TD - Evolution des traits d`histoire de vie Cas du Guppy Poecelia
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TD – Evolution des traits d’histoire de vie J.-F. Le Galliard _________________________________________________________________________________________________ TD - Evolution des traits d’histoire de vie Cas du Guppy Poecelia reticulata à l’île de Trinidad L’étude des traits d’histoire de vie nécessite la combinaison d’informations provenant de l’écologie, qui détermine les pressions de sélection, de la génétique quantitative (héritabilité) et des compensations entre traits d’histoire de vie, dont les composantes sont à la fois physiologiques et génétiques. Nous illustrerons ces principes généraux à l’aide d’une série de travaux sur l’évolution des traits d’histoire de vie chez le guppy Poecelia reticulata, qui ont débuté en 1976 et ont été conduit par le Pr. David Reznick, actuellement à l’Université de Riverside (Californie). Présentation de l’espèce Poecelia reticulata Le poisson Poecelia reticulata appartient à la famille des Poeciliidae. Il s’agit une espèce vivipare : la femelle incube plusieurs lignées embryonnaires en développement asynchrone. Cette espèce de petite taille habite les eaux douces des régions tropicales où elle vit dans des mares permanentes. En pratique, les individus peuvent être sexés après la naissance et l’âge à maturité peut être estimé par les modifications morphologiques de l’épine anale chez les mâles et par l’accumulation de pigments noirs dans la région cloacale chez les femelles. Matures à l’âge de quelques mois, les femelles se reproduisent à intervalle de quelques semaines. Le temps de génération peut ainsi être estimé entre 4 et 8 mois. Ces poissons se nourrissent de zooplancton. Ecologie des populations à l’île de Trinidad. Les guppies de l’île de Trinidad (Indes Occidentales) occupent différents points d’eau le long de cours de rivières qui s’organisent en populations plus ou moins isolées. Les guppies se reproduisent tout le long de l’année. Le cycle de vie est marqué par une faible saisonnalité avec une période sèche et une période humide. Le système écologique en métapopulation peut être hiérarchisé selon les espèces prédatrices associées aux populations locales du guppy : - les communautés dites à Rivulus hartii contiennent un seul poisson prédateur omnivore, - les communautés à Crenichlia alta contiennent une série de prédateurs carnivores. Ces communautés sont séparées par des chutes d’eau qui limitent la présence des prédateurs carnivores en aval des communautés à Rivulus. Les caractéristiques biophysiques, démographiques et écosystémiques des communautés sont résumées dans le tableau 1. 1 TD – Evolution des traits d’histoire de vie J.-F. Le Galliard _________________________________________________________________________________________________ Tableau 1. Caractéristiques des communautés à Rivulus (Riv.) et Crenichlia (Cren.) D’après Reznick et al. (1996), Reznick et al. (2001). Communautés Cren. Communautés Riv. Significativité Caractéristiques biophysiques 23, 6 °C ± 0,5 Température de l’eau 22, 9 °C ± 0,1 NS 8,3 µg.L-1 ± 0,8 7,41 µg.L-1 ± 0,9 NS Surface mare 47 m2 ± 20,7 23 m2 ± 5,2 p<0.10 Profondeur mare 25 cm ± 7,8 15 cm ± 0,8 p<0.10 10,2 Carbone organique Vélocité courant 5 cm.s-1 ± 0,3 p<0.05 ± 0,5 Concentration O2 dissout mg.L-1 9,7 ± 0,8 9 mg.L-1 cm.s-1 545 lux Intensité lumineuse ± 0,9 p<0.10 2,5 lux p<0.10 Caractéristiques démographiques Survie immature / ut 0,22 0,05 p<0.05 Survie mature / ut 0,07 0,30 p<0.05 -- -- p<0.05 Taille (voir Fig. 1) Densité guppys centre Densité guppys marge 1,23 ind.quad-1 ± 0,57 3,21 ind.quad-1 ± 0,57 ± 0,61 p<0.05 1,49 ind.quad-1 ± 0,61 p<0.05 126 g.m-3 530 g.m-3 p<0.05 0,14 mm.12j-1.mm-1 0,096 mm.12j-1.mm-1 p<0.05 30,9 mm 21,9 mm p<0.05 Biomasse guppys Croissance immature 2,34 ind.quad-1 Taille asympt. Caractéristiques écosystémiques Photosynth. Planctonique Productivité nette Densité totale macroinv. Biomasse total macroinv. 352,3 mgC.m-2.j-1 152,1 mgC.m-2.j-1 mgC.m-2.j-1 mgC.m-2.j-1 NS ± 95 NS 185,3 210 ind.m-2 108,2 ± 89 160 1,2 mg.echant-1 ± 0,5 ind.m-2 p<0.05 1,4 mg.echant-1 ± 0,6 NS Question 1. Quelles sont les caractéristiques écologiques discriminantes des deux types de communautés ? Question 2. Traduire ces caractéristiques écologiques en pressions de sélection à l’aide d’un schéma récapitulatif. Proportion dans la population 0.6 Figure 1. Distribution de taille. Barre pleines : communautés à Cren. Barres vides : communautés à Riv. 2 *** 0.5 0.4 *** 0.3 0.2 0.1 0 < 12 mm 12-14 mm 14-18 mm Classe de taille > 18 mm TD – Evolution des traits d’histoire de vie J.-F. Le Galliard _________________________________________________________________________________________________ Rôle des prédateurs. Prédictions théoriques. Les modèles théoriques d’optimisation de la valeur sélective permettent de prédire l’impact évolutif de la prédation sur l’histoire de vie. Ces modèles font l’hypothèse que des contraintes existent entre les traits d’histoire de vie, en particulier (i) entre l’investissement présent dans la reproduction et la valeur sélective future (coût en reproduction intra-générationnel), et (ii) entre la quantité et la qualité des jeunes produits (coût en reproduction inter-générationnel). Ces modèles font les prédictions suivantes : 1- Modèle de Roff (1981) : une augmentation de la mortalité adulte sélectionne pour une diminution de l’âge à maturité. 2- Modèle de Charlesworth (1980) : une augmentation globale de la mortalité sélectionne pour une diminution de l’âge à maturité et une augmentation de l’effort reproducteur précoce. 3- Modèle de Stearns (1992) : une augmentation de la mortalité juvénile sélectionne pour la production de jeunes plus gros, et de pontes plus petites. Question 3. Quelle sont les histoires de vie attendues dans les deux communautés pour l’âge à maturité, l’effort reproducteur et les caractéristiques de la ponte ? Question 4. Quelle démarche scientifique pourrait-on adopter pour tester ces prédictions théoriques (sans rentrer dans les détails protocolaires) ? Test des hypothèses des modèles d’optimisation Test 1. Existence d’un coût en reproduction. Question 5. A l’aide de la Figure 2 ci-dessous, commenter la nature du coût physiologique et génétique en reproduction chez cette espèce. Expérience 1. Elevage de femelles selon trois niveaux de nourriture (1 à 3, niveau décroissant) et selon un traitement expérimental (accouplée ou non) sur un lot aléatoire pris d’un stock de laboratoire. Mesure de l’énergie totale allouée entre la reproduction et la croissance somatique (protéines et lipides). Expérience 2. Elevage de femelles issues de stocks de guppys capturés en populations naturelles. Mesure sur une deuxième génération issue de croisement en laboratoire de l’allocation génétique à la reproduction et à la croissance somatique selon l’âge de la femelle. 3 TD – Evolution des traits d’histoire de vie J.-F. Le Galliard _________________________________________________________________________________________________ Figure 2. Résultats de l’expérience 1 (gauche) et 2 (droite). D’après Reznick (1983) Test 2. Existence d’un coût de la ponte. Question 6. Comment testeriez-vous les contraintes physiologiques et génétiques entre la taille de ponte et la taille des jeunes produits par une femelle ? 4 TD – Evolution des traits d’histoire de vie J.-F. Le Galliard _________________________________________________________________________________________________ Observations de la variabilité Question 7. Quelles sont les sources potentielles de variation d’un trait d’histoire de vie ? Question 8. Commenter les résultats présentés dans le tableau 2, et discuter ces résultats en rapport avec les prédictions formulées plus haut. Note : les données phénotypiques ont été obtenues dans les populations naturelles par la capture et la mesure de guppys au sein de plusieurs localités par communauté ; les données génétiques ont été mesurées sur une deuxième génération de guppys élevés au laboratoire et obtenus par des croisements aléatoires au sein de chaque localité. Le stock de départ de l’expérience de laboratoires est constitué de guppys provenant des mêmes localités utilisées pour les mesures phénotypiques. Tableau 2. Caractéristiques phénotypiques et génotypiques des deux communautés. D’après Reznick et Endler (1982) et Reznick (1982). Caractéristiques phénotypiques Cren. Sign. Riv. Caractéristiques génotypiques Cren. Sign. Riv. 51,8 p<0,01 58,8 Age et taille à la maturité Age des mâles à maturité (j) Taille mâles à maturité (mg sec) non disponible 14,8 mm Age des fem. à maturité (j) Taille des fem. à maturité (mg sec) p<0,001 16,3 mm non disponible 15 mm p<0,05 17,4 mm 87,7 p<0,01 99,7 71,5 p<0,01 81,9 218,0 p<0,001 270,0 14,5 NS 15,6 25,1 p<0,05 19,2 22,8 p<0,01 25,0 Effort reproducteur Allocation (% masse sèche) 16,2 Effort (% calories) Intervalle de ponte (j) p<0,001 12,6 non disponible 24,3 p<0,001 26,2 Caractéristiques des pontes Taille de ponte 1 6,7 p<0,001 3 5,2 p<0,01 3,2 Taille de ponte 2 - - - 6,9 NS 10,2 Taille de ponte 3 - - - 16,1 NS 16,0 0,90 p<0,001 1,61 0,84 p<0,001 0,99 Masse jeune 2 - - - 0,95 p<0,05 1,05 Masse jeune 3 - - - 1,03 p<0,05 1,17 Masse jeune 1 (mg sec) Question 9. Quelles sont les approches empiriques envisageables pour tester les facteurs sélectifs à l’origine de la variabilité génétique détectée ci-dessus ? 5 TD – Evolution des traits d’histoire de vie J.-F. Le Galliard _________________________________________________________________________________________________ Manipulation expérimentale David Reznick a réalisé des transferts de petites populations de guppys depuis des communautés à Crenichlia vers des communautés à Rivulus situées en amont des communautés à Crenichlia et ce au sein de deux localités (Aripo en 1976, et El Cedro en 1976). Les communautés introduites et les communautés de départ (contrôle) ont ensuite été suivies pendant plusieurs années afin d’estimer la variabilité génétique des traits d’histoire de vie après introduction. Le Tableau 3 résume les résultats obtenus au bout de 2-3 ans à El Cedro (10-20 générations) et au bout de 11 ans à Aripo (20-60 générations). Question 10. Commenter et interpréter les résultats. Tableau 3. Caractéristiques génétiques des populations introduites et des contrôles. D’après Reznick et Bryga (1987) et Reznick et al. (1990). Communauté El Cedro Contrôle Sign. (Cren.) Communauté Aripo Introd. Contrôle (Riv.) (Cren.) Sign. Introd. (Riv.) Age et taille à la maturité Age des mâles à maturité (j) 60,0 p<0,01 72,7 48,5 p<0,01 58,2 Taille de mâles à maturité (mg sec) 56,0 p<0,01 62,4 67,5 p<0,01 76,1 Age des fem. à maturité (j) 94,1 NS 95,5 85,7 p<0,05 92,3 116,5 NS 118,9 161,5 p<0,01 185,6 Taille des fem. à maturité (mg sec) Effort reproducteur Allocation (% masse sèche) 14,7 NS 15,1 non communiquée Allocation (% calories) 4,0 NS 3,9 22,0 NS 18,5 Intervalle de ponte (j) 24,9 NS 24,89 24,5 NS 25,2 Caractéristiques des pontes Taille de ponte 1 2,5 NS 3,0 4,5 p<0,05 3,3 Taille de ponte 2 6,3 NS 7,0 8,1 NS 7,5 11,4 NS 11,5 Taille de ponte 3 non mesurée Masse jeune 1 (mg sec) 0,91 Masse jeune 2 0,93 Masse jeune 3 NS 0,87 0,87 p<0,05 0,95 NS 0,86 0,90 p<0,05 1,02 1,10 NS 1,17 non mesurée 6 TD – Evolution des traits d’histoire de vie J.-F. Le Galliard _________________________________________________________________________________________________ Génétique quantitative. Age et taille à maturité. L’âge et la taille à maturité sont les premières composantes de l’histoire de vie du guppy à répondre à la sélection en milieu naturel. L’analyse statistique de l’expérience renseigne sur les composantes de la génétique quantitative de ces deux traits d’histoire de vie chez les mâles et les femelles. On vous demande d’analyser le Tableau 3 et de répondre aux questions qui suivent. Tableau 3. Génétique quantitative de la sélection sur l’âge et la taille à maturité. D’après Reznick et al. (1997). Communauté Aripo (11 ans) Valeur Significativité Communauté El Cedro (8 ans) Valeur Significativité 4,9 p<0,05 Effet de la sélection Réponse à la sélection âge mâle 9,6 Taux d’évolution exponentielle Réponse sélection taille mâle 16.400 Darwins 8,6 Taux d’évolution exponentielle Réponse à la sélection âge femelle p<0,05 p<0,05 Taux d’évolution exponentielle 2,9 10.900 Darwins 7,8 4,6 8.000 Darwins 26,8 p<0,05 5.300 Darwins p<0,05 Taux d’évolution exponentielle Réponse sélection taille femelle 13.900 Darwins p<0,10 7.900 Darwins p<0,05 10,3 13.900 Darwins p<0,05 9.300 Darwins Paramètres génétiques Héritabilité mâle âge 0,89 p<0,01 0,59 p<0,01 Héritabilité mâle taille 0,88 p<0,01 0,99 p<0,05 Corrélation gén. mâle âge et taille 0,91 p<0,01 0,52 p<0,01 Héritabilité femelle âge 0,08 NS 0,45 p<0,05 Héritabilité femelle taille 0,09 NS 0,09 NS Corrélation gén. femelle âge et taille 1,68 NS 0,55 NS Question 11. Sachant que les taux d’évolution en sélection artificielle sont de l’ordre de 12.000 à 50.000 Darwins (moyenne : 65.000) et que les taux d’évolution des données paléantologiques pour les vertébrés sont inférieurs à 27 Darwins (moyenne : 0.08), commenter les résultats concernant la vitesse d’évolution dans cette expérience. Question 12. Commenter les paramètres génétiques de l’histoire de vie, et les différences entre mâles et femelles. Question 13. Intégrer les différences entre mâles et femelles dans un modèle pour l’évolution des deux traits qui tienne compte de la sélection, de la variation, des corrélations génétiques et de la vitesse d’évolution. 7 TD – Evolution des traits d’histoire de vie J.-F. Le Galliard _________________________________________________________________________________________________ Evolution des profils de sénescence. La sénescence correspond au déclin des performances (reproduction, survie, …) avec l’âge de l’individu. La théorie de l’accumulation des mutations délétères de Medawar prédit que la sénescence est provoquée par l’accumulation de mutations délétères dont l’effet s’exprime tard dans la vie et qui s’accumulent d’autant plus facilement que la mortalité extrinsèque est forte – donc la sélection naturelle tôt dans la vie importante. Une théorie alternative pour expliquer la sénescence est la théorie de la « pléiotropie antagoniste » qui propose que la sénescence est expliquée comme une conséquence d’un effort reproducteur important tôt dans la vie. Question 14. Faire des prédictions concernant les patrons de sénescence dans les populations naturelles de guppys à Trinidad. Question 15. David Reznick (Reznick et al. 2004) a mesuré en laboratoire les performances reproductives et la survie de la deuxième génération de guppys prélevés dans des communautés à Crenichlia (« high predation ») vers des communautés à Rivulus (« low predation »). Les guppys ont été élevés avec un régime de nourrissage faible ou un régime de nourrissage fort pour mimer les différences de ressources entre les deux communautés en nature. Les figures ci-dessous présentent les patrons de « survie » (probabilité d’être toujours reproducteur) et la fécondité. Discuter ces résultats par rapport aux prédictions. 8 TD – Evolution des traits d’histoire de vie J.-F. Le Galliard _________________________________________________________________________________________________ 9