Témoignage de Clémence Patin, étudiante stagiaire au Centre

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Témoignage de Clémence Patin, étudiante stagiaire au Centre
 ENTRE LES QUATRE MURS DE LA MAISON D’ARRET DE LUYNES
Pour comprendre l’histoire qui me relie avec la maison d’arrêt, il faut remonter au 6 mai 2013.
Etudiante en première année au CFMI, un concert à la maison d’arrêt était programmé ce jour-là.
J’appréhendais énormément d’aller dans ce lieu. Je me posais tout un tas de questions : comment
allions-nous être accueillis ? Quels regards allaient être portés sur nous, femmes ? Quelle attitude
adopter ? Toutes ces questions ont trouvé des réponses dès l’instant où je suis entrée dans les
locaux. Le concert s’est très bien déroulé. Ce qui m’a poussée à me porter volontaire pour une
hypothétique intervention musicale sur du long terme fut l’instant d’échange post-concert avec
quelques détenus. L’échange était très riche, nous avions affaire à des personnes « normales », oui
le mot est fort mais avant de discuter avec elles, j’avais un certain nombre de préjugés. (Personnes
agressives par exemple). Je savais que Christophe, mon collègue également en première année,
avait émis le désir d’intervenir en ces lieux. Cela m’a confortée dans ma démarche, je pense que je
n’aurais pas osé intervenir seule dans un tel milieu.
Tout a commencé au mois d’octobre, nous nous sommes rendus à la maison d’arrêt pour une sorte
de présentation de l’atelier et d’un sondage auprès des détenus afin de savoir combien seraient
éventuellement intéressés. Nous avions préparé un petit répertoire pour nous présenter
musicalement à tout le monde. Et surtout présenter notre projet « atelier cajon-voix », centré
autour des musiques venant des horizons des détenus. Il y avait eu un échange avec les quelques
présents. A l’issu de cette réunion, nous attendions une dizaine de détenus. Malheureusement,
pour cause de procédures criminelles, nous avons perdu huit d’entre eux…
L’atelier a démarré avec deux personnes. Alain Franceschi, instituteur dans la prison, a beaucoup
œuvré afin d’obtenir notre équipe actuelle à savoir huit participants. Yohann était chanteur dans
son pays, la Roumanie et Bolkà, selon ses dires, s’inscrit à toutes les activités afin de fuir sa
cellule. Nous avons découvert nos voix ensemble en commençant par des improvisations vocales :
laisser sa voix aller et venir selon ce qui se passe, la découvrir pour certains. Etant donné que nous
étions deux intervenants pour deux détenus, nous avons pas mal tourné en rond pendant un mois.
Nous ne savions pas trop où nous diriger ; nous apprenions à nous connaître, à tisser des liens de
confiance car je pense que c’est un élément indispensable à une intervention dans un tel milieu. Je
me suis posée la question de ma légitimité à intervenir en prison. Après tout, je ne suis pas encore
diplômée, je suis jeune, je n’avais jamais eu d’expérience en milieu carcéral. Ces interrogations se
sont assez vite envolées lorsque j’ai constaté le bienfondé de ces interventions. Je m’explique, un
jour, un détenu passe dans le bureau d’Alain ; nous étions à côté en train de chanter et de jouer
« Couleur Café » ; il dit : « et bien quel joli arc-en-ciel d’origines, il n’y a qu’à l’atelier musique
que l’on pourra voir chanter et jouer un roumain, un portugais, un arabe, un corse, un africain
ensemble ! » J’ai trouvé cette phrase très poétique mais très vraie dans le sens. Ce qui me
conforte dans ce bien fondé également c’est l’assiduité de la majorité des détenus, il y a toujours
ce noyau des deux premiers Yohann et Bolkà et les autres qui sont arrivés plus tard comme
Sébastien, Maurice, Ahmed, Henry. Il y en a certains pour qui l’assiduité reste compliquée, c’est
vrai que ça a pu être un frein mais il a fallu nous adapter en proposant des chants auxquels ils
auraient pu se raccrocher facilement. Mais il n’y a pas que de leur côté que cela peut poser
problème, en effet, nous avons très vite compris comment fonctionnait le milieu carcéral : des
gardiens qui ne veulent pas ouvrir les cellules, qui les ouvrent en retard, des listes incomplètes où
le nom de certains participants ne sont pas indiqués…
Je ne sais pas si cette activité adoucit la captivité, en tous les cas, il y a vraiment un réel plaisir
pour les détenus de venir à l’atelier car la plupart du temps, lorsque notre intervention est
terminée, la plupart du groupe reste encore au moins une heure avant de regagner chacun son
bâtiment. Au-delà du plaisir de faire de la musique, c’est le plaisir d’être ensemble qui est né au fil
des séances. Lorsqu’il manque quelqu’un, tout de suite les détenus sont déçus pour lui.
En ce qui concerne mon travail de chanteuse au sein du groupe, ce n’est pas toujours très évident.
En effet, il est difficile d’apporter ma technique comme je le voudrais car il y a certains caractères
qui prennent mal le fait que l’on s’intéresse par exemple à la justesse. Ils peuvent prendre cela
comme une critique négative. Je pense que cela est exacerbé par le fait d’être enfermé, de
ressentir un jugement permanent sur soi. Je le fais bien évidemment de la façon la plus
bienveillante possible. J’ai nettement pu observer des progrès chez la plupart des détenus qui
participent à l’atelier. Je donne l’exemple de Yohann car cela m’a frappée. Au tout début, il sortait
un petit filet de voix presqu’inaudible. La semaine dernière nous avons travaillé « Let it Be »
proposée par Maurice, Yohann s’est proposé afin de chanter seul un refrain. J’ai été émue et
enchantée qu’il le fasse avec toute sa sensibilité et sa fragilité vocale.
En tous les cas, pendant une heure le vendredi après-midi la musique prend le pas sur
l’environnement sonore constitué de phrases et mots tels que : « surveillant ! » ; « tu es dans quel
bâtiment ? » ; « je ne t’ai pas sur ma liste » ; « bip » ; « ouvrez, c’est l’heure de la
promenade ! » ; claquements de porte… J’aimerais être une mouche pour entendre si les détenus
chantent depuis leur cellule et s’ils en font profiter leurs compagnons de cellules !
C’est une expérience très riche pour moi, cela m’a permis d’enlever un tas d’images préconçues sur
ce milieu. Cela va peut-être sonner cliché mais aussi j’apprécie ma liberté et je mesure la chance
de pouvoir faire de la musique quand j’en ai envie. Cette expérience m’a enrichie sur le plan
humain, j’ai rencontré des origines différentes, des influences différentes. Je suis très heureuse
d’avoir pu participer à ce projet et si c’était à refaire je le referais !
Clémence PATIN
Etudiante en seconde année (promotion 2012-14)

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