Eclairages - Etudes économiques du Crédit Agricole

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Eclairages - Etudes économiques du Crédit Agricole
Eclairages
Eclairages
Direction des Études Économiques
Mensuel - N°125
Septembre 2008
Matières premières agricoles (2e partie)
Hausse des cours : les gagnants et les perdants
Flambée des cours des matières premières agricoles : le poids de la crise financière
et des investisseurs
1
Matières premières agricoles : hausse des cours et formation
des prix alimentaires, le cas de la France
Matières premières agricoles : hausse des cours. Comment nourrir le monde ?
Interview de Bernard Bachelier, directeur de FARM
8
11
Flambée des cours des matières premières agricoles :
le poids de la crise financière et des investisseurs
Les cours des matières premières sont en hausse continue depuis 2001. Ce mouvement s’est amplifié
en 2007, plus particulièrement à partir du second semestre, après le déclenchement de la crise financière. Le renchérissement des prix des matières premières, qui s’inscrit en tendance depuis le début
de la décennie s’explique par un déséquilibre croissant entre une demande dynamique, en particulier
venant des pays émergents, et une offre qui répond plus lentement, avec en sus une baisse des stocks.
D’autres facteurs spécifiques, tels la production de biocarburants qui dope la demande de certaines
cultures vivrières (maïs, graines de colza, …), des taxes sur les exportations de certains produits, ou
encore des aléas climatiques ou géopolitiques, ont certes pu également jouer. Mais ceci ne suffit pas
à expliquer la récente accélération des cours. D’où l’idée de mesurer ici les rôles respectifs de la
crise financière, de la baisse des taux d’intérêt, de la faiblesse du dollar et des investisseurs financiers
(alias des spéculateurs) dans ce boom récent.
La crise financière : simple choc ou facteur
amplificateur ?
Si la hausse tendancielle des prix des matières
premières depuis 2001 s’explique par un déséquilibre croissant entre une demande mondiale
dynamique, en particulier des pays émergents, et
une offre rigide à court terme, sur fond de baisse
des stocks, le rebond observé depuis le second
semestre 2007 est difficile à expliquer par ces
seuls fondamentaux. On note en outre qu’il coïncide avec le déclenchement de la crise des subprime et avec sa contagion à la plupart des autres
segments des marchés financiers. Les deux phénomènes semblent donc liés, même si les canaux
de transmission ne sont pas évidents.
Du rôle des taux d’intérêt et de la chute du dollar
Les effets de la crise financière sur les marchés
des matières premières sont en effet contre intui-
tifs. Comment peut-on expliquer que les prix des
matières premières flambent, au moment même
où les perspectives de croissance de l’économie
mondiale s’assombrissent, synonymes d’une demande anticipée moins forte ? En principe, à offre
inchangée, les cours devraient être soumis à des
pressions baissières. On a en fait observé un
Graphique 1
mouvement de
sens contraire, au US$/bCrise financière: Fed Funds et prix du pétrole
%
12
moins pendant 160
140
10
quelque temps,
120
certaines évolu- 100
8
tions financières 80
6
induites par la 60
4
crise ayant indi- 40
2
rectement affecté, 20
0
0
à la fois, l’offre et
88
90
92
94
96
98
00
02
04
06
08
la demande de
Prix du baril de pétrole (WTI)
Taux des Fed Funds (ech. dr.)
matières premièSources : Datastream, Crédit Agricole SA
res. Plus préciséN°125 – Septembre 2008
1
Eclairages
Graphiques 2 & 3
Crise financière : dollar et pétrole
(corrélation glissante sur deux ans
des variations hebdomadaires)
0,2
0,1
0,0
-0,1
-0,2
-0,3
-0,4
88
90
92
94
96
98
00
Sources : Datastream, Crédit Agricole SA
02
04
06
08
ment, la transmission de la crise
financière aux
marchés des matières premières
semble s’être opérée via les mouvements des taux
d’intérêt et du
dollar que cette
crise financière
exerce.
Crise financière : dollar et pétrole
D’abord, l’assouplissement de la
120
U sd 2008
politique moné100
taire de la Fed,
80
en réponse à la
60
crise financière, a
40
U sd 2001
influencé la dyna20
U sd 2008 - usd 2001
mique des prix
0
01
02
03
04
05
06
07
08
des matières prePrix du baril en usd 2008 (WTI)
mières de pluPrix du baril en usd 2001
Ecart entre les prix 2008 - 2001
sieurs manières1.
Sources : D atastream, Crédit Agricole SA
Toutes choses
égales
par
ailleurs,
une
baisse
des taux d’intérêt
1. Voir Frankel (2006), « The
entraîne en effet une hausse des cours, en dimieffect of Monetary Policy on
Real Commodities Prices »,
nuant le coût de détention des stocks. Elle réduit
NBER WP 12713.
également l’attractivité des actifs monétaires, ce
2. Voir Borensztein et Reinqui peut pousser les investisseurs à s’en détourner
hart (1994), “The Macroeconomic Determinants of Comau profit d’actifs liés aux matières premières, jugés
modity Prices”, IMF Staff
plus rémunérateurs. Si on prend l’exemple du péPaper, juin ; et l’annexe 1.2.
du Chapitre 1 des Perspectitrole, sur le graphique 1, on constate que son prix
ves de l’Economie Mondiale
bondit
au moment de la forte baisse des taux des
du FMI (WEO) d’Avril 2008.
Fed Funds (- 325 pdb en sept mois, dont -75 pdb
u$/b
140
Tableau 1
Influence des variations des variables macroéconomiques sur les
mouvements des cours des matières premières
(période d'estimation : 1990 - fin 2007)
Or
Variation retardée…
Spot
Cycle OCDE
Cycle Asie
Taux court US
Dollar
Spot
Cycle OCDE
Cycle Asie
Taux court US
Dollar
Pétrole
Cuivre
Blé
Maïs
0,793
0,238
0,669
0,477
0,004
0,089
0,007
0,011
0,058
0,419
… 1 trimestre
0,028
0,042
0,129
0,028
0,283
0,016
0,404
0,009
0,153
0,044
0,032
0,535
0,021
0,826
0,073
0,288
1,000
0,143
0,971
0,005
0,291
0,839
0,169
0,726
0,032
… 1 an
0,317
0,964
0,158
0,727
0,128
0,361
0,905
0,206
0,414
0,013
0,834
0,914
0,468
0,217
0,484
Source : estimations des auteurs
En gras en bleu : significatif.
Les statistiques sont les risques de première espèce.
Statistique < 0,10 : la variation retardée de la variable macroéconomique contient
de l'information sur la variation observée du prix des matières premières à la période t.
2
N°125 – Septembre 2008
septembre-octobre 2007). Sur plus longue période, on constate que cette relation négative n’a
pas toujours été vérifiée. Entre 2004 et 2006 notamment, la normalisation des taux des Fed
Funds (passés de 1% à 5,25% en juin 2006) est
intervenue sur fond de hausse continue du prix
du pétrole et des matières premières en général.
Ensuite, la dépréciation du dollar, résultant de la
crise financière et des baisses des taux de la Fed,
a contribué à l’augmentation du prix des matières
premières. La transmission des mouvements du
dollar vers les prix du pétrole se fait également
via plusieurs canaux, impliquant des ajustements
de l’offre et/ou de la demande, et donc du prix2.
La plupart de ces produits sont en effet libellés en
dollar, de sorte que sa dépréciation induit mécaniquement une déformation du pouvoir d’achat
relatif entre des producteurs et des consommateurs hors zone dollar. Une dépréciation du billet
vert stimule le pouvoir d’achat des consommateurs dans les pays hors zone dollar, ce qui accroît la demande émanant de ces pays. Elle réduit
en même temps les revenus en monnaies locales
des pays producteurs hors zone dollar, ce qui
crée des pressions sur les prix.
Les effets de transmission transitent également
par un canal financier. La baisse du billet vert diminue le rendement en monnaie étrangère des
actifs financiers libellés en dollar. Les investisseurs se portent alors vers les matières premières
comme actifs de substitution qui donnent un rendement plus élevé. Par ailleurs, l’affaiblissement
du dollar accroît le coût des intrants libellés en
d’autres monnaies, ce qui renchérit l’inflation
importée aux Etats-Unis. Les matières premières
sont alors recherchées comme actif de couverture
contre le risque inflationniste.
Comme l’illustrent les graphiques 2 et 3, on observe une corrélation négative (plus ou moins
forte) entre les variations à court terme du dollar
et du prix du pétrole. Cette relation s’est renforcée sur la période récente, et plus généralement
depuis 2002 dans la forte dépréciation du dollar.
Cette relation laisse penser qu’une partie de la
hausse du prix du pétrole est imputable à la dépréciation du dollar. Si le dollar était resté à son
niveau de 2001, le prix du baril aurait normalement dû se situer autour de 90 USD en avril
2008, soit 20 USD en deçà du niveau observé. En
d’autres termes, les mouvements du dollar expliqueraient environ 20 % de la hausse du prix du
baril observée depuis 2002 (cf. graphique supra).
Eclairages
Quelle est l’influence réelle des facteurs macroéconomiques ?
L’analyse précédente suggère que la crise financière et ses effets sur les taux et le dollar ont été
une source potentielle de tensions sur les marchés des matières premières. Ceci permet de justifier ex-post les fluctuations du prix du baril.
Reste à savoir si les mouvements des taux d’intérêt aux Etats-Unis et/ou la dépréciation du dollar
ont été les seuls contributeurs aux hausses des
cours. Les corrélations observées sur la période
récente peuvent n’être que ponctuelles, et/ou le
fait du hasard.
Pour évaluer l’influence réelle des variations des
taux d’intérêt et du dollar sur les évolutions des
cours des matières premières à court terme, il faut
donc regarder sur une période plus longue. Nous
testons ces relations sur la période 1990 - fin
2007. Outre ces variables, nous évaluons également l’influence des cycles d’activité dans les
pays développés et dans les pays émergents sur
les cours des matières premières à court terme.
ment (après un trimestre). Les cycles d’activité
dans les pays OCDE influent également sur les
variations des cours du pétrole, mais aussi du cuivre, après un trimestre. En revanche, les cours
des matières premières agricoles sont très peu
sensibles aux variations de la demande dans les
pays avancés.
Au total, ces résultats confortent l’analyse évoquée plus haut, selon laquelle les mouvements
de taux et du dollar depuis la crise financière ont
pu agir sur les fluctuations des prix de certaines
matières premières à court terme. L’importance
des mouvements de la demande mondiale, en
particulier celle émanant des pays émergents, est
également confirmée.
Enfin, on notera, qu’à l’exception de l’or, les variations des prix spot des autres matières premières retenues sont influencées par leurs évolutions
passées. Ceci traduit sans doute l’influence de
« bruits » ou d’activités spéculatives sur ces marchés (par exemple, des comportements chartistes
de certains opérateurs de marché fondant une
partie de leurs anticipations sur les mouvements
passés du cours).
Le tableau 1 montre les résultats des tests de l’influence des variations des différentes variables
macroéconomiques sur les fluctuations des cours
des matières premières à court terme (un et qua- Le rôle des investisseurs financiers
tre trimestres).
et de la spéculation
On constate que les variations du dollar exercent une influence sur les mouvements des Les facteurs macroéconomiques peuvent explicours des matières premières à court terme. El- quer les tendances, et même une partie des variales affectent en particulier les évolutions des prix tions des prix des matières premières sur un horidu blé, du maïs et de l’or à horizon d’un trimes- zon plus ou moins court. Néanmoins, d’autres
tre. Les effets d’une baisse du dollar sur les prix facteurs entrent en jeu pour expliquer leurs flucdu pétrole mettent plus de temps avec un déca- tuations à très court terme (mensuels, hebdomalage d’environ une année. Ceci suggère que les daires et journaliers). En particulier, l’attrait des
ajustements de l’offre et de la demande mettent matières premières comme actif financier s’est
en moyenne plus de temps avant d’impliquer un fortement renforcé depuis le début des années
mouvement des prix du pétrole. Ce résultat mon- 2000, ce qui a pu contribuer à la hausse des
tre en outre que les fluctuations des cours du pé- cours.
trole observées récemment sont
Test de prévisibilité des variations des prix des matières premières
exceptionnelles. Les variations
Pour
évaluer l’influence des variables macroOù X t-1 est un vecteur de variables connues
des taux d’intérêt à court terme
économiques sur les évolutions à court terme
avant la période t susceptibles de permettre de
américains influencent également des prix des matières premières, nous utilisons prévoir la variation des prix des matières preles mouvements des prix du pé- l’approche proposée par Hamilton (2008)1. Ce mières au trimestre t. Le test consiste à vérifier
trole et du cuivre à court terme test consiste à vérifier si les variations passées la significativité du coefficient. Ce dernier est
de différentes variables macroéconomiques
significatif lorsque la probabilité associée à
(un trimestre).
contiennent de l’information sur l’évolution à la
l’hypothèse nulle (absence de relation statistiLes cycles d’activité ont un impact sur les fluctuations de court
terme des prix des matières premières. Les cours du pétrole et
des matières premières agricoles
(blé et maïs) sont sensibles à l’évolution de l’activité dans les
pays asiatiques et ce très rapide-
période courante du prix du pétrole. Autrement
dit, est-ce que les mouvements passés des variables peuvent aider à la prévision des évolutions du cours. Nous avons élargi l’approche
aux autres prix des matières premières et à
plusieurs variables macroéconomiques. Nous
avons estimé la régression suivante sur la période 1990 – fin 2007 :
∆ p
t
=
β
′x
t − 1
+
ε
t
que) est inférieure à 0,10 (cf. tableau infra).
Les variables testées sont les variations retardées (1 et 4 trimestres) du prix spot, du taux
court américain (3 mois), du taux de change effectif nominal du dollar, de la production industrielle des pays OCDE ou de la production industrielle moyenne asiatique (Chine, Corée du
Sud, Inde, Indonésie, Malaisie, Philippines, Singapour et Taiwan).
1. Hamilton J. D. (2008), “Understanding Crude oil
Prices”.
N°125 – Septembre 2008
3
Eclairages
L’importance croissante des investisseurs
financiers
La principale source d’information sur les activités de marchés des matières premières vient du
Commitments of Traders (COT), publié par la
Commission de contrôle des marchés à terme aux
Graphiques 4 & 5
Etats-Unis (CFTC,
Positions spéculatives - Pétrole brut
milliers
Commodity
FutuPositions totales et non commerciales = courtes +longues
contrats
res
Trading
Com3300
mission). Celui-ci
2800
fournit chaque
2300
semaine (mardi)
1800
les statistiques
1300
des contrats à ter800
mes des acteurs
300
-200
commerciaux et
95 96 97 98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08
non commerciaux
Totales
N on commerciales
sur les matières
Sources : N ymex, Bloomberg, Crédit Agricole SA
premières aux
Positions spéculatives - Blé
milliers
Etats-Unis (cf.
contrats Positions totales et non commerciales = courtes +longues
Eclairages N°
1200
124)3.
1000
Le COT montre
800
que le nombre de
600
contrats commer400
ciaux et non com200
merciaux a considérablement aug0
95 96 97 98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08
menté depuis le
Totales
N on commerciales
début de la déSources : CEI, Bloomberg, Crédit Agricole SA
cennie. On consGraphiques 6 & 7
tate que le nomPositions spéculatives - Pétrole brut
bre de positions
m illiers
positions longues nettes non commerciales = solde positif $/b
co ntrats
longues nettes
160
150
non commercia125
140
100
les – dites posi120
75
100
tions spéculatives
50
80
– a fortement aug25
60
0
menté en termes
40
-25
absolus, ce qui
20
-50
peut être le signe
-75
0
95 96 97 98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09
d’un accroissePosition nette
Tendance (filtre H P)
WTI (dr.)
ment d’une activiSources : N ymex, Bloomberg, Crédit Agricole SA
té spéculative sur
Positions spéculatives et prix spot
ces marchés. De
(corrélations glissantes des variations
milliers
plus, leur part
contrats
hebdomadaires sur 24 semaines)
1,0
dans le total des
0,8
contrats à terme
0,6
0,4
(courts plus longs)
0,2
est également en
0,0
-0,2
forte hausse. La
-0,4
part des contrats
-0,6
non commerciaux
-0,8
-1,0
sur le pétrole (sur
00
01
02
03
04
05
06
07
08
le Nymex) est
P ét role
Maïs
Blé
S ources : CE I, Bloombe rg , Crédit Agricole SA
passée de 8 % en
4
N°125 – Septembre 2008
1997 à plus de 16 % en 2007. Sur les autres matières premières, comme le blé notamment, où la
part des contrats non commerciaux était déjà élevée, elle a également continué à augmenter, passant de 20 % à plus de 25 % au cours de la
même période.
Le développement de l’activité sur les marchés à
termes a pu affecter les évolutions des cours. Selon le CFTC, les prix de plusieurs matières premières (notamment agricoles) sur les marchés au
comptant (« spot ») et sur les marchés des contrats
à livraison différée (« forward ») sont en effet basés sur les prix des contrats à termes (« futures »)4.
D’ailleurs, on observe une corrélation positive
entre les évolutions des positions nettes non commerciales (spéculatives) et les fluctuations des
cours de la plupart des matières premières. Cette
relation semble s’être renforcée sur la période
récente. Les positions spéculatives nettes sur le
pétrole ont augmenté de 156 % entre septembre
2007 et mars 2008 (le pic le plus récent). Au
cours de cette période, le baril de pétrole (WTI) a
bondi de plus de 30 USD. Sur les marchés des
autres matières premières, comme le blé ou le
maïs, on observe des évolutions identiques. Tous
ces éléments suggèrent un accroissement de l’activité spéculative sur les marchés des matières
premières sur la période récente.
Les investisseurs sur indices : nouveaux investisseurs ou simples spéculateurs ?
Pour certaines matières premières, la distinction
entre acteurs commerciaux et non commerciaux
est devenue obsolète. Les pratiques de trading
ont fortement évolué, de sorte qu’il est devenu de
plus en plus difficile de distinguer les acteurs en
se basant uniquement sur le fait qu’ils réalisent
des opérations de couverture ou non.
Depuis janvier 2007, la CFTC a ainsi décidé de
publier un rapport supplémentaire (COT Supplemental Reports) distinguant une nouvelle catégorie d’acteurs (uniquement sur les marchés des
futurs sur matières premières agricoles) qui fait
des choix d’allocation d’actifs en s’appuyant sur
des indices composites de matières premières –
« Index Traders ». La stratégie d’investissement de
ces intervenants consiste en particulier à allouer
leurs fonds en se basant sur des indices composites représentatifs de la performance d’un panier
de contrats à terme sur matières premières, du
type Standard & Poor – Goldman Sachs Commodity Index ou Dow Jones – AIG Commodity Index. Ces investisseurs pouvaient auparavant être
classés dans les catégories non-commerciales ou
Eclairages
commerciales. Les investisseurs issus de la catégorie non-commerciale sont essentiellement les
gestionnaires d’actifs, les fonds de pensions, les
fonds souverains et les autres investisseurs institutionnels. Ces derniers considèrent les matières
premières comme une classe d’actifs à part entière. Ils pratiquent généralement une gestion passive, consistant à répliquer les performances des
grands indices de matières premières. Les acteurs
issus de la catégorie commerciale sont ceux dont
les positions reflètent en grande partie les opérations de couverture de transactions impliquant
des indices de matières premières.
Cette nouvelle catégorie d’acteurs peut avoir perturbé les marchés des matières premières et
contribué à amplifier la hausse des cours. Une
communication récente devant le Sénat américain explique comment la demande de contrats
futurs de ces nouveaux investisseurs explique en
partie la hausse récente des prix spot5. Plusieurs
raisons sont avancées :
• Les décisions de placement de ces investisseurs
institutionnels sont motivées essentiellement par
des considérations d’allocations d’actifs. Le prix
importe peu. L’absence de sensibilité aux évolutions des prix accroît l’impact de leurs achats sur
les prix des matières premières ;
• Les marchés de contrats à terme sur les matières
premières sont étroits. Des mouvements importants de fonds de ces investisseurs vers ces marchés à terme peuvent avoir un impact fort sur les
prix ;
• La stratégie de ces investisseurs consiste à acheter des contrats futurs et à renouveler leurs positions longues. Ceci suggère qu’ils anticipent des
hausses de prix à long terme.
Le dernier point est important. Il permet sans
doute de mieux comprendre le débat autour de la
question de savoir si la hausse des prix des matières premières résulte ou non de la spéculation. En
effet, si on s’en tient à la définition de la CFTC, le
spéculateur sur les marchés à terme des matières
premières est défini comment étant « un acteur
qui ne réalise pas des opérations de couverture,
mais intervient sur le marché dans le but de réaliser des profits en pariant sur les évolutions des
cours ».
Ce spéculateur « traditionnel » aura plutôt tendance à avoir un horizon d’investissement très
court (hebdomadaire, journalier ou intrajournalier). En outre, une fois l’objectif de profit
réalisé, la position est liquidée.
Les investisseurs institutionnels, se basant sur les
indices composites sur matières premières, ne
Graphique 8
sont pas dans
Matières
premières
et
marchés
actions
cette logique
(corrélation glissante sur deux ans
puisqu’ils conserdes variations hebdomadaires)
vent des posi- 0,4
0,3
tions longues et 0,2
stables et ceci 0,1
0,0
q u e l l e s q u e -0,1
-0,2
soient les évolu-0,3
tions des prix. Le -0,4
terme de spécu- -0,5
88
90
92
94
96
98
00
02
04
06
08
lation avec sa
Corrélation entre les indices MSCI monde et S&P GSCI
Commodity
connotation
Sources : Datastream, Crédit Agricole SA
« court termiste »
paraît ici impropre dans la mesure où il s’agit 3. Les acteurs commerciaux
effectuent essentiellement
d’un pari à long terme sur l’orientation haussière des opérations de couverture
du prix des matières premières. Ces nouveaux (producteurs, fournisseurs,
ou commerçants
investisseurs misent sur la poursuite d’une crois- courtiers
détenant des matières presance dynamique dans les pays émergents, donc mières ou entreprises de
Les acteurs
sur le maintien d’une forte demande de matières transformation).
non commerciaux
premières. Par ailleurs, une partie de ces opéra- (institutions ou particuliers)
teurs réalisent des investissements de long terme réalisent des opérations
n’ayant pas de liens directs
sur ces marchés afin de diversifier leurs porte- avec les matières premières
feuilles face aux aléas boursiers. Dans ce cas, il (production ou vente) et
intervenant sur le marché
ne s’agit pas de pure spéculation, mais au pour des motifs autres que
des opérations de couverture.
contraire de gestion diversifiée.
Quelles sont les motivations de ces nouveaux
investisseurs financiers ?
Plusieurs facteurs financiers peuvent avoir motivé
les décisions d’investissement sur les marchés des
matières premières. Le retournement des marchés
boursiers, entre 2000 et 2002, a sans doute été
un catalyseur en poussant les investisseurs à rechercher d’autres actifs plus rémunérateurs. Les
marchés à termes de matières premières présentent également l’avantage d’assurer une bonne
diversification des portefeuilles vu la décorrélation historique de leur rendement avec ceux des
autres classes d’actifs (actions et obligations).
Le tableau 2 présente l’estimation de plusieurs
variables financières qui ont pu influencer les décisions d’investissement sur les marchés des matières premières depuis 2001, en distinguant deux
sous périodes : le début du boom des prix en
2001-2004 et la nouvelle phase d’accélération en
2005-20086. Formellement, il s’agit de régresser le
ratio des positions spéculatives sur les positions
ouvertes totales sur différentes variables financières qui traduisent l’arbitrage des investisseurs entre différentes classes d’actifs (diversification, couple risque/rendement, couverture…).
Les résultats font apparaître les éléments suivants :
• les motifs d’investissement diffèrent beaucoup
Leurs opérations sur les marchés à termes consistent à
parier sur les évolutions des
cours. Autrement dit, il s’agit
de spéculateurs. Voir http://
w w w . c f t c . g o v /
educationcenter/
economicpurpose.html.
4. “Futures contracts are
often relied on for price discovery as well as for hedging.
In many physical commodities (especially agricultural
commodities), cash market
participants base spot and
forward prices on the futures
prices that are “discovered”
in the competitive, open
auction market of a futures
exchange”. http://
w w w . c f t c . g o v /
educationcenter/
economicpurpose.html
5. Voir Masters M. (2008),
Testimony before the Committee on Homeland Security
and Governmental Affairs,
United States Senate, 20 mai.
6. Nous retenons la méthodologie de Domanski et Heath
(2007), « Financial Investors
and Commodity Markets »,
revue trimestrielle de la BRI,
avril.
N°125 – Septembre 2008
5
Eclairages
Tableau 2
Estim ation des déterm inants de l'activité spéculative sur les m archés des
m atières prem ières (1)
Période: 01/2001 - 12/2004
S igne
Rendement (2)
Roll (3)
Volatilité (4)
Taux d'interêt (5)
Corrélation bourse (6)
Inflation anticipée (7)
R²
+
+
+
Or
Pétrole
Cuivre
Blé
Ma ïs
coefficients coefficients coefficients coefficients coefficients
-0,31
0,06
0,10
1,00
0,26
-3,38
1,35
-0,26
0,30
0,89
-8,44
-0,40
-0,10
14,22
14,31
-3,69
-0,07
-2,40
-15,82
-9,65
-0,20
0,00
0,16
-0,11
-0,26
0,04
-0,05
0,08
-0,05
0,27
0,60
0,57
0,65
0,55
0,49
Estim ation des déterm inants de l'activité spéculative sur les m archés des
m atières prem ières (1)
Période: 01/2005 - 04/2008
S igne
Rendement (2)
Roll (3)
Volatilité (4)
Taux d'interêt (5)
Corrélation bourse (6)
Inflation anticipée (7)
R²
+
+
+
Or
Pétrole
Cuivre
Blé
Ma ïs
coefficients coefficients coefficients coefficients coefficients
0,26
0,03
0,17
0,11
0,13
-2,16
0,35
-1,11
-1,93
1,17
0,26
-13,00
-2,52
2,92
3,29
1,95
-0,45
-0,12
-24,16
5,01
-0,60
-0,06
-0,32
0,17
0,21
0,14
0,00
0,04
0,29
0,04
0,49
0,25
0,73
0,79
0,60
gère que les investisseurs se tournent davantage vers ces matières premières pour
se couvrir contre le risque inflation.
Quelle est l’influence de la spéculation ?
L’analyse des corrélations ne suffit pas
pour établir si les fortes variations des
cours des matières premières observées sur
la période récente sont le résultat d’une
activité spéculative ou si c’est le contraire.
Pour appréhender le sens de la relation,
nous avons donc effectué des tests de
« causalité au sens de Granger » entre mouvements des positions spéculatives et évolutions des cours de plusieurs catégories
de matières premières sur les dix dernières
années7.
Source : Bloomberg, D ata stre am, Estimations CA
En g ra s en bleu : sig nificatif et signe correct ; en gras en noir : significa tif mais signe incorre ct.
Afin de préciser l’influence de la spéculation, les tests ont été effectués sur trois
(3) : Roll : rendement de s renouv elleme nts des positions futures passées (mm 20 mois (spot - prix futur 3 mois) /spot)
sous-périodes correspondant à des fluctua(4) : Volatilité : écarts-ty pes glissants sur 20 mois de la v ariation hébdomadaire du future 3 mois
(5) : Taux d'inté rê t : moyenne des taux 3 mois U S , U EM et U K
tions plus ou moins importantes à la fois
(6) : Corré lation bourse : Corrélations glissantes sur 5 ans de s glisseme nts annue l du spot et du MS CI monde
des cours et des positions spéculatives. La
(7) : Inflation anticipé e : écart entre le s taux 10 indé xé s e t nominal U S
première sous-période est caractérisée par
selon les matières premières. Les variables signifi- une relative stabilité de l’évolution des prix des
catives et/ou avec le signe attendu ne sont pas les matières premières (1997-2001) ; dans la
deuxième, les cours enregistrent une hausse promêmes pour toutes les matières premières.
gressive et modérée (2001-2005) ; dans la troi• La recherche de diversification de long terme
semble avoir été un motif important d’investisse- sième (2005-début 2008), les prix flambent.
ment sur les marchés à terme du pétrole, de l’or
et du cuivre au cours de la période récente Les résultats des tests de causalité suggèrent que,
(2005-2008). La corrélation entre les rendements sur les trois sous-périodes, les mouvements spédes matières premières (indice composite S&P culatifs n’ont pas déterminé les variations des
GSCI) et les marchés actions (MSCI monde) res- prix spot. Pour quasiment toutes les matières presort avec un signe négatif. Pour les positions spé- mières retenues, les mouvements des positions
culatives sur les matières premières agricoles en spéculatives ne font que suivre les fluctuations
revanche, l’opportunité de diversification par rap- des cours. En d’autres termes, c’est la hausse des
7. Les tests de causalité au
port aux marchés actions semble plutôt avoir prix qui influence les positions prises sur les
sens de Granger entre X et Y
mesurent en fait si l’informamarchés des matières premières, non le
joué juste après le krach boursier (2001-2004).
tion contenue dans la variacontraire. Les spéculateurs auraient ainsi simple• Les stratégies d’investissement à court terme ont
ble X précède celle contenue
davantage joué au début de la hausse des cours ment parié sur la poursuite des tendances obserdans la variable Y et vice
versa. Ainsi, on dira que X
des matières premières (2001-2004). Pour toutes vées sur les prix courants.
cause Y au sens de Granger,
les matières premières, le coefficient des taux
si la prévision de Y à partir de
son évolution passée peut
d’intérêt à court terme, qui est un coût d’opportu- Sur la période récente, le pétrole fait figure d’exêtre améliorée en tenant
nité pour l’investisseur, a le signe négatif attendu. ception. En effet, les tests montrent une double
compte des valeurs passées
de X. Il ne s’agit en aucun cas
Les positions spéculatives répondent aux varia- causalité entre les mouvements des cours du péd’une causalité au sens usuel.
tions de rendements à court terme (variations trole et variations des positions spéculatives. La
Plus formellement, les tests
mensuelles des prix spot) surtout au cours de la hausse du prix du pétrole et la spéculation s’alide causalité sont effectués à
l’aide d’un modèle vectoriel
première période (coefficient plus élevé avec le mentent mutuellement. Dit autrement, les spécuautorégressif (VAR) avec deux
signe attendu). Ceci est surtout vrai pour le blé et lateurs pétroliers parient sur des hausses de
retards. Pour chaque matière
première, le modèle comle maïs.
cours, ce qui fait monter les prix et alimentent
prend les positions spéculati• Le coefficient des anticipations inflationnistes
de nouvelles positions spéculatives et ainsi de
ves et le prix courant (spot)
est positif, ce qui indique que les matières pre- suite… Pour les autres matières premières, l’or et
de chaque mardi. Les tests
effectués avec la moyenne du
mières sont bien utilisées pour se couvrir contre le blé notamment, même sur la période récente,
cours du lundi et du mardi
l’inflation. On note que les coefficients des prix les positions spéculatives suivent les évolutions
donnaient qualitativement les
mêmes résultats.
du pétrole et de l’or sont significatifs, ce qui sug- des cours, non l’inverse. On obtient les mêmes
(1) : Variable dépendante : ratio positions nette s non comme rciales/postions ouverte s totale s
(2) : Rendement : Variation mensue lle du spot
6
N°125 – Septembre 2008
Eclairages
conclusions lorsque des tests sont effectués sur
l’écart entre le cours et sa tendance, calculée à
l’aide d’un filtre HP. Ce dernier test est sans
doute plus pertinent pour appréhender les phénomènes purement spéculatifs. On peut en effet
penser que la spéculation ne joue qu’à la marge,
les fondamentaux guidant la tendance.
Il convient enfin de préciser que les positions non
commerciales prennent en considération les investisseurs sur indices (notamment les fonds de
pensions ou gestionnaires d’actifs) qui, comme
on l’a vu plus haut, ont un comportement qui ne
peut être assimilé à une activité spéculative au
sens strict.
Conclusion
En définitive, la hausse récente des cours des différentes catégories de matières premières est liée
à une conjonction de facteurs. Les fondamentaux
(demande dynamique face à une offre plus ou
mois rigide) ont joué un rôle central en guidant la
tendance haussière. Fort de ces évolutions tendancielles les investisseurs, ont alors choisi d’accroître leur exposition aux matières premières. Ceci a
été, également pour eux une manière d’échapper
à la déprime régnant sur la plupart des autres marchés (actions, crédit, immobilier, etc.). L’ensemble
a pu être un accélérateur de tendance.
Cependant, l’accroissement de l’activité sur les
marchés à terme des matières premières n’a généralement pas influencé le prix courant des matières premières. Les résultats des tests de causalité
montrent que les évolutions de cours ont précédé
celles des positions spéculatives. Ainsi, la hausse
des prix des matières premières s’explique essentiellement par les mouvements des fondamentaux.
D’autres facteurs exogènes (aléas climatiques,
géopolitiques, etc.) ont pu jouer, mais seulement
à la marge.
Le pétrole fait alors figure d’exception. Les tests
statistiques montrent, et de manière significative,
que la spéculation a bien joué un rôle sur les
évolutions récentes des cours. Donc, si l’accélération récente de la hausse des prix du pétrole
résulte en partie de l’activité spéculative sur les
marchés à terme, une correction est à attendre.
Surtout au moment où les fondamentaux vont
dans le sens d’une baisse des prix à court terme.
Le ralentissement économique à l’œuvre devrait
finir par induire une baisse de la demande globale, synonyme de pétrole moins cher.
Il convient dans tous les cas de rester prudent, le
terrain de la prévision de prix des matières pre-
mières étant particulièrement glissant… On peut
à cet égard noter que l’identification du rôle des
investisseurs financiers à la hausse des cours des
matières premières est rendue difficile par le
manque d’informations. La CFTC ne publie ses
statistiques qu’une fois par semaine (chaque mardi), ce qui ne permet pas d’appréhender l’activité
spéculative qui peut être intense en fréquence
quotidienne et intra-journalière. Par ailleurs, les
données détaillées par acteurs, notamment les
« traders sur indice » ne sont pas accessibles pour
la plupart des matières premières (sauf agricoles),
alors que plusieurs éléments montrent leur importance croissante. Olivier BIZIMANA
[email protected]
Isabelle JOB
[email protected]
Tableaux 3 & 4
Tests de Causalité au sens de Granger : cours des matières premières
et positions spéculatives
Causalité
positions spéculatives vers prix de l'or
prix de l'or vers positions spéculatives
positions spéculatives vers prix du pétrole
prix du pétrole vers positions spéculatives
positions spéculatives vers prix du cuivre
prix du cuivre vers positions spéculatives
positions spéculatives vers prix du blé
prix du blé vers positions spéculatives
positions spéculatives vers prix du ma ïs
prix du ma ïs vers positions spéculatives
06/1/1997 01/01/2001
01/01/2001 27/12/2004
1/03/2005 2/04/2008
0,157
0,577
0,548
0,058
0,061
0,010
0,094
0,126
0,095
0,043
0,527
0,037
0,907
0,184
0,435
0,799
0,305
0,006
0,037
0,000
0,747
0,568
0,095
0,048
0,827
0,742
0,336
0,082
0,751
0,138
Source : estimations des auteurs
En gras en bleu : significatif.
Les statistiques sont les risques de première espèce.
Statistique < 0,10 : la causalité va de la première variable vers la seconde
Causalité au sens de Granger: écart prix spot - tendance (Filtre HP)
et positions spéculatives
06/1/1997 01/01/2001
Causalité
positions spéculatives vers prix de l'or
prix de l'or vers positions spéculatives
positions spéculatives vers prix du pétrole
prix du pétrole vers positions spéculatives
positions spéculatives vers prix du cuivre
prix du cuivre vers positions spéculatives
positions spéculatives vers prix du blé
prix du blé vers positions spéculatives
positions spéculatives vers prix du ma ïs
prix du ma ïs vers positions spéculatives
0,126
0,018
0,584
0,000
0,173
0,000
0,123
0,001
0,755
0,818
01/01/2001 - 1/03/2005 27/12/2004 2/04/2008
0,303
0,000
0,643
0,000
0,741
0,002
0,328
0,000
0,789
0,054
0,674
0,024
0,080
0,015
0,207
0,353
0,348
0,009
0,193
0,802
Source : estimations des auteurs
En gras en bleu : significatif.
Les statistiques sont les risques de première espèce.
Statistique < 0,10 : la causalité va de la première variable vers la seconde
N°125 – Septembre 2008
7
Eclairages
Matières premières agricoles : hausse des cours et formation
des prix alimentaires, le cas de la France
La hausse des cours des matières premières agricoles induit, au moins partiellement, une hausse du
prix des produits alimentaires. L’évolution récente des prix de certains produits symboliques a frappé les esprits par son ampleur. Dans un pays développé, c’est le pouvoir d’achat des catégories sociales les plus fragiles qui est touché en premier lieu et l’on reparle d’inflation. Les négociations de
prix entre fournisseurs et distributeurs sur le marché alimentaire sont en porte-à-faux vis-à-vis de ces
évolutions. Face à des nécessités nouvelles, les cadres institués tant pour les relations commerciales
que pour les structures de distribution paraissent de plus en plus étroits.
conditions générales de ventes (fournisseurs) non
discriminatoires.
Une hausse soudaine et atypique
des prix alimentaires marque
les négociations commerciales 2008
1. Soit le prix catalogue du
fournisseur stipulé par ses
conditions générales de ventes (CGV), net i) de remise ii)
de ristourne iii) de coopération commerciale. Le seuil de
revente à perte défini par la
loi Galland étant un prix de
facture, il s’agissait essentiellement d’un prix net de remise, de ce fait de plus en
plus éloigné du prix de transaction réel entre fournisseur
et distributeur à mesure que
la coopération commerciale,
inapparente sur facture de
livraison et donc non déductible, s’est développée. La
coopération commerciale
constitutive des « marges
arrières » a pu atteindre un
niveau moyen de l’ordre de
33 % du prix net fournisseur.
Fin février 2008, l’INC publiait, à l’approche du
salon de l’agriculture, une enquête qui mettait en
évidence l’envolée des tarifs en magasins de produits alimentaires de base, répertoriés auprès des
enseignes de la grande distribution : de 5 à 48 %
de hausses de prix en trois mois, entre novembre
2007 et janvier 2008.
Aussitôt, les pouvoirs publics diligentaient une
série d’enquêtes afin notamment de savoir qui,
des industriels ou des distributeurs, était responsable de cette flambée des prix. La DGCCRF
enquêtera sur le terrain et attribuera aux hausses
tarifaires de la campagne 2008 une proportion
plus réduite que celle décrite par l’INC via son
magazine « 60 millions de consommateurs ».
Car il y a bien en France une notion de
« campagne » pour les prix alimentaires, issus de
négociations annuelles encadrées dans leur calendrier et dans leurs procédures par la loi, par le
titre IV du Code de commerce. Depuis 2004, des
efforts constants sont faits pour simplifier, voire
démanteler cet édifice qui régit les relations entre
fournisseurs et distributeurs, sur deux socles :
l’interdiction de la revente à perte ; l’existence de
Graphique 1
Indice des prix à la consommation,
indice d'ensemble et indice des prix alimentaires
135
130
125
Dans le but de régler le problème de l’inflation
alimentaire, un phénomène dont l’ampleur serait
spécifique à la France, les pouvoirs publics ont
décidé d’éliminer tous les mécanismes opaques
qui permettraient aux acteurs du commerce d’élaborer des niveaux de prix sans justification économique. La réforme dite de « modernisation de
l’économie » est débattue devant le parlement
depuis le 2 juin. Elle devrait notamment introduire la possibilité pour les centrales d’achat de
négocier librement les tarifs proposés par les
industriel : négocier le prix dit « triple net »1, prix
de vente réel des fournisseurs, à l’identification
complexe.
On a déjà observé en France une hausse des prix
alimentaires, atypique, distincte des évolutions
générales des prix, à l’occasion – probablement –
du passage à l’euro. Dès janvier 2001, les prix
alimentaires ont divergé sur une période qui a pris
fin à l’automne 2004. C’est un phénomène extérieur au marché qui ouvre et ferme la période : en
septembre 2004, les pouvoirs publics enjoignent
aux partenaires de la négociation commerciale
d’agir sur le prix consommateur des produits de
grande consommation (accords Sarkozy). A chaque fois, un phénomène catalyseur déclenche une
évolution plus durable des niveaux de prix, ceuxci étant orientés soit par des stratégies de part de
marché, soit par des phénomènes d’anticipation
ou de précaution (cf. graphique 1).
120
115
110
105
N°125 – Septembre 2008
janv-08
avr- 08
IPC produits alimentaires boissons
Source : Insee ; indice des prix alimentaires et boissons hors boissons alcoolisées
8
juil-07
juil-06
janv-07
janv-06
juil-05
janv-05
juil-04
juil-03
Prix à la consommation Ensemble
janv-04
janv-03
juil-02
juil-01
janv-02
janv-01
juil-00
janv-00
100
A partir de l’automne 2007, un « choc tarifaire »
semble s’esquisser, comparable à celui du printemps 2001.
Rien d’étonnant en principe, puisqu’en amont les
matières premières agricoles n’ont jamais été
aussi chères depuis longtemps. Au travers de
l’indice des prix agricoles à la production
(IPPAP), la hausse globale des prix des matières
premières agricoles est de plus de 22 % entre
Eclairages
mars 2007 et mars 2008. Les industriels réagissent sur leurs tarifs. Leur indice de prix à la production enregistre une hausse de 9,2 % sur la
même période. Enfin l’indice des prix à la
consommation, l’indice des commerçants, progresse de 5,6 % de mars 2007 à mars 2008. Importantes en elles-mêmes, ces hausses ont surtout
la caractéristique de rompre avec une période de
modération des prix relatifs, fréquemment orientés à la baisse depuis fin 2004 (cf. graphique 2).
Ces hausses paraissent cohérentes avec l’idée que
les matières premières représenteraient en
moyenne 50 % du prix de vente des industriels
de l’agroalimentaire en France 2 . Cette
« moyenne », recouvrant des situations très diverses, paraît très élevée s’agissant en tout cas des
pays développés où le degré de transformation
des produits de base est élevé. Un rapport récent3
évoque une fourchette de 25 à 35 % du prix de
vente pour la part des produits agricoles dans les
denrées alimentaires.
Le blé ne rentre ainsi que pour 5 à 6 % du prix
d’une baguette, représentatif pour l’essentiel
d’une prestation de service, composante qui joue
un rôle amortisseur puissant par rapport aux fluctuations des coûts matières (cf. graphique 3).
Par contre, le litre de lait en rayon ne pourra cacher sa proximité avec la matière première et son
statut de produit frais, quel que soit le fournisseur, quel que soit le circuit de distribution. La
répercussion de la hausse du coût de la matière
lait est immédiate ; si elle est lissée en période de
faible fluctuation, les variations de grande amplitude sont répercutées à environ 50 % dans le prix
final du produit consommateur (cf. graphique 4).
Cependant tout lien direct entre le prix des matières premières agricoles et le prix des produits
alimentaires est particulièrement délicat à établir
dans une période de hausse généralisée des matières premières non agricoles, utilisées comme
intrants dans les emballages par exemple, ainsi
surtout que du coût de l’énergie et des transports.
Si on se réfère aux instruments les plus éprouvés
pour suivre l’évolution des prix, on peut supposer
une répercussion quasi-complète des hausses de
prix des matières premières agricoles, de l’énergie, du transport et du stockage, mais pas véritablement de dérive au-delà de l’ajustement de prix
relatif, dérive inflationniste telle que la suggère,
parmi d’autres, la communication de l’INC. C’est
ponctuellement que certains produits ont pu illustrer ce type de dérive.
Graphique 2
Indices des prix : prix à la production (agriculture et IAA)
et prix à la consommation (alimentaire)
2,0%
Janvier 2005 - mars 2008 (glissement mensuel de la moyenne 12 mois)
1,5%
1,0%
0,5%
0,0%
-0,5%
-1,0%
janv-05 mai-05 sept-05 janv-06 mai-06 sept-06 janv-07 mai-07 sept-07 janv-08
Prix agricoles Production
Source : Insee, Crédit Agricole S.A.
Prix des IAA
Par ailleurs, la transmission des hausses de prix
matière au prix final indique qu’il y a tentative de
maintien des marges dans la filière aval, tant chez
les industriels que chez les distributeurs. Ce
maintien des marges reste possible tant que les
évolutions des volumes vendus ne sont pas sanctionnées.
Le discours des pouvoirs publics est de souligner
que les hausses de prix alimentaires sont inférieures sur les marchés voisins (notamment en Allemagne). Les hausses imputées ici aux matières
premières y seraient donc mieux absorbées4. Ce
sont les insuffisances des mécanismes concurrentiels en France qui sont visées, de manière specta-
IPC alimentation
2. Diverses sources industrielles.
3. OCDE / FAO Perspectives
agricoles 2008-2017.
4. Pour les acteurs de l’aval
industriel, les coûts matière
convergent vers des prix de
marché mondiaux et sont
donc largement comparables.
Graphiques 3 & 4
Céréales et pain
prix à la production - prix à la consommation
(grlissement mensuel de la moyenne 12 mois; janvier 2006-mars 2008)
6,0%
4,0%
2,0%
0,0%
-2,0%
janv-06
mai-06
sept-06
janv-07
mai-07
sept-07
janv-08
Céréales production
Pain consommation
Source : Insee, Crédit Agricole S.A.
Prix du lait : cours à la production et prix à la consommation
(février 2001-avril 2008)
(glissement mensuel de la moyenne 12 mois)
3,0%
2,5%
2,0%
1,5%
1,0%
0,5%
0,0%
-0,5%
-1,0%
févr-01
févr-02
févr-03
févr-04
févr-05
févr-06
févr-07
févr-08
Lait matière Indice prix production
Source : Insee, Crédit Agricole S.A.
IPC consommation Lait UHT 1/2 écremé au litre
N°125 – Septembre 2008
9
Eclairages
Graphique 5
Tendances des prix alimentaires en France (hyper, supermarchés et
discount). Catégories de produits PGC et produits frais
8
% annuel en glissement mensuel
6
4
niveaux inconnus depuis l’origine de cet instrument de mesure et très proches pour toutes les
catégories de produits (en glissement annuel, en
mars 2008 : +3,57 % pour les marques, +3,8 %
pour les MDD, + 4,7 % pour les produits premiers prix de la grande distribution).
2
0
-2
-4
Marques
nationales
Premiers
prix
HDiscount
Réferentiel total
avr-08
janv-08
oct-07
juil-07
avr-07
janv-07
oct-06
juil-06
avr-06
janv-06
oct-05
juil-05
avr-05
janv-05
oct-04
juil-04
-6
MDD
Sources : AC Nielsen Panel Intl. via LSA, Crédit Agricole S.A.
5. Les MDD représentent
globalement 25 à 30 % du
chiffre d’affaires alimentaire
des grands distributeurs généralistes.
culaire, en prenant pour exemple des régions
frontalières comme l’Alsace où les consommateurs sont nombreux à prendre le chemin de l’Allemagne, meilleur marché, pour leurs courses
hebdomadaires.
De telles comparaisons supposent évidemment
des produits comparables, et il s’agira essentiellement des produits des grandes marques internationales.
Est-ce l’anticipation d’une libéralisation
des négociations tarifaires qui conduit
à ce train de hausses ?
Des évolutions convergentes de toutes les catégories de produits illustrent le caractère atypique
des hausses récentes
Il est possible de différencier les évolutions tarifaires des grandes marques nationales ou internationales, des produits aux marques de distributeurs
(MDD), des produits de la filière hard discount.
Longtemps, les évolutions ont été divergentes
entre, d’une part, les grandes marques dont les
prix sont négociés par la distribution, et d’autre
part, les produits dont les prix sont directement
contrôlés par les filières de distribution. Alternativement, chacune des catégories joue sur l’évolution des prix pour prendre ou reprendre des parts
de marché à l’autre. Les prix des grandes marques
par exemple ont baissé de mai 2006 à mai 2007,
pendant que les assortiments concurrents étaient
orientés à la hausse (cf. graphique 5).
Il est significatif de voir les évolutions converger
à partir de l’automne 2007, la fin d’année marquant effectivement une hausse ponctuelle à des
10
N°125 – Septembre 2008
Par ailleurs, les prix des gammes, à produits comparables ou substituables se hiérarchisent selon
les grandes marques, les plus chères, les MDD
(de 25 à 35 % inférieures aux prix des marques
industrielles), les produits de hard discount (de
15 à 25 % inférieurs aux prix des MDD). L’incidence des hausses de coûts matières sera donc
théoriquement plus forte sur les produits d’entrée
de gamme, la hiérarchie des prix étant établie par
l’intégration des coûts de services et de marketing
croissants entre les premiers prix et les hauts de
gamme.
Le fait que les différentes gammes connaissent
des taux de revalorisation comparables sur la
période récente mettrait donc en relief l’action
des grandes marques5. Par construction, la structure de leurs prix de revient implique en effet que
les hausses tarifaires actuelles font plus que compenser la hausse de la composante matières premières. Seules les grandes marques sont concernées par les négociations commerciales au sens
du titre IV du Code de commerce. S’agirait-il de
nouveau du « principe de précaution », remobilisé à la veille d’un bouleversement réglementaire
qui, s’il aboutit, renforcera le pouvoir de négociation de la distribution ? Cette stratégie se trouverait fortuitement contemporaine de la hausse du
coût des matières premières.
Pour les grandes marques industrielles et pour la
distribution organisée, les enjeux à court terme
de l’évolution des prix alimentaires sont certainement dominés par les perspectives de libéralisation quasi totale de la négociation commerciale,
plus que par l’orientation des prix agricoles.
L’expérience suggère que le coût des matières
premières agricoles n’a jamais été aussi bas dans
la valeur des produits alimentaires. Les industriels
de la filière ont vécu sur la neutralité de la plupart de ces coûts pendant de longues années. Ils
auront probablement à s’adapter sur la longue
durée à la volatilité accrue du prix des matières
premières agricoles. Noël ISORNI
[email protected]
Eclairages
Matières premières agricoles : hausse des cours.
Comment nourrir le monde ?
Interview de Bernard Bachelier, directeur de FARM
FARM est une initiative portée par un
groupe d’entreprises en vue de
contribuer à la promotion de l’agriculture et des filières agroalimentaires des pays en développement.
FARM a été reconnue comme établissement d’utilité publique par décret
du 20 février 2006.
La mission des fondateurs de FARM est de mettre
leurs expériences, leurs analyses et leurs capacités
d’action au service de ces nouveaux acteurs que sont
les organisations professionnelles agricoles, dans les
pays du Sud.
Cette démarche devrait conduire à une nouvelle approche de la production agricole qui sera aussi une
contribution à une agriculture durable à l’échelle de
la planète. La fondation FARM concerne tous les pays
en développement et vise plus particulièrement les
pays les moins avancés (PMA) et les pays AfriqueCaraïbes-Pacifique (ACP) avec lesquels l’Union européenne (UE) entretient des relations de partenariat
spécifique.
- Avant la hausse des cours des denrées agricoles, leur bas prix était considéré comme une des
causes majeures de la sous-alimentation mondiale. Mais maintenant que ces prix ont beaucoup monté, on assiste à des émeutes de la
faim : qu'en conclure ?
investissements dans l'agriculture, par manque
d'intérêt des bailleurs de fonds : selon la Banque
mondiale, l'agriculture ne bénéficie plus que de
4 % de l'aide publique au développement, au
lieu de 12 % vers 1990. Dans les pays africains,
l'agriculture représente aussi une part très faible
des budgets nationaux : ceci résulte de l'influence du FMI sur les choix budgétaires.
On assiste aujourd'hui à une rupture psychologique importante. Précédemment, l'idée dominante
était que les prix resteraient bas, qu'il n'y avait pas
de problème de pénurie mais un problème économique, la faim étant liée à la pauvreté. Désormais,
même s'il est probable que les prix ne restent pas
à un niveau aussi élevé que les sommets atteints
dernièrement, l'analyse n'est plus la même : il y a
un risque de rareté récurrent.
Bernard Bachelier : les émeutes sont le fait d'une
population urbaine, qui dépend pour son alimentation de produits importés, parce que la production est insuffisante sur place ou parce que les
habitudes alimentaires se sont orientées dans ce
sens. Et dans les villes, les émeutes apparaissent
plus facilement.
L'Afrique de l'Ouest a augmenté sa production,
mais celle-ci plafonne. Les prix alimentaires ont
augmenté particulièrement vite en zone urbaine.
Par exemple, les brisures de riz thaï étaient moins
chères que le riz produit le long du fleuve Sénégal, mais leur prix a augmenté très vite, le cours
mondial en hausse étant encore amplifié par les
négociants.
Au niveau mondial, l'analyse des causes évolue :
les biocarburants ont tout de suite été attaqués,
d'une façon assez idéologique ; c'est moins le cas
aujourd'hui. L'augmentation de la population et
le développement économique des grands pays
émergents qui veulent manger davantage de
viande jouent un rôle, mais les statistiques ne
sont pas très nettes à ce sujet.
L'offre aussi est en cause, avec la réussite des
politiques malthusiennes des pays développés
qui ont abouti à une baisse des stocks. La production, sans se réduire, a plafonné : la récolte de riz
a longtemps augmenté de 2 % par an, puis seulement de 1 %. Ce qui se passe en Chine a ici un
poids réel : il y a substitution de cultures maraîchères (notamment pour l'exportation) au riz, et
le pays n'est plus excédentaire dans cette céréale.
Il faut beaucoup insister sur le décrochement des
Voir http://www.fondation-farm.org
- Les cultures vivrières bénéficient-elles de la
hausse des prix ?
Bernard Bachelier : On commence à constater
des augmentations de prix pour les produits locaux. FARM abordera ce sujet dans une conférence fin novembre 2008 : comment les évolutions des prix mondiaux se transmettent-elles aux
cours locaux ? L'INRA et le CIRAD travaillent sur
cette question.
Les statistiques ne sont pas encore disponibles.
Les premières enquêtes donnent des résultats
hétérogènes : au Mali, le mil et le sorgho ont
augmenté en particulier à cause de mauvaises
récoltes.
Le prix désormais plus élevé des produits importés permet aux producteurs locaux d'augmenter
les leurs ou de vendre plus, mais il leur faut pour
cela des stocks et un accès au marché : ce n'est
pas le cas partout. Par exemple, le riz sénégalais
était jusqu'ici plus cher que le riz importé, mais
meilleur : il avait donc un marché, qui restait
N°125 – Septembre 2008
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Eclairages
limité. Le débouché peut augmenter, mais avec
un délai.
L'augmentation des prix agricoles mondiaux reste
une chance pour les produits locaux.
- Comment obtenir un développement de la
production agricole dans les pays les plus pauvres ? Quels aspects sont prioritaires ?
1. APE : accords de partenariat économique entre les
pays ACP (Afrique, Caraïbes
Pacifique) et l'Union européenne.
Bernard Bachelier : on peut aider les producteurs
locaux à réagir à ces marchés porteurs. A moyen
ou long terme ce sont la politique agricole et la
relance des investissements qui doivent jouer.
On notera que dans le contexte actuel de déréglementation, les outils d'Etat ne sont plus disponibles, il faut travailler avec les entités privatisées.
Mais nous cherchons des mesures d'urgence
permettant de réagir plus rapidement. Celles-ci
pourraient être fondées sur la fourniture d'intrants : engrais, mais aussi semences, petite irrigation, et crédit. En deux campagnes il est possible
d'obtenir des résultats, comme cela a été expérimenté récemment au Malawi avec des engrais
subventionnés.
La question de la volatilité des prix est sérieuse,
même avec des prix hauts. La constitution de
stocks d'intervention publics a selon les experts
un effet relatif. La gestion du risque pourrait être
assurée grâce aux assurances d'une part et aux
marchés à terme d'autre part, à la place des dispositifs publics. Mais en cas de calamité naturelle, les fonds publics restent nécessaires, et plus
généralement, les assurances de marché ne semblent pas viables sans un soutien public. Pour
l'instant, un seul exemple de nouveau dispositif
de lissage semble en cours d'élaboration : le
fonds destiné au coton, organisé en partenariat
avec l'AFD.
L'intervention de filières autour des producteurs
peut jouer un grand rôle : ces organisations pro-
fessionnelles doivent intervenir dans la constitution de stocks, la commercialisation et la gestion
des risques.
- La déréglementation va-t-elle être plus poussée,
dans le cadre des négociations OMC ? Est-ce
souhaitable ?
Bernard Bachelier : un phénomène très inquiétant est en train de se produire : certains pays
suppriment actuellement des taxes existantes à
l'importation, de façon à faire baisser le prix des
produits alimentaires sur le marché intérieur. Si
ceci persiste, l'accord régional de partenariat
risque d'être très compromis. L'idée, en particulier dans la négociation avec l'UE pour les accords de partenariat1, est d'organiser de grandes
régions avec un marché intérieur et un tarif douanier commun autour de ce marché, ce qui est
autorisé par l'OMC pour les produits sensibles.
Le débat portait en particulier sur le niveau de ce
tarif commun, 20 % seulement ou 50 % comme
le demandent les paysans. Si la suppression des
tarifs, solution à court terme, s'implante, cette
construction est remise en question.
Au total, la suppression des soutiens internes au
niveau mondial paraît irréaliste, car les pays développés veulent continuer à concilier leurs objectifs : limiter les prix à la consommation, tout en
ayant des produits de qualité et en conservant une
agriculture facteur de cohésion sociale et gérant
les espaces. Mais ceci suppose qu'un transfert de
fonds ait lieu aussi vers les pays à agriculture
pauvre, où existe un fort risque alimentaire et un
risque de migration. La France a ainsi des responsabilités de premier plan en Afrique.
Propos recueillis par Catherine Mollière
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Directeur de la publication : Jean-Paul Betbèze
Rédaction en chef : Jean-Paul Betbèze — Denis Lauras
Réalisation et secrétariat d’édition : Véronique Champion-Faure
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N°125 – Septembre 2008
Achevé de rédiger le 15 août 2008