L`imaginaire du savoir des intouchables et la
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L`imaginaire du savoir des intouchables et la
Université de Paris VIII 2, rue de la Liberté 93526 Saint Denis – cedex 02 Sheela Pimparé L’IMAGINAIRE DU SAVOIR DES INTOUCHABLES ET LA CRÉATION DES ÉCOLES COMMUNAUTAIRES De l’école à la citoyenneté Mémoire de DEA Sciences de l’Education Directeurs de recherche René Barbier Ridha Ennafaa Année 1998 - 1999 J’adresse mes remerciements à celles et à ceux qui m’ont encadré et guidé sur les aspects méthodologiques de recherche, qui m’ont prodigué leurs conseils et apporté leur expérience du thème traité et, enfin, qui m’ont aidé dans la réalisation de ce mémoire. . Sommaire 1 2 Problématique ..................................................................................................3 Hypothèses .......................................................................................................7 Le rapport au savoir et l’imaginaire social fondés sur l’imaginaire sacral L’imaginaire créateur et l’accès à la citoyenneté 3 Intouchables : Scheduled Castes (SC) .................................................. 11 3.1 L’origine du combat socio-politique pour une recherche de citoyenneté ......... 13 3.2 Mouvements contemporains de réformes sociales ......................................... 15 3.3 Mouvements ‘dalit’ ............................................................................................ 18 3.4 Recherche d’une citoyenneté ......................................................................... 19 La question juridique ......................................................................................... 27 La question de l’éducation ................................................................................ 29 La question administrative ................................................................................. 30 3.5 La marginalisation des intouchables : une interprétation sociologique ............ 32 La théorie de la culture ...................................................................................... 32 La théorie de relations de pouvoir ..................................................................... 34 La théorie de la séparation des domaines du travail et des connaissances ....... 38 4 Perspective historique de l’éducation moderne en Inde .................. 39 4.1 L’introduction de l’éducation moderne : L’éducation coloniale .......................... 40 1853 : Vers une éducation des masses ............................................................. 43 1882 : Création de la Commission d’Education en Inde ..................................... 45 1902 : Création de l’Indian Universities Commission ........................................... 45 L’imaginaire du projet éducatif colonial .............................................................. 46 4.2 L’émergence d’une vision nationale sur l’éducation ......................................... 48 Le premier projet éducatif de la Nation indienne (1937) ..................................... 53 Le premier projet éducatif de l’Inde indépendante (1947) .................................. 55 4.3 La modernisation du pays : l’adaptation du Projet aux ambitions de la Nation .. 60 La définition du Concept National d’Education de base .................................... 61 En marche vers l’industrialisation : une nouvelle politique éducative (1968) ...... 66 L’imaginaire du concept Gandhien de l’éducation de base : En quoi le nouvel imaginaire s’oppose-t-il à celui de Gandhi ? ....................... 68 La National Policy on Education (1986) ............................................................ 71 5 Le Rural Development Trust .................................................................... 79 La mission du Rural Development Trust (RDT) .................................................. 83 Sa motivation et son inspiration ........................................................................ 84 Son approche devant les réalités sociales actuelles ......................................... 86 Sa mission sociale ............................................................................................ 87 Le sens d’une action volontaire ........................................................................ 89 Sa zone géographique d’intervention : Anantapur ............................................ 91 Sa population cible :les mala d’Anantapur ........................................................ 93 5.1 Les grandes étapes de l’histoire de l’organisation ......................................... 101 5.2 L’historique de l’action éducative de RDT ....................................................... 108 6 Conclusion ................................................................................................. 121 Annexe ........................................................................................................... 126 Présentation du chercheur ............................................................................. 130 Méthodologie de recherche ............................................................................ 134 Bibliographie ................................................................................................... 136 CHAPITRE 1 Problématique L’évolution du système de castes et sa rigidification progressive explique la mise à l’écart des ‘intouchables’ de tout accès au savoir. Leur naissance en bas de l’échelle du système est attribuée à leur ‘karma’ avec lequel ils apprennent à vivre sans contestation majeure. Traditionnellement, les brahmanes sont seuls à avoir accès à l’éducation et ce sont eux qui décident l’éducation à transmettre aux autres castes, notamment à celles qui appartiennent aux varnas de kshatriya et de vaishya. Les shudras comme les avarnas (hors-castes) n’ont pas accès au savoir formel. Ils sont non seulement privés de l’éducation mais aussi assujettis à des conditions de vie opprimantes sous prétexte que leur propre karma en a décidé ainsi. L’arrivée des britanniques et des missionnaires chrétiens ouvre la voie à un libre accès à l’éducation moderne. Les notions d’égalité et de justice sociale pénètrent lentement une société qui y est fondamentalement étrangère et par définition hiérarchisée. Celà provoque au 19e et début 20e siècle, des mouvements de réformes sociales introduites curieusement par des hindous de haute caste et suivis par des mouvements de protestation engagés par des membres de hors-castes ayant eu accès à l’éducation. Ces mouvements contribuèrent largement à formuler la politique de l’Inde indépendante à l’égard des intouchables et des tribus, l’objectif étant de permettre leur ascension sociale et à surmonter les inégalités profondes que vit la société indienne. Le préambule de la constitution de 1950 (l’indépendance date de 1947) annonce la justice sociale, économique et politique ; la liberté de pensée, d’expression, de croyance ; l’égalité de statut et de l’égalité des chances. L’Article 15 interdit la discrimination sur les bases de religion, de race, de caste, de sexe ou de naissance. L’Article 29, alinéa 2 édicte : “ L’inscription dans un établissement public d’éducation ne pourra être refusé à aucun citoyen sur une base de religion, de caste, de langue ou pour une des raisons pré-citées ”. L’Article 46 précise : “ L’Etat prêtera une attention particulière aux intérêts éducatifs et économiques des populations défavorisées, en particulier à celles des intouchables et des tribus et les protégera de toute forme d’injustice sociale et d’exploitation ”. Dorénavant un des droits fondamentaux des intouchables comme pour toute autre catégorie de la population indienne, est l’accès à l’éducation. L’ambition est qu’il y ait une école primaire pour tous par village. Les intouchables, longtemps privés de tout accès au savoir, doivent inscrire leurs enfants dans un établissement public accueillant tous les groupes sociaux dans les mêmes conditions. Sur le papier il n’y a aucune discrimination. La société n’était pas prête à ce changement de règles sociales et, dans le quotidien, les faits continuent à exister : la plupart des intouchables considèrent que le savoir est réservé aux hautes castes et celles-ci ne remettent pas en cause leurs traditions. Par exemple, l’enseignant, très souvent de haute caste pour des raisons évidentes, ne change pas d’attitude vis à vis des intouchables ou des tribaux. Une discrimination positive est proposée au niveau de l’enseignement supérieur par le biais d’une politique de ‘réservation’ ou de quotas. Les intouchables arrivant au niveau universitaire peuvent bénéficier d’un quota de sièges qui leur est réservé et n’est pas accessible aux autres groupes sociaux. Pour en bénéficier, il faut évidemment réussir la phase de l’éducation primaire et secondaire avec ses contraintes sociales. Tandis qu’une ‘élite’ d’intouchables y parvient, la majorité préfère rester en marge du système éducatif. Les deux faits cités ci-dessus (l’imaginaire religieux de l’enseignant et de l’intouchable) en sont peut-être des raisons principales. En tout cas, certaines associations militent contre cet imaginaire et le Rural Development Trust (RDT) en est une. Une organisation non-gouvernementale fondée en 1969, dans le district d’Anantapur dans l’Etat d’Andhra Pradesh au sud de l’Inde, RDT se donne pour objectif de se mettre au service des intouchables et des tribaux de la dite région et de permettre leur ascension sociale. Bien que ces deux populations soient catégorisées ensemble sur le plan administratif, elles s e distinguent nettement sur le plan sociologique. Le nombre d’intouchables est plus important que celui des tribaux. Seul le cas particulier des intouchables sera pris en compte dans le cadre de cette recherche. Dans cette région retenue pour la recherche les intouchables, pour la plupart n’acceptaient pas il y a vingt ans, d’envoyer leurs enfants à l’école publique. Parmi les raisons évoquées, sont celles citées ci-dessus. RDT met en œuvre différents programmes destinés à l’amélioration des conditions de vie des intouchables et des tribaux mais considère avant tout l’éducation comme l’outil de base nécessaire à l’ascension des populations cibles. Initialement l’action de RDT consistait à convaincre les populations d’inscrire leurs enfants à l’école publique mais ils ne rencontrèrent pas un grand succès. On décida donc de changer de stratégie et d’introduire une école informelle dans le quartier de la population cible de chaque village d’intervention. Cette institution, appelée à l’époque ‘école supplémentaire’ et implantée dans le territoire des intouchables, a connu au cours de ces vingt dernières années une évolution mais surtout un succès parmi les populations cibles. Le contenu pédagogique reste identique à celui des écoles de l’Etat mais son projet pédagogique réside essentiellement dans l’ascension sociale des intouchables et des tribaux. Ceux-ci acceptent l’école, c’est à dire la nouvelle institution mais aussi l’institution existante qu’est l’école publique. L’éducation ‘formalisée’ devient non seulement une normalité mais une valeur pour des populations qui n’imaginaient pas d’y accéder il y a vingt ans. Alors, en quoi une école territorialisée, donne-t-elle lieu à un rapport au savoir différent ? Comment une institution insérée dans une communauté a-t-elle modifié l’imaginaire du savoir des intouchables ? Quelles dimensions et quels caractéristiques de cette école ont-elles permis aux intouchables un déblocage de leur horizon culturel leur permettant d’accéder à une véritable citoyenneté, alors qu’ils étaient restés en marge depuis des siècles ? CHAPITRE 2 Hypothèses Le rapport au savoir et l’imaginaire social fondés sur l’imaginaire sacral Dans l’imaginaire lié aux castes en hindouisme, le savoir est destiné aux hautes castes et lié à leur devoir sacral dans la société. L’intouchable n’a autre devoir que de servir les hindous de caste. Il se contente de transmettre à ses enfants, le savoir familial, lié essentiellement à la survie et à la religion. Il n’a jamais eu à se déplacer dans un lieu d’acquisition de savoir pour accéder à un savoir formalisé. Dans le système ‘socio-religieux’ où il vit, l’acquisition de ce savoir lui est totalement étrangère. Dans l’imaginaire social du système de castes, les différents groupes sociaux de la hiérarchie ne peuvent se retrouver ensemble dans un lieu de savoir. Violer les règles de cet imaginaire mettrait en cause l’imaginaire sacral de cette société. Pour l’intouchable, accepter de vivre sa situation qui est la conséquence de ses propres actes dans des incarnations antérieures, constitue une façon de payer ses ‘dettes’ vis à vis de son karma et d’espérer ainsi une meilleure vie dans le cycle des réincarnations. Pour l’enseignant brahmane traditionaliste, ce qui est bien souvent le cas, le simple fait de toucher un intouchable sans envisager de lui transmettre un savoir, suffit à nuire à son avenir dans ce même cycle des réincarnations. Des milliers de générations ont vécu avec cet imaginaire de l’avenir qui repose sur un imaginaire sacral. L'état propose l’éducation moderne comme clef pour un meilleur avenir. Mais cette proposition d’amélioration de l’avenir ne propose pas d’éclaircissement sur la question sacrale. Elle n’est donc pas facilement assimilable. L’école publique est située au centre du village, c’est à dire dans le quartier des hautes castes, les intouchables habitant toujours dans la périphérie. L’intouchable ne veut guère laisser son enfant fréquenter le quartier de ses oppresseurs La Constitution de la nouvelle République oblige l’enseignant de caste d’accueillir tous les enfants dans la salle de classe ce qui s’oppose aux règles sociales établies. L’enseignant rejette bien évidemment l’enfant d’intouchable. Celui qui subit ce rejet ainsi que ses parents, se démotivent et s’abstiennent. L’imaginaire créateur et l’accès à la citoyenneté RDT ne cherche pas à changer cet imaginaire. Il décide de modifier le rapport au savoir des intouchables en créant un lieu de transmission de savoir dans le quartier de ceux-ci et en le leur réservant exclusivement. L’exclusivité crée, au cours des années, un sentiment d’appropriation vis à vis du savoir. En effet, le bâtiment scolaire public appartient à l’Etat et celui-ci est représenté par un corps enseignant composé de hautes castes. Alors par sa situation géographique et par les personnes l’occupant, ce bâtiment appartient aux hautes castes dans l’imaginaire des intouchables et non pas à l’Etat qui pour cette population marginalisée et en marge de toute notion de citoyenneté, n’existe pas. Les intouchables possèdent rarement individuellement ou collectivement des terres importantes. Une institution dans leur quartier donne lieu à des représentations de propriété. Le bâtiment de la nouvelle institution – appelé bâtiment communautaire – est dans leur quartier et leur appartient et non pas aux hautes castes ni à l'Etat. Ce bâtiment devient un lieu de convivialité car une fois propriétaires, ils décident de son utilisation qui va au-delà de l’utilité scolaire. L’appropriation du bâtiment permet une appropriation du savoir. L’intouchable s’autorise à laisser ses enfants le fréquenter. Il s’autorise l’acquisition du savoir. Il n’appréhende plus l’enseignant brahmane qu’il peut en quelque sorte surveiller car celui-là vient dans son quartier. Le suivi rapproché de l’enfant par l’enseignant, lui permet de réussir à l’école. Une fois l’intimidation vis à vis de la hiérarchie est surmontée, le rapport au savoir se modifie et permet aux intouchables d’accéder à une citoyenneté. Le savoir, acquis principalement dans l’école supplémentaire, leur a permis d’occuper des postes d’enseignant ou d’agent de police, des métiers auparavant inaccessibles dans leur horizon culturel. Pour les enseignants employés dans l’école supplémentaire, l’imaginaire pulsionnel de survie s’oppose à l’imaginaire sacral. En effet, la pauvreté et la précarité d’emploi caractérisent très souvent les employés de base dans le secteur privé d’ONG, ce qui n‘exclut pas le militantisme. L’enseignant a l’obligation de motiver l’inscription de ses élèves en école publique et donc l’obligation de voir créer un autre rapport au savoir auprès des intouchables. Il a l’obligation de voir ses élèves réussir et cette réussite se mesure dans la salle de classe de l’école publique contre les enfants de hautes castes. Aurait-il alors modifié son rapport aux castes ? L’institution que représente l’école supplémentaire pénètre l’habitus des populations cibles. Les intouchables s’y attachent – en effet, malgré les conditions de vie extrêmement vulnérables, ils paient pour sa survie – car elle représente ce pont qui leur a permis d’accéder au savoir jadis réservé aux hautes castes. Elle est le symbole de leur victoire sociale. Elle est peut-être au cœur de leur nouvel imaginaire social. CHAPITRE 3 Intouchables : “Scheduled castes” (SC) Historiquement, désignés par les termes panchamas, atisudras, avarnas, antyajas, ils appartiennent aujourd’hui aux catégories de population appelées depressed classes, servile classes, dalits, h a r i j a n s ou encore sections défavorisées. Ce sont les intouchables, ainsi nommés car ils sont supposés, de par leur naissance et leurs activités héréditaires, souiller tout autre membre de la communauté hindoue qui les toucherait ou même s’en approcherait. Le terme de ‘Depressed Classes’ trouve son origine dans l’article du Dr. Annie Beasant dans l’Indian Review de février 1909. Sa définition restera vague jusqu’à ce que le Dr. B.R.Ambedkar, juriste et lui-même intouchable, l’utilise pour désigner les castes se trouvant en bas de l’échelle de la hiérarchie des castes. Le terme ‘servile classes’ dénote la nature de leurs relations de travail avec les hautes castes et celle de leur travail comme par exemple le nettoyage des rues. Le mot ‘harijan’, “ enfants de Dieu ”, doit son origine à D.G. Tendulkar. Il est repris et popularisé par le Mahatma Gandhi, mais vivement contesté par le Dr. Ambedkar. Certaines analyses donnent à ce mot le caractère d’un slogan politique et considèrent qu’il a pour but de prouver l’intérêt des ‘touchables’ pour la cause des ‘intouchables’. Dalit, terme couramment utilisé aujourd’hui et qui sera retenu pour ce mémoire, dénote conditions de vie opprimantes et donc pauvreté. Le terme administratif de ‘Scheduled castes and Scheduled Tribes’ (SC/ST) est utilisé pour la première fois par la Simon Commission en 1935. Il est jugé comme étant le seul terme ‘politiquement correct’ et formalisé dans le Government of India Act de 1935. Il s’agit là d’une liste de castes et tribus répertoriées au cours du recensement de 1931 dans les différentes provinces de l’Inde par l’administration britannique. (Cette liste n’est qu’une extension de la liste précédente de ‘Depressed Classes’). Elle est reprise et révisée en 1950 par la Constitution indienne et officialisée dans le Constitution Scheduled Castes Order de 1950. Selon la loi, seuls les intouchables appartenant à la religion hindoue peuvent figurer sur la liste des SC. Tous ceux qui pourraient socialement prétendre appartenir aux SC mais qui se sont convertis à une autre religion, n’y figurent pas précisément parce qu’ils ne font plus parti du système de castes propre à l’hindouisme. Ce principe est contesté par les autres groupes religieux qui ont saisi, en vain, la Cour Suprême sur son caractère inconstitutionnel. Le débat trouve toute son importance dans l’examen des lois et des réformes sur la protection et l’ascension des SC depuis l’adoption de la Constitution jusqu’à nos jours. L’esprit gandhien veut que l’Inde reste un état hindou et que les mouvements de conversion s’arrêtent. La préoccupation majeure des organisations hindoues comme le Harijan Sevak Sangh ou bien le Hindu Mahasabha est de mettre fin aux conversions et de conserver à l’Inde son identité hindoue. La constitution de l’Inde indépendante inclut de nombreuses clauses protégeant les dalits, intégrant ainsi ceux-ci dans la communauté hindoue, mais tous ceux qui renoncent à l’hindouisme en exerçant ainsi la liberté de religion sont en fait pénalisés. Cette liste des SC/ST peut être modifiée par le Président de l’Union Indienne, seul autorisé à le faire, ce qu’il fit en 1956 pour inclure les intouchables convertis au sikhisme. Nous allons nous limiter essentiellement au cas des SC – dalits - dans le cadre de ce mémoire. 3.1 L’origine du combat socio-politique pour une recherche de citoyenneté C’est peut-être au cours de la période védique, qui s’étend sur environ 1500 ans avant notre ère qu’apparaît une division sociale, au moins théorique, basée sur les quatre “ varna ” ou “ catégories ” : Brahmane, Kshatriya, Vaishya, et Sudra. Cet ordre social constitue une organisation souple de la société où les qualités propres à un ‘varna’ en particulier déterminent les membres de celui-ci. Le métier pratiqué devient l’attribut principal d’appartenance à un varna. La naissance n’est alors pas un critère. Ainsi les brahmanes sont seuls à pouvoir connaître les formules sacrificielles en sanscrit et les textes sanscrits permettant de pratiquer les sacrifices, les kshatriya sont “ ceux du pouvoir ”, les vaishya sont dans le commerce et la production agricole et les sudra sont dans le “ service ” (l’artisanat et le travail manuel). Cet ordre social n’est pas rigide et figé. En période post-védique, la division assez théorique des varnas forme un cadre à une division plus réaliste en castes1 et en sous-castes, c’est à dire en jati. L’expansion démographique, l’isolement géographique des communautés, la diversification et le caractère héréditaire des métiers sont à la base de ce nouveau système plus rigide que le précédent. Le système des varna ne sert dorénavant plus que de cadre où s’insère les jati selon leur degré de ‘pureté’. Le système des ‘jati’ se base de plus en plus sur le métier. La naissance dans une ‘jati’ est naturellement le critère d’appartenance à celui-ci. S’ajoutent à l’attribut du métier, d’autres attributs de nourriture, de comportement, d’éducation etc. Les jati s e trouvent réparties dans le ‘chaturvarna’, le système des quatre varna. Les groupes 1 Le terme ‘caste’ doit son origine aux Portugais. Avant les Portugais, il n’y avait pas de castes mais de ‘jati’, c’est à dire, des naissances : Par ex. “ Je suis né brahmane ”. Aujourd’hui, le terme ‘caste’ couvre couramment ‘varna’ et ‘jati’. commencent à marquer leurs frontières et chaque groupe cherche à s’adapter au système dans le but d’une ascension hiérarchique. Les trois varna supérieurs, à savoir les brahmanes, les kshatriyas, et les vaishyas, sont ceux des “ deux-fois nés ”, (dvija) 2. Les sudra, appartenant au quatrième varna sont nés pour servir les “ dvija ”. Il n’y a pas de cinquième varna et en conséquence ceux qui n’appartiennent à aucun des quatre varna sont les avarnas. Les avarnas sont constitués soit de ceux qui auraient transgressés les règles de conduite de leur groupe, telles qu’elles sont stipulées dans les lois de Manou3, soit les indigènes qui ayant leur propre imaginaire religieux, n’ont jamais accepté le système hindou. Ils deviendront les “ intouchables ”. et constitueront la classe des dalit. Ainsi si les intouchables sont restés en dehors du système des varna, ils sont partie intégrante du système de castes. Le concept d’intouchabilité peut s’expliquer par l’imaginaire collectif sacral de la société hindoue. Plus on veut se rapprocher de Dieu, plus on doit observer les règles de sainteté. La pureté spirituelle est associée à une pureté matérielle, elle-même altérée au contact de personnes de caractère moins sacré. Une pratique sanctifiée par la religion est constamment répétée par l’hindou qui ne cherche pas les raisons de celle-ci mais qui agit par peur de transgresser les lois divines. L’intouchabilité ne serait donc pas le résultat d’une volonté délibérée de domination des populations concernées mais plutôt celui d’un imaginaire de pureté religieuse. 2 Ils reçoivent une initiation, considérée comme une deuxième naissance, sorte de sacrement qui permet d’être intégré à la communauté. 3 Texte normatif (théorique) datant probablement du 1er siècle avant où après J. C. 3.2 Mouvements contemporains de réformes sociales Au 18e siècle et au début du 19e siècle, les hindous de castes, l’élite musulmane et les Anglais forment un triangle politique qui ignore les dalits. L’éducation occidentale fondée sur les valeurs de liberté et d’indépendance, influence fortement les mentalités et fait alors émerger essentiellement trois courants de pensée en faveur de l’amélioration de la condition d’intouchable. Il y a ceux qui souhaitent préserver la société ancienne et la réformer en douceur. Il y a ensuite ceux qui souhaitent une transformation radicale. Enfin, il y a ceux qui prônent la conversion à d’autres religions. Un recensement effectué par les Anglais dans l’Inde britannique au début du 19e siècle montre une augmentation en nombre des chrétiens, des musulmans et des sikhs et une diminution des hindous. La publication du rapport fait prendre conscience aux hindous que la tendance à la conversion doit être arrêtée. Le début du 19e siècle voit la naissance de mouvements dénonçant le système de castes et celui de l’intouchabilité, comme le Brahmo Samaj fondé au Bengale par Raja Ram Mohan Roy en 1828 ou bien le Arya Samaj dans le Nord, fondé par le Swami Dayanand Saraswati en 1875. Raja Ram Mohan Roy est réformateur et non révolutionnaire. Il se considère hindou mais n’hésite pas à s’opposer à certaines coutumes sociales ou religieuses hindoues. Swami Dayanand publie une série de textes sanscrits sous le nom de “ Satyartha Prakash ” qui soutiennent le mariage des veuves, le refus de caste liée à la naissance ou encore le droit des Sudra à l’éducation védique. La réussite la plus importante du Arya Samaj est celle d’avoir arrêté le mouvement de conversion de religions. Il redonne une place aux intouchables et se met à reconvertir les convertis chrétiens et musulmans. Swami Vivekananda fonde la Ramakrishna Mission en 1896 en mémoire de son gourou, Ramakrishna Paramhansa. Vivekananda essaie d’apporter à la religion un but social. Il se déclare socialiste et demande aux sudra de s e réaffirmer dans la société. Il dénonce à plusieurs reprises avec vigueur l’attitude des hautes castes qu’il qualifie de moralement mortes. Il dénonce également les prêtres hindous et déclare que “ la religion hindoue telle que pratiquée à l’époque ne figure ni dans les Veda, ni dans les Purana ”4. Cette période voit également la naissance du Prarthana Samaj et du Brahma Samaj, tous deux refusant le système de castes et l’intouchabilité. La société indienne s’occidentalise et les mouvements de réformes socioreligieux du 19e siècle sont le résultat de cette occidentalisation. Le gouvernement anglais cherche à maintenir l’équilibre social tel qu’il l’a trouvé et prétend mettre en œuvre une politique neutre et de non-interférence à l’égard de la situation sociale des intouchables. Il accorde tout de même un poids important aux coutumes socio-religieuses hindoues qui légitiment à l’époque, l’intouchabilité et dans ce sens néglige les principes d’égalité et de justice qu’il prétend soutenir par ailleurs. Les croyances brahmaniques sont bien ancrées dans la mentalité hindoue si bien que toute initiative de réforme de la société a donné lieu à la création d’un groupe ou d’un mouvement fortement imprégné par l’hindouisme traditionnel. Ces mouvements qui émergent de l’hindouisme, se sont progressivement estompés et ont convergé à terme vers le courant dominant de l’hindouisme. Ils ont tous été d’origine urbaine et ont été fondés soit par des hindous de caste, souvent brahmanes, soit par des missionnaires indiens ou étrangers. Les dalits n’ont jamais été à l’origine de ces initiatives. Bien qu’ils aient à leur actif quelques 4 “ Vivekananda – The Apostle of Modernity ”, article dans The Sunday Statesman, le 25 septembre 1888, p 1-5 changements d’attitude envers les dalits, ces mouvements qualifiés de protestataires ne sont pas parvenus à faire évoluer les dalits eux-mêmes car ils sont demeurés des organismes extérieurs à cette communauté. 3.3 Les mouvements ‘dalit’ C’est avec Jyotiba Phule, dalit de la caste des ‘mali’5 que voit le jour, en 1848, une école réservée aux non-brahmanes. En 1852 il crée la première école pour les intouchables à Pune malgré les vives critiques de sa famille et de ses amis. Avec le Satyashodhak Samaj, Jyotiba Phule s’attaque aux brahmanes et organise les non-brahmanes à agir. L’éducation devient pour le mouvement, un moyen d’émancipation. En 1856, le gouvernement de Bombay doit gérer le cas d’un jeune garçon de la caste M a h a r6 qui se voit refuser l’inscription dans une école gouvernementale. Une information officielle voit le jour en 1858 : “ tandis que le gouverneur n’impose pas le droit d’entrée des enfants de basses castes dans les écoles semi-privées dont les coûts sont partagés entre le gouvernement et les donateurs privés qui ne souhaitent pas voir une telle mesure prise, il se réserve le droit de refuser la participation financière du gouvernement dans une de ces écoles si celle-ci n’est pas ouverte à toute personne sans considération de caste ou d’origine. Par ailleurs, toutes les écoles soutenues exclusivement par le gouvernement restent ouvertes à toute classe de sujet sans distinction ”7. Narayan Guru, disciple de Jyotiba Phule, continue le combat essentiellement avec deux moyens, l’éducation moderne et la sanscritisation. Il 5 6 7 Risley, 1891, caste des personnes dont l’occupation était de fournir des fleurs et des guirlandes dans les temples. Enthoven, 1922, caste des personnes dont l’occupation était de débarrasser les carcasses des animaux.. G.S. Ghurye, “ Caste and Race in India ”, p.275 introduit notamment des écoles et construit des temples. Il simplifie les rituels du mariage et les rituels funéraires. Narayan Guru mène les izhavas, communauté d’intouchables, d’abord à abandonner l’intouchabilité par rapport aux groupes sociaux inférieurs à eux et ensuite à défier les castes supérieures pour l’accès aux temples. En 30 ans, les izhavas connaissent une ascension sociale. L’éducation devient ainsi dorénavant un moyen couramment utilisé pour permettre une ascension sociale des intouchables. 3.4 Recherche d’une citoyenneté L’Indian National Congress (le Congrès), le premier mouvement politique indien, est fondé en 1885 à Bombay dans le but d’obtenir l’indépendance. Malgré les débats initiaux, les militants se refusent à mêler un programme de réforme sociale au programme politique du parti afin de ne pas diluer l’objectif initial de l’indépendance. Il devient ainsi en 1895, un mouvement purement politique sans objectif de réforme sociale. En 1917, les ‘Depressed Classes’ se réunissent sous la présidence de Narayan Chandavarkar et décident de proposer au Congrès d’accepter une résolution sur “ la nécessité de mettre fin à tous les handicaps imposés par la religion et les coutumes sur les ‘depressed classes’. Ces handicaps sont de caractère très opprimant et assujettissent ces classes à des inégalités d’accès aux écoles, aux hôpitaux, à la justice, aux puits publics etc. Ces handicaps d’origine sociale deviennent des handicaps politiques et dans ce sens, tombent légitimement dans la mission politique du Congrès ”8. Le Congrès adopte cette résolution en 1917 en échange du soutien des dalit au projet national du Congrès. 8 B.R. Ambedkar, 1946, “ What Congress and Gandhi have done to the untouchables ” , p 15 Le combat des dalits commence à avoir un effet sur la politique britannique avec l’arrivée du Dr. Ambedkar, dalit lui-même, sur la scène politique dans les années 20. Le but d’Ambedkar est l’émancipation des dalits du système social hindou. Les Anglais font le choix de s’allier aux hindous de hautes castes, ainsi qu’à la classe féodale, afin de renforcer leur position en Inde. La loi britannique permet à toute catégorie de population d’avoir un libre accès à la justice et rejette formellement la caste comme critère de jugement devant les juridictions criminelles, civiles ou commerciales, mais ils poursuivent leur politique de noninterférence dans les affaires socio-religieuses de la société indienne qui est structurellement inégalitaire. Ainsi les Anglais restent neutres dans les mouvements sociaux opposant dalits et hindous. Ils renforcent par conséquent ces derniers, les dalits n’ayant aucun recours. Le système féodal est renforcé et les intouchables sont éloignés de la vie politique. L’entrée du Mahatma Gandhi sur la scène politique indienne en 1919 marque un tournant important dans la politique concernant les intouchables en Inde. Elle transforme notamment la politique du Congrès et sa lutte contre les Britanniques. Gandhi considère la disparition des inégalités sociales, psychologiques et politiques comme une étape nécessaire pour la lutte contre les Anglais. Il considère nécessaire d’abolir l’intouchabilité mais pas le système de castes. Au contraire il réaffirme et valorise une société fondée sur le varnashrama9 dans son état pur. Il n’y a pas de bonne société sans la réalisation harmonieuse du varnashrama. Il souhaite faire renaître cette société traditionaliste qui, d’après lui, ne connaît pas la notion de supériorité ou d’infériorité liée à la naissance. Il 9 le maintien de l’ordre (dharma) du monde et de la société implique que chacun des trois varnas supérieurs se conforme aux prescriptions des textes sacrés en ce qui concerne son comportement, sa vocation, ou son mode d’être , selon la classe où il est né et l’étape de la vie (ashrama) qu’il a atteinte. Herrenschmidt, Olivier, Inde Contemporaine de 1950 à nos jours, sous la direction de Christophe Jaffrelot, Chapitre 18, p.398. souhaite que les intouchables soient considérés comme des ‘sudras’ et non pas ‘avarnas’. Il affirme que l’intouchabilité est un péché et que les hindous doivent s’en débarrasser. Il faut que les harijans puissent jouir de leurs droits d’accès aux lieux publics, temples, puits etc. de façon égalitaire. Pour Gandhi, seul un changement d’attitude des hindous peut le réaliser. Il appelle donc les réformateurs de son époque à agir dans ce sens ; d’une part éduquer l’opinion publique contre ce mal et d’autre part construire des temples, écoles ou puits destinés à répondre plus particulièrement aux besoins des harijans mais accessibles à tous10. Un ‘programme d’amélioration sociale’ est élaboré par le parti du Congrès sous la direction de Gandhi en 1922. Il propose d’organiser les harijans pour un meilleur avenir. Il souhaite que leurs conditions psychologiques et sociales s’améliorent, qu’on les amènent à inscrire leurs enfants dans les écoles publiques et qu’ils bénéficient des mêmes moyens que le reste de la société11. Le Comité Central (Working Committee) du Congrès adopte une résolution en mai 1923 affirmant que, bien que la politique du Congrès vis à vis des intouchables ait, en quelque sorte, amélioré leurs conditions, il reste pourtant beaucoup à faire. Sur la question de l’intouchabilité, qui concerne particulièrement la communauté hindoue, il est demandé au All India Hindu Mahasabha, association pour le soutien de l’hindouisme, d’entreprendre les efforts nécessaires afin d’éliminer ce mal de la communauté hindoue12. Le Congrès dégage ainsi sa responsabilité dans l’affaire. La résolution adoptée, le Congrès ne prévoit aucun budget pour les dites actions. Le Hindu Mahasabha ne se préoccupe pas de la mission qui lui a été confiée et la question de l’intouchabilité demeure non-résolue. 10 11 12 A.C. Pradhan, “ Emergence of Depressed Classes ”, op. cit. p.48 B. R. Ambedkar, “ What the Congress and Gandhi have done to the untouchables ”, op.cit. p. 20 ibidem, p.21 Le docteur Ambedkar met sérieusement en cause les idées de Gandhi sur l’élimination de l’intouchabilité. Pour Ambedkar, l’assimilation des dalits au courant principal hindou est utopique. De 1924 à 1930, le Congrès fait peu d’avancées sur ce sujet dans sa politique et dans son programme d’action. Bien au contraire, les intouchables ne sont associés ni au mouvement de noncoopération de 1920, ni à celui de désobéissance civile de 1930 à 1933. Le Congrès ne reçoit pas l’accord et n’exprime pas les volontés des intouchables qui pendant ce temps s’organisent politiquement. Ils reçoivent les comités britanniques chargés de préparer les réformes constitutionnelles. Ils organisent des satyagrahas13 tantôt pour demander l’accès aux temples tantôt pour l’accès à tous les puits. D’après Ambedkar, Gandhi ne soutient pas ces satyagrahas14. Quant à la question de l’accès aux temples des intouchables, Gandhi se serait montré opposé à l’idée à l’époque. En tout cas Gandhi déçoit la communauté intouchable et il n’est pas compris par celle-ci. Les croisades de Gandhi en faveur des intouchables se reposent sur un mélange de notions d’égalité venues de l’Ouest et de réformisme hindou15. Ambedkar ne peut pas concevoir l’intégration des ‘dalit’ au courant hindou qui, luimême, les considère comme une communauté à part. Il est déçu par la politique britannique et n’a aucune confiance dans le Congrès mené par Gandhi. Il considère que la situation existante ne permet pas une assimilation des intouchables dans le système de caste et risque d’être un blocage dans leur lutte 13 terme signifiant littéralement ‘colère attachement (passionné) pour la vérité’ mais popularisé par Gandhi pour connoter une forme d’expression non-violente pour la cause de la vérité. 14 B.R. Ambedkar, “ What the Congress and Gandhi have done to the untouchables ”. op.cit. p.258 15 M. Glen and S.B. Johnson, ‘Social Mobility among Untouchables’ dans Main Currents in Indian Sociology, Part III, Cohesion and Conflict in Modern India, G.R. Gupta, Vikas, New Delhi, 1978, p. 65 pour l’égalité. Il décide de demander un électorat séparé pour les dalits, seul moyen qu’il juge efficace, pour surmonter la domination des hindous. Gandhi propose un électorat conjoint avec le parti du Congrès en garantissant des sièges pour les dalits. Pour Gandhi, un électorat séparé finirait par diviser définitivement la religion hindoue et perpétuer la situation existante. La demande d’Ambedkar lors des deux premières conférences à la Table Ronde de Londres aboutit au célèbre “ Communal Award ” selon lequel les Depressed Classes doivent avoir un nombre de sièges réservés pendant une durée de 20 ans et que seuls les intouchables peuvent voter pour ces sièges. L’annonce de cette mesure déclenche la célèbre controverse Ambedkar – Gandhi qui durera toute leur vie. En août 1932, Gandhi entreprend de sa prison à Pune, une grève de la faim pour l’annulation du Communal Award. Devant son état de santé qui s’affaiblit, les hindous se mettent effectivement à changer d’attitude vis à vis des dalits. Ceux-ci sont admis dans les temples et autres lieux publics. Les hindous osent manger à coté des dalit, ce qui était un interdit. La grève de la faim conduit à l’adoption du Pune Pact, une sorte de compromis entre les souhaits des deux leaders. Selon le Pune Pact, les Depressed Classes auront un électorat séparé lors des primaires mais devront participer à un électorat conjoint dans les élections principales et 18% des sièges leur sont réservés tant dans la législature centrale que dans les législatures provinciales. Ambedkar qualifie l’attitude de Gandhi de chantage politique et accuse celui-ci d’avoir trahi les communautés de dalits. Le 30 septembre 1932 voit l’émergence du All India Anti-Untouchability League, une institution émanant du Congrès, sous la présidence du Pandit Madan Mohan Malaviya. Gandhi l’appellera Harijan Sevak Sangh16 en décembre 1932. Cette institution n’obtient pas la confiance d’Ambedkar ni des dalits qui y voient une manœuvre destinée à intégrer les dalits au Congrès et à détruire ainsi leur identité. Dans les faits, les élus des communautés dalits sont soumis aux règles du parti du Congrès. Ils n’ont pas la liberté d’exprimer leurs demandes et donc la mission même d’expression à travers les représentants élus, devient impossible à réaliser. Il apparaît donc nécessaire de créer une organisation représentant les dalits. La All India Scheduled Caste Federation est née en 1942 à l’initiative d’Ambedkar. Parmi les demandes figurent la présence d’un membre élu des communautés SC dans le Cabinet ministériel et la fixation du nombre de sièges réservés aux SC dans toute instance élue en fonction de leur nombre dans la circonscription concernée. Gandhi réagit en disant que dans la mesure du possible il influencerait la constitution afin que la pratique de l’intouchabilité devienne un délit et que les intouchables aient une représentation proportionnelle à l’effectif de leur population. Malgré ses réticences à participer au mouvement de l’indépendance mené par le Congrès, la All India Scheduled Caste Federation cède finalement, reconnaissant ainsi que le Congrès est la seule organisation nationale de poids contre le colonisateur. En tout état de cause, les apports des mouvements protestataires de Gandhi et des fédérations de SC contribuent largement à sensibiliser l’opinion indienne sur la question. Ambedkar devient Ministre de la Justice de l’Inde indépendante et préside le comité chargé de la rédaction de la constitution 16 association pour le service des harijans. indienne. Il s’assure de la place et de la sécurité des SC/ST dans la constitution indienne. La divergence entre Gandhi et Ambedkar peut être qualifiée de divergence d’approche pour un objectif commun, celui de l’ascension des dalits dans la société indienne : - Gandhi souhaite un changement par la réconciliation et un changement d’attitude. Il demande une coopération des harijans dans le combat politique qui oppose le Congrès à la Grande Bretagne. Il croît à l’hindouisme et souhaite le conserver. Ambedkar demande la participation rapide des harijans à la politique. Il n’a pas confiance dans l’hindouisme et la capacité des hindous à absorber les ‘dalits’. - Gandhi souhaite une approche universelle pour l’ascension de toutes les catégories de population opprimées et souhaite les traiter toutes sur un même pied d’égalité. Ambedkar veut séparer le combat des SC/ST et de celui des autres catégories défavorisées. Une approche pluraliste lui paraît évidente. - Tandis que Ambedkar croit fermement au pouvoir des instances représentatives afin de mettre fin aux injustices sociales et économiques, Gandhi met l’accent sur un changement d’attitude et de compréhension des hindous. Pour Gandhi, la loi ne réussira pas à effacer l’intouchabilité. Celle-ci ne peut s’effacer seulement que si les hindous réalisent le tort causé aux dalits et se purifient le cœur. - Enfin, si Gandhi croit à l’hindouisme, il incarne la tolérance. Il est évident pour lui que la société indienne a besoin d’être redynamisée et qu’il doit être mis fin aux injustices et aux inégalités. Pour y parvenir, il préconise ‘Swaraj’ d’abord, c’est à dire l’indépendance politique. Ainsi, il intègre le combat contre les injustices locales au combat politique. Ambedkar insiste sur les mesures législatives comme moyen important pour le combat des ‘dalits’. Le manque d’éducation, de pouvoir politique et de self respect (respect de soi) sont pour lui, les principales sources d’inquiétude. Il est persuadé que la loi et une bonne structuration de l’institution gouvernementale peuvent servir d’outils efficaces au changement social. Il préconise une communauté ‘dalit’ politiquement active. Il insiste sur le besoin de réformes qui seules peuvent améliorer les capacités des intouchables dans un monde de compétition. L’utilisation des moyens politiques pour l’émancipation des SC/ST est ainsi préférée par Ambedkar, dont l’exceptionnelle contribution unique restera longtemps gravée dans l’histoire des dalit. Les approches de Gandhi et d’Ambedkar, bien qu’opposées, restent complémentaires et contribuent toutes deux à donner forme à la politique du gouvernement de l’indépendance sur la question des dalit. La question juridique Le 29 novembre 1948, dix mois après la mort de Gandhi, une loi abolissant l’intouchabilité est votée. La Constitution indienne adoptée par la suite en 1950 prévoit plusieurs clauses permettant la protection et l’ascension des SC/ST. La loi sur l’abolition de l’intouchabilité : Untouchability Offence Act (UOA), mérite qu’on s’y attende. Au début du 20e siècle le traitement du cas des intouchables passe de la philanthropie pure à une question d’ordre politique, et ceci devant le constat de la diminution de la majorité hindoue. La grève de la faim de Gandhi en 1932 pousse le Congrès à accepter l’idée de l’utilisation de la loi pour mettre fin aux handicaps sociaux des dalits . L’article 17 de la Constitution, instaurée en 1950, interdit en effet la pratique de l’intouchabilité sous quelque forme que ce soit. Cet article garantit la justice sociale et la dignité à tous les intouchables, ce dont ils sont privés depuis des siècles. Au cours des sept années suivantes, aucune loi n’existait pour punir les contrevenants à l’article 17. L’Untouchability Offence Act (UOA) adopté en décembre 1956, vint combler cette lacune. Mais son application restait limitée : les mises en accusation restaient très marginales en regard du nombre de délits, voire d’atrocités, commis. Une commission est nommée en 1965 afin d’étudier la question. Le rapport, malgré le désaccord général entre les membres de la commission sur la cause du phénomène d’intouchabilité et les moyens nécessaires à son éradication, met en évidence l’ignorance de l’UOA par la plupart de ceux qui sont sensés le faire respecter et l’absence toute simple auprès d’eux d’une copie de cet acte. Il constate également un retard évident dans le traitement des cas d’intouchabilité qui a pour effet l’abandon des poursuites par la partie civile. La loi est donc réformée et le “ Protection of Civil Rights Act ” (PCRA) est voté en septembre 1976. Cette nouvelle loi provoque de nouvelles difficultés et les débats ne cessent sur la définition des termes utilisés. Il reste néanmoins vrai selon G.S. Ghurye, que “ les mesures de législation contre l’intouchabilité peuvent au mieux créer des trous dans ce mur solide dont la démolition requiert un changement de sentiments des populations ”17. La mise en œuvre efficace d’une loi dépend forcément de l’attitude de la police et de la justice. Elle demande des fonctionnaires honnêtes et vigilants. Par ailleurs le travail concernant les intouchables n’est pas très rentable. Il reste donc aux SC/ST de se prendre en charge et de réclamer leurs droits. Mais ceci est rendu particulièrement difficile d’une part à cause de leur manque d’éducation et donc de sensibilisation, et d’autre part à cause de leur situation de dépendance économique vis à vis des autres castes. En effet les SC/ST sont, en très grande 17 G.S. Ghurye, Caste and Race in India, op.cit. p. 330 partie, employés par de plus hautes castes dans l’agriculture et craignent en permanence la perte de leur emploi. Malgré l’existence de lois qui réglementent le droit à la propriété terrienne, l’excédent de terres par rapport au plafond légal est rarement saisi pour une redistribution aux SC/ST, comme la loi le prescrit. Malgré les critiques sur le PCRA, Marc Galanter fait remarquer “ l’effet symbolique de la mise en place des mesures législatives. En particulier, celles-ci ont permis de remonter le moral des SC en instaurant un modèle autoritaire de comportement public exigé par la loi, légitimant ainsi leurs aspirations à la liberté. De façon plus générale, une telle législation annonce un changement d’ère dans les relations entre castes. Elle propose un modèle alternatif de comportement social fondé sur des valeurs différentes ”18. La question de l’éducation L’éducation est restée pendant très longtemps le monopole des brahmanes. Ils ont été les seuls à y avoir droit. L’éducation des kshatriya et des vaishya était déterminée par les brahmanes selon leurs besoins. Mais les sudra et les femmes des quatre varna n’avaient pas accès à l’éducation. Les bouddhistes étaient les premiers à ouvrir les portes de leurs écoles à tous sans distinction de caste ou race. Les ‘vihara’, monastères bouddhistes devinrent ainsi des centres d’éducation où venaient des gens de différentes parties du sous-continent indien. Les Moghols n’introduisirent pas de système d’éducation publique si ce n’est pour l’apprentissage du Coran. Ce sont les missionnaires chrétiens qui banalisèrent l’école et l’ouvrirent à tous, y compris aux intouchables. Certains de ceux-ci se convertirent et d’autres prirent conscience de 18 Marc Galanter, Untouchability and the Law, op. cit. pp. 154-155 l’injustice qui leur était faite. Ce sont ces derniers qui constitueraient les premiers éléments du leadership intouchable. De même, des hindous de caste prirent conscience de la situation de leurs concitoyens. La question administrative Les SC représentent d’après le dernier recensement de 1991, 16 % de la population indienne. Ils sont 150 millions subdivisés en milliers de jati19, dispersés en Inde. Chaque caste constitue un groupe endogame. Il est donc difficile de créer une force unie. La catégorisation administrative de ‘Scheduled Castes’ est loin de suffire à les unir. Par souci d’efficacité administrative, les Anglais introduisirent un système de quotas dans les emplois publics et à chaque minorité religieuse ou sociale était accordée un nombre de places proportionnel à sa population. Les dalits n’ont pas de quotas en raison de leur illétrisme. Grâce au combat mené par Ambedkar, leur demande de citoyenneté fut entendue et des quotas institués. Ils ne sont pas entièrement remplis par les dalits mais cette possibilité a permis à un grand nombre d’entre eux d’obtenir un emploi au sein du service public et de participer ainsi à la construction de la nation. Ils occupent aujourd’hui 78 des 542 sièges du ‘Lok Sabha’, la Chambre Basse. Ces sièges leur sont réservés. Ce système de quotas n’existe pas au ‘R a j y a S a b h a ’, la Chambre haute, mais ils y sont représentés par des personnalités nommés. Sur les 3997 sièges dans les parlements des différents Etats de l’Union Indienne, 540 leur sont réservés. Dans l’administration 15 % des 19 En réalité dans un village, il y a environ une dizaine de jati. Mais selon les régions, les mêmes jati portent les noms différents et n’ont pas rigoureusement la même fonction, ce qui explique le grand nombre d’appellations pour un nombre de fonctions limité. postes, toutes catégories confondues, sont réservés aux SC/ST. 15 % des places leur sont réservées parmi les postes à pourvoir par promotion interne, sauf pour les plus hauts postes. Des places sont également prévues dans les municipalités et d’autres institutions publiques, notamment dans l’enseignement supérieur. Mais en pratique, elles sont faiblement pourvues par les SC/ST en raison de la pression exercée par les hautes castes. Comme nous l’avons dit plus haut, la loi est nécessaire mais elle n’est en aucun cas suffisante. Un texte de l’UNESCO précise à cet égard : Une tradition sur laquelle se repose un préjugé ne peut se maintenir que par sa transmission aux enfants. Si la transmission des préjugés dans la maison se voit contredit par les valeurs dispensés par l’école et par l’église alors que l’esprit de l’enfant est encore ouvert, les préjugés ne peuvent survivre. De plus si le public est conduit à considérer que la manifestation de préjugés est honteuse, les parents ne les manifesteront pas devant leurs enfants. Le gouvernement de l’Inde indépendante ne s’est pas donné les moyens d’éducation sociale nécessaires à l’élimination des discriminations envers les dalits qui subsistent encore 50 ans après l’indépendance. En dehors des quotas de sièges dans les instances élues, dans les administrations et dans les institutions publiques d’enseignement supérieur, l’Etat a mis en place des programmes permettant le développement économique de ces communautés qui atteignent sans doute une partie de la population concernée. Mais est-ce suffisant pour supprimer la notion même d’intouchabilité, si tel est l’objectif ? Les dalits restent marginalisés dans la société indienne malgré le combat des réformistes et leur propre recherche de citoyenneté. Ils ne sont pas citoyens au sens où ils subissent, pour la plupart une situation, et une politique sans aucun moyen d’y remédier. A la limite, ils se résignent à leur état et attendent passivement de la part des autres une amélioration de leurs conditions de vie. 3.5 Marginalisation des dalits : une interprétation sociologique Il existe deux grandes orientations sociologiques20 en Inde en ce qui concerne la question des SC : la première propose une explication culturelle et la deuxième se penche sur les relations de pouvoir en société. La théorie culturelle : Elle repose essentiellement sur l’existence d’un système de valeurs et sur les relations structurelles entre les SC et la communauté dominante. Moffatt (1979) distingue trois modèles et les nomme ‘images hors-castes’, ‘modèles de diversité’ et ‘modèles d’unité’. Selon le modèle des ‘images hors-castes’, les SC n’ont pas une culture qui leur soit propre, c’est à dire qu’ils sont soit sans culture soit libre de toute culture. Certaines descriptions des SC projettent l’image de communautés sans culture et possédant plus de qualités négatives, telles que la ‘paresse’ ou bien la ‘saleté’, que de qualités positives. D’autres considèrent que les SC se sont effectivement libérés du poids de la culture dominante et sont dans ce sens libre de toute culture. (Gough 1956 ; Mencher 1974 ; Berreman 1971). La théorie du ‘modèle de diversité’ considère les SC comme ayant leurs propres systèmes de culture. Ces systèmes, décrits comme de ‘petites traditions’ pré-aryennes, sont distincts de la culture brahmanique. La société dans ce modèle 20 Jose Kananaikil, Marginalisation of the scheduled castes : a sociological interpretation dans Scheduled Castes and the struggle against inequality, Indian Social Institute, 1978 n’est pas analysée sur le plan de la hiérarchie et les SC ne se trouvent donc pas forcément en bas de l’échelle. Ce sont les relations de pouvoir qui ont déterminé leur situation actuelle. Cette théorie n’a pas rencontré un écho significatif. La théorie du ‘modèle d’unité’ se base sur un consensus culturel fondamental entre les SC et le reste de la société hindoue. Ce modèle stipule que malgré les dissensions entre les différents groupes, ceux-ci sont complémentaires et acceptent le système de valeurs hiérarchiques comme une valeur de base de la société. Même les SC en bas de l’échelle participent volontairement à leur propre oppression. La préoccupation principale de cette approche culturelle réside dans les aspects structurels et fonctionnels. Elle ignore, ou tout au moins minimise, l’importance des relations de pouvoir en société et la façon dont celles-ci transforment le processus social. Elle ne regarde pas comment, dans les sociétés complexes, les ‘déterminants objectifs’ d’existence sociale peuvent se transformer en ‘déterminants subjectifs’ et ‘intérêts subjectifs’ pour une action sociale21. Le modèle culturel semble présumer que chaque société a un système central de valeurs auquel ses membres participent à divers degrés. Les diversités dans la société sont interprétées comme des variations du système central. Or si cela est vrai pour les sociétés anciennes, la plupart des nations modernes et nouvelles sont composées de groupes ethniques, sociaux et idéologiques divers cimentés par une autorité centrale. La diversité culturelle est un fait dans la société indienne moderne et la dynamique de relations entre les différents groupes ne peut être négligée. 21 ibidem La théorie de relations de pouvoir Cette théorie a tendance à réduire toute relation dans une société à une relation économique et donc de lutte de classes. Mais Jose Kananaikil de l’Indian Social Institute, ne veut pas se limiter à cette définition dans le contexte indien. Les premiers leaders de l’Inde indépendante croyaient à la capacité de l’industrialisation à transformer la structure de castes en une structure de classes. Jawaharlal Nehru, le premier Premier Ministre de l’Inde était persuadé du pouvoir d’intégration de la société indienne par sa modernisation. Cela ne s’est pas produit et aujourd’hui peu nombreux sont ceux qui croient que l’intégration puisse se réaliser par ce moyen. Le groupe dominant joue un rôle important dans la construction de la nation et il a souvent tendance à définir le système de valeurs, la politique et les ambitions de la nation en fonction de lui-même. Une distinction doit être faite entre la nation et les groupes socio-culturels qui la constituent. De même qu’une nation ne peut être identifiée avec son groupe dominant, l’intégration nationale ne peut être conçue en termes d’assujettissement des minorités aux valeurs du groupe dominant. L’intégration nationale doit être considérée dans la perspective d’une nation constituée d’unités interdépendantes, et de valeurs et d’ambitions différentes. Par ailleurs, la formation d’une nation est un processus auquel les groupes existants participent chacun à leur manière et dans lequel l’identité nationale et les ambitions nationales sont sans cesse reformulées et réaffirmées. De la participation d’un groupe donné au processus de construction de la nation dépend le pouvoir qu’il peut y exercer. Les relations de pouvoir dans une société se définissent comme les interactions entre individus et groupes qui constituent la nation, qui contrôlent à différents degrés les ressources de la nation, qui possèdent des systèmes de valeurs plus ou moins interdépendants et compatibles et qui fonctionnent dans le cadre de la nation comme individus ou comme des para-communautés22. C’est dans cette perspective que la situation des SC est examinée par Kananaikil. Il choisit de traiter les SC comme un groupe singulier malgré leur diversité de langue et de culture. Ceci à cause de leur situation unique actuelle d’oppression, leur situation d’intouchables au cours de l’histoire et leur identité légale actuelle leur donnant des garanties constitutionnelles. Il y a deux pôles dans une relation de pouvoir : le centre et le périphérie. Dans le sens politique (Heeger, 1947), il s’agit respectivement du pôle qui contrôle les ressources et le processus de la construction de la nation, et du pôle qui est privé de sa participation légitime dans ce processus. Kananaikil place les SC dans la périphérie. Kananaikil constate qu’à l’origine même de ce système social23, se trouvent une interaction culturelle et des relations de pouvoir qui ont déterminé une hiérarchie, un centre et une périphérie. Si l’émergence des groupes périphériques est le résultat des inégalités de pouvoir, l’inverse c’est à dire le mouvement de ces groupes de la périphérie vers le centre dépendrait de comment et quand les nouvelles sources de pouvoir leur sont rendues disponibles. Cela peut se produire soit par l’émergence de ressources internes aux SC, soit par des facteurs externes. Dans le chapitre concernant la recherche de citoyenneté, nous avons vu plusieurs facteurs externes favorables, tels l’arrivée des Britanniques et la création 22 Jose Kananaikil, Marginalisation of the scheduled castes : a sociological interpretation dans Scheduled Castes and the struggle against inequality, Indian Social Institute, 1978 : Lorsqu’un groupe réussit à se séparer du cadre de la nation, il doit être considéré comme une nation à part. 23 L’origine des intouchables remonterait à l’invasion du sous-continent par les Aryens. Les tribus indigènes vaincues par les envahisseurs sont les ‘dasa’ (servants, esclaves) et tout contact avec les invaincus est proscrit. avec le temps, ces distinctions se transforment en une hiérarchie et des considérations rituelles de pureté et d’impureté sont introduites de nouveaux emplois liés à l’administration coloniale, l’arrivée des missionnaires chrétiens, les mouvements de réformes hindous, l’implication de Gandhi, l’émergence de leaders comme Ambedkar, la discrimination positive à leur égard dans la Constitution indienne. Tout cela a permis la mobilité des SC vers le centre mais pas suffisamment car l’intouchabilité demeure une réalité, surtout en Inde rurale. De nombreuses critiques sont formulées à l’encontre de la politique de discrimination positive, mais Kananaikil fait remarquer que l’acceptation de ce principe dans la Constitution implique la reconnaissance du fait que, dans une société pluraliste, des droits égaux ne garantissent pas des chances égales. De plus, l’adoption de lois ne suffit pas à provoquer le changement social. C’est leur mise en œuvre qui peut y parvenir. Or la mise en œuvre est dans les mains de la communauté dominante. Le principe de relation de pouvoir dans une société veut qu’une politique de discrimination positive, en faveur de groupes périphériques ne peut atteindre son but efficace, si ceux-ci ne sont pas en position d’exiger sa mise en œuvre. La légitimation religieuse d’un ordre socio-culturel24, la diversité importante des groupes25, leur dispersion géographique, l’origine rurale26 et l’extrême pauvreté due à une dépendance économique incontournable par la communauté dominante, tels peuvent être les facteurs selon Kananaikil, qui expliquent comment les relations de pouvoir et la polarisation du pouvoir entre les différents groupes contribuent à la marginalisation des SC. Cependant les SC n’abandonnent pas 24 Cet ordre est imposé par ceux qui sont en haut de l’échelle et qui détiennent le pouvoir et subi par ceux qui se trouvent en bas et restent marginalisés 25 Les SC ne constituent pas un groupe homogène. Les spécificités culturelles, professionnelles ou régionales sont jalousement conservés par les différents groupes de SC et donnent naissance à des conflits entre eux 26 Les SC constituent 16 % de la population indienne et sont dispersés géographiquement, vivant plus particulièrement en régions rurales. Il n’y a aucune région où ils sont majoritaires. leur combat, et donc pourrait-il y avoir une remise en cause de la relation centrepériphérie dans les années qui viennent ? Les SC, réussiront-ils leur recherche de citoyenneté pour devenir partenaires dans la construction de la nation ? Ou bien les groupes dominants parviendront-ils à maintenir leur position grâce à leur habilité politique? La théorie de la séparation des domaines du travail et des connaissances Une troisième explication de la marginalisation des dalits réside dans le processus historique de la séparation du domaine du savoir de celui du travail. Les anciennes théories sur l’éducation se basaient sur l’hypothèse que l’acte de travailler dilue la qualité de la réflexion et l’acte de penser émascule le travail manuel. Ces théories étaient soutenues par la classe au pouvoir afin d’assurer leur monopole sur le contrôle des moyens et des connaissances de production. Cette tradition de séparer le domaine du travail manuel de celui de la connaissance et de celui du pouvoir, a exclut les travailleurs (manuels) de l’éducation formelle d’une part et du pouvoir d’autre part car le pouvoir ne pouvait être confié à un ‘illétré’. L’éducation serait devenue l’instrument même de l’inégalisation dans la société. CHAPITRE 4 Perspective historique de l’éducation moderne en Inde La Constitution indienne, adoptée en 1950, énonce le principe de l'éducation gratuite et obligatoire pour tous jusqu'à l'âge de 14 ans, un objectif à atteindre en 10 ans, c'est-à-dire en 1960. Quarante-neuf ans plus tard, le pays est encore loin d'avoir atteint cet objectif : le taux d'alphabétisation est aujourd'hui de 52%. Ce chiffre atteint à peine 20 % pour les SC. Les statistiques montrent la progression de la proportion globale de ceux qui ont accès à l’éducation mais aussi l’inertie des SC dans ce domaine. Dans ce chapitre, je souhaite développer la perspective historique du projet éducatif sous l’angle de l’imaginaire plutôt que des statistiques. Dans le cas qui nous concerne, il me semble que la dite ‘inertie’ des SC réside dans la confrontation entre l’imaginaire d’une nation nouvellement fondée et l’imaginaire d’une société traditionnelle. Les grandes étapes de l’histoire de l’éducation moderne en Inde se divisent essentiellement en trois parties : l’éducation coloniale ; l’émergence d’une vision indienne ; la modernisation de cette vision. 4.1 L’introduction de l’éducation moderne (l’éducation coloniale) A l’arrivée des Britanniques en Inde, il existe un système d’éducation indigène. Celui-ci est constitué aussi bien d’institutions élémentaires que supérieures. La plupart des villages ont leur propre école. En 1835, William Adam, un missionnaire, estime que le Bihar et le Bengale comptaient 100 000 écoles, ce qui signifiait une école pour 400 personnes.27 Des enquêtes menées au début du XIXe siècle indiquaient qu'à Madras, le ratio de la présence à l’école des garçons par rapport à la population masculine totale est de 1 pour 34. Pour le Bengale, le même ratio était de 1 pour 36 et pour Bombay, de 1 pour 62. Le taux d’alphabétisation était de 6,1% dans l’état du Bengale. Ce taux peut être généralisé pour l’Inde28, si on ne tient pas compte des importantes disparités régionales. Le contenu de l’enseignement des écoles élémentaires se limite à la lecture, à l’écriture, au calcul et à la comptabilité. Il n’y a qu’un seul enseignant par école avec des méthodes pédagogiques propres à l’époque. Les horaires d’école sont irréguliers ; il y a de nombreux jours de congé. La plupart des écoles n’ont pas de bâtiments et elles se passent parfois dans les maisons des enseignants, parfois dans les maisons des familles qui engagent les enseignants ou encore dans les temples ou les mosquées29. Ces organismes d’enseignement sont à vocation religieuse et dispensent un apprentissage en sanscrit ou en arabe. Ce sont les missionnaires chrétiens et les sociétés privées qui introduisent au XVIIIe siècle un autre système d‘éducation que l’on peut qualifier d’éducation moderne. Cette initiative reçoit dans un premier temps, le soutien de la Compagnie Orientale des Indes, représentant du gouvernement britannique en Inde. Mais la victoire de Plassey en 1757 fait prendre conscience à la Compagnie de l’importance d’une neutralité religieuse et elle décide de mettre fin à son soutien à toute mission comportant des actions de prosélytisme. Cette décision 27 28 29 A.N. Basu, ed. Adam’s Reports. Calcutta University, 1941. pp. 6-7. K.G. Saiyidain, et al. Compulsory Education in India, Paris, UNESCO 1952. Pp. 12 - 13 S.N. Mukherji, History of Education in India, (Modern Period). Baroda, Acharya Book Depot, 1961. Pp 44 - 45 provoque une vive réaction en Angleterre et la mission chrétienne demande l’intervention du parlement britannique. Charles Grant, employé de la Compagnie et membre du Parlement par la suite, publie un document en 1792, intitulé, “ Les Observations sur l’état de la société concernant les sujets asiatiques de la Grande Bretagne, particulièrement à l’égard de la morale ; et sur les moyens de son amélioration ”30. Il observe que la société indienne se trouve dans un état déplorable et que le seul moyen de l’en faire sortir passe par l’introduction de l’anglais et du christianisme. Les Observations de Grant constituent le premier document important dans l’histoire de l’éducation moderne en Inde car il réussit à convaincre le Parlement britannique de l’urgence d’accepter la responsabilité d’éduquer le peuple indien. Je cite un extrait de ce document “ Les hindous errent car ils sont ignorants ; et leurs erreurs ne leur ont jamais été expliquées. La communication de notre lumière et de notre savoir serait la meilleure solution à leur désordre.. Il y a deux moyens de faire cette communication : dans les langues des pays concernés ou bien dans notre langue. L’emploi de l’anglais apparaît supérieur en dernière analyse. Sur cette base nous proposons que la communication de notre savoir se fasse par le biais de notre langue….. Avec notre langue, une bonne part de notre littérature utile sera communiquée… Les hindous verraient notre grande utilisation de la raison dans tous les domaines ; ils apprendront alors également à raisonner. Les opinions des masses seront rectifiées ; et surtout ils prendront conscience d’un meilleur système de valeurs et de morale”. Quelques orientalistes au sein de la Compagnie, amateurs de la littérature orientale et inquiets de la décadence de l’éducation hindoue et arabe, 30 A. Biswas, S.P. Agarwal, Development of Education in India, P. 4 provoquèrent un débat entre orientalistes et occidentalistes. Les missionnaires obtinrent finalement gain de cause. Ils furent autorisés à mener leurs activités éducatives et de prosélytisme dans les territoires de la Compagnie. La Compagnie eut obligation de contribuer par une partie de ses recettes “ à la renaissance et l’amélioration de la littérature et à l’encouragement des savants indiens ainsi qu’à l’introduction et à la promotion d’un savoir scientifique parmi les habitants des territoires indiens31”. Un acte passé à cet effet, en 1813 reste très vague dans ses termes et met en lumière, entre autres, l’absence de précision concernant la langue d’enseignement et l’hésitation entre la volonté d’éduquer les masses et celle de limiter l’éducation à une élite qui pourrait ensuite la transmettre aux masses. Les modalités d’application restèrent entre les mains des Anglais. Serait-ce l’origine des inégalités dans l’éducation en Inde moderne ? La faiblesse des moyens engagés dut limiter l'accès de l’éducation à une élite. Devant un accroissement de l’investissement de la Compagnie dans la littérature sanscrite et arabe, Raja Ram Mohan Roy, réformateur social (voir p.18), plaida en faveur d’une éducation occidentale, notamment pour l’acquisition des connaissances scientifiques, et contre l’éducation védique. Les populations ellesmêmes réalisèrent que cette éducation moderne ouvrait des possibilités élargies en matière d’accès à l’emploi. Cette prise de conscience constitue le début d’une demande indienne pour l’éducation occidentale. Les recommandations de Macaulay en 1835, validées intégralement par Lord William Bentick, Gouverneur Général de la Compagnie, mirent fin au conflit qui opposait l’éducation orientale et l’enseignement anglais. C’est ce dernier qui fut renforcé sous la forme d’une 31 ibidem, p. 8 nouvelle politique éducative afin de créer des employés indiens compétents qui coûteraient moins chers que les expatriés britanniques. La controverse sur la question éducative dura néansmoins, jusqu’en 1853, année qui vit un renouvellement de la charte de la Compagnie et, par la même occasion, l’élaboration d’une politique détaillée pour la reconstruction de l’éducation. 1853 : Vers une éducation des masses La politique détaillée dans un document rédigé par Charles Wood et appelé couramment le Woods Despatch, définit clairement les termes d’une éducation généralisée, c’est à dire d’une éducation de masse. Wood considère l’éducation du peuple indien comme un des devoirs sacrés de la Grande Bretagne. D’une part, elle permettra de relever le caractère moral des leurs employés indiens de la Compagnie, un préalable important pour garantir le bien-être du peuple indien sous surveillance et, d’autre part, elle favorisera les intérêts commerciaux de l’Angleterre. Le document fixait l’objectif d’une diffusion des connaissances européennes en matière d’art, de science, de philosophie et de littérature. Il reconnaissait la nécessité de combiner l’anglais et la langue locale afin d’atteindre le plus grand nombre. L’anglais était essentiel pour l’acquisition de ce savoir donc pour les enseignants – mais il pouvait être transmis aux populations dans les langues locales. Wood considère la création d’universités comme une nécessité pour répondre au besoin manifesté par les étudiants indiens déjà formés par l’enseignement secondaire en anglais. Il demande qu’une attention particulière soit portée aux moyens à mettre en œuvre afin qu’un savoir pratique soit accessible à toutes les catégories de population. Il affirme que l’accès à l’éducation ne peut se faire sans un appui gouvernemental. Il doit y avoir une école gouvernementale dans chaque district du pays. L’éducation des femmes est encouragée. La qualité de l’enseignement est également exigée. L’éducation dans ces écoles doit rester obligatoirement laïque. Mais les bibliothèques scolaires peuvent disposer d’une Bible et les enseignants peuvent répondre à toute question concernant le christianisme en dehors des heures de classe. Devant l’ampleur de la tâche, il fit appel aux donateurs indiens privés. Enfin, il souhaita apporter un appui particulier aux classes moyennes et aux pauvres en demandant aux classes aisées de se payer leurs études. Le ‘Wood Despatch’ deviendra historiquement très important car c’est la première fois que l’accès au savoir est généralisé et qu’il est théoriquement à la portée de tous. 1882 : La création de l’Indian Education Commission (IEC) (Commission indienne pour l’éducation) L’étape importante suivante dans l’histoire de l’évolution de l’éducation moderne en Inde est la création d’une ‘Indian Education Commission’ (Commission indienne pour l’Education) en 1882. Elle a pour mission d’évaluer la mise en œuvre des recommandations de Wood de 1853 et de porter une attention particulière à l’éducation primaire. La Commission recommande que l’éducation primaire soit renforcée mais propose également une diversification de l’enseignement secondaire, de façon à permettre à ceux qui le souhaitent, de continuer leurs études à l’université et à d’autres, de suivre un enseignement pratique de niveau secondaire. La Commission réitère la nécessité de l’éducation des femmes et de la neutralité religieuse. Ces recommandations furent suivies par une rapide expansion de l’enseignement secondaire. 1902 : La création de l’Indian Universities Commission (Commission des Universités Indiennes) De plus en plus d’étudiants espéraient accéder à l’éducation universitaire, seul passeport vers un emploi. Il y avait cinq universités à l’époque : Calcutta (1857), Bombay (1857), Madras (1857), Panjab (1882) et Allahabad (1887). Ces universités ne étaient pas prêtes à accueillir le nombre croissant des étudiants. L’université de Calcutta par exemple, accueillait 27000 étudiants. Ces cinq universités étaient avant tout affiliées aux universités anglaises. Malgré l’autorisation donnée aux universités du Panjab et d’Allahabad d’enseigner, le travail important entraîné par la fonction d’affiliation les empêchèrent de devenir de vrais lieux d’enseignement. Il a été décidé, à la création de l’Indian Education Commission que celle-ci n’interviendrait pas dans le domaine de l’enseignement universitaire. Lord Curzon, gouverneur britannique, dans son programme d’éducation, accorda une très grande priorité à une réforme de l’éducation universitaire. Il nomma en 1902, une Commission des Universités Indiennes chargée de faire des propositions pour l’amélioration du fonctionnement et l’élévation du niveau de l’enseignement universitaire. Une nouvelle résolution du gouvernement britannique sur la politique éducative en Inde vit le jour en 1904 sans grand changement sur le fond. Elle réitèra l’importance de l’éducation primaire, l’implication de l’Etat dans l’enseignement secondaire, même si celle-ci n’était pas entièrement financée par le gouvernement et enfin la nécessité d’une neutralité religieuse dans toute structure publique d’éducation. L’imaginaire du projet éducatif colonial L’introduction de l’éducation moderne par les Britanniques avait pour but de sortir les hindous de leur ignorance, de leur montrer l’utilisation de la raison dans tous les domaines, de transmettre un meilleur système de valeurs et de morale et enfin de mettre fin à un désordre qui régnait dans la société hindoue32. Pour ce faire, ils préconisaient la communication de la ‘lumière’ et du savoir venus de l’occident. L’objectif était donc avant tout de faire prévaloir le rationnel sur l’irrationnel que représentait pour eux, l’hindouisme. Dans un débat qui opposait l’éducation orientale à l’éducation occidentale, c’est ce dernier qui l’emporta et le colonisateur investit dans une éducation moderne du peuple colonisé. On passait ainsi d’un enseignement traditionnel (lecture, écriture, calcul et religion) à un enseignement moderne (lecture, écriture, art, sciences, philosophie, littérature et laïcité). Le lieu de savoir qui était sacré dans la tradition s’est transformé en lieu laïc. On n’y trouve aucune réponse aux questions d’ordre spirituel de l’homme, s i ce n’est à travers la Bible à disposition dans les bibliothèques scolaires. Cet imaginaire défendait les valeurs universelles et laissait l’homme seul face à s a dimension spirituelle irrationnelle. Rien n’était prévu à l’égard d’une éducation de masse. Cette éducation, serait-elle donc élitiste et aurait-elle permis de détourner l’intérêt de ceux qui accédaient déjà à l’enseignement traditionnel vers l’enseignement moderne ? Presque un demi-siècle plus tard, l’imaginaire du colonisateur se modifia. Il considéra l’éducation de son peuple comme un devoir sacré. L’éducation devait permettre d’élever le caractère moral des employés indiens, tout en favorisant les intérêts commerciaux de l’Angleterre33. Dans ce but, le colonisateur introduisit une éducation de masse. Il est évident qu’il se trouva très vite confronté à un problème de financement et donc, en pratique, l’éducation ne put se généraliser. Il n’y eut pas suffisamment d’écoles primaires et les 32 Charles Grant, Observations on the state of society among asiatic subjects of Great Britain, particularly with respect to morals ; and on the means of improving it. , 1792 ; Educational Records, Part I, 1781 – 1839, Sharp, National Archives of India, p.81 33 Charles Wood, Wood Education Despatch, 1854, Educational Records, Part II, 1840 – 1859, Richey, National Archives of India, paragraphes 3 – 4. moyens limités durent être partagés entre l’éducation élémentaire pour les masses et l’éducation secondaire pour l’élite. De même, à la fin du 19e siècle, le gouvernement dut investir dans le cycle universitaire. Ce sont ces élites qui occuperont les emplois proposés par l’administration britannique et feront avancer les intérêts commerciaux de l’Angleterre. Le décalage ainsi créé persista et s’accentua jusqu’à nos jours. 4.2 L’émergence d’une vision nationale sur l’éducation De 1905 à 1921, on assiste, à une intensification du mouvement indépendantiste et à l’émergence d’une pensée indienne en matière de politique nationale d’éducation. En 1906, lors de la réunion du Congrès à Calcutta fut lancé un appel aux populations afin qu’elles s’intéressent à la question de l’éducation et à l’organisation d’une éducation littéraire, scientifique et technique qui réponde aux besoins du pays : une éducation sur une ligne nationale, sous contrôle national et pour la réalisation d’un destin national. Cette déclaration constitue la première étape vers la construction d’une pensée indienne sur cette question. Tandis que la pensée anglaise penchait pour une réforme qualitative avec un contrôle britannique renforcé, les Indiens, notamment Gopal Krishna Gokhale, réformateur social, insistaient sur la nécessité d’une avancée quantitative. En 1910, Gokhale présenta une résolution devant l’Imperial Legislative Council demandant d’accepter le principe d’une éducation primaire obligatoire et gratuite, seul moyen de diffuser une éducation de base aux masses. Cette diffusion n’était possible qu’avec l’appui du gouvernement. Malgré l’enthousiasme et la ferveur que fit naître cette résolution dans le camp indien, elle fut refusée par le gouvernement britannique par manque de moyens. Celui-ci promit d’étendre son appui à l’éducation élémentaire dans la mesure du possible et passa une résolution en 1913. La politique britannique de 1913 repose sur trois principes : rendre l’éducation primaire et secondaire plus pratique et plus utile ; mettre en place des structures d’enseignement supérieur en Inde pour que les étudiants indiens ne soient pas obligés d’accomplir leurs études supérieures à l’étranger ; améliorer la qualité des institutions existantes au lieu de les multiplier. La guerre de 1914 retarda la mise en œuvre de cette politique. Je voudrais souligner ici l’émergence d’un sentiment national en matière de politique éducative. Ce sentiment national, reflété surtout par les leaders nationaux de l’époque, tendait à construire une éducation indienne, accessible à tous, capable d’inculquer l’amour du pays et de ses traditions, à développer les langues indiennes modernes pour mettre fin à la domination de l’anglais comme langue d’enseignement, à développer un enseignement technique destiné au développement économique du pays et à mettre fin à la tentative d’imposer les valeurs britanniques en Inde. Ces orientations marquent la volonté de construire une éducation nationale fondée sur de nouvelles valeurs et donc sur un nouvel imaginaire d’une Nation qui va naître quelques décennies plus tard. Cette ‘éducation nationale’ cherche à s’appuyer sur les écoles introduites par le gouvernement anglais et par les missionnaires et non pas sur les institutions éducatives traditionnelles qui étaient fondées sur un imaginaire social et religieux. Le mouvement pour l’indépendance s’intensifie. Le Congrès, réuni à Nagpur en 1920, lança un appel aux populations pour qu’elles retirent leurs enfants des écoles britanniques et pour que soient créées des écoles et des universités nationales. Cet appel marqua la deuxième étape vers la construction d’une éducation nationale. L’idée mûrit et plusieurs écoles nationales naquirent. Dans ce contexte, il est important de faire référence à un ouvrage de Lala Lajpat Rai34, intitulé ‘Le Problème d’une Education Nationale en Inde’, publié en 1920. Lajpat Rai cite Annie Besant sur la question du contenu de cette éducation, “ Une éducation nationale ne doit pas être séparée des foyers de la nation. Les idéaux, les intérêts, les principes, les émotions des uns doivent concernés les autres. Car la nation est construite avec des familles et l’opposition actuelle entre la maison et l’école doit cesser …… L’éducation nationale doit répondre au tempérament national à chaque moment et doit développer un sentiment national. Il ne s’agit pas de devenir une nation plus grande ou moins grande que la Grande Bretagne mais d’évoluer vers une Inde plus forte…….. Loin de toute excuse pour l’Inde, avec des explications désapprobatrices de ses coutumes et de ses traditions, l’Inde est ellemême et n’a aucun besoin de se justifier.” Ce discours d’Annie Besant contribua à accentuer le sentiment national. L’ouvrage de Lajpat Rai plaidait pour une éducation nouvelle avec une composante ‘patriotique’. Il remettait en valeur l’histoire de la civilisation indienne, de ses acquis en religion, philosophie, droit, sociologie, sciences et arts ; il souhaitait s’appuyer sur ces acquis pour améliorer les connaissances ; il mettait en garde contre une attitude de vanité et une prétention de perfection dans les institutions et les idées indiennes ; il souhaitait effacer les causes et détruire les influences qui avaient contribué à créer une atmosphère de pessimisme dans laquelle le pays s’était enfoncé juste avant la naissance du mouvement nationaliste ; il demandait à ne pas nier les connaissances et le savoir occidentaux car la vérité n’a pas de frontières ; il estimait important que chaque indien connût au moins une langue européenne afin d’accéder à ces connaissances. Le patriotisme devrait avoir une place très 34 avocat et leader du mouvement indépendantiste. importante dans une éducation nationale et tourner principalement autour des trois points suivants : l’amour de l’Inde ; l’amour de la Nation ; les relations avec l'Etat : - L’amour de l’Inde signifie l’admiration pour les personnages de l’histoire du pays, pour les acquis du pays, pour les langues, les traditions, les lois, les coutumes et pour tout ce qui donne au pays son caractère propre. - L’amour de la Nation, se veut porteur d’un enseignement de tolérance et d’amour envers tous les concitoyens sans distinction de couleur, de race, de caste ou de métier. - Enfin, un enseignement des relations avec l’Etat permettrait enfin de garantir le bon fonctionnement d’un gouvernement indépendant au sein de l’Empire. Ce sont ces idées, véhiculées par les Indiens d’esprit ouvert et éduqués à l’occidentale, qui constitueront les bases de la nouvelle institution éducative qui émergera dés cette époque et qui prendra pleinement forme après l’indépendance en 1947. Selon ces idées, l’Inde doit suivre le train du développement industriel européen, ne plus rester à la traîne par rapport au développement mondial, prendre en compte son passé et marcher vers un avenir plus radieux. Elle doit comprendre le monde pour avancer avec lui et ne plus être dominée. Pour ce faire ils ne peuvent s’appuyer sur l’institution traditionnelle qui n’a ni les mêmes soucis ni les mêmes valeurs. Le nouveau système éducatif doit tenir compte de l’existant indien, notamment la diversité des religions et des institutions éducatives qui leur sont propres. Il doit réunir les anciens états autour d’un projet commun. Tel est l’imaginaire de l’avenir du pays en voie de naître. Son système éducatif doit former tous les citoyens à réaliser cet imaginaire. Il doit créer un nouveau rapport au savoir auprès de la population. Pour ce faire, il doit d’abord former les éducateurs. Or ces éducateurs, souvent des hindous de hautes castes, ont essayé de conserver leurs privilèges en conservant l’imaginaire social traditionnel tout en acceptant le changement de l’imaginaire lié au nouveau savoir. Ou bien dans un imaginaire social traditionnel qui limitait l’accès au savoir aux populations hindoues de hautes castes, les intouchables se sont-ils exclus automatiquement de ce projet? En 1919, les Indiens obtiennent le contrôle du département pour l’éducation mais les ministres indiens n’ont pas les moyens requis pour entreprendre la réorganisation et l’expansion souhaitées. Une évaluation menée par le gouvernement britannique en 1928 révèle toutefois une augmentation importante du taux d’inscription dans les écoles primaires. Ce constat est le signe évident d’un intérêt croissant pour l’éducation. Les femmes et les musulmans commencent également à s’inscrire. Je cite un extrait du rapport d’évaluation : “ Des efforts sont faits pour améliorer les conditions des ‘depressed classes’ et celles-ci commencent à répondre à ces efforts et à faire valoir leurs droits à l’éducation ”. L’évaluation met également en évidence l’énorme gaspillage qui prévaut dans le système, notamment dans la section primaire qui, du point de vue des évaluateurs, doit assurer au moins l’alphabétisation et la capacité à exercer un vote intelligent. Une grande proportion de ceux qui s’inscrivent, abandonnent leur scolarité avant d’atteindre le niveau 4, estimé être le minimum requis pour être qualifié d’alphabétisé. Le premier projet éducatif de la Nation indienne en 1937 Le premier Congrès sur l’Education Nationale a lieu en 1937 à Wardha, alors que les gouvernements provinciaux se trouvent face à un dilemme, celui du manque de moyens pour répondre, dans les meilleurs délais, à la demande pressante en faveur de l’introduction d’une éducation gratuite et obligatoire. Gandhi lançait alors son concept d’éducation de base, le Naï talim. Ce concept, qui préconise l’éducation par le biais d’un travail utile et productif afin de rendre l’école autonome financièrement, fut très vite l’objet de débats et donne lieu à la réunion de Wardha qui présenta les quatre résolutions suivantes : 1. L’éducation primaire de sept ans doit être rendue gratuite et obligatoire et ceci dans toute la nation. 2. La langue maternelle doit être utilisée comme langue d’enseignement. 3. La conférence accepte la proposition de Gandhi et, de fait, le processus d’éducation sur la période de sept ans doit être centré sur un travail manuel productif. Les capacités à développer chez l’enfant doivent guider le type d’artisanat retenu qui dépendra également de l’environnement dans lequel vit l’enfant. 4. La Conférence espère que le système ainsi mis en place permettra la prise en charge progressive de la rémunération des enseignants. Le Docteur Zakir Hussain35 est nommé à la tête d’un Comité chargé de rédiger le cursus des sept ans. Le Naï talim de Gandhi avait l’ambition de transformer l’imaginaire social existant à l’époque dans la société indienne et doit être perçu sous l’angle du contexte social évoqué dans le chapitre précédent. Il considérait que, - sur le plan social, l’introduction d’un travail pratique et productif dans l’éducation primaire devait conduire tous les enfants de la nation à participer et, en conséquence, réussirait à anéantir les préjugés contre le travail manuel ou le travail intellectuel de la part des uns et des autres. Elle induirait un vrai sens de la 35 spécialiste de l’éducation et Président de l’Inde dans les années 60. dignité du travail et de la solidarité humaine. Elle conduira à une transformation sociale. - sur le plan psychologique, le travail pratique et productif devrait libérer l’enfant de l’ennui d’un apprentissage purement scolaire et faciliter son épanouissement en proposant un lien entre le corps et l’esprit. L’enfant doit développer la capacité d’apprendre à utiliser ses mains et son intelligence dans un but constructif et pratique, ce qui le conduira, au delà de l’alphabétisation, à un développement de toute sa personnalité. - sur le plan économique, une telle éducation devait augmenter la capacité productive des futurs travailleurs. - enfin sur le plan purement pédagogique, l’utilisation de l’artisanat comme base de transmission du savoir rendrait celui-ci plus concret. Ainsi le savoir serait directement lié à la vie et il se serait créé une continuité entre la phase d’apprentissage et celle de la vie professionnelle. Dans une journée de 5 heures et demie, il était conseillé de consacrer un maximum de 3 heures 20 à l’artisanat choisi par l’école. Les artisanats suivants étaient proposés : tissage et filage ; menuiserie ; agriculture ; jardinage ; traitement du cuir ou tout autre artisanat localement pertinent. Dans tous les cas toute école devait transmettre un minimum de savoir pratique en matière de filage, de tissage et d’agriculture. Ainsi le premier projet éducatif national, fondé sur des concepts gandhiens, prend forme. Le premier projet éducatif de l’Inde Indépendante (1947) Entre 1940 et 1946, on observe un ralentissement dans l’avancement de ce projet en raison de problèmes politiques intenses, de l’absence de ministères populaires, et de menaces de guerre du gouvernement. Il y a néanmoins des efforts dans certains cercles officiels et officieux pour préparer des plans de reconstruction de l’éducation en général et pour le développement d’un système éducatif national en particulier. Le gouvernement de l’Union et les gouvernements des Etats sont appelés à préparer des plans de développement pour la période d’après-guerre. Le Central Advisory Board of Education (CABE) établi en 1920, mais mis en sommeil jusqu’à 1935, examine à partir de cette date tous les aspects liés à l’éducation en Inde. En 1944, il soumet un rapport intitulé ‘Post War Educational Development in India’ (‘développement de l’éducation en Inde dans la période d’après-guerre’). Ce rapport est le dernier document d’importance dans le domaine qui nous concerne avant l’indépendance. L’objectif de ce plan est d’atteindre en Inde en 40 ans, le niveau d’éducation déjà atteint en Angleterre. Il conclut que le projet précédemment mis en œuvre sous les auspices de Gandhi, avait pour objet de faire face au poids financier d’une éducation nationale. Gandhi a imaginé un apprentissage de l’artisanat, partie intégrante de l’éducation de base, poussé à un niveau tel que la vente de la production des écoles, prenne en charge tout ou partie du coût du fonctionnement des écoles, et résolve ainsi le problème financier posé par l’éducation universelle. Le CABE reconnaît la valeur pédagogique du projet de Gandhi, qu’il incorpore dans son propre plan, mais il émet des doutes sérieux sur sa dimension d’autofinancement dont il redoute qu’elle se réalise au détriment de l’efficacité éducative. Il conclut donc que l’Inde doit marcher sur les traces des autres nations et payer pour son système d’éducation pour que celui-ci soit efficace. Je développe ici, les autres conclusions du CABE, afin d’illustrer les préoccupations majeures du projet d’éducation qui se construit : € l’éducation de base (primaire et primaire-supérieure) doit être universelle, gratuite et obligatoire pour tous les garçons et filles âgés de 6 à 14 ans. Devant la difficulté pratique du recrutement des enseignants requis, cette tâche semble difficile à accomplir en moins de 40 ans. € il est important de créer des structures pré-scolaires, également gratuites, l’objectif étant de permettre aux enfants d’accéder à une expérience sociale. € l’éducation secondaire doit être de 6 six ans. ….. l’entrée au niveau secondaire doit être sélective. …. Il doit exister deux types d’écoles secondaires : scolaire et technique. Ces deux types d’écoles doivent fournir une éducation de qualité permettant à l’élève d’accéder à un emploi € Les deux années du lycée qui faisaient partie de l’université doivent se répartir entre l’école secondaire et l’université (l’école secondaire se voit rajouter une année). La durée minimale d’une licence à l’université doit être de trois ans. € Pour répondre aux besoins de l’industrie et du commerce en période d’après-guerre et à ceux des élèves qui s’orientent vers un enseignement technique ou pratique, il est recommandé de développer un système d’enseignement technique. € L’alphabétisation des adultes est impérative mais il est aussi important de prévoir une éducation pour les adultes alphabétisés au sens large du terme. € Dans la mesure du possible les enfants handicapés ne doivent pas être séparés des enfants non-handicapés. Des structures spécialisées doivent accueillir les enfants ayant des handicaps importants. € Les activités récréatives et sociales doivent être partie intégrante du cursus scolaire. Il est également important de s’intéresser aux jeunes de 14 à 20 ans qui ne sont plus à l’école. € Enfin, l’administration de l’école primaire et secondaire doit être principalement confiée aux Etats mais la coordination de l’éducation universitaire et l’éducation technique supérieure doit être assurée au niveau national. Le rapport est vivement critiqué car étant jugé trop cher et basé sur des idées trop britanniques. Il restera tout de même un des fondements du projet éducatif de l’Inde indépendante. Ce rapport et le plan qui a suivi, sont inspirés surtout par un souci d’égalité des chances, par ex. l’éducation pour tous les garçons et filles… ; l’alphabétisation des adultes et l’éducation des adultes alphabétisés… ; des structures spécialisées pour les enfants handicapés… ; Il est néanmoins intéressant de noter que le rapport ne fait pas mention des SC/ST. Aurait-on négligé le poids d’une structure sociale, vieille de plusieurs siècles, dans la réalisation d’une Nation ? A-t-on imaginé qu’une approche rationnelle pouvait, à elle seul, résoudre les problèmes liés à l’irrationnel ? A-t-on pensé que le modernisme, qui avait peut-être fait ses preuves ailleurs, ne pouvait que réussir en Inde ? Le rapport met déjà en avant le souhait de lancer le pays dans la compétition mondiale et de former les ressources humaines du pays selon cet imaginaire par ex. l’entrée au niveau secondaire doit être sélective .. ; il doit exister deux types d’écoles secondaire, scolaire et technique… ; pour répondre aux besoins de l’industrie et du commerce en période d’après-guerre… ; Enfin, il souhaite organiser la structure efficacement et tracer les axes stratégiques nationaux, par ex. l’éducation secondaire doit être de 6 ans… ; les deux années du lycée faisant partie de la structure universitaire doivent se répartir entre l’école secondaire et l’université… ; l’administration de l’école primaire et secondaire est confiée aux Etats mais la coordination des structures d’éducation supérieure serait assurée au niveau national ; On peut dire, au vu de ces conclusions que l’imaginaire de ce fondement posé par le CABE semble avoir une préoccupation de transformation sociale moindre que ce que visait le Naï talim de Gandhi. Le CABE souhaite accorder autant de priorité à l’enseignement supérieur car celui-ci permettra au pays de s e préparer à la compétition mondiale. Les ressources déjà limitées doivent s e partager entre la construction de l’avenir du pays et une transformation sociale permettant d’accéder à une véritable démocratie. Nous reviendrons sur l’imaginaire de Gandhi dans un chapitre ultérieur. L’Inde sort de sa période de colonisation. Le combat pour l’indépendance était long. Pendant les cinquante dernières années de la période de colonisation le combat était plus intense que jamais et avait pris un caractère indien : la désobéissance civile, le satyagraha, la non-violence. Les idées et les convictions nées à cette période vont constituer le fondement de l’imaginaire de l’avenir de la nouvelle Nation, celle d’un peuple indien, laïc et tolérant, celle d’un pays autonome en marche vers l’industrialisation, tourné vers le modernisme. En effet la réalisation de cet imaginaire est très complexe et les fondateurs de l’Inde moderne sont amenés à fixer les priorités. Dans le chapitre suivant, je souhaite mettre en évidence les priorités fixées en matière d’éducation à travers les grandes étapes de l’histoire de l’éducation élémentaire indienne. 4.3 La modernisation du pays : l’adaptation du Projet éducatif aux ambitions de la Nation Le Projet d’Education de base, proposé en 1937 par Gandhi, s’inscrit dans l’histoire de l’éducation primaire comme la première tentative indienne de répondre à l’éducation des masses. L’étape importante suivante est le rapport du CABE en 1944, intitulé PostWar Educational Development in India, déjà évoqué dans le chapitre précédent. Le CABE deviendra instance consultative en éducation, la plus importante du gouvernement indien. A la création de la Nation en 1947, le Post-War Educational Development in India est repris comme document de base. La période de 40 ans, proposée pour atteindre une éducation pour tous, est considérée comme étant trop longue et un comité est institué afin d’étudier diverses façons de la réduire et de trouver les moyens nécessaires à l’accomplissement de la tâche. Ce Comité recommande l’introduction dans un délai de 10 ans d’une éducation de base universelle et obligatoire pour les enfants âgés de 6 à 11 ans et dans un délai de 16 ans pour les enfants âgés de 6 à 14 ans. Les recommandations sont acceptées et de ce fait le principe de l’éducation de base est admis comme programme national. Des malentendus et des préjugés persistent quant au concept de l’éducation de base. Les interprétations sont diverses, ce qui amène le CABE à clarifier et à définir un concept national. La définition du Concept National d’Education de base L’éducation de base est un système unique qui permet de développer le meilleur chez un enfant – socialement, intellectuellement et psychologiquement – et d’en faire un bon citoyen. Le nouveau concept ne s’oppose pas radicalement pas à celui proposé par le docteur Zakir Hussain en 1937. Une durée de huit ans d’éducation obligatoire et l’utilisation de la langue maternelle comme langue d’enseignement ne font plus débat. Pour le reste, je cite : · L’éducation de base conçue et expliquée par le Mahatma Gandhi, est essentiellement une éducation pour la vie mais aussi à travers la vie. …. C’est pourquoi un travail, socialement utile, créatif et productif et auquel participent tous les enfants, sans distinction de caste, de race ou de classe, est placé au centre de l’éducation de base. · L’enseignement d’un artisanat de base est donc essentiel à ce stade … il est également compris que la vente d’objets fabriqués pourrait contribuer aux coûts de fonctionnement de l’école ou bien pourrait être utilisé pour payer le repas ou l’uniforme….. · L’objectif fondamental d’une telle éducation est en effet le développement de la personnalité globale de l’enfant, ce qui inclut également l’efficacité productive de l’individu. Les articles fabriqués doivent être de qualité au niveau de ce qu’un enfant peut produire, socialement utile et en mesure d’être mis en vente. … L’aspect productif ne doit pas être relégué ….. mais il ne doit jamais précéder l’aspect éducationnel. · En ce qui concerne le choix de l’artisanat, une approche libérale doit être adoptée de façon à permettre une utilisation d’artisanat pertinente du point de vue du contenu intellectuel et à laisser la place nécessaire à un développement des connaissances et à une efficacité pratique. L’artisanat doit faire partie de l’environnement naturel et social de l’école et doit posséder un maximum de possibilités éducationnelles. · Comme dans tout bon projet d’éducation, le savoir doit être lié à l’activité, l’expérience pratique et l’observation. Afin de s’en assurer, le cursus doit être intelligemment lié à l’artisanat, à l’environnement naturel, et à l’environnement social……. S’il existe certains aspects du cursus qui ne peuvent y être liés, une ‘association mécanique’ doit être évitée mais ceux-ci peuvent être enseignés selon les méthodes adoptées dans une bonne école. · L’accent mis sur l’artisanat et le travail productif ne réduit pas l’importance des livres. La valeur d’un livre, comme source d’un savoir systématisé supplémentaire et d’un simple plaisir, est reconnue. L’existence d’une bibliothèque dans une école d’éducation de base n’est donc pas sans importance. · Le projet envisage une intégration des écoles dans la communauté de façon à rendre cette éducation et les enfants plus social et plus coopératifs. · L’éducation de base ne s’adresse plus seulement au monde rural. Son introduction s’impose aussi en zone urbaine où elle trouve un champ d’application tout aussi pertinent. D’autre part elle ne doit plus être considérée comme une éducation au rabais proposée dans les seuls villages36. Un Comité d’évaluation – Assessment Committee on Basic Education (ACBE) – est créé pour juger de l’atteinte des objectifs et de l’efficacité des moyens mis en œuvre. A partir de 1955, l’ACBE propose périodiquement des mesures de contrôle et d’amélioration de l’efficacité du système, des mesures de financement, et il fait des recommandations sur la formation des maîtres ou sur la reconnaissance de l’éducation de base tant au niveau secondaire qu’au niveau universitaire. L’éducation de base est d’abord mise en œuvre dans un nombre limité de sites. L’ACBE propose qu’elle devienne universelle : toutes les écoles élémentaires devraient la dispenser à la fois en vue d’une plus grande efficacité de l’éducation primaire et dans la perspective de la construction d’une nation socialiste. En 1956, le gouvernement indien accepte cette dernière recommandation et entreprend un programme national pour la transformation des écoles élémentaires en écoles de base. Toutefois, lors d’un séminaire national, il a été affirmé qu’un système éducatif ne peut être strictement uniforme sauf à vouloir étouffer toute initiative individuelle. Un Programme Minimum est conçu pour 36 A. Biswas, S.P. Agarwal, Development of Education in India, Pp. 406-408 favoriser la mise en œuvre de mesures fondamentales dans toutes les écoles dans un laps de temps défini. Je cite ci-après quelques uns des principes importantes figurant dans ce programme37. Il s’agit d’introduire dans toutes les écoles : des activités qui conduisent à une vie saine ; · des activités qui permettent une formation à la citoyenneté et la vie en société ; · des activités qui mènent à une meilleure connaissance de l’environnement ; · des activités culturelles et d’environnement ; · des activités de service social qui lient l’école, la maison et la communauté ; et · des activités liées à un travail artisanal. Pour que cette réforme soit effective, il convient d’organiser des formations et de produire des guides pédagogiques à l’attention des enseignants, des inspecteurs et des directeurs d’écoles ; L’échéance fixée est 1960 – 61 ; Les ressources disponibles pour l’éducation dans le budget de développement communautaire doivent être utilisés. Les contributions privées locales représentent une source potentielle importante pour l’équipement des écoles. Celles-ci doivent être sollicitées afin de compléter les fonds disponibles ; Le suivi de ce Programme Minimum ainsi que son évaluation périodique doit être assuré, par des instances constituées par les Etats. 37 ibidem, P. 409 C’est sur cet imaginaire que le système éducatif fonctionnera pendant la première décennie des plans quinquennaux, c’est à dire à partir de 1951. Les deux idées forces qui guident la politique et les programmes d’éducation élémentaire pendant cette période sont l’éducation de base et l’éducation universelle et obligatoire pour tous les enfants jusqu’à 14 ans au plus tard en 1960. La stratégie la plus importante, visualisée et déployée pour l'universalisation de l'éducation primaire dans les années 50, visait à augmenter le nombre d'écoles primaires et à inscrire le plus grand nombre d'enfants dans ces écoles. L'expansion de l'école primaire a été très rapide puisque l'on est passé de 209 000 écoles et de 0,54 million d'enseignants dans le primaire en 1950-51, à 548 000 écoles et 1,6 million d'enseignants en 1988-89. Le taux d'alphabétisation en Inde passe de 16% à 52% pendant la même période38. Parmi les facteurs de non-scolarisation se trouvent notamment ceux résultant de l’accroissement de la démographie, de la pauvreté, de la résistance traditionnelle à l’éducation des filles, de l’inertie des SC et ST et de l’apathie des parents. Je ne souhaite pas présenter les différentes analyses sur les chiffres présentés mais rester plutôt dans le cadre imaginaire de ce projet national. En marche vers l’industrialisation : une nouvelle politique éducative en 1968 En 1964, le gouvernement indien décide de revoir son programme d’éducation et nomme à cet effet, une Commission d’Education sous la direction de Professeur D.S. Kothari. Le rapport de la Commission Kothari publié en 1966 redéfinit l’éducation et les objectifs nationaux. L’Inde veut se moderniser, de 38 R. Govinda, N.V. Varghese, Quality of Primary schooling in India, A case study of Madhya Pradesh, IIEP research and studies programme, UNESCO 1993, p.2 s’industrialiser et doit adapter son appareil éducatif en conséquence. L’appareil en vigueur est estimé avoir été conçu pour répondre aux besoins de l’administration impériale et inséré dans le carcan d’une société féodale et traditionnelle. Cet appareil se doit de changer radicalement afin de faire face aux besoins d’un pays démocratique et socialiste en voie de modernisation. Cette révolution proposée dans l’éducation se traduit de la manière suivante : · Transformation interne de façon à lier l’éducation à la vie, aux besoins et aux aspirations du pays ; · Amélioration qualitative de façon à atteindre un niveau conforme aux exigences de la modernisation, voire dans certains secteurs, un niveau international. · Expansion du dispositif éducatif en fonction des besoins en ressources humaines avec un accent mis sur l’égalité des chances d’accès à l’éducation. L’éducation doit être liée à la vie, aux besoins et aux aspirations du pays. Elle doit devenir un instrument de transformation sociale, économique et culturelle pour la réalisation des ambitions nationales. Pour cela elle doit : · Etre liée à la production telle que spécifiée dans les plans quinquennaux ; · Renforcer l’intégration sociale et l’intégration nationale ; consolider la démocratie comme forme de gouvernement et aider le pays à l’adopter comme façon de vivre ; · Accélérer le processus de modernisation · S’efforcer de cultiver un caractère intégrant des valeurs sociales, morales et spirituelles. L’éducation est donc liée à la production nationale par le biais de la science qui doit devenir partie intégrante de l’éducation à l’école. Tel est le cas également de l’expérience pratique, évoquée par la Commission Kothari. Une expérience pratique est définie comme la participation à un travail productif à l’école, à la maison, dans un atelier, un champ, une entreprise ou toute autre situation productive. L’expérience pratique remplace donc l’éducation de base de Gandhi. Je cite, “ Le concept de l’expérience pratique est essentiellement similaire (à l’éducation de base). Il s’agit d’une redéfinition de la pensée éducationnelle de Gandhi en termes d’une société lancée sur la voie de l’industrialisation39 ”. L’éducation de base doit être réorientée afin de répondre aux besoins d’une société désireuse d’une transformation par la science et la technologie. Cela marquera le caractère du nouvel ordre social du pays et la fin de l’idéologie de Gandhi. L’Inde penche clairement en faveur d’une société qui se veut moderne et industrialisée. L’imaginaire du concept Gandhien de l’éducation de base : En quoi le nouvel imaginaire s’oppose-t-il à celui de Gandhi ? Gandhi souhaitait que l’éducation devienne un instrument de changement du système social. Pour ceci il faut que l’éducation concerne davantage la vie que le métier. Pour Gandhi, il fallait que l’éducation se rapporte à la dimension sociale et au coût social de la formation et de l’emploi. L’éducation doit créer des valeurs et un sens de devoir. Il faut que chacun puisse devenir ‘self-reliant’ (responsable et capable de compter sur lui seul) et soutienne ceux qui ne peuvent travailler pour des raisons de handicap ou de vieillesse. En cela, l’éducation est forcément liée à un métier. Pour Gandhi, préparer les hommes et les femmes à faire face à la vie, telle était la vocation de l’éducation. 39 Rapport de la Commission Kothari intitulé, Education and National Development, publié par le Ministère de l’Education, Gouvernement de l’Inde, 1966. L’éducation est un processus social et un mécanisme d’héritage et de transmission de la sagesse accumulée par les individus et les sociétés. Cette sagesse est composée de savoir, d’attitudes et des connaissances pratiques qui ont permis à des individus ou bien à des sociétés de survivre des situations problématiques. L’éducation a permis de transmettre cette sagesse et ces connaissances à travers les âges. Ce processus de transmission peut s’étaler sur toute la vie mais par nécessité sociale, il est organisé sur un temps limité et avec des programmes bien définis. Selon les sociétés et les cultures, la transmission se fait par les symboles, les écrits, la voie orale, visuelle ou bien manuelle. L’action manuelle pour la survie, était le premier instrument d’apprentissage. Celui qui a agi, a appris à répéter l’action dans une situation semblable. Il est devenu plus sage et il transmet son savoir à un autre. Il est ainsi devenu un enseignant. Progressivement, celui qui a reçu la connaissance par voie orale sans passer par l’action, devient à son tour l’enseignant. D’une praxis, la survie devient une théorie digne d’être transmise aux autres. Avec l’arrivée de l’alphabétisation et le passage de la tradition orale à une tradition écrite, ceux qui savaient lire et écrire sont devenus des enseignants supérieurs à ceux qui transmettaient le savoir par voie orale. De la même manière, celui qui est capable de réfléchir, est capable de rendre ses écrits plus imagés. Il est donc un pas devant celui qui transmet les écrits tels quels. Dans cette évolution de la position de l’enseignant, partant de celui qui transmet le savoir par l’action, en passant par celui qui théorise sur la base de l’action dont il témoigne, à celui qui réussit à articuler ce savoir par la lecture et l’écrit et enfin pour terminer avec le philosophe qui utilise le moyen de réflexion, le contenu même de l’éducation est éloigné de la conscience de l’élève. La structure cache la fondation de la connaissance en question et l’élève ne s’en préoccupe pas. L’élève sortant d’un tel système n’a autre compétence que l’utilisation de mots appris pour sa survie. L’exploitation et l’aliénation sont à la base du processus du système éducatif en vigueur. Elles sont donc forcément à la base du système social. L’enseignant, le technicien ou bien le philosophe montent l’échelle sociale en observant le travailleur de base, c’est à dire celui qui est engagé dans l’action. Celui-ci se trouve en bas de l’échelle et n’a aucun pouvoir. L’éducation de base n’est donc qu’une pédagogie sociale par le biais de l’école. En la proposant, Gandhi souhaitait lutter contre l’aliénation et l’exploitation du travailleur manuel et contre cette violence subtile qui n’est d’ailleurs pas perçu comme une violence même par l’exploité et qui au contraire se perpétue grâce à lui. Dans l’imaginaire de Gandhi, avec un travail manuel, productif et lié à la survie au centre même du processus éducatif, la société devrait pouvoir se débarrasser de ce mépris à l’égard des castes situées en bas de l’échelle social ou des dalits. Une telle école devait anéantir toute notion de supériorité ou d’infériorité liée à un métier exercé par un individu et à l’appartenance à une caste ou classe sociale. Le travail doit en effet être central à un système éducatif mais moins pour former à un métier que pour favoriser la survie dans une structure sociale. Or avec l’acceptation des recommandations de la Commission Kothari, l’Inde exprime son désir de faire un pas en avant sur le plan de son économie. L’éducation est conçue principalement comme un investissement dans le développement des ressources humaines dont a besoin le pays pour répondre à ses ambitions de modernisation et d’industrialisation. L’éducation est un passeport vers un emploi. Il est donc peut-être évident qu’elle investisse plus sur une élite capable de répondre à ces besoins et moins sur les masses. En 1960, le pays consacrait 2,3 % de ses revenus à l’éducation et seulement 35% de ce budget était consacré à l’éducation élémentaire40. Malgré l’accroissement quantitatif important de l’institution éducative, cité précédemment, l'objectif de l'universalisation de l'éducation est loin d'être atteint et 50% des enfants ne terminent pas le cycle primaire41. Après quelques années de l’effort quantitatif, il a été établi que l'existence d'écoles, même en nombre suffisant, ne saurait garantir à elle seule une éducation pour tous. Les échecs et les abandons scolaires interdisaient, en effet, à une proportion importante d'enfants d'atteindre un niveau satisfaisant d'acquisition de connaissances. La Commission Kothari, a proposé des alternatives à l'école formelle pour que des réponses soient apportées aux lacunes du système éducatif existant, et a suggéré que des programmes massifs d'alphabétisation soient mis en oeuvre en faveur des jeunes et des adultes. La stratégie principale mise en application sur la base de ces recommandations a consisté à introduire des mesures dites incitatives afin d'attirer les enfants à l'école et de leur permettre d'y mener une scolarité complète. Ainsi, par exemple, le constat selon lequel les redoublements répétitifs étaient cause d'abandons massifs a donné naissance à la politique du "no detention" (non-redoublement) de promotion automatique jusqu'à la fin du cycle primaire pour autant qu'un minimum de présence en classe était assuré42. 40 R.Govinda, N.V. Varghese, Quality of primary schooling in India, A case study of Madhya Pradesh, IIEP research and studies programme, UNESCO 1993, p.2 41 42 ibidem, p.2 ibidem, p.3 La National Policy on Education, 1986 (NEP 86). Les évaluations successives de la politique éducative et ses stratégies de mise en œuvre n'ont pas tenu compte pendant longtemps des spécificités géographiques et sociologiques. Ce n'est qu'en 1978 qu'une telle étude, menée par chacun des Etats de l'Union, a permis d'affiner la connaissance sur les freins propres à chaque région ou à chaque catégorie de population. A la suite de cette étude, les stratégies et les plans d'actions pour l'universalisation de l'éducation élémentaire ont été redéfinis et les ressources nécessaires à leur mise en œuvre, ont été évaluées. Ces travaux ont mis en évidence les disparités entre Etats mais plus encore l'insuffisance de l'approche adoptée jusqu'alors, c’est à dire celle d'augmenter le nombre d'écoles primaires pour arriver à une universalisation de l'éducation. Un programme d'éducation non formelle financé par l'Union dans 9 états dits "educationally backward" (en retard pour l’éducation) a été lancé en faveur des enfants de 9 à 14 ans qui, soit avaient abandonné l'école, soit n'y avaient jamais été inscrits. Un programme d'alphabétisation a été également entrepris à grande échelle. Ces stratégies ont été formalisées par la suite dans la "National Policy on Education" de 1986. La NEP 86, remise à jour en 1992, constitue la dernière étape importante jusqu’à nos jours dans la politique éducative du pays. Il est reconnu que la mise en place de la politique de 1968 a permis à plus de 90% des habitations rurales de posséder une école élémentaire dans un rayon d’un kilomètre. Elle a également permis l’instauration d’une structure institutionnelle commune pour l’ensemble du pays et d’un projet scolaire commun pour les filles et les garçons, l’introduction des sciences et des mathématiques comme matières obligatoires, l’obtention d’une place importante pour l’expérience pratique et, enfin, l’apport d’une réponse aux besoins du pays en termes de ressources humaines. Mais il est admis que cette politique ne s’est pas traduite en stratégie de mise en œuvre, accompagnée d’une prise de responsabilités et d’un soutien financier et organisationnel, ce qui a donné lieu à d’importants problèmes d’accès, de qualité, d’utilité et de ressources. La NEP 86 définit un cadre pour le développement de l'éducation jusqu'à la fin du siècle, établit un plan d'action et attribue les responsabilités d'organisation, de mise en œuvre et de financement des actions. Avec cette nouvelle politique, l'accent n'est plus seulement mis sur l'inscription à l'école, mais sur l'inscription accompagnée de la rétention et du succès scolaires. Elle exige de nouvelles méthodes pédagogiques afin d’attirer l’enfant. Ces méthodes actives, le principe de la non-redoublement en cycle primaire et d’une évaluation continue dans la mesure du possible, l’exclusion de toute punition corporelle, et l’adaptation des horaires et des vacances aux besoins de l’enfant, sont autant de mesures pour retenir l’intérêt de l’enfant à la vie scolaire. Elle réitère le principe d’une école pour tous, sans distinction de caste, d’ethnie, de sexe ou de la situation géographique. Il y est également constaté qu'avec la seule école formelle, des millions de filles et d'enfants travailleurs resteront exclus du système scolaire. Il faut donc une nouvelle forme de système éducatif, tenant compte des particularités de ces catégories d'enfants. La NEP 86 suggère ainsi qu'un nouveau programme d'éducation non formelle, comparable au système formel, soit élaboré et intégré dans la nouvelle stratégie indienne pour une éducation de base pour tous. Il est proposé d’intégrer l’idée d’une égalité inhérente dans le cursus même pour mettre fin aux préjugés transmis par l’environnement social, notamment ceux liés à l’inégalité qui résulte de la naissance, c’est à dire de la jati. Une importance particulière est accordée à l’égalité des chances et un certain nombre de mesures sont annoncés en faveur des catégories défavorisées comme les femmes, les SC, les ST, les minorités, les handicapés et les adultes analphabètes. Pour les dalits, se trouvent certaines mesures dites incitatives : - une prime d’encouragement pour les familles dont les enfants vont à l’école jusqu’à l’âge de 14 ans ; - des bourses d’études secondaires pour les enfants de certains SC ; - si besoin, des cours de rattrapage pour ces enfants ; - le recrutement d’enseignants SC ; - des places dans les internats du district (pour les études secondaires) ; - la localisation dans un village, des bâtiments scolaires ou des centres de formation d’adultes, de façon à faciliter la participation des SC. L’éducation de base des SC/ST est enfin traitée comme un cas spécifique. L’imaginaire social lié aux castes, est reconnu officiellement. La NEP 86 reconnaît que l'Education pour Tous dans un pays comme l'Inde n'est possible que si la planification est élaborée au niveau local. Un processus de décentralisation basé sur une planification au niveau du district, est ainsi entamé. Il est, par ailleurs, établi qu'en dehors de la mobilisation des ressources financières auprès des institutions, il faut obtenir la participation des communautés et des ONG locales, procéder à une adaptation des systèmes éducatifs aux cultures locales (par exemple, définir quelle langue doit être choisie pour l'enseignement), et intégrer les demandes des populations en matière de transmission des valeurs. Certaines des stratégies mises en œuvre depuis l’annonce de cette politique sont : - l'Operation Blackboard qui a pour objectif d'assurer un minimum de conditions matérielles pour l'éducation primaire, - le Minimum Levels of Learning destiné à mettre l'accent sur le niveau d'acquisition de connaissances requis à chacune des étapes du cycle primaire, - le repas de midi à l'école primaire pour améliorer le taux de présence, - le Total Literacy Campaign pour augmenter l'alphabétisation, - le District Institute for Educational Training pour la formation ou la remise à niveau locale des enseignants. Parallèlement aux initiatives de l'Etat et des instances internationales, les ONG indiennes, implantées de longue date, ont elles-mêmes développé des approches pragmatiques et exhaustives dans le domaine de l'éducation et qui s'inscrivent tout à fait dans le cadre de la NEP. Ces projets éducatifs, financés par des fonds privés en provenance d'ONG Nord, ne sont reconnus par l'Etat ni dans leur forme ni dans leur contenu. Conduits en étroite collaboration avec les communautés, nombre de ces projets ont atteint un stade de maturité et de reconnaissance par les populations qui leur permet de viser à une autonomisation. Ces stratégies développées par les ONG indiennes sont-elles plus adaptées que celles de l'Etat ou des instances internationales ? Au fond, les objectifs de la NEP 86 ne changent pas par rapport à ceux de 1968. L’objectif de modernisation du pays semble devoir être atteint grace à une élite. L’objectif affiché des politiques est de rassembler tout le peuple sur le chemin de la modernisation et de viser de cette manière la transformation sociale. La modernisation devait filtrer à travers les murs socio-culturels pour atteindre les populations en bas de l’échelle. Il n’en est rien. Ne serait-ce pas parce qu’un projet de modernisation répond avant tout aux besoins matériels de l’homme et laisse de côté les besoins spirituels ? C’est un fait que l’éducation spirituelle a toujours eu une place dans les institutions gouvernementales. Lors de la première réunion du CABE après l’indépendance de l’Inde (la 14e depuis ses débuts), le Ministre de l’Education et Président de séance, Maulana Azad, insistait sur la nécessité d’une éducation spirituelle dans le pays. “ Si le système éducatif devrait ignorer cet élément de l’homme, dit-il, il n’y aurait aucune appréciation de valeurs morales ni construction des êtres humains. Il est inacceptable à des millions d’Indiens de voir leurs enfants élevés sans qu’il soit fait référence à la dimension religieuse. Si le système néglige un enseignement spirituel, ceux-ci essayeront de l’obtenir de sources privées, ce qui ne fera que renfermer les populations dans le cercle des dogmes43”. Dans un pays qui reste profondément religieux et où les croyances religieuses sont diverses, l’idée de Maulana Azad, de Nehru ou d’autres, est d’introduire la notion d’une spiritualité laïque. Cela se traduit dans les écoles par une séance de prière commune chaque matin avant le début des cours. Ces prières que je qualifierais de ‘moments d’intériorisation sur les valeurs essentielles de la vie – valeurs communes à toutes les religions’, dépassent tout cadre religieux et sont laïques. L’Inde, contrairement à la France, définit le laïcité à l’école comme une tolérance ou plutôt une acceptation vis à vis de toute religion. Chacun a le droit d’exprimer son appartenance à une religion sans contrainte, à l’école comme ailleurs. Au sein de l’école, la prière commune réunit toutes les religions. Ainsi, l’école que j’ai fréquenté, a été fondée par des missionnaires catholiques mais disposait d’une salle de prière pour les élèves des autres religions. Mais ce projet de spiritualité laïque, tout en reconnaissant le besoin spirituel de l’homme, répond-il véritablement aux questions de celui-ci sur le sens même 43 A. Biswas et al, Development of Education in India, A Historical Survay of Educational Documents Before and After Independance, Concept Publishing Company, New Delhi, 1986. Extrait du discours inaugural de la dite séance du CABE, p. 78. de la vie ? Peut-il remplacer l’imaginaire de l’homme par une réflexion sur la vie et la nature ? Comment réconcilier les voies du matérialisme et du spiritualisme à travers l’éducation? Malgré les efforts réalisés, ce décalage entre les dalits, les tribaux et les autres, persiste de nos jours. Le décalage qui s’est initialement créé, dès l’introduction de cette institution permettant la libération de l’oppression et de l’ignorance, qu’est l’éducation moderne, n’a fait que se creuser, au point de créer, en gros, deux catégories de population : ceux pour qui l’acte d’envoyer leurs enfants à l’école est un acte automatique et ceux pour qui il ne l’est pas. Les premiers répondent aux besoins et aux ambitions du pays et contribuent à la construction de la nation et les derniers restent en marge de cette construction. Il y a des cas d’écoles dans les villages, où les enfants dalits sont physiquement séparés des autres dans la salle de classe. D’autres où les enfants des dalits et ceux des autres castes sont dans des bâtiments gouvernementaux séparés. Le plus souvent il y une discrimination à l’intérieur de la classe par l’enseignant44. Dans le chapitre suivant, je souhaite développer le cas d’une ONG indienne, Rural Development Trust (RDT), et son expérience depuis 1969 dans l’éducation des SC . RDT est basé dans le district d’Anantapur, Andhra Pradesh. Son action est en très grande partie financée par les bailleurs de fond étrangers, dont Aide et Action, une ONG française fondée en 1981 par Pierre Bernard le Bas à son retour d’Inde où il avait passé deux ans en tant que coopérant. 44 Probe team, Public Report on Basic Education in India, Oxford University Press, 1999, pp.50-51 CHAPITRE 5 Rural Development Trust Le Père Ferrer est né à Barcelone en 1920. A l’âge de 17 ans, il arrête ses études pour participer à la guerre civile en Espagne. A son retour, il termine ses études en cours et entreprend des études de droit. Il imagine que l’étude du droit lui permettra de venir en aide aux pauvres qui ne peuvent se payer les services d’un avocat en cas de besoin. Il n’a qu’une envie, celle d’aider les défavorisés. A cette époque, il fait la connaissance des jésuites et voit en eux la possibilité de mieux aider les pauvres qu’en étant avocat. Il veut devenir prêtre. Il a 24 ans. Inspiré par l’œuvre des jésuites et leur combat dans le monde, le Père Ferrer décide de les rejoindre. Il a le choix de rester en Espagne ou bien de partir en tant que missionnaire. Il choisit cette dernière option et est envoyé en Inde en 1952. Il s’installe à Pune dans l’état du Maharashtra. Là, il continue sa formation de jésuite et entreprend l’apprentissage du Marathi, la langue régionale du Maharashtra. A cette période, il passe quelques temps à Kodaikanal (état du Tamil Nadu) dans une école de jésuites. A la fin de sa formation de jésuite en 1956, il est envoyé en poste à Manmad, à deux cents kilomètres au nord de Pune. L’église institutionnelle ne l’intéresse pas. Ce qu’il souhaite, c’est d’aider l’humanité et l’aider d’une manière significative, “helping in a big way ”, dit-il. Son rêve est de venir en aide aux personnes dans le besoin et de le faire de la meilleure manière possible. Il est parmi les premiers prêtres catholiques en Inde, à s’intéresser au domaine du développement et de l’humanitaire dans les villages. A l’époque, ce qui se fait couramment dans ce domaine, c’est le développement des écoles ou des hôpitaux. Il crée le Shetkari Seva Mandal (association d’aide aux paysans) pour le développement des paysans dans les villages pour lequel, il sollicite des financements des organisations catholiques, notamment de Miséreor, organisation catholique allemande et de Catholic Relief Services (CRS). L’action la plus importante menée par le Shetkari Seva Mandal (SSM) est celle de Food for Work (nourriture contre travail). Il s’agit de récompenser la main d’œuvre des paysans par une distribution de grains. Par ex. des paysans creusent leurs propres puits et au lieu de les payer en argent, le SSM les paye en grains. Le paysan peut ainsi travailler à l’amélioration de sa capacité future tout en préservant ses besoins immédiats en nourriture. Le SSM fournit également des aides individuelles financières aux paysans pauvres. Le Père Ferrer ouvre de plus un hôpital et une école par l’intermédiaire du diocèse. Il travaille pendant 10 ans dans la région et accomplit, comme il le souhaitait, une œuvre importante. Il prend le surnom de ‘baba’ (terme affectueusement respectueux) et il est très aimé de tous. Les usuriers, qui perdent leur poids dans la région grâce à la mise en place d’un système de crédit par le SSM, s’allient avec les politiciens locaux pour manifester contre lui. L’affaire remonte au gouvernement du Maharashtra qui demande au père Ferrer de quitter l’état. Il est accusé de convertir les populations au catholicisme ou encore d’espionnage. Les accusations et la décision du gouvernement du Maharashtra déclenchent une très importante campagne de soutien en faveur du Père Ferrer, campagne à laquelle participent les paysans de Manmad, mais aussi des groupes de sympathisants à Bombay et dans d’autres régions de l’Inde. Le Premier Ministre, Indira Gandhi, intervient pour le soutenir également mais ne réussit pas à calmer l’affaire au sein du gouvernement de Maharashtra. Cette campagne menée par Madhu Mehta, politicien de grande renommée à Bombay, dure un an. Indira Gandhi décide qu’il peut rester mais lui demande tout de même, pour sauver la face du gouvernement du Maharashtra, de prendre un congé de deux mois avant de recommencer son travail n’importe où en Inde sauf au Maharashtra. Il fait confiance à Indira Gandhi et part pour l’Espagne. Une fois en Espagne, il a un moment d’hésitation et ne sait comment s’y prendre pour revenir en Inde. Six mois plus tard, il reçoit un mot d’Indira Gandhi par l’intermédiaire de l’ambassadeur de l’Inde en Espagne, l’encourageant à revenir. Il revient et est invité par le Ministre en Chef de l’Andhra Pradesh à travailler dans son état. A l’arrivée du Père Ferrer à Hyderabad, la capitale de l’Andhra Pradesh, il rencontre des journalistes. Ceux-ci lui demandent où il souhaite s’installer. Il leur demande de lui faire des propositions car il n’en a pas la moindre idée. La région de Rayalseema au sud de l’Andhra Pradesh, est alors citée comme étant la plus pauvre. Cette région est composée de quatre districts : Cuddapah, Chittoor, Kurnool et Anantapur. Un contact très positif et chaleureux avec les autorités d’Anantapur le décide à s’y installer. Le père Ferrer commence ainsi son action à Anantapur le 26 janvier 1969, avec Anne (journaliste anglaise qu’il rencontre à Bombay pendant la campagne de soutien au Maharashtra et qui deviendra plus tard sa femme) et deux volontaires du Maharashtra qui sont venus le rejoindre. Ils louent un petit local qui sert de logement et de bureau. Le local a une salle de bains mais pas de w.c. Alors ils en construisent une. Ils achètent un bureau, une chaise et une machine à écrire. Cela constitue le seul mobilier du local. Un vieil ami du Maharashtra leur sert de cuisinier. Ils vivent ainsi pendant un an et leur travail consiste à concevoir et à proposer des projets à des financeurs potentiels. Le Rural Development Trust (RDT) est créé. Homme de controverse dans le passé, il se voit refuser les financements des organismes catholiques qui l’ont pourtant connu avec le SSM. Vers le milieu de l’année 1970, fort de ses convictions, il reçoit le premier financement de CASA, organisme protestant, pour un programme de construction de 100 puits sur le principe de ‘Food for Work’ qui avait réussit au Maharashtra. Il s’agit d’équiper en puits, cent familles individuelles. Il introduit également 40 centres de nutrition pour les enfants, qui assurent un repas par jour. Peu après, il intervient également dans le domaine du logement. D’autres actions de développement se mettent en place au fur et à mesure. Le critère de sélection d’un village pour ces programmes est tout simplement la bonne volonté de ses habitants. Les villages choisis sont éparpillés. Les bénéficiaires des actions sont les plus pauvres des villages, en tant qu’individus. L’action ne vise pas la communauté dans son intégralité. Dans la plupart des cas, ce sont des dalits et des populations tribales. Il ne s’agit pas encore d’une décision délibérée d’intervenir exclusivement en faveur des dalits. Cette décision sera prise ultérieurement en 1977. Toutes ces informations ont été recueillies au cours d’un entretien avec Anne Ferrer en avril 1999. Le père Ferrer se trouvait en Espagne lors de mon passage à Anantapur. Pendant toutes ces années de travail il a très peu écrit sur sa vie, ses motivations, ses convictions ou même sur son organisation. La documentation de RDT réunit essentiellement des évaluations ou bien des rapports rédigés pour le compte des bailleurs. Un document, écrit par Vincent Ferrer (il n’est plus prêtre depuis son mariage mais il continue à être appelé Père Ferrer) en 1993, résume le sens qu’il a voulu donner à son œuvre lancée vingttrois ans auparavant. Il explique dans un premier temps, la mission de RDT, s a motivation, son inspiration et son approche pour ensuite définir sa vision sur l’avenir de ce mouvement. La mission du Rural Development Trust45 “ RDT se donne pour mission : 45 Rural Development Trust, Reflections on its present and Future perspectives – 1978 – 1993, March, 1994. * de transformer les conditions de pauvreté et de souffrance des populations par la création des conditions leur permettant d’accéder au ‘self-reliance’ et au ‘selfsupport’ et à une vie de paix et d’harmonie entre communautés ; * de transformer la terre semi-désertique d’Anantapur en terre capable de faire vivre ses habitants pour que les deux vivent en harmonie; * de construire une organisation dynamique et créative qui s’efforcera sans cesse, de participer au développement, tout en respectant les principes suivants : · agir selon des motivations d’ordre spirituel; · agir sur une base de connaissance et de capacités ; · s’engager à partager les aspirations et les combats des pauvres au sens large; · rester permanent dans le temps ; · s’adapter aux besoins et aux contextes changeants. Cette mission considère que les hommes et les femmes sont les acteurs premiers de leur destin et que RDT est partie intégrante permanente des populations de la région dans son voyage historique vers une société plus humaine, plus juste et de compassion ”. Sa motivation et son inspiration “ RDT se considère partie du combat éternel que mène l’homme, à travers sa longue histoire contre des forces puissantes et plus fortes, afin de transformer la société contemporaine en une humanité. De plus RDT considère qu’il existe dans ce combat un niveau supérieur de principes et de valeurs qui précèdent et influencent la philosophie de vie et par conséquent les principes de développement. Ces principes et valeurs garantissent la santé intellectuelle et la sagesse (sanity) de toutes les philosophies et par conséquent de toutes les stratégies de développement ”. Ce qui caractérise RDT est en effet le souci profondément humain de l’autre. “ Certains de ces principes sont : la dignité et la valeur de chaque être humain sans quoi, les plus pauvres · restent fragilisés ; · le sacré (sacredness) de la vie ; · l’égalité fondamentale entre tous les êtres humains ; · le destin commun de l’homme ; · le fait que la fin ne justifie pas les moyens · la valeur simple de dire la vérité · le souci de ne pas faire de mal aux autres (not harming others) · l’intérêt tout simple pour ceux dans le besoin”. “ Chacun de ces principes universels ont un dénominateur commun, le souci simple et humain de l’autre. Ce souci nous a été transmis par les grands saints de l’occident et de l’orient….RDT fait de ce souci de l’autre son fondement spirituel et la légitimation de son existence ”. “ RDT accepte les valeurs humaines qui constituent l’essence de toutes les traditions sociales et spirituelles héritées par l’homme. Ces traditions mènent à l’humanisation de la société, et de ce fait, elle se place au rang de ces traditions sans lesquelles l’homme ne peut trouver un sens à la vie et au destin ”. Vincent Ferrer refuse l’église institutionnelle. Il quitte les jésuites mais garde personnellement une foi profonde dans le christianisme et trouve son inspiration de façon générale dans toutes les grandes spiritualités du monde. C’est en fait cette spiritualité qui guidera RDT à travers toutes ces années. “ RDT englobe aujourd’hui des valeurs, des traditions, des systèmes et une expérience de développement de 25 ans. C’est une conscience collective d’une expérience de vie et de théorie cumulée et transformée à travers la pratique des actions en faveur de ceux qui souffrent. Ce processus continuera et prendra la forme de nouveaux systèmes, de nouvelles approches. Il permettra d’approfondir les valeurs et le sens même de l’existence liée essentiellement au service de l’humanité ”. D’une part, le père Ferrer ne construit pas sur des bases purement théoriques et d’autre part il souhaite que RDT s’adapte non pas à de nouvelles théories mais à de nouvelles situations sur le terrain. Il souhaite que RDT reste à l’écoute des populations et s’enrichisse, sans cesse, de son expérience avec l’homme et la vie. Son approche devant les réalités sociales actuelles “ RDT agit fondamentalement dans le cadre de la constitution indienne. L’idéal et les objectifs de RDT rejoignent ceux exprimés dans le préambule de la constitution indienne. L’environnement démocratique en Inde présente un cadre et l’encouragement nécessaires à la création de mouvements pour une société plus juste et plus humaine. RDT s’engage à atteindre cet objectif dans cette région de l’Inde… Toute idéologie doit être au service de hommes et non le contraire. Notre engagement reste laïc et au service de l’humanité ”. “ En tant qu’organisation, RDT n’est ni politique ni apolitique, c’est à dire qu’elle ne s’engage pas dans les activités des partis politiques mais reconnaît que ses activités et ses interventions appartiennent à un processus politique plus large ”. “ RDT reconnaît que l’avenir présentera de nouveaux défis. De nouvelles conditions sociales exigeront de nouvelles approches. RDT espère que l’héritage de toutes ces traditions guidera ses collaborateurs à continuer dans la voie des valeurs humaines, tracée à ses débuts ”. “ En ce qui concerne les réalités d’existence dans l’extrême pauvreté qui saisit tous les villages du Rayalseema, RDT souhaite, premièrement, transformer le paysage de la pauvreté en créant un paysage de communautés dites ‘self reliant’ et ‘self supporting’. Il faut permettre aux populations d’avoir la capacité de prendre des décisions, celle de soutenir la famille et la communauté et enfin celle d’exercer leurs droits et leurs devoirs en tant que citoyens du pays. Deuxièmement, compte tenu de la sécheresse chronique qui prévaut sans la région, RDT souhaite transformer cette terre semi-désertique en une terre capable de faire vivre ses habitants, la vie et la terre ayant le même destin écologique. Et troisièmement, ces idéaux ne peuvent être atteints sans une organisation dynamique, créative, souple, et aux motivations d’ordre spirituel et capable de mener à bien sa mission au niveau et avec la magnitude exigés par les besoins de la société ”. Enfin “ RDT ne se considère pas seul dans sa mission. RDT s’associe aux populations, aux groupes de volontaires, aux pouvoirs publics dans les domaines de l’agriculture, de l’éducation et de la santé, aux écoles, aux universités, aux banques, à la presse, à l’appareil judiciaire etc. Dans le processus de développement, tous ces corps sociaux travaillent parfois en harmonie et parfois en conflit et essaient de construire par ce biais, une société humaine, plus juste et de compassion ”. Sa mission sociale “ Dans le milieu du développement, les bailleurs de fonds, une fois leur mission accomplie, ont le souci de se retirer d’une zone d’intervention, dans le but de déployer leurs moyens ailleurs. La mission est dite accomplie lorsque les groupements de base sont rendus suffisamment dynamiques afin de soutenir l’action et les populations qu’ils représentent. La question qui se pose alors à beaucoup d’organisations non-gouvernementales (ONG) opérateurs sur le terrain, c’est ‘A quand le retrait ?’ Ce phénomène a souvent donné lieu à des ONG nomades dans le sens où celles-ci quittent une région pour s’installer ailleurs ”. “ RDT estime que la nature temporaire d’une organisation peut gêner son développement interne et externe et son rôle dans la société. RDT reste persuadée qu’il y a et qu’il faut des organisations qui se considèrent non pas éternelles mais qui apportent un appui permanent dans une structure sociale incomplète de la société. L’action volontaire est permanente car dans toute société, développée ou sous-développée, les besoins changent avec le temps. Le développement est un processus dynamique continu et ne se limite pas dans le temps et encore moins à une période de cinq ou dix ans ”. Nous verrons plus tard que RDT a connu, en effet, de grandes difficultés au début des années 90 lorsque l’un de ses principaux bailleurs, ActionAid, a décidé de retirer son soutien financier, suivi par une décision similaire de Aide et Action quatre années plus tard. Il semblerait que cette réflexion de Vincent Ferrer, très affecté par les conséquences de cette décision, soit le résultat de cette crise. Il demande désormais aux bailleurs de fonds de contribuer à une pérennisation de l’organisation de RDT car les populations ont besoin d’elle. “ La société est composée de diverses organisations complexes et pluralistes. Les ONG y trouvent leur place à tout moment. Elles ont une fonction sociale propre qui n’est assumée ni par d’autres formes d’organisation ni par l'Etat. La structure socio-politique et économique existante est incomplète. Les ONG la complètent à différents niveaux. Elles ont la caractéristique unique humaine et sociale d’être indépendantes de l’Etat et d’œuvrer aux côtés des pauvres ”. “ Voilà pourquoi RDT se considère comme une partie intégrante et permanente du corps social de la région de Rayalseema, s’adaptant de manière dynamique aux circonstances sociales et aux besoins des populations ”. Vincent Ferrer, a-t-il eu peur de la vulnérabilité de son organisation dont la survie est trop dépendante des donateurs ? Est-il attaché à tel point à son œuvre qu’il ne peut imaginer un jour sa fin ? Pense-t-il à tous les collaborateurs qu’il a dû licencier par manque de fonds ? Ou bien imagine-t-il que RDT était véritablement devenue une partie inévitable du corps social de Anantapur ? Quoiqu’il en soit, il est, à ma connaissance, le premier en Inde à tenir un discours dans ce sens. Il n’a pas gain de cause auprès des bailleurs. Mais cette crise a donné lieu à une nouvelle initiative de sa part. A soixante-quinze ans passés, il crée la Fondation Vincent Ferrer en Espagne en faisant appel aux donateurs de son pays natal. Ceux-ci se mobilisent par milliers pour un fils du pays, reconnu pour son œuvre par le prestigieux Principe de Asturias de la Concordia (prix du Prince d’Espagne pour la paix) en 1998. Vincent Ferrer attire plus de 60 000 donateurs espagnols en deux à trois ans. Il réalise le rêve de sa vie. Il est heureux de pouvoir accomplir s a mission comme il le souhaite, c’est à dire pleinement. Par exemple, pendant longtemps, il n’a pas trouvé le financement nécessaire à la construction de logements qu’il estimait si nécessaire pour les dalits et les populations tribales. Il a la liberté de décision aujourd’hui. Il a l’expérience d’une plénitude totale. Le sens donné à son action ‘volontaire’ “ Nous avons dit que la caractéristique essentielle d’une organisation de volontariat est celle d’être aux côtés des populations, les plus pauvres en particulier. Il faut rajouter au mot ‘volontaire’ une deuxième caractéristique volontaire. ‘Volontaire’ n’implique nullement un travail sans rémunération, ce qui est nécessaire pour la survie des familles des volontaires. Pour RDT, le terme ‘volontaire’ trouve son sens dans un engagement fort pour le travail, un engagement qui dépasse même le sens du devoir. Le mot ‘volontaire’ signifie un dévouement total de temps, d’énergie et de connaissances au service des populations et de la cause défendue ”. Cette conviction fait que, dès ses débuts, RDT a eu une politique de ressources humaines très motivante pour ses employés. La plupart sont recrutés localement dans les villages et formés pour devenir des leaders de la mission RDT. Sur treize membres qui constituent le ‘Management Committee’ de RDT aujourd’hui, neuf ont été recrutés dans les communautés de base et formés pour atteindre ce niveau de responsabilités. “ RDT se donne pour mission ‘le souci de l’autre’ lequel est réalisé par un engagement à travailler au-delà du devoir. Cela signifie tout simplement qu’il n’y a pas d’heures précises pour être à l’écoute des personnes en besoin. Ainsi les quatre principes qui guident les membres de cette association et qui déterminent leur motivation sont : · le souci de l’autre ; · atteindre le plus grand nombre de pauvres ; · travailler au-delà du devoir ; · poursuite d’une excellence dans le travail. Ensemble, ces principes constitueront le ‘dharma’ de RDT ”. Toute la partie en italique dans ce chapitre est une traduction des extraits du document intitulé, ‘Rural Development Trust, Reflections on its present and future perspectives – 1978 – 1993’, écrit en mars 1994. Sa zone géographique d’intervention : Anantapur Le district d’Anantapur se situe dans la région de Rayalseema au sud de l’état de l’Andhra Pradesh, région connue pour ses sécheresses chroniques. Ce district, formé en 1882, est situé entre les degrés13’- 40’ et 15’-15’ de latitude nord et 76’-50 et 78’-30 de longitude est. Situé à l’intérieur des terres, éloigné de la côte est, il ne bénéficie pas pleinement de la mousson du nord-est, et la chaîne montagneuse située à l’ouest empêche la mousson du sud-ouest d’atteindre la région. Ainsi, elle constitue la région la plus aride de l’Andhra Pradesh avec des précipitations annuelles de 520 mm en moyenne. Les pluies du sud-ouest, entre juin et septembre, représentent 296 mm et 57% de la pluie annuelle. Les pluies du nord-est entre octobre et décembre, ne dépassent pas 140 mm en moyenne et représentent 27% de la pluie annuelle. Les conditions agricoles sont donc rendues très précaires. Anantapur dispose d’une superficie totale de 1 953 719 hectares dont 1063160 hectares sont cultivés. Seuls 52 209 hectares de terres sont cultivés plus d’une fois par an. La surface disposant de moyens d’irrigation est de 184 050 hectares, soit 17,3% et la surface dépendant de la mousson est de 879 110 hectares, soit 82,7% . Les cultures principales sont le riz, l’arachide, le coton, le sorgho et le millet. Anantapur est divisé en soixante-trois mandals46. Ceux-ci sont composés de 964 villages47 dont 940 habités et 11 circonscriptions urbaines. 12,5 % des villages ont moins de 1000 habitants, 37,6 % ont une population de moins de 2000 habitants, 37,6% en ont entre 2000 et 5000 et 9,7 % ont une population entre 5000 et 10 000 habitants. 14 villages ont une population supérieure à 10 000 habitants. Le district dispose de 2608 écoles primaires et le taux d’alphabétisation est de 35,03%. En ce qui concerne les ressources naturelles, la région n’a presque pas de forêts. On trouve en petites quantités de calcaire (pour la chaux), du fer et de la steatite. A l’ouest du district, dans le mandal de Ramagiri se trouve une exploitation d’or. 46 47 Il s’agit d’une division administrative qui remplace purement les ‘blocks’ de l’Empire britannique. Du point de vue administratif, un village peut être composé de plusieurs petits villages ou de hameaux. Ces quelques chiffres illustrent la démographie de la région : 1981 1991 Population totale 2 548 012 3 180 000 Population urbaine 530 917 748 000 Population rurale 2 017 095 2 432 000 Ratio femmes/hommes 946 : 1000 946 : 1000 Population de SC 13,6% 14,2% Population de ST 3,2% 3,5% 47,2% Population active dont 32,2% dans le secteur agricole. L’annexe 1 présente en forme de tableau d’autres statistiques48 aidant à la compréhension du contexte et correspondant aux trois mandals concernés par le financement de Aide et Action. Sa population cible : les mala d’Anantapur La population dalit d’Anantapur est essentiellement composée des castes Mala et Madiga. Dans les villages qui nous concernent, la plupart sont des Mala. Les deux castes sont en évolution perpétuelle du fait de la compétition intense entre elles pour une ascension sociale. Les mala se trouvent essentiellement dans l’état d’Andhra Pradesh. Parfois il s’agit de populations de retour des états voisins comme le Tamil Nadu, Pondicherry, le Karnataka ou le Maharashtra. D’après S.S. Hassan49 l’étymologie 48 49 Toutes les statistiques présentées ont été relevées dans le Hand Book of Statistics, Anantapur District, 1996 –97. S.S. Hassan, The Castes and Tribes of H.E.H. The Nizam’s Dominions Hyderabad State (Bombay, Government Central Press, 1920), pp 428-38 du terme mala reste incertaine. Certains l’attribuent au mot sanscrit maïla, ce qui veut dire ‘saleté’, et qui se réfère à leur origine des habits souillés par la menstruation de Parvati, l’épouse de Shiva. D’autres pensent qu’il s’agit tout simplement d’une transformation du mot ‘maïlawaru’ qui signifie ‘éboueur’ et qui désignait les mala auparavant. Une troisième interprétation serait que le mot est un dérivé du mot tamoul ‘maler’ qui signife ‘colline’. Il est possible que ces populations indigènes aient été repoussées vers les collines par la pression des immigrants et aient été appelés mala (peuple des collines) ultérieurement. La langue pratiquée le plus couramment est le ‘télougou’. Le nombre de mala était de 2 896 642 en 1981. Ils sont principalement dispersés dans les régions rurales. Ils sont divisés en sous-groupes qui s’appellent Sarindla, Charu, Reddi Bhumi, Pokanati, Rampala, Murikinati, Dayindla, Turasana, Kannada etc. et dont les noms se basent sur les caractéristiques religieuses, territoriales, occupationnelles ou bien linguistiques. Chaque sous-groupe est divisé en plusieurs groupes de ‘inteperlu’ (noms de familles). Nous avons ainsi les Koyyagura, les Thimidala, les Daïtha, les Pulagora etc. Les ‘inteperlu’ viennent en préfixe à leur prénom et déterminent les alliances maritales. Les malas pratiquent l’exogamie. Le mariage entre un homme et sa cousine maternelle (fille du frère de sa mère) ou bien sa cousine paternelle (fille de la sœur de son père) est couramment pratiqué ainsi qu’entre une jeune fille et son oncle maternel. La cérémonie de mariage qui traditionnellement durait trois jours, se limite aujourd’hui à un jour et a lieu chez l’époux. Le divorce est accepté aujourd’hui mais nous ne savons pas si ce fait est également traditionnel. Parmi les pratiques observées se trouvent celle de la ségrégation de la femme au moment d’une naissance50 ou du décès d’un membre de sa famille (une sorte d’intouchabilité à l’intérieur même de la communauté). Ce sont les prêtres de la caste de Mala jangam ou de mala dasari51 qui sont sollicités pour ces cérémonies d’ordre religieux. Les malas prient les dieux et les déesses hindoues. Une très grande partie de la population s’est convertie au christianisme mais les pratiques anciennes d’avant conversion, persistent. Les femmes mala sont engagées dans des activités économiques et sont d’ailleurs devenues les principales contributrices aux revenus du foyer, car il y a plus de tâches agricoles accomplies par les femmes que par les hommes. Par exemple, les hommes ne font pas de désherbage ni de cueillette. De nos jours, la majorité de ces hommes et femmes sont en effet, engagés dans l’agriculture et constituent la main d’œuvre principale des propriétaires terriens. Au recensement de 1981, la population active des mala est de 49,59% (ce chiffre se décompose en 58,50% d’hommes et 41,50% de femmes) et 67% de cette population ouvrière est engagée dans les terres des autres. Seuls 18% ont leurs propres terres. Le reste exerce d’autres métiers. Les mala sont non-végétariens. L’alcool et le cigare local ‘cheroot’ font partie de leur quotidien. Traditionnellement, les disputes au sein de la communauté étaient résolues par les conseils communautaires. Ceux-ci n’existent presque plus. Leurs contacts avec les autres communautés se limitaient presque exclusivement au domaine économique. 50 Il est de règle en Inde – à commencer par les brahmanes – que la femme qui accouche, le fasse en dehors de la maison dans une pièce reculée, coutume liée à la notion d’impureté du sang et du ‘passage’. 51 Les mala dasari sont sollicités par les dévots de Vishnou et les mala jangam par les dévots de Shiva. Ces ‘mendiants’ religieux seraient des sous-groupes des malas dont le devoir traditionnel était de chanter la gloire des dieux hindous. Ils officient dans les cérémonies de mariage et de naissance mais leurs services sont surtout sollicités pour les funérailles. K.S. Singh, The Scheduled Castes, Revised Edition, 1999, pp.880-881 Les mala évoluent et continuent leur combat pour une ascension sociale dans la hiérarchie du système de castes. Un phénomène intéressant à citer dans ce contexte, est l’adoption par les mala, du système de la dot. Celui-ci remplace l’ancien système de ‘bride-price’ qui consistait à faire payer un prix pour l’épouse, par la famille de l’époux. Le système de dot qui en est l’opposé, est en effet pratiqué par les castes plus élevées et son adoption par les dalits illustre le phénomène de ‘sanscritisation’. Le taux d’alphabétisation est de 12,51% pour les femmes et de 29,72% pour les hommes. Nous avons évoqué ici le cas des malas d’Andhra Pradesh. Il y a peu de documentation, dans les archives de RDT, sur les conditions de vie et le contexte social des populations mala en 1969 et pas plus en 1978, date du début de leur programme d’éducation. Celle qui existe témoigne des conditions de pauvreté extrême des dalits et des populations tribales. Le revenu journalier par personne dépassait rarement cinq roupies52. Les femmes gagnaient encore moins. La migration en saison sèche à la recherche de travail était pratique courante. De nombreuses familles étaient endettées auprès de paysans de la classe moyenne, c’est à dire des castes plus élevées. En conséquence elles se trouvaient devoir travailler dans des conditions encore plus vulnérables et pénibles. En effet, dans une situation d’endettement, le travail n’est pas rémunéré à sa juste valeur et les paysans endettés ne peuvent s’organiser pour demander une amélioration de leur conditions de travail. Il y avait une discrimination évidente envers les pauvres et plus particulièrement les dalits et les populations tribales de la part des communautés plus privilégiées. De nombreux incidents de discrimination à l’école sont cités ainsi que de discrimination dans les temples, dans les restaurants et d’autres lieux publics. Ils ne sont pas servis à 52 En 1978, un Ω kg de riz (ration quotidienne d’un adulte) coûtait environ 2 roupies 50. 1FRF = 2,00 roupies la même table que les autres ; les enfants sont obligés de s’asseoir au fond de la classe ; et ne peuvent se servir de l’eau courante à l’école, etc. Le ‘Agricultural and Land Ceiling Act’ de 1970 (la réforme agraire qui a principalement consisté à plafonner les surfaces agricoles par propriétaire et à redistribuer l’excédent des terres aux paysans sans terre) a permis à 90% des familles cibles, principalement dalits et populations tribales à acquérir cinq acres53 de terre chacune. Mais la terre reçue à ce titre, était de qualité extrêmement pauvre et rocailleuse et son défrichement demandait un investissement considérable en termes de temps, de main d’œuvre et de finances qui n’était pas à la portée des familles. De plus le rendement en est très faible. Par conséquent la terre est restée non-cultivée. Cette situation d’extrême pauvreté a conduit à un taux important de mortalité infantile et maternelle, à une malnutrition sévère, à des conditions d’hygiène et sanitaires déplorables dus à un manque d’eau potable, ainsi qu’à une souffrance des personnes âgées, des femmes et des enfants. Le taux d’analphabétisme parmi les dalits et les populations tribales, atteignait presque 100% car ceux-ci vivaient dans la croyance que l’éducation n’était utile qu’aux castes élevées54. C’est ce qui leur avait été dit depuis des générations. Leur attitude en général était qualifiée (par RDT) de fataliste. Ils attribuaient à leur destin leur condition de pauvreté55. Les femmes qui constituaient la source principale de revenu des foyers n’avaient aucun droit à participer aux décisions. 53 54 55 2,42 acres = 1 hectare RDT, Rural Development Trust, Reflections on its Present and Future Perspectives 1978 –1993, March 1994, p.13. ibidem, p.13 Il n’y avait aucune réaction sur la désertification en cours, aucun effort fait ni pour conserver ni pour régénérer les ressources naturelles. Vingt ans après, ces mêmes populations se trouvent sur la voie de ‘selfreliance’ et dans une relation sociale et économique plus respectable avec les communautés des autres castes, dites avancées. L’intouchabilité n’existe plus. Les enfants fréquentent l’école gouvernementale avec assurance. Les femmes sont organisées et exigent leur droit. Beaucoup de dalits ont des logements en dur. Des jeunes dalits, musiciens professionnels, sont même sollicités par les autres castes, plus élevées, pour participer aux cérémonies de mariage qu’elles organisent. Il n’y a pas de ségrégation dans les lieux publics. De jeunes dalits sont employés dans l’administration, dans les banques, intègrent la police, le corps enseignant, occupent des postes d’infirmiers, d’ingénieurs et autres postes dits prestigieux. Pour la plupart des familles cibles, 80% des revenus proviennent de la culture de leurs propres terres. Les 20% restant provenant de la main d’œuvre louée aux autres communautés. En 1994 le salaire journalier par individu s’élève à 20 à 25 roupies hors saison et à 30 à 40 roupies en saison56. La migration à la recherche de travail hors saison a presque disparue. De nombreuses familles ont constitué une épargne, ce qui a considérablement réduit le besoin d’emprunter. Pour des sommes importantes, ils ont un accès, bien que limité, à des crédits institutionnels. L’émergence d’un leadership fort dans ces communautés aurait, entre autres, aussi contribué à l’ascension sociale des familles concernées. Elles ne s e tournent plus vers le leadership des hautes castes afin de résoudre leurs 56 En 1994, un Ω kg de riz coûtait environ 4 roupies. 1FRF = 5,00 roupies en moyenne. problèmes ou leur conflits. Ils sont aujourd’hui capable de représenter eux-mêmes leurs propres intérêts, de discuter et de négocier certains aspects avec les hommes politiques ou bien avec les pouvoirs publics. La plupart des problèmes familiaux ou communautaires sont résolus dans les familles ou dans la communauté. Ils ont réussi à rendre cultivables près de la totalité de leurs terres et ils font la culture de l’arachide. Un système de crédit communautaire a permis de contourner le cercle vicieux de l’endettement, notamment le recours aux usuriers. Les conditions de santé des femmes et des enfants en particulier se sont considérablement améliorées. Les femmes participent activement à la prise des décisions. Elles sont capables d’influencer des décisions aussi bien dans leurs familles que dans les communautés. Elles gèrent très souvent avec succès, des activités génératrices de revenus. Une tendance s’est créée dans la région vers la régénération des ressources naturelles comme la terre, l’eau et la végétation. Les populations sont plus sensibilisées aux problèmes de l’environnement et participent activement à la mise en œuvre des différentes mesures de remédiation. De plus elles sont en mesure d’apprécier l’efficacité ou, au contraire, l’inefficacité des programmes gouvernementaux et de responsabiliser ainsi les instances représentatives du gouvernement vis à vis des populations. 5.1 Les grandes étapes de l’histoire de l’organisation RDT n’est pas une organisation au départ mais plutôt un groupe d’individus. Pendant les dix premières années, elle a été caractérisée par des difficultés d’organisation et a souvent été accusée d’être un ‘one-man show’. En effet le père Ferrer dirige l’organisation, mais personne ne sait qu’il forme en même temps d’autres personnes venant souvent des villages, à diriger son œuvre. Aujourd’hui, RDT est parmi les rares ONG importantes dont la deuxième ligne et troisième ligne de leadership viennent des villages, un leadership tout aussi capable de défendre les intérêts de RDT que son fondateur. Par ailleurs, une grande majorité des dirigeants de RDT ont entre 20 et 30 ans d’expérience au sein de l’organisme, phénomène également rare dans ce milieu. D’après les discussions avec quelques uns d’entre eux, il semblerait que ce qui les a motivés, ce sont d’une part, le très grand positivisme et l’optimisme de Vincent Ferrer et d’autre part le défi que celui-ci leur laisse de prendre des responsabilités et d’agir de manière indépendante. De 1969 à 1977, RDT traverse une période de flottement tant au niveau de ses rapports avec les populations qu’au niveau de l’organisation et des financements nécessaires à l’action. Elle reçoit des financements de CASA et de USAID, dans un premier temps pour des centres de nutrition et ensuite pour son programme de ‘Food for work’. Les populations bénéficiaires étaient initialement méfiantes vis à vis de ces personnes qui voulaient leur développement. Les hautes castes ont imaginé qu’il s’agissait d’une entreprise de conversion au christianisme. RDT a eu des problèmes de recrutement de personnel et de leur formation. Et les financements reçus étaient ponctuels sans aucune garantie de durée. Tout cela explique que les actions menées étaient dispersées dans la région sans une planification de travail ni des perspectives claires. La première expérience de Vincent Ferrer au Maharashtra lui a permis de mettre en place un programme de ‘Food for Work’, déjà décrit précédemment et des centres de nutrition pour les enfants des pauvres, financé par CASA essentiellement. Vers 1974, a lieu la première transition, grâce à un financement assuré de trois ans proposé par EZE, organisation catholique allemande pour un ‘Comprehensive Rural Development programme’, à savoir le développement de l’agriculture et de l’industrie rurale, une continuation en quelque sorte de la révolution verte conduite dans le reste du pays. L’action s’oriente vers l’augmentation de la production alimentaire et l’emploi durable. Dans une région déclarée aride, la nourriture et l’emploi semblent être les priorités à prendre en compte. La construction de puits augmente. L’extension des terres agricoles est entrepris. L’artisanat rural est introduit à grande échelle. Le financement EZE arrive à terme en 1976 ainsi que le programme. RDT a presque 500 employés dont la plupart ont perdu leur emploi faute de disponibilité de fonds. Environ 80 personnes restent motivées pour la cause défendue. Ceux-ci travaillent pendant un an sans aucune rémunération. RDT a seulement de quoi leur payer un repas par jour. A ce stade, RDT mène une réflexion profonde sur l’action qu’elle mène et les populations qu’elle atteint. Elle constate que le bénéficiaire final est en fait la classe moyenne car ce sont leurs terres qui sont étendues et améliorées. Les dalits qui sont les plus pauvres bénéficient indirectement par le biais de l’emploi crée soit dans le défrichement des terres soit dans la construction des puits. Elle réalise également que le développement doit avant tout être le développement des hommes et des femmes. Elle constate à ce stade que la pauvreté est concentrée au niveau des dalits et des tribus. Cette pauvreté se traduit autant en termes financiers qu’en termes d’inégalité de chances, d’ignorance, d’incapacité politique, d’analphabétisme etc. RDT décide donc d’intervenir avec un programme de développement des capacités des populations qui doit concerner les plus pauvres c’est à dire les dalits et les populations tribales. Elle retient l’idée d’un développement de l’Homme le plus pauvre au lieu d’un développement des terres ou de l’emploi. Ce virage dans la pensée de RDT est très important et restera le fondement de ses actions jusqu’à nos jours. Cela donne lieu à un programme d’organisation communautaire pour lequel RDT reçoit à nouveau un soutien de trois ans de EZE. Une nouvelle équipe est recrutée et formée pendant trois ans, la formation la plus passionnante, dira Malla Reddy57, travailleur social à l’époque et membre dirigeant aujourd’hui. La philosophie marxiste, gandhienne et d’autres concepts de développement font partie de la formation. La plupart des recrutés sont des jeunes sortant de l’université. La motivation de travailler dans les villages était le seul critère de recrutement. Chacun apporte les connaissances de son domaine et une réflexion commune et élargie est menée sur la nature de l’action à conduire. Beaucoup d’ONG étaient invités à présenter leurs expériences. Les jeunes recrutés se sont également déplacés afin de prendre connaissance de l’expérience des autres dans le domaine de la santé, de l’organisation communautaire, de l’éducation, etc. A la fin de cette formation, RDT doit formuler son propre programme, en définir les priorités. Son équipe cherche la réponse dans les villages cibles. Le contenu des programmes d’organisation communautaire est ainsi défini. Ils ont autant à apprendre des communautés que l’inverse. Le programme consiste à éduquer les adultes et à tenir de longues discussions sur leurs conditions de vie et de pauvreté dans le but de les sensibiliser sur leur exploitation par les autres catégories de la population. Il s’agit de leur apprendre ce que c’est que de vivre 57 Malla Reddy a rejoint RDT comme travailleur social en 1975 et fait partie de ceux qui sont restés fidèle à l’action au moment de la crise financière en 1977. dans la dignité, de les mobiliser à cultiver leurs propres terres (reçues au moment de la réforme agraire de 1970 et dont le défrichement et la mise en culture leur coûtait cher) au lieu de dépendre de leur seul emploi auprès de la classe moyenne. Leurs propres terres étaient parfois laissées à la classe moyenne pour la culture. Le thème principal du programme d’organisation communautaire est ‘self reliance’. Ce programme se renforce. Un système de crédit communautaire prend forme, permettant aux populations cibles d’emprunter le capital nécessaire pour la mise en exploitation de leurs terres. Les premières cultures des terres dalits par les dalits ne commencent qu’au milieu des années 80. Les premiers obstacles rencontrés venaient en effet de la classe moyenne qui ne voulait pas voir intervenir RDT en faveur des intouchables. Les discussions avec la classe moyenne, sur les idées défendues par RDT, qui, dans un sens, ne se présentaient pas comme révolutionnaires (contrairement aux idées en vogue à l’époque) ont permis de surmonter ces obstacles dans une certaine mesure. D’autre part, les centres de nutrition mis en place en 1971 avec le financement de CASA, ont joué un rôle important. Ces centres ont commencé à une époque où RDT n’avait pas défini sa population cible comme étant les dalits et les populations tribales. Ces centres étaient ouverts à toutes les communautés et continuaient à l’être en 1977–78 au commencement du programme de développement communautaire. L’intervention dans le domaine de l’éducation afin de favoriser l’inscription des enfants SC/ST dans les écoles, débute pendant la même période c’est à dire en 1977 et fait partie de cet ensemble d’actions jugées nécessaire pour le ‘self reliance’ des communautés cibles. Cette intervention peut commencer grâce à 200 parrainages58 proposés par le Christian Catholic Fund (CCF). ActionAid devient partenaire en 1978. RDT est dorénavant assuré d’un financement à long terme, car le mécanisme de parrainage assure, selon les associations, entre 8 et 10 ans de financement. Par conséquent, l’éducation est devenue un sujet à part entière. Jusqu’alors, RDT faisait de timides essais qui consistaient notamment à convaincre les populations cibles d’inscrire leurs enfants à l’école gouvernementale, ces essais n’ayant pas donné de grands résultats. Avec ce nouveau financement, RDT fait le choix d’intervenir en priorité pour l’éducation des enfants afin d’éviter une génération supplémentaire d’analphabètes. Elle estime que les dalits doivent s’inscrire à l’école formelle reconnue par le gouvernement. Tous leurs efforts vont dans ce sens. En 1982, comme tout le monde dans le développement, RDT réalise que la question du développement des femmes est à traiter obligatoirement. Ce volet prend alors une ampleur importante tout autant que le volet d’aide aux personnes handicapées en 1987. Ce dernier est lancé grâce à une rencontre avec un ‘nomade’ aveugle qui s’est donné pour mission de faire connaître la cause des handicapés au monde entier. Celui-ci voyage et s’installe dans un endroit le temps de lancer un programme. Une fois sa mission accomplie, il repart ailleurs avec son message. Une sécheresse aiguë pendant trois années de suite de 1984 à 1986 provoque une migration massive, des décès et une situation de désespoir parmi les populations. “ Tout ce que nous avons construit a été détruit pour des raisons hors de notre contrôle. Il fallait que l’on agisse ”, dit Malla Reddy. Ils agissent alors dans le domaine de l’écologie. Il s’agit 58 un mécanisme de financement pour certaines associations qui consiste à établir un lien de correspondance entre un individu du pays nord : ‘le parrain’, et un enfant du pays d’intervention : ‘le filleul’. Le parrain s’engage à verser une somme fixée par mois pendant la durée de la scolarité primaire de son filleul. Le parrain est averti dès le départ que l’argent versé par lui servira à un programme d’éducation accessible à tous les enfants de la communauté et que son ‘filleul’ est un ambassadeur de cette même communauté, comme dit Pierre Bernard Le Bas, fondateur de Aide et Action. notamment d’un programme de watershed59. En 1970, Vincent Ferrer avec le gouvernement local, avait conçu un très grand programme écologique et avait réussi à obtenir les fonds de l’USAID. Mais sa mise en œuvre n’a jamais eu lieu car RDT n’avait ni les ressources humaines locales et ni le savoir-faire nécessaires. Je ne développe pas ces volets dans ce mémoire. Ils restent néanmoins des étapes importantes dans l’histoire de l’organisation. Au début des années 90, à la suite de la crise provoquée par la décision de retrait d’ActionAid, déjà évoquée plus haut, RDT est amené à réfléchir à nouveau sur la pérennisation de son action éducative et sur celle de l’institution RDT. En ce qui concerne la première, nous verrons plus tard que cette réflexion a donné lieu à une nouvelle forme d’école dite ‘communautaire’ et, pour la deuxième, à la création de la Fondation Vincent Ferrer que nous avons eu l’occasion d’évoquer. Vincent Ferrer s’est toujours senti restreint dans sa mission par le fait de dépendre des bailleurs et de faire des compromis dans ses convictions en rapport avec leurs exigences. Les décisions d’ActionAid et d’Aide et Action à quatre années d’intervalle, l’ont poussé à agir et à créer la Fondation. RDT change, s’adapte à chaque évolution des besoins de la société, du monde du développement et des populations cibles. Chaque crise dans l’organisation s’est transformée en avantage. RDT reste à l’écoute des populations, ce qui a peut-être été la plus grande force de l’organisation, car ce sont les besoins exprimés qui poussent l’institution à grandir et à créer sans cesse. Comme le résume Malla Reddy, “ notre conscience doit être toujours reliée à la leur. Nous sommes obligés de rester réactifs à leurs besoins. Il n’y a que comme cela que nous pouvons accomplir notre mission. C’est à ce niveau que nous sommes en conflit avec les bailleurs. 59 Il s’agit de capter, stocker et redistribuer les eaux de pluies d’un bassin hydrologique. Cette eau est utilisée par les paysans concernés par la zone en saison sèche, permettant ainsi une deuxième récolte. Le problème des bailleurs, c’est qu’ils ne s’intéressent qu’aux programmes, rarement aux individus ”. D’après les témoignages de certains anciens membres de RDT, l’essence de cette institution réside premièrement dans son souci pour les autres êtres humains et deuxièmement dans son dynamisme né de sa propre histoire avec ses moments de crise, de joie et de contact avec les populations mais aussi avec l’institué que constituent le système de caste, l’éducation nationale, les principes des donateurs, etc. En 1999, l’intervention de RDT concerne 65000 familles SC/ST répartis dans 1000 villages (dont 700 environ dans les deux dernières années grâce aux fonds venant en abondance de la Fondation Vincent Ferrer). Jusqu’à 1996, ActionAid et Aide et Action étaient leurs bailleurs principaux sauf pour le volet écologie qui était financé par ICCO60. 5.2 L’historique de l’action éducative de RDT Au commencement de l’action éducative avec le financement d’ActionAid (AA) en 1978, RDT avait déjà une connaissance de quatre mandals d’Anantapur (Kambadur, Kalyandurg, Kuderu et Uravakonda) et leurs populations SC/ST depuis une dizaine d’années. A l’époque, il y avait très peu d’enfants SC/ST qui fréquentaient l’école gouvernementale. Celle-ci existait pourtant dans tous les villages. La majorité des enfants en âge scolaire était employée dans les champs, dans l’élevage ou bien dans un travail domestique. Beaucoup d’enfants s’occupaient également des petits à la maison. 60 Une organisation protestante hollandaise qui finance des programmes d’écologie et de développement communautaire. RDT emploie des travailleurs sociaux ayant au moins une licence en développement rural et si possible, une expérience. L’objectif donné à ces travailleurs sociaux est de motiver les familles à envoyer les enfants à l’école gouvernementale. Ils sont également chargés de mettre en œuvre des solutions qui permettent aux familles d’envoyer au moins un enfant du foyer à l’école. Cette action a comme résultat, en effet, l’inscription d’enfants SC / ST dans les écoles gouvernementales dont les enseignants se trouvent alors affrontés à des enfants qui non seulement n’ont aucun sens de la discipline en classe mais n’ont surtout pas de tolérance vis à vis de celle-ci. Les enfants manquent de propreté. Ils ont du mal à tenir une craie ou un crayon. Ils n’arrivent pas à articuler la langue d’enseignement qui est le télougou, leur propre langue étant le sugali. L’enseignant gouvernemental ne connaissant pas le sugali, rencontre la même difficulté. Tandis que ces problèmes concernent les enfants qui s’inscrivent à l’école publique, la plupart des enfants ne s’y inscrivent pas. L’enseignant fait preuve de discrimination en classe ; l’éducation est pour les autres (castes) disent les parents; nous sommes pauvres disent d’autres. Nous retrouvons ces remarques dans divers documents rédigés par RDT. RDT crée alors des écoles supplémentaires dans le quartier des intouchables. Ce sont des écoles informelles, organisées le matin et le soir en dehors des heures de l’école publique. Les enseignants recrutés n’ont pas la qualification des enseignants de l’école publique et ils se concentrent sur l’apprentissage de l’alphabet télougou et d’une certaine discipline en classe. Les enfants apprennent également à tenir un crayon et à faire des dessins. Des uniformes et des repas sont fournis gratuitement. Tout est fait pour attirer l’enfant et le garder jusqu’à la fin de l’école primaire. Ces enseignants sont souvent originaires des villages même. Le seul critère important de recrutement est la connaissance du télougou (la lecture et l’écrit). Il n’est pas envisagé de recruter du personnel enseignant plus qualifié de l’extérieur car l’objectif de l‘école supplémentaire (ES) est de servir de tremplin pour accéder à l’école gouvernementale. “ La plupart des enseignants provenaient des hautes castes mais la communauté sentait bien qu’ils avaient à rendre des comptes à RDT ”61. Selon plusieurs témoignages, ces enseignants ne font pas preuve de discrimination. Quel était alors le rapport à l’école et le rapport aux castes de ces enseignants ? Initialement, l’ES a lieu dans un endroit déterminé par les populations avec l’appui du travailleur social. Ceux-ci choisissent soit l’école gouvernementale (quand celle-ci est convenablement située) soit un lieu à l’abri d’un arbre ou tout autre abri temporaire. La construction des bâtiments scolaires commence en 1979. Celui-ci est socialement accessible et donc les enfants viennent en plus grand nombre62. Les enseignants recrutés reçoivent un appui en formation des anciens directeurs d’école à la retraite et engagés par RDT. Les deux heures de cours supplémentaires dans la matinée sont consacrées à la lecture, à l’écriture et au calcul et les deux heures du soir sont réservées à des activités ludiques (jeux, danse, chant ou bien sport), l’idée étant de maintenir l’intérêt des enfants pour ce lieu de savoir nouvellement découvert. Le programme attire d’abord 200 enfants, chiffre qui passe à 1500 à la fin de la première année et à 5000 en 1980. Une première évaluation63 du 61 62 63 RDT, Evolution of Education Sector, 1999, p.3 ibidem, p.2 Rural Development Trust, Evaluation Report 1985 – 1986 programme à ce stade démontre que tous les enfants inscrits à l’école supplémentaire ne le sont pas nécessairement à l’école gouvernementale. Les raisons identifiées de ce phénomène au cours de la même évaluation, sont les suivantes : · les enseignants des écoles supplémentaires, n’ayant pas de qualifications importantes, ont peu de compréhension de la notion d’éducation. Ils se seraient contentés de l’ES et n’auraient pas fait le nécessaire pour motiver les populations à inscrire leurs enfants à l’école publique. · la qualité de l’éducation dispensée dans les écoles supplémentaires n’est qu’une répétition de ce qui se passe dans les écoles gouvernementales. Les enfants et les parents n’auraient pas senti la nécessité ni l’utilité d’envoyer leurs enfants à l’école publique aux côtés des autres castes. · Parfois l’enseignant est qualifié mais le travailleur social manque de motivation et les écoles supplémentaires ne fonctionnent pas régulièrement. Une première vague d’inscriptions a intégré les enfants dalits dans les ES. Mais celle-ci n’aurait pas rempli son objectif premier, celui d’intégrer les enfants à l’école publique. · Et enfin parfois il s’agit d’un manque de motivation des enseignants, plus intéressés par les autres volets de leur travail à RDT comme la participation au programme de nutrition ou à des enquêtes. Ces enseignants auraient également oublié la priorité des ES. Rien n’indique si le fait d’introduire des écoles dans leurs quartiers a effectivement modifié leur rapport au savoir des populations SC/ST. Pensaientelles toujours que l’éducation était pour les ‘autres’ ? Etait-ce toujours une raison pour ne pas envoyer leurs enfants dans le lieu du savoir des ‘autres’ ? On peut supposer que la discrimination continuait. Alors appréhendaient-ils encore cette discrimination ? Avaient-ils modifié leur rapport aux castes ? Les hautes castes découragent le plus possible les dalits à poursuivre leur éducation. “ Vous êtes encouragés par RDT à poursuivre l’éducation. En le faisant, RDT ne fait qu’insulter la déesse Saraswathi ”64. Cette évaluation met en évidence, par ailleurs, d’autres problèmes d’efficacité au niveau du programme. Les directeurs d’écoles en retraite, nommés superviseurs, n’avaient pas la mobilité nécessaire. Ils visitaient à peine une école par jour. Certains souvent malades ou âgés, ne visitaient pas les écoles mais demandaient aux enseignants de venir leur rendre visite. De plus, beaucoup d’entre eux étaient rigides dans leur approche, après plusieurs années passées dans l’institution gouvernementale. Le rapport indique également que 90% des enfants dalits qui s’inscrivent à l’école gouvernementale ne terminent pas leur scolarité primaire. RDT décide ainsi de se recentrer sur l’éducation primaire avec un nouvel objectif : tous les dalits à l’école et la présence assidue de ces enfants au moins jusqu’à la fin du cycle primaire. La ‘présence assidue’ devient alors le thème central du programme éducatif. Ces constats ont donné lieu en 1981 à un plan de restructuration. RDT et le bailleur souhaitait une méthodologie et une pédagogie modernes que ces superviseurs, étaient incapables d’appliquer. RDT remplace ceux-ci par des jeunes ‘liaison officers’ (LO) et les équipent en motos pour assurer leur mobilité. Ces jeunes pour la plupart sont déjà des employés de RDT, recrutés à d’autres postes dans l’administration de RDT et promus au poste de LO après une bonne compréhension de RDT et de sa méthodologie. Des méthodes modernes sont introduites comme celle des visites impromptues dans les écoles. 64 RDT, Evolution of Education Sector, 1999, p.2. Saraswathi est la déesse du savoir dans le panthéon hindou. L’emploi du temps, le cursus, l’achat et la distribution du matériel scolaire qui étaient jusqu’alors gérés au niveau du travailleur social, commencent à être centralisés afin de créer une uniformité et une qualité dans les écoles supplémentaires de RDT et une identité de celles-ci. Cette mesure permet également de prévoir un système de contrôle de qualité par le biais des LO. Les écoles sont regroupées par petites zones afin de localiser leur administration, de rendre plus efficace leur supervision et la distribution de matériel scolaire, et d’encourager la compétition entre elles. Ce regroupement d’écoles par zone a donné lieu à une nouvelle structuration des ressources humaines. Chaque zone avait son enseignant en chef, employé à plein temps, chargé en dehors des heures de cours, de l’administration, de la formation des enseignants et de la supervision des écoles de sa zone. Cette phase peut être qualifiée comme celle de l’expansion et de la modernisation. En effet efficacité, compétition, adaptation de la structure des ressources humaines et de la structure du programme éducatif, conception d’un cursus et d’un emploi du temps centralisé, supervision des écoles et des enseignants, sont quelques notions et termes que l’on retrouve souvent après l’évaluation de 1980. Dans la mesure du possible l’effectif d’une classe supplémentaire était maintenu à 35 enfants. De nouveaux enseignants étaient recrutés mais dorénavant la qualification demandée pour ce poste était celle du baccalauréat. Les enseignants en chef, nouvellement nommés, avaient la charge de motiver les familles à inscrire les enfants en âge scolaire dans les écoles gouvernementales. Au fur et à mesure de l’avancement du programme, ces enseignants employés à mi-temps furent réquisitionnés sur les autres volets et sont ainsi devenus des employés à plein temps avec un salaire conséquent. Deux ans après cette restructuration c’est à dire en 1983, 80% des enfants SC /ST inscrits à l’école supplémentaire étaient également inscrits à l’école gouvernementale. En 1984, RDT reçoit le soutien financier de l’association française, Aide et Action pour son programme d’éducation. En 1985, le nombre des enfants concernés par le programme éducatif s’élève à 10000. A ce stade, RDT a décidé de se séparer de tous les enseignants insuffisamment qualifiés, c’est à dire n’ayant pas le certificat d’enseignement secondaire. Une Cellule d’enseignantsformateurs a été créée. Elle était mobile dans un premier temps, se déplaçant d’une zone à une autre pour ensuite s’installer dans le village de Yatakal, grâce au don d’un parrain. Des réunions étaient tenues deux fois par mois entre la Cellule, les LO et l’administration centrale, permettant de comprendre les problèmes sur le terrain, ceux des enfants et ceux du personnel enseignant. Le programme est devenu très vaste et certaines communautés s e trouvèrent isolées. Afin de résoudre les problèmes liés à l’éloignement des communautés ou des enfants, RDT commence de nouvelles activités, telles la célébration des fêtes, la publication d’un bulletin appelé Chinnari Lokam (le monde des petits) et la création d’une représentation des enfants bénéficiaires. L’objectif de RDT était de créer un sentiment de fraternité au sein de cette vaste organisation. Chinnari Lokam est devenu un appui important de lecture, un moyen d’écrire pour les enfants intéressés par l’écrit et enfin un moyen de communication sur la vie du programme de RDT. La célébration des fêtes a permis de faire naître un intérêt pour le théâtre, la danse, le chant, et le sport car telles étaient les activités menées régulièrement dans le cadre de ces fêtes. Le lieu de l’école a permis également un rassemblement des différentes communautés religieuses et a constitué le début de l’intégration des communautés. RDT a poussé, à s a manière, les enfants intéressés dans les domaines cités ci-dessus, à l’excellence. Des concours de danse, de théâtre ou de chant étaient organisés. Ces concours permettaient aux enfants de sortir de leur village, très souvent pour la première fois, ne serait ce que pour découvrir Anantapur. Il y a eu également dans ce cadre des concours sportifs ou de culture générale. La représentation des enfants bénéficiaires était constituée d’enfants élus (un par zone). Elle s e réunissait une fois par trimestre en présence du responsable de l’éducation de RDT pour faire connaître leurs soucis et leurs préoccupations. En 1985, presque tous les enfants des écoles supplémentaires étaient inscrits dans les écoles gouvernementales. Le taux de réussite aux examens publics au niveau 7 (fin de l’enseignement élémentaire) et au niveau 10 (fin de l’enseignement secondaire) s’est régulièrement amélioré. Une comparaison entre le taux de réussite des enfants des autres castes dans les écoles gouvernementales et celui des enfants dans les écoles RDT, permet de situer la réussite du programme RDT. En 1984, à l’examen du niveau 7, ce taux est de 39% pour les enfants des écoles gouvernementales tandis qu’il est de 58% pour les enfants des écoles RDT. En 1985, les mêmes chiffres sont à 41% et 61% respectivement. Les chiffres pour l’examen du niveau 10, montrent la même tendance. En 1984, le taux pour les écoles de RDT dépasse de 15% celui des écoles gouvernementales. En 1985, le taux est de 18% pour celles-ci contre 30% pour les écoles RDT. Le programme d’éducation par le biais de l’école supplémentaire n’a pas changé sur le fond pendant plus de dix ans. Les écoles supplémentaires ont réussi à sensibiliser une large partie de la population cible sur la question de l’éducation. L’ensemble des actions décrites plus haut a permis une certaine ascension sociale de cette population. Les enfants dalits n’appréhendent plus l’école publique et la fréquentent avec fierté. En effet, ils ont un meilleur taux de réussite que les enfants de hautes castes. RDT se pose régulièrement la question de la pérennisation de ces écoles beaucoup trop coûteuses pour la population cible. En 1995, en moyenne le salaire mensuel de l’enseignant est de 1500 roupies. Tandis que l’ascension sociale est tangible, l’ascension économique l’est un peu moins. La crise générée par la décision de retrait de ActionAid a précipité la réflexion et a donné lieu au premier changement de fond : la transformation des écoles supplémentaires en écoles communautaires. La suppression de l’école supplémentaire n’a jamais été envisagée. Celle-ci avait rempli ses premiers objectifs, à savoir, inciter les parents dalits à inscrire leurs enfants à l’école gouvernementale et aider ceux-ci à assimiler la culture de l’école. Ni le taux d’inscription ni le taux d’assiduité n’atteint 100% pour les enfants dalits. Ce phénomène ne se rapporterait plus à l’imaginaire des castes mais plutôt aux contraintes économiques, à l’intérêt de l’enfant ou bien au suivi de l’assiduité. Il n’est pas possible à un agent de RDT de surveiller tous les jours les écoles qui commencent à 6h30 du matin. Comment impliquer les parents afin qu’ils prennent le relais de la supervision et du contrôle ? Il y avait donc deux écoles parallèles dans le village : l’école supplémentaire et l’école gouvernementale. La qualité de l’enseignement dans cette dernière est en effet une question tout aussi importante que l’assiduité des enseignants. Tandis que les populations n’étaient pas en mesure de réagir à ces problèmes, il y a vingt ans, tout laisse à penser qu’ils le sont aujourd’hui. Pourquoi maintenir alors l’école supplémentaire à tout prix ? Pourquoi ne pas diriger les efforts vers l’amélioration de l’école gouvernementale qui est gratuite ? Alors que les financeurs de l’action se posent ces questions, RDT reste persuadée que les écoles supplémentaires doivent continuer. On se demande pourquoi. A la même époque, il est question d’intervenir dans une nouvelle zone, Dharmavaram. Mais RDT souhaite que cette nouvelle intervention prenne en compte les questions de coût, de supervision, de contrôle et de prise en charge des responsabilités par les parents. Au responsable de cette zone, Dasrath, est confiée la mission d’étudier la faisabilité de l’intervention. Il a la liberté d’essayer une nouvelle forme d’intervention car les problèmes de l’éducation à Dharmavaram sont particuliers. C’est en effet une région marquée par le mouvement radical des naxalites65. La sensibilité des populations est relativement forte sur la question de leurs droits. Les enfants dalits sont en grande partie scolarisés car l’éducation est jugée importante par ces populations. Toutefois les sureffectifs dans les écoles amènent les enseignants à délaisser d’abord les enfants dalits qui ne bénéficient pas en conséquence de l’attention nécessaire. Leur rapport au savoir et à l’école est différent de celui rencontré par RDT à Anantapur en 1978. Ils font part de leur souci, entre autres, pour une meilleure éducation. Dasrath leur promet l’appui de RDT pour des écoles qui doivent être les leurs, c’est à dire des écoles communautaires. Les populations doivent y contribuer financièrement. Elles choisissent l’enseignant, ils assurent la bonne conduite de l’enseignement et s’organisent pour le suivi et la gestion. RDT soutient les populations dans ce processus aussi bien sur le plan financier que sur celui de l’organisation communautaire. Mais les parents doivent être responsables de ces écoles. Ils acceptèrent et RDT décide d’essayer les écoles communautaires dans une trentaine de villages. L’expérience réussit, ce qui encouragea l’organisation à aller dans ce sens dans toutes les zones d’intervention. Onze ans après le début de son appui à RDT, Aide et Action décida en 1995 au moment où les premiers enfants bénéficiaires devenaient des acteurs importants de la société villageoise, de retirer progressivement son soutien à la 65 Mouvement extrémiste marxiste né à Naxalbari au Bengale dans les années 60 avec pour objectif, la justice pour les pauvres, pour lequel ils se livrent à la violence, s’il le faut. zone, souhaitant passer le relais du programme éducatif aux communautés. Autrement dit, Aide et Action décida qu’elle ne pouvait soutenir une même communauté éternellement et que si les populations étaient suffisamment sensibilisées quant au besoin d’éducation, elles devaient apprendre à se prendre en charge. Cela fut décidé sans connaissance de l’expérience de RDT à Dharmavaram, ni de sa crise interne. La décision d’Aide et Action n’est pas liée à celle de ActionAid dont elle n’a même pas eu connaissance. Aide et Action ne s’était pas intéressée jusqu’alors aux détails de la stratégie de RDT ou, du moins cette stratégie avait été acceptée par défaut. Cette décision du retrait cherchait à susciter une dynamique éducative encore plus forte chez les populations bénéficiaires afin qu’elles acquièrent la capacité de gérer leurs écoles et de les faire évoluer dans le temps en fonction de l’évolution des besoins. RDT proposa alors d’appliquer l’expérience de Dharmavaram à la zone Aide et Action à Anantapur qui comporte 137 villages. Les populations de ces villages furent consultées et l’expérience de Dharmavaram leur fut racontée. Malgré leur résistance initiale au changement proposé, RDT les mit devant le fait accompli : l’éducation est de leur responsabilité et ils doivent en accepter la charge. Les populations acceptirent de maintenir l’école supplémentaire sous la forme d’une école communautaire. Un plan de retrait fut signé entre Aide et Action et RDT. RDT devait, en partenariat avec Aide et Action, accompagner les populations à mettre en œuvre cette formule. Des populations dont le souci principal était souvent encore la simple survie, acceptèrent la prise en charge de l’offre éducative. Ce fait, serait-il le résultat d’un nouveau rapport au savoir créé par RDT auprès de ces populations, si souvent répété dans les entretiens avec ses dirigeants, à savoir que les enfants SC/ST doivent jouir d’une égalité dans la société dans tous les sens du terme et pour cela d’un esprit de compétition et d’excellence ? Le bâtiment scolaire, serait-il la représentation de l’instituant qui aurait permis de modifier leur rapport au système des castes et l’imaginaire lié à la hiérarchie dans la société ? Serait-ce l’imaginaire pulsionnel, décrit par René Barbier dans ‘l’Approche Transversale’66, qui aurait poussé l’intouchable à saisir cette institution ? Le savoir a toujours eu la représentation du pouvoir. Lors d’une de mes visites sur le terrain en 1998, j’ai assisté à un rapport de force entre les communautés de hautes castes et les communautés dalits au sujet de l’école communautaire. (Je souhaite préciser ici – et il est également admis par RDT dans plusieurs entretiens – qu’il existe des pauvres (économiquement) même parmi les autres castes). Les hautes castes voulaient inscrire leurs enfants à l’école communautaire et les dalits le leur refusaient. Ceux-ci considèrent que cette institution leur appartient et qu’ils doivent être les seuls à en bénéficier alors qu’elle a tout intérêt à accueillir le plus grand nombre ne serait-ce que pour assurer sa survie. La participation financière des communautés dalits est largement insuffisante aujourd’hui pour le fonctionnement de l’école. Le temps dira s’ils y parviennent à l’échéance prévue. 66 René Barbier, L’Approche Transversale, Anthropos, 1997, p.106. CHAPITRE 6 Conclusion Le phénomène d’intouchabilité n’a jamais été un sujet de débat dans la structure sociale et politique hindoue durant des siècles. Ce n’est qu’au XIXe siècle qu’il le devient, au moment où cette société est dominée par une puissance étrangère occidentale qui vient la déranger dans ses fondements et s a philosophie. Se pose alors la question de savoir comment combattre ce phénomène qui va à l’encontre de la valeur fondamentale (de cette puissance étrangère) qui est celle de l’égalité des hommes ? Dans l’imaginaire du système des castes, ce que nous appelons le ‘destin’ d’un individu n’est pas un hasard mais plutôt une conséquence de ses actes dans le passé (dans la vie actuelle ou dans une vie antérieure) (voir page 7). Cet imaginaire explique ainsi les inégalités inhérentes à la vie humaine : une explication ‘rationnelle’ de l’irrationnel. Comment expliquer sinon, pourquoi un enfant qui n’a pourtant encore fait aucun acte intentionnel dans sa vie, souffre d’une maladie grave ? Comment expliquer qu’un homme reste sur sa faim dans l’accomplissement de ses désirs, alors qu’il en voit d’autres avancer avec plus de facilité ? Enfin comment expliquer qu’une fillette de quelques mois sort vivant des décombres trois jours après le tremblement de terre en Turquie cette année qui a fait plusieurs milliers de morts ? Au fond, pourquoi ce sans-fond, décrit par Castoriadis, serait-il ‘source de création’ pour certains êtres humains et ‘source de destruction’, pour certains autres ? Pour l’hindou, c’est le parcours spirituel de chaque individu qui en serait la cause, donc une conséquence de ses actes spirituels. Chaque individu est lui seul, responsable de son parcours dans l’ordre socio-cosmique. La valeur d’égalité des hommes de la civilisation judéo-chrétienne est donc en contradiction avec l’hindouisme et son système de castes. La question des inégalités et du besoin primordial d’égalité est amplement posée et établie dans les Constitutions, les projets éducatifs, et les discours des nouvelles nations. Depuis deux siècles, le monde est entré dans un modèle de développement qui est celui du marché économique. La révolution industrielle qui a démarré en Grande Bretagne, s’est étendue en Europe et par le biais des pays colonisateurs au monde entier. La fin de la colonisation n’a pas mis fin à ce modèle dans les anciennes colonies mais bien au contraire, elle les a jetées dans la course économique mondiale. Ce modèle se veut prométhéen, productiviste, expansionniste et dominé par des préoccupations marchandes. Il veut connaître, s’adapter et maîtriser la nature par la technologie et les sciences. Il met en avant le matérialisme, le rationalisme et la compétition. La notion d’égalité alors, n’est-elle pas en contradiction avec ce modèle qui par définition pousse l’homme à faire plus et faire mieux que les autres et qui aboutit à des inégalités profondes entre le patron et l’ouvrier, par exemple. Est-ce que le fait de créer une égalité des chances suffit à créer une société juste ? Il est reconnu que les hommes sont tous différents les uns des autres mais ils sont surtout fondamentalement inégaux. L’esprit laïc des écoles du colonisateur et ensuite de la nouvelle nation indienne auraient tout simplement mis de côté ces interrogations de l’homme en les qualifiant d’irrationnelles (par le colonisateur) et d’être en dehors des ambitions de la nation par la suite. L’imaginaire du système des castes répondait à un certain nombre de questions que l’homme peut se poser par rapport à sa vie intérieure. L’égalité des hommes comme valeur à défendre, semblerait alors difficile à approprier par les hindous mais aussi par ceux qui se sont convertis au christianisme. Ceux-ci maintiennent leur imaginaire lié aux castes, aux rites et aux rituels de leur religion précédente, ce qui laisserait à penser que leur questionnement profond n’a pas eu de réponse. Le christianisme n’explique pas le bon ou le mauvais destin de l’homme. “ Il est difficile d’imaginer comment l’esprit humain pourrait fonctionner sans la conviction qu’il y a quelque chose d’irréductiblement réel dans le monde ; et il est impossible d’imaginer comment la conscience pourrait apparaître sans conférer une signification aux impulsions et aux expériences de l’homme” 67. En parlant de l’imaginaire sacral dans l’Approche Transversale, René Barbier dit que “ c’est un fait de l’impact de forces et d’énergies qui nous traversent sans que nous puissions les contrôler (forces telluriques, bouleversements écologiques, énergies cosmiques, ou plus modestement notre rapport à la mort et au non-être)68. J’ajouterais à cette liste, notre rapport avec la chance ou le destin rencontré dans cette vie. “ L’être humain est jeté dans la nature et doit y trouver un sens69 ”. Alors le karma est le sens que donne l’hindou à son destin. Dans mes hypothèses au début de ce mémoire, j’ai évoqué le fait que l’imaginaire social et le rapport au savoir des populations étaient fondés sur un imaginaire sacral. L’école laïque, même en reconnaissant la nécessité spirituelle dans l’esprit des Indiens, ne l’aurait pas véritablement compris ou bien n’y aurait pas accordé l’importance nécessaire. “ apprendre fait sens en référence à l’histoire du sujet, à ses attentes, à ses repères, à sa conception de la vie, à ses rapports aux autres, à l’image qu’il a de lui-même et à celle qu’il veut donner aux autres70” Or la 67 Mircea Eliade, Histoire des croyances et des idées religieuses, Paris, T.1., 1976, p.7., cité par René Barbier dans L’Approche Transversale,. p.112 68 René Barbier, L’Approche Transversale, Anthropos, 1997, p.312. 69 70 ibidem, p. 312 Bernard Charlot, Rapport au Savoir, Eléments pour une théorie, Paris, Anthropos, 1997, pp84-85. conception de son existence sur terre, son rapport au monde, son rapport aux castes ont tout naturellement, exclut le dalit du lieu d’acquisition formelle de savoir. “ L’imaginaire pulsionnel ” de Vincent Ferrer l’aurait poussé durant toute s a vie à ‘aider le défavorisé’ ? Pour ce faire il contourne l’institution, qu’elle soit catholique, politique, ou éducative. Il a une foi profonde dans le Christ mais ce n’est pas sa foi qu’il a souhaité faire connaître en Inde. Il est expulsé par les politiques une fois, mais cela ne l’empêche pas de revenir. Enfin, il contourne l’institution éducative en créant des écoles pour les dalits dans les quartiers des dalits. Il est profondément attaché à son désir d’aider les pauvres. Et cette pulsion génère une énergie qui débouche sur une création permanente. La création qui nous intéresse ici, c’est en effet l’école supplémentaire devenue plus tard, l’école communautaire. RDT est devenue une véritable institution dans la région ainsi que son école pour les dalits et les populations tribales. Cette école ne répondait pas davantage par son contenu aux questions d’ordre spirituel évoquées plus haut dans ce chapitre de conclusion. Au contraire, elle a l’obligation de rester encore plus laïque, car toute initiative prise par un prêtre catholique à l’égard des intouchables provoque la méfiance de tous. Elle est limitée aux intouchables, au départ par défaut, parce que les autres castes ne voulaient pas s’y aventurer, et ensuite par politique définie collectivement. Elle est aujourd’hui sollicitée par tous, y compris par les hautes castes qui n’y sont pourtant pas admises. Les dalits en ont décidé ainsi. Alors comment les dalits, se sont-ils approprié un lieu abritant le savoir ? Comment se sont-ils approprié la personne qui possédait le savoir et qui pour ce faire avait parcouru un certain chemin (dans l’ordre socio-cosmique) ? Comment est-ce qu’une institution inscrite dans une communauté, a-t-elle modifié l’imaginaire du savoir des intouchables ? Comment a-t-elle percé le tissu de l’imaginaire lié aux castes ? En quoi est modifié leur rapport au destin, qui aurait été pourtant si clair dans l’imaginaire traditionnel ? ANNEXE 71 Statistiques sur les quatre mandals concernés par le financement Aide et Action : Kambadur Kundurpi Brahmasamudram Settur Nombre de hameaux 26 26 21 23 Nombre de familles 7082 7217 5616 5645 Population dont féminine 38672 18623 39392 19155 32243 15804 31418 15351 Taux d’alphabétisation 30,1% 27,4% 17,4% 23,2% Taux d’alphabétisation masculine 69% 72% 75% 72% Taux d’alphabétisation féminine 31% 28% 25% 28% Population SC 8852 6647 5266 6267 % / population totale 23 17 16 20 Population ST 2310 270 1028 472 % / population totale 6 0,7 3,2 1,5 Population active 17343 18645 14836 14073 Propriétaires terriens 7225 10186 6662 7737 Paysans sans terres 7368 6898 5774 4543 Pluie annuelle en 1994-95 (en mm) 443,3 521,3 458,3 429,8 Pluie annuelle en 1995-96 344,1 616 496,1 623,5 Pluie annuelle en 1996-97 699 693,9 746,9 868,1 71 Hand Book of Statistics, Anantapur District, 1996-97. Kambadur Kundurpi Brahmasamudram Settur 27435 55748 28313 30884 Superficie irriguée (en hectares en 1996-97) 1069 1099 1977 746 Nombre d’usines Nombre de personnes employées (en 1996-97) - 1 2 - - Nombre de petites entreprises Nombre de personnes employées 1 9 - - 2 30 Superficie totale (en hectares) Superficie agricole Ressources minérales granite Nombre d’écoles primaires en 1996-97 39 33 30 32 Nombre d’enseignants 67 48 33 33 Nombre d’enfants inscrits 5568 4828 3123 4461 Nombre de filles inscrites 2611 2189 1430 2068 Nombre d’écoles primaires supérieurs en 1996-97 2 2 7 3 Nombre d’enseignants en primaire supérieur 11 7 18 6 Nombre d’enfants inscrits en 1135 primaire supérieur 602 1836 762 Nombre d’écoles secondaires 3 3 1 2 Nombre d’enseignants en secondaire 43 21 2 15 Nombre d’enfants inscrits 1524 746 133 701 Kambadur Kundurpi Brahmasamudram Settur Nombre d’internats destinés 1 aux garçons SC Nombre d’enfants inscrits (en 1996-97) 71 6 2 2 459 165 128 Nombre d’internats destinés aux filles SC Nombre d’enfants inscrits (en 1996-97) - 2 - - 205 - - Nombre d’internats destinés aux garçons ST Nombre d’enfants inscrits (en 1996-97) - - - - - - - Nombre d’internats destinés aux filles ST Nombre d’enfants inscrits ( en 1996-97) - - - - - - - Distribution / Attribution des terres agricoles par catégorie de population défavorisée à la date de 31.03.1997 : Mandal Total en No. de No. de hectares bénéf SC bénéf ST No. de bénéf BC No. de bénéf OC Kambadur 219 10 30 10 Kundurpi 219 7 45 2 Brahmasamudra 90 10 25 2 418 15 40 25 3 m Settur 5 Distribution des terres pour le logement par catégorie de population défavorisée à la date de 31.03.1997 : Mandal Total en No. de No. de No. de hectares bénéficiaires bénéficiaire bénéficiaires SC s ST BC No. de bénéficiaire s OC Kambadur 11,95 105 352 39 Kundurpi 11,85 150 231 32 Brahmasamudra 18,31 102 503 24 6,22 50 177 60 136 m Settur 2 Présentation du chercheur Chargée depuis 1992, du suivi des programmes d’éducation de base financés, en Inde, par l’ONG française Aide et Action, je suis naturellement devenue une militante de l’Education Pour Tous. La découverte progressive d’un monde nouveau pour moi, celui des SC/ST en milieu rural, m’a conduit à m’interroger sur les motivations profondes de ces populations et sur l’impact des changements exogènes apportés par l’ONG sur leur imaginaire. C’est ce qui m’a poussée a entreprendre un travail de recherche dans ce domaine. En juin 1995, j’ai rencontré une population tribale habitant une région forestière très reculée du Nord de l’Inde à quelques kilomètres de Renukoot (180 kilomètres au sud de Bénarès), à laquelle divers projets avaient été proposés : l’eau potable et l’école, entre autres. L’école n’était pas, à l’origine, une demande des populations, mais une fois instaurée, les enfants y sont venus nombreux. La communauté, sans grand contact avec le monde extérieur, semblait faire perdurer son mode de vie ancestral. Un système de troc entre familles évitait tout contact avec le monde extérieur. Les membres de cette communauté n’avaient jamais connu l’école. En quoi le fait de savoir lire, écrire et compter pouvait améliorer leurs conditions de vie ? Pourquoi paraissent-ils accepter cette école nouvelle alors que les connaissances qu’ils y acquerraient ne semblaient pas d’une utilité majeure dans leur vie au quotidien ? Quel était leur rapport au savoir ? L’école faisait dorénavant partie de leur vie et nous, en tant qu’ONG de développement, leur demandions de la prendre en charge. Les communautés participeraient-elles à l’effort de pérennisation de cette offre éducative ? Depuis cette mission à Renukoot, je ne cesse de me demander ce que ce ‘développement’ apportait aux populations concernées et quelles étaient leurs appréhensions à ces changements au delà des avantages matériels ? Ce sont ces interrogations qui sont à l’origine de mon intérêt pour la recherche en Sciences de l’Education. Parmi les 18 programmes financés par Aide et Action en Inde, j’ai retenu celui de RDT comme terrain pour la recherche. Tout d’abord en raison de ma connaissance de la langue pratiquée par les bénéficiaires, le télougou, ma famille étant originaire de l'état d’Andhra Pradesh. De plus, la zone d’intervention de RDT représente, de par son importance, un champ adapté à l’étude que je souhaitais mener. L’intervention d’AEA couvre 137 villages pour une population d’environ 30000 personnes et l’intervention de RDT est suffisamment ancienne pour avoir induit une évolution dans les comportements et les mentalités des populations. Malgré l’existence de l’école publique depuis quelques décennies, une véritable dynamique éducative s’est créée dans la zone depuis l’intervention de RDT en 1978. Le programme éducatif a atteint un stade de maturité et les bénéficiaires ont la capacité et le recul nécessaire pour s’exprimer sur le sujet. La zone bénéficie d’une offre éducative variée, celle de l’état (école formelle gratuite), celle de l’ONG (école non-formelle), celle des organismes privés (école formelle payante). Enfin le dernier facteur est le programme lui-même qui a retenu toute mon attention en 1995. Je suis, en effet, à l’origine de la décision prise par Aide et Action cette année-là, du retrait de son soutien financier après quinze ans d’intervention (c’est à dire en 2002 pour RDT) et ceci dans le but de rendre les populations responsables de l’éducation de leurs enfants et de pérenniser ainsi l’action éducative. A l’époque, je qualifiais l’école supplémentaire d’institution éducative parallèle (à l’école gouvernementale) qui survivrait aussi longtemps qu’elle recevrait un soutien de l’extérieur. J’étais persuadée que sans ce soutien, les populations se contenteraient de l’école gouvernementale gratuite qu’elles fréquentaient alors. Consultées, les populations ont confirmé leur souhait de continuer les écoles supplémentaires, même sous une autre forme et avec leur participation financière. Aide et Action, soucieuse de respecter la demande éducative et de rester à l’écoute des populations, a accepté. Elle n’était pas convaincue de l’intérêt d’un ‘système éducatif parallèle’ alors que la population cible - avait commencé à fréquenter l’école publique ; - n’était plus intimidée par les castes privilégiées et - reconnaissait parfaitement le rôle joué par l’éducation dans leur ascension sociale. Mes visites sur le terrain depuis 1996 m’ont bien confirmé cette demande des SC/ST de maintenir, à tout prix, ces écoles qui ne constituent pas simplement un ‘système parallèle’, comme je l’avais imaginé, mais qui, pour eux, relevait peut-être de l’ordre du sacré. Reste à voir ce qu’elles deviendront d’ici dix ans sous le contrôle des populations SC/ST? Mon travail à Aide et Action m’a permis d’accéder aux villages en Inde, ce qui a constitué ma première vraie rencontre avec le monde villageois indien. D’origine indienne, je suis installée en France depuis une dizaine d’années après un mariage avec un français. Je suis née brahmane mais je n’en ai pas véritablement pris conscience dans ma vie en Inde. Ma famille avait plutôt adopté une culture urbaine moderne. Le voisinage était cosmopolite, composé de différentes religions et aussi sans doute de différentes castes, sans que nous n’y ayons jamais accordé d’importance particulière. J’appartiens à cette classe moyenne urbaine dite ‘avancée’ mais ignorante de bien des réalités de l’Inde, surtout rurale. J’ai découvert le sens du mot ‘caste’ et l’imaginaire lié à ce système, au cours de mes rencontres dans les villages où il est vécu avec une intensité qui dépassait mon imagination. J’ai pris connaissance de la vie des intouchables alors que l’existence même de l’intouchabilité me semblait être un fait du passé. J’ai découvert les conditions de l’enseignement dans les régions rurales si différentes des nôtres en ville. J’ai vu des enfants en servitude pour dettes et le combat quotidien de leurs familles pour la survie. J’ai appris à connaître ce monde villageois, si simple dans ses besoins, ses expressions, ses goûts, ses attitudes et ses comportements et si complexe dans ses structures, ses traditions, ses us et coutumes et ses religions. Au fil des années, ma curiosité pour ce monde s’est renforcée. Le contact avec ces populations villageoises m’a été d’un enseignement tout aussi riche que celui avec la culture occidentale lors de mon installation en France. Ces deux rencontres presque simultanées, ont provoqué une remise en cause d’un certain nombre de valeurs et d’illusions et ont réveillé en moi cette recherche du véritable sens de la vie. Une volonté toute simple de donner un sens au métier que j’exerce et à ma vie m’a poussé à m’investir dans cette recherche que je souhaite maintenant approfondir au cours d’une thèse. Méthodologie de recherche La recherche pour le mémoire de DEA était, pour une très bonne partie, une recherche documentaire. En ce qui concerne la question des dalits et celle de l’imaginaire de la politique éducative menée en Inde, à part quelques entretiens menés au National Institute for Educational Planning and Administration, notamment avec Messieurs Govinda et Varghese, la recherche a été menée sur la base de documents. Pour ce qui concerne le père Ferrer et RDT, j’ai pu avoir de longues entretiens avec Anne Ferrer (femme de Vincent Ferrer et Directeur Associé de RDT), Malla Reddy, Tippeswamy, Hari Narayan. Je n’ai pas pu rencontrer Vincent Ferrer depuis le début de cette recherche car il était en déplacement lors de mes deux visites à RDT cette année. Mes appréciations concernant les populations et leurs demandes sont basées sur de nombreux quoique brefs, contacts avec elles lors de mes missions sur place, depuis 1993. Ces appréciations figurent dans mes rapports de mission. Malgré mes recherches, je n’ai pas pu, au cours de cette année, accéder à des études sociologiques sur la caste des mala, ce qui aurait peut-être donné quelques éclaircissements sur leur rapport au savoir. En ce qui concerne la recherche pour la thèse, malgré le souhait de mener une recherche action de type existentiel, je ne le crois pas possible. Cette approche demande une participation et une implication de l’objet de recherche qu’il me semble actuellement difficile d’obtenir. Premièrement, RDT n’est pas demandeur de cette recherche. Au contraire, j’ai senti quelques inquiétudes de ses dirigeants quant aux conséquences de la recherche. Je pense avoir noué une relation personnelle de confiance avec eux, mais aux yeux de RDT, je représente aussi un financeur d’actions. Traditionnellement, les relations entre un bailleur d’une relative importance, et un opérateur sur le terrain restent distantes. Chacun garde ses secrets, ses prérogatives, ses distances et ses soucis et nous sommes en fait très loin d’un partenariat réel. Deuxièmement, RDT est un opérateur militant qui veut agir au profit du plus grand nombre. Lutter contre l’extrême pauvreté de ces milliers de personnes est sa seule préoccupation et il n’a ni le temps ni les moyens aujourd’hui de se préoccuper d’une recherche minutieuse d’ordre scientifique. Il me semble préférables dans ces circonstances, de procéder par des entretiens approfondis avec quelques personnes clé, choisies conjointement avec RDT : le Père Ferrer ; un ou une jeune dalit de la première génération “ d’éduqués ”; une femme dalit, mère d’un enfant ayant fréquenté l’école supplémentaire ; un enseignant de l’école supplémentaire au début de l’action ; une femme appartenant à une haute caste. Ces entretiens seront menés en plusieurs fois. Je propose de faire une thèse sur une période de quatre ans. La première année (1999-2000) sera consacrée à une recherche théorique dans le domaine du ‘rapport au savoir’ et de ‘l’imaginaire’. La deuxième année (2000-2001) sera consacrée aux entretiens sur le terrain. En effet, je serai installée en Inde pour une durée d’un an dans le cadre d’une recherche menée par Aide et Action sur la demande éducative permettant de déterminer les orientations, à moyen terme, de l’association dans ce pays. Je pourrai en consacrer quatre mois aux entretiens pour la thèse. La troisième année sera consacrée en partie aux entretiens (lors des missions) et en partie à une étude sociologique de la caste des mala et la quatrième année à la rédaction de la thèse. Bibliographie Aggrawal, Yash, Small Schools : Issues in Policy and Planning, Niepa Occasional Paper 23, New Delhi, NIEPA, 1997 Aggrawal, Y., Sibou, S., Educating Scheduled Castes, A study of Inter District and Intra Caste Differentials, New Delhi, NIEPA, 1994. 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