Contre la colonisation «positive
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Contre la colonisation «positive
Contre la colonisation «positive» À l’occasion des «Rendezvous de l’Histoire» à Blois, et à l’initiative de Sud éducation 41, un rassemblement contre la colonisation «positive» a eu lieu le samedi 15 octobre, à l’appel d’un collectif d’organisations*. L’objectif était de profiter de la plus importante manifestation sur l’Histoire en France pour attirer, une fois de plus, l’attention des médias et de la population sur la loi du 23 février 2005, votée sans opposition, dont l’article 4 édicte que «les programmes scolaires reconnaissent le rôle positif» de la colonisation. Depuis plusieurs mois de nombreux chercheurs et enseignants en Histoire avaient demandé l’abrogation de cette loi et, malgré le soutien d’associations antiracistes et de défense des droits de l’homme, malgré les articles parus dans la presse, leur requête était restée lettre morte. La seule réaction du gouvernement a été, en dehors du mépris affiché par le ministre des Anciens combattants, de rappeler par la voix du ministre de l’Education que la loi ne remettait pas en question la liberté de l’enseignant, sousentendant qu’elle ne serait pas appliquée dans les faits. Il n’empêche qu’un doute profond subsiste. Conscients que leur discipline a souvent été l’objet de manipulations politiques, les historiens sont soucieux de leur indépendance par rapport au pouvoir politique. En 2001, la loi Taubira imposait de faire une place significative à l’esclavage dans l’enseignement, mais ne dictait pas le contenu des programmes. En octobre, nous nourrissions l’espoir d’interpeller notre ministre, mais il n’est pas venu à Blois cette année. Consolation : un tract a été remis au ministre de la culture. Le rassemblement a réuni une quarantaine de personnes et a été cou- vert par les médias locaux. Parallèlement, des journaux nationaux comme Libération ou l’Evénement du Jeudi se sont penchés sur le sujet. La crise des banlieues a eu pour effet bénéfique de remettre la question au goût du jour : en novembre, les députés PS déposent en guise de rachat une proposition de loi pour supprimer l’article incriminé, proposition rejetée par la majorité UMP. Mais, après les déclarations du président, du premier ministre et le camouflet infligé à Sarkozy, ce fameux article 4 sera sans doute enterré. De cette micro-histoire, retenons deux choses : le réveil tardif de la gauche parlementaire et l’attitude provocatrice de la droite au pouvoir, soucieuse de satisfaire certains électeurs au point de sacrifier la réalité des évènements historiques. Sud éducation Loir et Cher * Les historiens contre la loi, Ligue des droits de l’homme, Confédération Paysanne 41, FSU, LCR 41, Ligue de l’enseignement et de la formation permanente, MRAP, PCF 41, PS 41, SDEN-CGT 41, SGEN-CFDT 41, SNES, Solidaires 41, Sud éducation 41, les Verts 41. Appel à désobéir Si la loi du 23 février 2005 devait demeurer en l’état, nous appellerions l’ensemble des enseignants à refuser d’appliquer l’article 4 et à boycotter les éditeurs qui intégreraient «le rôle positif de la présence française outre-mer» dans leurs manuels scolaires. En attendant, nous invitons tous les collègues à signer l’une au moins des pétitions suivantes. ◆ La pétition des historiens, lancée le 25 mars 2005 réclame l’abrogation de l’article 4 parce qu'il «impose une histoire officielle, contraire à la neutralité scolaire et au respect de la liberté de pensée qui sont au coeur de la laïcité» : http://www.ldh-toulon.net. ◆ La pétition unitaire des personnalités politiques de gauche, lancée le 9 décembre 2005 : http://www.abrogation.net. L colonialisme e 9 décembre dernier, Jacques Chirac annonçait la création d'une «mission pluraliste pour évaluer l'action du Parlement dans les domaines de la mémoire et de l'Histoire», une annonce destinée à calmer le débat enflammé soulevé par une loi affirmant le «rôle positif» de la colonisation française. L’histoire de ce texte controversé remonte au 10 mars 2004, lorsque le gouvernement dépose un projet de loi «portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés». Le projet visait notamment à indemniser de façon plus équitable les familles de harkis, enrôlés bon gré mal gré dans l’armée française pendant la guerre d’Algérie et laissés pour compte en 1962. Le travail législatif commence alors tranquillement au sein des commissions, à l’Assemblée et au Sénat sur la base d’un large consensus : les pieds noirs et les harkis ont été mal traités par l’Etat français ; il est temps de leur rendre justice. Mais voilà : le 11 juin 2004, vers 17h00, le rapporteur du texte à l'Assemblée nationale, Christian Kert (député UMP des Bouchesdu-Rhône), présente un amendement précisant que «les pro- 6 L’Histoire coloniale qui fait mal Comme il nous empoisonne, ce lancinant passé colonial ! Pas moyen de le refouler. Il enfle aujourd’hui sous l’effet de la fièvre sociale et provoque de douloureuses hernies à la surface de l’inconscient collectif, notamment dans les banlieues. Impossible d’y toucher sans faire mal. Impossible de l’ignorer sans risquer la gangrène. En imposant «le rôle positif de la présence française outre-mer» dans les programmes scolaires, l’article 4 de la loi du 23 février 2005 aura-t-il au moins le mérite de mettre en évidence la «fracture coloniale» dont souffre, selon de nombreux historiens, la société française ? Une fracture qu’il serait vain de prétendre réduire au «kärcher». grammes scolaires et les programmes de recherche universitaire accordent à l'histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu'elle mérite», reprenant habilement la formulation utilisée dans l’article 2 de la loi du 21 mai 2001 (dite loi Taubira, en référence à Christiane Taubira, députée PRG de Guyane à l’origine de ce texte) tendant à la reconnaissance, par la France, de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité : «Les programmes scolaires et les programmes de recherche en histoire et en sciences humaines accorderont à la traite négrière et à l’esclavage la place conséquente qu’ils méritent». Il allait de soi qu’une éventuelle contestation de l’amendement Kert ferait tôt ou tard porter la polémique sur la loi Taubira. Bingo ! Certains intellectuels demandent aujourd’hui son abrogation (1). Mais point de débat ce jour-là : les vingt députés présents dans l’hémicycle adoptent l’amendement sans broncher, à main levée, et acceptent même le sousamendement de Christian Vanneste (député UMP du Nord) qui précise que les programmes scolaires «devront faire connaître à tous les jeunes Français le rôle positif que la France a joué outre-mer.» éducation / Le journal / numéro 15 / janvier-février 2006 contenu de la nouvelle loi et lancent, sous la houlette de Claude Liauzu, Professeur à l’université Denis-Diderot (Paris-VII), coordinateur de l’ouvrage «Colonisation. Droit d’inventaire» (2004), une pétition dans le quotidien Le Monde du 25 mars 2005. Le droit d’inventaire «Nous avons manqué de vigilance, admet aujourd'hui le président du groupe PS de l'Assemblée nationale, Jean-Marc Ayrault. Kléber Mesquida, notre porte-parole dans la discussion, ne nous a fait remonter aucune alerte.» François Hollande admet, lui, que des socialistes ont voté «par inadvertance». Toujours est-il que le texte définitif, incluant effectivement les amendements dans son article 4, est adopté le 23 février 2005 par le Parlement dans l’indifférence quasi générale. Certains historiens s’indignent pourtant très vite du L’émotion fait son chemin et les députés de gauche tentent de rattraper leur «inadvertance» en déposant le 10 novembre 2005 la proposition de loi de Bernard Derosier (député PS du Nord) visant à abroger le litigieux article 4. Mais la proposition est rejetée le 29 novembre par 183 voix contre 94. Et c’est paradoxalement lorsque les carottes semblent cuites que la polémique prend de l’ampleur. Aimé Césaire, poète et maire honoraire de Fort-de-France fait une déclaration lapidaire qui contraint Nicolas Sarkozy à annuler son voyage prévu de longue date aux Antilles, entre le 8 et le 10 décembre : «Je n’accepte pas de recevoir le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy pour deux raisons. La première : des raisons personnelles ; la seconde, parce que, auteur du Discours sur le colonialisme, je reste fidèle à ma doctrine et anticolonialiste résolu. Et ne saurais paraître me rallier à l’esprit et à la lettre de la loi du 23 février 2005.» La force symbolique du camouflet propulse la polémique à la Une des journaux, sur les plateaux de télévision et, par conséquent, sur les bancs de l’école… Dans l’ouvrage collectif intitulé La fracture coloniale, Benjamin Stora, historien spécialiste de la guerre d’Algérie, avait peutêtre vu juste lorsqu’il déclarait que «si l’on se réfère à mai 1968 —qui était, dans une lecture assez répandue, le règlement de comptes d’une génération avec la génération du «père» collaborationniste, vichyste—, il peut y avoir une demande de règlement de comptes de la nouvelle génération sur ce qui s’est passé il y a cinquante ans en France à propos de la guerre d’Algérie». Sud éducation Vaucluse (1) voir la "pétition des 19", lancée notamment par Elisabeth Badinter, Max Gallo et Pierre Vidal-Naquet, pourtant insoupçonnables d’un quelconque révisionnisme. (2) La Fracture coloniale, sous la direction de Pascal Blanchard, Nicolas Bancel et Sandrine Lemaire, La Découverte, 2005.