Collamarini et le monde du théâtre

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Collamarini et le monde du théâtre
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Collamarini et le monde du théâtre
Dès les années 1920, Collamarini est proche du milieu du théâtre, comme le rappelait Jean Rollin :
« Homme de grande culture, Collamarini a fréquenté le Tout-Paris artistique de l’entre-deux-guerres, et plus
particulièrement les gens de théâtre auxquels le reliait sa femme, la comédienne Mona Dol, qui fera partie
plus tard du TNP de Jean Vilar. »1
Sculptures pour décors de théâtre
Collamarini exécuta les sculptures de deux pièces mises en scènes par Gaston Baty : Cris des cœurs de
Jean-Victor Pellerin, en 1928 au Théâtre de l'Avenue, et Faust de Goethe, en 1937, au Théâtre Montparnasse.
En 1941, Collamarini sculpta les masques des Suppliantes
d'Eschyle, que Jean-Louis Barrault mit en scène au Stade
Roland-Garros. Roger Parry (1905-1977) réalisa un reportage
photographique sur La compagnie Renaud-Barrault répétant
Les suppliantes au stade Roland-Garros, en juillet 1941
(Médiathèque de l'architecture et du patrimoine).
Plusieurs d’entre elles représentent les essais des masques
égyptiens, sans aucun doute ceux de Collamarini.
La troupe de théâtre Octobre
Jean Rollin mentionne également les relations de
Collamarini avec le groupe Octobre, une troupe de théâtre
des années 1930, qui jouait de courtes pièces ou des chœurs,
dans les meetings politiques, les rues et les usines en grève,
afin de diffuser les idées marxistes auprès du peuple. Il
semblerait que les chœurs répétaient dans l’atelier du sculpteur : « N’était-il pas un habitué du théâtre ? Son
amitié avec Baty datait des Cris du cœur, où il y avait une sculpture à faire. Ses relations avec Desniau,
O’Brady2, Bussières3, les frères Prévert4, remontent à la fondation du groupe révolutionnaire Masse, devenu
Octobre, qui voulait conquérir un public populaire et dont les chœurs répétaient dans son atelier. »5
Les marionnettes de Gaston Baty
En 1940, dans un esprit de résistance, le directeur de théâtre Gaston Baty (18851952) décide de créer un théâtre de marionnettes pour lequel il commanda à René
Collamarini des marionnettes en bois6.
« Que sont devenus ces petits personnages pour lesquels notre sculpteur déploya des
trésors d’invention et d’humour ? » se demandait Jean Rollin, dans la monographie
posthume consacrée à René Collamarini en 1985. Une réponse partielle a été donnée par
la vente aux enchères de la collection personnelle du dramaturge Jean Anouilh, le 16
décembre 2013 : un ensemble de trente-sept marionnettes en bois de Collamarini a été
acquis par la Bibliothèque Nationale de France.
1
Jean Rollin, « Adieu Colla », L’Humanité, 21 juin 1983
Frédéric O'Brady, né Frigyes Ábel (Budapest, 1903 – Rochester, 2003), acteur
3
Raymond Bussières (1907-1982), acteur, scénariste et producteur français. Il fut un des fondateurs du Groupe Octobre
pour lequel Jacques Prévert écrivit de nombreux textes d'agitprop dans les années 1930.
4
Jacques Prévert (1900-1907), poète et scénariste, et son frère Pierre Prévert (1906-1988), cinéaste.
5
Jean Rollin, « La grande aventure de Collamarini », in Collamarini, sculptures, dessins et lithographies, cat. expo SaintDenis, musée municipal d’art et d’histoire, 1974, p.4
6
300 marionnettes selon Jean Rollin.
2
Notice Valérie Montalbetti, juillet 2015
2
Les portraits de personnalités du théâtre
Il semble que la première personnalité dont Collamarini a modelé le buste soit Habib Benglia (18951960), l’un des premiers artistes noirs du spectacle français, comédien, danseur, auteur. Il tint un rôle majeur
dans la vie culturelle parisienne de l’entre-deux-guerres, se produisant aussi bien dans le théâtre de boulevard,
dans les créations d’avant-garde que dans le répertoire classique.
Habib Benglia et Suzet Maïs
photographies des Archives Collamarini, BINHA.
En 1933, René Collamarini réalise le buste de Mona Dol (1901-1990), comédienne qui devint la
compagne de sa vie. [Voir notice détaillée sur Collamarini et Mona Dol].
Il réalisa en 1935 le portrait de Suzet Maïs (1908-1989), actrice qui connut une certaine gloire dans les
années 1930. Une photographie du buste est publiée dans le journal Le Populaire7 en janvier 1936.
En 1938, Collamarini modèle les traits aigus de Charles Dullin (1885-1949) 8, metteur en scène,
comédien et acteur, qui fonda en 1927 le Cartel des quatre avec Louis Jouvet, Gaston Baty et Georges Pitoëff,
afin de donner une visibilité au théâtre d'avant-garde. Mona Dol joua en 1940 sous la direction de Charles
Dullin dans Plutus d'après Aristophane, au Théâtre de Paris.
Charles Dullin dans le film Maldonne de Jean Grémillon, 1928
Collamarini a également exécuté pour la Monnaie de Paris, les médailles de Charles Dullin en 1950 et
Gaston Baty en 1964. [Voir notice sur René Collamarini - Jean Rollin – La médaille.]
Collamarini réalisa en 1952 le portrait d’un autre grand directeur de théâtre, Jacques Hébertot (18861970), au moment où Mona Dol jouait dans le Dialogues des carmélites de Georges Bernanos, mise en scène
par Marcelle Tassencourt au Théâtre Hébertot. La Fondation de Coubertin conserve à la fois le modèle en
plâtre et la version en pierre, qui fut exposée au Salon des Tuileries de 1953 (n°210). Ce portrait illustre un
programme de salle du Théâtre Hébertot de 19539.
7
Buste en marbre, localisation non connue. Publié dans Le Populaire (hebdomadaire de la SFIO), 31 janvier 1936, p.4
Un buste en plâtre dans les Collections de la Fondation de Coubertin. Photographie Laurent Thion / eclicitique.
9
Programme de La Maison de la nuit de Thierry, 1953, Documentation de l’Association de la Régie Théâtrale
8
Notice Valérie Montalbetti, juillet 2015
3
Hébertot par le Studio Harcourt, 1940, et par Thérèse Le Prat (1895-1966), 1952
Médiathèque de l'architecture et du patrimoine
En 1955, Collamarini modèle les traits d’une enfant coiffée en queue de cheval, Isabelle Moulinot, puis
la sculpte en pierre. Isabelle était la fille de Jean-Paul Moulinot (1912-1989), acteur, camarade de Jean Vilar,
membre de la troupe du TNP comme Mona Dol. L’œuvre fut exposée au Salon des Tuileries de 1955 (n°132).
Collamarini réalise un portrait fascinant d’Hélène Weigel jouant le rôle de
Mère Courage, dans la pièce éponyme de Bertolt Brecht. Le buste est présenté au
Salon d’Automne de 1957 (n°324) sous le simple titre de Mère Courage. Il est
conservé au musée d’Art et d’Histoire de Saint-Denis.
Hélène Weigel (1900-1971) était une comédienne autrichienne, épouse de Brecht,
avec lequel elle fonda en 1947 à Berlin-Est la compagnie du Berliner Ensemble.
Une photographie montre Collamarini peaufinant la taille de son œuvre10.
L’œuvre est présentée dans le cabinet des marbres.
Lors de la rétrospective sur Collamarini au musée de Meudon en 1993, François Barachin, qui fut
directeur de la Comédie Française et du Théâtre national de l’Odéon, évoquait les rapports de Collamarini au
théâtre : « Colla, mon aîné de vingt ans, avait été attiré, dès avant la guerre, parles artistes de la scène qui
dans leur art et pour leur art, exprimaient dans un même mouvement du cœur et de l’esprit les mêmes
angoisses, les mêmes désirs et les mêmes passions qu’il éprouvait, lui pour la sculpture.
Je l’écoutais parler de ceux que je n’avais connu que plus tard ou comme jeune spectateur : les Dullin, les Baty,
les Hébertot. Il évoquait leur collaboration et son expérience sur les marionnettes. […] »11
Il évoque l’âme des portraits de Collamarini : « tous ont une âme et ne sont pas seulement une image. Quelle
sensibilité, quelle acuité des sens et de l’esprit pour pénétrer et traduire avec une telle intensité et une telle
émotion ce qu’il y a de plus profond dans l’être. »12
10
Photographie extraite de la monographie René Collamarini, 1985, p.195
François Barachin, « Collamarini et le théâtre », in Collamarini, cat. expo Meudon, musée d’Art et d’Histoire, p.51
12
Ibidem.
11
Notice Valérie Montalbetti, juillet 2015