuse ou violente. »
A partir de l’analyse des trajectoires scolaires des élèves de SEGPA,
nous avons tenté d’éclairer les logiques et les processus qui sous-tendent
ces parcours. Ceux-ci ont été orientés en fonction de nombreuses
interactions : famille-école, entre pairs, élèves-professeurs, mais aussi à
partir de la construction sociohistorique de la catégorie « élèves en
difficulté », du contexte général de l’éducation et des logiques
institutionnelles qui en découlent. Enfin, dans l’étude de ces trajectoires
doit aussi entrer en ligne de compte le contexte socio-économique actuel.
Les familles des collégiens dont il est ici question proviennent
majoritairement des classes populaires et connaissent des situations de
forte précarité économique. Les jeunes interrogés évoluent parmi des
personnes faiblement dotées culturellement et scolairement. Ce premier
constat renseigne sur le lien étroit qui existe entre milieu familial et
carrière scolaire dévalorisée, et constitue donc un premier facteur
d’inégalité sociale face à la scolarisation.
L’étude de la dimension scolaire et institutionnelle des parcours fait
apparaître que ces derniers sont aussi une cause de l’échec scolaire. Les
trajectoires scolaires étudiées, sans exception aucune, montrent que les
élèves sont passés par des difficultés précoces et importantes dans les
apprentissages scolaires, de nombreux changements d’établissement, des
prises en charge rééducatives…
L’observation des conditions d’orientation a montré que celles-ci étaient
sujettes à controverse. Elles reposent sur la construction de la catégorie
d’« élève en difficulté », catégorie dont les contours sont flous et
autorisent des interprétations évolutives selon les périodes et les
acteurs présents dans les commissions d’orientation. Comment distinguer
77
F. Dubet, L’école des chances. Qu’est-ce qu’une école juste ? Turriers, La république des idées
Seuil, 2OO4, p. 10.
121
les enfants ayant des troubles sévères empêchant une scolarité en classe
ordinaire des enfants défavorisés par leur origine sociale et culturelle ?
Le collège, centré sur des objectifs de performance et de sélection,
accueille pourtant des élèves beaucoup moins sélectionnés socialement et
scolairement : ce système ne parvient donc plus à prendre en charge les
échecs. La classe de SEGPA étant pratiquement la dernière « filière
spéciale » à l’intérieur du collège, la tentation est forte de l’utiliser
comme une filière de relégation destinée à éloigner de l’enseignement
ordinaire les élèves les plus en difficulté, et/ou les plus perturbateurs de
l’ordre scolaire, susceptibles de retarder les progressions de l’ensemble
des élèves. Les directeurs de SEGPA interrogés, au fait des procédures
d’orientation, n’ont pas caché ce constat.
La poursuite de l’analyse des trajectoires des jeunes de SEGPA a
démontré qu’une telle orientation produisait des effets de stigmatisation
et de dévalorisation de soi importants. Ces collégiens ne parvenant pas à
se conformer aux exigences scolaires attendues, l’Institution leur
renvoie la légitimité de ses classements et le sentiment de leur propre
insuffisance culturelle. La disqualification symbolique et le sentiment
d’incompétence qu’ils retirent de leur parcours scolaire se trouve vérifiés
voire renforcés à plusieurs niveaux, par :
-
-
-
la stigmatisation territoriale de l’implantation des SEGPA sur
l’agglomération ville moyenne ;
la perte de l’univers familier entre le primaire et le collège,
passage obligé mais pour lequel des conditions d’orientation
spécifiques entraînent pour les élèves de SEGPA une césure bien
plus grande que pour leurs pairs du cycle général ;
la stigmatisation scolaire provoquée par les sanctions négatives
des performances et du comportement, qui manifeste lui aussi à sa
manière un rapport particulier aux apprentissages ;
les relations avec les pairs au sein du collège, souvent empreintes
de remarques humiliantes et blessantes.
Les conséquences de ces stigmatisations façonnent d’une manière durable
l’identité des jeunes, d’autant plus que celle-ci s’est construite
quotidiennement, progressivement, de manière négative depuis le CP.
122
L’analyse du devenir des élèves de SEGPA à partir des données recueillies
au niveau national, départemental et du collège, permet d’affirmer une
tendance à la convergence des trajectoires scolaires. Dans le meilleur
des cas, c’est donc au lycée professionnel ou au CFA que les élèves de
SEGPA poursuivent leurs études après la classe de troisième. L’évolution
positive des possibilités d’orientation post–SEGPA est un élément de
revalorisation du destin social de ces jeunes. Cependant, les effets
stigmatisants
des
trajectoires
scolaires
et
les
difficultés
d’apprentissage ne permettent pas aux collégiens de choisir leur
orientation. Ils se dirigent donc souvent vers des CAP moins prisés et
offrant peu de débouchés.
Notre propos n’était pas de faire ici une évaluation critique de la SEGPA.
Ce n’est pas le dispositif en soi qui est remis en cause : à partir de
l’analyse des trajectoires des jeunes, nous avons plutôt souhaité
envisager le contexte dans lequel il évolue.
Les SEGPA s’inscrivent donc dans le contexte du collège unique, c’est-àdire dans un système méritocratique fondé sur l’égalité des chances.
Ce dernier repose sur une double affirmation : tous les élèves sont
considérés comme égaux et tous ont le droit d’espérer les positions les
plus élevées. D’un autre côté, ils sont classés, orientés et hiérarchisés en
fonction de leurs performances. La compétition scolaire les rend donc
inégaux entre eux. Ainsi, aujourd’hui, celui qui échoue apparaît comme
responsable de son propre échec : il ne peut trouver d’explication
crédible en-dehors de lui même puisqu’il a toujours été traité de manière
égale. Il s’agit là de l’une des raisons essentielles à la plus grande
stigmatisation de l’échec scolaire dans nos sociétés modernes. Les
SEGPA entrent dans cette configuration et nous avons pu mettre en
évidence le fait que les intéressés réagissaient à cette situation par le
découragement, la passivité, la résignation. En outre, certains d’entres
eux ont transformé cette culpabilité en comportements agressifs contre
l’école et les différents agents de l’Institution scolaire.
A l’opposé, celui qui réussit est convaincu d’appartenir à un groupe issu
d’une longue compétition
produite par un système juste.
123
Fondamentalement, la mise à jour de ces inégalités est un vecteur
important des rapports de domination entre les individus.
D’une part, les dominants imposent le système méritocratique car ils le
considèrent comme étant le plus juste, comme permettant à ceux qui le
méritent d’accéder à des positions sociales valorisées dans la société.
D’autre part, les dominés intériorisent l’idée qu’ils sont les seuls
responsables de leur destin scolaire et social.
Les SEGPA, au niveau du collège, peuvent être considérées comme des
modes de prises en charge et d’encadrement des « exclus de
l’intérieur78 ». Elles participent de ce fait à la légitimation de la
reproduction des inégalités sociales au sein du collège à partir de
trajectoires scolaires vécues par ces jeunes comme plus stigmatisantes
que par le passé. Au final ce qui est en jeu, c’est bien la place à la fois
scolaire, sociale et professionnelle que notre société entend faire aux
collégiens en situation d’échec massif, souvent issus des milieux très
défavorisés.
78
P. Bourdieu, P. Champagne, Les exclus de l’intérieur, P. Bourdieu (dir), la misère du monde, Paris,
Le Seuil, 1993, p.913-929.
124
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127
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Evaluation du fonctionnement des SEGPA du département - janvier 2004.
Direction générale de l’enseignement scolaire. Ministère de l’Education nationale, de
l’enseignement supérieur et de la recherche. Enquête nationale 2006. Le devenir des
élèves scolarisés en troisième SEGPA en 2004-2005.
Mission d’inspection et d’évaluation d’avril 2006, réalisée par l’inspection générale de
l’administration de l’éducation nationale et de la recherche : Le collège Pierre de Ferré
de Ville moyenne – analyse et évaluation.
128
TABLE DES MATIERES
TABLE DES PRINCIPAUX SIGLES...................................................................... 4
INTRODUCTION...................................................................................................... 5
1-LES SEGPA : DU CADRE CONCEPTUEL AUX THEORIES...................... 11
1.1 LE PUBLIC DE SEGPA AU SEIN DU COLLÈGE UNIQUE ........................................ 11
1.2 UN CONTEXTE SCOLAIRE, SOCIO-ÉCONOMIQUE ET POLITIQUE AGGRAVANT ! . 12
1.2.1 LE CONTEXTE SCOLAIRE QUI STIGMATISE LES PLUS FAIBLES .............................. 12
1.2.2 LE CONTEXTE SOCIO-ÉCONOMIQUE QUI DRAMATISE L’ÉCHEC SCOLAIRE ............ 14
1.3 LES SEGPA : LES APPROCHES THÉORIQUES ...................................................... 14
1.3.1 LÉGITIMATION DE LA REPRODUCTION DES INÉGALITÉS SOCIALES AU COLLÈGE .. 14
1.3.2 DES TRAJECTOIRES STIGMATISÉES, L’APPROCHE THÉORIQUE ............................. 16
1.4 LA MÉTHODOLOGIE : UNE COMBINAISON DE MÉTHODES................................... 18
1.5 LES SEGPA DANS LE PAYSAGE ÉDUCATIF FRANÇAIS ........................................ 21
1.5.1 DES ENFANTS « ANORMAUX D’ÉCOLE » À LA NOTION DE LA DIFFICULTÉ
SCOLAIRE .................................................................................................................... 22
1.5.1.1 Les origines et l’intérêt pour les « arriérés »................................................. 22
1.5.1.2 La Loi de 1909 et ses dérives ségrégatives .................................................... 23
1.5.1.3 L’explosion de l’enfance inadaptée de 1950 à 1970...................................... 24
1.5.1.4 Les années 1970- 80 : adaptation et intégration............................................. 25
1.5.1.5 De l’inadaptation à la difficulté scolaire : les années 90................................ 26
1.5.2 LE PROBLÈME DE LA DÉFINITION DU HANDICAP.................................................. 27
1.6 LA LUTTE CONTRE LA DIFFICULTÉ SCOLAIRE AU SEIN DU COLLÈGE UNIQUE
DEPUIS 1975 ............................................................................................................... 30
2 - LES TRAJECTOIRES SOCIOSCOLAIRES DES « SEGPA »..................... 35
2.1 LE POIDS DE LA FAMILLE DANS LES TRAJECTOIRES ........................................... 35
2.1.1 DES ÉLÈVES ISSUS DES CLASSES OUVRIÈRES ET EMPLOYÉS ................................ 35
2.1.2 DES SITUATIONS FAMILIALES FRAGILISÉES......................................................... 40
2.1.3 LA DIMENSION FAMILIALE À TRAVERS CINQ ENTRETIENS ................................... 40
2.1.4 UN FAIBLE HÉRITAGE CULTUREL FAMILIAL ........................................................ 44
129
2.1.5 LE POINT DE VUE DES ENSEIGNANTS SUR LES TRAJECTOIRES FAMILIALES .......... 45
2.2 LE POIDS DE L’INSTITUTION SCOLAIRE DANS LES TRAJECTOIRES ..................... 46
2.2.1 LES DIFFICULTÉS D’APPRENTISSAGE : UN INVARIANT DANS LES PARCOURS
ÉTUDIÉS....................................................................................................................... 47
2.2.2 L’ORIENTATION EN SEGPA, DES CRITÈRES SUJETS À INTERPRÉTATION ............. 55
CONCLUSION......................................................................................................... 67
3 – LA STIGMATISATION DES TRAJECTOIRES SCOLAIRES .................. 69
3.1 – LA STIGMATISATION TERRITORIALE DES SEGPA DANS L’AGGLOMÉRATION
VILLE MOYENNE ........................................................................................................ 69
3.1.1 – LA SEGPA FERRÉ : UNE SECTION AU SEIN D’UN ÉTABLISSEMENT BIEN PERÇU
SUR LE PLATEAU NORD DE VILLE MOYENNE ................................................................ 72
3.1.2 – L’ENTRÉE EN SEGPA : PERTE DE L’UNIVERS FAMILIER ................................... 76
3.2- L’INTÉGRATION DES ÉLÈVES SEGPA AU SEIN DU COLLÈGE FERRÉ ................ 78
3.2.1- A FERRÉ, UN EFFORT D’INTÉGRATION SPATIALE DE LA SEGPA........................ 78
3.2.2.- DU CÔTÉ DES AGENTS, DES POSITIONS ET DES POINTS DE VUE DIVERGENTS ..... 80
3.2.3- DES ACTIONS PÉDAGOGIQUES SIMILAIRES MENÉES SÉPARÉMENT ...................... 84
3.2.4- LES PAIRS, DES RELATIONS PEU FRÉQUENTES MAIS SOUVENT CONFLICTUELLES 86
3.3- DES FAIBLES PERFORMANCES SCOLAIRES ET DES COMPORTEMENTS
« ASCOLAIRES » ......................................................................................................... 88
3.3.1 – LES EFFETS STIGMATISANT DES FAIBLES PERFORMANCES SCOLAIRES.............. 90
3.3.2 – LE REGARD DES ADULTES SUR LES DIFFICULTÉS COGNITIVES DES SEGPA...... 91
3.3.3 - LA STIGMATISATION DES COMPORTEMENTS JUGÉS « ASCOLAIRES » ................ 95
3.3.3.1 – Des attitudes contraires aux normes scolaires............................................. 95
3.3.3.2 – Des comportements qui perturbent l’ordre scolaire .................................. 100
3.4- ANALYSE ET PERSPECTIVES D’AVENIR POUR LES ÉLÈVES .............................. 102
3.4.1- LES PERSPECTIVES D’ORIENTATION : CE QUE PRÉVOIENT LES TEXTES ............. 103
3.4.2- LE DEVENIR DES ÉLÈVES SCOLARISÉS EN TROISIÈME SEGPA ......................... 104
3.4.2.1- Au niveau national ...................................................................................... 104
3.4.2.2- Au niveau départemental ............................................................................ 106
3.4.2.3- L’affectation des élèves en LP par groupe de spécialité en Touraine ........ 107
3.4.2.4- Le devenir des troisièmes SEGPA du collège Ferré en 2002 et 2003 ........ 108
3.4.2.5- Ce que ne doivent pas occulter les chiffres................................................. 109
3.4.3- DES ORIENTATIONS PLUS SUBIES QUE CHOISIES .............................................. 112
3.4.3.1- L‘orientation en fin de troisième : un sentiment de ne pas avoir le choix.. 112
3.4.3.2- Deux ans après, des situations et des positions contrastées........................ 114
3.4.3.3- Une présentation descriptive des avenirs.................................................... 117
CONCLUSION GENERALE ............................................................................... 121
BIBLIOGRAPHIE................................................................................................. 125
TABLE DES MATIERES ..................................................................................... 129
130
131

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